Jeudi 13 juin 2024
Femmes dans la rue : audition de M. Didier Leschi, directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii)
Mme Dominique Vérien, présidente. - Mes chers collègues, nous accueillons ce matin M. Didier Leschi, directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii).
Cette audition s'inscrit dans le cadre de notre mission d'information sur les femmes dans la rue, dont quatre sénatrices de la délégation ont été nommées rapporteures : Agnès Evren, Marie-Laure Phinera-Horth, Olivia Richard et Laurence Rossignol.
Dans la mesure où nous sommes actuellement en période de réserve électorale, je précise qu'à la demande de M. Leschi, cette audition ne fait pas l'objet d'une captation audiovisuelle et n'est donc pas diffusée sur le site Internet du Sénat. En outre, nous ne publierons le compte rendu écrit de cette audition qu'à la fin de cette période de réserve, c'est-à-dire après le second tour des élections législatives.
Au cours de nos auditions et déplacements, nous avons constaté qu'une proportion significative de femmes sans domicile est constituée de femmes d'origine étrangère, en particulier de primo-arrivantes. S'il est difficile de disposer de chiffres, les acteurs associatifs comme institutionnels s'accordent sur les ordres de grandeur suivants : 40 % des 330 000 personnes sans domicile sont des femmes, dont plus de la moitié sont d'origine étrangère ; parmi les personnes sans domicile, 30 000 personnes sont sans abri, dont environ 3 000 femmes, majoritairement d'origine étrangère.
Quelles sont les données dont vous disposez en la matière, sur le nombre, mais aussi sur le profil de ces femmes ?
De nombreuses femmes migrantes se retrouvent sans abri ou hébergées dans des structures d'hébergement d'urgence pendant des années, faute de droits ouverts leur permettant d'accéder à un logement. Ces situations perdurent, parfois même lorsque ces droits sont ouverts - je pense notamment à un couple de réfugiés, hébergé à l'hôpital avec ses deux enfants, à défaut d'une autre solution, que nos rapporteures ont rencontré à la maternité Delafontaine, mais aussi au foyer de La Mie de Pain, où des femmes, sans titre de séjour, mais pas sans travail, sont hébergées à défaut de pouvoir accéder à un logement...
Parmi les 203 000 places d'hébergement d'urgence disponibles aujourd'hui en France, environ 110 000 places sont ouvertes au titre du dispositif national d'accueil (DNA) des demandeurs d'asile. Combien de ces places sont occupées par des femmes isolées ou en famille ? Quels sont le profil et l'origine géographique de ces femmes ?
Quels moyens sont mis en oeuvre pour les accompagner, pour traiter les problématiques spécifiques des violences dont elles ont quasiment toutes été victimes, que ce soit dans leur pays d'origine, au cours de leur parcours migratoire ou à leur arrivée en France, pour leur offrir le suivi médical physique et psychologique dont elles ont besoin, et pour contrer les risques de traite des êtres humains et d'exploitation sexuelle et prostitutionnelle auxquels elles sont largement exposées ?
Nous avons organisé la semaine dernière une audition particulièrement marquante avec l'association Au coeur de nos enfants, qui lutte contre l'excision : quel accompagnement est apporté aux femmes qui ont été victimes de cette pratique barbare et aux familles qui craignent pour leurs filles en cas de renvoi dans leur pays d'origine ?
Plus globalement, nous sommes intéressés par les préconisations que vous pourriez formuler afin de gérer l'embolie actuelle de l'hébergement d'urgence et de mieux prendre en charge les femmes et les enfants issus de l'immigration qui se retrouvent sans domicile dans notre pays.
Je vous laisse la parole pour un propos liminaire, puis mes collègues vous poseront à leur tour des questions.
M. Didier Leschi, directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii). - Je vous remercie d'accueillir l'Ofii aujourd'hui.
Je précise que les 110 000 places du dispositif national d'accueil s'ajoutent aux 203 000 places d'hébergement d'urgence. Nous disposons donc de plus de 300 000 places pour l'hébergement des personnes sans domicile, au sens juridique du terme. Il existe en effet une différence entre la notion juridique de « sans domicile » et l'absence formelle d'hébergement. On fait souvent la confusion entre ces deux notions. Les personnes sans domicile ne sont pas forcément sans hébergement.
