- Mercredi 29 mai 2024
- Quelles perspectives et quels défis pour les États-Unis en cette année d'élections ? - Audition de Mme Alexandra de Hoop Scheffer, politologue, senior vice-présidente pour les questions géopolitiques au German Marshall Fund of the United States et M. Lauric Henneton, maître de conférence à l'université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines
- Désignation d'un rapporteur
- Projet de loi autorisant la ratification de l'accord se rapportant à la convention des Nations unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale - Désignation d'un rapporteur
Mercredi 29 mai 2024
- Présidence de M. Pascal Allizard, vice-président -
La réunion est ouverte à 9h30.
Quelles perspectives et quels défis pour les États-Unis en cette année d'élections ? - Audition de Mme Alexandra de Hoop Scheffer, politologue, senior vice-présidente pour les questions géopolitiques au German Marshall Fund of the United States et M. Lauric Henneton, maître de conférence à l'université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines
M. Pascal Allizard, président. - Je souhaiterais commencer par excuser notre président Cédric Perrin qui se trouve actuellement en mission au Japon.
Nous accueillons Alexandra de Hoop Scheffer et Lauric Henneton pour une table ronde consacrée aux États-Unis.
Madame de Hoop Scheffer, vous êtes docteure en sciences politiques, politologue, spécialiste de la politique étrangère américaine, des relations transatlantiques et des questions de sécurité internationale. Vous êtes actuellement senior vice-président pour les questions géopolitiques au German Marshall Fund of the United States.
Monsieur Henneton, vous êtes agrégé d'anglais, docteur en civilisation angloaméricaine, maître de conférence en civilisation des pays anglophones à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, mais également, me dit-on, spécialiste du rock-and-roll, domaine à travers lequel vous étudiez d'ailleurs la société américaine. Ce pas de côté très intéressant méritera sans aucun doute d'intéresser les mélomanes que nous sommes.
Je tiens à vous remercier tous les deux d'avoir accepté de venir devant notre commission aujourd'hui.
Nous avons souhaité vous entendre pour que vous nous présentiez la situation des États-Unis, tant au niveau intérieur qu'en matière de politique étrangère à moins de six mois d'élections dont les résultats s'annoncent à nouveau disputés.
Peut-être pourrez-vous nous fournir quelques pronostics, alors que l'on s'oriente assez vraisemblablement vers un match retour Biden-Trump, les deux hommes ayant été désignés chacun candidats par leur parti.
Vous nous direz si, selon vous, l'émergence d'un troisième homme, notamment Robert Kennedy Junior, pourrait être de nature à influer sur le résultat.
Madame de Hoop Scheffer, nous souhaiterions que vous nous exposiez la position des États-Unis face aux crises ukrainiennes et israélo-palestiniennes. Les États-Unis ont accordé à l'Ukraine un soutien substantiel s'élevant à des dizaines de milliards de dollars. Il aura néanmoins fallu attendre six mois pour qu'une nouvelle aide au pays de 61 milliards de dollars soit votée. Quelles conséquences l'élection du 5 novembre prochain peut-elle avoir sur l'appui américain à Kiev ?
Plus généralement, nous aimerions connaître votre analyse sur l'état du lien transatlantique. Plusieurs d'entre nous siègent à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN où nos collègues américains, qu'ils soient démocrates ou républicains, se veulent rassurants et rappellent régulièrement leur attachement à cette alliance. Cependant, le candidat Donald Trump a laissé entendre en février dernier qu'en tant que président, il pourrait ne pas intervenir en cas d'attaque russe d'un membre de l'OTAN et, bien évidemment, ces propos suscitent des inquiétudes. Par ailleurs, le barycentre de la politique étrangère américaine semble s'être déplacé vers la Chine, même si, d'un point de vue pragmatique, l'Europe continue de représenter un important marché pour l'industrie de défense américaine.
Comme chacun sait, le soutien à Israël est un pilier de la politique étrangère américaine. Les États-Unis se sont abstenus lors du vote sur le cessez-le-feu à Gaza aux Nations Unies le 25 mars dernier, après avoir opposé leur veto à trois reprises. Peut-on y voir un changement de paradigme, alors que Joe Biden a tout récemment qualifié de « scandaleuse » la demande de mandat d'arrêt contre Benyamin Netanyahou et son ministre de la Défense par le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) ?
M. Henneton. - nous souhaiterions que vous nous éclairiez sur la situation intérieure des États-Unis. Comme en France, certaines universités américaines font l'objet de blocages en signe de soutien à la cause palestinienne. Par ailleurs, la société américaine est traversée par d'importants clivages, comme l'a montré l'assaut du Capitole le 6 janvier 2021. Ce sont des lignes de fracture supplémentaires. Peut-être pourrez-vous nous indiquer quelles sont les autres lignes de fracture de la société américaine en abordant des thèmes tels que l'économie ou la question migratoire, Donald Trump ayant évoqué dans un récent entretien au magazine Time la perspective d'une expulsion de 15 à 20 millions de personnes en cas de victoire. La question du rôle et de la place des minorités, ou la guérilla judiciaire sur la question du droit à l'avortement constituent d'autres sujets de grande tension.
En cas de victoire de Donald Trump, certains craignent une dérive « illibérale ». Quelle est, selon vous, la réalité de cette menace et de quels contre-pouvoirs la démocratie américaine dispose-t-elle pour y résister ? Je rappelle que le 5 novembre verra également l'élection à la Chambre des représentants et le renouvellement d'un tiers du Sénat. Peut-être pourrez-vous nous exposer les différents scénarios possibles et leurs conséquences ?
Si une situation similaire à celle des mid-terms de 2018 venait à se reproduire, un blocage institutionnel, avec une Chambre des représentants démocrates et un Donald Trump président, vous paraît-il une hypothèse crédible ?
Vous pourrez enfin nous indiquer si les nombreuses procédures judiciaires concernant Donald Trump pourraient avoir des conséquences sur les élections de novembre.
Je rappelle que cette audition est captée et diffusée sur le site Internet du Sénat et ses réseaux sociaux.
Madame de Hoop Scheffer, Monsieur Henneton, vous avez la parole pour une vingtaine de minutes chacun. Mes collègues vous poseront ensuite leurs questions et vous êtes libres d'intervenir dans l'ordre que vous souhaitez.
M. Lauric Henneton. - Monsieur le vice-président, mesdames et messieurs les membres de la commission, je vous remercie de votre invitation dont je suis très honoré.
Le président des États-Unis est appelé chaque année à prononcer un discours sur l'État de l'Union. Je me prêterai donc devant vous au même exercice.
L'État de l'Union demeure préoccupant, incertain et ce constat change en fonction des interlocuteurs. Un fossé, voire un grand canyon, se creuse entre la réalité et les perceptions, plus ou moins irréalistes, de celle-ci.
La plupart des sondages et des enquêtes économiques révèlent qu'il existe un écart entre le ressenti personnel et les perceptions collectives. C'est le fameux syndrome du « moi ça va, mais le pays va dans le mur ».
Ce phénomène reste profondément dicté par les identités partisanes, le verdict variant en fonction du responsable qui occupe la Maison-Blanche, et non de la réalité économique.
Ce constat appelle en préambule de nombreuses questions.
Où va l'Amérique ? Que reste-t-il du rêve américain, ce mythe structurant qui fait et défait les campagnes ? Doit-on parler de déclin des États-Unis ou plutôt de « spectre du déclin », formule peut-être plus révélatrice de l'état de la société ? S'agit-il - encore - de l'élection de la dernière chance après celles de 2016 et 2020 ?
Assiste-t-on à une dramatisation des enjeux, alimentée par un fonctionnement médiatique basé sur le sensationnalisme et des dynamiques de campagne fondées sur la mobilisation par les émotions, la peur, la colère et l'indignation ? Autant de prismes à travers lesquels nous observons la société américaine.
