Mercredi 12 juin 2024
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 9 h 40.
Avenir du fret ferroviaire - Audition de M. Matthieu Chabanel, président-directeur général de SNCF Réseau
M. Jean-François Longeot, président. - Je suis heureux d'accueillir ce matin Matthieu Chabanel, président-directeur général de SNCF Réseau. Cette audition revêt une importance singulière, puisqu'elle clôturera le cycle d'auditions consacré à l'avenir du fret ferroviaire, qui a débuté il y a près d'un an. Après avoir entendu en réunion plénière les représentants des opérateurs de fret ferroviaire - Fret SNCF et l'Alliance Fret ferroviaire français du futur (4F) -, ainsi que les représentants des chargeurs et des ports maritimes, en mars, enfin des acteurs des politiques européennes des transports, en mai dernier, l'audition du gestionnaire de l'infrastructure ferroviaire est absolument centrale pour la compréhension du sujet qui nous préoccupe tous : le développement du fret ferroviaire dans notre pays.
Les travaux que nous avons conduits dans le cadre de ce cycle d'auditions feront l'objet d'une synthèse réalisée sous l'égide de Philippe Tabarot, rapporteur pour avis des crédits relatifs aux transports ferroviaires, fluviaux et maritimes, et de moi-même, sous la forme d'un court rapport d'information que nous vous proposerons d'examiner dans les prochains mois.
Commençons par le commencement : comment en sommes-nous arrivés là ? Nous avons compris au cours de nos auditions qu'un certain nombre de facteurs structurels et conjoncturels étaient susceptibles d'avoir contribué à l'affaiblissement du fret ferroviaire dans notre pays. La dégradation de l'état du réseau est l'une des préoccupations majeures des opérateurs ferroviaires et des chargeurs. S'y ajoutent d'autres difficultés d'exploitation, parmi lesquelles les conséquences dommageables et de long terme des grèves, mais aussi le niveau élevé des péages. Mises bout à bout, ces difficultés semblent, de fait, donner un avantage comparatif à la route. Dans ce contexte, de quelles marges de manoeuvre SNCF Réseau dispose-t-elle pour améliorer la situation et renforcer l'attractivité du fret ferroviaire ? Estimez-vous que la priorité donnée au transport ferroviaire de voyageurs constitue un horizon indépassable ?
J'en viens aux perspectives d'avenir qui se dessinent pour le fret ferroviaire. L'actualisation prochaine du contrat de performance entre l'État et SNCF Réseau constituera assurément une occasion de se donner, une bonne fois pour toutes, les moyens de nos ambitions et de traduire les intentions dans les faits. Je tiens à rappeler notre déception, et celle de tous les acteurs du secteur, à la lecture du dernier contrat de performance, et notamment vis-à-vis du développement du fret ferroviaire, tant sur la forme que sur le fond.
Sur la forme, d'abord, les parties prenantes dont la consultation est rendue obligatoire par la loi n'avaient été consultées que de façon purement formelle et leurs remarques n'avaient pas été réellement prises en compte pour amender le projet. L'Autorité de régulation des transports (ART) recommande, pour le prochain contrat de performance, d'associer plus étroitement et plus en amont les différents acteurs. Il s'agit d'une condition clé du développement du fret ferroviaire, faute de quoi nous nous dirigeons tout droit dans une impasse. Pouvez-vous nous indiquer où en sont les discussions sur l'actualisation du contrat de performance, qui accuse déjà quelques mois de retard ?
Sur le fond, le dernier contrat se caractérisait notamment par le manque d'opérationnalité des différents indicateurs et par le flou entourant les investissements en matière de régénération et de modernisation du réseau au bénéfice du fret ferroviaire. Qu'en sera-t-il du prochain contrat ? Nous en attendons ici beaucoup.
M. Matthieu Chabanel, président-directeur général de SNCF Réseau. - J'aborderai trois points : la situation du fret, la qualité de service et les investissements.
Concernant, tout d'abord, la situation du fret ferroviaire, la récente crise sanitaire a de nouveau démontré sa pertinence dans notre pays. Durant cette période, il a en effet assuré sa mission de transport, notamment de céréales, de marchandises et de matières premières. Son dynamisme et son utilité ont été confirmés en 2021 et 2022, notamment au niveau du transport combiné.
L'année 2023 a été difficile, avec une baisse de 13 % du trafic due à des facteurs conjoncturels : hausse du prix de l'énergie, mouvements sociaux liés à la réforme des retraites, ou encore ralentissement de l'économie mondiale et des chaînes logistiques. En 2024, l'activité connaît un net rebond, en hausse de 17 % par rapport à 2023. Nous prévoyons pour 2025 un retour au niveau de trafic de 2022, ce qui augure d'une croissance future du secteur, que nous encouragerons. Le fret ferroviaire émet en effet neuf moins de carbone que le transport routier de marchandises et, même si le transport routier était entièrement décarboné - ce n'est pas pour demain ! -, le fret ferroviaire consommerait six fois moins d'énergie à la tonne transportée. C'est un puissant atout.
SNCF Réseau, qui est en quelque sorte un tiers indépendant apporteur d'affaires, promeut donc le fret ferroviaire et met en relation les chargeurs et les entreprises ferroviaires : nous avons organisé à cet effet cinq forums au cours de l'année écoulée. Celui qui s'est déroulé hier à Lyon a réuni plus de 200 intervenants. Notre rôle à cet égard est d'apporter un éclairage technique et commercial aux acteurs industriels et logistiques intéressés par le fret ferroviaire, lequel attire depuis un an près d'un nouveau client par mois. Nous menons ce travail de promotion et de mise en relation avec l'ensemble des acteurs concernés, notamment l'Alliance 4F, l'Association française du rail (Afra), l'Association des utilisateurs de transport de fret (AUTF), le Groupement national des transports combinés (GNTC) et l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP).