Quelque 2,3 milliards d'euros ont été consacrés en 2023 au dispositif d'hébergement d'urgence, et 1 milliard d'euros au dispositif d'accueil.
L'Ofii prend en charge deux types de publics : les demandeurs d'asile, qui sont juridiquement sans domicile, et qui peuvent être orientés vers un hébergement, mais aussi les personnes arrivées par les voies légales d'immigration que sont le regroupement familial et l'immigration de travail.
Dans le cadre d'une demande d'asile, nous avons pour mission de détecter les vulnérabilités « objectives » - c'est ainsi que le législateur l'a écrit -, qui ne sont pas toutes liées au genre ; les difficultés liées à la mobilité peuvent par exemple constituer un facteur de vulnérabilité. Nous formons donc nos agents au guichet à la détection de ces vulnérabilités, nous avons aussi mis en place un réseau de référents vulnérabilité, en lien avec notre secteur médical, et nos auditeurs asile. Nous organisons régulièrement des sessions de formation avec le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), le Comité contre l'esclavage moderne et des associations. Les vulnérabilités peuvent être multiples.
Nous sommes dépendants de ce que les personnes nous déclarent. Si une personne qui est homosexuelle ne nous l'indique pas, cette vulnérabilité potentielle peut nous échapper.
Certains centres d'hébergement sont spécialisés, notamment dans la prise en charge des femmes isolées victimes, auxquelles nous réservons 7 000 places. De telles places sont dans ce cas sorties du droit commun des orientations, ce que les gestionnaires des centres acceptent parfois difficilement, car cela implique que certaines places restent de ce fait sans occupation. Le taux d'occupation des 112 000 places gérées par l'Ofii s'établit toutefois à près de 98 %. À la date d'hier, plus de 41 000 femmes étaient hébergées, dont 20 % sont des femmes isolées.
Le repérage et la prise en charge des femmes victimes de la traite des êtres humains constituent l'une de nos priorités. Pour leur hébergement, nous avons mis en place des centres spécifiques, notamment en Île-de-France, en Auvergne-Rhône-Alpes, en Nouvelle-Aquitaine et en Provence-Alpes-Côte d'Azur. Un cahier des charges adapté à ces situations permet aux gestionnaires de ces centres de prendre en compte les aspects social et psychologique de l'accompagnement des personnes victimes de la traite des êtres humains, de les aider pour le dépôt de plainte et la préparation de leur entretien avec l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra).
La sécurité de certains centres est par ailleurs renforcée de manière à protéger les femmes de leur ex compagnon, de leur mari ou de leur souteneur. En dépit de tous nos efforts, une femme que nous hébergions a, hélas ! été récemment retrouvée et assassinée par son mari à qui elle avait, contre les consignes, donné l'adresse de son lieu d'hébergement.
Nous avons mis en place deux dispositifs renforcés en matière de prise en charge des vulnérabilités avec des associations spécialisées.
Ainsi, en 2019, nous avons conventionné avec l'association Le Refuge à Angers, un centre spécialisé pour les jeunes majeurs LGBTQIA+. Il s'agissait de répondre à la préoccupation de jeunes majeurs qui ne pouvaient pas être hébergés dans des centres généralistes.
Nous menons par ailleurs, en collaboration avec un réseau associatif et la municipalité de Marseille, une action spécifique dans cette région visant à améliorer la détection des victimes de la traite et à inciter des femmes, au cours de leur parcours d'asile, à accepter des hébergements leur permettant de sortir, en particulier, des griffes « communautaires ».
Je m'efforce de diffuser de telles pratiques, en collaboration avec les collectivités locales, notamment à Nantes, Montpellier, Bordeaux ou Toulouse, de manière à améliorer l'articulation entre les différents dispositifs qui existent, car si l'Ofii est la première porte d'entrée des migrants, il n'est pas omniscient.