Je vous propose de dresser un rapide panorama des grands thèmes de la campagne.
La question économique, l'inflation et le coût de la vie dominent les débats.
Il convient de différencier le réel du perçu : si les économistes estiment que l'économie américaine se porte bien, de nombreuses personnes interrogées dans les sondages mettent en avant les aspects négatifs comme l'augmentation du prix des oeufs depuis l'avant Covid ou les prix de l'immobilier.
Beaucoup considèrent que le rêve américain de l'accession à la propriété est devenu un mirage. Le prix de l'immobilier a explosé, les loyers ont considérablement augmenté. Cette tendance est encouragée par des taux assez prohibitifs. Il devient aussi difficile pour les locataires, de plus en plus nombreux aux États-Unis, de rester tout simplement chez eux.
L'avortement sera un autre thème moteur de la campagne dont pourrait bénéficier le camp démocrate en fonction de sa capacité à mobiliser son électorat.
On a pu constater, dans un certain nombre d'États conservateurs, une sur-mobilisation des électorats démocrates et modérés sur cette question.
La question migratoire reste évidemment centrale, même si elle l'était davantage en décembre et en janvier derniers. Le degré d'attention portée à ce sujet par les électeurs peut encore évoluer. Il est difficile de prédire quelle place il occupera dans les débats en octobre prochain.
L'Amérique fait toujours rêver à l'étranger comme en témoignent les niveaux d'immigration. On constate un d'attrait pour l'économie américaine alors que l'immigration avait considérablement reflué il y a une quinzaine d'années.
L'opinion est beaucoup plus ouverte à une politique de fermeté vis-à-vis de l'immigration clandestine. Cette tendance plaide plutôt en faveur de la politique de Donald Trump.
Les propositions de campagne du candidat républicain soulèvent néanmoins deux questions.
Comment mettre en oeuvre une politique répressive sans augmenter les impôts, voire en les diminuant, Donald Trump ayant fait échouer un projet de loi qui visait justement à donner plus de moyens à une politique relativement répressive ?
Comment se passer de 10 à 12 millions de travailleurs, notamment dans le secteur agricole, sans provoquer une explosion inflationniste et annuler les effets d'une campagne axée sur l'économie et le coût de la vie ?
Dans l'argumentaire républicain, la question de l'immigration est étroitement liée à la sécurité et la criminalité.
Les données disponibles depuis les années 1980 montrent néanmoins une très forte baisse de la criminalité avec une légère recrudescence après le Covid.
Malgré ce constat, l'idée que la sécurité semble avoir diminué demeure prégnante dans l'imaginaire américain.
Le thème de la santé pourrait jouer en faveur des démocrates.
L'encadrement des prix des médicaments, et en particulier de l'insuline, fait partie des chevaux de bataille de l'administration Biden.
La crise des opioïdes, notamment les ravages causés par le fentanyl chez les 12/19 ans pourrait également mobiliser une partie de cet électorat. La consommation de cette substance entraîne chaque année plus de 100 000 morts parmi la population. Il s'agit d'un réel problème de santé publique aux États-Unis, même s'il est davantage abordé comme un enjeu de sécurité et de contrôle à la frontière mexicaine et des produits en provenance de la Chine.
La Chine est à la fois un sujet de politique intérieure et de politique étrangère. L'adoption d'une politique douanière plus agressive envers la Chine fait désormais l'objet d'un consensus entre Républicains et Démocrates, Donald Trump ayant en quelque sorte retourné la table dans ce domaine.
Ce virage pourrait-il inciter la Chine à faire davantage pour bloquer l'arrivée du fentanyl ?
La question israélo-palestinienne pourrait également se répercuter sur la campagne.
Selon plusieurs sondages, ce thème pourrait pousser des jeunes et des minorités à faire défection à Joe Biden, même si les manifestations sur les campus ont dégradé l'image de la Palestine auprès de l'opinion américaine, en particulier parmi ceux qui votent le plus, à savoir les plus de 30 ans.
Ce mouvement a également écorné l'image des universités alors que le coût des études supérieures augmente déjà de manière astronomique. Les facultés, qui étaient considérées comme l'ascenseur de la mobilité sociale et un des moteurs du rêve américain, sont de plus en plus perçues comme un pari risqué.
La possibilité d'une condamnation de Donald Trump apparaît relativement improbable. Les chances que les douze jurés jugent l'ancien président des États-Unis coupable à l'unanimité sont faibles. Dans tous les cas, la défense fera appel.
Il reste donc difficile de prédire si l'impact de ces affaires sur l'électorat républicain sera marginal ou au contraire décisif. De plus en plus, un petit événement est à même de bouleverser une campagne, d'où l'importance de prendre régulièrement la température de l'opinion - avec a grain of salt comme disent les Américains - laquelle est susceptible à tout moment de changer.
Dans les tendances lourdes se dégage néanmoins une immunité de fait de Donald Trump auprès de l'opinion. N'importe quel autre candidat confronté à ces mêmes accusations aurait sans doute été immédiatement décrédibilisé.
À son départ de la Maison-Blanche début 2021, l'image de l'ancien président était beaucoup moins favorable qu'elle ne l'est aujourd'hui.
Malgré les affaires en cours, l'ancien président américain demeure aux yeux de son opinion et des Républicains le candidat le plus crédible en matière économique, migratoire et de sécurité.
Certains électeurs nostalgiques de l'avant Covid espèrent que l'arrivée de Donald Trump permettra de recréer ces conditions économiques. Cette idée qui relève en quelque sorte de la pensée magique devrait probablement entraîner quelques déceptions.
Quel sera le poids des Républicains non trumpistes ayant voté pour Nikki Haley lors de la primaire ? L'ex-candidate républicaine semble s'être ralliée à Donald Trump. Ses soutiens considéreront-ils ce dernier comme un moindre mal par rapport au danger que représenterait Joe Biden ?
Quel sera le poids des jeunes ? Assistera-t-on à une sous-mobilisation décisive, notamment dans des États comme le Michigan ? La participation des jeunes n'aura-t-elle aucun effet, les grandes universités se trouvant dans des États déjà très démocrates ?
Faut-il s'attendre à une légère, mais peut-être décisive, sur-mobilisation si Taylor Swift, dont on a pu mesurer l'impact sur l'inscription sur les listes électorales, appelle à voter pour les démocrates ? Le sujet est suffisamment sérieux pour que la « trumposphère » médiatique s'en soit inquiétée au début de l'année.
La coalition électorale des démocrates demeure difficile à mobiliser. Les jeunes, les minorités et les cent églises sont les plus ardus à convaincre.
Il va falloir trouver les mots dans six ou sept États clés à quelques milliers de voix près.
La démocratie américaine se trouve en effet confrontée à un problème fondamental puisque des dizaines de millions de voix d'Américains ne compteront pas.
Le manque de foi dans le système des grands électeurs risque par conséquent de démobiliser certains électeurs.
De quelle marge de manoeuvre bénéficiera le président ?
S'il fait face à un Congrès hostile, ce dernier a la possibilité de gouverner au moyen de décrets pouvant être retoqués par les tribunaux. Les normes des agences fédérales, comme l'EPA pour les questions environnementales, peuvent être invalidées par les tribunaux.
Vous me demandiez, monsieur le président, quels sont mes pronostics. À ce jour, et j'insiste sur la nuance, le scénario le plus probable serait le suivant : un Donald Trump réélu avec un Sénat disposant d'une légère majorité républicaine et une Chambre des représentants légèrement à l'avantage des démocrates, soit des marges de manoeuvre quasi nulles et une annulation des possibilités de gouvernance de tous les côtés.
