Mercredi 29 mai 2024

- Présidence de Mme Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, et de Mme Micheline Jacques, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer -

Femmes dans la rue : table ronde sur la situation dans les Antilles et en Guyane

Mme Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes. - Madame la Présidente Micheline Jacques, chers collègues, je me réjouis de cette réunion conjointe entre la délégation aux droits des femmes et la délégation sénatoriale aux outre-mer. Elle s'inscrit dans le cadre des travaux que notre délégation mène actuellement sur les femmes dans la rue.

Nos deux délégations se rejoignent régulièrement sur des sujets d'intérêt partagés. Pour mémoire, nous avons publié l'année dernière un rapport commun sur la parentalité dans les outre-mer. Nous avions également travaillé ensemble en 2020 sur les violences faites aux femmes dans les outre-mer.

S'agissant de la situation des femmes en errance, nous comptons aujourd'hui, au niveau national, 330 000 personnes sans domicile, dont 40 % de femmes, bien souvent avec des enfants.

Parmi ces personnes sans domicile, 30 000 personnes, dont environ 3 000 femmes et 3 000 enfants, sont dites sans abri, c'est-à-dire qu'elles passent la nuit dans la rue, dans des voitures ou des abris de fortune.

Si cette triste réalité est particulièrement prégnante en Île-de-France, elle est malheureusement présente dans de nombreux territoires, y compris dans les outre-mer.

Comme toujours au Sénat, nous attachons une grande importance à la dimension territoriale de nos travaux et nous nous efforçons en particulier de mettre en lumière les situations souvent spécifiques des outre-mer : spécificités géographiques, économiques, sociologiques ou culturelles.

Cette exigence nous a naturellement été rappelée par notre collègue rapporteure Marie-Laure Phinera-Horth, sénatrice de la Guyane.

Je suis entourée de deux des trois autres rapporteures sur cette thématique : Agnès Evren et Olivia Richard.

Je précise que cette audition fait l'objet d'une captation audiovisuelle en vue de sa retransmission en direct sur le site et les réseaux sociaux du Sénat.

Le sujet dont nous traitons aujourd'hui se trouve au croisement de plusieurs problématiques : augmentation et féminisation de la précarité, manque de solutions d'hébergement et de logement, lutte contre les violences sexuelles et sexistes, accès aux soins, ou encore insertion professionnelle et sociale.

Afin de nous apporter un éclairage sur ces questions, nous entendons ce matin des représentantes de trois territoires :

- pour la Guyane : Isabelle Hidair-Krivsky, anthropologue et directrice régionale aux droits des femmes et à l'égalité - que nous avions déjà entendue dans le cadre de nos travaux communs sur la parentalité dans les outre-mer ;

- pour la Guadeloupe : Lucette Faillot, directrice régionale aux droits des femmes et à l'égalité - que nos collègues ont rencontrée l'année dernière lors d'un déplacement aux Antilles, dans le cadre du rapport sur la parentalité ; Kessy Chenilco, responsable du SIAO-115, et Malika Fiscal, responsable des équipes du Samusocial - services gérés par la Croix-Rouge ;

- pour la Martinique : Sophie Chauveau, sous-préfète à la cohésion sociale et à l'emploi et Vanessa Catayee, son adjointe, et Murièle Cidalise-Montaise, directrice régionale aux droits des femmes de la Martinique.

Bienvenue à vous. Merci de participer à cette table ronde sur ce sujet crucial.

Vous nous dresserez un tableau de la situation dans vos territoires respectifs. À combien évaluez-vous le nombre de femmes sans domicile et sans abri ? Quels sont leurs profils et les raisons qui expliquent leur absence de logement ?

Vous nous exposerez également les moyens déployés par l'État pour fournir des mises à l'abri, via des places d'hébergement d'urgence, mais aussi des solutions de logement, en nous précisant quelle attention particulière est portée aux femmes. Combien de places d'hébergement sont disponibles dans vos territoires, et combien de places non-mixtes ?

Par ailleurs, quel rôle le SIAO joue-t-il dans la coordination et le pilotage de l'ensemble des acteurs de l'hébergement et du logement - État, collectivités et associations - et quelles difficultés rencontre-t-il ?

Enfin, vous nous ferez part de vos préconisations. En effet, au-delà des constats, l'objectif de notre rapport est également de trouver des solutions pour toutes ces femmes et ces familles.

Avant d'entendre nos intervenantes, je laisse la parole à notre collègue présidente de la délégation sénatoriale aux outre-mer, Micheline Jacques.

Mme Micheline Jacques, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Madame la Présidente, Mesdames, chers collègues, je serai brève, vu la qualité des intervenantes à cette table ronde. Je tiens à remercier sincèrement la délégation aux droits des femmes, et tout particulièrement sa présidente Dominique Vérien et les rapporteures, pour cette réunion conjointe qui nous permet de partager nos réflexions sur un problème croissant et préoccupant dans nos outre-mer comme dans l'Hexagone : le sort des femmes dans la rue.

Je tiens à saluer votre démarche, car vous avez tenu à dresser ce point d'attention particulier sur les outre-mer. J'ai conduit en avril dernier une mission de la délégation aux outre-mer aux Antilles avec les deux rapporteurs de notre étude sur l'adaptation des modes d'action de l'État, Philippe Bas et Victorin Lurel. Nous n'ignorons pas les situations dramatiques qui existent dans nos territoires ultramarins, notamment du fait des violences intrafamiliales.

Je me félicite aussi qu'entre nos différentes délégations, les liens soient étroits et réguliers, dans l'esprit des recommandations du groupe de travail de notre collègue Pascale Gruny. Nous avons déjà eu l'occasion de travailler ensemble, de manière très fructueuse, sur des thèmes importants comme la lutte contre les violences faites aux femmes ou la parentalité.

En conclusion, je me félicite de cette nouvelle réunion commune qui nous permet, à l'instar de la récente commission d'enquête sur le narcotrafic, d'inclure les problématiques ultramarines dans vos réflexions, et de prendre ensemble la mesure des défis à relever.

Mme Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes. - Merci beaucoup, chère Présidente. Je me tourne désormais vers nos écrans, puisque c'est en visioconférence qu'Isabelle Hidair-Krivsky intervient depuis la Guyane.

Mme Isabelle Hidair-Krivsky, anthropologue, directrice régionale aux droits des femmes et à l'égalité de la Guyane. - Mesdames et Messieurs, je vous remercie pour cette invitation.

En Guyane, 53 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, avec moins de 1 000 euros par mois. Dans la population nationale, ce taux s'élève à 14 %. La moitié des Guyanais se trouve en situation de privation matérielle et sociale. Environ 29 % d'entre eux vivent dans une pauvreté extrême, avec moins de 470 euros par mois et subissent, dans leur quotidien, au moins cinq des treize privations permettant de mesurer la privation matérielle et sociale dont souffre cette population. Ces restrictions concernent le logement, l'habillement, l'alimentation, les loisirs, ainsi que d'autres besoins tels que l'accès à Internet, à un domicile, ou à un moyen de transport.

Ces personnes cumulent une forme sévère de pauvreté monétaire, et au moins sept privations matérielles et sociales, témoignant de difficultés intenses dans leur vie quotidienne. Par exemple, le Haut Conseil de la santé publique nous rappelle que la consommation d'alcool est particulièrement préoccupante chez les adolescentes enceintes. Environ 34 % d'entre elles ont consommé de l'alcool durant leur grossesse, augmentant le risque de prématurité de 13 %.

Par ailleurs, le territoire est fortement touché par la consommation de crack. Bien que celle-ci soit circonscrite à une population très marginalisée, elle est présente et visible parfois même en pleine rue. C'est notamment le cas dans les agglomérations de Cayenne et de Saint-Laurent du Maroni. Toujours selon le Haut Conseil de la santé publique, la consommation de crack touche particulièrement les milieux de la prostitution et de l'orpaillage, les personnes en errance, les chômeurs, ainsi que les habitants de la zone géographique du Haut-Maroni.

Le taux d'activité des femmes est inférieur à celui des hommes. Elles se retrouvent souvent au chômage, et leur rémunération est bien plus faible que celle de leurs homologues masculins.

Après cet état des lieux, je présenterai la question des femmes dans la rue en deux parties : la première consacrée aux maraudes, la seconde aux guichets uniques de rue. Ces maraudes sont coordonnées par l'Association guyanaise de réduction des risques, l'AGRR. Celle-ci se consacre à la réduction des risques liés à l'utilisation de produits légaux tels que l'alcool et le tabac, ainsi que de produits illégaux tels que le crack et la cocaïne, tout en abordant des pratiques à risque liées à la santé sexuelle et reproductive.

Pour l'année 2023, les volontaires se sont engagés pour un total de 300 heures, dont 140 dédiées aux maraudes, 60 aux guichets uniques de rue et 100 dans des contextes festifs. Trois fois par semaine, des médiateurs ou médiatrices, accompagnés d'un ou d'une bénévole, sillonnent les quartiers de Cayenne et de Matoury en camion équipé, ou à vélo dans les quartiers difficiles d'accès par la route.

Deux fois par mois, les maraudes réalisent des tests rapides d'orientation diagnostique (TROD) en partenariat avec Médecins du Monde et l'association Entraide. La nécessité d'une habilitation TROD s'est révélée cruciale en raison de la prévalence des agressions sexuelles dans la rue, partiellement responsables de la transmission du virus du sida. Avec 490 malades du VIH pour 100 000 habitants, la Guyane affiche la plus forte prévalence de France. D'après Santé Publique France, les étrangers sont surreprésentés parmi les personnes séropositives en Guyane, mais les études montrent qu'ils sont infectés après leur arrivée sur le territoire.

10 % des malades ignorent leur statut, et 24 % se sont vus diagnostiquer des infections à un stade avancé de la maladie. En Guyane, la transmission du VIH se fait majoritairement par voie hétérosexuelle, et la prostitution est l'un des principaux vecteurs de l'épidémie. C'est pour cette raison que l'association Entraide cible particulièrement les travailleurs, et notamment les travailleuses du sexe, en distribuant des kits contenant des préservatifs et des gels. Par ailleurs, les maraudes de l'AGRR sont renforcées par des permanences deux fois par semaine au siège de l'association. Ces accompagnements individualisés facilitent l'accès aux droits, l'explication des processus administratifs, l'orientation vers d'autres structures, et favorisent la reprise du lien familial.

Les acteurs de terrain privilégient souvent une approche axée sur les soins, alors que celle-ci ne correspond pas nécessairement aux attentes des usagers. Ils demandent avant tout un abri comme point de départ pour leur projet de vie, considérant le sevrage comme une seconde étape.

Les demandes d'hébergement de la part des femmes accompagnées sont nombreuses, témoignant d'une souffrance accrue, de la fatigue liée à la vie en rue et des violences. La Guyane compte cinquante-et-une places disponibles pour les femmes victimes de violences, réparties en vingt-quatre places de stabilisation, quinze hébergements d'urgence et douze hébergements temporaires.

Cependant, ces places sont totalement insuffisantes par rapport aux besoins exprimés. La plupart des associations doivent recourir aux nuitées d'hôtel et aux locations de gîte pour répondre aux demandes d'urgence. Les femmes rencontrent de nombreux obstacles qui affectent leur vie quotidienne, que ce soit pour l'accès à l'eau, aux douches, pour déposer plainte, pour obtenir une domiciliation, un hébergement ou un lieu sûr pour protéger leurs effets personnels et éviter les violences et les vols. Ces difficultés accentuent la marginalisation et la stigmatisation des femmes vivant dans la rue.

Une étude du Samusocial montre que les femmes rencontrées sont généralement plus jeunes que les hommes. La majorité d'entre elles sont âgées de 26 à 40 ans. Aucune n'a plus de 60 ans et très peu sont mineures. Elles se trouvent souvent dans des situations plus complexes que celles des hommes, sont plus isolées des structures et plus difficiles à approcher, car elles sont souvent fuyantes.

Ensuite, le guichet unique de rue (GUR) est un événement mensuel rassemblant durant quatre heures des associations médico-sociales au centre-ville de Cayenne. Les rôles des partenaires sont bien définis. Un repas chaud est distribué par Humanity First. Médecins du Monde, la Croix-Rouge, la Cimade et le Centre d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) informent et accompagnent les familles sur l'accès aux droits. Une vestiboutique de la Croix-Rouge distribue des vêtements. Des espaces dédiés sont proposés aux enfants. L'AGRR propose du matériel de prévention stérile. Le Planning familial sensibilise et distribue des préservatifs, le Samusocial apporte un renfort infirmier, et le Centre de prévention de santé de la Croix-Rouge réalise des TROD. L'équipe mobile de psychiatrie et précarité et la plateforme de rétablissement du groupe SOS offrent un espace de parole.

Aux côtés de tous ces acteurs, le médiateur de santé du Comité pour la santé des exilés renforce l'accompagnement pour l'ouverture des droits. Un interprétariat professionnel est disponible. Un médecin généraliste réalise des consultations visant à orienter vers la permanence d'accès aux soins (Pass) du Centre Hospitalier de Cayenne et vers l'équipe mobile de psychiatrie et précarité. Les consultations sont ouvertes à tous les âges, de la pédiatrie aux personnes âgées, de toutes les origines et toutes les pathologies. Elles sont réalisées en français, en anglais, en espagnol, et, si nécessaire, en portugais et en arabe, avec l'aide d'un médiateur et d'un interprète.

Les difficultés rencontrées par le GUR relèvent de la fragilité sociale, de la rupture du lien et de l'exclusion sociale. Grâce au cofinancement de la préfecture, de l'Agence régionale de santé (ARS) et de la collectivité d'agglomération du centre littoral, un réseau de travail regroupant une quinzaine d'associations oeuvre dans le domaine de la précarité. Une équipe composée d'une cinquantaine de personnes permet au GUR d'ouvrir ses portes le troisième jeudi du mois au marché de Cayenne, de 9 heures à 13 heures.

En 2022, 174 personnes ont été reçues, dont 48 femmes. En 2023, 242 personnes ont été accueillies, dont cinquante-deux femmes. En moyenne, 25 % du public du GUR est constitué de femmes, et 12 % sont des enfants.

La Syrie, l'Afghanistan et le Maroc sont les trois pays d'origine les plus représentés parmi le public accueilli. Parmi les usagers, 46 % vivent dans la rue, 12 % en habitat informel, 72 % sont demandeurs d'asile, 13 % sont en situation irrégulière, 7 % sont de nationalité française et 6 % possèdent un titre de séjour. En outre, 75 % des bénéficiaires déclarent ne pas savoir ce qu'est une protection de santé et ne pas avoir de ressources financières.

Je mentionnerai enfin le Programme régional relatif à l'accès à la prévention et aux soins des personnes les plus démunies (Praps). Il met en synergie les établissements de santé publics et privés, constituant ainsi des points d'entrée clés pour les publics précaires, notamment grâce aux permanences d'accès aux soins présentes dans les trois hôpitaux publics. Les quatorze centres délocalisés de prévention et de soins et les trois hôpitaux de proximité, gérés par le centre hospitalier de Cayenne, jouent un rôle essentiel dans l'accès aux soins des personnes précaires vivant dans des zones isolées. Dans le domaine de la santé mentale, il convient aussi de souligner le rôle des six centres médico-psychologiques et des trois centres d'aide thérapeutique à temps partiel.

