Jeudi 30 mai 2024
- Présidence de M. Stéphane Piednoir, sénateur, président -
La réunion est ouverte à 9 h 00.
Examen du rapport sur la décarbonation du secteur aéronautique
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - L'ordre du jour de la réunion de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) de ce matin comporte l'examen de deux rapports. Le premier est relatif à la décarbonation du secteur aéronautique. Nos collègues Jean-François Portarrieu et Pierre Médevielle se sont fortement investis dans l'élaboration de ce rapport, à travers de nombreuses auditions et des déplacements. Je les remercie pour leur implication.
Le sujet de la décarbonation du secteur aéronautique a de nombreuses dimensions, technologiques, industrielles, économiques, environnementales et de R&D. Les rapporteurs vont nous en présenter les grandes lignes, ainsi que leurs conclusions et leurs recommandations.
M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l'Office. - Les réponses à l'enjeu de la décarbonation du secteur aéronautique sont très attendues, par les acteurs directement concernés - industriels, notamment -, comme par nos concitoyens usagers de l'aérien. Nous attendons votre éclairage sur la trajectoire, les enjeux, mais aussi la faisabilité des perspectives envisagées, au regard des connaissances scientifiques et technologiques actuelles.
M. Pierre Médevielle, sénateur, rapporteur. - La belle aventure aérienne commencée à la fin du 19e siècle continue ; elle a de beaux jours devant elle. Le réchauffement climatique génère néanmoins des questions sociétales. Nous assistons à des campagnes de bashing contre certains transports aériens.
Nous essaierons d'être précis et concis pour vous présenter nos premiers constats sur les avancées technologiques et le développement industriel et opérationnel permettant la décarbonation du secteur aéronautique, avant de vous faire part de nos principales recommandations.
La consommation de kérosène par passager et par kilomètre s'est réduite de 80 % depuis les années 1970. Des efforts sont donc déjà engagés en matière de décarbonation. Des appareils tels que l'A321neo représentent une nouvelle génération d'avions.
Le transport aérien de passagers et de marchandises est indispensable aux échanges mondiaux et régionaux, mais aussi à notre développement économique et à la cohésion territoriale. Ce constat vaut pour la plupart des pays, notamment les plus étendus et les plus peuplés. Nous rentrons des États-Unis où le réseau ferroviaire est pratiquement inexistant ; les gens y prennent l'avion comme nous prenons le bus. Le trafic aérien continuera donc de croître, dans des proportions difficilement imaginables, notamment en Asie et au Moyen-Orient.
Du fait de la concurrence économique, le secteur aérien a toujours cherché à réduire sa consommation de carburant fossile, et donc ses émissions de CO2. Toutefois, cette baisse a été plus que compensée par la croissance du trafic. À ce jour, le secteur aérien est directement responsable de 2 à 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, soit l'équivalent des émissions d'un pays comme l'Allemagne. Avec la croissance du trafic et la décarbonation d'autres secteurs, cette part risque d'augmenter fortement si rien n'est fait. Tous les acteurs du secteur ont parfaitement conscience de cet enjeu et sont pleinement mobilisés dans ce projet de décarbonation.
M. Jean-François Portarrieu, député, rapporteur. - Une première solution de décarbonation consiste à électrifier le transport aérien, sur le modèle du transport terrestre. Cette électrification se heurte cependant à une difficulté majeure : en masse, la densité énergétique des batteries électriques est 48 fois plus faible que celle du kérosène. Cette densité augmentera à moyen terme, mais restera limitée. À cette échéance, l'avion 100 % électrique se cantonnera donc très vraisemblablement au transport de quelques passagers sur de courtes distances.
Les premiers avions électriques seront des biplaces destinés à la formation des pilotes et à la voltige, à l'image du modèle intégral que développe Aura Aéro à Toulouse.
Les taxis volants constituent un autre exemple d'application. Nous devrions en voir voler à l'occasion des Jeux olympiques. Toutefois, ces appareils devraient surtout remplacer le transport terrestre et ne contribueront donc pas significativement à la décarbonation de l'aéronautique.
Pour s'affranchir de cette limite, une solution consiste à associer propulsions électrique et thermique. Cette hybridation permet de combiner avantageusement les deux modes, par exemple en décollant et en atterrissant en mode électrique et en limitant l'usage de la motorisation thermique au vol en régime de croisière, lorsque l'avion consomme moins.
Les avions hybrides en cours de développement pourront transporter quelques dizaines de passagers sur plusieurs centaines de kilomètres, à un coût par passager probablement nettement inférieur à celui des avions actuels. Il s'agit d'une piste pour développer le transport aérien régional.
M. Pierre Médevielle, sénateur, rapporteur. - Qu'en est-il de l'hydrogène dans l'aviation ? Selon des représentants d'Airbus, les contraintes techniques pour les gros porteurs sont actuellement insurmontables.
En masse, et contrairement aux batteries, la densité énergétique de l'hydrogène est trois fois supérieure à celle du kérosène. Malheureusement, en volume, sa densité énergétique est trois mille fois inférieure. Aussi, l'hydrogène devrait être utilisé sous forme gazeuse, compressé à très haute pression (700 bars) ou sous forme liquide, refroidi à très basse température (en dessous de - 250°C). Quelle que soit sa forme, son stockage nécessite des réservoirs lourds et encombrants.
Compte tenu des contraintes de volume et de poids des réservoirs, les avions à hydrogène pourront difficilement franchir des distances supérieures à 2 000 kilomètres.
L'hydrogène peut être utilisé de deux manières. Il peut d'abord alimenter une pile à combustible générant de l'électricité pour entraîner un moteur électrique ; il n'émet alors que de l'eau. Dans un avion électrique de ce type, les batteries sont remplacées par de l'hydrogène. La capacité d'emport et le rayon d'action s'en trouvent accrus. Ensuite, au prix d'adaptations techniques, l'hydrogène peut être brûlé dans un turboréacteur en remplacement du kérosène. Il émet alors de la vapeur d'eau et, sous certaines conditions, des oxydes d'azote.
La conception d'un avion à propulsion hydrogène pose diverses difficultés techniques. Il impose tout d'abord d'intégrer des réservoirs lourds et encombrants dans l'appareil et de confiner de manière sécurisée une petite molécule très fuyarde. L'enjeu est aussi dans la distribution au sein de l'avion. Enfin, l'exploitation d'une telle flotte nécessiterait que l'hydrogène puisse être distribué dans de grands aéroports, mais aussi dans ceux vers lesquels des avions sont susceptibles d'être déroutés.
A priori, aucun de ces obstacles n'est insurmontable. Mais les résoudre demandera du temps, tout comme la certification des avions à hydrogène.
Plusieurs start-up françaises et étrangères sont engagées dans cette voie. Un prototype vole déjà. Airbus a présenté en 2021 son initiative « Zéro émission », qui prévoit l'étude de trois modèles d'avion à hydrogène.
L'hydrogène se révèle ainsi être une option techniquement complexe mais qui ne doit pas être écartée - surtout pour les avions de petite ou moyenne capacité. Une start-up canadienne a développé un avion à turbo-propulsion de type ATR dans lequel, pour positionner les réservoirs à hydrogène, elle a supprimé dix rangées de sièges. L'enjeu est de vérifier les contraintes en termes de sécurité.
M. Jean-François Portarrieu, député, rapporteur. - En résumé, les technologies électriques hybrides et à base d'hydrogène sont prometteuses pour décarboner une partie de l'aviation, mais pas les vols long-courriers, qui génèrent plus des deux tiers des émissions de CO2 dans le monde. Pour décarboner ces liaisons, plusieurs solutions sont identifiées.
La consommation des gros porteurs pourrait être réduite d'environ un tiers en améliorant leur efficacité (en réduisant leur masse, en perfectionnant leur aérodynamisme, en optimisant le rendement thermique et propulsif des moteurs) et en améliorant les opérations en vol et au sol (optimisation des trajectoires, développement du vol en formation, électrification des fonctions utilisées au sol).
La principale mesure consiste à remplacer le kérosène d'origine fossile par des carburants d'aviation durables (CAD ou SAF, pour « Sustainable Aviation Fuels »). Il en existe deux grandes catégories : les biocarburants et les carburants de synthèse. Les premiers sont essentiellement d'origine végétale tandis que les seconds sont fabriqués à partir d'hydrogène produit par électrolyse et de carbone capturé dans l'air ou en sortie d'installation industrielle.