On se retrouverait donc dans un scénario semblable aux élections de mi-mandat de 2018 avec son lot de shutdown, de paralysie institutionnelle et de budget jamais alloués. En somme, avec un Donald Trump bien incapable de construire son mur ou de procéder à ses expulsions.
Doit-on s'attendre à un nouveau 6 janvier ? Probablement pas. Des violences plus sporadiques, surtout en cas de défaite de Donald Trump, sont beaucoup plus probables.
Les menaces contre les élus et les journalistes, essentiellement de la part de Républicains, se multiplient.
On note également une érosion dangereuse de la confiance envers les institutions en particulier, fait nouveau, vis-à-vis de la Cour suprême qui montre des signes de politisation de plus en plus inquiétants. Le juge Samuel Alito a par exemple été mis en cause ces derniers jours pour avoir affiché des drapeaux trumpistes à son domicile et sa résidence secondaire.
Vous évoquiez une évolution « illibérale ». Doit-on s'attendre à un Trump dictateur ? Je pense que les institutions sont suffisamment résilientes pour empêcher ce type de dérives. Certes, les freins et les contrepoids ne sont pas aussi efficaces qu'ils ne l'étaient dans l'esprit des pères fondateurs. Cependant, les principales formes d'érosion démocratique ont lieu ailleurs, au niveau des États, avec le redécoupage des circonscriptions ou les restrictions d'accès au vote, en particulier des minorités. Ces pratiques ont néanmoins toujours plus au moins eu lieu aux États-Unis, en dépit de l'arrivée de Donald Trump.
Pour conclure, quelle attention porter au programme et aux promesses des candidats, alors même que celles-ci ne seront sûrement pas applicables ? Quelle attention également accorder à l'incroyable dramatisation des enjeux qui semble tenir à l'économie de la presse aux États-Unis ? Comment réconcilier, presque philosophiquement, deux Amériques qui se détestent et une troisième que tout horripile ? Comment reconstruire de la confiance envers des gens que l'on diabolise ? Comment plus largement, et au-delà des États-Unis, reconstruire le rapport au réel ?
L'« échec » de la présidence Biden, qui devait être celle de la réconciliation, tient peut-être à la persistance de la disruption trumpienne dans le paysage politique américain.
Doit-on enfin sagement attendre l'horizon 2028 pour espérer un hypothétique retour à la normale de la politique américaine ? Je terminerai sur ce point d'interrogation relativement pessimiste.
Mme Alexandra de Hoop Scheffer. - Je vous remercie beaucoup pour votre invitation et suis très heureuse du temps consacré à cet échange avec vous ce matin.
La présentation de Lauric Henneton nous conduit naturellement au sujet de politique étrangère, les orientations ou réorientations en matière de politique extérieure américaine découlant de tout ce décor d'hyperpolarisation aux États-Unis.
La question que vous nous posez aujourd'hui nous amène à nous interroger sur la trajectoire suivie par les États-Unis, à la fois sur les scènes intérieure et internationale.
Je souhaiterais tout d'abord attirer votre attention sur les tendances profondes, les facteurs structurants et les constantes de la politique américaine qui perdureront au-delà de novembre prochain.
Deuxièmement, il est important que nous anticipions, en France, mais également avec nos partenaires européens, les implications pour l'Europe de ces orientations à long, voire très long terme.
Enfin, comment redéfinir les termes du partenariat transatlantique afin que nous puissions mieux répondre aux défis d'aujourd'hui et de demain. La réponse à cette question réside aujourd'hui à mon sens beaucoup plus ici, en Europe, qu'à Washington. Exploitons cet espace qui nous est laissé pour tenter d'apporter des idées nouvelles. Soyons créatifs et essayons, peut-être davantage que d'habitude, de façonner la conversation transatlantique.
Je reste convaincue qu'en matière de politique intérieure, l'impact le plus important d'une nouvelle présidence de Donald Trump serait la disruption de l'État de droit. Il faut croire l'ancien président américain lorsqu'il dit : « Je serai un dictateur pour un jour ».
Il est aussi intéressant de réfléchir aux conséquences potentielles sur le lien transatlantique. Viktor Orbán a explicitement appelé à voir émerger une alliance atlantique de l'extrême droite qui serait retissée avec Trump, mais aussi d'autres personnalités européennes de ce bord politique.
Enfin, en matière de politique internationale, l'outil de prédilection de Donald Trump, mais également de Joe Biden, reste la coercition économique (les tarifs douaniers, les sanctions, etc.).
Nous pourrons revenir sur l'aspect disruptif de Donald Trump. Le plus important est de regarder ce qui ne changera pas après les élections de novembre prochain. La France et l'Europe doivent se placer face à trois réalités.
D'abord, la priorité numéro un des États-Unis restera « America first », l'Amérique d'abord, leitmotiv qui se décline dans tous les domaines : industriel, technologique, militaire.
Deuxièmement, la Chine demeure une obsession à travers tous les départements, de la Maison-Blanche au Congrès, pour les démocrates comme pour les trumpistes ou les Républicains centristes. La Chine restera le principal déterminant de la politique américaine et de sa relation avec nous, la France et l'Europe.
Une troisième tendance lourde découle de la politique intérieure américaine : les engagements internationaux des États-Unis seront de plus en plus fluctuants et transactionnels en raison d'une scène politique américaine hyper polarisée. Ce n'est pas tant Donald Trump qui est imprévisible que le système politique américain. Tous les quatre ans, on se retrouve face à un risque de détricotage de l'héritage des législations et des engagements pris, sur le climat par exemple, par le président précédent.
Ainsi le paquet d'aides américain à l'Ukraine a été pris en otage pendant plus de six mois au Congrès pour des motifs de politique intérieure. Ce noeud permanent entre politique intérieure et politique étrangère limite notre marge de manoeuvre en tant qu'Européens.
Entre ces grandes constantes, l'Europe, finalement, demeure une variable d'ajustement. Il est important que nous réfléchissions très sérieusement en tant qu'Européens à ce paramètre. Comment faire pour ne plus être la variable d'ajustement de la politique américaine sur des sujets qui nous concernent directement ? Comment s'affirmer comme acteur plutôt que comme « instrument », terme utilisé par beaucoup de conseillers autour de Donald Trump ?
L'Europe est aujourd'hui perçue comme un outil au service de la réalisation des intérêts stratégiques américains, que ce soit vis-à-vis de la Chine, de la Russie, au Moyen-Orient ou en Afrique.
Le retour du soi-disant isolationnisme américain, dont on entend beaucoup parler, est à mon sens une totale illusion. L'isolationnisme américain n'existe pas, l'Amérique étant souvent, malgré elle, appelée à intervenir et être présente sur la scène internationale.
Les continuités entre les différents présidents sont par ailleurs nombreuses.
La sécurité économique est une autre obsession. La protection prime sur la projection de la puissance américaine.
Après 20 ans d'intervention militaire expéditive, avec des résultats plus que condamnables et critiquables, les États-Unis se trouvent actuellement dans une phase de protection, en quelque sorte de repli sur soi, de réindustrialisation. L'objectif est de sécuriser les chaînes d'approvisionnement et de réduire les risques par rapport aux dépendances, notamment vis-à-vis de la Chine et de la Russie.
De plus en plus, on assiste à un glissement de la protection vers le protectionnisme, très souvent au détriment des règles du jeu international. L'outil économique prime donc, à défaut, finalement, d'une politique cohérente.
Je vais vous donner deux illustrations très récentes de cette tendance.
Pour des raisons de sécurité nationale, Joe Biden a promis de bloquer le projet de rachat de l'entreprise US Steel par la société japonaise Nippon Steel. Cette entreprise japonaise s'était pourtant engagée à honorer tous les contrats syndicaux, à transférer son siège social américain de Houston à Pittsburgh, à ne pas supprimer les emplois et à ne pas délocaliser sa production à l'étranger.