Nous travaillons avec les autorités italiennes pour identifier les parcours des personnes vulnérables, grâce à un agent de l'Ofii basé à Rome. Ainsi, nous savons que les publics, depuis Lampedusa, remontent très vite vers la France, il s'agit de repérer au plus tôt la typologie et les vulnérabilités éventuelles. Notre officier de liaison nous a permis d'établir un dialogue avec les réseaux d'associations en Italie, où la prise en charge des publics est très différente, dès lors qu'elle est régionalisée.
Il est essentiel de savoir ce qui se passe en Italie, non pas uniquement au travers de l'État, dont la volonté fait parfois défaut, mais au travers des associations sur place qui ont un rôle important dans le processus d'accueil et de suivi.
Pour l'ensemble des publics, nous avons réussi à obtenir de nos autorités de tutelle la mise en place d'un rendez-vous santé, que nous proposons depuis le 1er juin 2021. Pour l'heure, il n'est proposé que dans neuf régions et dix-sept directions territoriales de l'Ofii. Ce rendez-vous permet d'effectuer un bilan de santé en vue d'orienter les personnes concernées vers des rattrapages vaccinaux et les dispositifs de droit commun.
Depuis la crise du Covid, nous menons des discussions avec la Direction générale de la santé (DGS), car l'Ofii n'est pas agréé en tant que centre de vaccination généraliste. Nous avons pu administrer le vaccin contre le Covid uniquement parce que la ville de Marseille a bien voulu nous le fournir, contrairement à la DGS - cela nous semble absurde.
Du reste, il a été signalé dans divers rapports parlementaires qu'il est important de multiplier les examens médicaux des premiers arrivants. En l'espèce, le droit commun se révélerait insuffisant : l'Ofii aurait donc tout son rôle à jouer.
Les femmes représentent 40 % du public des rendez-vous santé, ce qui n'est pas anormal. En France, les demandeurs d'asile sont majoritairement de sexe masculin. Ainsi, parmi les personnes de nationalité afghane, qui constituent le nombre le plus important des demandeurs d'asile, près de 80 % sont des hommes dont la moyenne d'âge ne dépasse pas 30 ans.
Enfin, nous avons mené un travail avec la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof). Nous avons participé à l'élaboration de plans mis en place régulièrement par l'État, en lien avec les instances européennes. À cet égard, au moment de l'arrivée de femmes ukrainiennes en France, nous avons d'emblée mis en place des dispositifs d'accueil spécifiques afin qu'elles ne tombent pas entre les mains de certains réseaux, du fait de leur vulnérabilité.
L'un des problèmes particulièrement aigus du dispositif national d'accueil réside dans le fait que 12 % du parc est occupé par des personnes ayant déjà le statut de réfugié ou de protection subsidiaire. Comme ces dernières sont dépourvues d'autonomie sociale, elles continuent d'être prises en charge dans le cadre du dispositif national d'accueil. Or celui-ci a pour vocation de s'adresser d'abord aux demandeurs d'asile. Ces personnes devraient être orientées vers un dispositif qui ne relève plus de la demande d'asile.
Les difficultés d'accès au logement et à l'emploi font partie des éléments qui embolisent notre dispositif. Cela explique sans doute qu'une partie des personnes ayant relevé de l'asile soient prises en charge dans le cadre de l'hébergement d'urgence.
Le DNA est très différent de l'hébergement d'urgence, lequel se caractérise par le principe d'anonymat. Aujourd'hui, 60 % des personnes hébergées seraient, dit-on, en situation irrégulière : nous ignorons donc qui elles sont, quel est leur parcours et depuis combien de temps elles sont présentes sur le territoire.
Pour les 40 % de personnes en situation régulière, la fin de l'anonymat permettrait de disposer d'une meilleure photographie sociologique.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Je souhaite revenir sur le cas d'une personne logée en hébergement d'urgence qui, travaillant en France depuis plusieurs années, n'était pas parvenue à obtenir ses papiers. Elle aurait pu être déclarée, puisqu'elle percevait un salaire, et disposer d'un logement. Cela aurait permis de désengorger les centres d'hébergement d'urgence.
Par ailleurs, la procédure au titre de laquelle les services préfectoraux attribuent les places est extrêmement longue et semble même parfois bloquée. Je précise que, dans certains départements, les femmes en parcours de sortie de la prostitution se voient refuser leurs dossiers.
Quels retours avez-vous sur ce sujet ?