Les équipes mobiles de Saint-Georges-de-l'Oyapock, sur le Maroni, les quatre équipes mobiles en santé mentale, ainsi que plusieurs dispositifs mobiles dans les domaines du handicap et du grand âge, renforcent la couverture sanitaire du territoire. Les médiateurs de santé jouent un rôle crucial en aidant les usagers à comprendre et à se repérer dans des parcours de soins souvent très complexes. Le secteur associatif est très actif en Guyane sur les questions de santé et de précarité, jouant un rôle primordial dans les soins et la prévention dans divers domaines tels que la vie affective et sexuelle, les addictions, la périnatalité et le suivi des victimes de violence en rue. Les Centres communaux d'action sociale (CCAS) regroupent de nombreuses compétences au bénéfice des publics précaires.

Je conclurai mon propos par les recommandations suivantes :

- mettre à disposition des logements et dispositifs adaptés aux femmes, afin d'éviter les logements mixtes ;

- améliorer l'accès à l'hébergement pour les usagers de drogues et créer des espaces de consommation plus sécurisés ;

- installer des bagageries et des consignes afin de prévenir les violences en rue ;

- multiplier les accueils de jour réservés aux femmes.

Je vous remercie pour votre attention.

Mme Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes. - Merci beaucoup pour votre intervention. Je laisse maintenant la parole à Kessy Chénilco et Malika Fiscal de la Croix-Rouge, qui gèrent le SIAO-115 et le Samusocial en Guadeloupe.

Mme Kessy Chenilco, responsable du SIAO-115 de la Guadeloupe et de Saint-Martin. - 

De façon générale, le SIAO travaille en étroite collaboration avec le Samusocial, qui est un dispositif d'« aller vers » accompagnant le public à la rue, notamment les femmes en grande précarité et les personnes victimes de violences. Nous sommes accompagnés par la Direction départementale de l'emploi, du travail et des solidarités (DDETS) ainsi que par la Direction régionale aux droits des femmes et à l'égalité (DRDFE), représentée par Lucette Faillot.

Malika Fiscal vous présentera sa file active de façon générale, et la mise en place de l'accompagnement pour ce public. Nous exposerons ensuite notre bilan d'activité pour l'année 2023 de façon générale, en nous concentrant sur les personnes victimes de violences.

Mme Malika Fiscal, responsable des équipes du Samusocial de la Guadeloupe. - Le Samusocial intervient sur l'ensemble du département. Nous proposons des maraudes avec des accompagnements sanitaires et sociaux auprès des personnes en situation de précarité. Nous offrons également une aide matérielle sous forme de collations, de boissons et de nourriture. Par ailleurs, nous menons des projets en faveur de l'hygiène et proposons des distributions de kits scolaires et de vêtements.

En 2023, le Samusocial a accompagné 997 personnes, totalisant 11 827 rencontres. Parmi ces personnes, 139 étaient des femmes, représentant 17,96 % de la file active. Leur moyenne d'âge se situe généralement entre 35 et 45 ans, mais nous commençons également à recevoir une certaine proportion de femmes plus âgées, de plus de 60 ans.

Ce public est particulièrement vulnérable et fragile, ce qui rend parfois leur approche difficile par nos équipes. Ces femmes restent généralement peu demandeuses et se tiennent en retrait, peut-être en raison de la visibilité de nos véhicules floqués Croix-Rouge. Nous envisageons de travailler sur une approche différente, en trouvant des points de ressources et des lieux facilitateurs pour créer un espace plus discret pour ces personnes.

À l'instar de notre collègue de Guyane, nous rencontrons également des problématiques liées à la vulnérabilité du public, notamment les violences et agressions sexuelles et sexistes. Nous observons également un cumul de problématiques d'addictions et de santé mentale, qui peuvent entraver l'orientation vers les dispositifs de droit commun.

Mme Kessy Chenilco. - Le SIAO fonctionne avec trois pôles distincts, le service d'urgence - le 115 - qui reçoit les appels pour les demandes de mise à l'abri ; le service d'insertion, qui oriente vers des dispositifs de logement adaptés et facilite l'accès à l'insertion par l'hébergement ; enfin un observatoire social, chargé de recenser les données statistiques relatives à l'activité du service et de réaliser des focus sur le public accompagné.

En 2023, nous avons reçu 5 136 appels, dont 261 concernaient des demandes de mise à l'abri d'urgence. Parmi celles-ci, 251 personnes victimes de violences ont été mises à l'abri. Nous avons recours à deux dispositifs financés par la DDETS et la DRDFE, notamment des nuitées hôtelières pour la prise en charge des personnes victimes de violences, ainsi que des taxis sociaux.

Nous avons sollicité 5 225 nuitées hôtelières pour 467 personnes, effectué 330 courses de taxis sociaux pour 483 personnes et traité 195 dossiers par le service d'insertion pour 67 ménages orientés dans le cadre de commissions partenariales d'orientation. Parmi les 136 signalements de personnes victimes de violences, 72 étaient des femmes accompagnées de 139 enfants. Sept femmes étaient enceintes, et 51 étaient seules. En regroupant les femmes seules et les femmes avec enfants, nous avons accompagné 113 personnes.

Sur le territoire de Saint-Martin, l'activité a été redéployée en mai 2023. Six personnes victimes de violences ont été mises à l'abri ; neuf femmes seules et huit femmes avec enfants ont été signalées.

Le SIAO reçoit des sollicitations de personnes qui, par crainte de leur agresseur, préfèrent ne pas intégrer les dispositifs d'aide existants sur le territoire dans l'immédiat. Elles demandent néanmoins notre accompagnement face à leurs difficultés. Nous avons également mis à disposition des kits pour les personnes victimes de violences, disponibles auprès des forces de l'ordre et des hôteliers vers lesquels nous les orientons avant qu'elles puissent intégrer les centres d'hébergement.

Ces femmes sont souvent confrontées à des problématiques sociales multiples, telles que des ruptures familiales, des troubles psychiques et des problèmes de santé. ces problématiques rendent difficile leur orientation vers les structures d'hébergement existantes. En effet, ces dernières ne sont parfois pas dotées de professionnels capables de proposer un accompagnement social adapté et de qualité, notamment sur le plan de la santé.

Il est important de noter que les personnes victimes de violences hésitent souvent à signaler leur situation par peur. Pour cette raison, le SIAO et le Samusocial s'efforcent de les rassurer et de les informer sur les dispositifs existants. Nous travaillons en étroite collaboration avec les associations d'aide aux victimes, principalement Guadav (Guadeloupe accès au droit et aide aux victimes) et Initiatives France victimes Guadeloupe, qui offrent un accompagnement juridique et social.

Nous oeuvrons également à la mise en place de conventions entre le SIAO et la Croix-Rouge. Nous disposons de nombreux dispositifs d'accompagnement pour le public. Notre objectif est de désigner des référents par structure, notamment auprès de la Caisse d'allocations familiales (CAF), qui accompagne les femmes et les familles. Nous avons constaté que l'ouverture des droits n'est pas toujours effective et que la permanence d'accès aux soins de santé n'est pas présente sur tout le territoire. Ses missions ne sont pas totales. Les personnes en situation irrégulière ne peuvent pas accéder à des soins de qualité en Guadeloupe.

Les personnes à la rue sont désormais mieux recensées grâce à un renforcement de notre équipe depuis février 2024, après le recrutement d'un chargé de mission. Celui-ci a produit un rapport d'activité pour 2023, permettant de fournir des données plus qualitatives.

Le SIAO joue un rôle essentiel dans la coordination des dispositifs existants. Il travaille avec les partenaires pour améliorer l'accompagnement des personnes sur le territoire.

Notre travail est en cours, malgré les difficultés rencontrées par les structures partenaires. Nous encourageons ces dernières à nous faire part de leurs problématiques afin de mieux coordonner les actions sur le territoire. Nous portons également un parcours de sortie de prostitution pour les personnes victimes du système prostitutionnel, en partenariat avec l'association Île y a, implantée dans un quartier à forte présence de prostitution de rue. Nous avons obtenu un agrément en ce sens en avril 2023. Nous avons également sensibilisé les partenaires et les élus pour mieux comprendre et accompagner ces personnes.

Une commission sera prochainement mise en place pour traiter les situations des personnes souhaitant sortir de la prostitution et les accompagner de manière appropriée.

Mme Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes. - Merci beaucoup. Nous allons rester en Guadeloupe en écoutant Lucette Faillot, directrice régionale aux droits des femmes et à l'égalité.

Mme Lucette Faillot, directrice régionale aux droits des femmes et à l'égalité de la Guadeloupe. - J'ai écouté attentivement les interventions de mes collaboratrices. J'essaierai d'être concise. Je reviendrai d'abord sur la thématique que vous avez posée, « les femmes dans la rue ». Ce phénomène est assez récent en Guadeloupe. Historiquement, on n'apercevait pas les femmes dans la rue. Nous y voyons une sorte de rupture sociale, sociétale et culturelle.

Autrefois, lorsqu'on parlait de sans domicile fixe, on imaginait principalement des hommes. Voir des femmes dans la rue constitue un choc pour la conscience collective. Cette prise de conscience a été renforcée par la crise sanitaire que nous avons traversée.

Ce changement révèle également l'état de la société guadeloupéenne. Les codes de solidarité sociale, qui visaient à subvenir aux besoins des démunis, notamment des femmes, semblent s'être érodés. Cette situation est récente et déplorable.

En Guadeloupe, il existe déjà une stratégie établie par l'État pour gérer l'errance dans la rue. Elle doit être renforcée face aux problématiques spécifiques des femmes sans abri. Cette démarche doit inclure leur visibilité, qui envoie un message négatif aux jeunes et moins jeunes, nécessitant une prise de conscience collective.

Divers services de l'État, comme la DDETS et le sous-préfet à la cohésion sociale, sont impliqués dans la stratégie de lutte contre la pauvreté. Actuellement, il existe quarante-cinq places d'hébergement d'urgence pour les femmes victimes de violence, et 125 places d'hébergement classique.

Les dernières données de veille sociale montrent une marginalisation accrue, notamment en Basse-Terre - avec quatre-vingt-seize personnes sans abri, dont vingt femmes - et à Pointe-à-Pitre, avec 211 personnes, dont trente-trois femmes à la rue. Environ 15 % de ces personnes sont en situation irrégulière. Elles sont âgées de 45 ans en moyenne. Elles sont souvent confrontées à des problématiques de santé chroniques telles que du diabète, des troubles psychologiques et des addictions au cannabis et au crack.

Saint-Martin, qui fait partie de notre région, connaît également des difficultés, notamment en matière d'hospitalisation et de disponibilité des hébergements, surtout durant la période touristique.

Il est important de souligner que malgré ces défis, des stratégies et dispositifs sont en place pour répondre aux besoins des personnes sans abri. Ils doivent être renforcés et adaptés pour mieux répondre aux spécificités des femmes concernées.

La situation de la Guadeloupe présente certaines particularités. Il est crucial d'y assurer une couverture territoriale complète pour pallier les difficultés rencontrées, telles que la topographie et la mobilité géographique. Ces facteurs sont essentiels dans l'accompagnement des personnes sans abri, d'autant plus que les températures tropicales ajoutent des problématiques supplémentaires, puisqu'elles occasionnent des risques de maladies.

Il est également essentiel de souligner la nécessité d'une communication et d'une visibilité accrues concernant ces personnes. Les sans-abri ne sont pas seulement des individus issus de milieux pauvres. Certains ont vécu des déceptions ou des ruptures familiales importantes. Ces dernières les laissent sans repères ni sécurité familiale et nécessitent un accompagnement par des professionnels.

En Guadeloupe, la Croix-Rouge propose des dispositifs bien connus, mais cette notoriété peut engendrer une certaine appréhension de la part de ceux qui pourraient en bénéficier. En effet, l'association est souvent apparentée à une grande pauvreté, ce qui peut dissuader certains de solliciter son aide. D'autres structures, telles que les centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), sont tout aussi compétentes pour accueillir ces personnes en préservant une certaine discrétion, mais la difficulté réside dans l'accompagnement dans la durée.

Nous sommes confrontés à un défi majeur, qui consiste à retisser les liens avec les familles, souvent déconnectées et réticentes à renouer contact avec leurs proches sans-abri. Il est également crucial de revaloriser ces personnes, de leur montrer qu'elles sont des individus dignes de respect et d'attention.

Le défi, pour les structures d'accompagnement et les services de l'État, ainsi que les collectivités locales avec les CCAS aussi impliquées, consiste à travailler sur ces thématiques afin que les sans-abri ne se sentent pas chosifiés par une société qui ne leur est pas favorable.

Mme Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes. - Je me tourne enfin vers les représentantes de la préfecture de la Martinique et je les laisse organiser leur prise de parole comme elles le souhaitent.

Mme Sophie Chauveau sous-préfète à la cohésion sociale et à l'emploi de la Martinique. - Je partagerai avec vous quelques remarques liminaires. Murièle Cidalise-Montaise complétera mon propos et mettra en lumière certaines problématiques spécifiques à notre région.

En Martinique, comme dans la plupart des territoires ultramarins, nous faisons face à des problématiques de pauvreté. Elles touchent particulièrement les femmes. Ici, le recensement des femmes sans abri n'est pas simple, car beaucoup d'entre elles sont invisibles. Par exemple, bien qu'elles soient présentes dans le centre-ville de Fort-de-France, elles ne sont pas toujours perceptibles lorsque les maraudes se déplacent.

À ce titre, nous portons une initiative, qui devrait se déployer d'ici la fin de l'année 2024, en collaboration avec le Samusocial et la Croix-Rouge. Elle vise à opérer un décompte des personnes à la rue à un moment donné, avec l'objectif de genrer ces statistiques tout en gardant à l'esprit que ces personnes peuvent ne pas être constamment sans abri. Elles disposent parfois d'un logement temporaire.

La prise en charge de ces populations est largement assurée par la Croix-Rouge et le Samusocial. Nous avons aussi la chance de bénéficier d'une implantation du mouvement national du Nid à Fort-de-France. Ce mouvement est très actif et ambitionne de se déployer sur d'autres territoires des Antilles. Il nous offre une connaissance plus qualitative de ces populations.

Notre regard est par ailleurs biaisé par le fait que beaucoup de ces femmes sans abri sont des migrantes, ce qui ajoute de la complexité à leur situation et à leur accès aux droits. Même si nous parvenons à les protéger temporairement, notamment lorsqu'elles s'inscrivent dans un parcours de sortie de prostitution, leur avenir reste souvent incertain, faute d'un accompagnement complet.

En termes d'outils, la Croix-Rouge en Martinique a déployé un centre d'accueil spécifique pour les femmes sans abri et les femmes en situation d'addiction. Celui-ci travaille sur une adaptation de ses services à ces populations et propose un accompagnement complet, y compris pour les femmes enceintes.