J'en viens à mon deuxième point : la qualité de service. Celle-ci répond à deux attentes de nos clients : l'existence de sillons permettant de circuler sur le réseau et la garantie de conditions de circulation adaptées à leurs besoins.
Concernant les sillons, tout d'abord, l'équation est complexe. Le transport de marchandises doit être concilié, sur le réseau, avec le trafic de voyageurs, qui se développe en particulier autour des principaux noeuds ferroviaires, où nos concitoyens attendent une expansion des trains express régionaux (TER), mais aussi avec les nécessaires travaux d'entretien, de renouvellement et de développement du réseau. Depuis une dizaine d'années, la situation s'est considérablement améliorée. En 2013, notre taux de réponses positives aux demandes de sillons était de 70 % ; en 2023, il était de 88,8 %. De manière plus subjective, la note attribuée par nos clients à SNCF Réseau pour sa qualité de service est passée de 5 sur 10 à 7,2 sur 10.
Nous avons engagé un travail de long terme, sous l'égide de l'État et avec l'ensemble des acteurs, pour identifier des plans d'exploitation à cinq et dix ans. Nous aurons ainsi une meilleure visibilité sur les besoins de circulation pour les voyageurs et pour le fret, et nous pourrons mieux planifier les travaux à réaliser. Par ailleurs, grâce à une enveloppe incluse dans le plan de relance, nous avons pu changer les conditions de réalisation de plusieurs chantiers. Enfin, un programme financé à hauteur de 50 millions d'euros par l'Union européenne nous permet de moderniser les outils numériques utilisés pour l'attribution des sillons.
SNCF Réseau ne privilégie pas systématiquement le transport de voyageurs. Par exemple, les travaux programmés cette année sur la ligne historique Paris-Lyon-Marseille, notamment dans des tunnels au nord de Dijon, travaux qui nécessitent le blocage complet de la voie, ont été programmés non pas la nuit, mais le jour - de 9 heures 30 à 17 heures 30 -, afin de ne pas supprimer les 3 000 trains de marchandises qui l'empruntent de nuit. Cet arbitrage a été fait non dans notre intérêt économique, puisque les sillons de voyageurs nous rapportent davantage, mais dans celui des entreprises de fret, pour lesquelles cette artère ferroviaire est absolument vitale.
La deuxième attente de nos clients, ce sont des conditions de circulation adaptées à leurs besoins. En lien avec les entreprises de l'Alliance 4F, SNCF Réseau a lancé un programme d'amélioration de la ponctualité des trains de fret au départ. Le taux de ponctualité à 30 minutes est actuellement de 82,1 %, soit une amélioration de deux points par rapport à l'année dernière ; pour comparaison, ce taux est d'environ 60 % en Allemagne. Nous travaillons également sur le suivi des trains et sur les effets des mouvements sociaux, ponctuels ou non, sur le trafic de fret., afin que ce dernier ne soit pas moins bien considéré que le trafic de voyageurs dans ces situations.
J'en viens à mon troisième point : les investissements. Les entreprises de fret ont besoin que soient augmentés les moyens destinés au renouvellement et à la modernisation du réseau structurant, sur lequel circulent 90 % des trains de fret. Le Gouvernement a annoncé que l'enveloppe de 3 milliards d'euros prévue dans le précédent contrat de performance augmenterait de 1,5 milliard à l'horizon 2027-2028, ce qui bénéficiera de façon pérenne au transport de voyageurs et au fret ferroviaire.
D'autres investissements sont spécifiques au fret : voies de service, triage de wagons isolés, chantiers de transport combiné. Le plan de relance a permis leur augmentation, de 20 millions à plus de 100 millions d'euros par an. Cette dynamique sera reprise dans les contrats de plan État-région (CPER) et au travers d'investissements portés par l'État. Les gares de triage de Woippy, Miramas, Le Bourget et Sibelin, qui n'avaient pas reçu d'investissements depuis des dizaines d'années, bénéficient ainsi d'un plan de plus de 100 millions d'euros, financé par l'Union européenne et l'État. Par ailleurs, les plus petites lignes de fret, dites lignes capillaires fret, qui desservent des silos, des carrières, des usines, et sont essentielles pour le transport de céréales et de granulats, font l'objet de plans de financement prévus dans les CPER. Ces investissements s'élèvent à 50 millions d'euros cette année, au lieu d'environ 20 millions lors des années précédentes.
L'État a annoncé une enveloppe globale, tous financeurs confondus, de 4 milliards d'euros d'ici à 2032. SNCF Réseau identifie et hiérarchise, en lien étroit avec l'Alliance 4F, les investissements visés, qui doivent correspondre à un besoin commercial réel des entreprises de fret. Il s'agit, j'y insiste, d'un travail collectif ; des réunions sont organisées chaque semaine.
Tous ces éléments ont vocation à se retrouver dans le contrat de performance, dont l'élaboration a été quelque peu chahutée au cours des derniers mois. La rédaction de ce document devrait être finalisée à l'automne prochain.
M. Philippe Tabarot. - Nous sommes très préoccupés par la situation du fret ferroviaire français, et le contexte actuel n'est pas de nature à nous rassurer. Je fais référence au plan de discontinuité appliqué à Fret SNCF, à la hausse des prix de l'énergie observée ces derniers mois et au projet d'autorisation de circulation de méga-camions sur les routes européennes.