Fin 2023, l'Union européenne a adopté des mandats d'incorporation de ces CAD. Un premier objectif vise l'incorporation de 6 % de CAD dans le kérosène à horizon 2030 pour tous les vols au départ de l'Europe, puis 20 % en 2035 et 70 % en 2050.
Les ressources françaises en matières premières de biocarburants devraient couvrir l'essentiel des besoins de l'aviation française jusqu'en 2030-2035. Le complément indispensable sera fourni par les électro-carburants.
La France dispose de deux atouts. D'une part, elle est l'un des rares pays d'Europe à disposer d'une électricité suffisamment décarbonée pour produire utilement des électro-carburants. Sur leur cycle de vie, les électro-carburants français seront dix fois moins émetteurs de gaz à effet de serre que le kérosène. D'autre part, plusieurs entreprises françaises sont en pointe dans le domaine des électrolyseurs, indispensables à la production d'hydrogène décarboné.
En revanche, la France reste significativement en retrait sur les technologies de capture de carbone en comparaison des États-Unis ou de l'Allemagne.
M. Pierre Médevielle, sénateur, rapporteur. - J'en viens à nos recommandations.
Nous préconisons tout d'abord de reconnaître l'importance du secteur aéronautique pour le développement économique et industriel du pays.
Il convient également de bâtir une filière de carburants d'aviation de synthèse associant l'ensemble des acteurs concernés, depuis la recherche jusqu'à l'utilisation, en passant par la production.
Pour rattraper notre retard, il est important d'intensifier la R&D et l'innovation sur la capture de CO2, tout en maintenant les efforts sur les technologies d'électrolyse.
Il est essentiel de confirmer rapidement le développement des nouveaux moyens de génération d'électricité décarbonée, impératifs pour produire des CAD en grands volumes d'ici 2040.
Enfin, il apparaît indispensable d'exonérer les installations industrielles de production de CAD, et tous les projets contribuant à la décarbonation, des obligations du zéro artificialisation nette (ZAN).
M. Jean-François Portarrieu, député, rapporteur. - En matière de recherche et d'innovation, nous préconisons de renforcer la coopération entre les acteurs de l'innovation dans le secteur aéronautique sur les sujets de décarbonation, en s'appuyant sur les filières de formation et de recherche françaises. Lors de la visite des laboratoires du MIT, à Boston, nous avons été surpris de constater la porosité entre le monde industriel et le monde de la recherche.
Par ailleurs, si les financements publics sont jugés globalement satisfaisants, les financements privés restent sous-dotés. Il n'existe pas de fonds privé dédié à l'aéronautique, par exemple.
Nous estimons également indispensable de poursuivre le soutien à la recherche et à l'innovation dans le domaine des technologies d'électrification de l'aviation.
Il nous semble souhaitable d'initier des coopérations entre les concepteurs d'avions électriques civils et le secteur de la défense pour explorer les applications militaires de ces technologies. Cette pratique est courante aux États-Unis.
Enfin, nous préconisons de développer la recherche sur les effets « non-CO2 » de l'aviation sur le réchauffement climatique. L'importance de ces effets reste difficile à évaluer. Il nous apparaît opportun par exemple d'approfondir les travaux sur les traînées de condensation pour mieux comprendre le phénomène et en atténuer les effets.
Vous l'aurez compris : il n'existe pas de solution universelle à la décarbonation de l'aviation. À ce stade, aucune solution ne doit être écartée.
M. Pierre Médevielle, sénateur, rapporteur. - S'agissant des infrastructures, j'insiste sur deux de nos quatre préconisations.
Nous estimons que le contrôle aérien doit s'adapter aux impératifs de décarbonation pour éviter les congestions, réduire les temps d'attente en vol et optimiser les trajectoires, tout en intégrant les données météorologiques en temps réel.
Nous pensons également utile d'anticiper le développement de l'aviation régionale décarbonée en prévoyant l'adaptation des aéroports des villes de taille moyenne à l'essor d'une aviation régionale basée sur les nouvelles technologies électriques ou hydrides, sans oublier les aéroports plus petits.
La décarbonation représente un tournant majeur pour l'aéronautique. Nous sommes convaincus que la France peut en profiter pour renforcer sa position dans le secteur, sous réserve de prendre les mesures nécessaires pour accélérer l'innovation, soutenir les investissements et adapter les infrastructures.
Nous vous remercions de votre attention.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Merci pour la présentation de ce rapport sur lequel j'ouvre à présent le débat.
M. Philippe Bolo, député. - Vos recommandations limiteront le CO2 émis par les appareils en vol, mais nécessiteront de construire des infrastructures nouvelles et des avions nouveaux qui généreront des émissions de CO2 nouvelles. La balance globale est-elle positive ?
M. Pierre Médevielle, sénateur, rapporteur. - L'hybridation et l'électrification permettront de développer les transports régionaux avec un bilan positif.
Pour les gros porteurs, un important travail a été conduit pour incorporer les carburants durables. Les SAF coûtent toutefois plus cher que le kérosène. Cette hausse des coûts se répercutera sur le prix des billets.
In fine, les émissions par avion se réduisent mais, compte tenu de l'augmentation du trafic aérien, le bilan global ne pourra pas être positif.
M. Jean-François Portarrieu, député, rapporteur. - La décarbonation de l'aéronautique ne passe pas uniquement par l'avion en vol. Nous nous sommes intéressés aux efforts déployés par le groupe ADP pour décarboner le secteur de l'aéronautique au sol. Nous avons aussi regardé le cycle de vie d'un avion. Airbus s'emploie à verdir sa production. Entre deux programmes de l'A320, les émissions de CO2 ont été réduites de 25 à 30 % sur la totalité du cycle.
À l'échelle mondiale, environ 23 000 avions sont équipés de turboréacteurs, dont 6 500 seulement sont postérieurs à 2017. Les appareils en vol sont donc majoritairement des appareils d'ancienne génération. Les flottes se renouvellent mécaniquement ; les compagnies n'ont pas d'autre choix. Ces changements sont vertueux puisque les avions nouveaux sont beaucoup plus sobres.
M. Daniel Salmon, sénateur. - Nous comprenons bien qu'il n'existe pas de solution miracle. La sagesse doit nous conduire à interroger la croissance du trafic aérien. Après une stabilisation pendant le covid, celui-ci reprend fortement. Les gains réalisés sur les émissions de gaz à effet de serre seront balayés par cette croissance. Selon l'association négaWatt, l'atteinte de la neutralité carbone implique de revenir au trafic aérien des années 1990, ce qui n'est pas la tendance actuelle.
Selon certains, les traînées de condensation multiplient quasiment par trois l'impact du secteur sur le réchauffement climatique. Cette estimation peut être exagérée. Nous avons besoin d'études poussées sur le sujet.
En France, deux millions d'hectares sont déjà consacrés aux biocarburants. À terme, nous devrons choisir entre nous nourrir ou produire davantage de biocarburants pour l'aviation qui, pour une grande part, est une aviation de loisirs. Même si le secteur est nécessaire à l'économie, nous devons nous interroger sur ces faits.
Le tourisme de masse pose de sérieux problèmes. Nombre de villes dans le monde sont saturées. Ce développement ne peut pas perdurer encore plusieurs décennies.
Grâce à la maintenance, la durée de vie des avions est plus longue. L'évolution de l'aviation ne produira donc des effets que dans de nombreuses années. L'unique solution est de limiter la croissance du trafic aérien, voire tendre vers une décroissance du secteur.
M. Pierre Médevielle, sénateur, rapporteur. - L'impact des traînées de condensation sur le changement climatique est difficile à évaluer. Ces traînées ne contiennent pas de CO2, mais des oxydes d'azote et de soufre. Nous avons évoqué le sujet avec Isae-Supaéro et avec le MIT. La portance ou encore l'augmentation de la voilure sont étudiées. Des catalyseurs positionnés à la sortie des réacteurs sont expérimentés. Un système d'open rotor est aussi à l'étude. Quoi qu'il en soit, ce phénomène n'est pas celui qui a le plus d'impact sur le réchauffement climatique.
La croissance du trafic aérien doit être regardée avec humilité. La France est dotée d'un très bon réseau de trains à grande vitesse. Aux États-Unis, l'avion fait partie intégrante des déplacements. La clientèle demandeuse de vols a augmenté en Inde, au Pakistan et dans toute l'Asie du Sud-Est. Cette demande amènera une croissance du trafic aérien. Dès lors que nous aurons du mal à enrayer ce phénomène, nous devons travailler à des solutions de décarbonation.
