Jeudi 30 mai 2024

- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -

La réunion est ouverte à 8 h 30.

Politique étrangère et de défense - Programme pour l'industrie européenne de la défense (EDIP) - Examen de la proposition de résolution européenne portant avis motivé sur la conformité de cette proposition législative au principe de subsidiarité

M. Jean-François Rapin, président. - Nous nous penchons ce matin sur deux sujets sensibles : l'industrie de la défense et la protection des sols. Ces sujets, attentivement suivis par les commissions permanentes du Sénat, prennent aujourd'hui une dimension européenne qui appelle notre commission à s'y pencher également.

Nous débuterons notre réunion par l'examen d'une proposition de résolution européenne, qui résulte du travail de vérification que nous avons jugé utile de mener sur la conformité au principe de subsidiarité d'une récente initiative législative, proposée par la Commission européenne et destinée à renforcer l'industrie européenne de la défense. En effet, le groupe de travail subsidiarité de notre commission avait jugé, le 7 mai dernier, que ce texte semblait aller trop loin et ne pas respecter la répartition des compétences entre l'Union et les États membres en matière de défense. Les trois rapporteurs sur ces sujets, après avoir mené des investigations en un temps record, proposent à notre commission d'adopter un avis motivé : il s'agit de faire valoir que, certes, la guerre en Ukraine oblige à avancer plus vite pour consolider la base industrielle européenne en matière de défense, mais que, pour autant, les traités européens doivent être respectés.

Mme Gisèle Jourda, co-rapporteure. - Nous retrouvons, au travers du projet d'avis motivé que nous vous présentons, des sujets que nous avons évoqués à plusieurs reprises au cours des derniers mois concernant les initiatives de la Commission européenne en matière d'industrie de défense.

C'est bien un enjeu institutionnel qui se pose ici, la Commission européenne souhaitant intervenir de manière croissante dans un domaine, celui de la défense, qui ne relève pas de ses compétences.

En vue d'établir la position que nous vous présentons, nous avons travaillé conjointement avec notre collègue Jean-Luc Ruelle, qui sera le rapporteur, devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, du texte que nous vous proposons d'adopter ce matin.

Nous avons auditionné des représentants de la Commission européenne - en particulier le directeur en charge de l'industrie de défense au sein de la direction générale de l'industrie de la défense et de l'espace -, des représentants du Secrétariat général des affaires européennes et de la direction des affaires juridiques du ministère des armées, ainsi que le cabinet du ministre des armées. Jean-Luc Ruelle a en outre auditionné une professeure de droit public à l'université de Lille.

La Commission européenne et le haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ont présenté, le 5 mars dernier, une stratégie pour l'industrie européenne de la défense (EDIS). Nous nous penchons ce matin sur la proposition de règlement relatif à l'établissement du programme pour l'industrie européenne de la défense et d'un cadre de mesures visant à assurer la disponibilité et la fourniture en temps utiles de produits de défense, connu sous l'acronyme EDIP, qui est la déclinaison opérationnelle de cette stratégie.

Cette proposition de règlement s'inscrit dans le prolongement de la déclaration de Versailles, de la communication conjointe sur l'analyse des déficits d'investissement dans le domaine de la défense et de deux textes d'urgence adoptés en 2023 pour faire face à la guerre en Ukraine, que nous avions évoqués devant notre commission : le règlement relatif au soutien à la production de munitions (ASAP) et l'instrument visant à renforcer l'industrie européenne de la défense au moyen d'acquisitions conjointes (Edirpa).

Cette proposition de règlement vise d'abord à soutenir la préparation de l'Union et de ses États membres dans le domaine de la défense, par un renforcement de la compétitivité, de la réactivité et de la capacité de la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE). Elle vise également à garantir la disponibilité et la fourniture en temps utile de produits de défense. Elle vise enfin à contribuer au redressement, à la reconstruction et à la modernisation de la base industrielle et technologique de défense ukrainienne.

Le texte proposé comprend ainsi 67 articles, répartis en trois piliers. Il repose sur quatre bases juridiques tirées de quatre articles différents des traités : ces bases sont détaillées dans le document qui vous a été transmis et nous allons y revenir.

Quatre bases juridiques différentes, mais pas une qui renvoie à l'article du traité qui fonde la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), ce qui aurait impliqué un examen de cette proposition législative par le Conseil statuant à l'unanimité.

La Commission européenne pousse clairement son avantage institutionnel, en mettant en avant l'interdépendance des économies et des entreprises participant à la base industrielle et technologique de défense. Et dès lors qu'il s'agirait d'améliorer le fonctionnement du marché intérieur, dont les produits de défense ne seraient qu'une des composantes parmi tant d'autres, la Commission s'estime légitime pour intervenir.

Lors de notre dernière communication sur ces sujets, en janvier dernier, nous avions rappelé que la Présidente de la Commission européenne avait appelé à « concevoir notre Union comme étant intrinsèquement un projet de sécurité » et que la prochaine étape, selon elle, serait celle « d'une Union européenne de la défense à part entière ». Elle avait évoqué la possibilité de nommer un commissaire à la défense dans le cadre du prochain collège des commissaires.

Lorsque nous avions auditionné le secrétaire général adjoint du Service européen pour l'action extérieure, M. Charles Fries, il avait eu à ce sujet une réponse qui résume les enjeux auxquels nous sommes confrontés. Il avait en effet affirmé qu'« un commissaire à la défense ne pourrait être qu'un commissaire à l'industrie de la défense, car la défense n'est pas une compétence de la Commission, mais exclusivement des États membres. Il n'y a pas d'armée européenne. Le rôle du haut représentant est donc de coordonner les efforts en matière de défense et de sécurité des États membres. Il ne saurait y avoir un commissaire à la défense en tant que tel ».

On est ici au coeur du sujet. Nous comprenons évidemment le nouveau contexte stratégique résultant de la guerre en Ukraine et nous rappelons que le Sénat a déjà pris position à plusieurs reprises pour soutenir l'Ukraine et ses forces armées. Nous partageons évidemment la nécessité de renforcer la BITDE et d'accompagner la consolidation de celle de l'Ukraine.

Nous pourrions d'ailleurs considérer, comme cela nous été dit lors des auditions, que la Commission européenne aurait pu prendre d'autres initiatives pour permettre un meilleur accès du secteur de la défense aux financements privés, ce qui constitue un enjeu majeur pour permettre le renforcement de la BITDE. Nous pensons également qu'il est urgent de revoir le mandat de la Banque européenne d'investissement, afin qu'elle soutienne pleinement le secteur de la défense européen. Nous regrettons enfin que, trop souvent, certains États membres ne contribuent pas au développement de la BITDE en achetant des matériels militaires en dehors de l'Union européenne, et notamment aux États-Unis.

Il reste qu'à nos yeux, la Commission européenne cherche, par le biais de ce texte, à aller au-delà de son champ de compétences et à empiéter sur les compétences des États membres.

Nous critiquons également la procédure d'élaboration de la proposition de ce règlement. Certes, la Commission européenne s'est appuyée sur des travaux antérieurs et a procédé à la consultation des parties prenantes dans le cadre de la préparation de la stratégie pour l'industrie européenne de la défense.

Nous déplorons toutefois que la Commission européenne n'ait pas réalisé d'étude d'impact sur un texte aussi significatif pour les enjeux de souveraineté nationale. Elle avance que le délai imparti pour présenter le texte ne le lui permettait pas. C'est peu crédible, puisque ce texte devait initialement être présenté en novembre 2023. Elle s'engage désormais à fournir un document de travail de ses services pour mieux justifier la proposition mais, de fait, compte tenu des délais qui s'imposent aux parlements nationaux pour effectuer le contrôle de subsidiarité, nous ne pourrons pas le prendre en compte.

M. François Bonneau, co-rapporteur. - Nous nous étonnons ensuite de l'absence de recours à la base juridique de la PSDC. D'après l'article 4 du traité sur l'Union européenne, « toute compétence non attribuée à l'Union dans les traités appartient aux États membres ». Cet article précise également qu'« en particulier, la sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre ».

L'article 42 du traité sur l'Union européenne stipule pour sa part que « la politique de sécurité et de défense commune fait partie intégrante de la politique étrangère et de sécurité commune », qu'elle « inclut la définition progressive d'une politique de défense commune de l'Union » et qu'elle « conduira à une défense commune, dès lors que le Conseil européen, statuant à l'unanimité, en aura décidé ainsi ». Or tel n'est pas le cas aujourd'hui.

Les décisions en matière de PSDC sont adoptées par le Conseil statuant à l'unanimité, sur proposition du haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ou sur initiative d'un État membre. On se situe donc bien dans un processus de décision intergouvernemental, dans lequel la Commission européenne n'intervient pas.

L'article 42 du traité sur l'Union européenne stipule en outre que l'Agence européenne de défense « identifie les besoins opérationnels, promeut des mesures pour les satisfaire, contribue à identifier et, le cas échéant, mettre en oeuvre toute mesure utile pour renforcer la base industrielle et technologique du secteur de la défense, participe à la définition d'une politique européenne des capacités et de l'armement, et assiste le Conseil dans l'évaluation de l'amélioration des capacités militaires ».

Dès lors que le renforcement de la base industrielle et technologique du secteur de la défense fait partie des missions de l'Agence européenne de défense, dans le cadre de la PSDC, nous nous étonnons que la Commission européenne propose un texte qui ne s'appuie en aucune manière sur une base juridique fondant cette politique alors qu'à l'évidence, certaines dispositions proposées s'y rapportent.

Nous comprenons bien les enjeux liés au changement de contexte stratégique mais le contexte de la guerre en Ukraine ne saurait conduire à méconnaître la lettre et l'esprit des traités qui ont été ratifiés par les États membres.