Des annonces qui vont dans le bon sens ont été faites ces derniers temps, mais on ne voit pas encore leur traduction concrète sur le terrain. Je pense aux 100 milliards d'euros pour la « nouvelle donne ferroviaire » annoncée par la Première ministre de l'époque, aux 4,2 milliards d'euros pour le fret ferroviaire, ou encore au plan de relance. Nous avons le plus grand mal à obtenir la ventilation précise de ces montants. Au-delà des annonces, il nous faut plus de visibilité sur la trajectoire consacrée à la régénération et à la modernisation du réseau. C'est pourquoi nous avons introduit dans la loi du 27 décembre 2023 relative aux services express régionaux métropolitains, dite loi Serm, l'obligation légale d'annexer au contrat de performance le programme triennal des investissements de SNCF Réseau. Comment-avez prévu de vous conformer à cette obligation ? Quels seront les travaux prioritaires pendant les trois prochaines années ?
J'ajoute à l'intention de mes collègues qu'une conférence de financement devait se tenir avant le 30 juin. Il s'agit là encore d'une disposition législative introduite à l'initiative de notre commission. Nous espérons qu'elle pourra avoir lieu à la rentrée parlementaire.
En définitive, il est demandé à SNCF Réseau d'intégrer plusieurs objectifs, dont certains sont parfois contradictoires. Pensez-vous être capables, dans le même temps, de réaliser d'importants travaux sur le réseau et d'accueillir davantage de trains de fret alors même que, souvent, les travaux et la circulation des trains de fret de nuit ne sont pas compatibles ? Dans ce contexte contraint, comment améliorer l'adéquation de l'offre proposée aux chargeurs ?
Enfin, quelles solutions concrètes SNCF Réseau peut-elle apporter en cas de grèves d'ampleur ? Nombre d'acteurs interrogés nous ont indiqué que ces grèves avaient des conséquences dramatiques pour le fret ferroviaire. Nous avons formulé un certain nombre de propositions. Comment organisez-vous le redéploiement des effectifs disponibles et dans quelle mesure le fret est-il plus ou moins affecté que le trafic de voyageurs ?
M. Matthieu Chabanel. - Concernant la loi Serm, nous nous conformerons à nos obligations et présenterons le programme pluriannuel d'investissement de SNCF Réseau en annexe du contrat de performance.
Nous disposerons d'une visibilité complète sur les investissements de régénération lors de la signature de ce contrat. Ces investissements sont passés de 2,9 milliards d'euros dans le précédent contrat à 3,2 milliards cette année ; cette dynamique devrait se poursuivre. Pour ce qui est des investissements cofinancés, le contrat de performance, qui comprendra une clause de précaution, sera davantage prévisionnel. En effet, tant que les conventions de financement ne sont pas rédigées, chaque acteur demeure libre de s'engager ou non.
Les investissements spécifiques au fret représentent aujourd'hui une enveloppe de l'ordre de 150 millions d'euros par an, bien supérieure à ce qu'elle était avant la crise sanitaire. Le contrat de performance indiquera précisément quels moyens y seront alloués. Il comprendra également des indicateurs relatifs à la qualité de service du fret ferroviaire.
Il est plus facile de programmer les travaux sur le réseau lorsque l'on dispose d'une visibilité à long terme. Nous faisons en sorte, par ailleurs, qu'ils aient le moins d'impact possible sur la circulation des trains, par exemple en autorisant celle-ci sur la voie contiguë, tout en tenant compte des enjeux de sécurité et en prenant toutes les précautions nécessaires.
Enfin, compte tenu de la croissance des volumes d'investissement, nous devrons réunir l'ensemble des acteurs afin, en fonction des enjeux pour les uns et pour les autres, de faire des choix qui ne soient pas systématiquement en faveur du trafic de voyageurs. SNCF Réseau considère qu'il est de sa responsabilité de défendre les intérêts de ce secteur, qui est plus émietté et dont la voix est peut-être moins forte que celle du transport de voyageurs.
Comment limiter les conséquences sur le fret ferroviaire des grèves, notamment celles de grande ampleur ? En cas de grèves massives, comme celles de 2023 contre la réforme des retraites, le réseau est à l'arrêt et il est difficile de choisir entre trafic de voyageurs et trafic de fret. Pour ce qui est des grèves ponctuelles portant sur des revendications locales et propres à l'entreprise, d'abord, nous entamons un dialogue social permettant de limiter ces mouvements. Lorsque la conflictualité demeure, nous faisons des choix équilibrés, notamment en termes de report de personnel, qui ne penchent pas systématiquement en faveur du trafic de voyageurs ; nous avons ainsi privilégié le fret lors d'un conflit récent sur la ligne Nancy-Dijon, d'importance cruciale pour le transport de marchandises entre l'Espagne et le nord de l'Europe. Par ailleurs, nous informons le plus en amont possible les entreprises de fret des potentiels conflits. Nous nous efforçons, enfin, de trouver pour les trains de fret des itinéraires passant par des zones non affectées par ces conflits locaux. Nous essayons, dans de telles situations, d'adopter une approche équilibrée entre les deux types de trafic.
M. Jean-Pierre Corbisez. - Concernant la recherche de nouveaux sillons pour le fret ferroviaire, la piste des lignes à grande vitesse (LGV) n'a jamais été évoquée. Les TGV ne circulent pas entre 23 heures et 6 heures du matin. Dans le Nord-Pas-de-Calais, le groupe Bombardier avait travaillé, à la demande des élus locaux, sur la construction de plateformes surbaissées, afin que des containers puissent circuler sur les LGV en passant sous les ouvrages d'art. Le secteur recherche et développement de la SNCF poursuit-il la réflexion en ce domaine ? Cette solution permettrait de décharger les lignes ferroviaires classiques et d'avoir des liaisons fret rapides.