L'administration Biden vient aussi d'imposer des droits de douane de 100 % sur les véhicules électriques chinois importés et d'augmenter les tarifs de 25 % sur les semi-conducteurs, les batteries, les cellules solaires, l'acier et l'aluminium fabriqués en Chine.
Les sujets de politique étrangère, que ce soit la Chine, l'Ukraine, la guerre à Gaza, sont de plus en plus politisés.
Dans ce contexte, l'Europe a du mal à peser.
La Chine est la fois un sujet de politique intérieure et extérieure. Il y a quelques années, le secrétaire d'État américain, Antony Blinken, avait affirmé que la politique américaine à l'égard de la Chine ne consiste pas à contenir la Chine, mais à freiner sa capacité d'innovation en faisant en sorte que l'Amérique coure plus vite que Pékin.
Le dossier chinois se répercute donc sur la politique intérieure avec un réinvestissement et des subventions massives dans le secteur des technologies, les véhicules électriques, les industries et l'infrastructure américaines.
Ainsi, tous les débats, comme celui sur l'Inflation Reduction Act ou le Chips Act, sont appréhendés à travers le prisme de la rivalité, notamment technologique, avec la Chine.
Systématiquement, l'Europe se retrouve être le dommage collatéral de cette dynamique américaine. Washington, finalement, n'attend pas grand-chose de la France ni de l'Europe sur le dossier chinois ou de l'Indopacifique.
Ils ne nous considèrent pas du tout comme crédibles. Les États-Unis voient l'Europe comme un acteur ambigu sur le plan géopolitique et trop faible politiquement, car dépendant du marché chinois, notamment l'Allemagne, pour peser face à la Chine.
Les concepts de puissance d'équilibre régulièrement brandis par les Européens dans leurs discours ne résonnent pas du tout de l'autre côté de l'Atlantique, ni d'ailleurs de l'autre côté du Rhin. Il y a aussi par conséquent un travail à conduire sur les concepts et les formules que nous utilisons pour avancer dans une direction qui soit plus constructive.
La guerre en Ukraine n'a pas changé la trajectoire fondamentale de la politique américaine ni n'a finalement apaisé les débats internes à la classe politique américaine sur la nécessité de continuer à investir dans la défense de l'Europe.
Elbridge Colby, l'ancien secrétaire adjoint à la Défense, souligne très clairement que l'Asie demeure le théâtre le plus important pour l'Amérique. Ce responsable devrait potentiellement occuper un poste de très haut niveau au sein d'une future éventuelle administration Trump et fait partie des personnalités très influentes à écouter sur ce sujet.
Cette tendance perdurera quel que soit le futur locataire de la Maison-Blanche. Il en est de même pour la réduction du soutien américain à l'Ukraine. Le paquet d'aides qui vient d'être approuvé par le Congrès était sans doute le dernier, du moins de cette importance.
En amont du sommet de l'OTAN à Washington en juillet prochain, il est de plus en plus question d'un partage du fardeau, voire même des responsabilités. Les États-Unis exhortent les Européens à se préparer à ne plus compter autant sur eux dans les années à venir et encouragent l'Europe à augmenter ses capacités de défense, tout en s'attendant bien entendu à ce qu'elle continue à acheter du matériel américain.
La France estime que si elle veut être un acteur géopolitique crédible, elle doit également renforcer sa base industrielle. Je suis pour ma part impliquée dans ces débats sur la souveraineté et la stratégie européenne depuis près de douze ans. Si nous avons beaucoup progressé avec nos partenaires européens sur ces sujets, cette question reste un noeud de tensions entre les États-Unis et l'Europe, qu'il est important de parvenir à surmonter.
On se dirige également de plus en plus vers une division des tâches selon les zones géographiques. Les États-Unis se concentrent sur la Chine et attendent des Européens qu'ils gèrent le dossier russe. Cette tendance devrait s'accentuer en cas de réélection de Donald Trump.
Il est important que l'Europe soit claire dans sa démarche et fasse valoir ses intérêts, car tous ces théâtres sont aujourd'hui interconnectés. La Chine soutient l'effort de guerre de Poutine en Russie. La guerre au Proche et Moyen-Orient s'est régionalisée, voire mondialisée, avec l'interférence d'un certain nombre d'acteurs.
Enfin, Taïwan n'est pas qu'un enjeu indopacifique. Toute déstabilisation de l'île aura un effet disrupteur en termes économiques, financiers et sur l'industrie des semi-conducteurs, voire même en mer Rouge au Proche-Orient et en Afrique.
Avec la superposition des crises géopolitiques, auxquelles s'est ajoutée la crise du Covid que le pays n'a pas fini véritablement d'absorber, les États-Unis sont confrontés à une forme d'appauvrissement de la réflexion stratégique. Washington se retrouve en état de gestion de crise permanente sans parvenir à réfléchir sur le long terme. Cette tendance s'est accélérée en raison de cycles électoraux très courts. L'Europe sait qu'en l'espace de quatre ans les engagements pris par une administration présidente peuvent être remis en cause.
Enfin, la politique des États-Unis vis-à-vis de l'Europe relève de plus en plus du fait accompli. Les Européens se retrouvent soit court-circuités soit non alignés avec les positions américaines.
Le retrait d'Afghanistan s'est effectué sans grande concertation avec les partenaires européens.
J'ai pour ma part été directement impliquée dans la diplomatie de réparation après la constitution de l'alliance Aukus entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie. Les échanges que j'ai pu avoir avec l'administration Biden à ce moment-là étaient assez brutaux, mais extrêmement éclairants. La relation franco-américaine et transatlantique a basculé dans une autre ère et Donald Trump y est pour beaucoup. Adepte d'un langage très peu diplomatique, l'ancien président américain a rendu le dialogue euroaméricain plus direct et moins hypocrite, ce qui est finalement plutôt sain.
En conclusion, quelles sont les conséquences pour la France et l'Europe ? Sur quoi faut-il se concentrer sur les mois et les années à venir ?
Tout d'abord, la relation transatlantique est plus déséquilibrée que jamais que ce soit sur les plans économique, technologique ou militaire en raison du décrochage économique européen par rapport aux États-Unis.
Cette domination américaine s'exprime dans le cadre de dialogues avec Bruxelles ou au sein de l'Alliance atlantique. La guerre en Ukraine, sur le court terme, a renforcé notre hyperdépendance aux États-Unis, que ce soit vis-à-vis de leur industrie de défense ou de leur gaz liquéfié.
Comment gérer cette dépendance et faire en sorte qu'elle ne soit pas un obstacle à des investissements dès maintenant dans nos industries européennes et nos capacités de défense et de sécurité ?
Le défi le plus important est aujourd'hui de réussir à articuler cette dépendance sur le court terme alors que l'Europe ne dispose pas des outils et des capacités pour s'afficher seule comme un acteur géopolitique crédible.
Comment investir dans l'avenir d'une Europe qui puisse devenir un acteur crédible dans ces domaines, et donc également pour notre partenaire américain ? Il s'agit d'expliquer à Washington que plus les Européens seront équipés et outillés pour assurer leurs propres défense et sécurité, plus ils seront un allié intéressant.
On s'oriente enfin de plus en plus vers une « compartimentalisation » accrue de notre relation avec les États-Unis.
Les Européens continueront à être très dépendants dans certains domaines, notamment pour la sécurité. Dans d'autres, il faudra coopérer de manière pragmatique et transactionnelle ou affirmer une forme d'autonomie diplomatique, politique, stratégique, mais également économique.
