- Jeudi 30 mai 2024
- Politique étrangère et de défense - Programme pour l'industrie européenne de la défense (EDIP) - Examen de la proposition de résolution européenne portant avis motivé sur la conformité de cette proposition législative au principe de subsidiarité
- Environnement et développement durable - Protection des sols - Examen de la proposition de résolution européenne
Jeudi 30 mai 2024
- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -
La réunion est ouverte à 8 h 30.
Politique étrangère et de défense - Programme pour l'industrie européenne de la défense (EDIP) - Examen de la proposition de résolution européenne portant avis motivé sur la conformité de cette proposition législative au principe de subsidiarité
M. Jean-François Rapin, président. - Nous nous penchons ce matin sur deux sujets sensibles : l'industrie de la défense et la protection des sols. Ces sujets, attentivement suivis par les commissions permanentes du Sénat, prennent aujourd'hui une dimension européenne qui appelle notre commission à s'y pencher également.
Nous débuterons notre réunion par l'examen d'une proposition de résolution européenne, qui résulte du travail de vérification que nous avons jugé utile de mener sur la conformité au principe de subsidiarité d'une récente initiative législative, proposée par la Commission européenne et destinée à renforcer l'industrie européenne de la défense. En effet, le groupe de travail subsidiarité de notre commission avait jugé, le 7 mai dernier, que ce texte semblait aller trop loin et ne pas respecter la répartition des compétences entre l'Union et les États membres en matière de défense. Les trois rapporteurs sur ces sujets, après avoir mené des investigations en un temps record, proposent à notre commission d'adopter un avis motivé : il s'agit de faire valoir que, certes, la guerre en Ukraine oblige à avancer plus vite pour consolider la base industrielle européenne en matière de défense, mais que, pour autant, les traités européens doivent être respectés.
Mme Gisèle Jourda, co-rapporteure. - Nous retrouvons, au travers du projet d'avis motivé que nous vous présentons, des sujets que nous avons évoqués à plusieurs reprises au cours des derniers mois concernant les initiatives de la Commission européenne en matière d'industrie de défense.
C'est bien un enjeu institutionnel qui se pose ici, la Commission européenne souhaitant intervenir de manière croissante dans un domaine, celui de la défense, qui ne relève pas de ses compétences.
En vue d'établir la position que nous vous présentons, nous avons travaillé conjointement avec notre collègue Jean-Luc Ruelle, qui sera le rapporteur, devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, du texte que nous vous proposons d'adopter ce matin.
Nous avons auditionné des représentants de la Commission européenne - en particulier le directeur en charge de l'industrie de défense au sein de la direction générale de l'industrie de la défense et de l'espace -, des représentants du Secrétariat général des affaires européennes et de la direction des affaires juridiques du ministère des armées, ainsi que le cabinet du ministre des armées. Jean-Luc Ruelle a en outre auditionné une professeure de droit public à l'université de Lille.
La Commission européenne et le haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ont présenté, le 5 mars dernier, une stratégie pour l'industrie européenne de la défense (EDIS). Nous nous penchons ce matin sur la proposition de règlement relatif à l'établissement du programme pour l'industrie européenne de la défense et d'un cadre de mesures visant à assurer la disponibilité et la fourniture en temps utiles de produits de défense, connu sous l'acronyme EDIP, qui est la déclinaison opérationnelle de cette stratégie.
Cette proposition de règlement s'inscrit dans le prolongement de la déclaration de Versailles, de la communication conjointe sur l'analyse des déficits d'investissement dans le domaine de la défense et de deux textes d'urgence adoptés en 2023 pour faire face à la guerre en Ukraine, que nous avions évoqués devant notre commission : le règlement relatif au soutien à la production de munitions (ASAP) et l'instrument visant à renforcer l'industrie européenne de la défense au moyen d'acquisitions conjointes (Edirpa).
Cette proposition de règlement vise d'abord à soutenir la préparation de l'Union et de ses États membres dans le domaine de la défense, par un renforcement de la compétitivité, de la réactivité et de la capacité de la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE). Elle vise également à garantir la disponibilité et la fourniture en temps utile de produits de défense. Elle vise enfin à contribuer au redressement, à la reconstruction et à la modernisation de la base industrielle et technologique de défense ukrainienne.
Le texte proposé comprend ainsi 67 articles, répartis en trois piliers. Il repose sur quatre bases juridiques tirées de quatre articles différents des traités : ces bases sont détaillées dans le document qui vous a été transmis et nous allons y revenir.
Quatre bases juridiques différentes, mais pas une qui renvoie à l'article du traité qui fonde la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), ce qui aurait impliqué un examen de cette proposition législative par le Conseil statuant à l'unanimité.
La Commission européenne pousse clairement son avantage institutionnel, en mettant en avant l'interdépendance des économies et des entreprises participant à la base industrielle et technologique de défense. Et dès lors qu'il s'agirait d'améliorer le fonctionnement du marché intérieur, dont les produits de défense ne seraient qu'une des composantes parmi tant d'autres, la Commission s'estime légitime pour intervenir.
Lors de notre dernière communication sur ces sujets, en janvier dernier, nous avions rappelé que la Présidente de la Commission européenne avait appelé à « concevoir notre Union comme étant intrinsèquement un projet de sécurité » et que la prochaine étape, selon elle, serait celle « d'une Union européenne de la défense à part entière ». Elle avait évoqué la possibilité de nommer un commissaire à la défense dans le cadre du prochain collège des commissaires.