Nous estimons que le recours à quatre bases juridiques distinctes, sans même viser la base juridique de la politique de sécurité et de défense commune, résulte de la volonté de la Commission européenne de proposer un texte d'ensemble, sur une base exclusivement communautaire. Le texte comprend une grande diversité de dispositions qu'il aurait été possible de scinder en différents textes fondés sur des bases juridiques plus adéquates.

Ayant dit cela, tout dans ce texte ne paraît pas contestable, bien au contraire, et je veux souligner que le Gouvernement français soutient largement la dynamique générale impulsée par la Commission européenne, dans le sillage de la présidence française du Conseil et à la demande du Conseil européen.

Nous comprenons le recours aux bases juridiques que constituent les articles 173 et 322 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), et les dispositions qui en découlent ne nous semblent pas soulever de difficulté au regard du respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité.

L'article 173 permet à la Commission européenne de prendre des initiatives pour promouvoir la coordination des États membres en vue d'assurer la compétitivité de l'industrie de l'Union. Il porte les mesures du premier pilier de la proposition de règlement visant à assurer la compétitivité de la BITDE. Les règlements ASAP et Edirpa s'appuyaient également, en tout ou partie, sur cet article et le gouvernement n'a émis aucune objection à une référence à cette base juridique.

Il en va de même pour l'article 322 du TFUE, qui traite des sujets financiers.

L'octroi d'une enveloppe budgétaire d'1,5 milliard d'euros pour la période allant jusqu'en 2027 afin d'instaurer un programme visant à renforcer la BITDE ne soulève pas d'objection de notre part.

De même, la mise en place d'un fonds pour l'accélération de la transformation des chaînes d'approvisionnement dans le secteur de la défense, la possibilité de mettre en oeuvre des projets de défense européens d'intérêt commun ou encore de créer des structures pour programmes d'armements européens ne nous semblent pas non plus appeler de remarques au regard du respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité.

Tel n'est pas le cas de la référence faite à l'article 114 du traité sur le TFUE, qui stipule que le Parlement européen et le Conseil arrêtent « les mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont pour objet l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur ».

Nous avons également des réserves sur le recours à l'article 212 du même traité pour justifier le troisième pilier de la proposition, qui comprend des mesures destinées à contribuer « au redressement, à la reconstruction et à la modernisation de la BITD ukrainienne et à son intégration progressive dans la BITDE ». Cet article 212 stipule que « l'Union mène des actions de coopération économique, financière et technique, y compris d'assistance en particulier dans le domaine financier, avec des pays tiers autres que les pays en développement ». Intégrer progressivement la BITD ukrainienne dans la BITDE sur ce fondement nous paraît être une interprétation très extensive du champ de cet article 212.

L'exposé des motifs de la proposition de règlement souligne en outre la nécessité d'apporter une attention particulière à l'objectif consistant à aider l'Ukraine à s'aligner progressivement sur l'acquis de l'Union en vue de son adhésion future.

L'Ukraine a certes obtenu le statut de pays candidat à l'adhésion à l'Union européenne, mais la procédure proposée par la Commission européenne paraît aller au-delà de ce que permettent le processus d'adhésion et les modalités d'approbation par les États membres de l'intégration d'un nouvel État dans l'Union, fixées par l'article 49 du traité sur l'Union européenne. Et si l'on considère qu'il s'agit de politique de défense, il faudrait alors se référer à la base juridique de la PSDC.

M. Dominique de Legge, co-rapporteur. - Je vais pour ma part me concentrer sur ce recours à la base juridique de l'article 114 du TFUE et sur les dispositions qui en découlent. Lors des consultations menées par la Commission européenne, la France avait manifesté son opposition à un recours à cette base juridique. Et elle n'était pas la seule.

Déjà, lorsqu'elle avait proposé son règlement sur les munitions, la Commission y avait eu recours et avait tenté de proposer des dispositions très intrusives dans le domaine de la souveraineté nationale, qui n'avaient pu aboutir à l'époque. Les présidents et les rapporteurs de la commission des affaires européennes et de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat avaient alors saisi conjointement la Première ministre, en juin 2023, afin de marquer leur opposition à ces dispositions.

La Commission européenne revient à la charge avec plusieurs dispositifs qui nous paraissent très intrusifs dans des domaines qui relèvent de la souveraineté nationale et de la responsabilité des États membres.

Elle propose de créer un nouveau « conseil de préparation industrielle dans le domaine de la défense » qui nous paraît empiéter sur les compétences de l'Agence européenne de défense. Il aurait pour mission générale d'assister la Commission européenne, qui le présiderait pour la mise en oeuvre de ce règlement. Il se réunirait également sous la co-présidence de la Commission européenne et du haut représentant/chef de l'Agence « en ce qui concerne la fonction de programmation et d'acquisition conjointes dans le domaine de la défense de l'Union européenne ».

Or, l'article 45 du traité sur l'Union européenne précise que l'Agence européenne de défense, qui est placée sous la seule autorité du Conseil, a pour mission, notamment, de contribuer à identifier les objectifs de capacités militaires des États membres, de promouvoir une harmonisation des besoins opérationnels et l'adoption de méthodes d'acquisition performantes et compatibles, « de contribuer à identifier et, le cas échéant, de mettre en oeuvre, toute mesure utile pour renforcer la base industrielle et technologique du secteur de la défense et pour améliorer l'efficacité des dépenses militaires ».

Sous réserve des moyens qui lui sont attribués, les missions confiées par les traités à l'Agence européenne de défense semblent donc suffisantes pour couvrir l'ensemble des enjeux, dans le cadre prévu par les traités pour la PSDC. Il convient en outre de rappeler le rôle important joué, dans un cadre intergouvernemental incluant notamment le Royaume-Uni, par l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement (OCCAr), qui a porté des programmes emblématiques comme l'A400M.

À nos yeux, la création de ce conseil de préparation industrielle dans le domaine de la défense donnerait de fait à la Commission européenne un rôle que les traités ne lui attribuent pas.

Par ailleurs, au nom de la surveillance et du suivi des chaînes d'approvisionnement, la Commission européenne, en coopération avec ce nouveau conseil, serait amenée à cartographier les chaînes d'approvisionnement de l'Union dans le secteur de la défense et à assurer un suivi régulier des capacités de fabrication de l'Union pour l'approvisionnement en produits nécessaires en cas de crise.

Elle propose également de contribuer à un mécanisme européen de ventes militaires, grâce à un catalogue unique, centralisé et actualisé des produits de défense mis au point par la BITDE, prenant la forme d'une plateforme informatique établie et acquise par la Commission européenne.

Nous considérons que ces mesures relèvent pleinement de la politique de défense, donc de la souveraineté nationale.

De même, la proposition de règlement prévoit la possibilité de mettre en oeuvre des régimes d'« état de crise d'approvisionnement » et d'« état de crise d'approvisionnement liée à la sécurité », qui donneraient à la Commission des prérogatives nouvelles. Elle pourrait ainsi adopter des mesures préventives, collecter un certain nombre d'informations et mettre en place des dispositifs de commandes ou de demandes prioritaires. Certes, il existe des garde-fous, puisque ces régimes seraient activés par une décision du Conseil statuant à la majorité qualifiée, et les commandes ou demandes prioritaires seraient soumises à l'accord préalable de l'État membre d'établissement de l'entreprise concernée.

Pour autant, ces mesures nous paraissent aller au-delà des compétences de la Commission européenne et percuter des dispositifs nationaux relatifs à la sécurité des approvisionnements des forces armées, tels que prévus par la loi de programmation militaire (LPM). Or cela relève de la sécurité nationale qui est de la seule responsabilité des États membres.

Il en va de même pour les limitations que la proposition de règlement entend poser, en cas de régime d'état de crise d'approvisionnement liée à la sécurité, à la faculté de chaque État d'imposer des restrictions au transfert de produits de défense au sein de l'Union européenne.

Il nous semble que ce dispositif empêcherait l'exercice normal, par la délivrance préalable d'une licence, du contrôle par l'État d'éventuels réexports, dans un domaine qui relève de la souveraineté nationale.

Pour ces différentes raisons, nous vous proposons d'adopter la proposition de résolution européenne que nous vous soumettons et qui porte avis motivé pour dénoncer la non-conformité de cette initiative législative européenne aux principes de subsidiarité et de proportionnalité.

La France, par la dimension de son industrie de défense et la capacité de son armée, mais aussi du fait du lien étroit entre politique de défense et politique étrangère, ne peut pas rester passive ni être considérée en la matière comme un État membre parmi d'autres. Les réserves que nous formulons sont partagées par le ministère des armées.

Sans doute le changement de contexte rend-il difficile le recours aux articles relatifs à la PSDC, mais on ne peut pas tordre les traités ainsi.

Même si l'adoption d'un avis motivé ne permettra probablement pas de bloquer le processus, cela constituerait un signal clair et serait un atout pour le gouvernement français dans les négociations à venir.

M. Jean-François Rapin, président. - Merci pour ce rapport préparé en un temps record sur un sujet très important. Il en va de la souveraineté, du respect des traités, de la subsidiarité.

Nous avons reçu cette nuit une note du secrétariat général aux affaires européennes qui renforce votre position. Elle fait référence à l'article 4, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne et à l'article 346 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Elle insiste notamment sur la préservation des compétences nationales dans le domaine de la défense.

Faut-il intégrer ce point ? Je fais confiance aux rapporteurs.

M. Ronan Le Gleut. - Je félicite les rapporteurs pour cette analyse juridique incontestable. Vous avez fait un travail de fond remarquable, en un temps très court. Je soutiendrai cette proposition de résolution européenne.