Je me dois également de souligner une collaboration entre la Délégation régionale aux droits des femmes et à l'égalité et l'ARS. Elle vise à une prise en charge globale des difficultés rencontrées par les femmes, englobant les aspects médicaux, sociaux et sanitaires.

Enfin, la collectivité porte un projet de Maison des femmes, qui ne sera pas uniquement dédié aux femmes sans abri. Elle visera à répondre à diverses situations rencontrées par les femmes sur notre territoire.

Mme Murièle Cidalise-Montaise, directrice régionale aux droits des femmes de la Martinique. - Je compléterai brièvement le tableau dressé collectivement par les représentantes des régions ultramarines et par Sophie Chauveau, en ajoutant quelques éléments sur les dispositifs qui me viennent à l'esprit au fil des conversations.

En particulier, je souhaite mentionner le contrat territorial de sécurité signé entre la collectivité territoriale de Martinique et l'État, représenté par la préfecture de la Martinique. Bien que cela puisse sembler inattendu, ce contrat territorial de sécurité aborde de manière large tous les aspects de la sécurité, y compris les problèmes d'attractivité et de violences sexuelles envers les femmes. Ce cadre se décline dans les contrats locaux de sécurité dans certaines communes et villes de la Martinique, mettant en oeuvre des actions ciblées pour les femmes les plus précaires et celles exposées à des violences, notamment celles que l'on retrouve ou pourrait retrouver en situation de rue, même de manière provisoire.

Un autre dispositif d'accueil important, Elle se pose, est financé par un appel à projets conjoint du ministère de l'intérieur et des outre-mer et du ministère de la santé. Porté par la Croix-Rouge, il est spécifiquement genré pour les femmes en situation de rue. Il n'a pas encore été évalué, mais le sera au cours du deuxième semestre de cette année, ce qui permettra de disposer de données plus précises.

Il est également crucial de souligner la mobilisation du tissu associatif, qui constitue un véritable rempart. Nous avons évoqué les dispositifs étatiques en mentionnant les principales administrations concernées par la lutte contre la précarité et l'errance, mais il ne faut pas sous-estimer l'importance des associations locales. La Croix-Rouge, déjà citée comme un partenaire incontournable, est accompagnée par d'autres associations comme le Secours catholique et le Secours adventiste. Bien que leur impact ne soit pas toujours mesuré de manière formelle, ces acteurs de terrain jouent un rôle crucial, souvent en première ligne face aux populations de la rue, y compris les femmes.

Revenons aux propos introductifs et aux questions précises posées. Je ne connais pas le nombre de femmes à la rue. Je tiens à préciser que mes observations sont empiriques. En plus des éléments qualitatifs et quantitatifs apportés par mes consoeurs, je note que certains territoires de la Martinique sont plus directement concernés que d'autres. C'est le cas de l'agglomération centre, notamment le Lamentin. Nous y observons un phénomène lié à la consommation de drogues, en particulier le crack. À Fort-de-France, certains quartiers sont marqués par la prostitution de rue.

Lucette Faillot le disait, ce phénomène est nouveau. Traditionnellement, les femmes de nos territoires qui vivent « normalement », si je peux m'exprimer ainsi, ne sont pas à la rue. En tout cas, elles n'y sont pas à certains endroits ou à certaines heures. Elles passent, elles transitent, elles s'activent, mais elles ne restent pas dans la rue. Ainsi, le phénomène des femmes de rue est forcément lié à l'augmentation de la précarité et à la rupture du lien social et culturel. Il est visible, ne serait-ce qu'autour de la préfecture. En centre-ville, j'ai décompté six femmes dans la rue sur le périmètre que je parcours à pied pour me déplacer. C'est beaucoup, et c'est nouveau. Elles présentent toutes les comportements et pathologies que vous avez décrits, notamment liés à des problèmes psychologiques et sanitaires. Celles que je vois sont seules.

Pardonnez-moi pour cette approche très empirique, mais je partage ce que je connais, et je souligne que ce phénomène est relativement nouveau. Sophie Chauveau le disait, ces femmes passent un peu « sous les radars ». Nous avons du mal à obtenir des données genrées sur la précarité et la grande précarité. Il me semble essentiel de genrer toutes nos politiques publiques, qu'il s'agisse du social, du soin ou de l'intervention publique, pour adopter une approche plus rationnelle de ce problème et mieux le régler en le mesurant mieux.

Concernant les questions sur l'hébergement et le logement d'urgence, nous sommes déjà en défaillance quantitative. Nous proposons quarante-neuf hébergements d'urgence et d'insertion en Martinique. Ils sont saturés. Le flux est permanent, et notre manque de logements sociaux - au nombre de 30 000 environ sur le territoire - est criant. Le parc privé est difficilement mobilisable pour des publics en difficulté.

La problématique de l'hébergement d'urgence est ainsi celle qui me semble la plus importante. Isabelle Hidair-Krivsky soulignait la demande prioritaire de ces populations très exposées. Je la rejoins. Avant même d'être prises en charge sur les aspects sanitaires, sociaux ou d'intégration, elles ont besoin d'un hébergement.

Les partenaires ont déjà été cités. Je ne les rappellerai donc pas. Simplement, je me permettrai d'émettre quelques suggestions qui me sont venues à l'esprit grâce à cette table ronde et à ces échanges.

Il a été question de nuitées hôtelières, mais celles-ci n'impliquent aucun accompagnement. Peut-être faudrait-il concrétiser une convention entre le SIAO et les associations qui interviennent chacune dans leur domaine, apportant une action intégrative d'urgence, des paniers alimentaires, des paniers d'hygiène, mais aussi des actions d'accompagnement économique et social. Une convention avec le SIAO serait utile. Une réunion de travail sur ce sujet est prévue avec la préfecture de la Martinique.

Ensuite, la question de l'accès au titre de séjour est compliquée pour les personnes en parcours de sortie de prostitution. Depuis 2019, sur 300 personnes potentiellement concernées, trente-trois ont obtenu un titre de séjour. Leur intégration est très réussie, mais l'accès au titre de séjour reste difficile. Les ressortissants que nous accueillons sont surtout vénézuéliens, haïtiens, issus de la République dominicaine, et parfois d'autres territoires.

La coordination des acteurs est fondamentale. Une vision nette et documentée de la situation des femmes dans la rue en Martinique est nécessaire. Pour le moment, elle n'est pas assez documentée. Une bonne coordination des acteurs me semble indispensable.

Je me permets d'évoquer un dernier exemple : une action a été menée pour l'accueil des grands marginaux avec un hébergement dédié au centre-ville de Fort-de-France. Actuellement, seuls des hommes y sont accueillis. S'il est souhaitable d'éviter la mixité dans ces cas-là, il me parait nécessaire de souligner ce constat.

Mme Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes. - Vous nous avez offert un récapitulatif instructif. Je souhaiterais rebondir sur vos propos concernant les politiques genrées. À la délégation aux droits des femmes, à travers nos divers rapports, nous avons adopté deux principes fondamentaux. Le premier consiste à dire que nous devons compter ces femmes pour qu'elles comptent. En effet, tant que nous ne les recensons pas, nous ne pouvons pas prendre pleinement conscience de leur existence. Le second principe est le suivant : différencier n'est pas discriminer. C'est particulièrement crucial lorsqu'il s'agit des questions de santé, entre autres.

J'ai remarqué avec intérêt que les femmes originaires de République dominicaine et d'Haïti sont plus représentées parmi les femmes étrangères en Martinique. Quelles sont les nationalités prédominantes en Guadeloupe et à Saint-Martin ?

Je suis également surprise par ce qui se passe en Guyane, où l'on perçoit une filière impliquant potentiellement le Brésil pour l'arrivée de femmes afghanes, syriennes et marocaines. La présence de femmes marocaines est assez étonnante dans ce contexte. J'aurais plutôt imaginé le Suriname ou le Brésil en tête de liste pour ces nationalités.

Je laisse la parole à mes collègues rapporteures pour d'autres questions.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth, rapporteure. - Merci, Madame la Présidente. J'avais initialement trois questions, mais suite à votre intervention, il m'en reste deux.

D'abord, j'aimerais savoir comment la déléguée aux droits des femmes de la Guyane parvient à travailler avec les femmes demandeuses d'asile, notamment celles se retrouvant à la rue avec leurs enfants, originaires de Palestine, de Syrie, du Maroc ou du Sahara. Je présume que leur nombre est significatif comparé à d'autres départements.

Ensuite, j'ai récemment été élue présidente d'une association dédiée aux femmes victimes de violences intrafamiliales, appelée La sauvegarde. Nous prévoyons de rencontrer Mme Hidair-Krivsky pour lui présenter nos objectifs. Nous visons notamment la création de dix chambres d'hébergement supplémentaires. Nous allons également développer des activités économiques, comme un restaurant pour femmes, ainsi qu'une ressourcerie. Vous le savez peut-être, Ne plus jeter n'existe plus. Beaucoup de femmes et de familles se retrouvent alors sans vêtements et nous serons là pour les soutenir.

À ma connaissance, la Guyane ne dispose pas de structures similaires. Je m'inquiète de la pauvreté du tissu associatif dans ce domaine, malgré des besoins criants.

Mme Olivia Richard, rapporteure. - Cette table ronde est essentielle, car elle nous rappelle que la France est un pays américain. Notre principale frontière est en effet partagée avec le Brésil. Nous n'en avons pas toujours conscience depuis la métropole. Nous ne sommes pas étrangers aux crises qui affectent les Caraïbes et les pays d'Amérique latine. Par exemple, la crise haïtienne a déplacé des centaines de milliers de personnes au fil des décennies. Nous savons que la situation actuelle est catastrophique. Lors de mon récent déplacement aux Antilles et en République dominicaine, j'ai pu constater l'arrivée massive de milliers de femmes en Martinique et en Guadeloupe. Je ne sais pas ce qu'il en est en Guyane, mais je crains une augmentation préoccupante du trafic d'êtres humains et de la prostitution, touchant femmes et enfants.

Vous avez mentionné la précarisation croissante des femmes, mais il semble que l'afflux massif de migrantes exploitées constitue également un défi pour la prise en charge des femmes déjà en situation précaire. J'aimerais connaître votre opinion sur la nécessité d'une prise en charge différenciée.

Concernant les abris d'urgence et les logements sociaux, des critères de priorisation sont-ils mis en place face à l'insuffisance de l'offre actuelle ?

J'ai également été frappée par l'âge moyen des femmes sans domicile en Guyane, qui se situe entre 26 et 40 ans. Quelles sont leurs perspectives par la suite ? Observe-t-on un nombre significatif de décès parmi les femmes vivant dans la rue ?

Enfin, nous avons débattu hier soir d'une proposition de loi sur la prise en charge des mineurs transgenres. Est-ce une problématique particulière dans votre région ? Nous savons que beaucoup de ces jeunes se retrouvent sans abri en raison du manque de soutien familial. Avez-vous observé ce phénomène dans vos territoires ?

Mme Agnès Evren, rapporteure. - Vous avez parfaitement exposé les causes multifactorielles de l'errance. En effet, le Samusocial est complètement saturé, ce qui conduit de plus en plus de femmes avec des nourrissons à se retrouver à la rue. Comme vous l'avez souligné, elles deviennent invisibles, se masculinisent, adoptant des comportements qui leur permettent de se fondre dans l'anonymat, ce qui les expose malheureusement à des dangers, car elles sont des proies faciles pour les hommes. On les trouve souvent dans des parkings, des squats, voire dans des aéroports.

J'aimerais savoir comment cette réalité se manifeste chez vous. De plus, comment gérez-vous la surpopulation du système d'accueil d'urgence, étant donné que toutes les structures sont surchargées et que des critères de vulnérabilité ont été établis en Île-de-France pour l'accès à l'hébergement d'urgence ? Existe-t-il des critères similaires chez vous ? Dans l'affirmative, comment sont-ils mis en oeuvre ?

Mme Micheline Jacques, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Je salue votre implication et vos propositions.

Si le sujet principal de cette audition ne concerne pas directement le bassin de l'océan Indien, à l'occasion d'un récent déplacement, nous avons observé, avec les rapporteurs de la délégation aux outre-mer, l'importance du problème des mineurs isolés qui se retrouvent à la rue. Je tiens à souligner notamment l'association Messo à Mayotte pour son courage et son initiative louable. Elle a mis en place une structure innovante qui mériterait d'être déployée dans d'autres territoires. Elle propose des places d'hébergement et offre un cadre organisé où les jeunes mamans sont prises en charge, incluant des aides maternelles qui s'occupent des bébés pour permettre aux jeunes mères de poursuivre leur scolarité sans risque de décrochage. Elles bénéficient également d'un accompagnement durant la nuit, une nécessité, particulièrement pour les plus jeunes, dont certaines n'ont que 12 ans. Il est essentiel de leur assurer un cadre adéquat après une journée d'école. Ces jeunes femmes sont bien encadrées et bénéficient d'un soutien spécifique de la part de l'État dans le cadre d'un programme dédié. De plus, cette initiative s'étend aussi aux jeunes adultes. Ce modèle pourrait être dupliqué sur d'autres territoires.

Mme Isabelle Hidair-Krivsky. - Pour la Guyane, la jeunesse des femmes prises en charge reflète la jeunesse générale de la population. En effet, plus de la moitié de celle-ci a moins de 25 ans.

La question de la diversité des nationalités parmi les femmes a été particulièrement surprenante pour les associations locales, qui ont dû s'adapter à l'afflux de demandeurs d'asile provenant d'Afghanistan, de Syrie et des Sahraouis. Pour répondre à ces besoins, elles font régulièrement appel à des médiateurs arabophones. Les Sahraouis peuvent généralement communiquer en anglais, tandis que certains Syriens venant du Venezuela parlent couramment espagnol, par exemple. La capacité à jongler avec plusieurs langues est devenue une habitude en Guyane.

Une quinzaine d'associations participent activement au guichet unique de rue, un dispositif expérimenté avec succès en 2022 et pérennisé depuis 2023. Parmi celles-ci, Humanity First joue un rôle essentiel, notamment en mobilisant des membres arabophones pour des activités de médiation et de soutien.

Le guichet unique a distribué plus de 1 000 vêtements lors de sa première année. Ce chiffre a doublé la deuxième année, atteignant plus de 2 000 vêtements distribués.

Concernant les migrants exploités, la présence moins visible des Haïtiens, des Brésiliens et des Surinamais s'explique par leur tendance à rejoindre rapidement leurs familles ou à retourner dans leur pays d'origine. En revanche, les nouveaux demandeurs d'asile ne bénéficient pas de ces points d'ancrage. Ils restent souvent isolés.

Le parcours de sortie de prostitution lancé en 2023 en Guyane a rencontré un succès significatif avec l'intégration de douze femmes, démontrant les effets positifs de ce dispositif.

Quant aux femmes plus âgées, certaines décèdent ou retournent dans leur pays d'origine, expliquant leur moindre présence dans les programmes d'aide locaux.