Lorsque nous avions auditionné le secrétaire général adjoint du Service européen pour l'action extérieure, M. Charles Fries, il avait eu à ce sujet une réponse qui résume les enjeux auxquels nous sommes confrontés. Il avait en effet affirmé qu'« un commissaire à la défense ne pourrait être qu'un commissaire à l'industrie de la défense, car la défense n'est pas une compétence de la Commission, mais exclusivement des États membres. Il n'y a pas d'armée européenne. Le rôle du haut représentant est donc de coordonner les efforts en matière de défense et de sécurité des États membres. Il ne saurait y avoir un commissaire à la défense en tant que tel ».
On est ici au coeur du sujet. Nous comprenons évidemment le nouveau contexte stratégique résultant de la guerre en Ukraine et nous rappelons que le Sénat a déjà pris position à plusieurs reprises pour soutenir l'Ukraine et ses forces armées. Nous partageons évidemment la nécessité de renforcer la BITDE et d'accompagner la consolidation de celle de l'Ukraine.
Nous pourrions d'ailleurs considérer, comme cela nous été dit lors des auditions, que la Commission européenne aurait pu prendre d'autres initiatives pour permettre un meilleur accès du secteur de la défense aux financements privés, ce qui constitue un enjeu majeur pour permettre le renforcement de la BITDE. Nous pensons également qu'il est urgent de revoir le mandat de la Banque européenne d'investissement, afin qu'elle soutienne pleinement le secteur de la défense européen. Nous regrettons enfin que, trop souvent, certains États membres ne contribuent pas au développement de la BITDE en achetant des matériels militaires en dehors de l'Union européenne, et notamment aux États-Unis.
Il reste qu'à nos yeux, la Commission européenne cherche, par le biais de ce texte, à aller au-delà de son champ de compétences et à empiéter sur les compétences des États membres.
Nous critiquons également la procédure d'élaboration de la proposition de ce règlement. Certes, la Commission européenne s'est appuyée sur des travaux antérieurs et a procédé à la consultation des parties prenantes dans le cadre de la préparation de la stratégie pour l'industrie européenne de la défense.
Nous déplorons toutefois que la Commission européenne n'ait pas réalisé d'étude d'impact sur un texte aussi significatif pour les enjeux de souveraineté nationale. Elle avance que le délai imparti pour présenter le texte ne le lui permettait pas. C'est peu crédible, puisque ce texte devait initialement être présenté en novembre 2023. Elle s'engage désormais à fournir un document de travail de ses services pour mieux justifier la proposition mais, de fait, compte tenu des délais qui s'imposent aux parlements nationaux pour effectuer le contrôle de subsidiarité, nous ne pourrons pas le prendre en compte.
M. François Bonneau, co-rapporteur. - Nous nous étonnons ensuite de l'absence de recours à la base juridique de la PSDC. D'après l'article 4 du traité sur l'Union européenne, « toute compétence non attribuée à l'Union dans les traités appartient aux États membres ». Cet article précise également qu'« en particulier, la sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre ».
L'article 42 du traité sur l'Union européenne stipule pour sa part que « la politique de sécurité et de défense commune fait partie intégrante de la politique étrangère et de sécurité commune », qu'elle « inclut la définition progressive d'une politique de défense commune de l'Union » et qu'elle « conduira à une défense commune, dès lors que le Conseil européen, statuant à l'unanimité, en aura décidé ainsi ». Or tel n'est pas le cas aujourd'hui.
Les décisions en matière de PSDC sont adoptées par le Conseil statuant à l'unanimité, sur proposition du haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ou sur initiative d'un État membre. On se situe donc bien dans un processus de décision intergouvernemental, dans lequel la Commission européenne n'intervient pas.
L'article 42 du traité sur l'Union européenne stipule en outre que l'Agence européenne de défense « identifie les besoins opérationnels, promeut des mesures pour les satisfaire, contribue à identifier et, le cas échéant, mettre en oeuvre toute mesure utile pour renforcer la base industrielle et technologique du secteur de la défense, participe à la définition d'une politique européenne des capacités et de l'armement, et assiste le Conseil dans l'évaluation de l'amélioration des capacités militaires ».
Dès lors que le renforcement de la base industrielle et technologique du secteur de la défense fait partie des missions de l'Agence européenne de défense, dans le cadre de la PSDC, nous nous étonnons que la Commission européenne propose un texte qui ne s'appuie en aucune manière sur une base juridique fondant cette politique alors qu'à l'évidence, certaines dispositions proposées s'y rapportent.
Nous comprenons bien les enjeux liés au changement de contexte stratégique mais le contexte de la guerre en Ukraine ne saurait conduire à méconnaître la lettre et l'esprit des traités qui ont été ratifiés par les États membres.
Nous estimons que le recours à quatre bases juridiques distinctes, sans même viser la base juridique de la politique de sécurité et de défense commune, résulte de la volonté de la Commission européenne de proposer un texte d'ensemble, sur une base exclusivement communautaire. Le texte comprend une grande diversité de dispositions qu'il aurait été possible de scinder en différents textes fondés sur des bases juridiques plus adéquates.
Ayant dit cela, tout dans ce texte ne paraît pas contestable, bien au contraire, et je veux souligner que le Gouvernement français soutient largement la dynamique générale impulsée par la Commission européenne, dans le sillage de la présidence française du Conseil et à la demande du Conseil européen.
Nous comprenons le recours aux bases juridiques que constituent les articles 173 et 322 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), et les dispositions qui en découlent ne nous semblent pas soulever de difficulté au regard du respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité.
L'article 173 permet à la Commission européenne de prendre des initiatives pour promouvoir la coordination des États membres en vue d'assurer la compétitivité de l'industrie de l'Union. Il porte les mesures du premier pilier de la proposition de règlement visant à assurer la compétitivité de la BITDE. Les règlements ASAP et Edirpa s'appuyaient également, en tout ou partie, sur cet article et le gouvernement n'a émis aucune objection à une référence à cette base juridique.