M. Didier Leschi. - Ayant servi pendant quatre ans dans les services préfectoraux de Seine-Saint-Denis, je peux certifier que la pression de la demande est extrêmement forte, notamment en matière de regroupement familial. Or les moyens d'y faire face ne sont pas suffisants.
Par le passé, les préfectures de l'ensemble du territoire comptaient plus d'agents que la mairie de Paris ; aujourd'hui, c'est l'inverse ! C'est vous, les parlementaires, qui maîtrisez la dépense publique, le problème que vous soulevez dépasse mes fonctions. Une chose est sûre, nous faisons face aujourd'hui à une pénurie de logements sociaux. Selon l'enquête Trajectoires et origines de l'Insee, les efforts de l'État et de certaines collectivités locales ont eu pour effet d'accroître le nombre de personnes issues de l'immigration dans le logement social, en particulier les réfugiés.
Les services de l'État ont eu pour consigne ces dernières années de réserver 14 000 logements des contingents préfectoraux aux réfugiés pour les sortir du DNA. À cet effet, une circulaire annuelle est signée conjointement par le ministre de l'intérieur et le ministre du logement.
D'une certaine manière, comme une grande partie de nos concitoyens, les réfugiés sont victimes de la difficulté d'accès aux logements sociaux.
La Dihal (Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement) a fait beaucoup pour développer la médiation locative, laquelle a permis d'orienter bon nombre de personnes vers des solutions de logement.
Notez que, depuis quelques jours, des personnes ont installé un campement à Paris et font valoir leur droit au logement opposable (Dalo). Elles ne sont donc plus demandeuses d'asile, mais en situation régulière.
Le travail avec les collectivités territoriales pourrait être renforcé. Les élus locaux, en partie compétents pour orienter les personnes vers le logement social, sont contraints d'effectuer des arbitrages entre différents publics qui semblent pourtant tous prioritaires. Certaines collectivités sont plus allantes que d'autres, et ce n'est pas forcément un problème politique. Je suis parfois très surpris par les refus auxquels je fais face.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Nous avons pris conscience au cours de nos déplacements du nombre important de personnes sans statut civique : elles sont en situation irrégulière, mais travaillent en France, en étant déclarées ou non, et ne sont souvent pas expulsables. Il se trouve qu'elles occupent un grand nombre de places d'hébergement d'urgence. Or elles devraient en sortir et être en situation régulière pour accéder au logement social.
Deux solutions se présentent : soit nous assouplissons les règles d'accès au logement social et nous n'exigeons plus des demandeurs qu'ils soient en situation régulière, soit nous les régularisons pour leur permettre d'accéder au logement social, sachant qu'elles resteront en France. Reste que la pénurie de logements complique les choses, surtout qu'elle ne risque pas de s'arranger.
Selon vous, quelle est la meilleure des solutions ? Pour ma part - et certains de mes collègues seront d'accord avec moi -, je suis favorable à une régularisation massive des personnes qui vivent en hébergement d'urgence, au minimum des femmes.
M. Didier Leschi. - Je partage vos propos, Madame la Sénatrice. L'année dernière, 30 000 personnes ont été régularisées sur l'ensemble du territoire national.
L'hébergement d'urgence est victime de son mode de fonctionnement. Il devrait permettre un meilleur accompagnement vers la régularisation, dans le cadre d'un dialogue impliquant le ministère de l'intérieur et les préfectures. La crédibilité du dispositif serait plus forte si le dialogue avec le ministère de l'intérieur et les gestionnaires des lieux d'hébergement était plus franc concernant les derniers arrivants qui n'ont pas vocation à rester sur le territoire et pourraient bénéficier des dispositifs de l'Ofii en matière d'aide au retour volontaire.
Le refus de différencier les publics bloque l'ensemble du système, l'idée contestable que toute personne en situation irrégulière devrait être régularisée aussi. En effet, il conviendrait en particulier de faire la part entre les personnes qui viennent de pays d'origine sûrs et les autres. Une partie des publics en demande d'asile, en situation irrégulière, en particulier lorsqu'il s'agit de familles, vient de pays d'Europe de l'Est. Il n'est pas certain qu'ils aient vocation à rester sur le territoire national si l'on prend comme référence les statistiques de protection de l'Ofpra. Une meilleure connaissance des publics est donc nécessaire pour une meilleure régulation de l'hébergement d'urgence articulé au dispositif national d'accueil.