Enfin, la prise en charge de la communauté LGBTQIA+ en Guyane est encore embryonnaire, les associations éprouvant des difficultés à organiser des soutiens adaptés. Les hommes d'origine haïtienne constituent la majorité des demandeurs dans ce contexte, faisant face à des défis importants liés à la stigmatisation et à l'acceptation au sein de leurs communautés d'origine. Ce sujet est encore tabou. Les femmes en sont invisibilisées.

Mme Kessy Chenilco. - Le pôle asile de la Croix-Rouge en Guadeloupe regroupe les structures de premier accueil et l'hébergement d'urgence pour les demandeurs d'asile disposant de vingt-deux places. La communauté haïtienne et les ressortissants de la République dominicaine y sont les plus représentés. En Guadeloupe, la communauté haïtienne est particulièrement présente dans les hébergements d'urgence, bénéficiant souvent d'un premier accueil grâce à des attaches préexistantes sur le territoire.

Toutefois, la situation se complique à long terme, car les conditions d'hébergement sont souvent précaires, avec une surpopulation et des conditions de vie difficiles, voire insalubres dans certains cas. Malgré cela, la population haïtienne parvient généralement à exprimer ses besoins et les difficultés rencontrées dès son arrivée.

Les membres de la communauté LGBT, bien que moins représentés, sont souvent capables d'expliquer clairement les raisons de leur fuite de Haïti, percevant la Guadeloupe et la France comme des territoires acceptant leur orientation sexuelle. Néanmoins, la période post-Covid a occasionné une augmentation du flux migratoire en Guadeloupe exacerbant les défis existants.

Concernant le parcours de sortie de la prostitution, récemment mis en place, nous observons plusieurs cas de prostitution de rue impliquant des individus originaires de République dominicaine, de Colombie et du Venezuela. Bien que nous ne disposions pas encore de données chiffrées spécifiques pour ces communautés hispanophones, nous les accompagnons activement à travers nos divers dispositifs comme le Centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (Caarud) pour la prise en charge des addictions et le Samusocial pour l'hébergement d'urgence et l'assistance sociale de proximité. Nous avons pour objectif de proposer à ces personnes un accompagnement de qualité.

L'accès aux droits et aux soins de santé demeure complexe pour les migrants, qui rencontrent des défis persistants, notamment en matière d'asile et d'obtention de titres de séjour. L'accès aux centres d'hébergement et aux soins de santé est également compliqué en raison de files d'attente importantes et de délais prolongés, exacerbant les difficultés d'accompagnement.

En résumé, malgré le lien de confiance établi avec les personnes accompagnées, la mise en place d'un accompagnement social efficace demeure un défi majeur, nécessitant une collaboration continue avec les autorités locales pour améliorer les solutions proposées et orienter de façon adéquate ces populations vulnérables.

Nous sollicitons également les équipes mobiles psychiatriques afin d'aller à la rencontre de personnes qui souffrent de pathologies psychiatriques. Les dispositifs existants sont assez méconnus, ce qui rend la coordination de leur accompagnement difficile, en raison de l'accumulation de problématiques chez ces personnes.

L'accès au parc locatif et au logement social est également très complexe pour nous, car les pouvoirs publics privilégient le logement d'abord, qui nécessite également un accompagnement. Nous le mettons en place vers et dans le logement, en collaboration avec la DDETS, facilitant ainsi l'accès à un logement adapté. Cet accompagnement est crucial pour aider un public principalement féminin à accéder et à maintenir son logement, une fois intégré.

Le SIAO intervient à tous ces niveaux, y compris dans les commissions d'expulsion et de médiation, orientant les personnes vers le parc locatif. Nous mettons particulièrement en avant les critères de vulnérabilité, qui sont en cours de stabilisation.

À Saint-Martin, la situation est encore plus complexe, car les réponses sont peu nombreuses sur le territoire. Seuls deux opérateurs accueillent les personnes orientées vers le SIAO. Initiatives France Victimes accompagne les victimes de violences, et l'association Le manteau accompagne les autres types d'orientation, notamment vers les CHRS et les places d'hébergement adapté.

Les structures sont souvent saturées, avec peu de rotation, en raison du manque d'alternatives. Le coût élevé des loyers à Saint-Martin contribue à maintenir les personnes dans les structures d'hébergement pour des durées prolongées. L'accès à l'aide alimentaire constitue également une problématique majeure, avec des moyens très limités sur les territoires de la Guadeloupe et de Saint-Martin.

Nous collaborons étroitement avec la banque alimentaire, les structures d'accompagnement et le Secours catholique pour répondre au mieux aux besoins croissants des familles, des femmes seules et des femmes avec enfants, souvent dans des situations familiales complexes avec cinq à six enfants à charge, confrontées à la nécessité d'aide alimentaire et vestimentaire. Malgré nos efforts, les conditions demeurent précaires et extrêmement complexes sur ces territoires.

Mme Lucette Faillot. - Je souhaite souligner l'engagement important des collectivités locales, notamment des communes, dans cette démarche de proximité envers leur population. Cet engagement se traduit concrètement sur le terrain par des actions telles que le portage alimentaire, initié spontanément par ces collectivités afin de soutenir les associations locales et de répondre aux besoins de première nécessité. Bien que certaines de ces actions soient ponctuelles, elles ont le mérite d'exister. Elles permettent d'éviter une rupture complète et un isolement des personnes concernées.

Je tiens à corroborer les propos de Kessy Chenilco et de ma collègue Isabelle Hidair-Krivsky de Guyane concernant les difficultés rencontrées par les étrangers et par la communauté LGBT en Guadeloupe. Il est indéniable que ces sujets restent tabous, ce qui rend particulièrement délicate la prise en charge des victimes de violences conjugales ou d'autres formes de maltraitance au sein de ces communautés.

En dernier lieu, je souhaite aborder notre collaboration avec ces publics au sein de la DRDFE. Nous adoptons une approche transversale, en coopération avec notre service central, le Service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes (SDFE) du ministère de l'égalité entre les femmes et les hommes. Nous portons une attention particulière à divers dispositifs, notamment ceux liés à la prostitution, soutenus à travers des financements du programme 137. À titre d'exemple, l'association Île y a a récemment obtenu un financement de 50 000 euros pour mener des actions en Guadeloupe, en partenariat avec des structures telles que la Croix-Rouge, sur la question de la prostitution.

Nous sommes profondément engagés de manière transversale sur ces problématiques.

Mme Sophie Chauveau. - En Martinique, nous sommes confrontés à deux principaux défis : d'une part, un problème de ressources financières et, d'autre part, parfois, à une qualité d'hébergement insuffisante. L'année dernière, nous avons été contraints de fermer une structure en raison des dangers auxquels les femmes y étaient exposées.

Le deuxième sujet concerne la situation des « femmes invisibles ». Elles sont, pour ainsi dire, invisibles à nos yeux. Il est souvent difficile de les repérer. Notamment, dans le centre-ville de Fort-de-France, elles survivent dans des squats, dans des conditions précaires, se prostituent et consomment du crack. Elles font face à de nombreux autres défis. Il est donc particulièrement difficile de les identifier. Comme le soulignent nos partenaires du Samusocial, celles que l'on voit dans la rue ne représentent qu'une partie de celles en situation de précarité.

En ce qui concerne la prise en charge des populations transgenres, notre situation est légèrement plus favorable que celle de nos collègues ici présents, car nous disposons d'un centre LGBT récemment stabilisé et reconnu par la Dilcrah (Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT). Nous travaillons étroitement avec l'association KAP Caraïbe, très engagée sur cette question. Nous envisageons également de collaborer avec Le Refuge pour trouver de nouvelles solutions d'hébergement et d'accueil pour les jeunes qui se retrouvent à la rue en raison de leur orientation sexuelle.

Mme Murièle Cidalise-Montaise. - Vous disiez que la France était américaine. La Martinique est caribéenne. Actuellement, je ne dispose pas d'éléments permettant d'affirmer la réalité d'une arrivée massive de migrantes en Martinique. Cependant, il est indéniable que les crises, qu'elles proviennent du Venezuela, d'Haïti ou d'autres régions, entraînent des fluctuations dans la représentation des populations dans le cadre du parcours de sortie de prostitution.

En ce qui concerne l'hébergement d'urgence et le logement, la Croix-Rouge, en tant que porteuse du parcours de sortie de la prostitution en Martinique, est parvenue à obtenir quinze places en ALT (Allocation Logement Forfaitaire) dédiées à ce parcours, grâce à des échanges étroits entre la préfecture, la DDETS et la Croix-Rouge. Cela a permis de désengorger partiellement les attributions de logements et d'hébergements d'urgence sur l'ensemble du territoire.

Quant à la question de la critérisation pour l'entrée et le droit au logement, je ne peux pas répondre à la place du SIAO, mais je sais que la préfecture veille au principe du logement inconditionnel.

Pour être en phase avec nos partenaires du SIAO, nous avons prévu des échanges avec les associations accompagnant les femmes afin de résoudre les éventuels problèmes et critiques à l'égard de la priorisation des aides.

Enfin, je n'ai pas connaissance de décès de femmes à la rue.

Mme Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes. - Merci pour cette table ronde très riche et pour vos interventions complémentaires. Vos situations ne sont pas si éloignées des problèmes que l'on peut également rencontrer dans l'hexagone. Merci, Madame la Présidente de la délégation sénatoriale aux outre-mer. C'est toujours un plaisir de travailler en collaboration avec d'autres délégations, et particulièrement avec la vôtre.

Jeudi 30 mai 2024

- Présidence de Mme Dominique Vérien, présidente -

Femmes dans la rue : audition de Mme Emmanuelle Cosse, présidente de l'Union sociale pour l'habitat (USH)

Mme Dominique Vérien, présidente. - Mes chers collègues, dans le cadre de notre mission d'information sur les femmes dans la rue, nous avons le plaisir d'accueillir ce matin Mme Emmanuelle Cosse, présidente de l'Union sociale pour l'habitat (USH), par ailleurs ancienne ministre du logement, accompagnée de Mme Catherine Hluszko, cheffe de mission partenariats et innovation de l'USH.

Je rappelle que l'USH est l'organisation représentative du secteur HLM en France et représente près de 600 organismes HLM à travers cinq fédérations.

Je suis entourée de nos quatre collègues rapporteures sur ce thème : Marie-Laure Phinera-Horth, Olivia Richard, Laurence Rossignol et Agnès Evren.

Je précise que cette audition fait l'objet d'une captation audiovisuelle en vue de sa retransmission en direct sur le site et les réseaux sociaux du Sénat.

Au cours de notre mission, qui aboutira à la publication d'un rapport à l'automne prochain, nous voulons mieux appréhender le phénomène des femmes en errance : d'abord mieux connaître et repérer ces femmes ; savoir comment mieux les orienter vers les solutions d'hébergement et surtout de logement ; lutter contre tous les types de violences subies par les femmes dans la rue ; leur permettre un meilleur accès aux soins et une prise en charge dédiée de leur santé mentale et physique ; enfin, agir en faveur de leur insertion socioprofessionnelle.

Parmi les 330 000 personnes sans domicile en France aujourd'hui, on compte 40 % de femmes, seules ou, bien souvent, avec des enfants.

Parmi les personnes sans domicile, 30 000 personnes, dont environ 3 000 femmes et 3 000 enfants, sont dites sans abri, c'est-à-dire passent la nuit dans la rue. Ces femmes ne dorment pas, elles se cachent et sont en alerte constante pour éviter d'être des proies et échapper aux violences - dont sont victimes 100 % des femmes après un an passé dans la rue.

Les autres sont majoritairement hébergées en centres d'hébergement d'urgence ou en centres d'accueil pour demandeurs d'asile. Ces solutions sont temporaires et incertaines : chaque mois, chaque semaine, chaque soir parfois, il leur faut rechercher une nouvelle place d'hébergement.

Surtout, l'hébergement n'est qu'une solution imparfaite : 90 % des personnes sans domicile interrogées souhaitent en première intention accéder à un logement. Pourtant, pour reprendre l'expression de la chercheure Marie Loison-Leruste, auditionnée par la délégation, « la logique de la prise en charge est celle de l'escalier : on monte progressivement les marches de la rue au logement » en passant par l'hébergement d'urgence, puis le logement intermédiaire, avant de se voir proposer un logement social.

Le plan « un logement d'abord » était censé mettre fin à cette logique de l'escalier, mais la crise actuelle du logement est à l'origine d'une embolie du système à tous les échelons. Faute de solution de logement accessible en aval, des familles - dont beaucoup travaillent et pourraient être éligibles à un logement - restent des années accueillies en hébergement d'urgence, bloquant l'accès à cet hébergement à d'autres publics vulnérables.

À cet égard, l'USH s'est publiquement exprimée sur le projet de loi relatif au développement de l'offre de logements abordables, estimant qu'il n'est pas à la hauteur de la crise actuelle du logement et du manque criant de logements sociaux. L'USH a ainsi estimé que substituer du logement « intermédiaire » au logement social dans les objectifs de logements sociaux fixés aux communes urbanisées par la loi SRU, comme le prévoit le texte du Gouvernement, revient à faire reculer les chances du public le plus fragilisé d'accéder à un logement décent.

Comment faciliter aujourd'hui la production de logements sociaux accessibles aux personnes les plus fragilisées, voire marginalisées ? Comment sortir de la logique de l'escalier pour favoriser le « logement d'abord » en portant une attention particulière aux femmes sans domicile ? Soutenez-vous des évolutions des critères d'attribution des logements sociaux, par exemple afin d'accorder une pondération plus importante aux femmes et familles avec des enfants mineurs sans abri, qui sont les publics les plus vulnérables d'entre tous ?

Enfin, comment éviter d'augmenter encore le nombre de personnes sans domicile, en agissant dans la prévention et l'accompagnement des expulsions locatives ?

Pour évoquer ces différents sujets, je laisse la parole à l'ancienne ministre du logement, Emmanuelle Cosse, aujourd'hui présidente de l'USH.

Mme Emmanuelle Cosse, présidente de l'Union sociale pour l'habitat. - Bonjour, et merci.

Votre invitation et la réflexion qu'elle a suscitée me poussent à vous dire d'emblée qu'il est nécessaire de davantage creuser ces questions sous l'angle du genre. En effet, en dépit de mon expérience personnelle et des visites de terrain que j'effectue, il est évident que nous manquons encore d'analyses et de données concernant le parcours des femmes dans leur accès au logement, notamment sur la transition entre l'hébergement et le logement, ainsi que sur l'accès réel des femmes aux structures d'hébergement et de logement accompagné. Bien que je puisse vous fournir quelques données, il reste beaucoup à faire.

Le passage de la rue au logement constitue un défi considérable, quel que soit le genre de la personne concernée, mais il est encore plus ardu pour les femmes. J'identifie quelques raisons qui peuvent expliquer ce constat.

La première difficulté réside dans le manque général de logements abordables sur l'ensemble du territoire. J'entends par là des logements à des loyers accessibles pour les personnes touchant des revenus inférieurs au Smic. En effet, bien que nous disposions de plus de cinq millions de logements sociaux, 2,6 millions de ménages supplémentaires en sont demandeurs. Plus de 50 % d'entre eux touchent des revenus égaux ou inférieurs au Smic.