Il en va de même pour l'article 322 du TFUE, qui traite des sujets financiers.
L'octroi d'une enveloppe budgétaire d'1,5 milliard d'euros pour la période allant jusqu'en 2027 afin d'instaurer un programme visant à renforcer la BITDE ne soulève pas d'objection de notre part.
De même, la mise en place d'un fonds pour l'accélération de la transformation des chaînes d'approvisionnement dans le secteur de la défense, la possibilité de mettre en oeuvre des projets de défense européens d'intérêt commun ou encore de créer des structures pour programmes d'armements européens ne nous semblent pas non plus appeler de remarques au regard du respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité.
Tel n'est pas le cas de la référence faite à l'article 114 du traité sur le TFUE, qui stipule que le Parlement européen et le Conseil arrêtent « les mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont pour objet l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur ».
Nous avons également des réserves sur le recours à l'article 212 du même traité pour justifier le troisième pilier de la proposition, qui comprend des mesures destinées à contribuer « au redressement, à la reconstruction et à la modernisation de la BITD ukrainienne et à son intégration progressive dans la BITDE ». Cet article 212 stipule que « l'Union mène des actions de coopération économique, financière et technique, y compris d'assistance en particulier dans le domaine financier, avec des pays tiers autres que les pays en développement ». Intégrer progressivement la BITD ukrainienne dans la BITDE sur ce fondement nous paraît être une interprétation très extensive du champ de cet article 212.
L'exposé des motifs de la proposition de règlement souligne en outre la nécessité d'apporter une attention particulière à l'objectif consistant à aider l'Ukraine à s'aligner progressivement sur l'acquis de l'Union en vue de son adhésion future.
L'Ukraine a certes obtenu le statut de pays candidat à l'adhésion à l'Union européenne, mais la procédure proposée par la Commission européenne paraît aller au-delà de ce que permettent le processus d'adhésion et les modalités d'approbation par les États membres de l'intégration d'un nouvel État dans l'Union, fixées par l'article 49 du traité sur l'Union européenne. Et si l'on considère qu'il s'agit de politique de défense, il faudrait alors se référer à la base juridique de la PSDC.
M. Dominique de Legge, co-rapporteur. - Je vais pour ma part me concentrer sur ce recours à la base juridique de l'article 114 du TFUE et sur les dispositions qui en découlent. Lors des consultations menées par la Commission européenne, la France avait manifesté son opposition à un recours à cette base juridique. Et elle n'était pas la seule.
Déjà, lorsqu'elle avait proposé son règlement sur les munitions, la Commission y avait eu recours et avait tenté de proposer des dispositions très intrusives dans le domaine de la souveraineté nationale, qui n'avaient pu aboutir à l'époque. Les présidents et les rapporteurs de la commission des affaires européennes et de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat avaient alors saisi conjointement la Première ministre, en juin 2023, afin de marquer leur opposition à ces dispositions.
La Commission européenne revient à la charge avec plusieurs dispositifs qui nous paraissent très intrusifs dans des domaines qui relèvent de la souveraineté nationale et de la responsabilité des États membres.
Elle propose de créer un nouveau « conseil de préparation industrielle dans le domaine de la défense » qui nous paraît empiéter sur les compétences de l'Agence européenne de défense. Il aurait pour mission générale d'assister la Commission européenne, qui le présiderait pour la mise en oeuvre de ce règlement. Il se réunirait également sous la co-présidence de la Commission européenne et du haut représentant/chef de l'Agence « en ce qui concerne la fonction de programmation et d'acquisition conjointes dans le domaine de la défense de l'Union européenne ».
Or, l'article 45 du traité sur l'Union européenne précise que l'Agence européenne de défense, qui est placée sous la seule autorité du Conseil, a pour mission, notamment, de contribuer à identifier les objectifs de capacités militaires des États membres, de promouvoir une harmonisation des besoins opérationnels et l'adoption de méthodes d'acquisition performantes et compatibles, « de contribuer à identifier et, le cas échéant, de mettre en oeuvre, toute mesure utile pour renforcer la base industrielle et technologique du secteur de la défense et pour améliorer l'efficacité des dépenses militaires ».
Sous réserve des moyens qui lui sont attribués, les missions confiées par les traités à l'Agence européenne de défense semblent donc suffisantes pour couvrir l'ensemble des enjeux, dans le cadre prévu par les traités pour la PSDC. Il convient en outre de rappeler le rôle important joué, dans un cadre intergouvernemental incluant notamment le Royaume-Uni, par l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement (OCCAr), qui a porté des programmes emblématiques comme l'A400M.
À nos yeux, la création de ce conseil de préparation industrielle dans le domaine de la défense donnerait de fait à la Commission européenne un rôle que les traités ne lui attribuent pas.
Par ailleurs, au nom de la surveillance et du suivi des chaînes d'approvisionnement, la Commission européenne, en coopération avec ce nouveau conseil, serait amenée à cartographier les chaînes d'approvisionnement de l'Union dans le secteur de la défense et à assurer un suivi régulier des capacités de fabrication de l'Union pour l'approvisionnement en produits nécessaires en cas de crise.
Elle propose également de contribuer à un mécanisme européen de ventes militaires, grâce à un catalogue unique, centralisé et actualisé des produits de défense mis au point par la BITDE, prenant la forme d'une plateforme informatique établie et acquise par la Commission européenne.
Nous considérons que ces mesures relèvent pleinement de la politique de défense, donc de la souveraineté nationale.