M. Stéphane Demilly. - Depuis l'annonce, en 2023, d'une restructuration du fret ferroviaire, les personnels attendent et sont inquiets. Pour éviter la disparition définitive de Fret SNCF, l'État a fait le choix d'une restructuration en créant deux sociétés, qui appartiendraient toujours au groupe SNCF. La première d'entre elles, appelée provisoirement New Fret, devrait voir le jour le 1er janvier 2025 et reprendre 80 % du chiffre d'affaires, 70 % du trafic et 90 % des 5 000 cheminots. La seconde entité devrait s'occuper de la maintenance des locomotives. Ce plan est jugé trop vague par les syndicats. Rien n'est acté, rien n'est validé par la Commission européenne. Quid de l'apurement des dettes ? Pouvez-vous nous donner des informations sur cette restructuration ?
La France fait figure de mauvais élève dans le domaine du fret ferroviaire. Elle a d'ailleurs perdu 13 % de parts de marché en .2023, même si elle est depuis sur une pente ascendante. Le transport par rail concerne dans notre pays à peine 10 % des marchandises, contre 35 % en Suisse, 32 % en Autriche et 18 % en Allemagne. Notre réseau ferroviaire souffre d'un retard de maintenance de ses grands axes, de ses terminaux, de ses gares de triage ; or il faut gagner la confiance des chargeurs. De quel électrochoc avez-vous besoin pour soutenir notre fret ferroviaire ?
M. Pierre Barros. - Fret SNCF a été affaibli par plusieurs plans de restructuration successifs. La part modale du transport ferroviaire sur l'ensemble des marchandises transportées en France est ainsi passée de 14,6 % en 2009 à 10,7 % en 2021. Fret SNCF assurait 50 % de ce total, tout en ayant perdu plus de 10 000 emplois sur la même période. Peut-être une amélioration s'esquisse-t-elle, mais on part de loin !
Cette entreprise est aujourd'hui menacée par un plan de discontinuité dont les conséquences sont catastrophiques. Il ne faut pas s'étonner que les cheminots fassent grève ! À défaut de trajectoire et de perspective claires, nous observerons dans les prochaines années un report modal inversé et le retour des camions sur les routes. On est loin de la nécessaire décarbonation du transport de marchandises !
Le Gouvernement a annoncé le doublement du fret d'ici à 2030. Cet objectif est-il atteignable ? On peut en douter...
L'État mise avant tout sur l'autofinancement de la SNCF via les fonds de concours ou les régions pour financer les lignes capillaires et les petites lignes, comme le prévoient la loi d'orientation des mobilités (LOM) et la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite loi 3DS. Les besoins sont pourtant immenses, et la visibilité à long terme indispensable, comme les chargeurs nous l'ont expliqué.
Depuis 2014, près de 1 000 kilomètres de lignes capillaires ont été fermées à la circulation, sur environ 2 200 kilomètres de voies au total. Il existe 306 sites embranchés en France et 2 890 installations terminales embranchées (ITE). Pourtant, selon le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), sur 2 200 ITE étudiées, 62 % ne sont pas utilisées.
Il faut réinvestir dans les gares de triage existantes et en rétablir d'autres, comme celle de Grande-Synthe. À Woippy, où notre commission s'est récemment déplacée, nous avons été stupéfaits par le matériel utilisé. Même s'il fonctionne et que des investissements sont consentis, nous avons eu l'impression de faire un bond dans le passé. Il convient, enfin, d'être proactif pour améliorer la desserte par le rail des entrepôts et des zones logistiques.
Le potentiel de développement du fret est identifié, mais les moyens ne semblent pas tout à fait à la hauteur. Ne craignez-vous pas que la faiblesse des perspectives proposées par l'État, couplée à l'application stricte de la discontinuité, ne conduise à la disparition de Fret SNCF en tant qu'entreprise de service public ?
Mme Nicole Bonnefoy. - Je conviens, comme nous tous, de l'importance du fret ferroviaire pour réduire le recours au transport routier, plus émetteur de gaz à effet de serre. Mon département, la Charente, produit chaque année plusieurs millions de bouteilles de cognac. Or l'état de la gare de fret de Cognac n'a guère changé depuis votre dernière audition ici même, en mars 2023. Elle demeure toujours inutilisée, à cause de l'inertie des producteurs de cognac, des chargeurs et des entreprises ferroviaires. Cette situation est désespérante au regard de nos objectifs de décarbonation. Certaines maisons vantent plutôt l'utilisation prochaine de cargos à voile ! En attendant, la ligne Cognac-Le Havre, pourtant en état de marche et mobilisable, est délaissée. Que pensez-vous de la création d'une obligation de report modal vers le ferroviaire lorsque les infrastructures existent ?
Le réseau ferroviaire de la région Nouvelle-Aquitaine est le plus long et le plus dégradé de France. Lors d'une rencontre à la fin du mois d'avril dernier, SNCF Réseau a promis d'augmenter les enveloppes de rénovation de 50 % à partir de 2025. Je souhaite attirer votre attention sur la ligne Angoulême-Limoges, à l'arrêt depuis six ans entre Saillat-sur-Vienne et Angoulême. Les Charentais demandent la réouverture au plus tôt de cette ligne qui était utilisée par 80 000 voyageurs par an. Selon des projections, elle rouvrirait, dans le meilleur des cas, en 2030. À ce stade, sur les 240 millions d'euros nécessaires à la régénération de la ligne, 36 millions seulement sont budgétisés pour la première phase 2023-2027 ; ce sont évidemment les collectivités territoriales qui prennent en charge ces financements. Des collectifs de soutien ont entamé des actions de sensibilisation, comme la « marche du rail », avec le soutien des élus locaux. Hier, un collectif a saisi la Défenseure des droits pour atteinte au droit à la mobilité. La question de l'égalité des territoires est fondamentale et le manque de services de mobilité favorise la montée des extrêmes... SNCF Réseau prévoit-elle de revoir avant 2027 sa participation à ce projet structurant pour notre département et notre région ?