Une politique de maîtrise des flux migratoires suppose d'accepter de contraindre un certain nombre de personnes à retourner dans leur pays d'origine dès lors qu'elles ne relèvent d'aucun titre de séjour, surtout si elles sont présentes en France depuis peu de temps. Cela permettrait de régulariser, au cas par cas, celles qui, au contraire, résident sur le territoire depuis plusieurs années.
Je pense que nous pourrions au moins discuter de la régularisation des parents d'enfants nés et scolarisés en France, car nous savons qu'il sera très difficile qu'ils retournent dans leur pays d'origine.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - L'État a délégué au mouvement associatif toute une partie de ses responsabilités.
M. Didier Leschi. - Je ne pense pas que l'État ait délégué ses prérogatives. Il verse des subventions non négligeables à des personnes qui sont soumises à un cahier des charges bien défini et qui doivent arguer de leurs compétences comme travailleurs sociaux.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Disons plutôt que l'État a sous-traité ses compétences en ce domaine, comme dans d'autres - je pense à la prise en charge des femmes victimes de violences - et qu'il accorde des subventions à cette fin.
Notre délégation se concentre sur les femmes. À cet égard, je me demande si les dispositifs d'aide au retour sont aussi pertinents pour les hommes que pour les femmes, notamment en raison des conditions de départ et de retour.
Pensez-vous que, d'un point de vue constitutionnel, il soit possible d'opérer un traitement différencié entre les hommes et les femmes en matière d'accueil et de régularisation ?
M. Didier Leschi. - Cela me semble compliqué.
Depuis quarante ans, la politique sociale de l'État a consisté à réduire le nombre de fonctionnaires, pour des raisons de souplesse, et à augmenter la part des opérateurs associatifs privés.
Certains agents de l'Ofii préfèrent travailler dans le secteur associatif, car les rémunérations y sont plus importantes. Cela pose des problèmes pour l'État - sur ce point, je vous renvoie aux rapports de la Cour des comptes - et participe même de son affaiblissement vis-à-vis du tissu associatif local.
Les départements, qui doivent assurer la prise en charge des mineurs isolés, sont contraints de faire appel au secteur associatif pour déterminer la qualité de mineur des individus qui se revendiquent comme tels.
L'aide au retour et à la réinsertion dépend beaucoup des zones et des femmes. En Afrique de l'Ouest, par exemple, les femmes sont beaucoup plus entreprenantes que les hommes.
Il est faux de dire que les dispositifs ne sont pas adaptés aux femmes. Il existe des exemples remarquables de réussites de femmes retournées dans leur pays d'origine. Ainsi, une aide à la réinsertion a été octroyée à une Camerounaise pour produire des jus de fruits bio. Aujourd'hui, elle vit aux États-Unis et continue de développer son entreprise, en créant même de l'emploi au Cameroun.
Par définition, l'aide au retour volontaire n'est pas une obligation. Elle est en train de se développer en Europe et la France n'est pas la plus mal placée en ce domaine. Le Pacte européen sur la migration et l'asile comporte un volet consacré à l'amplification de l'aide au retour volontaire, qu'il faut aussi penser comme une aide au codéveloppement et à la création d'emploi dans les pays de provenance, afin d'éviter aux femmes d'avoir à subir des parcours mortels.
En matière de régularisation, une intention plus forte devrait se matérialiser en faveur des publics concernés. Depuis plusieurs années, les préfectures ne disposent pas du nombre de fonctionnaires suffisant pour faire face aux demandes de régularisation qui leur sont soumises. En effet, elles sont à la fois chargées des opérations de régularisation, du regroupement familial et de l'introduction des travailleurs salariés, dans un contexte indéniable d'augmentation des flux. Certes, les titres de séjour pluriannuels permettent de diminuer les flux, mais la pression migratoire est nette.