De même, la proposition de règlement prévoit la possibilité de mettre en oeuvre des régimes d'« état de crise d'approvisionnement » et d'« état de crise d'approvisionnement liée à la sécurité », qui donneraient à la Commission des prérogatives nouvelles. Elle pourrait ainsi adopter des mesures préventives, collecter un certain nombre d'informations et mettre en place des dispositifs de commandes ou de demandes prioritaires. Certes, il existe des garde-fous, puisque ces régimes seraient activés par une décision du Conseil statuant à la majorité qualifiée, et les commandes ou demandes prioritaires seraient soumises à l'accord préalable de l'État membre d'établissement de l'entreprise concernée.
Pour autant, ces mesures nous paraissent aller au-delà des compétences de la Commission européenne et percuter des dispositifs nationaux relatifs à la sécurité des approvisionnements des forces armées, tels que prévus par la loi de programmation militaire (LPM). Or cela relève de la sécurité nationale qui est de la seule responsabilité des États membres.
Il en va de même pour les limitations que la proposition de règlement entend poser, en cas de régime d'état de crise d'approvisionnement liée à la sécurité, à la faculté de chaque État d'imposer des restrictions au transfert de produits de défense au sein de l'Union européenne.
Il nous semble que ce dispositif empêcherait l'exercice normal, par la délivrance préalable d'une licence, du contrôle par l'État d'éventuels réexports, dans un domaine qui relève de la souveraineté nationale.
Pour ces différentes raisons, nous vous proposons d'adopter la proposition de résolution européenne que nous vous soumettons et qui porte avis motivé pour dénoncer la non-conformité de cette initiative législative européenne aux principes de subsidiarité et de proportionnalité.
La France, par la dimension de son industrie de défense et la capacité de son armée, mais aussi du fait du lien étroit entre politique de défense et politique étrangère, ne peut pas rester passive ni être considérée en la matière comme un État membre parmi d'autres. Les réserves que nous formulons sont partagées par le ministère des armées.
Sans doute le changement de contexte rend-il difficile le recours aux articles relatifs à la PSDC, mais on ne peut pas tordre les traités ainsi.
Même si l'adoption d'un avis motivé ne permettra probablement pas de bloquer le processus, cela constituerait un signal clair et serait un atout pour le gouvernement français dans les négociations à venir.
M. Jean-François Rapin, président. - Merci pour ce rapport préparé en un temps record sur un sujet très important. Il en va de la souveraineté, du respect des traités, de la subsidiarité.
Nous avons reçu cette nuit une note du secrétariat général aux affaires européennes qui renforce votre position. Elle fait référence à l'article 4, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne et à l'article 346 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Elle insiste notamment sur la préservation des compétences nationales dans le domaine de la défense.
Faut-il intégrer ce point ? Je fais confiance aux rapporteurs.
M. Ronan Le Gleut. - Je félicite les rapporteurs pour cette analyse juridique incontestable. Vous avez fait un travail de fond remarquable, en un temps très court. Je soutiendrai cette proposition de résolution européenne.
Néanmoins, la tonalité générale de votre proposition de résolution est empreinte de scepticisme. Nous devons tenir compte de la perspective d'une élection de Donald Trump aux États-Unis, qui aurait un impact considérable sur l'architecture de sécurité et de défense européenne.
Même si Donald Trump devait être le futur président des États-Unis et décidait que les États-Unis restent à part entière membres de l'OTAN, ses déclarations ont de fait fragilisé la portée de l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord, en interrogeant l'automaticité du déclenchement de l'article 5.
Dans ce contexte, nous devons repenser notre architecture de défense. Les Européens doivent oeuvrer, a minima par des déclarations politiques, à renforcer la portée de l'article 42, paragraphe 7, du traité sur l'Union européenne.
Dans ce contexte, la tonalité est importante : les Européens doivent accepter l'idée qu'ils ne pourront éternellement compter sur les États-Unis pour se défendre. Tout ce qui pousse à plus d'autonomie stratégique va dans le bon sens.
La tonalité de la proposition de résolution européenne aurait pu tenir compte de ce changement stratégique potentiel.
M. Jean-François Rapin, président. - Je suis tout à fait d'accord. Les institutions européennes ont le devoir de se réformer, ou du moins de l'envisager. Mais il vous faut aussi veiller au respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité.
Nous l'avons fait valoir à Bruxelles lundi, en allant voir la Commission européenne, le Conseil, puis le Parlement européen. Celui-ci a fait preuve d'une écoute plus importante sur la tentation croissante de la Commission à se référer à l'article 114 du TFUE pour se dédouaner.
On a donné des compétences à l'Union européenne, elles doivent être respectées. Nous envoyons un signal à la Commission européenne pour le réaffirmer avec force.
Mme Gisèle Jourda, co-rapporteure. - J'arrive aux mêmes conclusions sur la tonalité, mais pas par le même regard. Au sein de notre commission, avec notre ancien collègue Yves Pozzo di Borgo, nous avons porté le premier texte demandant de créer un fonds européen de défense. Quel que soit le cadre du multilatéralisme, nous devons avoir une autonomie stratégique en matière de défense, en coexistence à côté de l'OTAN, mais avec son indépendance.
Nous avons rempli à la mission que nous avait donnée le groupe de travail subsidiarité : avec des points de départ différents, on arrive aux mêmes conclusions.
M. Dominique de Legge, co-rapporteur. - Je partage l'analyse de Ronan Le Gleut sur la nécessité d'avoir une défense européenne. Pour cela, elle doit fonctionner sur des bases claires.
Dans cette affaire, la Commission européenne invoque quatre articles car un seul ne peut suffire à être efficace, et sans invoquer la politique de défense commune. C'est ce qui justifie la tonalité de notre rapport : on ne pouvait que pointer cette faiblesse juridique, d'autant plus grave opérationnellement que si l'on va à l'essentiel, ce projet dépossède le Conseil de ses prérogatives de défense pour les transférer à la Commission. Or la coopération en matière de défense relève du Conseil.