Néanmoins, la tonalité générale de votre proposition de résolution est empreinte de scepticisme. Nous devons tenir compte de la perspective d'une élection de Donald Trump aux États-Unis, qui aurait un impact considérable sur l'architecture de sécurité et de défense européenne.

Même si Donald Trump devait être le futur président des États-Unis et décidait que les États-Unis restent à part entière membres de l'OTAN, ses déclarations ont de fait fragilisé la portée de l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord, en interrogeant l'automaticité du déclenchement de l'article 5.

Dans ce contexte, nous devons repenser notre architecture de défense. Les Européens doivent oeuvrer, a minima par des déclarations politiques, à renforcer la portée de l'article 42, paragraphe 7, du traité sur l'Union européenne.

Dans ce contexte, la tonalité est importante : les Européens doivent accepter l'idée qu'ils ne pourront éternellement compter sur les États-Unis pour se défendre. Tout ce qui pousse à plus d'autonomie stratégique va dans le bon sens.

La tonalité de la proposition de résolution européenne aurait pu tenir compte de ce changement stratégique potentiel.

M. Jean-François Rapin, président. - Je suis tout à fait d'accord. Les institutions européennes ont le devoir de se réformer, ou du moins de l'envisager. Mais il vous faut aussi veiller au respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité.

Nous l'avons fait valoir à Bruxelles lundi, en allant voir la Commission européenne, le Conseil, puis le Parlement européen. Celui-ci a fait preuve d'une écoute plus importante sur la tentation croissante de la Commission à se référer à l'article 114 du TFUE pour se dédouaner.

On a donné des compétences à l'Union européenne, elles doivent être respectées. Nous envoyons un signal à la Commission européenne pour le réaffirmer avec force.

Mme Gisèle Jourda, co-rapporteure. - J'arrive aux mêmes conclusions sur la tonalité, mais pas par le même regard. Au sein de notre commission, avec notre ancien collègue Yves Pozzo di Borgo, nous avons porté le premier texte demandant de créer un fonds européen de défense. Quel que soit le cadre du multilatéralisme, nous devons avoir une autonomie stratégique en matière de défense, en coexistence à côté de l'OTAN, mais avec son indépendance.

Nous avons rempli à la mission que nous avait donnée le groupe de travail subsidiarité : avec des points de départ différents, on arrive aux mêmes conclusions.

M. Dominique de Legge, co-rapporteur. - Je partage l'analyse de Ronan Le Gleut sur la nécessité d'avoir une défense européenne. Pour cela, elle doit fonctionner sur des bases claires.

Dans cette affaire, la Commission européenne invoque quatre articles car un seul ne peut suffire à être efficace, et sans invoquer la politique de défense commune. C'est ce qui justifie la tonalité de notre rapport : on ne pouvait que pointer cette faiblesse juridique, d'autant plus grave opérationnellement que si l'on va à l'essentiel, ce projet dépossède le Conseil de ses prérogatives de défense pour les transférer à la Commission. Or la coopération en matière de défense relève du Conseil.

J'alerte sur les conséquences qu'un tel texte aurait en France, pour l'export et l'application de la loi de programmation militaire : le ministère de la défense peut demander à l'industrie de défense de faire des stocks et de renoncer à certains exports au profit de notre propre défense. Or si l'on va dans le sens de la Commission, nous nous privons de cette possibilité.

Je partage l'objectif de renforcer la coopération en matière de défense, mais nous devons le faire au niveau du Conseil et non de la Commission. Celle-ci fait fi des deux instances habituellement en charge de cela : l'Agence européenne de défense et l'OCCAr qui permet de travailler avec la Grande-Bretagne.

M. François Bonneau. - Je partage les inquiétudes de Ronan Le Gleut. Les Russes espèrent l'élection de Donald Trump. Mais l'Europe n'est jamais aussi forte que lorsqu'elle est au pied du mur. Elle n'y est pas encore. Il faut veiller à respecter certains équilibres. Nous avons pu voir l'impact des déclarations du Président de la République sur la mutualisation et la dissuasion. Il faut raison garder sur de tels dispositifs.

M. Olivier Henno. - Nous avons tous le même ressenti que Ronan Le Gleut, même si notre rôle est de veiller à la subsidiarité.

Souvent, la Commission européenne a aussi joué un rôle de coup de boutoir. L'Acte unique a accru les prérogatives de la Commission et renforcé les intégrations. Je partage le contenu de la proposition de résolution européenne, mais ne nous étonnons pas de ce qui se passe. La gravité des propos de Donald Trump sur l'article 5 de l'OTAN va bouleverser nos pratiques de défense. Les Européens seront obligés de financer leur défense et de compter sur eux-mêmes, car ils ne se sentent plus protégés par le parapluie américain. Cela tourne la page de la situation existant depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

M. Jean-François Rapin, président. - Derrière les trois « piliers » de l'Union européenne (UE), à savoir la Commission, le Conseil et Parlement européen, n'oublions le rôle essentiel du Conseil européen, au sein duquel siègent les chefs d'État ou de gouvernement. Dans cette instance, on parle d'Ukraine à chaque réunion depuis février 2022. Nous avons besoin d'une Union forte mais en interne, des oppositions vives se manifestent sur le sujet.

Mme Gisèle Jourda, co-rapporteure. - Pour prendre en compte l'observation formulée par Ronan Le Gleut, nous vous proposons d'ajouter un alinéa qui serait formulé ainsi : « il importe de renforcer l'autonomie stratégique de l'Union européenne et de prendre en compte les éventuelles évolutions de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) pouvant découler de la prochaine élection présidentielle aux États-Unis. »

Nous proposons également l'ajout d'un alinéa faisant référence à l'article 346 du TFUE : « il convient de rappeler que l'article 346 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne stipule d'une part, qu'aucun État membre n'est tenu de fournir des renseignements dont il estimerait la divulgation contraire aux intérêts essentiels de sa sécurité et, d'autre part, que tout État membre peut prendre les mesures qu'il estime nécessaires à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité et qui se rapportent à la production ou au commerce d'armes, de munitions et de matériel de guerre, ces mesures ne devant pas altérer les conditions de la concurrence dans le marché intérieur en ce qui concerne les produits non destinés à des fins spécifiquement militaires. »

M. Jean-François Rapin, président. - Ces ajouts permettent en effet de préciser les articles de référence des traités et de tenir compte du débat intervenu en commission ce matin. Ces modifications deviendraient, respectivement, les alinéas 23 et 30 de la proposition de résolution européenne portant avis motivé.

Lundi, nous avons rencontré à la Commission européenne le cabinet du commissaire Maro efèoviè, et notamment son conseiller politique. Alors que je déplorais la référence abusive à l'article 114 du TFUE comme base juridique des initiatives de la Commission, il m'a répondu un peu insolemment : « Que proposez-vous à la place ? » Ce n'est pas à nous de proposer quelque chose, mais à la Commission de trouver comment faire avec les oppositions internes pour éviter de passer en force.

La commission adopte à l'unanimité la proposition de résolution européenne portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité, disponible en ligne sur le site du Sénat.

Proposition de résolution européenne portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l'établissement du programme pour l'industrie européenne de la défense et d'un cadre de mesures visant à assurer la disponibilité et la fourniture en temps utile des produits de défense
COM(2024) 150 final

Déclinaison opérationnelle de la stratégie pour l'industrie européenne de la défense (EDIS) présentée par la Commission européenne et le haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité le 5 mars 2024, la proposition de règlement COM(2024) 150 final s'inscrit dans le prolongement de la déclaration de Versailles du 11 mars 2022, de la communication conjointe sur l'analyse des déficits d'investissement dans le domaine de la défense du 18 mai 2022 et des deux textes d'urgence adoptés en 2023 pour faire face à la guerre en Ukraine : le règlement relatif au soutien à la production de munitions (ASAP) et l'instrument visant à renforcer l'industrie européenne de la défense au moyen d'acquisitions conjointes (EDIRPA).

L'exposé des motifs relève que cette proposition de règlement COM(2024) 150 final « établit un ensemble de mesures et définit un budget visant, d'une part, à soutenir la préparation de l'Union et de ses États membres dans le domaine de la défense par un renforcement de la compétitivité, de la réactivité et de la capacité de la base industrielle et technologie de défense européenne (BITDE) et à garantir la disponibilité et la fourniture en temps utile de produits de défense et, d'autre part, à contribuer au redressement, à la reconstruction et à la modernisation de la base industrielle et technologique de défense (BITD) ukrainienne ».

Le texte proposé comprend ainsi 67 articles répartis en trois piliers, reposant sur quatre bases juridiques différentes :

- un premier pilier « visant à ce que les conditions nécessaires soient réunies pour assurer la compétitivité de la base industrielle et technologique de la défense européenne (BITDE) ». Ce pilier est fondé sur l'article 173 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui stipule notamment que « l'Union et les États membres veillent à ce que les conditions nécessaires à la compétitivité de l'industrie de l'Union soient assurées », que leur action s'inscrit dans un « système de marchés ouverts et concurrentiels » et que « les États membres se consultent mutuellement en liaison avec la Commission et, pour autant que de besoin, coordonnent leurs actions. La Commission peut prendre toute initiative utile pour promouvoir cette coordination, notamment des initiatives en vue d'établir des orientations et des indicateurs, d'organiser l'échange des meilleures pratiques et de préparer les éléments nécessaires à la surveillance et à l'évaluation périodiques » ;

- un deuxième pilier concernant le marché européen des équipements de défense (MEED), fondé sur l'article 114 du TFUE qui stipule notamment que « le Parlement européen et le Conseil (...) arrêtent les mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont pour objet l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur » ;

- un troisième pilier comprenant des mesures destinées à contribuer « au redressement, à la reconstruction et à la modernisation de la BITD ukrainienne et à son intégration progressive dans la BITDE », les opérations de l'Union européenne venant « compléter et renforcer celles menées par les États membres ». La Commission européenne se fonde cette fois sur l'article 212 du TFUE, qui stipule que « l'Union mène des actions de coopération économique, financière et technique, y compris d'assistance en particulier dans le domaine financier, avec des pays tiers autres que les pays en développement. Ces actions sont cohérentes avec la politique de développement de l'Union et sont menées dans le cadre des principes et objectifs de son action extérieure. Les actions de l'Union et des États membres se complètent et se renforcent mutuellement ». L'exposé des motifs de la proposition de règlement souligne en outre la nécessité « d'apporter une attention particulière à l'objectif consistant à aider l'Ukraine à s'aligner progressivement sur les règles, normes, politiques et pratiques (l'» acquis ») de l'Union en vue de son adhésion future à l'Union ».