Nous parlons donc de ménages modestes, qu'ils soient en activité ou non. Il est en effet crucial de noter que de nombreuses personnes en attente sont en emploi, y compris en CDI. Elles ne parviennent plus à se loger avec leurs revenus. Cette situation s'est aggravée ces dernières années, avec une augmentation exponentielle des demandes de logements sociaux : elles ont augmenté de 50 % en dix ans, et de 20 % ces huit dernières années.

Cette augmentation est générale. Il y a encore sept ou huit ans, nous parlions de zones tendues et de zones détendues. Aujourd'hui, les zones détendues en matière de logements HLM n'existent plus, notamment en raison de la raréfaction des logements locatifs privés abordables, partout. Ce constat est dû à des contraintes liées à la loi Climat et Résilience, à une aspiration post-Covid à revivre dans les villes moyennes, et à la captation de nombreux logements par les locations touristiques.

Il est également crucial de se demander si les logements disponibles sont adaptés à la demande des ménages, y compris des femmes. La majorité des demandeurs de logements HLM aujourd'hui sont des personnes seules ou avec un enfant. Or notre parc de logements, en grande partie construit avant les années 1970, ne correspond plus aux formes de famille majoritaires d'aujourd'hui. Nous disposons d'une majorité de grands logements, mais pas suffisamment de petits logements. Cela explique en partie l'engorgement actuel.

Les logements aux loyers les plus bas sont tous occupés, avec très peu de rotation, ce qui contribue à cet engorgement. La rotation dans le parc HLM a fortement diminué, car les sorties vers le parc locatif privé ou l'accession à la propriété se font de plus en plus rares. Ainsi, on observe un engorgement total.

Ensuite, nous devons considérer la question du logement pour les publics les plus fragilisés et marginalisés, notamment les personnes sortant de la rue, qui cumulent souvent plusieurs difficultés.

La première difficulté rencontrée relève de la situation administrative des individus. Pour accéder au logement social, la situation administrative de tous les adultes du ménage doit être en règle. Ce frein concerne particulièrement les familles en hébergement, où l'un des adultes n'a pas sa situation administrative réglée, ce qui les empêche d'accéder au logement social. Ces familles, bien qu'éligibles à une régularisation de séjour, restent en hébergement. Cette situation est absurde, car des enfants scolarisés en France, devenus français, vivent toujours en hébergement.

La seconde difficulté concerne les publics sortant de la rue ou ayant connu un parcours chaotique. Au-delà des questions administratives et d'accès aux droits, dans le cadre de la demande HLM, nous devons proposer des loyers extrêmement modestes, notamment dans le logement très social (Prêt locatif aidé d'intégration). En effet, les ménages concernés perçoivent souvent des revenus proches des minima sociaux, tels que le RSA. Ils présentent une faible capacité financière. L'instabilité financière des ressources constitue ainsi un premier frein à l'accès au logement. Cependant, il est possible d'entrer dans le logement social grâce aux aides telles que l'APL. Les ménages solvabilisés uniquement par les minima sociaux peuvent ainsi accéder au parc HLM.

Une autre difficulté, particulièrement pour les ménages précaires, relève de la réduction en 2017 de cinq euros sur les APL. Cette baisse, bien que jugée minime par certains, est significative pour un ménage gagnant 560 ou 580 euros par mois. Elle a touché tous les bénéficiaires de l'APL, qu'ils gagnent moins de 500 euros ou 1 600 euros, et son impact est notable.

De plus, l'APL couvre le loyer et un forfait charges. Or le cumul loyer plus forfait charges n'est pas suffisant. Ce dernier n'a pas été assez revalorisé depuis longtemps. Ce sujet fait l'objet de discussions récurrentes avec le ministère du logement et d'une bataille continue avec celui de l'économie.

Aujourd'hui, la question des charges, notamment des dépenses d'énergie, constitue, pour certaines femmes, un frein à l'attribution de logements sociaux. En effet, la commission d'attribution peut estimer que leurs revenus sont trop faibles pour assumer le coût des charges, ce qui empêche leur accès au logement.

Pour prendre en compte les publics précarisés, il ne suffit pas d'ouvrir des droits. Un véritable accompagnement est nécessaire. Je sais qu'il fonctionne, grâce à des associations qui prennent en charge les femmes tout au long de ce parcours. De nombreuses structures jouent un rôle crucial en assurant la transition des femmes, de la rue ou des structures d'hébergement vers un logement pérenne. Cet accompagnement comprend l'assistance sociale, l'aide à l'accès aux droits, et l'accompagnement dans le logement, y compris pour l'ameublement. En effet, le dénuement de ces familles est souvent total. Elles arrivent dans des logements dépourvus de tout, sans même un lit, une table ou une chaise.

Dans la prise en charge des publics, on entend parfois que les ménages sont étudiés pour savoir s'ils sont prêts à entrer dans le logement. Ils doivent en quelque sorte prouver leur capacité à gérer un budget et à payer un loyer. À mon sens, il serait plus pertinent de les accompagner dans leur stabilisation une fois qu'ils ont accédé à un logement. En effet, sans un soutien continu, ils peuvent se retrouver isolés, passant d'un cadre strict en hébergement à un logement sans suivi, ce qui peut poser des problèmes.

En outre, nous devons noter la baisse continue de la production de logements sociaux depuis 2018, conséquence de choix politiques. La loi de finances de 2018 a ponctionné 800 millions d'euros, puis 1,3 milliard d'euros sur le budget des HLM pour les transférer au budget de l'État, tout en augmentant la TVA sur une partie des logements sociaux. Ces choix ont conduit à une baisse de la production annuelle, qui est passée de 120 000 logements par an en 2016-2017 à seulement 82 000 en 2023. C'est l'un des pires chiffres des quarante dernières années. Nous parvenions par le passé à produire entre 100 000 et 150 000 logements sociaux par an, en sachant que ce n'était pas encore suffisant. Depuis plusieurs années, nous sommes passés sous la barre des 100 000. Les prévisions pour 2024 ne sont guère meilleures. C'est dramatique, compte tenu des besoins croissants. La baisse de production cumulée depuis 2018 nous a déjà fait manquer 140 000 logements sociaux.

Enfin, je suis choquée par ce que la chercheuse appelle « la logique de l'escalier » ou « le parcours du combattant ». C'est une réalité que je constate également. Pour accéder à un logement, les personnes doivent souvent passer par plusieurs étapes en faisant leurs preuves dans chaque dispositif : de la rue à un CHU, puis à un CHRS plus stabilisé, etc. Cette approche progressive, bien qu'elle vise à structurer l'aide, complexifie et rallonge le parcours des plus précaires vers un logement stable.

Ces logiques peuvent s'expliquer, notamment pour des personnes ayant besoin d'un long processus, par exemple pour prendre en compte des addictions. Cependant, pour beaucoup, ce n'est pas le cas. J'ai rencontré des personnes à la rue à la suite de crises graves qui ont surtout besoin de retrouver rapidement un logement pérenne, avec un éventuel accompagnement.

C'est cette logique qui a motivé, lorsque j'étais ministre, l'expérience « Un toit d'abord », visant les publics avec des troubles psychiatriques. Nous ne cherchions alors pas à fragmenter les parcours, mais à prendre en charge globalement la personne, en stabilisant simultanément les soins et le logement. Cette idée était inspirée d'expériences finlandaises. Elle a prouvé son efficacité.

La création du plan « Logement d'abord » en est une prolongation importante, bien que ce ne soit pas une nouveauté. Ce plan, initié il y a plus de dix ans, a été amplifié. Il propose d'accélérer la production de logements sociaux dits accompagnés, en favorisant des projets où les logements, bien que véritables domiciles, incluent un accompagnement social intégré. On parle ici de pensions de famille et de résidences sociales.

L'État nous avait également fixé des objectifs de relogement pour les publics sortant de l'hébergement, impliquant un effort notable de la part des bailleurs sociaux. Cette stratégie a produit des logements très sociaux, bien que ce ne soit pas encore le cas sur tout le territoire, notamment dans les outre-mer. Le financement des résidences sociales par l'APL n'y a été rendu possible que récemment. Pour autant, cette logique du logement accompagné est très efficace. Elle porte ses fruits.

Je préside moi-même un organisme HLM spécialisé dans le logement accompagné. Lundi dernier, j'ai inauguré une pension de famille pour personnes présentant des troubles psychiatriques. Au-delà du logement, une prise en charge des soins infirmiers et psychiatriques y est proposée, en lien avec l'hôpital et l'ARS. Ces personnes, si elles ne sont pas logées dans ces structures, sont à la rue. J'y ai vu un certain nombre de femmes, de manière un peu exceptionnelle.

Ces individus ont généralement été confrontés à des parcours chaotiques constants, parfois depuis des années. Ces logements sont plus efficaces pour les soutenir et moins coûteux en termes de dépenses publiques ; ils permettent aux individus de vivre dignement dans la société.

Cependant, nous observons une contradiction : on nous demande de créer plus de logements accompagnés, tout en diminuant nos moyens avec la réduction du loyer de solidarité (RLS). Ce n'est pas très compatible.

J'ai discuté avec des responsables d'associations gérant ces structures. Nous constatons que le public qui y est accueilli est principalement composé d'hommes seuls, souffrant souvent d'addictions. On y voit beaucoup moins de femmes, bien que les chiffres montrent une augmentation des femmes à la rue, y compris seules. Elles n'ont pas un accès suffisant à ces structures. Elles ne sont pas massivement représentées dans les orientations des SIAO vers ces dispositifs. Il est crucial de mieux renseigner ces questions pour comprendre si les femmes sont moins bien aiguillées vers ces dispositifs ou si elles sont sous-représentées parmi les personnes isolées.

En résidence sociale, où l'accompagnement est moins intensif mais tout aussi utile, le séjour est limité à deux ans et demi, avec l'objectif de passer ensuite à un logement pérenne. Ces dispositifs s'adressent principalement aux personnes isolées, bien que certaines résidences sociales accueillent des femmes avec enfants. Cela soulève la question de la capacité à proposer des logements de plusieurs pièces. Il est essentiel de surveiller cet aspect.

Par ailleurs, les attributions de logements sociaux ont évolué en raison de modifications des critères de priorité. Actuellement, il en existe quinze, en plus de trois objectifs et d'un objectif constitutionnel, soit une vingtaine de priorités pour un nombre limité d'attributions. Nous identifions un vrai problème de lisibilité.

Pour autant, un critère prioritaire, nous permettant de disposer de données, concerne les femmes victimes de violences conjugales. Je ne peux assurer qu'elles sont exactes. Simplement, elles nous montrent le motif coché lors de l'attribution d'un logement social. D'autres femmes pourtant victimes de violences conjugales peuvent s'être vu attribuer un logement social pour un autre motif, tel le handicap, la suroccupation ou l'habitat insalubre.

Il s'avère qu'en 2023, 1,7 % des demandes d'attribution de logements sociaux étaient motivées par des violences conjugales, mais elles ont représenté 2,9 % des attributions, soit 11 249 attributions sur un total de 390 000. Cette augmentation est notable par rapport à 2019, où les femmes victimes de violences conjugales représentaient 1,6 % des demandes et 2 % des attributions.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Je comprends que le nombre de demandes n'a pas évolué entre 2019 et 2023, mais que les attributions pour ce motif ont augmenté.

Mme Catherine Hluszko, cheffe de mission partenariats et innovation de l'Union sociale pour l'habitat. - En valeur absolue, le nombre de demandes de femmes victimes de violences a augmenté, tout comme le nombre global de demandes de logements sociaux. En revanche, bien que le nombre total d'attributions de logements sociaux ait tendance à diminuer, les attributions aux femmes victimes de violences ont augmenté. Nous l'expliquons notamment par une meilleure connaissance du critère prioritaire par les personnes qui accompagnent ces femmes dans leurs démarches.

Plusieurs critères convergents permettent d'observer une dynamique positive dans les attributions. L'établissement de critères prioritaires et leur pondération influencent les attributions. Même s'il existe de nombreux publics prioritaires, cette approche sensibilise les acteurs de l'attribution aux problématiques spécifiques. Ainsi, inclure un critère prioritaire pour les personnes sans abri pourrait également leur offrir de meilleures chances d'accès à un logement social.

Mme Emmanuelle Cosse. - Si vous le souhaitez, nous pouvons interroger le GIP SNE (Groupement d'intérêt public, système national d'enregistrement de la demande de logement social) qui enregistre toutes les demandes HLM. Nous n'avions pas prévu d'en discuter, mais nous pouvons lui demander des données précises, y compris par région.

Le fait que ce critère existe pour les femmes victimes de violences a peut-être aidé à orienter et accélérer les demandes, en leur donnant une certaine visibilité. C'est intéressant. Parmi les critères prioritaires, on peut noter que celui qui touche au handicap concerne de nombreuses personnes. Les publics rencontrés cumulent parfois les critères. Je pense que les femmes qui se trouvent dans ces situations particulières acceptent aujourd'hui d'en parler. Ce n'est pas simple car cela implique d'assumer un certain nombre d'éléments devant la commission d'attribution.

Un travail est mené depuis dix ans pour s'assurer de l'accélération des attributions de logements pour les femmes victimes de violences, en surmontant les obstacles administratifs. En 2016, nous avons apporté des évolutions lorsque j'étais ministre. Aujourd'hui, nous avons noué un partenariat avec l'association FNSF (Fédération nationale solidarité femmes), qui soutient fortement les associations locales. Les démarches visant à prouver la séparation, obtenir une ordonnance de protection ou compléter le dossier CAF constituaient des freins importants. Certaines de ces femmes sont par ailleurs déjà locataires du parc HLM, mais le bail n'est pas toujours à leur nom. En outre, en cas d'impayés, il faut d'abord régler ces dettes pour pouvoir reloger la personne, ce qui pose d'énormes difficultés.

Je laisserai Catherine Hluszko détailler ce que nous avons mis en place, car les carcans administratifs constituaient un véritable obstacle. De nombreux acteurs cherchaient à éviter les dossiers compliqués par lassitude et difficulté. Dans ce contexte, il est vrai que parmi les demandeurs précaires, le dossier le plus simple était souvent privilégié.

Ainsi, il est également très important d'alléger certaines exigences pour permettre l'attribution de logements sociaux, notamment en ce qui concerne le calcul des revenus. Celui qui s'appuie sur les revenus N-1, N-2 peut être très difficile pour des femmes qui viennent de quitter une situation critique et se retrouvent à la rue.

De nombreuses expériences sont menées chez les bailleurs sociaux. Elles montrent qu'au-delà de l'attribution de logements sociaux pérennes, il existe des partenariats anciens avec des associations pour mettre à disposition des logements sociaux. Ceux-ci peuvent être utilisés pour de l'hébergement temporaire ou pour des baux glissants. Le bail glissant permet à la personne de commencer par être hébergée, avec le loyer pris en charge par l'association, avant de passer à un bail directement entre le bailleur et le ménage, permettant ainsi à la femme de s'installer dans un logement pérenne.