J'alerte sur les conséquences qu'un tel texte aurait en France, pour l'export et l'application de la loi de programmation militaire : le ministère de la défense peut demander à l'industrie de défense de faire des stocks et de renoncer à certains exports au profit de notre propre défense. Or si l'on va dans le sens de la Commission, nous nous privons de cette possibilité.
Je partage l'objectif de renforcer la coopération en matière de défense, mais nous devons le faire au niveau du Conseil et non de la Commission. Celle-ci fait fi des deux instances habituellement en charge de cela : l'Agence européenne de défense et l'OCCAr qui permet de travailler avec la Grande-Bretagne.
M. François Bonneau. - Je partage les inquiétudes de Ronan Le Gleut. Les Russes espèrent l'élection de Donald Trump. Mais l'Europe n'est jamais aussi forte que lorsqu'elle est au pied du mur. Elle n'y est pas encore. Il faut veiller à respecter certains équilibres. Nous avons pu voir l'impact des déclarations du Président de la République sur la mutualisation et la dissuasion. Il faut raison garder sur de tels dispositifs.
M. Olivier Henno. - Nous avons tous le même ressenti que Ronan Le Gleut, même si notre rôle est de veiller à la subsidiarité.
Souvent, la Commission européenne a aussi joué un rôle de coup de boutoir. L'Acte unique a accru les prérogatives de la Commission et renforcé les intégrations. Je partage le contenu de la proposition de résolution européenne, mais ne nous étonnons pas de ce qui se passe. La gravité des propos de Donald Trump sur l'article 5 de l'OTAN va bouleverser nos pratiques de défense. Les Européens seront obligés de financer leur défense et de compter sur eux-mêmes, car ils ne se sentent plus protégés par le parapluie américain. Cela tourne la page de la situation existant depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
M. Jean-François Rapin, président. - Derrière les trois « piliers » de l'Union européenne (UE), à savoir la Commission, le Conseil et Parlement européen, n'oublions le rôle essentiel du Conseil européen, au sein duquel siègent les chefs d'État ou de gouvernement. Dans cette instance, on parle d'Ukraine à chaque réunion depuis février 2022. Nous avons besoin d'une Union forte mais en interne, des oppositions vives se manifestent sur le sujet.
Mme Gisèle Jourda, co-rapporteure. - Pour prendre en compte l'observation formulée par Ronan Le Gleut, nous vous proposons d'ajouter un alinéa qui serait formulé ainsi : « il importe de renforcer l'autonomie stratégique de l'Union européenne et de prendre en compte les éventuelles évolutions de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) pouvant découler de la prochaine élection présidentielle aux États-Unis. »
Nous proposons également l'ajout d'un alinéa faisant référence à l'article 346 du TFUE : « il convient de rappeler que l'article 346 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne stipule d'une part, qu'aucun État membre n'est tenu de fournir des renseignements dont il estimerait la divulgation contraire aux intérêts essentiels de sa sécurité et, d'autre part, que tout État membre peut prendre les mesures qu'il estime nécessaires à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité et qui se rapportent à la production ou au commerce d'armes, de munitions et de matériel de guerre, ces mesures ne devant pas altérer les conditions de la concurrence dans le marché intérieur en ce qui concerne les produits non destinés à des fins spécifiquement militaires. »
M. Jean-François Rapin, président. - Ces ajouts permettent en effet de préciser les articles de référence des traités et de tenir compte du débat intervenu en commission ce matin. Ces modifications deviendraient, respectivement, les alinéas 23 et 30 de la proposition de résolution européenne portant avis motivé.
Lundi, nous avons rencontré à la Commission européenne le cabinet du commissaire Maro efèoviè, et notamment son conseiller politique. Alors que je déplorais la référence abusive à l'article 114 du TFUE comme base juridique des initiatives de la Commission, il m'a répondu un peu insolemment : « Que proposez-vous à la place ? » Ce n'est pas à nous de proposer quelque chose, mais à la Commission de trouver comment faire avec les oppositions internes pour éviter de passer en force.
La commission adopte à l'unanimité la proposition de résolution européenne portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité, disponible en ligne sur le site du Sénat.
Environnement et développement durable - Protection des sols - Examen de la proposition de résolution européenne
M. Jean-François Rapin, président. - Nous allons à présent examiner une autre proposition de résolution européenne qui ne traite pas de la conformité d'une initiative législative européenne au principe de subsidiarité, mais du fond d'une proposition de directive laquelle vise à créer un cadre européen pour la protection des sols.
De fait, cette initiative législative répond à une demande formulée par notre assemblée à l'issue des travaux de sa commission d'enquête sur les problèmes sanitaires et écologiques liés aux pollutions des sols et sur les politiques publiques et industrielles de réhabilitation de ces sols. Le rapport final qu'elle a rendu en septembre 2020, signé par Gisèle Jourda et adopté par la commission d'enquête dont Cyril Pellevat était lui aussi membre, appelait en ce domaine à assumer ses responsabilités, réparer les erreurs du passé et penser durablement l'avenir. Nous y sommes, avec cette proposition de créer un cadre européen pour promouvoir durablement une protection des sols à l'échelle de l'Union européenne.
Mme Gisèle Jourda, co-rapporteure. - La commission d'enquête sur les sols dont j'étais rapportrice, et mon collègue Cyril Pellevat, membre, a effectivement rendu son rapport en septembre 2020. Sur le fondement des conclusions de ce rapport, le Sénat a adopté une résolution européenne en juin 2021. Nous poursuivons aujourd'hui notre travail sur ce sujet en procédant à un examen approfondi de la proposition de directive sur la surveillance et la résilience des sols, que la Commission européenne a présentée le 5 juillet 2023.