Les dispositions financières de la proposition de règlement reposent sur l'article 322 du TFUE, lequel stipule en particulier que « le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, et après consultation de la Cour des comptes, adoptent par voie de règlements : a) les règles financières qui fixent notamment les modalités relatives à l'établissement et à l'exécution du budget et à la reddition et à la vérification des comptes ; b) les règles qui organisent le contrôle de la responsabilité des acteurs financiers, et notamment des ordonnateurs et des comptables ». L'enveloppe budgétaire que la Commission européenne propose d'allouer au programme visant à renforcer la BITDE s'élève à 1,5 milliard d'euros en prix courants pour la période allant jusqu'au 31 décembre 2027. Des contributions financières viendraient en supplément afin de financer les actions visant à renforcer la BITD ukrainienne, sous réserve de la conclusion d'un accord-cadre entre l'Union européenne et l'Ukraine.

Vu l'article 88-6 de la Constitution,

Vu l'article 73 octies du Règlement du Sénat,

Le Sénat émet les observations suivantes :

Concernant la procédure d'élaboration de la proposition de règlement au regard du contrôle de subsidiarité exercé par les parlements nationaux :

- l'article 4 du traité sur l'Union européenne stipule que « toute compétence non attribuée à l'Union dans les traités appartient aux États membres » et précise qu'» en particulier, la sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre » ;

- l'article 5 du traité sur l'Union européenne stipule que « le principe d'attribution régit la délimitation des compétences de l'Union. Les principes de subsidiarité et de proportionnalité régissent l'exercice de ces compétences » et qu'» en vertu du principe d'attribution, l'Union n'agit que dans les limites des compétences que les États membres lui ont attribuées dans les traités pour atteindre les objectifs que ces traités établissent. Toute compétence non attribuée à l'Union dans les traités appartient aux États membres »,

- le Sénat, comme la commission des affaires européennes l'a indiqué dans son rapport portant contribution du Sénat au groupe de travail « Subsidiarité et proportionnalité » de la Commission européenne, considère que le contrôle de subsidiarité, confié par le traité sur l'Union européenne aux parlements nationaux, conduit à porter une appréciation sur les textes au regard du principe de subsidiarité mais aussi du principe de proportionnalité des mesures envisagées, ces deux principes étant étroitement liés ;

- même si le texte proposé s'appuie sur des travaux antérieurs et si une procédure de consultation des parties prenantes a été menée par la Commission européenne dans le cadre de la préparation de la stratégie pour l'industrie européenne de la défense (EDIS), le Sénat déplore que la Commission européenne n'ait pas réalisé d'étude d'impact sur un texte aussi significatif pour les enjeux de souveraineté nationale. L'argument avancé par la Commission européenne, selon laquelle « le délai imparti afin de présenter une proposition relative à l'EDIP à temps pour les discussions qui se tiendront lors du Conseil européen de mars 2024 » ne le permettait pas, apparaît peu crédible, la présentation de ce texte ayant été initialement envisagée en novembre 2023. Le document de travail de ses services que la Commission européenne s'est engagée à publier dans un délai de trois mois à compter de la présentation de ce texte ne pourra pas être pris en compte par les parlements nationaux dans le cadre de leur contrôle du respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité, compte tenu des délais qui s'imposent à eux en cette matière, ce qui est particulièrement regrettable ;

Concernant l'absence de recours à une base juridique fondant la politique de sécurité et de défense commune, qui s'exerce dans un cadre intergouvernemental

- l'article 42 du traité sur l'Union européenne stipule notamment que « la politique de sécurité et de défense commune fait partie intégrante de la politique étrangère et de sécurité commune », qu'elle « inclut la définition progressive d'une politique de défense commune de l'Union » et qu'elle « conduira à une défense commune, dès lors que le Conseil européen, statuant à l'unanimité, en aura décidé ainsi » ;

- l'article 42 du traité sur l'Union européenne stipule en outre que l'Agence européenne de défense « identifie les besoins opérationnels, promeut des mesures pour les satisfaire, contribue à identifier et, le cas échéant, mettre en oeuvre toute mesure utile pour renforcer la base industrielle et technologique du secteur de la défense, participe à la définition d'une politique européenne des capacités et de l'armement, et assiste le Conseil dans l'évaluation de l'amélioration des capacités militaires » ;

- il apparaît dès lors curieux que la Commission européenne propose un texte ne s'appuyant en aucune manière sur une base juridique fondant la politique de sécurité et de défense commune, alors qu'à l'évidence, certaines dispositions proposées s'y rapportent ;

- il ressort de la lecture combinée des articles 4, 5, 42 et 45 du traité sur l'Union européenne que la politique de défense reste une compétence nationale, la politique de sécurité et de défense commune s'exerçant dans un cadre intergouvernemental ;

- la Commission européenne justifie le texte proposé par le changement de contexte stratégique découlant de la guerre d'agression lancée par la Fédération de Russie contre l'Ukraine et affirme que « les États membres sont tributaires de la capacité de la BITDE à répondre aux besoins de leurs forces armées en temps utile et à la bonne échelle. Les dommages causés à l'Ukraine et à sa base industrielle de défense par la guerre d'agression menée par la Russie sont d'une ampleur telle que l'Ukraine aura besoin d'un soutien important et durable qu'aucun État membre à lui seul ne peut fournir. Il est donc primordial de veiller à ce que la BITDE et la BITD ukrainienne soient en mesure d'exercer ce rôle stratégique. Une action menée à l'échelle européenne semble être la solution la plus adaptée dans ce domaine » ;

- le contexte de la guerre en Ukraine impose certes de développer une défense mieux ajustée aux dimensions de l'Europe, ce qui implique sans doute d'améliorer la compétitivité de la base industrielle et technologique de défense européenne, de remédier à la fragmentation du marché européen de la défense, mais aussi de soutenir les capacités de défense propres des États membres et de mieux coordonner leurs politiques de défense respectives ;

- il importe de renforcer l'autonomie stratégique de l'Union européenne et de prendre en compte les éventuelles évolutions de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) pouvant découler de la prochaine élection présidentielle aux États-Unis ;

- une telle perspective ne saurait en revanche conduire à méconnaître la lettre et l'esprit des traités qui ont été ratifiés par les États membres conformément à leurs règles constitutionnelles respectives, ce qui constituerait une violation des règles de l'État de droit ;

- le recours à quatre bases juridiques distinctes, sans même viser la base juridique de la politique de sécurité et de défense commune, résulte de la volonté de la Commission européenne de proposer un texte d'ensemble, dans une logique exclusivement communautaire, comprenant une grande diversité de dispositions, qu'il aurait été possible de scinder en différents textes fondés sur les bases juridiques les plus adéquates ;

Concernant le recours aux bases juridiques des articles 173 et 322 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et les dispositions qui se fondent dessus

- le recours aux articles 173 et 322 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et les dispositions qui en découlent ne semblent pas soulever de difficulté au regard du respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Les règlements précités relatif au soutien à la production de munitions (ASAP) et à l'instrument visant à renforcer l'industrie européenne de la défense au moyen d'acquisitions conjointes (EDIRPA) s'appuyaient également, en tout ou partie, sur l'article 173 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. L'octroi d'une enveloppe budgétaire d'1,5 milliard d'euros pour la période allant jusqu'en 2027 afin d'instaurer un programme visant à renforcer la BITDE, la mise en place d'un fonds pour l'accélération de la transformation des chaînes d'approvisionnement dans le secteur de la défense (FAST), la possibilité de mettre en oeuvre des projets de défense européens d'intérêt commun ou encore de créer des structures pour programmes d'armements européens (SEAP) n'appellent ainsi pas de remarques au regard du respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité ;

Concernant le recours à la base juridique de l'article 114 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et les dispositions qui se fondent dessus

- le recours à l'article 114 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et les dispositions qui en découlent apparaissent contestables. Lors des consultations menées par la Commission européenne en vue de l'élaboration de la stratégie pour l'industrie européenne de la défense, certains États membres, en particulier la France, avaient d'emblée marqué leur opposition à un recours à cette base juridique ;

- il convient de rappeler que l'article 346 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne stipule d'une part, qu'aucun État membre n'est tenu de fournir des renseignements dont il estimerait la divulgation contraire aux intérêts essentiels de sa sécurité et, d'autre part, que tout État membre peut prendre les mesures qu'il estime nécessaires à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité et qui se rapportent à la production ou au commerce d'armes, de munitions et de matériel de guerre, ces mesures ne devant pas altérer les conditions de la concurrence dans le marché intérieur en ce qui concerne les produits non destinés à des fins spécifiquement militaires ;