Selon Total et d'autres producteurs d'énergie, les solutions d'avenir devraient reposer sur la production de carburants à base d'hydrogène et sur la capture de CO2. Nous devons nous tourner vers cette filière.
La production de biocarburants s'accompagne d'un enjeu d'acceptation sociale. Nous avons interrogé les filières qui estiment que la production d'oléo-protéagineux ne couvrira pas les besoins. Nous devons donc nous orienter vers des SAF de synthèse.
Mme Corinne Narassiguin, sénatrice. - Votre recommandation relative à la réorganisation du contrôle du trafic aérien semble rapidement applicable puisqu'elle ne demande pas de grandes transformations technologiques. Savez-vous évaluer son impact sur les émissions de CO2 ? Cette mesure est-elle applicable à l'échelle nationale ou suppose-t-elle une coopération internationale ?
M. Jean-François Portarrieu, député, rapporteur. - La direction générale de l'aviation civile (DGAC) et la Federal Aviation Administration (FAA) américaine considèrent qu'en affinant le calcul des trajectoires, on pourrait réduire les émissions de CO2 d'environ 5 %. Outre le vol en formation, le calcul de l'altitude peut avoir un effet. Cela fait écho à la question des traînées de condensation, qui peuvent très probablement être réduites en modifiant l'altitude de l'avion. D'après les experts, l'intelligence artificielle pourrait permettre des améliorations rapides en la matière. Selon une étude, des variations de quelques dizaines de mètres de l'altitude peuvent influer sur la formation des traînées de condensation, qui sont fonction de l'humidité de l'air et du dégagement thermique de l'avion.
Je crois beaucoup au calcul des trajectoires. Il impliquerait de faire évoluer la conception du contrôle aérien. Une somme de petits efforts peut produire des effets conséquents.
Mme Florence Lassarade, sénatrice, vice-présidente de l'Office. - Vous êtes-vous interrogés sur les alternatives aux avions telles que les dirigeables ? Il existe en Gironde le programme de dirigeable géant « Flying Whales » qui vise le transport de fret dans certaines zones difficiles.
M. Jean-François Portarrieu, député, rapporteur. - Non, nous n'avons pas étudié ce sujet. La portance est certainement la force la moins étudiée, exception faite de réflexions sur l'élargissement des ailes. Le délestage et l'aérodynamique retiennent également peu l'attention des opérateurs. L'essentiel de l'innovation et de la recherche porte sur la propulsion.
M. Pierre Médevielle, sénateur, rapporteur. - Ce n'était pas l'objet du rapport, mais on peut s'interroger sur les émissions du transport maritime... Les dirigeables pourraient être envisagés pour le transport aérien de marchandises.
M. Jean-François Portarrieu, député, rapporteur. - Nous sommes convaincus que nous entrons dans un nouveau paradigme de l'aviation, qui comptera une grande diversité d'aéronefs, une gamme plus étendue d'avions et des modes de propulsion variés. Aujourd'hui, il n'existe pas d'alternative aux turboréacteurs et aux turbopropulseurs. Nous allons certainement vers la sortie d'un aspect très monolithique de l'aviation.
M. Pierre Médevielle, sénateur, rapporteur. - ATR était en difficulté jusqu'à développer des avions à turbopropulseurs consommant 40 % de moins qu'un jet de capacité équivalente. S'ils parviennent à faire voler ces avions avec de l'hydrogène, on pourra envisager un redéveloppement du transport aérien régional avec des appareils beaucoup plus vertueux.
M. Jean-François Portarrieu, député, rapporteur. - J'insiste sur un point : l'hydrogène est trois fois plus léger que le kérosène, mais quatre fois plus volumineux. Un long-courrier à hydrogène ne volera jamais.
M. Gérard Leseul, député, vice-président de l'Office. - Vous proposez l'exonération des exigences du ZAN pour les projets contribuant à la décarbonation. Comment pourrions-nous délimiter ce périmètre ?
Vous envisagez également une fiscalité incitative pour les carburants propres. Que suggérez-vous précisément ?
M. Pierre Médevielle, sénateur, rapporteur. - La plateforme de Toulouse-Blagnac a failli perdre la production de nouvelles chaînes d'Airbus A321 à cause du dispositif ZAN. Des surfaces étaient disponibles à proximité d'anciens bâtiments de production, mais la législation imposait de rendre la même surface dans un périmètre donné, ce qui était impossible. Légitimement, le site de Hambourg s'est proposé pour accueillir la chaîne de production. Nous sommes parvenus à exonérer ce projet des exigences du ZAN, compte tenu de son intérêt local, national et européen. Une problématique similaire se posera pour les projets de construction de plateformes de production d'hydrogène. Au regard de leur intérêt environnemental majeur - ils visent à décarboner l'aviation -, nous proposons de les exonérer du dispositif ZAN.
M. Jean-François Portarrieu, député, rapporteur. - Il nous paraît souhaitable d'encourager les acteurs vertueux qui cherchent à innover pour la décarbonation du secteur, tout comme il nous paraît souhaitable de contraindre ceux qui sont en retard sur ces enjeux.
La société Aura Aéro a été fondée en 2017 ou 2018 par trois anciens salariés d'Airbus, qui ont choisi de créer leur start-up faute de pouvoir convaincre leur direction de l'époque. La société compte déjà 350 salariés. Elle a mis au point un avion de voltige et de formation des pilotes 100 % électrique et travaille désormais sur un avion de transport régional de 19 places. Ces appareils devraient être certifiés dans les prochains jours et mis en production en 2025 ou 2026. Aura Aéro enregistre 800 millions d'euros de précommandes pour cet avion. Elle a toutefois besoin de 40 000 mètres carrés pour installer son usine, ce qui n'est pas possible avec la loi ZAN. Une solution pourrait néanmoins être trouvée dans une zone d'activité de Toulouse Métropole qui n'est pas concernée par cette réglementation. Nous voyons tout de même les difficultés que la législation peut poser.
Le secteur aéronautique contribue pour environ 30 milliards d'euros à notre balance commerciale extérieure. Il nous paraît donc opportun d'être un peu discriminant et d'encourager les opérateurs vertueux tout en contraignant ceux qui ne font pas d'effort.
Mme Martine Berthet, sénatrice. - Nous voyons bien le paradoxe entre l'augmentation du prix des billets du fait de l'incorporation des SAF et l'augmentation du nombre de billets vendus.
Grâce à l'électrification et à l'hydrogène, des mesures semblent envisageables rapidement pour l'aviation régionale. À quel horizon ces transformations pourraient-elles avoir lieu ?
M. Pierre Médevielle, sénateur, rapporteur. - L'électrification de l'aviation régionale est pour demain. Outre Aura Aéro, plusieurs start-up françaises, mais aussi allemandes, sont positionnées sur le sujet. Safran, Airbus ou Thalès suivent de près le développement de ces sociétés, autrefois marginalisées.
L'enjeu est aujourd'hui de produire des e-carburants moins coûteux. Les SAF les mieux-disants se vendent deux à trois fois plus cher que le kérosène. Je pense toutefois que les développements en la matière seront rapides.
Je crois à ces carburants de synthèse. L'enjeu est de produire suffisamment d'électricité verte pour l'hydrolyse et la captation du carbone.
M. Jean-François Portarrieu, député, rapporteur. - La quantité d'électricité décarbonée produite est un enjeu crucial. L'Académie de l'air et de l'espace anticipe que le besoin à horizon 2050 sera colossal et nécessitera un investissement d'environ 40 milliards d'euros par an. Le transport aérien représente 10 à 11 % de ces besoins en électricité, essentiellement pour les moyen- et long-courriers.
Selon moi, l'innovation viendra des petits avions. De petits avions électriques volent déjà. L'aviation régionale me semble promise à un bel avenir grâce à des appareils qui, rapidement, seront moins émetteurs de CO2. Comme pour les vaccins covid, l'innovation ne vient pas des grands acteurs, mais des start-up. L'aéronautique de demain est certainement en train de naître dans les laboratoires et les petites sociétés en France, en Allemagne, aux États-Unis et en Chine.
À compter de 2025, la flotte mondiale renouvellera 2 500 avions par an, dont 400 à 500 seront produits par Comac, l'équivalent chinois d'Airbus. Jusqu'à présent, ses appareils ne sont pas certifiés en dehors de l'Asie du Sud-Est. La situation ne devrait toutefois pas durer. Face à cette menace, il nous paraît indispensable d'encourager les efforts de recherche et d'innovation pour que de petits avions électriques ou hybrides, bien plus vertueux, puissent voler.