Il faut le souligner : ce texte a été dévoilé tardivement. Pourtant, sa présentation était annoncée dès novembre 2021 quand fut publiée la nouvelle stratégie de l'Union européenne pour la protection des sols à l'horizon 2030. Cette stratégie vise à établir un cadre pour la protection, la restauration et l'utilisation durable des sols, cohérent avec le Pacte vert pour l'Europe. L'objectif est de parvenir, à l'horizon 2030, à une situation de neutralité en matière de dégradation des terres.
La proposition de directive qui nous est soumise constitue une première étape pour établir les bases d'un cadre juridique européen en faveur de la protection des sols. De nouveaux objectifs pourraient être fixés dans six ans lors de la révision du texte, comme nous l'a indiqué le représentant de la Commission européenne lors de son audition.
Cette proposition de directive a pour objet de donner une base juridique à la collecte de données sur l'état et la qualité des sols et d'harmoniser les dispositifs nationaux dans ce domaine. Il y a fort à faire dans ce domaine, notamment en France avec les nombreuses bases de données. Ce sera plus qu'une harmonisation, une véritable révolution !
Comme vous le savez, la protection des sols est une question particulièrement sensible et complexe dans l'Union européenne, notamment en raison de ses implications sectorielles. La proposition a été plutôt accueillie favorablement par l'ensemble des États membres. Les négociations au Conseil ont commencé et il est envisagé d'adopter une orientation générale lors de la prochaine réunion des ministres de l'environnement, le 17 juin prochain. Le Parlement européen s'est déjà prononcé sur ce texte le 10 avril dernier. Les trilogues ne pourront toutefois débuter que sous la prochaine mandature. Nous sommes satisfaits de voir enfin arriver cette proposition de directive
Les sols sont, en effet, les grands oubliés du droit européen, comme nous l'avions déjà souligné en juin 2021, devant notre commission des affaires européennes, lors d'une précédente communication.
En l'état actuel, il n'existe pas de législation européenne spécifique concernant la surveillance et la protection des sols ainsi que la prévention de leur dégradation, en tant que milieux naturels, contrairement à l'air ou à l'eau. Précédemment nous nous étions notamment heurtés, au niveau national, au droit de propriété.
La commission d'enquête avait donc souhaité relancer le processus d'élaboration d'une directive européenne sur la protection des sols et la prévention de leur dégradation par les activités industrielles ou minières. L'objectif était de bâtir, au niveau européen et national, un véritable droit de la protection des sols en commençant par la réalisation d'une cartographie européenne des sols pollués. Tel était aussi le sens de la proposition de résolution que nous vous avions présentée en juin 2021, et que nous avions adoptée à l'unanimité.
L'absence d'une telle législation résulte principalement de l'échec, en 2014, du processus d'adoption de la proposition de directive, présentée en septembre 2006, qui définissait un cadre pour la protection des sols permettant d'identifier, de prévenir et de remettre en état les sols pollués ou dégradés. Or de nombreuses critiques de la part des États membres avaient empêché son adoption ; la France s'était alors abstenue. Son adoption devait pourtant être la pierre angulaire de la mise en oeuvre d'une véritable politique de protection des sols à l'échelle de l'Union européenne.
Je tiens à rappeler l'importance que revêtent les sols en matière de protection de l'environnement et de préservation de la santé humaine. Selon les données les plus récentes, les sols contiennent, en effet, 59 % de la biodiversité totale de notre planète et abritent presque un quart des espèces vivantes connues. Ils forment donc un patrimoine biologique de tout premier plan.
Or la pollution menace l'ensemble des milieux naturels qui interagissent entre eux ; elle ne connaît pas non plus les frontières. La qualité des sols et la protection de leur santé constituent un enjeu majeur au regard de leurs fonctions et de leurs usages.
Selon les données de la Commission européenne, environ 60 à 70 % des sols de l'Union européenne sont actuellement en mauvaise santé et près de trois millions de sols potentiellement contaminés dont seuls 340 000 pourraient faire l'objet d'une dépollution. Quelque 650 000 sites en Europe ont été, ou sont encore, exposés à des activités polluantes. Le coût de la dégradation des sols dans l'Union européenne est estimé à environ 50 milliards d'euros par an.
La dégradation des sols a, en effet, des incidences considérables sur la protection des eaux, le changement climatique, la santé humaine, la biodiversité et la protection de la nature.
Les États membres ont encore, trop souvent, des approches différentes des sols. Il est essentiel de s'orienter vers une harmonisation de la réglementation pour mettre en oeuvre les politiques environnementales définies par l'Union européenne. Enfin, il ne faut pas non plus ignorer la nature transfrontalière des risques écologiques. Les milieux naturels, comme les nappes phréatiques, ignorent les frontières !
Une action commune de l'Union européenne est à la fois essentielle et légitime.
Tels sont les éléments qui, selon nous, justifient l'opportunité d'une législation protectrice des sols dans l'Union européenne. Les mesures envisagées dans ce texte se concentrent essentiellement sur une évaluation de l'état de sols et la collecte de données précises et complètes.
La Commission européenne a aussi choisi une approche progressive et échelonnée dans le temps pour mettre en oeuvre les principales dispositions du texte. Cette approche tient compte des spécificités nationales et locales, en laissant de réelles marges de manoeuvre aux États membres, et ne remet pas en cause la législation en vigueur dans notre pays.
Cependant, il faut souligner la nécessité de mieux appréhender les réalités territoriales dans la mise en oeuvre des dispositions envisagées, en particulier dans les régions ultrapériphériques de l'Union européenne, ainsi que les spécificités de certains types de sols, comme les sols forestiers.