Dans le cadre de la rivalité des États-Unis avec Pékin, la pression politique américaine va s'accentuer sur les industries et les entreprises françaises et européennes, notamment pour cesser d'exporter certaines technologies sensibles vers la Chine ou augmenter le filtrage des investissements chinois.
Il est important que les Européens restent en accord avec leurs principes vis-à-vis de Pékin même si les politiques diffèrent au sein des 27.
Au cours de ces deux ans et demi de guerre en Ukraine, l'Europe a su, à certains moments, prendre l'initiative face à une Amérique parfois vacillante. Les Européens ont notamment impulsé une montée en qualité des armements (F-16, chars, missiles à longue portée) livrés à Kiev. L'initiative n'est en effet pas venue de Washington.
C'est grâce à ce type d'initiative que l'Europe gagnera en crédibilité et en autonomie face à son partenaire américain.
Exploitons donc cet espace qui est laissé, un peu par défaut, par Washington, pour tenter de mieux nous faire entendre. Si les relations franco-allemandes sont compliquées aujourd'hui, je ne désespère pas que l'on puisse trouver des compromis sur lesquels s'appuyer pour faire avancer le reste de l'Europe.
M. Pascal Allizard, président. - Merci à tous les deux pour vos propos tout à fait clairs et cohérents. Nous allons passer à la série de questions.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Je vous remercie pour vos propos incroyablement lucides et très bien informés. Il y a une image qui me frappe. Si, comme vous le dites, les États-Unis ont un panda à gérer, nous c'est d'un ours dont il est question. Le premier est quand même un peu plus pacifique que le deuxième. La tâche n'est donc pas facile.
Vous avez présenté trois constantes de la politique américaine. J'en ajouterai une quatrième : « business first ». Aujourd'hui, tout dialogue avec les États-Unis est transactionnel, quel que soit le domaine, même diplomatique.
Ne pensez-vous pas que nous essayons de nous rassurer en imaginant que les institutions résisteront à une élection de Donald Trump ? Elles ont tout de même été considérablement abîmées au cours de son dernier mandat. De plus, l'ancien président américain fera ce qu'il annonce. Lors de son premier mandat, il avait prévenu qu'il sortirait de l'OTAN, mais il n'est jamais passé à l'acte. Tous les signaux sont désormais au rouge.
On assiste également à l'affichage décomplexé d'un camp politique. Un de ses représentants était présent au rassemblement des dirigeants européens d'extrême droite à Madrid en mai. Ce positionnement soulève tout de même quelques inquiétudes.
Ma question porte sur les élections. Le climat, le droit des femmes et l'immigration constituent trois sujets d'importance dans ce scrutin. Les militants, ou les groupes directement concernés par les mesures qui ont été prises ou qui le seront si Donald Trump devait revenir au pouvoir, sont-ils mobilisés ? Sinon, pourquoi ne le sont-ils pas ?
Faut-il craindre un nouveau clash politique au lendemain des résultats de la présidentielle ? Donald Trump est-il en capacité, s'il devait perdre, de réactiver des violences qui seraient alors beaucoup plus importantes ?
M. Lauric Henneton. - Des actes de violence sont statistiquement probables. La question est surtout de savoir quelle sera leur ampleur. Néanmoins, des actions collectives et centralisées à l'image de l'assaut du Capitole survenu le 6 janvier 2021 me semblent relativement improbables. Plusieurs troubles à l'ordre public ont depuis pu être anticipés. Lorsqu'à plusieurs reprises Donald Trump a été inculpé à New York, les boutiques des alentours ont été murées et un dispositif policier assez conséquent mis en place. Finalement, les journalistes se sont avérés plus nombreux dans les rues que les partisans de Donald Trump.
Il est par conséquent fort probable que le 6 janvier ait eu un effet de vaccination, notamment à Washington. Des événements de moindre ampleur pourraient survenir dans les capitales des États. Un certain nombre d'alertes ont déjà été émises, notamment dans le Michigan, où des tentatives de kidnapping de la gouverneure ont été déjouées. Ce n'est cependant pas tant l'ampleur de la mobilisation des partisans de Donald Trump qui préoccupe que le degré de radicalité d'un petit nombre de personnes. On serait davantage en raison de s'inquiéter d'un nouvel attentat à l'image de celui survenu en 1995 à Oklahoma City ayant entraîné un niveau de destruction et de morts bien supérieur.
Le risque d'un passage à l'acte de la part d'individus isolés ou de groupuscules est statistiquement possible.
La question du droit des femmes en général, et de l'avortement en particulier, mobilise. Les démocrates espèrent capitaliser sur ce thème, notamment dans des États comme le Nevada, l'Arizona et la Floride, où des référendums locaux pourraient être organisés.
Dans d'autres, très conservateurs, comme le Kansas et l'Ohio, on assiste à une mobilisation inhabituelle du camp progressiste, mais également de Républicains modérés ayant voté pour la sauvegarde du droit à l'avortement.
Des effets d'entraînement non pas vers le bas, comme c'est généralement le cas, mais vers le haut pourraient se produire : la popularité de certains candidats, mais surtout la mobilisation liée à l'organisation de référendums locaux pourrait bénéficier à Joe Biden.
Cette mobilisation porte cependant sur le droit des femmes et non sur la question climatique. Le sujet du réchauffement préoccupe les électeurs essentiellement dans les États déjà démocrates, et fédère des groupes démographiques peu mobilisés, comme les jeunes ayant de surcroît plutôt tendance à voter à la gauche des démocrates qu'ils ne considèrent pas comme des interlocuteurs crédibles. Des électeurs pourraient par conséquent se mobiliser sur la question climatique contre Joe Biden.
De même, on pourrait assister à une sous-mobilisation des démocrates sur la question palestinienne, et par conséquent une déperdition des voix, en raison de l'abstention ou d'un report des suffrages vers des candidats tels que Cornel West, s'il arrive à se qualifier, ce qui n'est pas encore acquis dans un certain nombre d'États.
On peut également s'attendre à une sous-mobilisation de la gauche de l'électorat démocrate sur la question de l'immigration, l'adoption d'une politique de relative fermeté sur ce sujet faisant de plus en plus consensus au sein du parti.
Même Barack Obama était considéré comme insuffisamment progressiste sur ce point, ce qui lui avait valu d'être surnommé le « deporter in chief ».
Considérant Joe Biden comme trop à droite sur les questions migratoires, des électeurs pourraient ne pas lui apporter leur soutien. En 2016, une partie de l'électorat avait ainsi voté en faveur de Bernie Sanders au lieu d'Hillary Clinton, ouvrant par défaut la voix à une élection de Donald Trump en raison du système de scrutin à un tour.
Dans une logique de moindre mal, d'autres préfèreront, à l'inverse, voter démocrate afin de faire barrage à Donald Trump.
Enfin, sur l'immigration, comme sur la politique douanière, le candidat républicain se retrouve quant à lui contraint d'aller un peu plus loin et de surcharger ses promesses.
Mme Alexandra de Hoop Scheffer. - La constante « Business First » rejoint celle d'« America First ».
Si le Congrès a fini par approuver le paquet d'aides à l'Ukraine, c'est parce que les parlementaires ont vu dans cette mesure l'opportunité de créations d'emplois aux États-Unis.
Je suis absolument convaincue que Trump ne retirera pas les États-Unis de l'Alliance atlantique. D'ailleurs, ses conseillers, son proche entourage, y compris Elbridge Colby, ou le sénateur de l'Ohio James David Vance, ne plaident pas du tout en faveur d'un retrait américain.
Aux yeux de Washington, l'OTAN demeure un outil pour faire pression sur les Européens afin qu'ils achètent des armes américaines et placer à l'agenda otanien ses priorités stratégiques.
Il est ainsi de plus en plus question de la Chine au sein de l'Alliance atlantique, tendance qui ne fait pas l'unanimité parmi les partenaires européens de l'OTAN.
