- Jeudi 30 mai 2024
- Audition de M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement
- Audition de Mmes Joanna Ghorayeb, sous-directrice du droit économique, et Marion Vandevelde, cheffe du bureau du droit de l'immobilier et du droit de l'environnement de la direction des affaires civiles et du sceau (DACS) du ministère de la Justice
- Audition de Mme Anne-Claire Mialot, directrice générale de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU)
- Audition, en téléconférence, de MM. Yanick Le Meur, directeur général de la Foncière Logement et Nicolas Henry, directeur de la stratégie Action Logement Groupe
Jeudi 30 mai 2024
- Présidence de Mme Amel Gacquerre, présidente -
La réunion est ouverte à 10 h 30.
Audition de M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement
Mme Amel Gacquerre, présidente. - Nous avons commencé nos travaux le 11 mars dernier en recevant M. Olivier Klein, l'ancien ministre chargé de la ville et du logement, et après avoir réalisé pas moins de dix-sept auditions plénières - complétées par de nombreuses auditions de la rapporteure - c'est tout naturellement que, afin de faire un tour d'horizon à l'approche de la fin de nos travaux, nous recevons aujourd'hui l'actuel ministre chargé du logement, M. Guillaume Kasbarian, à qui je souhaite la bienvenue.
Monsieur le ministre, vous connaissez les lieux : vous êtes venu il y a deux semaines nous présenter le projet de loi relatif au développement de l'offre de logements abordables. Ce jour-là j'ai échangé avec vous en tant que rapporteure, avec Sophie Primas ; aujourd'hui ce sera en tant que présidente de la commission d'enquête sur la paupérisation des copropriétés immobilières, que je préside et dont Marianne Margaté est la rapporteure.
Le cadre juridique est différent, mais ce qui relie un grand nombre des travaux qui nous occupent ce printemps, c'est la question du coût excessif du logement pour nombre de nos concitoyens : c'est justement ce qui ressort de l'intitulé même de notre commission d'enquête, qui met l'accent sur les difficultés financières des copropriétaires et pas seulement sur la « fragilité » ou les « difficultés » rencontrées par les copropriétés, pour reprendre des termes souvent utilisés.
Un autre angle d'approche sur lequel notre commission d'enquête met tout particulièrement l'accent, et sur lequel nous espérons que vous pourrez nous apporter des éléments, c'est celui des petites copropriétés. Quelles sont les difficultés particulières à ces structures, quand et avec quels moyens la puissance publique doit-elle intervenir pour prévenir leurs difficultés ou les aider à en sortir ? Mais en premier lieu, comment mieux les connaître ? Car les grandes copropriétés sont bien connues des pouvoirs publics, elles sont désormais inscrites au registre national, le RNIC, mais ce n'est pas le cas de nombreuses copropriétés de petite taille, qui n'ont parfois même pas de syndic, ni professionnel ni bénévole.
Concernant les grandes copropriétés, vous aurez à coeur, je suppose, de revenir sur la mise en oeuvre du plan « Initiative Copropriétés ». Nous avons visité Grigny 2 avec Philippe Rio il y a peu et on mesure l'ampleur du chantier, ce qui a déjà été fait et ce qui reste à faire.
Je pense qu'il serait également intéressant que vous fassiez un retour sur la loi du 9 avril 2024 visant à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé, dont j'ai aussi été rapporteure. Où en est l'application de cette loi, concernant les points relatifs à la copropriété ? Je pense en particulier au prêt collectif pour les copropriétaires, dont nous avons eu des échos variables au cours de nos auditions.
Enfin, parmi vos attributions, figurent notamment les politiques relatives à l'efficacité énergétique de l'habitat : pouvez-vous faire un point sur la mise en oeuvre de MaPrimeRénov' dans les copropriétés cette année ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Guillaume Kasbarian prête serment.
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du Logement. - Merci pour votre accueil. Depuis 2017, le Gouvernement a fait de la question des copropriétés une question centrale, à la fois pour lutter contre leur dégradation et pour intervenir plus en amont.
Ce sera l'objet de ce propos introductif, avant de répondre, bien sûr, à vos questions, pour éclairer au mieux vos travaux, étant entendu que je suis en fonction depuis près de 100 jours et que, sur ce sujet, je m'inscris dans la pleine continuité de mes prédécesseurs, que vous avez reçus pour certains, et dont vous savez la mobilisation sur ce sujet majeur.
Depuis 2017, nous sommes à l'oeuvre pour nous attaquer collectivement à ces difficultés.