Les auditions que nous avons réalisées n'ont pas permis d'identifier d'opposition de principe au texte. Les personnes auditionnées ont souligné que la proposition s'inscrivait dans le cadre des politiques européennes et nationales mises en oeuvre pour la préservation de la biodiversité, la capacité de résilience des sols et le stockage du carbone.
M. Cyril Pellevat, co-rapporteur. - Le texte s'articule autour de trois instruments principaux : la mise en place d'un système harmonisé de surveillance de la santé des sols au sein de l'Union s'appuyant sur des données partagées ; la définition de pratiques de gestion durable des sols ; et une évaluation des risques en termes de santé humaine et d'environnement concernant les sols potentiellement contaminés.
Il est prévu un cadre commun de surveillance pour tous les sols et d'évaluation de leur état et de leur qualité dans l'ensemble de l'Union, basé sur des districts de gestion des sols. Ce cadre repose sur une méthodologie et des indicateurs communs à l'ensemble des États membres. Il vise à harmoniser, à l'échelle européenne, l'état des connaissances sur les sols et à disposer de référentiels. Cette évaluation de la santé des sols devrait être réalisée tous les cinq ans.
Les autorités compétentes seraient ainsi chargées d'identifier, dans chaque district de gestion des sols, les zones présentant des sols en mauvais état de santé et de rendre publiques ces données. Il est prévu de réaliser des évaluations de la santé des sols, au moins tous les cinq ans, dans tous les districts de gestion.
La proposition de la Commission européenne en matière de collecte des données est, à ce titre, particulièrement ambitieuse, même si elle la justifie au regard des enjeux environnementaux et sanitaires. Ce dispositif nécessite toutefois de disposer de moyens humains et financiers suffisants pour assurer ce recueil de données et de connaissances. Les besoins financiers nécessaires à la mise en oeuvre de la directive devraient être plus précisément évalués. Il me semble important d'attirer l'attention sur ce point.
Nous partageons l'ambition de la Commission européenne qui doit permettre de disposer de données comparables entre États membres et de favoriser le partage des informations et des connaissances dans le domaine des sols. La quasi-totalité des États membres disposent déjà de dispositifs de surveillance liés à la protection des sols, sur lesquels il convient de s'appuyer, mais des lacunes importantes restent encore à combler et un effort d'harmonisation au niveau européen est nécessaire.
La méthodologie d'évaluation de la santé des sols retenue mérite néanmoins d'être mieux caractérisée. Il nous semble qu'une évaluation, qui détermine un sol comme ne présentant pas un bon état de santé dès lors qu'un seul des critères visés n'est pas satisfait, ne prend pas suffisamment en compte la complexité de leurs caractéristiques ainsi que les services écosystémiques qu'ils rendent. L'analyse des sols doit faire l'objet d'une analyse plus précise et complète.
Par ailleurs, le texte prévoit la mise en place d'un mécanisme de certification volontaire de santé des sols agricoles et forestiers destiné aux propriétaires fonciers et aux gestionnaires de terres : nous avons quelques interrogations sur ce mécanisme. Si les données étaient rendues publiques, il serait de nature à créer des distorsions de concurrence entre les exploitants agricoles. Ce mécanisme de certification pourrait, en effet, conduire à valoriser le prix du foncier ou de certains produits cultivés sur ces sols.
Le texte propose également que les États membres définissent des pratiques de gestion durable des sols, en tenant compte des objectifs et dispositifs existants au niveau national. Un ensemble de mesures sont requises des États membres, telles que des actions de sensibilisation, l'incitation à la recherche, le transfert de connaissances ainsi que des actions financières.
La France a déjà mis en oeuvre des actions qui encouragent ces pratiques, en particulier dans le secteur agricole. Il existe, d'ailleurs, des infrastructures, qui permettent de tester, d'améliorer et de transférer des pratiques de bonne gestion pour la préservation des sols. La définition de ces pratiques doit tenir compte des dispositifs déjà mis en place par les États membres, mais dans un cadre harmonisé au niveau européen. Il est important de ne pas ignorer la diversité des réalités territoriales.
La Commission européenne propose d'introduire dans la législation européenne des principes d'atténuation de l'artificialisation des terres. Cette disposition doit contribuer à éviter, à limiter et à compenser la perte de capacité du sol à fournir différents services écosystémiques. Elle reprend la stratégie dite ERC : « éviter-réduire-compenser ». Comme vous le savez, la France a récemment adopté une législation relative à la consommation d'espaces naturels agricoles et forestiers et l'artificialisation des sols, qui fixe un objectif d'absence de toute artificialisation nette à terme. À ce titre, il serait souhaitable que la directive ne remette pas en cause ce cadre juridique national : sa rédaction actuelle est à cet égard rassurante mais nous devons veiller au grain.
Néanmoins, il convient de clarifier la définition proposée en termes d'artificialisation qui est en contradiction avec les dispositions du code de l'urbanisme.
Enfin, le texte prévoit l'identification de tous les sites pollués ou potentiellement pollués dans un délai de sept ans, en tenant compte d'un certain nombre de facteurs susceptibles d'être à l'origine ou de provoquer des pollutions. Ces sites devront faire l'objet d'une analyse systématique des sols. La Commission européenne a ainsi privilégié une approche fondée sur les risques liés à la contamination des sols selon leurs usages ; c'est l'approche que nous partageons et que nous soutenons. Une telle approche ne remet pas non plus en cause celle du droit français en matière de prévention de la pollution des sols.
Il s'agit de maintenir, à un niveau acceptable, les risques liés aux sites pollués ou potentiellement pollués en tenant compte des incidences environnementales, sociales et économiques de la pollution des sols et des mesures de réduction des risques adoptées.
La proposition de résolution que nous avions adoptée demandait la réalisation par chaque État membre d'une cartographie des risques sanitaires et environnementaux liés aux pollutions des sols.