En Île-de-France, par exemple, nous avons mis en place en 2008 un partenariat qui a perduré malgré les changements de majorité. La région, en finançant du logement social, dispose de droits de réservation. Quand ces droits ne sont pas exercés pour les agents, les logements sont proposés à des associations comme la FNSF. Ces associations vérifient si une femme suivie peut correspondre aux critères de revenus et géographiques pour occuper ces logements. Depuis 2009, ce partenariat a permis de reloger un nombre croissant de femmes chaque année, offrant ainsi une réelle opportunité de stabilisation à ces femmes.

L'intérêt de ce système est double : il permet non seulement de reloger des femmes rapidement, mais aussi de leur offrir des options géographiquement diverses, augmentant ainsi leur sécurité juridique et leur protection. Elles peuvent se déplacer d'un département à l'autre pour échapper à une situation dangereuse. Je ne dis pas qu'il revient nécessairement à la femme victime de se déplacer, mais cette option nous offre de nouvelles opportunités. Elle a parfois suscité des critiques de la part de certaines communes, qui nous reprochaient de mettre à l'abri des femmes en difficulté qui n'étaient pas issues de leur territoire.

Au-delà de la législation, les partenariats locaux peuvent donc considérablement accélérer les attributions pour les femmes en situation difficile. Cependant, les questions de sécurité restent primordiales.

Nous avons également beaucoup travaillé sur la formation professionnelle interne des bailleurs HLM. Lorsqu'une femme - ou toute personne - arrive dans une agence territoriale avec une demande de logement liée à la violence, à la discrimination, ou à l'exploitation, il est crucial que le personnel soit capable de réagir immédiatement. Cela implique d'avoir les premiers réflexes appropriés et de disposer d'un réseau avec les associations compétentes, afin de ne pas laisser repartir une personne en détresse sans assistance.

Les agences HLM, en tant que service de proximité, jouent un rôle crucial. Pendant le confinement lié à la crise covid, par exemple, elles ont été autorisées à rester ouvertes et ont assuré des missions de service public essentielles au-delà des simples demandes de logements. Nous étions souvent les seules structures ouvertes.

Vous m'interrogiez ensuite sur les expulsions. Comment éviter l'augmentation du nombre de personnes à la rue ? J'identifie ici deux sujets principaux. Des publics à la rue, notamment avec l'arrivée de migrants primo-arrivants, ne sont pas pris en charge. Je suis convaincue que nous devons assumer des politiques d'accueil et de prise en charge. Chaque jour passé à la rue entraîne une détérioration totale pour la personne. Pour une femme, s'y ajoute un risque accru de subir des violences et d'être exploitée. J'ai observé cette réalité de près lorsque j'étais ministre et que nous organisions la mise à l'abri des populations. J'ai vu des proxénètes venir chercher leurs victimes à cinq heures du matin lors de ces opérations. Il est donc clair que des réseaux criminels prospèrent sur notre inorganisation publique. Dans ce contexte, il est crucial d'organiser l'accueil des populations présentes sur le territoire pour casser ces réseaux, indépendamment des discussions sur le droit au séjour. Dans ce cadre, on peut parler de la situation des femmes, évidemment, mais aussi de celle des mineurs.

En outre, nous manquons encore, malgré des efforts réels, de places d'hébergement d'urgence sur l'ensemble du territoire. Cette question concerne aussi bien les territoires densément peuplés que ceux moins peuplés, où les places d'hébergement d'urgence sont rares, et souvent concentrées en préfecture ou sous-préfecture. Les communes périurbaines ou rurales disposent de beaucoup moins de logements disponibles, même de logements communaux pouvant servir en cas d'urgence. Il est donc crucial de continuer à soutenir les communes pour élargir ce réseau d'hébergement. Par ailleurs, l'hébergement d'urgence est actuellement saturé.

De plus, beaucoup de femmes en hébergement d'urgence sont accompagnées d'enfants, ce qui peut constituer un frein au relogement. Je peux aussi évoquer les différences dans la prise en charge des enfants de moins de 3 ans par l'État et des enfants plus âgés par les départements, ce qui crée des contentieux et des renvois de responsabilité entre l'État et les départements.

Dans nos structures de logements accompagnés, nous nous concentrons beaucoup sur les personnes isolées, moins sur les femmes avec un ou deux enfants. Bien que certaines expérimentations aient été menées pour accueillir des ménages avec enfants, elles restent insuffisantes. Accueillir des mineurs nécessite des changements dans la prise en charge et des structures adaptées, ce qui peut constituer un frein pour les bailleurs. Il est donc nécessaire de les accompagner et de les pousser à organiser de telles structures. Nous avons des expériences réussies à partager, elles ne sont pas suffisamment nombreuses.

Ensuite, sur la question de la prévention des expulsions, il est important de rappeler qu'un texte de loi est maintenant en vigueur, bien que les décrets d'application n'aient pas encore été pris. Ce texte a significativement modifié les processus de prévention des expulsions qui existaient depuis dix ans, ce qui constitue un problème, car cela fragilise les ménages en difficulté.

En matière de prévention des expulsions, on identifie deux situations distinctes. D'une part, des expulsions sont liées à des troubles d'occupation. Dans ces cas, l'expulsion aura lieu, même dans le logement social, car il s'agit de troubles importants pour l'ensemble des locataires. Cependant, après l'expulsion d'un ménage d'un logement social, il est fréquent qu'un autre bailleur social prenne ce ménage en charge car ces personnes ne peuvent presque jamais se reloger par elles-mêmes.

D'autre part, d'autres expulsions et contentieux sont liés aux impayés. Aujourd'hui, il est rare d'expulser un ménage pour impayés car de nombreuses procédures sont mises en oeuvre pour l'éviter. Une fois que la procédure juridique est enclenchée, un dialogue avec le ménage peut être établi. Cependant, il est important de noter que dans le cas des ménages locataires HLM, le bail n'est pas toujours au nom de la personne responsable des dettes. Les dettes de l'un ne sont peut-être pas les dettes de l'autre, ce qui pose de nombreux problèmes.

Actuellement, de nombreux bailleurs sociaux privilégient une stratégie proactive appelée « aller vers ». Elle consiste à identifier les locataires fragilisés en surveillant les impayés, même minimes, et à les contacter une à deux fois par an pour discuter de leurs difficultés. Cette approche permet d'anticiper les problèmes avant qu'ils ne deviennent critiques. Toutefois, ce travail de proximité demande des moyens importants et des ressources humaines suffisantes pour être efficace.

Pour opérer ce travail de proximité et d'accompagnement des locataires, nous avons besoin de moyens de fonctionnement conséquents. Lorsque nous sommes contrôlés par l'organisme de contrôle du logement social, parce que nous bénéficions d'aides publiques importantes, on nous reproche souvent d'employer trop de personnel de proximité. Ne nous voilons pas la face : cet accompagnement ne peut être opéré par le biais d'une plateforme numérique. Il nécessite un accueil en personne, chez le locataire ou en agence. Il est donc crucial d'assumer cette mission et de doter les bailleurs sociaux des ressources humaines nécessaires pour le faire. Sans cela, il sera impossible de mener à bien ce travail de prévention des expulsions et d'accompagnement des locataires en difficulté.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci pour votre intervention. En matière de construction, nous n'avons pas évoqué l'objectif ZAN (zéro artificialisation nette). Je suppose qu'il ajoutera des difficultés supplémentaires.

Mme Agnès Evren, rapporteure. - Merci infiniment pour votre exposé particulièrement clair et concret. Votre intervention met en lumière de manière évidente le problème central qu'est celui de la crise du logement. La saturation des dispositifs d'hébergement est manifeste. J'ai deux questions simples à vous poser dans ce cadre : selon vous, combien de places d'hébergement d'urgence seraient nécessaires ? De plus, quelles recommandations formulez-vous à ce sujet ?

Notre thème de discussion porte sur la recrudescence des femmes sans domicile fixe, particulièrement celles accompagnées d'un bébé. Nous constatons une forme d'acceptation de cette réalité qui me scandalise.

Cette indifférence est douloureusement criante et semble contribuer à perpétuer un cycle infernal. Le constat est clair : l'absence d'hébergement d'urgence et de logements sociaux maintient les personnes dans une précarité persistante, même lorsqu'elles trouvent un emploi et aspirent à se réinsérer. Cette situation nous a été confirmée par le préfet d'Île-de-France. Dans ce contexte concret, quelles solutions préconisez-vous, en particulier pour les femmes sans abri ?

Mme Marie-Laure Phinera-Horth, rapporteure. - Si je m'écoutais, je vous aurais demandé de rester toute la matinée pour nous parler. Votre discours, très concret, était captivant.

Vous avez récemment visité la Guyane et avez ainsi pu constater nos défis de près, particulièrement la difficulté de construire des logements dans un territoire où 29 % de la population vit dans une grande précarité, souvent subie par les femmes.

Mon territoire doit également faire face à d'autres défis tels que l'explosion démographique et l'arrivée de femmes fuyant des conflits. Dans ce contexte, je souhaiterais savoir si l'USH pourrait formuler des recommandations spécifiques pour améliorer le logement social en Guyane. De plus, j'aimerais également connaître le niveau de coopération existant entre l'USH et les bailleurs sociaux de notre territoire.

Mme Olivia Richard, rapporteure. - Merci pour votre intervention passionnante.

Vous avez mentionné l'embolisation du logement social en raison des difficultés liées à la régularisation administrative des ménages. Pourriez-vous donner une estimation approximative de cette problématique ? Vous n'avez pas cette information ? C'est noté.

Vous avez également évoqué la multiplication des critères d'attribution. Lors d'un déplacement en Seine-Saint-Denis, nous avons été informés de l'existence de logements réservés aux femmes victimes de violences intrafamiliales qui demeuraient inoccupés. Je ne suggère pas de diminuer la priorité accordée à ces femmes, ce serait absurde. Néanmoins, étant donné les violences que toutes les femmes endurent une fois à la rue, comment remédier à cette vacance de logements ?

Enfin, vous avez brièvement abordé la question des enfants, un domaine qui m'intéresse : pouvez-vous nous apporter des précisions ?

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Vous avez abordé de manière très claire et complète le sujet des femmes en situation d'errance et dans la rue. Vous avez largement anticipé beaucoup des questions que j'aurais pu avoir sur ce thème spécifique. Je vais donc élargir mon propos pour discuter des politiques du logement en général, domaine sur lequel je ne suis pas aussi informée que les membres de la commission des affaires économiques. D'ailleurs, je profite de l'occasion pour souligner qu'il serait bénéfique que vous soyez également auditionnée par la commission des affaires sociales, dont je suis membre, car la question du logement est fondamentalement sociale et ne relève pas uniquement du domaine économique.

Vous indiquiez que la priorisation fonctionne bien, mais qu'il existe de nombreux critères à prendre en compte. Ainsi, reste-t-il des logements disponibles une fois que les critères prioritaires ont été appliqués, pour des familles qui ne sont ni victimes de violences, ni en situation de troubles psychiatriques, mais qui disposent simplement de revenus modestes et ont des enfants à charge ?

Ma seconde question concerne le projet de loi relatif au développement de l'offre de logements abordables, en particulier les aspects relatifs aux surloyers. J'aimerais avoir votre avis sur cette initiative et savoir si elle pourrait véritablement contribuer à résoudre les problèmes de logement, non seulement dans le secteur social, mais de manière générale pour tous les citoyens.

Mme Annick Billon. - Merci pour la clarté, la passion et la profonde connaissance que vous avez apportées dans votre exposé. Votre expertise sur le sujet est indéniable. J'ai été particulièrement sensible à la richesse des informations que vous avez partagées.

Je souhaiterais vous inviter à réagir par rapport au nombre de places d'hébergement d'urgence souvent mis en avant par le Gouvernement. Leur nombre est-il suffisant ? Ces places sont-elles adaptées aux besoins réels ?

Ma seconde question s'adresse à vous, Madame Hluszko, étant donné que votre mission inclut le partenariat et l'innovation. Pourriez-vous nous parler d'initiatives particulièrement innovantes, aussi bien dans la région Île-de-France que sur d'autres territoires, qui ont permis de répondre aux diverses problématiques exposées par Madame la Ministre ?

Mme Emmanuelle Cosse. - Je vais essayer de répondre à votre question sur les places d'hébergement et les défis auxquels nous sommes confrontés. L'audition offre l'avantage de pouvoir compléter nos informations ultérieurement, en vous transmettant des éléments supplémentaires.

Concernant le nombre de places d'hébergement, il est important de faire une distinction entre les différentes structures disponibles. Actuellement, le chiffre annoncé ne représente pas vraiment une quantité précise, car il englobe des solutions diverses et parfois temporaires. Par exemple, il existe des haltes de nuit, ouvertes seulement lors des périodes de grand froid ou de forte chaleur. Cette situation est problématique, car ces lieux ne sont pas ouverts toute la journée, faute d'un encadrement suffisant pour accueillir, nourrir et soutenir les personnes nécessitant un hébergement. Souvent, les associations doivent également fournir des repas, ce qui peut poser des difficultés dans leurs discussions avec les partenaires.

Le problème des places d'urgence est source de préoccupations constantes. Dès qu'un besoin émerge, on peut ouvrir des gymnases ou des solutions temporaires qui ne répondent pas pleinement aux besoins à long terme des personnes sans abri.

Une vraie place d'hébergement se distingue par sa capacité à offrir une prise en charge plus soutenue, même si elle peut être limitée dans la durée, comme quelques jours ou une semaine. Cependant, il est rare de pouvoir garantir une stabilité sur le long terme, par exemple en assurant un mois complet où une personne peut se poser, réfléchir et s'occuper de ses affaires personnelles.

Ensuite, nombre des enfants concernés sont scolarisés, mais risquent de devoir dormir dans la rue. Je peine à comprendre que l'on assure la scolarisation, parce qu'elle est obligatoire, tout en acceptant que les enfants n'aient pas un toit pour dormir.

Lorsque j'étais ministre, nous avons doublé le nombre de places d'hébergement, mais nous n'avons pas réussi à résoudre le problème de fond. Même avec davantage de places, il reste encore des personnes sans hébergement.

Aujourd'hui, la priorité semble être mise sur l'augmentation du nombre de places et l'allocation budgétaire correspondante. Cependant, cela ne garantit pas nécessairement une amélioration significative, car il est essentiel de se concentrer sur la qualité des hébergements disponibles. Il est crucial de disposer de centres qui ne se contentent pas de solutions d'urgence comme les gymnases, mais qui offrent des conditions propices à une véritable réinsertion, où les personnes peuvent être prises en charge et accompagnées dans leurs démarches administratives dès leur arrivée.

Au-delà de la quantité de places disponibles, la qualité des hébergements et la durée pendant laquelle ils sont accessibles restent donc des enjeux critiques pour assurer une réponse effective et digne à la situation des personnes sans domicile fixe.