M. Matthieu Chabanel. - Concernant le fret sur les lignes à grande vitesse, des projets ont été étudiés. Je signale tout de même que ces lignes sont entretenues durant la nuit et que cet entretien, d'une grande technicité, est essentiel à la sécurité des voyageurs. Si l'on décidait de les entretenir durant le jour, au profit d'un trafic fret nocturne, cela compliquerait la circulation des TGV. Pour des lignes très récentes, on pourrait envisager de telles solutions, mais pas pour des lignes de plus de 30 ans d'âge, qui ont besoin d'importants travaux de renouvellement.
S'agissant de Fret SNCF, de par mes fonctions, je n'ai accès à aucune information interne relative à sa situation, non plus que sur celles d'autres entreprises de fret. Pour autant, nous y sommes attentifs à plusieurs titres. Tout d'abord, un certain nombre de flux ont été transférés de Fret SNCF vers d'autres entreprises ferroviaires. Nous veillons à ce que, dans le cadre de ces transferts, les sillons suivent les flux et les nouvelles entreprises ferroviaires aient accès aux installations, pour qu'il n'y ait pas de report modal inversé. Ensuite, nous préparons l'arrivée de la nouvelle entreprise qui succédera à Fret SNCF pour les sillons accordés, ainsi que pour l'accès à nos systèmes d'information et à l'ensemble des installations informatiques ou techniques auxquelles elle a droit. Enfin, la rénovation des gares de triage et les projets de tri à la gravité auxquels nous nous consacrons avec le soutien des pouvoirs publics bénéficieront directement à cette nouvelle entreprise.
Pour ce qui concerne les parts de marché et les comparaisons avec nos voisins, deux éléments objectifs sont à considérer.
Tout d'abord, lorsque la part de l'industrie, et notamment de l'industrie manufacturière lourde, est importante dans une économie - c'est le cas en Allemagne -, beaucoup de matières et de produits sont logiquement transportés par fret ferroviaire. Dans un pays plutôt tourné vers les services, comme la France, les conditions sont moins favorables à ce type de fret.
Ensuite, dans les pays alpins, comme la Suisse ou l'Autriche, les politiques de report modal sur le fret sont très contraignantes ; le transit routier est ainsi taxé à des niveaux très élevés. En Suisse, cette politique publique s'est traduite par la construction d'infrastructures massives, comme le nouveau tunnel du Saint-Gothard.
L'électrochoc dont le fret ferroviaire a besoin, monsieur Demilly, ne peut venir que du travail de persuasion que nous menons auprès des chargeurs, lesquels nous écoutent de plus en plus. Le choix d'un meilleur paiement des externalités de la route peut induire un report modal important. A contrario, autoriser la circulation de camions plus longs et plus lourds crée une incitation économique favorisant le fret routier, ce que l'on peut regretter.
Concernant les lignes capillaires, un certain nombre d'installations terminales embranchées ont été rouvertes. Dans le Puy-de-Dôme, des industriels utilisent ces installations pour des activités de transport combiné ou de métallurgie. Mais lorsque des sites ont été reconvertis et qu'il n'y a pas de flux générateur, elles demeurent inutilisées. Notre politique de fermeture est très prudente : nous ne supprimons pas ces installations, sauf si nous sommes certains que la zone ne sera plus un point d'origine de flux de marchandises.
Les CPER en cours de discussion prévoient un certain nombre de crédits destinés à financer les ITE : il s'agit d'accompagner les acteurs économiques qui souhaiteraient remettre en état des installations appartenant à des chargeurs ou à des parcs logistiques.
Le transport combiné représente pour l'État un véritable enjeu ; il convient d'identifier les sites qui pourraient l'accueillir. J'ai la conviction qu'il faut partir des besoins commerciaux, plutôt que d'une vision de maillage du territoire par des plateformes, comme on a pu le faire sans que toutes connaissent le succès escompté. Vous avez cité l'exemple du cognac, madame Bonnefoy : lorsqu'un tel flux existe, on peut monter des opérations de fret correspondantes. Nous travaillons avec Haropa Port, qui regroupe les ports du Havre, de Rouen et de Paris, en vue d'identifier un certain nombre de plateformes. Nous en avons ainsi créé une à Orléans, en raison de l'existence de flux vers le port du Havre. Haropa Port espère également capter des flux dans l'ouest de la France. SNCF Réseau est prêt à accompagner toute initiative dans ce domaine, mais elle ne saurait se substituer aux entreprises ferroviaires ou aux chargeurs.
La ligne Angoulême-Limoges, qui n'accueille pas de fret ferroviaire, a bien été fermée au trafic de voyageurs. Sur cette ligne de desserte fine du territoire, en vertu du contrat de performance actuel - cela ne devrait pas changer dans celui qui le remplacera -, SNCF Réseau n'intervient pas financièrement. En revanche, nous accompagnerons les acteurs locaux dans la conduite des études et des travaux si les financements sont mis en place pour ce projet de ligne. Ce sont des sujets qui ont vocation à être intégrés dans les CPER.