Cette problématique de la dégradation et de la paupérisation est majeure. Même s'il n'en existe pas de définition juridique, étant donnée la diversité des situations, les indices statistiques dont nous disposons montrent que les copropriétés en difficulté représentent environ 17 % du parc immatriculé, soit près d'un cinquième du parc actuel. Il s'agit donc d'un gisement de logements à ne pas occulter pour répondre à la crise du logement et à augmenter l'offre sur le marché, d'autant plus que ces logements se dégradent : nous recensons 10 000 copropriétés en très grande difficulté, qui sont suivies dans le cadre des différents dispositifs de prévention et de redressement, déjà existants. A ce chiffre, il faut ajouter quelque 100 000 copropriétés fragiles. Au total, ce sont près de 1,5 million de logements qui sont aujourd'hui à surveiller et qui nécessiteront, à court ou moyen terme, une intervention de la puissance publique.
Dès 2018, Julien Denormandie a lancé le plan « Initiative Copropriétés » pour s'attaquer aux cas des grandes copropriétés en difficulté. L'État abonde ce plan de 2 milliards d'euros sur dix ans pour apporter une réponse aux cas des copropriétés les plus dégradées, tout en s'adaptant finement aux différentes réalités territoriales, en lien toujours avec les élus des territoires. Ce plan est la première stratégie nationale d'ampleur qui cible les situations les plus graves et apporte des solutions de prévention et d'accompagnement aux copropriétés fragiles. C'est un exemple en matière de politique opérationnelle, territorialisée et concertée avec les élus. Notre objectif a toujours été d'offrir aux collectivités locales une gamme d'outils pour répondre aux difficultés qui leur sont propres et pour mieux les accompagner dans leurs projets pour redynamiser, rénover et revitaliser les territoires en agissant particulièrement sur la dégradation de l'habitat, une problématique qui touche un nombre croissant de nos territoires.
Après 5 ans, à l'heure d'un premier bilan, on peut dire que ce plan a permis de lancer de nombreux projets pour résoudre cette question majeure et complexe du traitement des copropriétés en difficulté.
Dans le même temps, nous avons également lancé le programme « Action Coeur de ville », qui se poursuit et s'étend, pour résorber l'habitat dégradé en centre-ville. Emmanuelle Wargon a mené à bien le travail commencé dans la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Elan) en réformant et en simplifiant, avec le député Guillaume Vuilletet, co-rapporteur de ce texte à l'Assemblée nationale, les régimes de police de l'habitat indigne. Les ministres Olivier Klein et Patrice Vergriete ont lancé de nouvelles opérations de requalification des copropriétés dégradées - les ORCOD - et ont travaillé sans relâche pour préparer la loi que vous avez votée, et sur laquelle je reviendrai. Je souhaite les en remercier et m'inscrire dans la continuité de leur action sur cette thématique.
Résoudre la crise du logement et s'attaquer à l'habitat indigne, c'est un travail de terrain, qui doit se faire avec les élus et les collectivités que vous représentez tout particulièrement.
C'est dans cette optique qu'Olivier Klein a confié une mission à deux maires issus d'horizons différents, Mathieu Hanotin, maire socialiste de Saint-Denis, et Michèle Lutz, maire Les Républicains de Mulhouse, où j'ai d'ailleurs eu l'occasion de me rendre en mars au cours d'un déplacement très riche qui a montré la pertinence des outils mis en place par la nouvelle loi. Leurs travaux, très riches, ont permis à mon prédécesseur Patrice Vergriete d'élaborer le texte que je vous ai présenté, et qui offre désormais une soixantaine d'outils. Cette loi, largement saluée pour les mesures utiles d'accélération et de simplification qu'elle contient, doit permettre à l'avenir aux collectivités, aux opérateurs et à l'État de traiter plus rapidement et avec plus d'agilité les situations de dégradation financière et du bâti qui caractérisent notre parc d'habitat et qui se répercutent sur la vie de nos concitoyens. Elle aidera à mieux anticiper les situations de dégradation, qui mettent plusieurs années à s'installer et peuvent donc faire l'objet d'un traitement plus en amont. Pour cela, il est indispensable d'avoir une vision prospective pour mieux prévenir l'émergence de dynamiques de fragilisation, et intervenir davantage en amont grâce au professionnalisme et à la mobilisation de tous les acteurs concernés.
Dans cette optique, la loi crée une nouvelle procédure d'expropriation pour intervenir en amont du cycle de dégradation. Cette faculté, à la main des collectivités et de l'État, concernera les immeubles qui sont frappés par un arrêté de police, mais qui ne sont pas encore, pour autant, dans une situation de dégradation irrémédiable. Cette possibilité sera décisive pour anticiper l'intervention des pouvoirs publics en temps utile.