Lorsque les personnes se retrouvent dans des structures d'urgence où la qualité de l'accueil laisse à désirer, le chemin vers un logement stable devient presque impossible. En effet, la première étape, qui consiste à traiter efficacement les difficultés des personnes, n'est pas remplie. C'est un premier point crucial. Un autre aspect essentiel concerne l'ouverture des droits, un sujet largement discuté et particulièrement crucial pour les personnes sans abri. Généralement, les structures qui proposent de la domiciliation marquent le début du processus visant à récupérer les pièces d'identité nécessaires, parmi d'autres démarches administratives. C'est un ensemble de services qui ne sont pas toujours disponibles de manière adéquate. Nous sommes constamment à la recherche de nouvelles places pour augmenter leur nombre. Cependant, je ne connais même pas la proportion d'hommes et de femmes bénéficiant de ces processus de domiciliation, pourtant essentiels pour initier des démarches comme les demandes de droit au logement opposable, auxquelles beaucoup de ces personnes ont droit, sous réserve que leur situation soit stabilisée.

Un autre point crucial concerne la durée du séjour. Dans certains départements, des associations ont été contraintes de renvoyer des personnes à la rue en raison du nombre insuffisant de places disponibles, en contournant ce que la législation prévoit. Des femmes enceintes ont été remises à la rue, alors que, jusqu'à récemment, toute femme enceinte était protégée pendant et après sa grossesse. Je vous encourage à interroger certaines associations, notamment celles en Seine-Saint-Denis, qui ont abordé ce sujet. Certaines de ces associations, délégataires de l'État et financées par celui-ci, ont dérogé à l'instruction du préfet en ne renvoyant pas à la rue des femmes enceintes, même celles enceintes de six à sept mois. Plusieurs initiatives ont été lancées, y compris une collaboration positive avec l'APHP pour créer des logements spécifiques aux parturientes, notamment à Paris et dans le Val-d'Oise. Nous savons qu'aujourd'hui, en Seine-Saint-Denis, cette problématique persiste, notamment à l'Hôpital Delafontaine. Au-delà de la précarité liée à la rue, il s'agit également de femmes confrontées à une grande vulnérabilité. Et je ne parle même pas des enfants, qui sont également affectés par ces situations difficiles.

Mme Dominique Vérien, présidente. - On nous a également parlé de places en Essonne.

Mme Emmanuelle Cosse. - Cette approche avait été initiée par le Samusocial de Paris et elle a clairement montré son intérêt. Cette période permet de suivre la personne et d'accompagner les premiers mois de l'enfant, ce qui est crucial.

Aujourd'hui, il m'est difficile de répondre précisément sur le nombre de places disponibles, car je n'ai pas consulté les derniers chiffres des associations. Mais au-delà de simplement compter les places, c'est la qualité de l'hébergement offert qui importe.

Lorsque nous entendons des chiffres de budget élevés, comme 2 milliards, 3 milliards, il est légitime de se demander combien de logements sociaux auraient pu être construits avec ces sommes. Je peux l'assurer, nous aurions pu en construire beaucoup. Personnellement, je ne comprends pas pourquoi, en dehors de la construction de nouveaux logements sociaux, nous ne cherchons pas à investir cet argent dans la création de centres d'hébergement pérennes, spécialement conçus à cet effet, comme des CHU ou des CHRS. De nombreux bailleurs sociaux possèdent déjà les bâtiments nécessaires pour cela, tout comme ils gèrent des logements individuels. C'est une autre facette de la question.

Actuellement, ces hébergements supplémentaires sont souvent aménagés dans des locaux inadaptés à une habitation durable, comme des hôtels ou de vieux bâtiments publics. De plus, nous sommes confrontés à un besoin criant dans tous les territoires en matière de lits-haltes-soins (LHS), des hébergements destinés à des populations nécessitant des soins spécifiques. Ils prennent en charge diverses pathologies et dépendances courantes chez les personnes sans abri. Beaucoup d'associations et l'ARS ont alloué des financements pour ces initiatives, mais la difficulté principale concerne la recherche de locaux appropriés en partenariat avec les bailleurs.

On dit souvent que les crédits sont disponibles, mais trouver des locaux adéquats avec les bailleurs est en réalité une tâche complexe. Il y a quelques années, l'État nous offrait des bâtiments existants en disant : « Prenez-les ». Aujourd'hui, la tendance est plutôt : « Trouvez-nous le terrain et le bâtiment, et nous financerons les places ». Pour une compétence qui relève de l'État, cette démarche me semble compliquée. En tant que bailleurs, nous essayons parfois de répondre aux besoins des collectivités en matière de foncier, mais cela ne suffit pas à résoudre le problème dans son ensemble.

Les organismes HLM jouent un rôle crucial en collaborant étroitement avec les centres d'hébergement ainsi qu'avec les SIAO, qui orientent les publics vers ces structures. Deux aspects me paraissent importants à considérer. Premièrement, certains organismes HLM intègrent des centres d'hébergement dans leur patrimoine immobilier. Ensuite, il existe des partenariats locaux avec les structures et les associations qui gèrent ces centres, couvrant divers aspects de la collaboration. Comme je l'ai mentionné, il s'agit de logements mis à disposition avec la possibilité d'utiliser ces espaces pour de l'hébergement.

Par ailleurs, le modèle des baux glissants a bien fonctionné, malgré sa complexité. Des discussions peuvent aussi être menées concernant l'attribution de logements aux ménages sortant de la rue, ce qui nécessite des partenariats pour mieux répondre aux besoins de ces ménages extrêmement précarisés.

Cependant, nous nous interrogeons lorsque nous portons des structures d'hébergement, notamment lorsqu'il s'agit de transformer des structures d'hébergement en logements plus pérennes. Par exemple, on pourrait envisager la transformation d'un logement qui accueille actuellement une famille en une forme d'hébergement plus permanent, tout en conservant un suivi social adapté, en modifiant la destination de ce bâti. Des expériences sont en cours dans ce domaine. Cependant, ces initiatives posent des défis financiers, notamment en termes de financement du logement social.

Je peux donner un exemple concret : le bailleur que je préside a mené une expérience à Antony, où une résidence sociale a été partiellement transformée en hébergement d'urgence. Pour ce faire, nous avons contracté un prêt à long terme avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC) pour produire du logement social, tout en actant que certaines parties du bâtiment serviraient temporairement à l'hébergement d'urgence. Les enjeux financiers sont donc différents. Des arrangements spécifiques ont été conclus pour garantir la viabilité de ces projets.

Je crois fermement en ce modèle. En permettant une certaine flexibilité dans l'utilisation des logements sociaux, nous pourrions potentiellement offrir plus de solutions à long terme pour les personnes en situation précaire.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Comment retrouver une place d'hébergement ensuite ?

Mme Emmanuelle Cosse. - Il faut recréer la place d'hébergement à la fin, en négociation avec l'État. Le banquier doit par ailleurs accepter le fait que le bâti pour lequel il a accordé un prêt sera destiné à de l'hébergement, sans possibilité de percevoir de loyer pendant cette période. Je pense que ce modèle permettrait de proposer une offre plus conséquente.

En Guyane, où la pénurie de logements sociaux et privés est particulièrement critique, nous collaborons activement avec les bailleurs locaux, notamment sur des thématiques d'accompagnement professionnel. Nous explorons également la possibilité de développer des offres de logement accompagné, un concept encore peu connu dans cette région.

J'ai visité une résidence pour jeunes actifs à proximité de Cayenne. Nous discutions de la possibilité d'ouvrir des résidences sociales et de développer du logement accompagné. En général, les logements proposés sont familiaux et ne conviennent pas aux publics à revenu modeste. Ceux-ci ont également besoin d'un accompagnement. Ce dernier aspect représente également une nouveauté pour les bailleurs, car il soulève la question de l'intégration entre logement et accompagnement. Nous accusons indéniablement un retard significatif en la matière. Nous avons passé du temps avec la maire de Saint-Laurent du Maroni sur l'ensemble de ces chantiers. Le retard n'est pas tant imputable aux opérateurs qu'aux délais de cession des fonciers et aux contraintes saisonnières marquées en Guyane, entre la saison sèche et la saison des pluies.

Je me dois de souligner que les programmes de logement développés en Guyane témoignent d'une qualité certaine et intègrent une prise en compte des défis climatiques, une approche dont les bailleurs métropolitains pourraient s'inspirer. Cette maturité dans la gestion environnementale des projets rappelle les initiatives observées à La Réunion.

En réponse à votre question sur l'embolisation vers le logement liée aux difficultés de régularisation administrative, je ne dispose pas des données chiffrées actuelles. Cependant, de nombreux ménages dont les adultes ne bénéficient pas de droits régularisés se trouvent bloqués lors des commissions d'attribution, même après avoir présenté des dossiers jusqu'au stade préliminaire. Cette situation constitue une difficulté majeure, notamment pour les ménages appelés à s'installer durablement sur le territoire. Malheureusement, les processus de régularisation ne semblent pas évoluer favorablement, mais semblent au contraire régresser.

Enfin, nous allons nous renseigner sur les logements non attribués que vous mentionniez.

Mme Catherine Hluszko. - En Seine-Saint-Denis, c'est normalement la convention « Un toit pour tous » qui devrait s'appliquer. Je ne pense pas que les logements dédiés aux femmes victimes de violences soient clairement identifiés comme tels. Je crois plutôt qu'ils sont attribués en fonction des disponibilités, selon un système de rotation. Je sais que des mesures un peu innovantes ont été prises pendant la pandémie de covid, notamment en meublant des logements. Ils n'étaient pas tous occupés à ce moment, une période bien particulière. J'avais cru comprendre qu'ils l'étaient désormais.

Nous allons nous renseigner sur ce point car il n'est pas acceptable que certaines places soient laissées vides, surtout compte tenu du niveau élevé de partenariat et d'implication des acteurs du département sur ces questions.

Mme Olivia Richard, rapporteure. - Ne voyez aucune critique dans mes propos. Nous avons rencontré des individus remarquables qui réalisent des prouesses avec des moyens limités. Je n'ai absolument aucun jugement négatif à formuler à ce sujet. Il me semble tout simplement fondamental qu'il existe des logements spécifiquement dédiés aux femmes qui doivent se reloger, souvent avec leurs enfants, de préférence sans recourir aux hôtels. Toutefois, la question de la sur-critérisation peut nous interpeller.

Par ailleurs, nous avons récemment visité une halte de nuit. Les acteurs présents étaient très enthousiastes à l'idée de nous la présenter. Nous sortions de l'Hôpital Delafontaine. Nous y avions croisé une femme enceinte de cinq mois avec ses deux jeunes enfants, âgés de 2 et 3 ans. Ils y vivaient. Ils avaient été admis en pédiatrie. Nous sommes ensuite arrivés à la halte de nuit, qui ne comptait même pas de lits. Il nous a été expliqué qu'il n'était pas possible d'en fournir, car ils relevaient d'une autre ligne budgétaire. Ainsi, je pense que la complexité administrative et la sur-critérisation contribuent également à l'encombrement.

La femme que nous avons rencontrée est parfaitement éligible pour un logement social et attend un hébergement d'urgence avec ses enfants. Son mari travaille. Ils sont tous deux réfugiés. J'identifie une absurdité inhérente à la complexité administrative.

Mme Emmanuelle Cosse. - J'ai visité hier une résidence sociale dans l'Aisne, où, parmi cinquante logements au total, trois sont spécifiquement dédiés aux femmes victimes de violence dans la commune. Ce sont des studios de 18 mètres carrés qui répondent à l'urgence pour toute l'agglomération. Ils ne sont pas destinés à être occupés en permanence. Après un certain nombre de mois sans sollicitation, une réévaluation pourrait être envisagée avec l'agglomération. Ces logements sont souvent temporaires.

C'est plus rare en ce qui concerne les logements familiaux, qui doivent répondre à un flux continu. Dans des départements comme la Seine-Saint-Denis, la demande de logements est énorme. Ce département est aussi marqué par des programmes de rénovation urbaine occasionnant beaucoup de démolitions et de reconstructions. Nous stagnons faute d'attributions suffisantes. Nous en revenons à la question initiale : il existe bel et bien une crise du logement.

Nos politiques étaient basées sur l'idée d'attribuer environ 420 000 à 450 000 logements sociaux par an, ce que nous avons fait dans les meilleurs moments. Actuellement, nous en attribuons moins de 390 000 par an.

Les locataires ne restent pas là par choix ; nos locataires, contrairement à certaines idées préconçues, ne sont pas riches et ne s'enrichissent pas. En examinant leur cohorte, qu'ils soient retraités, actifs ou bénéficiaires de minima sociaux, notamment les actifs qui constituent aujourd'hui la majorité du parc social, nous constatons qu'ils gagnent moins que leurs prédécesseurs. Ils perçoivent des salaires plus bas, qui représentent l'archétype du travailleur intermittent, du travailleur pauvre, du travailleur gagnant le Smic ou légèrement moins. Telle est la réalité.

Vous pointez un problème fondamental avec une totale clarté. Produire un logement permanent coûte entre 150 000 et 200 000 euros. On entend parler de 3 milliards d'euros annuels pour l'hébergement. Avec cette somme, on pourrait construire beaucoup de logements en les finançant par des prêts sur soixante ans et des subventions.

De plus, le manque de prise en charge à l'échelle nationale entraîne des troubles psychiques et personnels chez les personnes concernées, ce qui accentue le coût pour l'État. Prendre en charge ces personnes coûte plus cher à long terme, sans même parler des impacts sur la scolarité et d'autres aspects.

Venons-en au projet de loi sur lequel vous m'interrogiez. Sans entrer dans les détails dont j'ai déjà discuté avec d'autres de vos collègues, je pense que ce texte législatif n'est pas à la hauteur de la crise actuelle du logement. Il n'y répond pas. Il est rédigé de manière succincte et se concentre principalement sur la question des surloyers dans le secteur du logement social. Le parc se divise en trois catégories selon les revenus : le logement très social, social et un peu moins social, le PLS (Prêt locatif social).

Environ 75 % des demandeurs perçoivent des revenus inférieurs au plafond du PLUS (Prêt locatif à usage social), le logement intermédiaire, qui avoisine 1 680 euros par mois pour une personne seule. Les plafonds du PLS sont légèrement plus élevés. La loi dispose que lorsque les revenus excèdent de 20 % les plafonds de la catégorie de logement, les occupants peuvent être soumis à un surloyer, voire être contraints de quitter leur logement.

En tant que ministre, j'ai renforcé cette mesure, notamment pour les logements PLS à hauts revenus, où à Paris, une personne seule peut percevoir plus de 3 000 euros par mois. Dans ces cas, nous pouvons envisager qu'elle trouvera un logement équivalent sur le marché privé.