- dans la proposition de règlement COM(2024) 150 final, la Commission européenne propose à nouveau des dispositions initialement envisagées dans le cadre de la proposition de règlement relatif au soutien à la production de munitions (ASAP) sur ce fondement, lesquelles avaient été supprimées en raison de l'opposition des États membres concernant, en particulier, le dispositif de cartographie et de remontées d'informations à la Commission européenne, la possibilité de passer des commandes prioritaires ou encore le droit pour les entreprises d'effectuer des transferts d'équipements militaires au sein de l'Union sans obtenir du gouvernement concerné la licence d'exportation habituellement requise. Les présidents et rapporteurs de la commission des affaires européennes et de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat avaient alors saisi conjointement la Première ministre, en juin 2023, afin de marquer leur opposition à ces dispositions ;

- l'article 40 de la proposition de règlement prévoit ainsi, au nom de la surveillance et du suivi des chaînes d'approvisionnement, que la Commission européenne, en coopération avec le conseil de préparation industrielle dans le domaine de la défense qu'elle propose de créer, cartographie les chaînes d'approvisionnement de l'Union dans le secteur de la défense ; l'article 41 permettrait également à la Commission européenne d'assurer un suivi régulier des capacités de fabrication de l'Union nécessaires à l'approvisionnement en produits nécessaires en cas de crise ; l'article 14, visant à contribuer à un mécanisme européen de ventes militaires, permettrait notamment l'établissement d'un catalogue unique, centralisé et actualisé des produits de défense mis au point par la BITDE, prenant la forme d'une plateforme informatique établie et acquise par la Commission européenne sur la base de consultations avec le conseil de préparation industrielle dans le domaine de la défense. Ces mesures sont particulièrement intrusives dans un domaine relevant par essence de la souveraineté nationale ;

- la création d'un conseil de préparation industrielle dans le domaine de la défense, prévue par son article 57, paraît en outre empiéter sur les compétences de l'Agence européenne de défense. Aux termes de cet article, ce nouveau conseil, qui aurait pour mission générale d'assister la Commission européenne, serait présidé par cette dernière pour la mise en oeuvre de ce règlement et, selon la communication précitée sur la stratégie pour l'industrie européenne de la défense, se réunirait sous la co-présidence de la Commission européenne et du haut-représentant/chef de l'Agence « en ce qui concerne la fonction de programmation et d'acquisition conjointes dans le domaine de la défense de l'Union européenne ». Il réunirait les États membres, le haut représentant/chef de l'Agence et la Commission européenne, dans différents formats, pour assurer la fonction de programmation et d'acquisition conjointes dans le domaine de la défense de l'Union européenne et soutenir la mise en oeuvre du programme pour l'industrie européenne de la défense. La communication précitée précise qu'il favoriserait également « la coordination et la déconfliction des plans d'acquisition des États membres et fournirait des orientations stratégiques en vue de mieux faire coïncider l'offre et la demande » ;

- or, l'article 45 du traité sur l'Union européenne, qui précise les missions de l'Agence européenne de défense, stipule que celle-ci, placée sous l'autorité du Conseil et non sous une autorité conjointe avec la Commission européenne, a pour mission de contribuer à identifier les objectifs de capacités militaires des États membres et à évaluer le respect des engagements de capacités souscrits par les États membres ; de promouvoir une harmonisation des besoins opérationnels et l'adoption de méthodes d'acquisition performantes et compatibles ; de proposer des projets multilatéraux pour remplir les objectifs en termes de capacités militaires et d'assurer la coordination des programmes exécutés par les États membres et la gestion de programmes de coopération spécifiques ; de soutenir la recherche en matière de technologie de défense, de coordonner et de planifier des activités de recherche conjointes et des études de solutions techniques répondant aux besoins opérationnels futurs ; de contribuer à identifier et, le cas échéant, de mettre en oeuvre, toute mesure utile pour renforcer la base industrielle et technologique du secteur de la défense et pour améliorer l'efficacité des dépenses militaires ;

- sous réserve des moyens qui lui sont attribués, les missions confiées par les traités à l'Agence européenne de défense semblent à cet égard suffisantes pour couvrir l'ensemble des enjeux, dans le cadre prévu par les traités pour la politique de sécurité et de défense commune. Il convient en outre de rappeler le rôle important joué, dans un cadre intergouvernemental incluant notamment le Royaume-Uni, par l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement (OCCAr) ;

- la création d'un conseil de préparation industrielle dans le domaine de la défense donnerait de fait à la Commission européenne un rôle que les traités ne lui attribuent pas ;

- les articles 43 à 50 de la proposition de règlement prévoient que des régimes d'» état de crise d'approvisionnement » et d'» état de crise d'approvisionnement liée à la sécurité », lorsqu'une telle crise est « survenue » ou « réputée être survenue », pourraient être activés en cas de risque de perturbation grave d'un produit nécessaire en cas de crise. L'activation de ces régimes, décidée par le Conseil statuant à la majorité qualifiée, permettrait alors à la Commission européenne d'adopter des mesures préventives, de collecter un certain nombre d'informations et de mettre en place des dispositifs de commandes prioritaires de produits qui ne sont pas des produits de défense, mais dont des pénuries importantes empêchent la fourniture, la réparation ou l'entretien de produits de défense, ou de demandes prioritaires de produits de défense - certes soumis à l'accord préalable de l'État membre d'établissement de l'entreprise concernée -, assortis de sanctions lorsque les opérateurs ne s'y conforment pas. De tels régimes, compte tenu de la primauté du droit européen sur le droit interne, primeraient en cas de conflit avec les dispositifs nationaux relatifs, notamment, à la sécurité des approvisionnements des forces armées tels que prévus par la loi de programmation militaire du 1er août 2023 et priveraient en partie l'État de l'exercice de ses compétences dans un domaine absolu de souveraineté, relevant de la sécurité nationale qui est de la seule responsabilité des États membres en application de l'article 4 du traité sur l'Union européenne ;

- l'article 51 de la proposition de règlement, en disposant que les États membres s'abstiennent, en régime d'état de crise d'approvisionnement liée à la sécurité, d'imposer des restrictions au transfert de produits de défense qui ne seraient pas transparentes, dûment motivées, proportionnées, pertinentes et spécifiques, ainsi que non discriminatoires, empêcherait l'exercice normal, par la délivrance préalable d'une licence, du contrôle par l'État d'éventuels réexports, dans un domaine qui relève de la souveraineté nationale ;

Concernant le recours à la base juridique de l'article 212 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne

- le troisième pilier du règlement proposé par la Commission européenne, sur le fondement de l'article 212 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, comprend des mesures destinées, selon l'exposé des motifs, à contribuer « au redressement, à la reconstruction et à la modernisation de la BITD ukrainienne et à son intégration progressive dans la BITDE » ;

- le Sénat a marqué à plusieurs reprises son soutien à l'Ukraine et, en particulier, à ses forces armées. Pour autant, s'appuyer sur l'article 212 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, relatif à la « coopération économique, financière et technique, y compris d'assistance en particulier dans le domaine financier, avec des pays tiers autres que les pays en développement », apparaît inadapté, l'objectif poursuivi étant bien plus large puisqu'il vise, selon l'exposé des motifs de la proposition, à « aider l'Ukraine à s'aligner progressivement sur les règles, normes, politiques et pratiques (l'» acquis ») de l'Union en vue de son adhésion future à l'Union » ;

- si l'Ukraine a obtenu le statut de pays candidat à l'adhésion à l'Union européenne, à l'issue de la réunion du Conseil européen des 23 et 24 juin 2022, la procédure proposée par la Commission européenne paraît aller au-delà de ce que permettent le processus d'adhésion et les modalités d'approbation par les États membres fixées par l'article 49 du traité sur l'Union européenne, aux termes duquel « les conditions de l'admission et les adaptations que cette admission entraîne en ce qui concerne les traités sur lesquels est fondée l'Union, font l'objet d'un accord entre les États membres et l'État demandeur. Ledit accord est soumis à la ratification par tous les États contractants, conformément à leurs règles constitutionnelles respective ».

*

Pour ces raisons, le Sénat estime que la proposition de règlement COM(2024) 150 final n'est pas conforme, dans sa rédaction actuelle, à l'article 5 du traité sur l'Union européenne et au protocole n° 2 annexé à ce traité.

Environnement et développement durable - Protection des sols - Examen de la proposition de résolution européenne

M. Jean-François Rapin, président. - Nous allons à présent examiner une autre proposition de résolution européenne qui ne traite pas de la conformité d'une initiative législative européenne au principe de subsidiarité, mais du fond d'une proposition de directive laquelle vise à créer un cadre européen pour la protection des sols.

De fait, cette initiative législative répond à une demande formulée par notre assemblée à l'issue des travaux de sa commission d'enquête sur les problèmes sanitaires et écologiques liés aux pollutions des sols et sur les politiques publiques et industrielles de réhabilitation de ces sols. Le rapport final qu'elle a rendu en septembre 2020, signé par Gisèle Jourda et adopté par la commission d'enquête dont Cyril Pellevat était lui aussi membre, appelait en ce domaine à assumer ses responsabilités, réparer les erreurs du passé et penser durablement l'avenir. Nous y sommes, avec cette proposition de créer un cadre européen pour promouvoir durablement une protection des sols à l'échelle de l'Union européenne.

Mme Gisèle Jourda, co-rapporteure. - La commission d'enquête sur les sols dont j'étais rapportrice, et mon collègue Cyril Pellevat, membre, a effectivement rendu son rapport en septembre 2020. Sur le fondement des conclusions de ce rapport, le Sénat a adopté une résolution européenne en juin 2021. Nous poursuivons aujourd'hui notre travail sur ce sujet en procédant à un examen approfondi de la proposition de directive sur la surveillance et la résilience des sols, que la Commission européenne a présentée le 5 juillet 2023.