Dans le même territoire, la ligne Bordeaux-Saintes, qui était auparavant classée ligne de desserte fine du territoire, a réintégré le réseau structurant le 1er janvier 2024. SNCF Réseau va investir dans les prochaines années, sans sollicitation des collectivités territoriales, les crédits nécessaires pour lever les limitations de vitesse qui existent aujourd'hui entre Bordeaux et Saintes et remettre cette ligne en état - je l'avais annoncé lors de mon déplacement à Bordeaux.
M. Hervé Gillé. - Monsieur Chabanel, je salue les efforts que vous déployez pour démontrer toutes vos capacités d'action, mais, en tant que parlementaires, nous ne disposons jamais de documents de reporting de qualité pour évaluer les évolutions positives en fonction des objectifs qui vous sont fixés. Tout ce que l'on a, ce sont vos propos. Sur la programmation, vous citez toujours des chiffres ; encore faudrait-il parler en euros constants et procéder à un rééquilibrage, en fonction du coût des prestations, pour mesurer l'effet de levier que pourrait avoir le plan de relance. On n'y voit rien, et cela continue d'année en année, créant de la suspicion envers la SNCF et SNCF Réseau. Pour nous, c'est dramatique ! Nous ne sommes pas en mesure d'établir une analyse du rapport coûts-bénéfices.
S'agissant des régions, un nouvel avis du Conseil d'État sur le document de référence du réseau vient d'être publié. Les régions contribuent chaque année à hauteur de 3,6 milliards d'euros au comblement du déficit d'exploitation des trains régionaux - hors Île-de-France -, et de plus de 1,7 milliard d'euros aux péages ferroviaires. Si les péages représentaient 36 % du prix du billet TER en 2002, ce montant atteint 86 % aujourd'hui. Les coûts explosent et deviennent insupportables eu égard aux objectifs que les régions tentent de s'assigner pour le développement des trajets du quotidien. Dans le même temps, celles-ci affirment que vous n'êtes pas suffisamment transparents. Nous souhaiterions des éclaircissements en la matière.
M. Franck Dhersin. - En tant qu'ancien vice-président chargé des transports du conseil régional des Hauts-de-France, je souscris à ces propos sur les coûts. Mais si ceux-ci augmentent plus que dans les autres pays européens, c'est parce que l'État n'injecte pas assez d'argent. On demande tout à SNCF Réseau ; or l'argent qui lui est alloué ne lui permet pas de répondre à l'ensemble des demandes. Et cette problématique ne fait que s'aggraver depuis trente ans.
Nos ports ont un besoin très important de ferroutage. Celui-ci a augmenté de 17 % à Calais ; Dunkerque va ouvrir une ligne. Toutefois, au vu de l'augmentation des trafics, nous allons très vite nous retrouver dans l'impossibilité d'avoir des sillons, et ce en dépit des nombreuses réponses positives. À moyen terme, il serait très important d'examiner comment les énormes investissements réalisés dans les services express régionaux métropolitains peuvent servir à l'ouverture de sillons supplémentaires pour le fret ferroviaire. Cela permettrait peut-être d'envisager ces fameuses autoroutes ferroviaires de fret.
M. Guillaume Chevrollier. - Notre commission est naturellement favorable au développement du fret ferroviaire pour des raisons environnementales. Nous défendons aussi la complémentarité entre le fret et nos opérateurs routiers, qui sont nombreux dans mon département de la Mayenne.
Vous avez évoqué la régénération. Je voudrais témoigner de la réalité des investissements en ce sens : la ligne entre Sablé-sur-Sarthe et Château-Gontier, pour laquelle des matériaux ont été réutilisés, vient d'être livrée. Ce chantier exemplaire permet de desservir un territoire et des entreprises, grâce à votre investissement et au soutien des collectivités locales. Notre département souhaiterait aussi une nouvelle station sur le site de Laval-Saint-Berthevin. Quel sera l'engagement de SNCF Réseau sur ce projet ?
Enfin, pour aborder le sujet de la biodiversité en lien avec le transport ferroviaire, les très nombreuses collisions de trains avec des animaux sauvages entraînent beaucoup de dégâts sur les différents réseaux et des retards importants. Quelles actions comptez-vous prendre en la matière ?
M. Jacques Fernique. - Certains pays européens sont nettement en avance sur nous en matière de fret ferroviaire. Cela résulte de choix politiques majeurs. Un rééquilibrage entre le rail et la route s'impose, avec l'avantage donné au ferroviaire, voire l'obligation d'y recourir sur certains tronçons. Pour autant, je doute que ces sujets soient aujourd'hui au coeur du débat démocratique... L'entretien, la régénération et la modernisation sont absolument nécessaires pour le réseau ferroviaire. Mais, en pratique, certains acteurs du fret comme des trains de nuit ont un peu le sentiment que SNCF Réseau se voit plus comme une entreprise de travaux publics que comme un facilitateur de circulation, même si tous vos propos contredisent cette impression.
Les conditions de visibilité nécessaires à l'essor du fret, notamment sur les voies qui relient les ports et les axes européens majeurs, sont-elles présentes ? Les capacités de circulation pour les cinq ans à venir sont-elles claires ?
Sur la modernisation, je perçois un manque de volonté bien français quant au respect des échéances du système européen de gestion du trafic ferroviaire (ERTMS). Selon le Conseil d'orientation des infrastructures (COI), nous devrions remplir nos obligations non pas en 2030, mais plutôt vers 2042. La numérisation est très importante pour le fret. À Woippy, la situation est édifiante, mais les investissements sont prometteurs. A-t-on vraiment la volonté d'avancer sur les commandes centralisées du réseau ? Bien que notre réseau soit beaucoup moins saturé que d'autres en Europe, il est aujourd'hui nécessaire d'activer les investissements pour dépasser des difficultés liées à la saturation des réseaux.