À Toulouse, la société Ascendance Flight Technologies a conçu un petit aéronef pouvant transporter jusqu'à six passagers sur 300 à 400 kilomètres. Il n'a besoin que de quatre mètres carrés pour décoller et atterrir à la verticale. Les responsables d'Airbus sont intéressés par ces technologies, mais aussi inquiets face à cette nouvelle concurrence.
Le secteur vit des bouleversements considérables.
M. Pierre Médevielle, sénateur, rapporteur. - Airbus, comme Boeing, est enfermé dans son modèle de carlingue. Imaginez le poids de la batterie d'un gros porteur électrique : l'avion aurait quasiment le même poids au décollage et à l'atterrissage, ce qui suppose de revoir l'ensemble de la structure, sa résistance et de certifier cet appareil nouveau.
Airbus avait créé un concept d'avion ZEROe dans lequel l'hydrogène était réparti dans l'ensemble de la carlingue. Leur approche a depuis évolué. Ils ont récemment présenté un modèle avec deux propulseurs à hélice. Je pense qu'Airbus parviendra à développer un moyen porteur à hydrogène.
M. Jean-François Portarrieu, député, rapporteur. - La priorité d'Airbus est de produire chaque année 800 à 1 000 avions de la gamme A320 pour répondre aux commandes. Il s'agit d'une priorité industrielle de court terme tout à fait légitime.
Nous devons encourager et accompagner les entreprises innovantes. Les acteurs du secteur considèrent que la puissance publique est au rendez-vous, mais les financements privés n'arrivent pas, car les risques sont encore importants. La famille Dassault est actionnaire d'Ascendance Flight Technologies. Pour autant, il n'existe pas de fonds souverain privé.
Nous retrouverons en 2024 le volume de voyageurs de 2019, soit 4,5 milliards de passagers. Selon les projections, le secteur atteindra 10 milliards de passagers en 2050. Les flux devraient rester stables en Europe et croître de 2 à 2,5 % par an en Amérique du Sud et de 3,5 à 4 % dans le Sud-Est asiatique.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Le transport aérien représente moins de 2 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales. L'ampleur du phénomène doit donc être relativisée. Depuis 1973, le trafic a augmenté de 1 236 % tandis que les émissions ont augmenté de 176 %. Des efforts importants ont donc été réalisés. La technologie, la recherche et le développement permettent des progrès notables.
Vous soulevez le sujet des liens entre le monde industriel et le monde de la recherche. Cette piste me paraît intéressante pour faire évoluer l'enseignement supérieur en France.
J'aurai l'occasion, avec Philippe Bolo, d'échanger prochainement avec le ministre compétent sur le dispositif ZAN. Je crains toutefois que la liste des exemptions finisse par être plus longue que la liste des interdictions, car le développement économique s'accompagne d'une consommation foncière.
Comment concevez-vous le vol en formation ?
M. Jean-François Portarrieu, député, rapporteur. - Le vol en formation est facile à modéliser, mais complexe à mettre en oeuvre. L'objectif est de mettre en formation plusieurs avions de provenances différentes mais ayant la même destination. Peu des personnes que nous avons rencontrées s'aventurent sur le sujet. Il semble que l'intelligence artificielle pourrait permettre des avancées rapides. L'un des freins réside dans la réglementation qui, en l'état, interdit la constitution de vols en formation. En la matière, je pense que nous avons tout intérêt à nous inspirer de la nature.
M. Pierre Médevielle, sénateur, rapporteur. - Le vol en formation peut être envisagée avec trois avions se suivant pour bénéficier des effets de l'aérodynamisme. Ce mécanisme est utilisé dans les courses cyclistes ou automobiles. Des enjeux législatifs et sécuritaires se posent néanmoins. En outre, le vol en formation suppose de revoir le contrôle aérien.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Votre rapport nous apprend que 80 % des trajets de plus de 900 kilomètres sont réalisés en avion. J'ai effectué un déplacement en Norvège en 2018. Compte tenu de la topographie du pays, le réseau ferré est quasiment inexistant. Les trajets intérieurs s'effectuent donc en avions électriques, sur de petites distances. Avec une capacité pouvant atteindre 2 000 kilomètres, les avions électriques pourraient couvrir tous les déplacements sur le territoire français.
L'Office adopte le rapport sur la décarbonation du secteur aéronautique et autorise sa publication.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Je rappelle que ce rapport fait suite à une saisine des commissions des affaires économiques et du développement durable de l'Assemblée nationale. Il est d'usage d'en effectuer une présentation devant lesdites commissions. Je vous laisse définir les modalités de cette intervention.
Examen du rapport définitif sur les effets secondaires des vaccins contre le covid et sur les dernières évolutions des connaissances scientifiques sur le covid
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Dès le début de la pandémie, l'Office s'est attentivement penché sur le virus du covid et sa propagation, sur la mise au point des tests, des vaccins, de la stratégie vaccinale ou encore sur les conséquences de la pandémie dans différents domaines.
Ces travaux ont donné lieu à plusieurs auditions et à la publication de rapports et notes scientifiques. Le dernier rapport sur le sujet date de juin 2022 et portait sur les effets indésirables des vaccins contre la covid-19. Il s'agissait de répondre à une saisine de la commission des affaires sociales du Sénat, provoquée par une pétition qui avait recueilli près de 100 000 signatures sur le site internet du Sénat.
Pour ceux qui ont rejoint l'Office après cette date, j'indique que l'élaboration du rapport s'était déroulée dans une ambiance délétère, marquée par la réception d'une avalanche d'emails et des menaces sur les réseaux sociaux, jusqu'à l'envoi d'un huissier pour que l'Office convoque de soi-disant spécialistes. Je peux attester que l'Office, conformément à ses habitudes, avait consulté très largement et entendu toutes les voix scientifiques, plus ou moins sérieuses.
À l'époque, nous avions décidé que le rapport serait un rapport d'étape pour laisser la possibilité aux rapporteurs d'effectuer un nouveau point sur les effets indésirables des vaccins à moyen terme. Les rapporteurs, Gérard Leseul, Sonia de La Provôté et Florence Lassarade, rejoints par Philippe Berta, ont décidé d'élargir le périmètre de ce nouveau rapport. Je leur donne la parole.
M. Gérard Leseul, député, vice-président de l'Office, rapporteur. - En février 2022, la commission des affaires sociales du Sénat avait saisi l'Office pour étudier les effets indésirables de la vaccination contre la covid-19 et le système français de pharmacovigilance. Avec mes collègues rapporteurs, nous avions alors établi un rapport d'étape dressant une première analyse sur la base des éléments scientifiques disponibles.
Le 26 octobre 2023, le bureau de l'Office nous a confié le soin d'établir un rapport conclusif au périmètre élargi, incluant notamment les éléments nouveaux ayant pu émerger sur la covid-19. Nous avons été rejoints par Philippe Berta et en avons profité pour effectuer un point plus large sur l'évolution des connaissances autour du covid long et nous intéresser aux nouveaux outils de surveillance épidémiologique et d'anticipation sanitaire et à la désinformation en santé.
Nous vous présentons aujourd'hui les principaux enseignements tirés de ces travaux. Je débuterai par l'évolution des connaissances sur les effets indésirables des vaccins contre la covid-19 et le système de pharmacovigilance français.
Les vaccins utilisés au début de la campagne vaccinale bénéficiaient d'une autorisation de mise sur le marché conditionnelle, depuis convertie en autorisation standard. De nouvelles versions de certains vaccins, adaptées aux souches circulantes, ont également été approuvées pour améliorer la protection face à l'évolution du virus. Enfin, de nouveaux vaccins développés par les laboratoires Valneva, Sanofi-GSK et Hipra ont été autorisés.
La période pandémique est aujourd'hui terminée, mais le virus continue de circuler et de faire de nouvelles victimes, rendant essentiel le maintien d'une certaine couverture vaccinale. La stratégie de vaccination est entrée dans un processus de normalisation. La primo-vaccination en population générale n'est plus recommandée ; seules les personnes âgées et à risque de formes graves sont invitées à se faire administrer une dose de rappel annuelle ou biannuelle. La Haute Autorité de santé (HAS) recommande l'utilisation d'un vaccin adapté aux dernières souches circulantes, de préférence à ARNm.