Toutefois, le texte de loi actuel présente une difficulté majeure : il se limite à une formulation générale, tandis que les détails opérationnels sont définis par voie réglementaire. Je considère que cette dichotomie entre législation et réglementation pose problème et mérite une réévaluation par les parlementaires pour clarifier les implications réelles du décret. Selon la formulation actuelle, il semble que toute personne dépassant les plafonds de revenus de sa catégorie de logement pourrait être soumise à un surloyer dès le premier euro. Si l'on suit cette logique, pour un logement PLS, toute somme dépassant les plafonds initiaux entraînerait un surloyer. En revanche, pour ceux dans le logement très social PLAI (Prêt locatif aidé d'intégration) à Paris, où le plafond mensuel pour une personne seule atteint jusqu'à 1 388 euros, quel est le sens de facturer un surloyer à une personne gagnant à peine au-dessus du Smic ? Vous voyez bien la perversité de cette mesure, visant à collecter des sommes aussi minimes que trente ou vingt centimes par mois. Il est nécessaire de réfléchir à l'efficacité et à la justification de ce processus.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Il est clair que cette mesure ne s'applique pas de la même manière pour tous. À Ivry-sur-Seine ou ailleurs en petite couronne, par exemple, il existe des logements sociaux de qualité où des résidents sont entrés jeunes. Ils ont vu leur situation s'améliorer considérablement tout en demeurant dans le logement social. Cette discussion est importante, car cette réalité contribue à maintenir une mixité sociale dans le quartier. Ce ne sont pas des personnes qui partent pour être remplacées par d'autres dans une situation précaire similaire. Simplement, nous pouvons nous demander si cette approche reste opportune dans une période de crise du logement comme celle que nous traversons actuellement. Il est légitime de se demander si une révision des surloyers ne serait pas appropriée.

Mme Emmanuelle Cosse. - Je réaffirme qu'il existe actuellement un système de surloyer en place. Environ 200 000 ménages sont concernés par cette mesure, dont 80 000 effectivement soumis au paiement du surloyer, les autres étant exemptés en raison de leur résidence dans des quartiers relevant de la politique de la ville, afin de préserver la mixité sociale.

Cependant, dès que les revenus dépassent de plus de 20 % les plafonds fixés, notamment dans le cas des logements PLS, le locataire est contraint de quitter le logement. Chaque année, plusieurs milliers de personnes sortent ainsi du parc social. Elles doivent répondre à des enquêtes annuelles sur leurs revenus. Tout locataire doit fournir sa déclaration de revenus, faute de quoi le surloyer maximal est appliqué. Cette politique a pour effet de faire sortir davantage de ménages du PLS, mais ne touche pas ceux qui sont considérés comme prioritaires pour l'accès au logement social.

Cependant, le problème majeur réside dans l'application du surloyer dès le premier euro gagné. Si vous occupez un logement PLAI en percevant environ 1 300 euros de revenus, et que vous touchez une prime Macron portant votre revenu à 1 500 euros, par exemple, vous vous retrouverez en surloyer. En revanche, votre collègue touchant un revenu un peu plus élevé, entré dans un logement PLUS voisin, ne paiera pas de surloyer. J'y vois une problématique d'iniquité.

Parfois, dans le même immeuble, des logements financés il y a plus de quarante ans (HLM ordinaire) bénéficient de loyers très bas, parfois inférieurs à 4 euros par mètre carré, ce qui peut expliquer la disparité de traitement entre voisins.

En conclusion, bien que la logique du surloyer existe depuis deux décennies, son application à des ménages ne dépassant pas le Smic est problématique. Comment justifier de demander à un ménage de payer un surloyer alors qu'il ne gagne que 1 480 euros par mois ? Certains de ces ménages bénéficient de l'APL, mais ce n'est pas le cas de tous.

En réalité, pour augmenter l'accès au logement social, nous devons en construire davantage. Le constat est clair : nos locataires HLM sont de plus en plus précaires. Chaque nouvel entrant est généralement plus démuni que celui qui part, une tendance observable également parmi les retraités, de plus en plus nombreux à solliciter un logement HLM à partir de 64 ans. Cette situation mérite réflexion, notamment pour les personnes entrant en HLM pour y passer leur retraite. Elles n'ont pas pu accéder à la propriété ou estiment ne pas pouvoir assumer les coûts d'un logement privé.

Dans le projet de loi, il n'est mentionné qu'une seule phrase sur les surloyers renvoyant à un décret. Comment les parlementaires envisagent-ils sa mise en oeuvre ? Nous sommes par ailleurs confrontés à une confusion générale selon laquelle il n'y aurait pas de contrôle, mais en réalité, les contrôles sont très rigoureux. Nous appliquerons la loi telle qu'elle est rédigée, mais il convient d'être vigilant. J'ai notamment pris connaissance d'exemples publiés dans la presse où l'on évoque des ménages percevant le maximum des plafonds autorisés. Ils existent sans doute, mais peut-être pas autant que certains le laissent entendre. Lors de ma visite à Toulouse la semaine dernière, j'ai demandé à l'un des bailleurs de vérifier combien de cas étaient concernés. Sur 20 000 locataires, il a identifié seulement quatre ménages dans cette situation.

Cependant, ce sujet ne résout pas nos défis concernant l'augmentation de l'accès des ménages à revenus modestes dans le parc social. Je ne suggère pas que la seule solution réside dans la création de nouvelles offres, mais il est indéniable que nous devons accroître la disponibilité de logements à loyers abordables. De plus, il est nécessaire d'augmenter l'offre de logements à bas loyers dans le secteur privé, un frein majeur qui s'intensifie.

M. Adel Ziane. - Je tiens à préciser que la commission de la culture a elle aussi beaucoup à dire sur ce sujet. Nous avons un peu élargi le sujet de cette table ronde à la crise du logement que nous traversons actuellement en France. Nous ne sommes plus uniquement concentrés sur la problématique spécifique des femmes sans abri. Nous abordons maintenant la question du logement social.

Personnellement, en tant qu'élu de Seine-Saint-Denis, j'ai pu constater cette crise du logement de manière générale, et en particulier la crise du logement social avec des défis majeurs comme la pression aux frontières et la stagnation dans la diversification de l'offre de logement. En ce qui concerne le projet de loi actuellement discuté, notamment sur la question des surloyers, je suis d'accord avec vos observations : cette question est assez marginale. Dans ma ville, sur un parc social de 6 000 logements, seulement 200 ménages, qui représentent une source de revenus additionnels pour les bailleurs sociaux ainsi qu'une mixité dans le quartier, payent un surloyer. Depuis 2017, les bailleurs sociaux ont vu leurs revenus diminuer en raison de diverses mesures restrictives qui ont bloqué la création et le développement du logement social.

J'aimerais vous poser deux questions plus spécifiques aux femmes dans la rue. La première concerne les visites que nous avons faites à l'Hôpital Delafontaine avec nos collègues rapporteures. Les élus locaux m'avaient alerté sur les dysfonctionnements macros et leurs répercussions au niveau local. Nous avons pu constater la réalité quotidienne des professionnels des services publics, qui se retrouvent à gérer des missions et des défis divers. Nous avons évoqué ces mères qui arrivent et accouchent à Delafontaine sans solution d'hébergement. Tout l'écosystème hospitalier est mobilisé pour trouver des solutions d'urgence, impliquant la Direction régionale et interdépartementale de l'hébergement et du logement (Drihl), la préfecture et d'autres services chargés de l'hébergement d'urgence ou des politiques de droit commun pour les réfugiés ou les personnes sans emploi. Cela détourne l'hôpital de sa mission première de soins pour répondre à des situations d'urgence où les familles restent parfois un à trois mois, en attendant une solution.

Beaucoup d'acteurs réorientent ces personnes en difficulté vers la Seine-Saint-Denis, souvent à partir de l'Île-de-France et pas seulement du département lui-même. Cette orientation repose sur l'idée que ce département est mieux équipé pour répondre à ces besoins. Cependant, il est crucial de repenser la répartition territoriale de ces problématiques avec une approche plus équitable à l'échelle régionale.

Enfin, ma deuxième question porte sur l'intégration des logements intermédiaires dans le Schéma de revalorisation urbaine (SRU). Cette initiative pourrait être intéressante pour certains promoteurs mais ne résoudra pas les défis concrets auxquels les élus font face au quotidien pour diversifier l'offre de logements. Nous observons notamment une paupérisation croissante des dossiers des nouveaux locataires, comme vous l'avez souligné, ce qui reflète une fragilité économique plus prononcée parmi ceux qui s'installent.

Mme Colombe Brossel. - Merci d'avoir rappelé quelques réalités concernant le projet de loi à venir. Une politique publique efficace ne se construit pas sur des slogans, mais sur une compréhension des situations réelles et sur l'élaboration de réponses adaptées.

J'aimerais aborder la question du logement accompagné et spécifiquement la place des femmes dans ce cadre. Historiquement, les femmes étaient-elles largement sous-représentées dans ces dispositifs parce que ce sujet est invisibilisé, ou cette forme d'organisation est-elle plus adaptée aux publics masculins ?

Par ailleurs, quelles sont les implications de la présence croissante des femmes sur les méthodes d'accompagnement ? Avons-nous des enseignements à tirer de cette évolution, notamment dans le cadre de la mission menée par nos collègues.

Mme Catherine Hluszko. - Vous m'interrogiez tout à l'heure sur les innovations qui existent. Elles sont nombreuses. J'en présenterai trois.

D'abord, l'organisme « Pierre et Lumière », présent en région Centre à Orléans et en Île-de-France, établit depuis longtemps des partenariats locaux pour héberger des femmes victimes de violences. Au-delà du logement, il coordonne un réseau d'accompagnement avec la FNSF et des associations locales, incluant des initiatives comme la ressourcerie pour meubler les logements, des programmes d'insertion professionnelle et des activités culturelles via Cultures du coeur, favorisant ainsi une reprise en main complète.

Ensuite, une expérience est menée à Aurillac avec l'Entreprise sociale de l'habitat « Polygone ». Trois logements ont été spécifiquement meublés pour accueillir des femmes de la région éloignées de leur conjoint violent. Ils ont été stratégiquement sélectionnés près des commerces et des écoles. Ils sont accompagnés d'un soutien intensif incluant un interlocuteur dédié au sein de l'organisme, garantissant ainsi un cadre sécurisé et adapté aux besoins variés des résidentes.

Enfin, à Villiers-le-Bel, l'office « Val-d'Oise Habitat » construit une « résidence égalitaire », pensée à travers le prisme des besoins des familles monoparentales, notamment féminines. Cette résidence est construite pour être sobre en termes de charges. Elle propose aussi des espaces communs et des équipements partagés comme des machines à laver, tout en mettant un accent particulier sur la sécurité et le confort des environnements résidentiels.

Ces initiatives illustrent des approches diversifiées et innovantes pour répondre aux besoins spécifiques des femmes dans des situations de logement difficile.

Mme Emmanuelle Cosse. - Plus de 40 % de nos locataires sont des familles monoparentales. Ce constat n'est guère surprenant étant donné que ces familles disposent de revenus modestes et sont principalement éligibles au logement social. Au fil du temps, certaines résidences sont devenues majoritairement peuplées par des familles monoparentales. Cela modifie la dynamique de l'immeuble et suscite parfois des initiatives de solidarité en partenariat avec les bailleurs et les collectivités, telles que des services de garde d'enfants mutualisés ou des programmes d'accompagnement scolaire adaptés aux horaires décalés des parents actifs. Ces développements impactent également la politique du logement social, occasionnant la création de résidences dites à enjeu de mixité, identifiées pour pallier une faible diversité sociale parmi leurs occupants, afin d'éviter une concentration accrue de familles monoparentales fragilisées. Je tiens à souligner que la surreprésentation des demandes de logement émanant des familles monoparentales dans le secteur HLM constitue une question préoccupante. Il est également essentiel de noter que 35 % de nos locataires vivent sous le seuil de pauvreté.

Ensuite, les femmes demeurent minoritaires dans les logements accompagnés, bien qu'elles représentent 40 % des personnes recensées comme sans abri aujourd'hui. Le logement accompagné a été conçu principalement pour sortir les individus de la rue, un objectif direct sans étape intermédiaire. Il est vrai que les hommes seuls avec des problèmes d'addiction ou ayant vécu des traumatismes graves sont majoritaires dans les orientations fournies par le SIAO. Cette réalité soulève des questions pertinentes. Dans les pensions de famille, qui proposent entre vingt et trente logements avec des espaces communs, être la seule femme parmi vingt-huit résidents masculins n'est certainement pas idéal. Ces questions préoccupent effectivement les bailleurs dans le cadre des attributions. J'en discutais hier lors d'une inauguration. Je pense que les femmes sont sous-représentées, peut-être parce qu'elles ne sont pas encore suffisamment dirigées vers ce type de structures lorsqu'elles en ont besoin. Il est vrai que beaucoup de femmes sont accompagnées d'enfants, ce qui peut expliquer cette situation.

Monsieur le Sénateur, je pourrai répondre plus tard à votre interrogation. Elle dépasse la question législative. La difficulté aujourd'hui relève du fait que les femmes à la rue, même si elles ont accédé à leurs droits, perçoivent des revenus modestes. Elles sont isolées et ont besoin de loyers très bas. Concrètement, nous devons être capables de produire des logements où, une fois l'APL versée, le reste à charge serait compris entre 50 et 80 euros maximum. C'est ainsi que nous envisageons les solutions pour les publics les plus précarisés. Nous parvenons à le faire dans les pensions de famille et les résidences sociales. Cependant, atteindre ce seuil dans des logements comportant deux ou trois pièces pour accueillir des enfants, représente un défi. Il est à noter que la solvabilité de l'APL varie selon les territoires et les niveaux de charges, ce qui constitue également un sujet de réflexion. En sus, lors de l'envolée des prix de l'énergie, l'année dernière, certaines familles précaires ont refusé des logements en raison des coûts élevés des charges annoncées. Lorsque les charges s'élèvent à 200 euros et que l'incertitude plane quant à leur augmentation, les locataires hésitent, même si les bailleurs proposent un accompagnement social et financier. Personne ne souhaite s'endetter en emménageant dans un logement. Il est crucial de garder cela à l'esprit.

Comme je l'ai mentionné au début de mon intervention, votre approche de cette question nous incite à affiner nos données pour mieux comprendre et relever ces défis. Je suis convaincue qu'une partie des femmes reste invisibilisée, même au sein de ces structures.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Il me reste à conclure. Nous avons, je crois, établi un lien pertinent entre le rapport sur les familles monoparentales et celui sur les femmes sans domicile fixe. J'ai compris que la construction de 100 000 à 115 000 nouveaux logements par an restait insuffisante. Cette insuffisance ne découle pas uniquement de la croissance démographique, mais aussi de la précarisation probable de notre population, poussant davantage de personnes vers le logement social. De plus, l'augmentation significative du nombre de familles monoparentales nécessite indubitablement la construction de logements supplémentaires pour loger tout le monde, y compris ces familles séparées.

Je vous remercie sincèrement pour cette audition enrichissante qui a abordé des questions essentielles L'accès aux dispositifs d'hébergement d'urgence dépend de la disponibilité de logements pour ceux qui s'y trouvent déjà. Ces réflexions feront partie intégrante de nos travaux à venir. J'attends avec intérêt les éléments que vous nous transmettrez.

Il est clair, après toutes ces auditions, que les données genrées font défaut et que les femmes risquent de demeurer invisibles dans nos politiques si nous ne les prenons pas en compte. Nous comptons sur votre aide pour combler cette lacune et nous vous apporterons également notre soutien dans cette démarche.