Toutes ces mesures ne bénéficient cependant d'aucune nouvelle source de financement. La Commission européenne propose de les financer dans le cadre des plans stratégiques nationaux, élaborés par les États membres, au titre de la PAC, ce qui ne devrait pas s'envisager.
Telles sont les observations que nous avons souhaité faire sur cette proposition de directive sur la surveillance et la résilience des sols. Elles sont rassemblées dans la proposition de résolution européenne que nous vous soumettons. Nous sommes très motivés sur ce sujet. Nous considérons, en effet, que lutter contre la pollution des sols doit sans délai devenir une priorité des politiques nationales et européennes. Les sols continuent à se dégrader. Or l'absence de politique globale en la matière au sein de l'Union européenne nuit à la protection des sols et à la prévention de leur dégradation.
M. Jean-François Rapin, président. - Je vous remercie.
Mme Mathilde Ollivier. - Je me félicite de cette proposition de directive sur ce sujet, qui est essentielle et s'inscrit dans un travail de long terme de la Commission européenne alliant objectifs concrets, avancées législatives, recherche et innovation dans le cadre du dernier programme Horizon Europe : un des buts importants de cette directive est d'avoir une bonne connaissance des sols dégradés.
Certaines ONG déplorent que la directive porte avant tout sur la surveillance et n'inclue pas la restauration des sols. Malgré ce manque d'ambition, les objectifs fixés restent bons, et je soutiendrai cette proposition de résolution européenne.
M. Daniel Gremillet. - La cadence quinquennale prévue pour l'inventaire est trop rapprochée. Les coûts administratifs et de gestion seront énormes et peu d'éléments nouveaux seront apportés par un tel cadencement. Ce n'est pas pertinent. Une fois que la base de données aura été créée et qu'il faudra juste l'enrichir, ce ne sera pas un problème. Mais il faut d'abord créer une base de données harmonisée au niveau communautaire. Prévoir d'emblée une évaluation tous les cinq ans n'est pas sérieux : nous n'avons pas les moyens de réaliser les choses correctement.
Ensuite, la proposition de directive, qui établit qu'un seul critère sur les six ou sept prévus suffit à considérer qu'un sol est en danger, me semble receler des contradictions : certaines de ses dispositions entrent en contradiction avec d'autres politiques européennes, notamment la politique agricole. Ainsi, les dispositions relatives à la gestion de l'herbe doivent être harmonisées, au risque que la réglementation européenne augmente le risque d'érosion des sols. Par exemple, il est demandé aux agriculteurs de labourer leurs prairies tous les cinq ans alors que la flore est suffisamment riche pour que les sols ne soient pas labourés pendant sept ans au moins.
Autre exemple de contradiction qu'emporterait la directive, avec les règles relatives à la gestion forestière cette fois-ci : les sols compactés. Il ne faudrait tout de même pas revenir à l'époque de l'exploitation forestière, alors que, on le sait, les forêts jouent un rôle de plus en plus important en matière de développement durable. Grâce aux nouvelles pratiques agricoles, on ne fait plus n'importe quoi ; désormais, on perce des chemins dans les parcelles, on évite que les engins tassent la terre !
Ces dispositions, je le regrette, vont augmenter le nombre de produits fabriqués hors de l'Union européenne que nous importerons ensuite. Il faut trouver un juste milieu.
D'ailleurs, je n'évoque même pas la pollution industrielle des sites orphelins, dont sont victimes tous nos territoires. Les établissements publics fonciers (EPF) s'en soucient, mais ce sont les collectivités territoriales qui doivent dépolluer, ce qui demande des investissements énormes pour limiter les risques et faire en sorte que les sites soient de nouveau constructibles.
Mme Gisèle Jourda, co-rapporteure. - Tout n'est pas négatif dans la directive, même si elle ne couvre pas l'ensemble des problèmes. C'est une bonne chose de pouvoir travailler sur ces sujets en 2024 et non, comme c'était initialement prévu, en 2030 !
Je partage complètement les propos de notre collègue Daniel Gremillet sur la gestion forestière. Certaines orientations entravent l'exploitation forestière.
Nous intégrerons des points de vigilance sur cette question, car l'on ne peut rester sourds à de tels arguments.
Je serai prudente sur la question de la santé des sols, car il nous faut devenir vertueux, mais il n'y a pas lieu de précipiter le mouvement. Nous devons accompagner nos agriculteurs, d'autant plus que les jeunes souhaitent préserver la santé des sols, notamment pour limiter la pollution et l'utilisation de pesticides.
M. Daniel Gremillet. - Sans allonger nos débats, je donnerai un autre exemple, tiré de la culture du maïs. Il y a vingt ans, les sols étaient nus l'hiver, ce qui accentuait beaucoup leur érosion. Aujourd'hui, les agriculteurs sèment de l'herbe l'hiver, au point que la présence herbagère est plus longue que la culture du maïs. Or la réglementation agricole européenne ne permet pas de comptabiliser dans la solde herbagère le travail de couverture en herbes de l'agriculteur ; seule la culture du maïs compte. Autrement dit, le travail du paysan pour limiter l'érosion, pour capter les nitrates, n'est pas pris en compte. C'est un angle mort de la réglementation européenne.
M. Jean-François Rapin, président. - N'est-ce pas pris en compte dans les paiements pour services environnementaux en agriculture ?
M. Daniel Gremillet. - Non, et nous l'avions pourtant recommandé.
D'ailleurs, les agriculteurs ne demandent pas une compensation financière. Ils souhaitent que la surface en herbe soit comptabilisée comme surface herbagère, afin de leur éviter des pénalités... Voilà un exemple concret !
La commission autorise la publication du rapport et adopte la proposition de résolution européenne.
La réunion est close à 10 h 45.