Un autre article particulièrement attendu donnera aux syndicats de copropriété la possibilité d'assurer le financement des travaux au moyen d'un emprunt collectif. C'est une innovation majeure, qui a posé beaucoup de questions pour les banques et les professionnels, le débat va certainement se poursuivre dans les semaines à venir. C'est un outil de simplification massive pour surmonter les blocages et les difficultés inhérentes aux travaux dans les copropriétés. Il fera gagner plusieurs mois d'examens de dossiers individuels, au profit d'une approche collective et globale. Au fond, ce prêt peut être l'innovation financière qui manque pour massifier la transition écologique dans chaque micro-démocratie qu'est une copropriété. Mais cela ne peut pas se faire de manière irresponsable, en endettant des copropriétés déjà fragiles : c'est pour cela qu'a été créé un fonds de garantie pour ces prêts, aux modalités précisées à la suite de votre mobilisation, Madame la présidente.
D'autres articles, dont la portée concrète et opérationnelle a été largement reconnue et renforcée, faciliteront les opérations de restauration immobilière (ORI), le déploiement des concessions d'aménagement pour le traitement de l'habitat dégradé ou encore la mobilisation du droit de préemption urbain dans ce même cadre. Ces mesures sont souhaitées et attendues par les élus et les opérateurs tels que l'Établissement public foncier d'Île-de-France ou la Société de requalification des quartiers anciens (Soreqa), dont l'expérience et l'expertise dans ce domaine ne sont plus à démontrer.
Toujours dans une visée préventive, les mécanismes de gestion des copropriétés seront modifiés afin d'anticiper et d'accélérer le repérage des dynamiques de dégradation. Ainsi la procédure d'alerte, enclenchée lorsqu'un seuil d'impayés est atteint au sein d'une copropriété, débouchera plus rapidement sur la nomination d'un mandataire ad hoc.
J'insiste également sur la mise en place, dans la loi, d'un diagnostic de structure dans l'ancien sur des périmètres qui seront définis par les élus, ce qui sera une des clefs pour que les maires, par la prévention et la connaissance du parc, enrayent les dynamiques de dégradation.
Il est également nécessaire de poursuivre la lutte que nous avons engagée dès 2017 contre les marchands de sommeil et de renforcer les sanctions à leur égard. Ces marchands de sommeil, pour qui la dégradation de l'habitat peut constituer une rente considérable et qui tirent profit de la dégradation des bâtiments en les louant à des personnes vulnérables qui ont besoin d'un toit, ne doivent plus pouvoir s'enrichir sur la misère d'autrui. À l'initiative du député Lionel Royer-Perreaut, co-rapporteur du texte - et élu d'un territoire très marqué par ce phénomène -, l'Assemblée nationale a ajouté des dispositions importantes en la matière, et je veux remercier ici les sénateurs d'avoir largement repris et enrichi encore ces mesures qui sont cruciales pour notre dignité collective.
Ensuite, la loi permettra de traiter plus rapidement les dégradations les plus marquées avant qu'elles n'aboutissent à des situations d'indignité insupportables et irrémédiables. Nous devons au maximum éviter d'arriver à la situation dans laquelle il est plus intéressant financièrement de démolir et de reconstruire que de rénover et de réparer. Pour cela, nous souhaitons accélérer l'ensemble des procédures de recyclage et de transformation des copropriétés, elles prennent aujourd'hui trop longtemps - tous les acteurs en conviennent : les délais des opérations de réhabilitation sont beaucoup trop importants, il faut jusqu'à quinze ou vingt ans pour mener à bien un projet, ce qui provoque l'incompréhension des habitants et des élus, leur lassitude, et même la souffrance des propriétaires et des occupants qui se retrouvent dans des situations provisoires à durée indéterminée.
Plusieurs mesures de ce texte accélèreront de façon décisive les opérations de transformation. C'était la volonté du Président de la République, qui l'avait dit très clairement lors de son déplacement à Marseille à la fin du mois de juin dernier. Ainsi, un article autorise la scission des grandes copropriétés en plusieurs syndicats de taille plus gérable, ce qui renforcera la capacité des acteurs à mener des projets à la bonne échelle, notamment quand un seul bâtiment au sein d'une copropriété qui en compte plusieurs est atteint d'une dégradation. Le déroulement des opérations de traitement de la dégradation sera facilité par une meilleure capacité de répondre aux besoins de relogement inévitables qui en découlent. Ainsi, le maire pourra autoriser l'implantation, sans permis de construire, de logements temporaires, pour reloger les personnes délogées par les chantiers. Le maire pourra aussi faire réaliser, aux frais du propriétaire, la remise en état de biens lorsque des travaux ont été menés de façon irrégulière. Enfin, deux articles accélèreront et sécuriseront les expropriations menées dans le cadre de la législation dite « Vivien », qui est engagée lorsque des bâtiments sont atteints d'une dégradation irrémédiable.