Que sont les préfectures, en termes d'accueil du public, aux yeux des citoyens qui ne sont pas immigrés ? Hormis les élus, plus personne ne s'y rend, pas même pour obtenir un permis de conduire, un passeport ou une carte d'identité. En outre, les préfectures ont délégué une partie du contrôle de légalité aux Chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC).
Mme Olivia Richard, rapporteure. - Vous parlez d'aide au retour et à la réinsertion. En Afrique de l'Ouest, les femmes sont soumises à de plus grands dangers qu'ici. Avez-vous une idée du nombre de femmes qui ont pu bénéficier de ce dispositif ?
Par ailleurs, vous avez évoqué la question de l'engagement des collectivités, soulignant que certaines étaient moins allantes que d'autres en la matière. Pour quelles raisons ?
M. Didier Leschi. - L'aide au retour ne s'adresse qu'aux personnes sans titre de séjour n'ayant pas vocation à rester sur le territoire national, pas aux réfugiés, car l'administration en charge de l'octroi des titres ou l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) estiment qu'elles ne relèvent pas de l'asile.
Une personne réfugiée relève du droit commun du logement social. L'État ne gère qu'un faible contingent des demandes, contrairement aux collectivités territoriales et aux offices présidés par les élus locaux. Il conviendrait sans doute de mettre en place des dispositifs intermédiaires, mais ceux-ci seraient difficilement applicables à des personnes qui résident et travaillent en France depuis longtemps.
Le volume de places dans le cadre du DNA a doublé ces dernières années : on comptait 50 000 places en 2015, il en existe désormais 110 000. Cet effort bien réel n'est sans doute pas suffisant, mais on peut tout de même se réjouir d'une politique d'augmentation constante du parc depuis 2015.
En outre, on compte 40 000 places d'hébergement d'urgence supplémentaires depuis le covid. Selon les travaux comparatifs du sociologue Julien Damon, la France est le pays d'Europe qui investit le plus dans l'hébergement d'urgence. En effet, 40 % de la dépense européenne en ce domaine est réalisée en France, les autres pays européens déléguant souvent cette tâche aux initiatives privées - je pense aux églises en Italie, par exemple.
J'en viens aux collectivités locales. La politique de répartition de l'accueil a été accentuée ces dernières années. Aujourd'hui, les départements de moins de 500 000 habitants assurent 20 % de la mise en oeuvre du DNA. Cela a contribué à atténuer la pression qu'on observe sur la plaque parisienne. Ainsi, l'Ofii oriente plus de 2 000 personnes par mois vers l'ensemble des régions.
La plaque parisienne a ceci de particulier que sa capitale prend peu en charge les personnes réfugiées vers le parc social, la charge de l'accueil reposant beaucoup sur les départements périphériques qui connaissent des difficultés très importantes. Cela correspond aussi à l'évolution de la répartition générale de l'immigration en Île-de-France.
Dans les zones rurales, les parcours d'autonomie sont plus faciles, car il y a moins de tensions sur le logement et un besoin de main d'oeuvre important.
La politique de répartition est essentielle. Il est arrivé que des points de tension soient montés en épingle, mais, dans la plupart des cas, les choses se passent bien. Il vaut mieux orienter les personnes où il existe indéniablement des besoins d'emploi et des possibilités de logement.
La France n'a pas un dispositif comparable à celui de l'Allemagne ou de la Suède, qui répartissent sciemment les personnes ayant le statut de réfugié, dès lors qu'elles sont dépendantes de prestations sociales, dans des zones moins tendues.
Notez tout de même que ces pays sont confrontés à des flux beaucoup plus importants. La France a une politique de répartition libérale, car les flux migratoires restent modérés, mais celle-ci deviendrait bien plus directive si nous devions gérer soudainement l'arrivée de 800 000 personnes, dont la moitié aurait un besoin réel de protection.
Mme Olivia Richard, rapporteure. - Les femmes sans abri originaires de pays où leurs droits ne sont pas respectés ont davantage vocation à rester en France dès lors que leurs enfants y sont nés et scolarisés.
Une femme m'a fait part de l'impossibilité pour elle d'obtenir le renouvellement de son titre de séjour, ce qui l'oblige à rester à la rue. Ce n'est pas parce qu'on obtient un papier qu'on est en sécurité. Il est donc impératif de pouvoir bénéficier d'une mise à l'abri pérenne, surtout lorsqu'on a des enfants à la rue. Une réflexion sur la mise en place de titres pluriannuels est nécessaire.