La campagne vaccinale s'est accompagnée de la collecte et de l'évaluation des déclarations d'événements indésirables. La surveillance est entrée dans un processus de normalisation et elle est aujourd'hui réalisée comme pour les autres médicaments. L'importance de la campagne de vaccination a permis de disposer d'un volume de données inédit et de faire des vaccins contre la covid-19 l'un des produits de santé les mieux surveillés.
Depuis l'adoption du rapport d'étape, les travaux menés par les organismes de pharmacovigilance et de pharmaco-épidémiologie ont entraîné des ajouts aux listes des effets indésirables, dont des saignements menstruels abondants temporaires, souvent sans gravité, pour les vaccins Comirnaty et Novavax et des myocardites et péricardites - déjà identifiées comme des effets indésirables des vaccins ARNm - pour les vaccins Nuvaxovid et Jcovden. Ces effets impactent toutefois peu la balance bénéfice/risque. Différents signaux potentiels restent surveillés par les autorités sanitaires.
Le profil de sécurité des vaccins adaptés aux souches circulantes n'a pas montré de différence par rapport à celui des vaccins originaux.
Malgré un moindre recul, les vaccins plus récemment autorisés semblent bien tolérés. La surveillance en vie réelle a permis d'acquérir des données sur des populations généralement exclues des essais cliniques. Plusieurs études montrent une bonne tolérance chez les femmes enceintes, les enfants et les personnes vulnérables.
Le développement des vaccins contre la covid-19 en un temps record a été une véritable prouesse. Nous souhaitons aussi souligner la performance des systèmes de pharmacovigilance et de pharmaco-épidémiologie mondiaux, qui ont accompagné cette campagne sans précédent en évaluant les risques associés et en permettant l'adaptation rapide des recommandations vaccinales. Le système français s'est notamment distingué avec l'identification de nombreux signaux potentiels. En outre, la mise en lumière du travail de suivi et d'évaluation des vaccins a produit des bénéfices indirects pour la pharmacovigilance, aujourd'hui davantage sollicitée par les professionnels de santé libéraux, et ses concepts sont mieux compris par la population.
Ces résultats ne doivent toutefois pas masquer les difficultés auxquelles font face les structures chargées de la surveillance. Au contraire, ils doivent inviter à les conforter, notamment par l'attribution de moyens humains et financiers à la hauteur de leur mission pour la protection de la santé publique. Un affaiblissement de ces structures pourrait amoindrir la confiance du public dans les médicaments et ferait courir un risque en cas de nouvelle crise sanitaire.
Nous avions émis des craintes concernant les conséquences que pourrait avoir la crise sur l'adhésion à la vaccination. Il apparaît que la campagne a globalement été un succès. Nous notons toutefois une érosion de l'adhésion aux campagnes de rappel. L'adhésion vaccinale demeure un sujet de préoccupation, comme le montre le faible succès de la campagne contre le HPV.
La communication des autorités sanitaires est essentielle. Si des rapports réguliers et détaillés sur les vaccins ont été publiés par le système de pharmacovigilance, la diffusion de ces informations vers le grand public a fait défaut. Il est important d'en tirer les enseignements et de repenser la communication autour des campagnes vaccinales et des médicaments, en construisant une communication claire, lisible et pédagogique permettant une bonne appréciation de la balance bénéfice/risque par la population.
Nous recommandons de :
· poursuivre la surveillance des vaccins ;
· organiser le dispositif de surveillance de manière à pouvoir le renforcer lors de la mise sur le marché de médicaments innovants susceptibles d'entraîner des craintes excessives parmi la population ou un risque important d'effets indésirables ;
· poursuivre la démarche d'amélioration de la quantité et de la qualité des déclarations de pharmacovigilance pour optimiser la détection des signaux, en sensibilisant les professionnels de santé et la population à l'intérêt de la pharmacovigilance ;
· maintenir l'organisation actuelle du réseau des CRPV et d'EPI-PHARE et de les doter de moyens suffisants ;
· améliorer la communication sur les effets indésirables, de diffuser des campagnes destinées aux personnes hésitantes et de lutter contre de fausses informations ;
· expliquer de manière pédagogique les éventuelles évolutions des stratégies vaccinales afin de permettre leur bonne compréhension et garantir leur acceptabilité.
Mme Florence Lassarade, sénatrice, vice-présidente de l'Office, rapporteure. - Je vais à présent évoquer la thématique du covid long.
Bien que cette maladie ait été identifiée dès la première vague épidémique et qu'elle soit associée à un lourd impact en termes de santé publique, elle demeure mal comprise et continue de pâtir d'une faible attention. Aujourd'hui, aucune définition harmonisée n'existe. Faute d'identification d'un symptôme ou d'un marqueur spécifique, le diagnostic repose sur un faisceau d'arguments ou un processus différentiel. Plus de 200 symptômes potentiels sont associés à cette maladie. Ils touchent de nombreux organes, sont relativement hétérogènes et caractérisés par une grande fluctuation dans le temps. Outre les risques de sous-diagnostic et de retard de prise en charge, cette situation complexifie l'acquisition des connaissances sur les dimensions épidémiologiques, physiopathologiques, thérapeutiques, médico-économiques et sociales de la maladie.
La prévalence du covid long continue de faire l'objet d'incertitudes. On estime qu'il touche, chez les adultes, 10 à 30 % des cas non hospitalisés et 50 à 70 % des cas hospitalisés. Les dernières études suggèrent des proportions similaires chez les enfants et adolescents. Si dans la majorité des cas, l'état des patients semble progressivement s'améliorer, la dynamique de cette évolution et les facteurs sous-jacents demeurent encore largement méconnus.
Le Comité de veille et d'anticipation des risques sanitaires (Covars) considère qu'en France, plusieurs centaines de milliers de personnes seraient actuellement affectées dans leur vie quotidienne. Avec l'évolution de la pandémie, la prévalence de cette maladie aurait baissé, sans doute en raison de ses caractéristiques intrinsèques, des nouveaux variants et de l'immunité de la population. En effet, la vaccination permettrait de diminuer significativement le risque de covid long en cas de contamination.
Malgré de nombreuses recherches, le mécanisme à l'origine du covid long reste inconnu ; plusieurs hypothèses sont explorées. L'explication « somatoforme » - c'est-à-dire d'une maladie qui résulterait d'une psychosomatisation - semble récusée par la majorité de la communauté scientifique.
La mauvaise compréhension du mécanisme de la maladie ne permet pas d'identifier de cible thérapeutique et complexifie le développement de traitements curatifs. Plusieurs essais cliniques sont toutefois en cours. La stratégie thérapeutique recommandée par la HAS repose actuellement sur quatre axes : des traitements symptomatiques pour atténuer les symptômes qui peuvent l'être ; l'éducation des patients afin qu'ils adaptent leurs activités et leur environnement à leurs symptômes ; une approche rééducative dans les différents domaines fonctionnels touchés par la maladie ; la prise en charge des troubles anxieux et dépressifs des patients concernés.
Malgré l'effort de structuration de l'offre de soins, les parcours restent souvent mal organisés. L'offre est trop peu lisible, tant pour les patients que pour les professionnels de santé, dont la formation et l'information sur le covid long sont insuffisantes.
Cette situation entraîne un manque de reconnaissance des souffrances, une certaine errance médicale qui génère un sentiment d'abandon, voire de stigmatisation. Le covid long s'accompagne parfois de conséquences invalidantes pour la vie individuelle, familiale et professionnelle des malades. Les études menées chez les enfants et les adolescents suggèrent également des conséquences du point de vue scolaire. Dans ce contexte, les médecins du travail et scolaires ont un rôle crucial à jouer pour accompagner ces patients.
Des dispositifs de prise en charge sanitaire et sociale adaptés et facilement accessibles doivent être mis en place. Alors que l'attention de la société se détourne progressivement de la covid-19, il paraît impératif de continuer à étudier le covid long. Deux ans après la publication de notre dernier rapport, nous constatons que les quatre leviers que nous avions identifiés - parcours de soins organisés et structurés, formation et accompagnement des professionnels de santé, information pour les patients et dispositifs de reconnaissance adaptés - restent prioritaires.
Outre la nécessité de campagnes d'information à destination des communautés médicales et paramédicales, il est essentiel de sensibiliser l'ensemble de la population à la réalité du covid long afin d'éviter toute discrimination des patients et de mettre en place une démarche de prévention. Les recherches sur cette maladie doivent être poursuivies et encouragées afin de pouvoir mieux la comprendre, la suivre et la traiter.