Depuis la promulgation de la loi le 9 avril, nous avons continué à avancer. Sans attendre, mon administration a lancé les travaux pour prendre les actes réglementaires nécessaires à la bonne application de la loi. Certains de ces textes seront particulièrement importants. Je pense notamment : au décret qui permettra d'opérationnaliser le prêt collectif à adhésion obligatoire auquel pourront prétendre les copropriétés ; au décret qui permettra de finaliser la création de syndics d'intérêt collectif, appuis précieux pour les collectivités ; au décret qui précisera les données que doit contenir le registre national d'immatriculation des copropriétés, base de données centrale pour aider au repérage et à la prévention ; au décret qui permettra aux élus de définir des secteurs dans lesquels, pour les bâtiments de plus de 15 ans, un diagnostic de structure pourra être obligatoire ; enfin, aux modifications des arrêtés de mise en sécurité ou d'insalubrité pour tenir compte des évolutions introduites par la loi.
Nous assurerons également le suivi de l'impact de la loi sur la condamnation des marchands de sommeil et les procédures judiciaires. En 2022, 153 requêtes relatives à l'insalubrité ont été déposées devant le juge administratif, en hausse de de 29 % par rapport à 2021. Concernant le péril, une moyenne de 100 à 150 jugements par an est observée, avec des condamnations pénales qui progressent, comme l'a constaté le rapport de Mme Lutz et M. Hanotin.
Par ailleurs, j'ai réuni le 26 avril les élus mobilisés et les acteurs du plan « Initiatives Copropriétés », 14 mois après la dernière réunion, pour partager sur ces chantiers sous l'égide de l'une des agences de mon administration, l'Agence nationale de l'habitat (Anah), qui pilote depuis plusieurs années ce plan avec professionnalisme et engagement.
Je citerai quelques-uns de ces chantiers, sans exhaustivité. L'action vise à amplifier le traitement des copropriétés fragiles en intégrant une aide à hauteur des enjeux sur la précarité énergétique en capitalisant sur MaPrimeRénov' Copropriétés. Une aide spécifique pour les petites copropriétés a été mise en place depuis le Conseil d'administration de décembre 2023. Le plan aide aussi à renforcer la prévention sur le parc de copropriétés pour éviter leur fragilisation, via une remontée des données plus performante ; à créer une boîte à outils pour l'ingénierie financière des copropriétés ; enfin, à accompagner la mise en place des outils coercitifs à destination des collectivités que la loi va permettre de donner.
La lutte contre la paupérisation et la dégradation des copropriétés mobilise pleinement l'énergie du Gouvernement. Aucun gouvernement n'aura davantage structuré une démarche sur ce sujet, et pris la mesure de cette thématique. Cette mobilisation porte ses fruits, enrichit les outils, mobilise les acteurs, structure les démarches de prévention et de traitement. Elle est essentielle, pour la sécurité des Français et pour la mise à disposition d'une offre de logements de qualité, pour répondre aux besoins, ainsi que je m'y emploie depuis mon arrivée, et ainsi que je continuerai à le faire avec vous.
Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Merci pour cette présentation. Deux chiffres sur la question de la paupérisation des copropriétés : deux ménages pauvres sur trois sont logés dans le parc privé et un tiers des propriétaires occupants sont considérés comme modestes ou très modestes - et un chiffre sur les copropriétés : celles de moins de 10 logements représentent les trois quarts des copropriétés en difficulté.