M. Olivier Jacquin. - Je suis déconcerté devant le parcours difficile du fret ferroviaire français, qui va de mal en pis, contrairement à vos affirmations. Nous venons d'apprendre que la Commission européenne validait un plan de 2 milliards d'euros d'aide pour le fret ferroviaire allemand. Nous aurions pu nous battre plus fortement contre le plan de discontinuité, qui est une vraie catastrophe pour Fret SNCF. Et je ne parle pas de la nouvelle directive autorisant les méga-camions...
Vous avez évoqué d'autres pays, comme la Suisse, qui ont des volontés politiques très fortes. Pourrions-nous faire de même en France, afin d'avoir un effet extrêmement important sur le report modal et de tenir compte des externalités négatives du transport routier ?
J'aurais aussi aimé en savoir plus sur le nouveau contrat de performance dont nous attendons beaucoup. Je salue les protestations de Hervé Gillé, qui dénonce l'opacité ferroviaire française. On n'y voit rien ! Où sont les 100 milliards d'euros promis par Mme Borne ? Nous sommes assez démunis face à ces informations parcellisées.
S'agissant du nouveau contrat de performance, à combien estimez-vous les besoins de financement pour respecter le scénario écologique du COI ?
J'ai aussi une question à vous poser sur le climat social de l'entreprise. Comment le jugez-vous, d'une manière générale ? Parvenez-vous à embaucher l'ensemble du personnel nécessaire à vos besoins ?
Comment diminuer les péages sans mettre à mal les finances de SNCF Réseau ?
Enfin, la privatisation de Systra ne va-t-elle pas nous priver de ressources ?
M. Matthieu Chabanel. - Le contrat de performance se négocie à deux. Aujourd'hui, je ne suis pas à même de vous donner la nouvelle copie. Mais la volonté de SNCF Réseau comme de l'État est bien d'engager une consultation transparente sur ce contrat. La programmation des investissements, avec une visibilité à trois ans, figurera bien dans les annexes de ce contrat, comme l'avaient souhaité l'Autorité de régulation des transports et votre commission. Le suivi du contrat devra être transparent, à la fois sur les indicateurs de qualité et sur la tenue concrète des budgets d'investissement qui auront été prévus.
SNCF Réseau n'a que deux sources de financement, les péages et les subventions, et tout l'argent que nous touchons va à l'entretien et à la modernisation du réseau. Nous ne faisons pas de bénéfices. Le poids respectif des péages et des subventions résulte d'un choix de politique publique.
Le Gouvernement a demandé un rapport à l'inspection générale des finances, qui m'a auditionné. Il appartiendra à l'État, qui a commandité le rapport, d'en faire la publicité et de décliner les décisions que ce rapport inspire. Aujourd'hui, je suis dans la même situation qu'au moment de la première consultation. Le Conseil d'État nous a demandé de reprendre la procédure pour des questions de forme et de transparence. La nouvelle consultation vient de se terminer, avec beaucoup plus d'informations mises à la disposition des régions. Mon conseil d'administration se réunira au mois de juillet pour approuver une nouvelle tarification, qui sera ensuite soumise à l'Autorité de régulation des transports. Si nous touchons moins de péages, pour un niveau inchangé de subventions, il y aura moins de travaux sur le réseau. L'équation n'est pas plus compliquée que cela, au moins dans son expression, même si les conséquences qu'elle pourrait avoir le sont davantage.
Les ports sont à nos yeux un sujet majeur. Nous travaillons étroitement avec l'ensemble d'entre eux.
Je pense notamment au port de Calais, site d'un projet très important, la voie mère de Calais, qui requiert près de 80 millions d'euros d'investissement, que devraient fournir l'État, la région Hauts-de-France et SNCF Réseau. Le projet a deux phases : une phase de modernisation des infrastructures existantes, puis une phase de création d'une nouvelle voie. Cela permet le développement de transports combinés - chargement de conteneurs sur des trains - ou d'autoroutes ferroviaires - chargement de remorques de poids lourds sur des trains.
Nous travaillons également avec le port de Marseille sur une opération combinant des opérations urbaines et la création de nouveaux terminaux, à Marseille et à Miramas, de manière à développer le transport combiné, et avec le port de Cherbourg et Brittany Ferries sur la création d'une autoroute ferroviaire entre Cherbourg et le Pays basque, qui devrait être lancée l'année prochaine.
Je crois beaucoup aux autoroutes ferroviaires. Aujourd'hui, ce type de trafic, entre Perpignan et le Luxembourg ou Calais, représente une part importante du trafic de marchandises dans notre pays et rencontre un grand succès auprès des opérateurs routiers. Les autoroutes ferroviaires et le transport combiné représentent un axe majeur de développement du fret ferroviaire dans notre pays.
La compatibilité du fret et des services express régionaux métropolitains est un enjeu important. Les entreprises ferroviaires se sont inquiétées du développement des Serm, qui pourraient saturer plus encore qu'aujourd'hui des noeuds ferroviaires importants sur des itinéraires de fret majeurs. Nous regardons ce problème de près, d'autant que nous sommes soumis à une obligation européenne de maintien, sur tous les axes, d'une capacité réservée pour le fret, à hauteur de 1 ou 2 sillons par heure selon les axes. Il faudra que les projets de Serm intègrent cette dimension, qui peut apparaître comme une contrainte pour les régions et les métropoles.