Aussi, nous recommandons de :
· développer et harmoniser les parcours de soins pour covid long sur l'ensemble du territoire ;
· mettre en place la plateforme de référencement et de prise en charge des maladies chroniques contre la covid-19, prévue par la loi du 24 janvier 2022 ;
· former et informer les professionnels médicaux et paramédicaux sur le covid long et les méthodes de diagnostic et de prise en charge médicale et sociale ;
· renforcer le rôle des cellules de coordination post-covid pour l'ensemble des soignants ;
· créer une infection de longue durée et un tableau de maladies professionnelles spécifiques pour les formes prolongées de la covid-19 ;
· mener une campagne nationale d'information, de sensibilisation et de prévention ;
· poursuivre les recherches transdisciplinaires en finançant notamment de nouveaux appels à projets dédiés.
Mme Sonia de La Provôté, sénatrice, rapporteure. - Le troisième volet de notre rapport concerne la surveillance et les outils de surveillance épidémiologique.
La crise sanitaire a entraîné une mobilisation scientifique sans précédent et internationale. Si le développement de vaccins efficaces en moins d'une année a constitué la plus grande prouesse, de nombreuses autres innovations sont venues en soutien des mesures de santé publique. Nous avons fait le choix de revenir ici sur les outils de surveillance épidémiologique et d'anticipation sanitaire développés pendant la crise, dans la continuité des débats soulevés lors de nos rapports précédents.
La surveillance épidémiologique coordonnée par Santé publique France vise à suivre l'émergence et l'évolution des épidémies et problèmes de santé et à acquérir des connaissances sur leurs caractéristiques. Elle permet de dresser une image globale de la situation sanitaire et d'anticiper les risques à venir. Cette surveillance s'est avérée déterminante pour suivre et contenir la propagation du virus grâce au déploiement de mesures d'alerte, de prévention et de contrôle.
Les nouveaux fichiers mis en place ont permis de suivre la propagation du virus, son impact hospitalier et la couverture vaccinale au travers des fichiers SI-DEP (suivi du dépistage), SI-VIC (suivi des victimes) et SI-VAC (vaccinations covid-19). Le fichier Contact-covid a, pour sa part, permis de suivre les chaînes de contamination.
Ces dispositifs ont été source de débats en termes de suivi, de surveillance, de protection des données et de protection individuelle. La phase aiguë de la pandémie étant révolue, certains de ces fichiers ont été interrompus, tandis que d'autres ont évolué pour s'adapter à la situation sanitaire. Une forme simplifiée du fichier de suivi du dépistage néoSI-DEP a ainsi vu le jour en 2023, dans l'attente d'un système plus exhaustif (Laboé-SI) qui permettra de suivre un plus grand nombre de maladies et pourra s'adapter aux crises sanitaires futures. De même, le projet Orchidée (Organisation d'un réseau de centres hospitaliers impliqué dans la surveillance épidémiologique et la réponse aux émergences) doit mettre au point un outil tirant les leçons des limites et imperfections du fichier SI-VIC pour la remontée des données hospitalières en ne les limitant pas à la covid-19 et en permettant de suivre l'émergence de risques sanitaires nouveaux.
Une autre innovation importante a été développée : l'utilisation de méthodes de suivi du virus à partir des eaux usées. Cette technique, développée antérieurement à la crise, a été déployée pour la première fois à large échelle. L'outil permet de détecter les tendances épidémiques de manière précoce et de suivre la population, pour un coût réduit, indépendamment de son état de santé et de la stratégie de dépistage. Dès le début de la crise sanitaire, le consortium Obépine a démontré les opportunités de l'outil pour suivre l'épidémie de manière quantitative et dans une temporalité pertinente. Soutenu financièrement par le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, ce consortium a pu exploiter de manière expérimentale un réseau de surveillance reposant sur plus de 200 stations pendant plus d'un an. Aujourd'hui, un dispositif pérenne (SUM'Eau) est chargé de la surveillance microbiologique des eaux usées. Opérationnel depuis octobre 2023, ce système doit encore connaître des développements - il ne s'appuie que sur douze stations de traitement des eaux usées et ne permet pas encore de suivre les variants en circulation par séquençage des échantillons prélevés.
Au regard des connaissances acquises et des perspectives en matière de surveillance épidémiologique, il apparaît essentiel de continuer à soutenir et perfectionner les dispositifs de suivi des eaux usées. Cette méthode apparaît très pertinente pour surveiller et anticiper la propagation du SARS-CoV-2, mais aussi d'autres germes. Son extension à d'autres maladies ou problèmes de santé pourrait apporter des bénéfices importants.
Dans cette optique, la construction d'une plateforme de recherche et d'innovation Obépine+, destinée à soutenir les réseaux en développement, doit être bien soutenue.
La surveillance génomique, quant à elle, a pour objet de suivre l'évolution du virus pour anticiper les conséquences associées à ses mutations. Un développement important des capacités de séquençage a été entrepris pendant la crise sanitaire, rattrapant le retard que nous avions accumulé. Créé en janvier 2021, le consortium Emergen a permis d'identifier l'émergence de nouveaux variants et la répartition des variants circulant sur le territoire. Aujourd'hui, ce consortium a adapté ses activités au niveau de circulation actuel du virus et évoluera prochainement pour inclure de nouveaux agents pathogènes.
En mettant en lumière les lacunes de notre capacité de préparation et de réponse aux urgences sanitaires, des leçons ont pu être tirées de la crise sur le plan organisationnel. De nouvelles structures ont ainsi été créées. En France, un centre de crise sanitaire a été institué au sein de la direction générale de la santé tandis que l'Union européenne a créé une Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire.
Ces démarches de retour d'expérience doivent être encouragées. Face au risque d'émergence ou de réémergence de virus, il apparaît crucial de tirer toutes les leçons des échecs et des succès de notre gestion de la pandémie. La période post-pandémique doit être utilisée pour réévaluer notre organisation et accroître nos efforts en matière d'anticipation et de préparation.
La recherche, cruciale dans la réponse à la crise sanitaire, doit faire l'objet d'un soutien public important. Les principaux axes de travail concernent les menaces susceptibles d'entraîner des crises sanitaires majeures, les facteurs d'émergence de ces crises, les solutions de prévention à encourager et les mesures médicales à mettre en place.
Ainsi, nous recommandons de :
· maintenir une surveillance approfondie du SARS-CoV-2 pour anticiper les risques pouvant résulter de sa circulation persistante ;
· définir et déployer une stratégie de recherche sur les menaces sanitaires, fondée sur le continuum recherche fondamentale/recherche appliquée ;
· renforcer le système de surveillance pour détecter précocement et suivre l'évolution de toute menace sanitaire ;
· veiller à ce que le système de surveillance soit étroitement articulé avec l'effort de recherche sur les outils de surveillance développés ;
· poursuivre le retour d'expérience sur la crise de la covid-19 et investir pour améliorer les capacités d'anticipation, de préparation et de réponse aux futures crises sanitaires.
M. Philippe Berta, député, rapporteur. - Je termine cette présentation avec le sujet de la désinformation en santé.
La circulation de fausses informations n'est pas une problématique récente. Elle a toutefois pris une importance nouvelle au cours de la pandémie. En raison du déficit d'informations fiables et du sentiment d'anxiété de la population, les crises s'avèrent particulièrement propices à la circulation de fausses informations qui sont, du fait du contexte, à même d'emporter de lourdes conséquences sanitaires.
La pandémie de covid-19 est intervenue dans un cadre informationnel nouveau. Le développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication a entraîné une augmentation rapide et massive du volume d'informations échangées. L'OMS évoque une « infodémie », c'est-à-dire une surabondance d'informations rendant difficile l'identification des sources fiables. Cette situation a nui à la compréhension et à l'adoption des mesures sanitaires et, par conséquent, à la santé publique. En permettant à tout un chacun de s'exprimer avec une liberté quasi totale, les réseaux sociaux contribuent à cette cacophonie et fournissent un mode d'expression aux désinformateurs qui n'avaient jusqu'alors que peu voix au chapitre. S'emparant de cette opportunité, ces derniers sont à l'origine d'une part importante du contenu disponible sur ces réseaux. Ils bénéficient d'une visibilité et d'un pouvoir d'influence disproportionnés au regard de leur légitimité.