Il faut le souligner : ce texte a été dévoilé tardivement. Pourtant, sa présentation était annoncée dès novembre 2021 quand fut publiée la nouvelle stratégie de l'Union européenne pour la protection des sols à l'horizon 2030. Cette stratégie vise à établir un cadre pour la protection, la restauration et l'utilisation durable des sols, cohérent avec le Pacte vert pour l'Europe. L'objectif est de parvenir, à l'horizon 2030, à une situation de neutralité en matière de dégradation des terres.

La proposition de directive qui nous est soumise constitue une première étape pour établir les bases d'un cadre juridique européen en faveur de la protection des sols. De nouveaux objectifs pourraient être fixés dans six ans lors de la révision du texte, comme nous l'a indiqué le représentant de la Commission européenne lors de son audition.

Cette proposition de directive a pour objet de donner une base juridique à la collecte de données sur l'état et la qualité des sols et d'harmoniser les dispositifs nationaux dans ce domaine. Il y a fort à faire dans ce domaine, notamment en France avec les nombreuses bases de données. Ce sera plus qu'une harmonisation, une véritable révolution !

Comme vous le savez, la protection des sols est une question particulièrement sensible et complexe dans l'Union européenne, notamment en raison de ses implications sectorielles. La proposition a été plutôt accueillie favorablement par l'ensemble des États membres. Les négociations au Conseil ont commencé et il est envisagé d'adopter une orientation générale lors de la prochaine réunion des ministres de l'environnement, le 17 juin prochain. Le Parlement européen s'est déjà prononcé sur ce texte le 10 avril dernier. Les trilogues ne pourront toutefois débuter que sous la prochaine mandature. Nous sommes satisfaits de voir enfin arriver cette proposition de directive

Les sols sont, en effet, les grands oubliés du droit européen, comme nous l'avions déjà souligné en juin 2021, devant notre commission des affaires européennes, lors d'une précédente communication.

En l'état actuel, il n'existe pas de législation européenne spécifique concernant la surveillance et la protection des sols ainsi que la prévention de leur dégradation, en tant que milieux naturels, contrairement à l'air ou à l'eau. Précédemment nous nous étions notamment heurtés, au niveau national, au droit de propriété.

La commission d'enquête avait donc souhaité relancer le processus d'élaboration d'une directive européenne sur la protection des sols et la prévention de leur dégradation par les activités industrielles ou minières. L'objectif était de bâtir, au niveau européen et national, un véritable droit de la protection des sols en commençant par la réalisation d'une cartographie européenne des sols pollués. Tel était aussi le sens de la proposition de résolution que nous vous avions présentée en juin 2021, et que nous avions adoptée à l'unanimité.

L'absence d'une telle législation résulte principalement de l'échec, en 2014, du processus d'adoption de la proposition de directive, présentée en septembre 2006, qui définissait un cadre pour la protection des sols permettant d'identifier, de prévenir et de remettre en état les sols pollués ou dégradés. Or de nombreuses critiques de la part des États membres avaient empêché son adoption ; la France s'était alors abstenue. Son adoption devait pourtant être la pierre angulaire de la mise en oeuvre d'une véritable politique de protection des sols à l'échelle de l'Union européenne.

Je tiens à rappeler l'importance que revêtent les sols en matière de protection de l'environnement et de préservation de la santé humaine. Selon les données les plus récentes, les sols contiennent, en effet, 59 % de la biodiversité totale de notre planète et abritent presque un quart des espèces vivantes connues. Ils forment donc un patrimoine biologique de tout premier plan.

Or la pollution menace l'ensemble des milieux naturels qui interagissent entre eux ; elle ne connaît pas non plus les frontières. La qualité des sols et la protection de leur santé constituent un enjeu majeur au regard de leurs fonctions et de leurs usages.

Selon les données de la Commission européenne, environ 60 à 70 % des sols de l'Union européenne sont actuellement en mauvaise santé et près de trois millions de sols potentiellement contaminés dont seuls 340 000 pourraient faire l'objet d'une dépollution. Quelque 650 000 sites en Europe ont été, ou sont encore, exposés à des activités polluantes. Le coût de la dégradation des sols dans l'Union européenne est estimé à environ 50 milliards d'euros par an.

La dégradation des sols a, en effet, des incidences considérables sur la protection des eaux, le changement climatique, la santé humaine, la biodiversité et la protection de la nature.

Les États membres ont encore, trop souvent, des approches différentes des sols. Il est essentiel de s'orienter vers une harmonisation de la réglementation pour mettre en oeuvre les politiques environnementales définies par l'Union européenne. Enfin, il ne faut pas non plus ignorer la nature transfrontalière des risques écologiques. Les milieux naturels, comme les nappes phréatiques, ignorent les frontières !

Une action commune de l'Union européenne est à la fois essentielle et légitime.

Tels sont les éléments qui, selon nous, justifient l'opportunité d'une législation protectrice des sols dans l'Union européenne. Les mesures envisagées dans ce texte se concentrent essentiellement sur une évaluation de l'état de sols et la collecte de données précises et complètes.

La Commission européenne a aussi choisi une approche progressive et échelonnée dans le temps pour mettre en oeuvre les principales dispositions du texte. Cette approche tient compte des spécificités nationales et locales, en laissant de réelles marges de manoeuvre aux États membres, et ne remet pas en cause la législation en vigueur dans notre pays.

Cependant, il faut souligner la nécessité de mieux appréhender les réalités territoriales dans la mise en oeuvre des dispositions envisagées, en particulier dans les régions ultrapériphériques de l'Union européenne, ainsi que les spécificités de certains types de sols, comme les sols forestiers.

Les auditions que nous avons réalisées n'ont pas permis d'identifier d'opposition de principe au texte. Les personnes auditionnées ont souligné que la proposition s'inscrivait dans le cadre des politiques européennes et nationales mises en oeuvre pour la préservation de la biodiversité, la capacité de résilience des sols et le stockage du carbone.

M. Cyril Pellevat, co-rapporteur. - Le texte s'articule autour de trois instruments principaux : la mise en place d'un système harmonisé de surveillance de la santé des sols au sein de l'Union s'appuyant sur des données partagées ; la définition de pratiques de gestion durable des sols ; et une évaluation des risques en termes de santé humaine et d'environnement concernant les sols potentiellement contaminés.

Il est prévu un cadre commun de surveillance pour tous les sols et d'évaluation de leur état et de leur qualité dans l'ensemble de l'Union, basé sur des districts de gestion des sols. Ce cadre repose sur une méthodologie et des indicateurs communs à l'ensemble des États membres. Il vise à harmoniser, à l'échelle européenne, l'état des connaissances sur les sols et à disposer de référentiels. Cette évaluation de la santé des sols devrait être réalisée tous les cinq ans.

Les autorités compétentes seraient ainsi chargées d'identifier, dans chaque district de gestion des sols, les zones présentant des sols en mauvais état de santé et de rendre publiques ces données. Il est prévu de réaliser des évaluations de la santé des sols, au moins tous les cinq ans, dans tous les districts de gestion.

La proposition de la Commission européenne en matière de collecte des données est, à ce titre, particulièrement ambitieuse, même si elle la justifie au regard des enjeux environnementaux et sanitaires. Ce dispositif nécessite toutefois de disposer de moyens humains et financiers suffisants pour assurer ce recueil de données et de connaissances. Les besoins financiers nécessaires à la mise en oeuvre de la directive devraient être plus précisément évalués. Il me semble important d'attirer l'attention sur ce point.

Nous partageons l'ambition de la Commission européenne qui doit permettre de disposer de données comparables entre États membres et de favoriser le partage des informations et des connaissances dans le domaine des sols. La quasi-totalité des États membres disposent déjà de dispositifs de surveillance liés à la protection des sols, sur lesquels il convient de s'appuyer, mais des lacunes importantes restent encore à combler et un effort d'harmonisation au niveau européen est nécessaire.

La méthodologie d'évaluation de la santé des sols retenue mérite néanmoins d'être mieux caractérisée. Il nous semble qu'une évaluation, qui détermine un sol comme ne présentant pas un bon état de santé dès lors qu'un seul des critères visés n'est pas satisfait, ne prend pas suffisamment en compte la complexité de leurs caractéristiques ainsi que les services écosystémiques qu'ils rendent. L'analyse des sols doit faire l'objet d'une analyse plus précise et complète.

Par ailleurs, le texte prévoit la mise en place d'un mécanisme de certification volontaire de santé des sols agricoles et forestiers destiné aux propriétaires fonciers et aux gestionnaires de terres : nous avons quelques interrogations sur ce mécanisme. Si les données étaient rendues publiques, il serait de nature à créer des distorsions de concurrence entre les exploitants agricoles. Ce mécanisme de certification pourrait, en effet, conduire à valoriser le prix du foncier ou de certains produits cultivés sur ces sols.

Le texte propose également que les États membres définissent des pratiques de gestion durable des sols, en tenant compte des objectifs et dispositifs existants au niveau national. Un ensemble de mesures sont requises des États membres, telles que des actions de sensibilisation, l'incitation à la recherche, le transfert de connaissances ainsi que des actions financières.

La France a déjà mis en oeuvre des actions qui encouragent ces pratiques, en particulier dans le secteur agricole. Il existe, d'ailleurs, des infrastructures, qui permettent de tester, d'améliorer et de transférer des pratiques de bonne gestion pour la préservation des sols. La définition de ces pratiques doit tenir compte des dispositifs déjà mis en place par les États membres, mais dans un cadre harmonisé au niveau européen. Il est important de ne pas ignorer la diversité des réalités territoriales.