Nos auditions ont confirmé la paupérisation des copropriétés, en particulier des petites copropriétés de villes moyennes ou petites, qui sont souvent hors des radars, on nous a parlé de « mur de la dette », de « bombe sociale », mais aussi d'un angle mort, invisible. Les maires ruraux disent être démunis pour agir sur la paupérisation de ces copropriétés. Ce phénomène est donc mal connu, il va s'accentuer encore, alors qu'il est déjà difficile à enrayer - parce que la copropriété est un système complexe, avec des questions de gouvernance difficiles à régler surtout dans le contexte de crise du logement et de l'hébergement que nous vivons, les copropriétés deviennent un parc de relégation où tout le monde s'appauvrit, sauf les marchands de sommeil. La situation est grave, le phénomène est massif, et nous devons aussi prendre garde à ce que les mesures qui sont prises pour demain, en particulier celles qui concernent les ventes du parc social, les ventes à la découpe, la surélévation des pavillons, la densification de l'habitat, n'aggravent pas la crise en développant le mal-logement, dès lors que les copropriétés vont se multiplier. L'Anah essaie d'agir en amont et le dispositif qu'elle a mis en place il y a trois ans manifeste une volonté de s'adapter aux petites copropriétés, mais il y a un besoin de connaissance : le répertoire qui a été créé n'est ni complet ni fiable, l'Agence n'a pas suffisamment de signaux d'alerte. Il y a donc, à tout le moins, des améliorations à apporter pour que les registres servent d'alerte et actionnent les dispositifs d'action publique, qu'ils mobilisent les maires, les intercommunalités et la préfecture, lesquels forment le trio nécessaire à la réussite de l'action publique, ce qui n'est pas toujours le cas aujourd'hui, faute de moyens.
Face à cette crise de la copropriété qui n'est pas loin d'être structurelle, il faut renforcer le service public de l'habitat - et nous avons l'ambition d'y aider, par un travail de réflexion qui ouvre sur des recommandations, pour ce secteur qui est moins connu que celui du logement social.
Les syndics professionnels sont décisifs quand ils jouent leur rôle, même s'ils ne sont pas indispensables puisque des syndics bénévoles s'en sortent très bien ; cependant, ils sont parfois défaillants, et le Premier ministre, dans sa déclaration de politique générale, a évoqué la déréglementation des syndics : qu'est-ce à dire ?
Nos auditions ont été riches de commentaires sur le rôle des syndics professionnels, on nous a dit qu'ils pouvaient bloquer les choses, ou bien même qu'en ne transmettant pas l'information, ils participaient de fait à la dégradation, tandis que les syndics bénévoles, eux, manquaient d'expertise : comment les politiques publiques peuvent-elles accompagner le secteur pour que les syndics jouent pleinement leur rôle, comment redonner confiance dans les syndics et quel encadrement pour une action efficace, y compris dans les petites copropriétés : faut-il des contrats de syndics allégés ? Comment redonner sa place au syndic, acteur majeur face à la dégradation ? Faut-il plus d'encadrement, ou au contraire plus de souplesse ? L'exigence de transparence avec les maires, en tout cas, est un impératif.
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. - Je partage l'idée qu'il faut mieux faire connaître la situation des copropriétés, les droits et les devoirs de chacun et les dispositifs d'accompagnement qui sont à disposition. « MaPrimeRenov' copros » est mobilisable, nous ciblons cette année la rénovation de 25 000 logements et nous disposons pour cela d'une enveloppe qui peut aller jusqu'à 216 millions d'euros ; à ce jour, des travaux ont été enclenchés pour 2 800 logements et un montant de 21 millions d'euros, c'est dire que nous avons à faire connaître ce dispositif, à faire savoir que nous avons des outils et des financements, pour que les copropriétés s'en saisissent.
Les textes qui viennent, effectivement, doivent tenir compte de la situation actuelle. Le projet de loi sur le développement d'une offre de logements abordables prévoit de transférer au maire l'autorisation de vendre des logements sociaux, nous y avons intégré le verrou consistant à demander au bailleur de présenter le mode de gestion du logement vendu, le maire pourra ainsi éviter que la vente de logements sociaux n'entraîne l'apparition de nouvelles copropriétés dégradées. Nous voulons décentraliser, donner les outils au maire, tout en le dotant de verrous pour éviter la dégradation des parcs de logements, nous en débattrons en examinant le texte.
Beaucoup de syndics font bien leur travail, quelques syndics défaillants ne doivent pas emporter notre jugement global sur cette profession. La loi du 9 avril dernier aborde la question des syndics, elle renforce en particulier les sanctions contre les syndics défaillants, dans une logique de responsabilisation ; elle renforce aussi les obligations de transmettre les informations, et elle crée des syndics d'intérêt collectif. Faut-il aller plus loin ? Le Gouvernement n'est pas fermé aux propositions, nous pouvons en débattre, mais je ne vois pas dans quel véhicule législatif nous pourrions intervenir, la question des syndics ne figurant pas, en particulier, dans le projet de loi sur le logement abordable. Des propositions peuvent être faites, je suis ouvert au débat.