De plus en plus de sujets, habituellement traités dans le cadre de l'Union européenne, tels que l'innovation technologique, voire même le changement climatique, sont désormais gérés au sein de l'OTAN.
L'OTAN se révèle donc être un outil parfait à la disposition des Américains pour faire avancer leurs priorités stratégiques et forcer les Européens à partager le fardeau.
Mme Michelle Gréaume. - Beaucoup de citoyens se disent lassés et désillusionnés de la polarisation de la politique américaine entre les partis démocrate et républicain.
En octobre 2023, 63 % des Américains estimaient que les deux grands partis démocrate et républicain faisaient « un si mauvais travail » de représentation du peuple américain qu'« un troisième grand parti serait nécessaire », ce qui est « un record », comme le révèle un sondage de l'institut Gallup.
Beaucoup de personnes hésitent néanmoins à voter pour d'autres candidats par crainte de perdre un vote utile.
La « vraie gauche » existe-t-elle réellement sur la scène politique des États-Unis ? Que manque-t-il pour que ce troisième choix réussisse à s'imposer face aux partis démocrate et républicain ?
À quelle politique étrangère faut-il s'attendre de la part des États-Unis en cas de retour de Donald Trump, en particulier vis-à-vis d'Israël et de la Russie ? Les États-Unis pourraient-ils appliquer l'article 5 de l'OTAN contre la Russie si la situation se dégradait ?
M. Jérôme Darras. - Je vous remercie pour votre exposé conjoint, clair et précis.
M. Henneton, vous avez écrit sur la force du système démocratique américain.
Il apparaît clairement que le cadre démocratique et institutionnel a permis de freiner les dérives autoritaires de Donald Trump après son élection. Il semble cette fois-ci bien mieux préparé. Il s'est entouré et indique qu'il fera fonctionner le plus possible le « spoil system ».
Dans l'hypothèse de son élection, ce cadre démocratique et institutionnel réussira-t-il à nouveau cette fois-ci à le contenir ?
Dans son ouvrage de fiction « Et c'est ainsi que nous vivrons » l'auteur américain, francophone et francophile, Douglas Kennedy décrit une Amérique confrontée à une nouvelle sécession. Sans vouloir faire de politique-fiction, pensez-vous qu'une dérive de ce type soit plausible ?
M. Lauric Henneton. - L'impopularité des institutions n'est pas nouvelle. L'impression renvoyée par certains journaux en France, selon laquelle Nancy Pelosi serait une superstar adorée de tous les Américains, ne reflète pas la réalité.
En effet, aucune institution n'est populaire aux États-Unis. Ni la Chambre des représentants, ni le Sénat ne trouvent grâce aux yeux de la population.
Seule la Cour suprême jouissait jusqu'à quelques années d'un certain respect, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. Ce phénomène demeure par ailleurs indépendant à Donald Trump, même si son élection a peut-être eu un effet catalyseur.
L'insatisfaction des Américains envers les deux grands candidats a contribué à dégrader encore davantage l'image des institutions.
Le problème réside dans le système à un tour qui prévoit que le candidat en tête l'emporte.
Voter pour un troisième candidat revient nécessairement à prendre des voix aux deux autres. Donner sa voix à Robert F. Kennedy revient-il à affaiblir Joe Biden ou Donald Trump ? Pour l'instant, les déperditions demeurent relativement partagées.
En revanche, d'autres candidats comme Cornel West et Jill Stein pourraient, s'ils arrivent à se qualifier, faire perdre des suffrages à Joe Biden.
Ce refus des deux grands candidats a par conséquent des répercussions dans une élection à un tour.
Une « vraie gauche » est-elle possible aux États-Unis ? Non. Un parti ne peut survivre s'il ne forme pas une immense coalition. A l'instar des travaillistes et des conservateurs au Royaume-Uni, les Républicains et les Démocrates sont agités par des tensions internes plus ou moins à l'avantage d'un des deux camps.
Dans les années 1980, les travaillistes britanniques tendaient plutôt vers la gauche et l'extrême gauche. Avec les réformes internes, puis l'arrivée de Tony Blair, le centrisme a ensuite prévalu. L'aile gauche, qui n'a jamais totalement disparu, est revenue avec Jeremy Corbyn.
Les coalitions demeurent donc en permanence tiraillées par des tensions, incarnées par exemple au sein du parti démocrate par l'opposition entre Joe Manchin le sénateur de Virginie-Occidentale et Alexandria Ocasio-Cortez la représentante de New York.
Chez les Démocrates comme chez les Républicains, ce conflit ne peut être résolu, car une scission reviendrait à un suicide politique.
Il est probable que les institutions parviennent tout de même à freiner certaines formes de dérives même si, comme vous l'avez souligné, Donald Trump est davantage préparé et pourrait parvenir à mieux s'entourer.
Cependant, on constate actuellement une certaine anticipation au sein de l'administration Biden et au Congrès, y compris chez les Républicains, afin de prévenir un certain nombre de licenciements abusifs. Le système est donc lui aussi mieux préparé.
Les pères fondateurs n'auraient pas pu anticiper certaines de ses évolutions, étant donné que les partis politiques n'existaient pas à l'époque. Le fait que le système ait survécu aux tensions partisanes est donc déjà en soi remarquable.
L'alignement croissant observé au sein des partis, et ce quelle que soit l'institution, demeure problématique, comme l'ont montré les procédures d'impeachment de Donald Trump. À deux reprises, les Républicains au Sénat se sont opposés à la destitution de l'ancien président américain.
Le Sénat est pourtant censé agir comme un contre-pouvoir vis-à-vis du chef de la Maison-Blanche. Si, à l'époque de l'affaire du Watergate, cette logique prévalait encore, ce n'est plus le cas aujourd'hui.
La Cour suprême, quant à elle, se montre de plus en plus favorable aux thématiques défendues par Donald Trump.
Il existe néanmoins des garde-fous.
Si elle repasse du côté des Démocrates, la Chambre des représentants pourra bloquer les mesures nécessitant l'adoption d'un budget, notamment les politiques sur l'immigration.
Enfin, un certain nombre de partis au sein des États, notamment à l'ouest et sur la côte est, ne se sentent plus représentés par la ville principale et voudraient faire sécession pour rejoindre un autre État.
Ce phénomène se traduit par des déménagements. Beaucoup de Californiens républicains s'installent par exemple au Texas où les impôts sont moins élevés et l'immobilier plus abordable.
Des entreprises se créent en Caroline du Sud pour attirer des New-Yorkais républicains candidats à l'émigration.
Cet entre-soi qui est amené à s'accélérer demeure une vieille tendance des stratégies résidentielles aux États-Unis depuis la suburbanisation dans les années 1950.
Mme Alexandra de Hoop Scheffer. - Qu'il s'agisse de Joe Biden ou de Donald Trump, les États-Unis veulent éviter à tout prix le déclenchement de l'article 5 de l'OTAN.
Cet impératif explique l'opposition de Washington à toute discussion sur une adhésion de l'Ukraine à l'OTAN. Sur ce point, les Américains et les Allemands sont d'ailleurs parfaitement alignés.
Washington ne recherche pas d'issue militaire décisive sur le terrain, par crainte notamment d'une escalade avec la Russie, mais veut trouver une forme de stabilité pour paver la voie à des discussions.
Les États-Unis entendent, par conséquent, continuer à livrer des armements à Kiev dans les mois à venir, avec l'objectif d'aboutir à une victoire tactique de l'Ukraine afin de contraindre Vladimir Poutine à entamer des négociations.
Concernant Israël, Donald Trump devrait, s'il est élu, exercer une pression beaucoup plus forte sur Benjamin Netanyahou afin de montrer qu'il sait, contrairement à Joe Biden, peser sur son allié israélien.