Cette surexpression des désinformateurs est accentuée par l'éditorialisation des contenus par les plateformes, qui privilégient des contenus sensationnels et clivants, plus à même de créer de l'engagement parmi les utilisateurs. Les réseaux sociaux agissent alors comme un miroir déformant qui renforce la visibilité d'individus aux positions extrêmes, pourtant peu représentatifs de la société dans son ensemble.
En proposant principalement des contenus en accord avec les préférences individuelles, les algorithmes des réseaux sociaux ne permettent pas la confrontation d'idées et la remise en question critique des informations rencontrées. Au contraire, ils sont susceptibles d'enfermer les utilisateurs dans des bulles numériques qui peuvent laisser croire à l'existence d'un consensus.
Les réseaux sociaux ont donc probablement contribué à la désinformation pendant la crise sanitaire. Pour autant, ces fausses informations peinent généralement à atteindre un large public et touchent principalement des personnes déjà convaincues ou enclines à les accepter. Les fausses informations ne représenteraient finalement qu'une faible part des informations consommées par les internautes, qui consultent principalement des sources fiables et conservent une bonne capacité de discernement. Si la contribution des réseaux sociaux à la désinformation est indéniable, il est nécessaire de nuancer leur rôle et de reconnaître l'implication d'autres acteurs, tels que les médias plus traditionnels et les autorités politiques.
Plus que la circulation de fausses informations sur les réseaux sociaux, c'est la légitimation de ces discours par des acteurs bénéficiant d'une plus forte audience qui est susceptible d'avoir un impact important en termes de désinformation. Les médias traditionnels, les scientifiques et les professionnels de santé qui bénéficient d'une forte confiance de la population jouent un rôle important au travers de la parole qu'ils portent.
Les travaux de recherche sur la désinformation montrent que l'acceptation des fausses informations se bâtit sur un terreau alimenté par un déficit d'informations et une méfiance envers les sources officielles. Le manque de connaissances scientifiques et médicales - très prononcé en France - augmente la sensibilité aux fausses informations, qui est également corrélée à la sensibilité aux croyances ésotériques et paranormales et aux médecines alternatives. Divers moteurs psychologiques, incluant des facteurs cognitifs et socio-affectifs, accroissent la susceptibilité à la désinformation. Les désinformateurs instrumentalisent ces moteurs psychologiques en faisant appel à une démagogie cognitive, en proposant des récits en accord avec les prédispositions individuelles et en mobilisant les facteurs et biais susceptibles d'encourager leur acceptation.
Pour lutter contre cette désinformation, il apparaît donc crucial de développer la culture scientifique et sanitaire à destination du plus grand nombre, en fournissant des informations claires, fiables et adaptées. Il est important de construire une confiance envers les institutions et les sources fiables d'information, ce qui suppose de diffuser une information de confiance. Les acteurs influents en termes d'information, les scientifiques, les professionnels de santé, les médias et les décideurs politiques doivent être formés afin de communiquer de manière pédagogique et rigoureuse les connaissances scientifiques.
Ces actions d'information doivent être déclinées pour cibler les sous-groupes de population susceptibles d'être touchés par ces fausses informations. Les différentes plateformes doivent également être encouragées à mieux faire face à cette problématique en modifiant leurs algorithmes, en modérant plus sévèrement leurs contenus et en sensibilisant à la littératie numérique.
Les actions d'information ne doivent pas s'inscrire qu'en réaction aux fausses informations, mais inclure des actions d'éducation préventives et de fond. À cet effet, il est essentiel de renforcer la formation de la population à l'esprit critique et à la démarche scientifique, à travers l'éducation aux médias, à l'information, à la littératie sanitaire et à la culture scientifique, à l'aide de politiques publiques claires et ambitieuses.
Nous recommandons donc :
· d'améliorer la communication scientifique :
- en développant des canaux fiables d'information, en lien avec les organismes de recherche, les sociétés savantes et les académies ;
- en encourageant la mise au point de supports pédagogiques clairs et des initiatives destinées aux publics les plus susceptibles d'être touchés par ces fausses informations ;
- en fournissant des informations et des formations fiables aux journalistes ;
· de former les scientifiques et les professionnels de santé à la communication scientifique grand public et à la réponse aux fausses informations, d'encourager et d'accompagner les volontaires à s'exprimer dans les médias dans leur seul domaine d'expertise, à travers une approche rigoureusement scientifique ;
· lorsque des questions scientifiques apparaissent dans le débat public, d'encourager une communication transparente, pédagogique et clairement séparée de la communication scientifique ;
· de mettre en place des politiques éducatives dès l'école primaire pour promouvoir la culture scientifique et le sens critique à l'égard des médias et de l'information ;
· d'améliorer le traitement médiatique des sujets scientifiques, d'encourager les réseaux sociaux à mener des actions pour limiter la diffusion des fausses informations et de sanctionner les dérives susceptibles d'avoir des conséquences dommageables pour la santé publique ;
· d'encourager les recherches sur la mésinformation et la désinformation.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Le 17 mars 2020, nous entrions dans une période d'incertitude sur ce qu'était cette nouvelle maladie. Comme souvent, nous sommes passés « du tout au tout », en ne sachant pas faire le tri parmi la surabondance d'informations. La formation académique, dès le plus jeune âge, à l'esprit critique et à l'information scientifique aiderait à faire le tri dans ce magma. La culture et l'esprit critique ne se construisent pas sur TikTok.
En tant que politiques, nous sommes régulièrement amenés à prendre position sur des sujets scientifiques, soit en tant que législateur, soit dans des débats. Il est du rôle de l'OPECST d'orienter les choix et les décisions de nos collègues parlementaires. Tous nos rapports sont à disposition des députés et des sénateurs, qui peuvent s'en saisir et en faire l'usage qu'ils souhaitent.
Vous connaissez la formule : « La première victime d'une guerre, c'est toujours la vérité. » Étymologiquement, et par définition, la crise est un catalyseur de prises de décisions. Cela est vrai en temps de guerre comme en temps d'épidémie. Ces décisions doivent conduire à un soutien à la recherche. Au-delà d'une hausse des moyens, la constitution de grands établissements et la proximité de l'industrie et des universitaires sont des éléments importants.
Il s'agit aussi d'un moment de décision pour le développement des réseaux de surveillance. Nous avons découvert comment l'analyse des eaux usées pouvait révéler l'apparition de nouveaux variants.
Vous évoquiez le covid long. La science, c'est aussi parfois être capable de dire que nous ne savons pas. Il existe une forme d'incompréhension générale sur la persistance de ce covid long. Les troubles psychosomatiques semblent écartés. Théoriquement, les scientifiques se réunissent et aboutissent à un consensus scientifique, qui n'est pas synonyme d'unanimité scientifique. La science bute jusqu'à ce qu'elle trouve des réponses à ces questionnements.
Je vous remercie pour ce travail.
Mme Martine Berthet, sénatrice. - J'ai été membre de la commission des affaires sociales lors de la crise. Nous avions auditionné plusieurs experts, qui nous invitaient à porter un masque, y compris à l'extérieur. Initialement, ce discours n'était pas celui des autorités et du Gouvernement. Parmi vos propositions, quelles seraient celles qui permettraient de mieux prendre en compte les recommandations des scientifiques dès le départ ?
Vous proposez d'inscrire le covid long sur la liste des affectations de longue durée. Des démarches sont-elles en cours au sein de la Cnam ?
M. Philippe Berta, député, rapporteur. - Il convient de distinguer les scientifiques et les médecins. En France, la formation de ces deux populations n'est pas mixte. J'étais président de la commission de l'Assemblée nationale pour le suivi de la pandémie. Au début, nous avons entendu les scientifiques. Cela n'a pas duré longtemps, car leur position scientifique est une position de doute. Pour les journalistes, il n'est pas intéressant d'entendre « Je ne sais pas ». Or, nous ne pouvions rien dire d'autre pendant les premiers mois. Les scientifiques ont donc très rapidement été remplacés par des médecins. J'ai découvert à la télévision des infectiologues inconnus du sérail de la bactériologie ou de la virologie. Nous devons nous interroger sur les personnes à qui nous donnons la parole.