Pour le développement du fret, il importe aussi d'envisager de nouvelles infrastructures. Je pense par exemple au contournement ferroviaire de l'agglomération lyonnaise. Aujourd'hui, tout le fret ferroviaire qui remonte de la vallée du Rhône ou de l'Espagne passe au milieu de la gare de Lyon Part-Dieu, l'une des gares les plus fréquentées de France. Le projet de contournement ferroviaire de l'agglomération lyonnaise est un enjeu tout à fait crucial pour notre pays. Nous avons soumis un dossier à la Commission européenne, avec l'appui des collectivités locales et des pouvoirs publics, pour financer les études d'avant-projet de la partie nord de ce contournement ferroviaire.
Concernant la Mayenne, je me réjouis aussi de l'opération de Château-Gontier et remercie l'ensemble des acteurs publics qui ont permis le financement de cette opération. SNCF Réseau a été au rendez-vous pour la réalisation de cette opération, tant en matière de coûts que de délais. Si l'on se base sur le coût carbone de ces travaux, grâce à l'économie circulaire, il s'agit d'une opération exemplaire. En ce qui concerne la plateforme de transport combiné de Laval, nous sommes disposés à l'accompagner si un plan de financement est monté, mais l'État aura son mot à dire et ce projet devra être mis en regard des besoins du marché et veiller à une bonne coordination avec ce qui se fait à Rennes.
Les dégâts provoqués par la faune sauvage sont un sujet de préoccupation majeure. Nous avons observé une augmentation importante de ces dégâts ces dernières années, notamment à cause des sangliers, en période de chasse, à l'automne. Les trains de fret sont un peu plus robustes que les trains de voyageurs, mais nous devons quand même prendre des mesures. Sur le réseau classique, à la différence des LGV, il y a peu de clôtures ; nous portons donc des projets pour y remédier, notamment entre Sablé et Nantes, en collaboration avec l'État et la région des Pays de la Loire. Nous travaillons également avec les fédérations de chasse, pour réguler la faune autour des voies ferrées, ainsi que sur des effaroucheurs, c'est-à-dire des dispositifs qui, à l'approche d'un train, déclenchent des bruits qui font s'éloigner la faune sauvage des voies ferrées. Nous effectuons actuellement des tests et ce système sonore apparaît plus efficace que les signaux lumineux.
Le déploiement des nouvelles technologies, de l'ERTMS à la numérisation du réseau, est un enjeu majeur. Dans les investissements supplémentaires annoncés pour le développement et la modernisation en 2023, de plus de 1,5 milliard d'euros, à partir des données du COI, il devrait y avoir plus de 1 milliard d'euros pour la régénération du réseau et 500 millions d'euros pour sa modernisation, ce qui doit permettre d'accélérer la croissance des investissements dans l'ERTMS à un rythme conforme au scénario intermédiaire de la transition écologique du COI.
M. Hervé Gillé. - Nous sommes en retard !
M. Matthieu Chabanel. - Nos voisins allemands sont aussi en retard par rapport à d'autres pays européens. Cela s'explique par le fait qu'un certain nombre de pays, comme la Belgique, n'avaient jusqu'alors pas de système de contrôle de vitesse. En France, depuis les années 1990, nous avons déployé un système de contrôle de vitesse, ce qui fait que le gain procuré par l'ERTMS est moins important. Il y a moins d'incitation sécuritaire, mais la modernisation de la signalisation nous paraît néanmoins essentielle.
Quel pourrait être le cheminement français pour le rééquilibrage entre les modes de transport du fret ? Certains d'entre vous ont pris l'exemple de la Suisse, à la pointe dans le domaine du fret ferroviaire. Nous avions un projet de bon aloi, arrêté en cours de route : la taxation des poids lourds, qui constituait une très bonne incitation au report modal.
J'en reviens à la consultation reprise à la demande du Conseil d'État, sur des niveaux de péage équivalents à la première consultation. Il y a seulement eu plus d'informations transmises et de transparence. Certaines régions regrettent cependant qu'il n'y en ait pas encore assez. Le conseil d'administration de SNCF Réseau se réunira au mois de juillet pour approuver un nouveau projet, qui sera soumis à l'Autorité de régulation des transports, laquelle examinera, d'une part, le niveau d'investissement et, d'autre part, l'ensemble des réponses à la consultation. Elle donnera ensuite un avis, qui doit être conforme, comme le Parlement l'a voulu. Pour ma part, je m'en réjouis. Si cet avis conforme est positif, la tarification entrera en vigueur. S'il est négatif, la tarification devra être reprise par SNCF Réseau. Si la tarification entre en vigueur, les régions garderont toujours une possibilité de recours.
J'ai enfin été interrogé sur le niveau d'embauche de SNCF Réseau. Après avoir connu de grandes difficultés d'attractivité au moment de la crise sanitaire, nous avons repensé les conditions d'accueil des salariés. Une politique d'accompagnement social de haut niveau est mise en oeuvre et, aujourd'hui, SNCF Réseau a retrouvé une très bonne capacité d'embauche : 2 600 recrutements en 2023, 2 300 prévus en 2024.
M. Jean-François Longeot, président. - Monsieur le président-directeur général, nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation. Vos réponses contribueront à nourrir nos travaux sur le sujet majeur qu'est le développement du fret ferroviaire, entamés il y a plus d'un an. Nous avons bien compris la difficulté des défis qu'il faut relever ; avec un peu de bonne volonté, je pense néanmoins que, tous ensemble, nous y parviendrons !
Mes chers collègues, je souhaite vous informer que le bureau de la commission a décidé de suspendre temporairement tous nos travaux et auditions jusqu'à la mi-juillet, à l'exception de réunions qui se révéleraient nécessaires.
La réunion est close à 11 h 10.
Ce compte rendu a fait l'objet d'une captation vidéo disponible sur le site internet du Sénat.