Le Congrès bloque pour l'instant la suspension de l'aide militaire américaine à Israël, mesure qui permettrait à Benjamin Netanyahou d'infléchir sa position sur le terrain.
Peut-être Donald Trump aura-t-il suffisamment de capital politique et d'influence pour convaincre les Républicains d'activer ce levier.
Le candidat républicain devrait également exhorter les alliés du Golfe à se comporter davantage comme des puissances médiatrices sur ce conflit, dans une volonté de régionaliser la résolution de la crise.
Donald Trump souhaite « responsabiliser » les pays arabes sur les enjeux de sécurité et de défense au Moyen-Orient, et ce afin de pouvoir se focaliser davantage sur la région indopacifique.
M. Olivier Cadic. - Deux mondes en réalité s'affrontent : d'un côté la Chine, fondée sur une logique dictatoriale et de soumission, et de l'autre les pays démocratiques qui prônent la liberté d'expression. Une question essentielle demeure : les États-Unis sont-ils en capacité d'assumer ce leadership des démocraties ?
Les États-Unis se trouvent dans une situation d'échec dans plusieurs domaines, qu'il s'agisse de la lutte contre le narcotrafic ou le trafic d'êtres humains.
Le fentanyl issu des précurseurs chimiques chinois a fait 120 000 morts en 2023. Plus de 500 000 migrants illégaux sont entrés aux États-Unis l'an dernier.
Dans le domaine des cybertechnologies, les Américains réalisent qu'ils ne sont plus suffisamment importants pour se confronter seuls à la Chine et réclament non pas une cybersouveraineté, mais une cybersolidarité.
Par ailleurs, les entreprises de la tech américaine ont besoin du marché européen et ne peuvent pas se soumettre à l'administration américaine comme les sociétés chinoises ont l'obligation de se plier à Pékin.
Le jeu chinois consiste à isoler les États-Unis en déconnectant les uns après les autres tous les pays européens. Cette évolution a été mise en lumière par l'Alliance interparlementaire sur la Chine. Ce n'est pas un hasard si celle-ci a par la suite été victime d'une cyberattaque chinoise.
Les Parlements américains pourraient-ils travailler directement avec des parlements étrangers pour réfléchir à des moyens de lutter contre la Chine ? Le Congrès américain serait-il prêt à organiser un travail dans ce sens, si les États-Unis voulaient toujours assumer un leadership ? Le Parlement français doit-il développer une approche directe, en complément de la diplomatie traditionnelle ? Les Américains ont-ils la capacité d'assumer seuls le leadership des démocraties face à la Chine aujourd'hui ?
M. Philippe Folliot. - Je suis membre de la délégation française à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN dont j'ai été le vice-président. Lors de notre session à Sofia la semaine passée, nous avons eu des échanges très fournis avec nos collègues américains, notamment le Républicain Mike Turner et le démocrate Gerry Connolly, qui ont beaucoup oeuvré en faveur de l'adoption du paquet d'aides à l'Ukraine au sein du Congrès.
Comme vous l'avez mentionné, la perspective pour les Américains de vendre des armes, notamment en Europe de l'Est et en Europe centrale, est un argument qui a fortement pesé sur la table.
En effet, comme vous l'avez souligné, il s'agit de savoir si une future défense de l'Europe reposerait uniquement sur des armements américains ou sur une capacité industrielle européenne ?
Je partage par ailleurs votre analyse : je ne crois pas que les États-Unis quitteront l'OTAN même si Donald Trump est élu. Il convient d'ailleurs de rappeler un élément plus symbolique. La session de printemps de l'année prochaine se tiendra à Dayton, aux États-Unis, dans le fief de Mike Turner.
Par ailleurs, la délégation française a porté un amendement adopté à l'unanimité sur le caractère irréversible de l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN. Les États-Unis n'ont pas pris part au vote, mais n'ont pas voté contre.
Nous sommes enfin témoin de la pression exercée de la part de nos collègues américains pour faire évoluer l'OTAN vers une alliance globale, avec toutes les réserves que nous avons exprimées.
Dans ce contexte, qu'en est-il de l'alliance Aukus ? Quel regard portez-vous sur cette nouvelle coalition mise en place entre les États-Unis, la Grande-Bretagne et l'Australie ?
Mme Alexandra de Hoop Scheffer. - La question de la capacité des Américains à assumer seuls le leadership des démocraties est extrêmement intéressante.
Alors que leur propre démocratie montre de plus en plus de signes de vulnérabilité, les États-Unis ne disposent plus de ce « crédit moral » auprès des autres pays du monde.
Le leadership américain, en tant que modèle de démocratie, se trouve ébranlé et concurrencé partout.
J'ai pour ma part beaucoup travaillé sur les interventions militaires ayant suivi le 11 septembre 2001. Ces 20 années de guerre contre le terrorisme ont considérablement abîmé cette supériorité dont se défendait Washington depuis très longtemps.
Cet effritement se reflète au niveau des dialogues sino-américains et de la difficulté des États-Unis à peser sur certains partenaires.
Cet effet de réverbération sur le leadership américain est selon moi très important.
Joe Biden a d'ailleurs, comme annoncé au début de son mandat, accueilli plusieurs sommets pour la démocratie. Le président américain s'est rapidement rendu compte que cette résurrection de l'alliance des démocraties des années 1980-1990 était devenue anachronique. Les pays du Sud global ne souhaitent pas être assimilés à un camp ou un autre, mais privilégient plutôt des relations transactionnelles et opportunistes afin de pouvoir « naviguer » entre les différents camps.
Joe Biden a finalement rétropédalé pour déployer une diplomatie beaucoup plus pragmatique vis-à-vis des États du Sud global dans le cadre de la compétition avec la Chine.
Je crois pour ma part beaucoup à l'avenir du dialogue interparlementaire.
En tant que chargée de mission pour les États-Unis et les relations transatlantiques au Centre d'Analyse et de Prévision du ministère des affaires étrangères de 2006 à 2008, j'ai été amenée à accueillir et organiser chaque année le voyage des senior congressional staffers républicains et démocrates à Paris et en Normandie pour illustrer l'importance de ce lien franco-américain et transatlantique.
Je reste convaincue que les échanges à un niveau sous-gouvernemental peuvent s'avérer particulièrement féconds. Il est d'autant plus indispensable de les renforcer que les tensions au niveau politique sont fortes.
Afin de maintenir le dialogue transatlantique, il est utile de passer par des canaux non pas parallèles, mais complémentaires.
Je travaille également beaucoup avec les entreprises du CAC 40 qui nourrissent des inquiétudes par rapport à la trajectoire, notamment économique et financière, que les États-Unis sont en train de suivre.
Mon travail consiste justement à mettre autour de la table tous les acteurs de l'écosystème de la relation franco-américaine : les parlementaires, les think tanks, les instituts de recherche, mais aussi les industries de la tech qui ont une compréhension parfaitement connectée aux réalités, par rapport aux décideurs politiques parfois peu au fait de ce qui se passe sur le terrain.
Je serais d'ailleurs ravie de voir comment nous pourrions travailler pour avancer sur des sujets très concrets.
La réponse à votre question sur le futur de l'Europe de la défense ne se trouve pas, ici, à Paris, mais à Berlin.
Nous avons pu le constater ces derniers jours avec la visite du président français en Allemagne : on assiste aujourd'hui très clairement à une désynchronisation entre Paris et Berlin sur ce thème qui demeure un sujet de crispation.
Il est d'ailleurs intéressant de noter que la tribune conjointe d'Emmanuel Macron et d'Olaf Scholz dans le Financial Times ne comprenait pas un mot sur l'Europe de la défense.