M. Didier Leschi. - Je ne peux m'élever au-dessus de ma condition. Je suis directeur d'un établissement public qui est autonome d'un point de vue juridique. Il s'agit là d'un problème d'ordre préfectoral, qui relève du ministre de l'intérieur.
Je m'occupe de publics en situation irrégulière uniquement du point de vue de l'apprentissage de la langue et de la présentation des dispositifs de droit commun.
Les dispositifs de droit commun sont en difficulté pour l'ensemble des citoyens, mais aussi pour les nouveaux arrivants. Les politiques peuvent être améliorées, mais cela suppose, par endroits, une meilleure collaboration entre les collectivités locales et l'État, voire entre les services de l'État eux-mêmes.
Le fait que l'Ofii soit placé sous la tutelle du ministère de l'intérieur indispose à tort certaines associations et même des cadres du ministère de la santé. A tort. Les médecins de l'Ofii pourraient tout à fait être habilités à effectuer un rattrapage vaccinal pour des personnes qui attendraient des années avant de voir un médecin dans le droit commun, elles seraient ainsi prises en charge dès le début de leur parcours en France.
Mme Laure Darcos. - Quelle est l'articulation de l'Office avec les services de l'aide sociale à l'enfance (ASE) ? C'est un point central et très culpabilisateur pour les départements, car nous n'avons pas toujours la possibilité d'améliorer la situation de ces personnes avant leur majorité. Dans l'Essonne, la prostitution de très jeunes mineures est importante. Ces jeunes filles seront des proies à 18 ans lorsqu'elles seront remises à la rue, même si le département essaie de trouver des solutions lorsqu'elles ont entre 18 et 21 ans. J'imagine que vous êtes en relation avec les départements. Existe-t-il des passerelles ou les silos sont-ils au contraire très séparés, ce qui rend plus difficile l'accès à vos services ?
M. Didier Leschi. - L'Ofii n'est pas compétent pour les mineurs non accompagnés.
Mme Laure Darcos. - Et à leur majorité ?
M. Didier Leschi. - Pour un mineur qui a été pris en charge par l'ASE entre 16 et 18 ans, la question est de savoir s'il dépose ou non une demande d'asile une fois majeur. Si tel est le cas, nous nous en occupons. À Paris, 10 000 personnes se présentent chaque année en arguant de leur minorité. L'association chargée d'évaluer la minorité n'en reconnaît en moyenne que 3 000. Pour les 7 000 restants, la politique des associations est de les inciter à faire un recours devant le juge des enfants. Durant cette période, nous ne pouvons pas les considérer comme majeurs et les prendre en charge. Une jurisprudence contraire apparaît, mais si nous les orientions vers un centre de majeurs, je serais personnellement et juridiquement responsable en cas d'incident. Je ne peux donc pas céder sur cette question, qui fait d'ailleurs l'objet d'une discussion intense en Île-de-France. Comment demander à un établissement public de remédier à la lenteur du juge des enfants ?
Mme Dominique Vérien, présidente. - Imaginons que l'ASE s'occupe d'un mineur non accompagné sans avoir de doute sur son âge. Celui-ci entre en apprentissage avec succès, mais à 18 ans, on lui dit que c'est terminé et qu'il doit repartir.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Une circulaire du 25 janvier 2016 permet déjà aux préfets de régulariser la situation, mais ils sont pris entre deux injonctions contradictoires : appliquer cette circulaire et réduire les régularisations. Les préfets choisissent généralement de satisfaire le ministère de l'intérieur...
Mme Dominique Vérien, présidente. - Cela dépend des préfets, mais certains refusent effectivement la régularisation, y compris en cas de sortie de la prostitution.
M. Didier Leschi. - Dès lors que les jeunes sont en apprentissage dans des métiers en tension, la régularisation devrait presque être automatique. Mais je ne voudrais pas critiquer mes collègues qui sont confrontés à des contraintes diverses.