La Commission européenne propose d'introduire dans la législation européenne des principes d'atténuation de l'artificialisation des terres. Cette disposition doit contribuer à éviter, à limiter et à compenser la perte de capacité du sol à fournir différents services écosystémiques. Elle reprend la stratégie dite ERC : « éviter-réduire-compenser ». Comme vous le savez, la France a récemment adopté une législation relative à la consommation d'espaces naturels agricoles et forestiers et l'artificialisation des sols, qui fixe un objectif d'absence de toute artificialisation nette à terme. À ce titre, il serait souhaitable que la directive ne remette pas en cause ce cadre juridique national : sa rédaction actuelle est à cet égard rassurante mais nous devons veiller au grain.

Néanmoins, il convient de clarifier la définition proposée en termes d'artificialisation qui est en contradiction avec les dispositions du code de l'urbanisme.

Enfin, le texte prévoit l'identification de tous les sites pollués ou potentiellement pollués dans un délai de sept ans, en tenant compte d'un certain nombre de facteurs susceptibles d'être à l'origine ou de provoquer des pollutions. Ces sites devront faire l'objet d'une analyse systématique des sols. La Commission européenne a ainsi privilégié une approche fondée sur les risques liés à la contamination des sols selon leurs usages ; c'est l'approche que nous partageons et que nous soutenons. Une telle approche ne remet pas non plus en cause celle du droit français en matière de prévention de la pollution des sols.

Il s'agit de maintenir, à un niveau acceptable, les risques liés aux sites pollués ou potentiellement pollués en tenant compte des incidences environnementales, sociales et économiques de la pollution des sols et des mesures de réduction des risques adoptées.

La proposition de résolution que nous avions adoptée demandait la réalisation par chaque État membre d'une cartographie des risques sanitaires et environnementaux liés aux pollutions des sols.

Toutes ces mesures ne bénéficient cependant d'aucune nouvelle source de financement. La Commission européenne propose de les financer dans le cadre des plans stratégiques nationaux, élaborés par les États membres, au titre de la PAC, ce qui ne devrait pas s'envisager.

Telles sont les observations que nous avons souhaité faire sur cette proposition de directive sur la surveillance et la résilience des sols. Elles sont rassemblées dans la proposition de résolution européenne que nous vous soumettons. Nous sommes très motivés sur ce sujet. Nous considérons, en effet, que lutter contre la pollution des sols doit sans délai devenir une priorité des politiques nationales et européennes. Les sols continuent à se dégrader. Or l'absence de politique globale en la matière au sein de l'Union européenne nuit à la protection des sols et à la prévention de leur dégradation.

M. Jean-François Rapin, président. - Je vous remercie.

Mme Mathilde Ollivier. - Je me félicite de cette proposition de directive sur ce sujet, qui est essentielle et s'inscrit dans un travail de long terme de la Commission européenne alliant objectifs concrets, avancées législatives, recherche et innovation dans le cadre du dernier programme Horizon Europe : un des buts importants de cette directive est d'avoir une bonne connaissance des sols dégradés.

Certaines ONG déplorent que la directive porte avant tout sur la surveillance et n'inclue pas la restauration des sols. Malgré ce manque d'ambition, les objectifs fixés restent bons, et je soutiendrai cette proposition de résolution européenne.

M. Daniel Gremillet. - La cadence quinquennale prévue pour l'inventaire est trop rapprochée. Les coûts administratifs et de gestion seront énormes et peu d'éléments nouveaux seront apportés par un tel cadencement. Ce n'est pas pertinent. Une fois que la base de données aura été créée et qu'il faudra juste l'enrichir, ce ne sera pas un problème. Mais il faut d'abord créer une base de données harmonisée au niveau communautaire. Prévoir d'emblée une évaluation tous les cinq ans n'est pas sérieux : nous n'avons pas les moyens de réaliser les choses correctement.

Ensuite, la proposition de directive, qui établit qu'un seul critère sur les six ou sept prévus suffit à considérer qu'un sol est en danger, me semble receler des contradictions : certaines de ses dispositions entrent en contradiction avec d'autres politiques européennes, notamment la politique agricole. Ainsi, les dispositions relatives à la gestion de l'herbe doivent être harmonisées, au risque que la réglementation européenne augmente le risque d'érosion des sols. Par exemple, il est demandé aux agriculteurs de labourer leurs prairies tous les cinq ans alors que la flore est suffisamment riche pour que les sols ne soient pas labourés pendant sept ans au moins.

Autre exemple de contradiction qu'emporterait la directive, avec les règles relatives à la gestion forestière cette fois-ci : les sols compactés. Il ne faudrait tout de même pas revenir à l'époque de l'exploitation forestière, alors que, on le sait, les forêts jouent un rôle de plus en plus important en matière de développement durable. Grâce aux nouvelles pratiques agricoles, on ne fait plus n'importe quoi ; désormais, on perce des chemins dans les parcelles, on évite que les engins tassent la terre !

Ces dispositions, je le regrette, vont augmenter le nombre de produits fabriqués hors de l'Union européenne que nous importerons ensuite. Il faut trouver un juste milieu.

D'ailleurs, je n'évoque même pas la pollution industrielle des sites orphelins, dont sont victimes tous nos territoires. Les établissements publics fonciers (EPF) s'en soucient, mais ce sont les collectivités territoriales qui doivent dépolluer, ce qui demande des investissements énormes pour limiter les risques et faire en sorte que les sites soient de nouveau constructibles.

Mme Gisèle Jourda, co-rapporteure. - Tout n'est pas négatif dans la directive, même si elle ne couvre pas l'ensemble des problèmes. C'est une bonne chose de pouvoir travailler sur ces sujets en 2024 et non, comme c'était initialement prévu, en 2030 !

Je partage complètement les propos de notre collègue Daniel Gremillet sur la gestion forestière. Certaines orientations entravent l'exploitation forestière.

Nous intégrerons des points de vigilance sur cette question, car l'on ne peut rester sourds à de tels arguments.

Je serai prudente sur la question de la santé des sols, car il nous faut devenir vertueux, mais il n'y a pas lieu de précipiter le mouvement. Nous devons accompagner nos agriculteurs, d'autant plus que les jeunes souhaitent préserver la santé des sols, notamment pour limiter la pollution et l'utilisation de pesticides.

M. Daniel Gremillet. - Sans allonger nos débats, je donnerai un autre exemple, tiré de la culture du maïs. Il y a vingt ans, les sols étaient nus l'hiver, ce qui accentuait beaucoup leur érosion. Aujourd'hui, les agriculteurs sèment de l'herbe l'hiver, au point que la présence herbagère est plus longue que la culture du maïs. Or la réglementation agricole européenne ne permet pas de comptabiliser dans la solde herbagère le travail de couverture en herbes de l'agriculteur ; seule la culture du maïs compte. Autrement dit, le travail du paysan pour limiter l'érosion, pour capter les nitrates, n'est pas pris en compte. C'est un angle mort de la réglementation européenne.

M. Jean-François Rapin, président. - N'est-ce pas pris en compte dans les paiements pour services environnementaux en agriculture ?

M. Daniel Gremillet. - Non, et nous l'avions pourtant recommandé.

D'ailleurs, les agriculteurs ne demandent pas une compensation financière. Ils souhaitent que la surface en herbe soit comptabilisée comme surface herbagère, afin de leur éviter des pénalités... Voilà un exemple concret !

La commission autorise la publication du rapport et adopte la proposition de résolution européenne.

Proposition de résolution européenne sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la surveillance et à la résilience des sols
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COM(2023) 416 final

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu l'article 192 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,

Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 16 avril 2002 intitulée « Vers une stratégie thématique pour la protection des sols », COM(2002) 179 final,

Vu la Charte européenne révisée sur la protection et la gestion durable des sols adoptée par le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe le 28 mai 2003,

Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 22 septembre 2006 intitulée « Stratégie thématique en faveur de la protection des sols », COM(2006) 231 final,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil définissant un cadre pour la protection des sols et modifiant la directive 2004/35/CE, COM(2006) 232 final,

Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 11 décembre 2019 intitulée « Le pacte vert pour l'Europe », COM(2019) 640 final,

Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, Comité économique et social européen et au Comité des régions du 20 mai 2020 intitulée « Stratégie de l'UE en faveur de la biodiversité à l'horizon 2030, Ramener la nature dans nos vies », COM(2020) 380 final,

Vu le huitième programme d'action pour l'environnement à l'horizon 2030, COM(2020) 652 final,

Vu le rapport du Sénat intitulé « Pollutions industrielles et minières des sols : assumer ses responsabilités, réparer les erreurs du passé et penser durablement l'avenir » n° 700 (2019-2020) - 8 septembre 2020 - de Mme Gisèle JOURDA, fait au nom de la commission d'enquête sénatoriale sur les problèmes sanitaires et écologiques liés aux pollutions des sols qui ont accueilli des activités industrielles ou minières, et sur les politiques publiques et industrielles de réhabilitation de ces sols,

Vu la résolution du Parlement européen du 28 avril 2021 sur la protection des sols, 2021/2548 (RSP),

Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 12 mai 2021 intitulée « Plan d'action de l'Union européenne : “Vers une pollution zéro dans l'air, l'eau et les sols” », COM(2021) 400 final,

Vu le rapport du Sénat n° 698 (2020-2021) - 17 juin 2021 - de Mme Gisèle JOURDA et M. Cyril PELLEVAT, fait au nom de la commission des affaires européennes sur la proposition de résolution, en application de l'article 73 quinquies du Règlement, demandant la relance du processus d'élaboration d'une directive européenne sur la protection des sols et la prévention de leur dégradation par les activités industrielles et minières,

Vu la résolution du Sénat n° 147 (2020-2021) du 23 juillet 2021 demandant la relance du processus d'élaboration d'une directive européenne sur la protection des sols et la prévention de leur dégradation par les activités industrielles et minières,

Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 17 novembre 2021 intitulée « Stratégie de l'UE pour la protection des sols à l'horizon 2030 - Récolter les fruits de sols en bonne santé pour les êtres humains, l'alimentation, la nature et le climat », COM(2021) 699 final,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la restauration de la nature, COM(2022) 304 final,

Vu la loi n° 2023-630 du 20 juillet 2023 visant à faciliter la mise en oeuvre des objectifs de lutte contre l'artificialisation des sols et à renforcer l'accompagnement des élus locaux,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la surveillance et à la résilience des sols, COM(2023) 416 final,

Vu la résolution législative du Parlement européen du 10 avril 2024 sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la surveillance et à la résilience des sols (loi sur la surveillance des sols), 2023/0232,

Vu le rapport du Sénat n° 316 (2023-2024) - 7 février 2024 - de M. Michaël WEBER, fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable sur la proposition de loi visant à préserver des sols vivants,

Sur l'opportunité d'une législation à l'échelle européenne sur la protection des sols

Considérant que les sols constituent une ressource essentielle, limitée et non renouvelable, qui revêt une importance cruciale pour l'environnement, l'économie et la santé humaine ; qu'ils rendent différents services écosystémiques et qu'ils constituent un réservoir terrestre de carbone très important ; qu'ils abritent, en tant que milieu naturel, près des deux tiers de la totalité de la biodiversité dans le monde ; que la prévention de leur dégradation revêt une dimension transfrontière ;

Considérant que les sols assurent des fonctions écologiques, géologiques, biologiques, économiques, sociales et culturelles qui sont protégées contre les processus de dégradation tant naturels que provoqués par les activités humaines.