M. Laurent Burgoa. - Le permis de louer est un bel outil pour contrôler la paupérisation, mais il n'est pas connu, en particulier des élus ruraux : une campagne de promotion ne serait-elle pas utile ? Ensuite, nous manquons d'ingénierie en particulier dans les communes rurales : l'État pourrait-il pallier les manques en la matière, comme il le faisait par le passé avec ses services déconcentrés ?
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. - L'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) se mobilise pour diffuser le permis de louer auprès des collectivités qui en font la demande, et il y a, plus largement, des obligations réglementaires de décence pour mettre un logement en location. Dans mes fonctions, je suis pris entre une volonté de réguler davantage les mises en location, et le manque de locations sur le marché, il faut trouver le point d'équilibre. Il y a donc des règles sur la décence, et la possibilité pour les collectivités locales d'imposer un permis de louer. Faut-il aller plus loin dans la restriction, alors que de nombreux locataires voient l'offre reculer et que des propriétaires sont inquiets de l'apparition de règles nouvelles, alors que le marché est déjà très déséquilibré ? A quoi s'ajoute le principe de la libre administration des collectivités...
M. Laurent Burgoa. - Certes, mais un maire rural, en général, ne connaît pas l'ANCT, et il est parfois, voire souvent réticent à aller voir le sous-préfet quand il n'est pas accompagné de son sénateur, c'est la réalité - et c'est aussi pour cela qu'une campagne d'information sur le permis de louer serait la bienvenue.
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. - Je transmettrai ce message à Dominique Faure, en charge de l'ANCT, il y a aussi d'autres sources d'information auprès des communes rurales. Je réside dans un village d'Eure-et-Loir, Saint-Martin-de-Nigelles, je sais le travail de terrain que font les sénateurs, l'Association des maires ruraux de France, les services de la préfecture, les sous-préfets sont en lien avec les maires ruraux et ils leur présentent les nouvelles lois régulièrement - cela dit, il faut aller plus loin, vous avez raison, pour que le maire rural ne se sente pas isolé.
Mme Amel Gacquerre, présidente. - Je rejoins mon collègue, il y a un sentiment de solitude du maire, et au-delà des outils, je crois que c'est la méthode qu'on doit regarder, il faut aller davantage vers les maires pour les soutenir.
M. Ahmed Laouedj. - Je salue le travail de notre commission d'enquête, le débat avance. La question des copropriétés est un enjeu majeur pour les élus des territoires touchés par l'habitat indigne ou dégradé. Depuis 30 ans, les outils s'ajoutent les uns aux autres, le problème est dans leur mise en oeuvre, ils sont trop peu connus. En réalité, les projets prennent systématiquement du temps, ce dont les copropriétaires ou les locateurs pâtissent les premiers. Monsieur le ministre, vous avez annoncé vouloir simplifier les procédures en proposant d'interdire la location des passoires thermiques, c'est-à-dire les logements classés G à partir du 1er janvier 2025, ceux classés en F en 2028 et ceux classés en E en 2034, soit le quart du parc immobilier actuel. En février dernier, votre collègue de la transition écologique annonçait un changement de calcul du diagnostic de performance énergétique (DPE), permettant de remettre en location 140 000 logements qui auraient dû être exclus au 1er janvier 2025. Si des fédérations de l'immobilier s'en sont réjouies, des associations se sont révélées plus sceptiques, craignant que les bailleurs ne reportent des travaux de rénovation énergétique nécessaires. Ainsi, Eddie Jacquemart, président de la Confédération nationale du logement, y voit un formidable cadeau aux propriétaires puisque cette mesure va remettre sur le marché des passoires thermiques...
Monsieur le ministre, je m'interroge sur la pertinence de cette mesure face à l'urgence de la situation et alors qu'une véritable politique de logement est nécessaire. Avez-vous défini un cap clair pour résoudre ces problématiques à long terme ? Quelles sont les prochaines étapes ?
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. - En février dernier, nous avons décidé, avec Christophe Béchu, de modifier le calcul du DPE pour les petites surfaces, les professionnels nous ayant alertés qu'elles étaient mal classées en partie par un biais lié au mode de calcul du DPE, y compris celles où des travaux de rénovation avaient été effectués et qui continuaient à se trouver classées F ou G. Nous avons donc modifié certaines modalités du calcul uniquement pour les petites surfaces ; chacun peut désormais consulter sur le site de l'Ademe le classement de son logement, pour savoir ce qu'il en est de l'interdiction de location. Nous voulons aussi éviter de sortir 140 000 logements du marché locatif, alors que le marché est déjà très contraint. Nous agissons dans le cadre européen, puisque les règles sont communes dans l'Union.