M. Gilbert Favreau. - Dans le département des Deux-Sèvres, qui compte moins de 500 000 habitants, j'ai eu à gérer le problème des mineurs non accompagnés. Les réseaux qui amènent ces enfants sur le territoire français sont très bien organisés : si un département est très sévère, ils s'orientent vers d'autres. À une époque, il était assez facile d'accueillir ces mineurs, mais nous avons été débordés par les demandes. Là, nous sommes confrontés à la procédure d'évaluation de l'âge et aux difficultés de gestion d'un afflux de cette importance.
Les contentieux existent toujours et leur durée pose problème. Quand le juge de première instance considère que l'enfant était majeur, ce qui est vrai dans 75 % des cas, un appel est constitué, qui confirme généralement la majorité. Actuellement, les collectivités se heurtent d'abord à des difficultés d'ordre budgétaire, car l'accompagnement financier de ces jeunes n'est assuré que très partiellement.
La sortie brutale de la minorité a été évoquée. Mais aujourd'hui, des contrats de jeunes majeurs permettent d'accueillir ces jeunes au moins jusqu'à l'âge de 21 ans. Cette pratique pose un véritable problème, d'autant que l'Office a tendance à diriger les familles vers les départements de moins de 500 000 habitants.
M. Didier Leschi. - Vous avez raison, le cas des mineurs étrangers isolés est un problème auquel sont confrontés tous les pays de l'Union européenne, en particulier la France du fait de ses dispositifs de bonne qualité. De plus, certains pays ont considérablement durci leur législation en la matière, notamment la Suède, ce qui met sous pression les départements qui voient augmenter le nombre des arrivées - nous avons le même problème dans le secteur médical. Je vous renvoie à l'excellent rapport de l'Ofii en la matière.
Il est important que, dans chaque département, le fichier de référence des mineurs étrangers isolés soit utilisé, pour ne pas avoir à refaire systématiquement une évaluation alors qu'elle a déjà eu lieu. Des discussions ont lieu au niveau de l'État sur l'harmonisation des critères d'évaluation afin d'éviter les disparités entre départements, lesquelles ont pour effet de rendre certains d'entre eux immédiatement plus attrayants pour une prise en charge par l'ASE.
Le contrat jeune majeur est un mode de poursuite de la prise en charge qui semble plutôt pertinent. Toute la difficulté réside dans l'orientation des jeunes qui relèvent d'un titre de séjour vers une formation qui réponde aux besoins du marché de l'emploi. À cet égard, nous n'arrivons pas à mettre en oeuvre pour des personnes ayant des compétences en matière agricole des parcours d'insertion suffisamment pertinents ou stables. Parallèlement, nous continuons d'employer massivement des saisonniers pour faire face aux besoins. Faire venir par avion des travailleurs, alors que nous avons les compétences ici, n'est pas très respectueux de l'environnement... Il faut une meilleure articulation entre les régions, responsables de la formation professionnelle, et les branches professionnelles elles-mêmes.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Elles n'ont pas recours aux saisonniers toute l'année.
M. Didier Leschi. - Nous avons ouvert des foyers d'hébergement pour demandeurs d'asile dans des zones rurales qui n'ont pas toujours le tissu associatif en mesure d'accompagner ces personnes. C'est un problème auquel nous sommes attentifs. Nous pourrions améliorer l'accès au travail des demandeurs d'asile, car les besoins en termes d'emplois existent. Cela faciliterait le parcours d'insertion de ceux qui relèvent de l'asile.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Cela nécessite parfois une plus grande professionnalisation de ceux qui tiennent les foyers, y compris lorsqu'il s'agit de la Croix-Rouge.
M. Didier Leschi. - L'accompagnement social est un métier. Il faudrait mettre en place un cercle beaucoup plus vertueux dans les territoires concernés. Il s'agit aussi dans le même temps d'être extrêmement rigoureux à l'égard de ceux qui ne relèvent pas d'un titre de séjour.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Monsieur le Directeur général, je vous remercie de votre participation.
M. Didier Leschi. - J'espère avoir répondu à vos interrogations.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Nos rapporteurs remettront leur rapport le 8 octobre prochain. Nous verrons alors comment il sera accueilli et perçu, mais pour l'heure, nous sommes ici dans un espace de liberté. Profitons-en !