Considérant les objectifs de l'Union européenne en matière de préservation, de protection et d'amélioration de la biodiversité, de lutte contre la pollution, de protection de la santé humaine ainsi que d'utilisation prudente et rationnelle des ressources naturelles, alors que la Commission européenne estime que 60 à 70 % des sols européens ne présentent pas un bon état de santé et que cette situation tend à s'aggraver ;

Considérant l'absence d'une législation européenne spécifique pour la surveillance et l'utilisation durable des sols en dépit des efforts menés, qui se sont soldés par l'abandon du processus d'élaboration d'une directive-cadre sur les sols, discutée à partir de 2006 et retirée en 2014 ;

Considérant qu'une intervention au niveau européen se justifie en raison des interactions entre les sols et les autres milieux naturels que sont l'eau et l'air, qui sont eux soumis à une réglementation européenne commune et spécifique, et en l'absence de référentiel commun, de financements et de méthodologie, malgré la continuité des sols ;

Considérant que le Sénat a appelé la Commission européenne à relancer le processus d'élaboration d'une directive européenne sur la prévention des sols et la prévention de leur dégradation par les activités industrielles et minières afin de poser les jalons d'un véritable droit européen de la protection des sols en commençant par la réalisation d'une cartographie européenne des sols pollués et en mettant en garde contre l'approche sectorielle du cadre réglementaire européen qui empêche toute mise en oeuvre d'une politique globale ;

Considérant la stratégie de l'UE pour la protection des sols à l'horizon 2050, présentée par la Commission européenne, qui vise à parvenir à ce que l'ensemble des écosystèmes pédologiques de l'Union soient en bonne santé d'ici 2050 et qui prévoit l'élaboration d'une législation sur la santé des sols ;

Se félicite de l'initiative prise par la Commission européenne visant à mettre en place un cadre juridique commun à l'ensemble des États membres sur la surveillance et la résilience des sols ;

Soutient l'objectif d'atteindre des sols sains dans l'ensemble de l'UE à l'horizon 2050 par des actions de surveillance et de protection des sols qui contribuent à apporter des solutions aux défis environnementaux et sanitaires auxquels est confrontée l'Europe ;

Concernant l'ambition de la proposition de la Commission européenne

Considérant les difficultés rencontrées pour disposer d'un cadre européen sur la protection des sols ;

Prend acte que cette initiative constitue une première étape dans l'élaboration d'une législation européenne sur les sols, centrée sur la collecte de données relatives à la santé des sols, et que de nouvelles mesures pourront être adoptées ultérieurement pour parvenir à l'objectif de 100 % de sols sains dans l'UE à l'horizon 2050 ;

Souligne la nécessité de s'orienter vers une harmonisation des différentes initiatives prises à l'échelle nationale afin de renforcer l'efficacité des politiques environnementales européennes, en particulier de prévention des pollutions et de préservation de tous les milieux naturels - l'eau, l'air et les sols -, dans le respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité ;

Comprend l'approche progressive et proportionnée de la proposition de directive qui fixe des principes communs de recueil de données et d'évaluation de la santé des sols ;

Attire l'attention sur l'éventuelle concurrence d'un droit européen de la protection des sols avec le droit de la propriété et le droit de l'urbanisme qui ne relèvent pas d'une compétence partagée entre l'Union européenne et les États membres ;

Souligne la nécessité de tenir compte des spécificités nationales et locales, notamment des régions ultraphériphériques de l'Union européenne, et d'adapter les mesures aux réalités territoriales, dans la mise en oeuvre des dispositions relatives à la surveillance et à la résilience des sols ;

Demande qu'une évaluation des besoins nécessaires, notamment financiers, à la mise en oeuvre de la directive soit réalisée ;

Fait observer que la proposition de directive doit s'articuler, dans le souci d'une approche globale, avec les textes européens déjà en application, en particulier la directive-cadre sur l'eau et la directive sur la protection de la biodiversité en Europe (Natura 2000) ;

Concernant l'évaluation de l'état de santé des sols et des risques de pollution

Considérant que la connaissance des sols et de leur état de santé est essentielle pour conduire des politiques de protection et de restauration des sols efficaces et que la mise en place de systèmes de recensement et de surveillance est indispensable pour répondre à cet enjeu ;

Considérant que la Commission européenne prévoit un cadre de surveillance des sols fondé sur un zonage géographique détaillé et complet qui repose sur des districts de gestion des sols, définis par les États membres ;

Partage l'ambition de la Commission d'améliorer le partage des données et des connaissances en matière d'état des sols entre les États membres ;

Considère que le suivi et la gestion durable des sols doivent s'appuyer sur les dispositifs déjà existants au niveau national et éprouvés ;

Appelle à une bonne articulation des dispositifs de surveillance et de recensement des sols selon leur état avec ceux déjà mis en oeuvre par les États membres ;

Estime que l'évaluation de la santé des sols, proposée par la Commission européenne et caractérisant la mauvaise santé du sol par le non-respect d'un seul critère, ne prend pas suffisamment en compte la complexité de leurs caractéristiques ainsi que les services écosystémiques qu'ils rendent, et que cette approche semble, à ce titre, trop restrictive ;

Propose que l'évaluation de la santé des sols fasse l'objet d'une analyse plus précise et approfondie, qui se fonde davantage sur les services écosystémiques rendus par les sols et leurs fonctions, et permette d'établir un indice de santé des sols combinant plusieurs critères ;

Attire l'attention sur la pertinence de la stratégie de surveillance qui devrait être mise en place et conduire à la détermination de points d'échantillonnage et sur la nécessité d'évaluer la nécessité d'en accroître le nombre de façon conséquente pour la France qui dispose déjà d'un réseau de surveillance ;

S'interroge sur le rythme de reportage prévu par la Commission européenne au regard des ressources humaines et des moyens financiers nécessaires à la collecte des données ;

Attire l'attention sur le respect des exigences du règlement général sur la protection des données dans le cadre de la communication au public des données sur l'état de santé des sols par la Commission européenne ;

Souhaite que les spécificités des sols forestiers soient prises en compte par la directive ;

Exprime des réserves sur la mise en place d'une certification volontaire des sols par les propriétaires fonciers et les gestionnaires de terres ;

Concernant les principes d'atténuation de l'artificialisation des sols

Considérant que le texte prévoit trois principes pour atténuer les effets de l'artificialisation des sols : « éviter-réduire-compenser », dite stratégie ERC ;

Prend acte des principes établis par la proposition de directive pour maîtriser le flux d'artificialisation des sols ;

Rappelle que la France a récemment adopté une législation relative à la consommation d'espaces naturels agricoles et forestiers et l'artificialisation des sols, qui fixe un objectif d'absence de toute artificialisation nette à terme, et souhaite que la directive ne remette pas en cause ce cadre juridique national ;

Attire l'attention sur la nécessité de mettre en oeuvre ces dispositions dans le respect du principe de subsidiarité et de laisser suffisamment de marges de manoeuvre aux États membres dans un domaine qui relève de l'aménagement du territoire et du droit de l'urbanisme ;

Exprime ses réserves sur la définition proposée en matière d'artificialisation des sols qui exclut de nombreux phénomènes participant à la dégradation des fonctions des sols, en contradiction avec la définition qu'en donne le code de l'urbanisme ;

Concernant les pratiques de gestion durable et la prévention des atteintes portées aux sols

Considérant que chaque État membre serait amené à définir des pratiques de gestion durable des sols en respectant des principes mentionnés dans l'annexe III de la directive ;

Recommande que la définition des pratiques de gestion durable des sols prenne en compte les dispositifs déjà mis en place par les États membres et, tout en réaffirmant l'objectif d'une harmonisation européenne, leur laisse des marges de manoeuvre suffisantes pour tenir compte des réalités territoriales ;

Approuve l'approche fondée sur le risque en matière de gestion des sols pollués ou potentiellement pollués afin d'assurer une allocation la plus efficace possible des moyens humains et financiers au bénéfice de l'environnement et de la santé humaine ;

Fait observer que les mesures destinées à favoriser des pratiques de gestion durable et prévenir les atteintes portées aux sols par les pollutions industrielles et minières ne sauraient être financées par les ressources de la Politique agricole commune ;

Invite le Gouvernement à faire valoir cette position dans les négociations au Conseil.

La réunion est close à 10 h 45.