Contrairement à la France, l'Allemagne reste tributaire de la technologie américaine. Paris et Berlin ne disposent pas non plus des mêmes logiciels sur le nucléaire. La France a donc cette capacité à avoir une voix crédible sur les questions d'Europe de la défense.
Le projet de bouclier antimissile profite à l'industrie américaine, mais est totalement déconnecté de la base industrielle européenne.
Il faut essayer, et j'y travaille à mon niveau depuis maintenant près de deux ans, de trouver un accord et une vision commune avec Berlin de ce que nous voulons accomplir ensemble pour l'avenir de l'Europe de la défense.
Derniers projets issus d'une coopération d'armement franco-allemande, le système de combat aérien du futur (SCAF) et le char du futur (MGCS) avancent lentement.
Il est très intéressant d'observer comment le débat sur ce sujet a évolué en Europe de l'Est, en Europe centrale et dans les pays baltes et scandinaves.
Si ces États continuent d'acheter américain et de signer des accords bilatéraux, la Pologne, l'Estonie, la Suède, la Finlande ou encore les Pays-Bas ont totalement changé leur approche et leur vision de l'Europe de la défense, et se sont beaucoup rapprochés de la position française.
Afin de rassurer les États-Unis et ses partenaires européens, la France doit montrer qu'une Europe de la défense et une relation transatlantique forte ne sont pas incompatibles.
Ces outils doivent être utilisés de manière complémentaire.
Plus ces trois piliers de l'Europe, de la sécurité et de la défense de l'Europe seront forts ensemble, plus nous pourrons répondre de manière efficace aux crises d'aujourd'hui et de demain.
Avec l'alliance Aukus, les États-Unis signifient à l'Europe et a fortiori à la France qu'ils ne leur reconnaissent pas un rôle important dans l'Indopacifique.
La France doit conduire un dialogue stratégique avec les États-Unis pour réexpliquer à Washington quels sont ses intérêts dans la région.
L'alliance Aukus ne convient par ailleurs pas du tout aux États du Sud global (Indonésie, Singapour, Inde, etc.) qui cherchent au contraire à diversifier leurs alliances. À cet égard, les offres française et européenne demeurent très intéressantes pour ces pays.
Le non-alignement de la France sur la politique américaine vis-à-vis de la Chine est à ce titre extrêmement sain et utile. Les États-Unis devraient reconnaître cette complémentarité stratégique comme un bénéfice pour eux. Notre position d'équilibre face à Pékin nous permet en effet de tisser avec la Chine des liens de nature différente sur de nombreux sujets (défense, technologie, industrie, économie).
Nous devons donc avoir une discussion avec nos partenaires européens et américains pour trouver un moyen d'avancer de manière complémentaire.
Je reste convaincue de l'opportunité d'une telle approche.
M. Lauric Henneton. - Tous les canaux de discussions qui échappent à l'obsession médiatique des parlementaires américains ne peuvent que se révéler constructifs.
Ces derniers passent beaucoup de temps à s'invectiver à la télévision. Bien souvent, les postures prennent le dessus sur le travail parlementaire ou empêchent des projets riches et cohérents de voir le jour.
Ces échanges discrets sont donc les bienvenus surtout s'ils reposent sur des relations personnelles entre collègues des différents pays.
Si de telles initiatives pourraient aboutir, elles ne restent néanmoins pas à l'abri d'un échec tant l'obsession médiatique, dont l'enjeu demeure avant tout financier, pèse aux États-Unis.
M. Pascal Allizard, président. - Avant de conclure, je souhaiterais soulever une dernière question qui n'a pas été abordée : la problématique de la monnaie.
Comment voyez-vous l'évolution entre le dollar et le yuan, mais également, entre les deux, de l'euro ?
Mme Alexandra de Hoop Scheffer. - Le dollar est pour les États-Unis un outil de pression et de coercition diplomatiques décliné dans tous les domaines. Cela est amené à perdurer.
Les théâtres sont interconnectés depuis 2014 lors de l'annexion de la Crimée par la Russie et l'émission des sanctions américaines occidentales.
La Chine tente de trouver des moyens de contourner la puissance du dollar en essayant de construire des contre-alliances monétaires avec un certain nombre de pays très dépendants du marché chinois. La Russie se trouve dans la même dynamique.
Face à cette pression assez conventionnelle (sanctions, taxes douanières, etc.) des outils hybrides émergent, beaucoup plus difficiles à contrecarrer.
Pour l'heure, la domination américaine reste prépondérante.
Face à la puissance de l'extraterritorialité américaine, qui va continuer à se décliner dans le cadre de la compétition avec la Chine, la France et l'Europe demeurent désarmées.
Beaucoup de débats ont eu lieu à Bruxelles quant à la nécessité pour l'Union européenne de s'équiper d'outils équivalents. S'ils veulent pouvoir préserver leurs industries et leurs grandes banques, les Européens doivent pouvoir s'armer. Cet impératif n'est pas lié à Donald Trump. L'Europe doit se positionner face à ce qui constitue en réalité une continuité de la politique américaine : les Européens ont reçu le plus d'amendes lors du mandat de Barack Obama.
La coercition financière et économique des États-Unis demeure, au même titre que celle de la Chine, extrêmement forte. Les Européens cèdent beaucoup trop à cette pression qu'ils ont tendance à percevoir comme une fatalité.
Nous devons par conséquent réfléchir très sérieusement à cette question entre alliés européens. Ce n'est pas être antiaméricain que de défendre la souveraineté européenne tout comme les Américains défendent la souveraineté américaine.
Ce sujet devrait être une des priorités de l'agenda européen après les élections de juin.
M. Pascal Allizard, président. - La loi de Gresham risque-t-elle à un moment de s'appliquer ? Les Chinois vont-ils réussir à affaiblir petit à petit le dollar ? Comment se prémunir face à cette éventualité ?
Mme Alexandra de Hoop Scheffer. - C'est un scénario tout à fait envisageable. Les États-Unis font tout pour qu'il ne se produise pas. Cette question fait partie des sujets d'inquiétude de Washington, d'autant plus que la Chine parvient à créer des alliances, y compris multirégionales et multigéographiques. Sa capacité de nuisance peut être démultipliée notamment dans un contexte de conflit comme la guerre en Ukraine.
Ce champ s'inscrit au coeur de la discussion sur la relation transatlantique et l'avenir du leadership américain et mériterait sans doute une session approfondie.
M. Pascal Allizard, président. - Je vous remercie tous les deux au nom de la commission pour cet échange extrêmement riche et intéressant. Vous nous avez apporté un certain nombre de réponses. Je suis convaincu que vous avez aussi généré des questions supplémentaires. C'est là que réside tout l'intérêt de ce genre d'échanges.
La commission avait justement adopté en 2022 un rapport sur les relations franco-américaines intitulé « Amis, alliés, mais pas alignés ».
Je crois que vous nous confortez un petit peu plus dans cette vision des choses.
Désignation d'un rapporteur
M. Pascal Allizard, président. - Nous allons procéder à la désignation d'un rapporteur pour la Convention sur l'accord se rapportant à la convention des Nations-Unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation de l'utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale.
J'ai reçu la candidature de notre collègue André Guiol pour le groupe du Rassemblement démocratique Social Européen.
Y a-t-il des oppositions ?
Personne ne s'oppose à cette désignation.
La réunion est close à 11 h 30.
Cette audition a fait l'objet d'une captation sur le site internet du Sénat.
Projet de loi autorisant la ratification de l'accord se rapportant à la convention des Nations unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale - Désignation d'un rapporteur
La commission désigne M. André Guiol rapporteur sur le projet de loi (AN n°2628) autorisant la ratification de l'accord se rapportant à la convention des Nations unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale (sous réserve de son dépôt).
La réunion est close à 11h30