Je me souviens de la commission d'enquête à l'Assemblée nationale. Nous étions deux à prendre la parole face à Didier Raoult, dont la dérive morale et intellectuelle était connue depuis longtemps, dans une indifférence générale. Les plus hautes autorités de l'État se sont rendues à son chevet. Nous l'avons laissé vendre son hydroxychloroquine, alors que nous savions depuis longtemps qu'il se passait des choses peu claires à l'IHU de Marseille. Cela a fait beaucoup de mal. Nous sommes beaucoup de scientifiques à avoir souffert de cette situation. Notre parole de sachant portait de moins en moins.
Je reste inquiet pour l'avenir lorsque je constate l'effondrement de l'intérêt pour la science, les technologies et l'industrie. Les études d'opinion sont dramatiques. À l'entrée en 6e, la France est l'avant-dernier pays de l'OCDE en matière de culture scientifique. Pourquoi ne comprenons-nous pas que la science et la santé constituent une porte d'entrée massive pour les complotistes et les extrémistes ? Nous devons avoir une réaction à la hauteur.
M. Gérard Leseul, député, vice-président de l'Office, rapporteur. - Le sujet des masques a été largement détaillé dans notre premier rapport.
Mme Sonia de La Provôté, sénatrice, rapporteure. - La troisième proposition présentée par Philippe Berta traite du point soulevé par notre collègue. L'enjeu est celui de la confiance dans la parole publique. Le ministre de la santé ne doit pas être un médecin qui s'exprime, sous peine d'introduire une confusion de la parole publique. Le ministre donne les orientations des politiques publiques.
L'ambiguïté a existé dès le début sur le sujet des masques. Une référence a été faite à une étude publiée dans le Journal of the American Medical Association (JAMA) relative au virus de la grippe et dont le protocole scientifique a été contesté. Nous avons adossé à cette étude la réponse à la non-distribution des masques aux médecins généralistes. Ce n'est pas une réponse de scientifique car un tel parallèle n'est pas possible scientifiquement. La parole publique aurait dû expliquer que les hôpitaux étaient prioritaires du fait de la surexposition de leur personnel, et que la médecine de ville serait fournie dans un second temps.
Mme Florence Lassarade, sénatrice, vice-présidente de l'Office, rapporteure. - Le confinement a permis de faire émerger des solutions car les scientifiques étaient alors disponibles. Ce facteur temps a permis des avancées. Il convient également de souligner la collaboration internationale qui s'est mise en oeuvre.
À l'heure actuelle, le covid long n'est pas une ALD. Nous préconisons cette reconnaissance. En tant que médecin, je reste sollicitée par des personnes qui souffrent de covid long. Les cas chez les enfants restent sous-estimés. Ces derniers ont été moins vaccinés, car la pathologie était bénigne. Certains ont toutefois été victimes d'un covid long. Nous observons chez beaucoup des chutes brutales de résultats scolaires, parfois pendant plusieurs années. Ils présentent des signes de grande fatigabilité, des troubles de mémoire. Rétrospectivement, nous devons nous interroger sur la pertinence de la décision prise en matière de vaccination.
Mme Sonia de La Provôté, sénatrice, rapporteure. - La difficulté est de caractériser la maladie. À ce stade, il n'existe pas de consensus. Nous observons néanmoins des avancées. Le recensement des cas reste difficile. Nous avons l'opportunité de disposer de données répertoriées à l'international, mais nous n'avons pas encore complètement exploité ces données massives.
Nous devons avancer sur la recherche autour du covid long. Ces travaux ouvriront probablement les connaissances sur des mécanismes que nous ignorons.
Mme Florence Lassarade, sénatrice, vice-présidente de l'Office, rapporteure. - Un premier exemple : la vaccination des canards landais au cours de l'hiver a permis de stopper l'épidémie de grippe aviaire.
M. Philippe Berta, député, rapporteur. - Il est dommage que cette stratégie n'ait pas été étendue outre-Atlantique, où des cas de H5N1 chez les bovidés ont été recensés et où l'on déplore deux morts humaines.
M. Philippe Bolo, député. - Vous indiquez qu'il faudrait « encourager » les réseaux sociaux à mener des actions pour limiter la diffusion de fausses informations. Il me semblerait plus opportun de les contraindre, d'exiger ou de leur imposer, sous peine que ces demandes ne soient jamais suivies d'effets.
M. Jean-François Portarrieu, député. - En avril 2023, l'Ipsos a publié les résultats d'une grande étude sur la relation entre les Français et les vaccins, indiquant que les trois quarts environ étaient favorables à la vaccination obligatoire. Or, 43 % des personnes interrogées ignoraient si elles étaient à jour de leurs vaccins. Ces résultats vous inquiètent-ils ?
M. Philippe Berta, député, rapporteur. - La relation des Français aux vaccins est très ambiguë. Malgré quelques soubresauts, nous avons rendu onze vaccins obligatoires pour les enfants. Dans le même temps, je suis effrayé par notre incapacité à vacciner les adolescents contre le papillomavirus. Chaque année, 4 000 femmes meurent d'un cancer de l'utérus. En Australie, le taux de vaccination dépasse 80 %, ce qui a permis d'éradiquer le virus. L'OMS a récemment relevé nos faiblesses dans la médecine préventive en oncologie. N'oublions pas que les progrès en matière de longévité sont liés à la vaccination et aux médicaments.
Mme Florence Lassarade, sénatrice, vice-présidente de l'Office, rapporteure. - Je vous renvoie à un rapport de l'OPECST sur l'hésitation vaccinale, établi avec Cédric Villani lorsqu'Agnès Buzyn a rendu certains vaccins obligatoires. J'ai constaté dans le cadre de mon activité de pédiatre que beaucoup de parents attendaient que le vaccin soit obligatoire pour le faire.
Lorsque nous avons commencé à vacciner tous les enfants de 6e contre l'hépatite B, un doute était apparu sur un lien entre ce vaccin et la sclérose en plaques. Ce rapport a depuis été infirmé. Le ministre de la santé de l'époque avait fait interrompre les vaccins en milieu scolaire. Ces hésitations, tout comme le sang contaminé, ont encore un retentissement aujourd'hui.
Mme Sonia de La Provôté, sénatrice, rapporteure. - Il y a cinq ou six ans, nous avons connu une recrudescence des cas de rougeole, parce qu'une génération d'enfants n'avait pas été vaccinée. La vaccination obligatoire permettra de traiter cette problématique. Les médecins généralistes constatent que les enfants sont mieux suivis. Les vérifications faites avant l'entrée en milieu scolaire apportent une sécurité supplémentaire.
Une difficulté demeure sur le HPV. Il convient de déminer le sujet. La problématique était différente pour la vaccination covid, car les hésitations étaient liées à l'introduction de vaccins à ARNm.
M. Philippe Berta, député, rapporteur. - Les hésitations autour du Gardasil sont incompréhensibles. Le vaccin a bientôt 30 ans. S'agissant du covid, beaucoup évoquaient l'absence d'essais cliniques autour de l'ANRm. Or, Pfizer a inclus 457 000 patients dans son essai. Cette ampleur est quasiment inédite.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Les parents d'une jeune fille ont entendu parler d'un risque d'infertilité avec le HPV. Sur cette base, ils refusent de la vacciner. Tous les autres messages sont éclipsés par cette seule voix.
Mme Florence Lassarade, sénatrice, vice-présidente de l'Office, rapporteure. - Malheureusement, la campagne HPV a été lancée en janvier 2020, juste avant le covid.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Le vaccin, comme tout médicament, peut avoir des effets secondaires exceptionnels.
M. Philippe Berta, député, rapporteur. - La vente de paracétamol pourrait bientôt être interdite aux moins de 18 ans, car il s'agit de la drogue la plus utilisée par les jeunes qui tentent de se suicider. Même le paracétamol, dont on peut penser qu'il présente une certaine innocuité, est mortel à forte dose.
Mme Sonia de La Provôté, sénatrice, rapporteure. - Une campagne de Santé publique France sur la vaccination disait en substance : « Si vous avez des crampes, c'est à cause du pédalo. » Ce message est très mauvais. Oui, la vaccination entraîne souvent un syndrome post-grippal dont la fièvre et les crampes musculaires sont des symptômes. Il aurait été préférable de l'assumer. La communication fait partie de la crise ; elle ne doit pas être à la main d'agences de communication ignorantes de la question scientifique.
L'Office adopte à l'unanimité le rapport sur « Les effets indésirables des vaccins et les dernières évolutions des connaissances scientifiques sur la covid-19 » et autorise sa publication.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Je vous invite à aller présenter ce rapport devant la commission des affaires sociales du Sénat, à l'origine de la saisine.
La réunion est close à 11 h 30.