Vous évoquez aussi des assouplissements aux interdictions devant intervenir l'an prochain. En réalité, le Gouvernement a présenté un amendement de souplesse pour les cas où des copropriétés en difficulté, qui auraient voté des travaux, se seraient vues retardées par des règles de gouvernance compliquées, et qui se trouveraient, du fait donc de ces règles, hors délai le 1er janvier prochain ; cet amendement a été frappé d'irrecevabilité au Sénat, d'où le dépôt d'une proposition de loi par les députés Renaissance, qui sera examinée ces jours-ci et qui apportera de la souplesse non pas à tous les propriétaires, mais aux copropriétés qui auront déjà voté des travaux. J'entends les critiques des associations de locataires, mais je leur réponds qu'il faut éviter d'atrophier davantage l'offre de locations, car moins il y a d'offres, plus les candidats attendent et plus les conditions d'accès deviennent exigeantes - dans certaines zones, on en arrive à des conditions délirantes pour louer, la demande est telle que des agences ne passent même plus d'annonce et choisissent les candidats par d'autres méthodes...
Cependant, je me refuse à modifier le calendrier, comme on me le demande ici ou là, y compris au Sénat. La proposition de loi du groupe Renaissance ne touche pas au calendrier, en tout cas je suis favorable à ce qu'on ne touche pas au calendrier des obligations, car ce serait un signal de renoncement à ceux qui doivent faire des travaux, et un mauvais signal aussi à ceux qui ont joué le jeu en faisant des travaux, il en va du crédit de la parole publique - en particulier pour la suite, s'il s'agit de demander des efforts supplémentaires de rénovation : plus personne ne croira au calendrier. Je préfère donc donner de la flexibilité aux propriétaires qui veulent faire des travaux - en adaptant les DPE des petites surfaces, en donnant un peu de souplesse aux propriétaires qui ont été retardés par des règles administratives ou des règles de copropriété -, c'est pragmatique, et c'est en tenant cette ligne de crête que je pense aider à rénover les logements tout en assurant que les locataires continuent d'en trouver.
Mme Amel Gacquerre, présidente. - J'entends votre raisonnement, mais le pragmatisme, c'est aussi d'adapter le calendrier au contexte très particulier que nous connaissons. Je pars du principe que les propriétaires sont de bonne foi, et ce que je vois, c'est que sur certains territoires, les entreprises qui peuvent intervenir ne sont pas disponibles, donc il y a des complications, y compris celles qui sont liées au pouvoir d'achat. Notre proposition n'est donc pas de décaler le calendrier pour le fragiliser, mais de mieux tenir compte du contexte, donc de maintenir un calendrier, des objectifs ambitieux, mais en laissant un délai supplémentaire - parce que dans six mois, les propriétaires auront-ils pu achever les travaux ?
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. - Nous aurons le débat en examinant la proposition de loi - je pense que si l'on garde notre ambition, ce n'est pas sur le calendrier qu'il faut assouplir la règle, ce qui ne veut pas dire que je suis fermé à des assouplissements. Je crois qu'il ne faut pas changer le calendrier, le report serait mal vécu par les associations de locataires et les propriétaires pourraient y voir le signe que le Gouvernement ne tient pas sa parole - et je crois que, finalement, on ne ferait que reporter le problème, qu'on nous demanderait, six mois avant la nouvelle échéance, de la reporter encore parce qu'on n'aurait pas eu le temps de s'y préparer correctement... Je pense aussi aux propriétaires qui ont vendu leur bien en anticipant la nouvelle contrainte, et qui ont accepté une décote : ils penseraient avoir eu tort de vendre au prix qu'ils ont accepté. Le recul du calendrier me semble donc la moins bonne option, il enverrait des signaux négatifs à l'ensemble du marché et notre ambition n'y gagnerait pas - ce qui ne veut pas dire que je suis fermé à d'autres assouplissements ou d'autres simplifications, en particulier pour ne pas tarir l'offre de logements locatifs.
M. Bernard Buis. - Je suis interpelé par des propriétaires dans de petites copropriétés des années 1960-1970, où il y a beaucoup de travaux de rénovation à faire, mais où, faute de pouvoir d'achat, il n'y a pas de majorité pour les enclencher, et où la copropriété bloque les projets : quels sont les outils à disposition pour faciliter les travaux quand le besoin est avéré, mais qu'il n'y a pas de majorité pour les enclencher ?
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. - Le problème est réel, il a été abordé dans la loi d'avril dernier sur les copropriétés dégradées, qui a prévu une nouvelle majorité pour faciliter l'enclenchement des travaux. Nous cherchons aussi à assouplir les règles pour les copropriétés qui ont voté des travaux, vous aurez à en débattre quand la proposition de loi du groupe Renaissance arrivera au Sénat.
Mme Marianne Margaté, rapporteure. - J'entends votre souci de ne pas entraver la location dans la crise du logement que nous traversons, mais celle-ci impose de protéger particulièrement nos concitoyens dans leur accès au logement, pour éviter le mal-logement. Il y a toujours eu des gens qui s'enrichissent dans la crise, et c'est bien pourquoi l'objectif est aussi d'éviter les prédateurs, donc ici de sécuriser l'accès au logement décent pour nos concitoyens, dans un contexte où la construction est trop faible. Les prédateurs sont là, il faut en protéger nos concitoyens, le permis de louer est un outil pour y arriver.
Ensuite, les auditions ont montré l'insuffisante information préalable des primo-accédants. Aujourd'hui, on envoie dans la nasse des gens dont on sait qu'ils seront étranglés par les charges... Il faut présenter le plan pluriannuel des travaux, des informations sur le poids financier de la propriété, sur l'état de la copropriété... La loi « ALUR » avait prévu cette information, mais le décret concerné n'a toujours pas été pris, comment envisagez-vous d'intervenir sur ce point ? Il faut donner à celui qui va acheter un logement, une information utile et facilement appropriable.
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. - Oui, il faut trouver le bon équilibre entre la protection des locataires - c'est l'objet du décret sur la décence des logements, qui porte sur tout le territoire - et le besoin de logements locatifs ; il faut faire attention à ne pas réduire encore l'offre, ou bien les candidats le paieraient. Cet équilibre est difficile à trouver, c'est de notre responsabilité de le faire. La loi que vous avez votée en avril dernier tâche de responsabiliser les propriétaires pour résorber l'habitat dégradé, vous avez prévu de nouvelles procédures d'expropriation, des diagnostics de structure quand il y a des doutes sur la solidité de la copropriété, nous avons fait cette loi pour éviter la prolifération de copropriétés encore plus dégradées. Il faut donc trouver l'équilibre entre la protection des locataires et le besoin d'avoir de l'offre de logements locatifs. Nous agissons aussi par d'autres leviers, comme la conversion de bureaux en logements - il y a 4,5 millions de mètres carrés de bureaux vacants, il faut utiliser l'existant, y compris les logements vacants - il y a 8 % de logements vacants dans notre pays, c'est un gisement qu'il ne faut pas négliger.
L'information des primo-accédants, ensuite, a gagné avec la loi que vous avez votée en avril ; le nouveau propriétaire est désormais mieux informé sur l'état du bien qu'il achète et les banques sont tenues de l'informer des travaux à réaliser quand le logement est classé F ou G, c'est d'ailleurs l'intérêt de la banque, en raison des prêts qui peuvent être liés à ces travaux. Et l'Association nationale pour l'information sur le logement (Anil), avec son réseau d'associations départementales (Adil), donne des informations sur les droits et devoirs de chacun, une information de qualité, actualisée en permanence.
Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Nous avons rencontré l'Anil et les associations qui agissent pour la connaissance des droits, elles nous disent que l'information systématique serait plus efficace - et que c'est bien au décret de la prévoir, ce décret qui n'a pas été pris et qui fait donc défaut.
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. - Effectivement, le décret que vous mentionnez n'a pas été pris, je vais regarder avec mon administration si ce décret renforcerait l'information - merci de cette alerte, je reviendrai vers vous pour la suite qui lui sera donnée.
Mme Amel Gacquerre, présidente. - Les marchands de sommeil sont très présents dans la paupérisation des copropriétés, mais ils ne la déclenchent pas eux-mêmes, ils l'accélèrent en entrant dans des copropriétés fragilisées, qu'ils phagocytent en quelque sorte. Menez-vous une réflexion sur les outils qui empêcheraient ces marchands de sommeil d'entrer et de prospérer dans les copropriétés déjà en difficulté ?
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. - Votre question vise plutôt la mise en oeuvre des sanctions que vous avez renforcées avec la loi du 9 avril dernier, et le suivi des actions en justice. Je n'ai pas de chantier spécifique pour changer les règles d'entrée dans les copropriétés.
Cela dit, si votre question porte sur l'usage illicite des logements, je rappelle que la loi du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l'occupation illicite prévoit des procédures accélérées en cas d'introduction illicite dans un logement suivie d'un squat ou d'une location frauduleuse ou d'une sous-location ; cette procédure passe par le préfet et elle est plus rapide qu'une décision judiciaire, elle permet de se saisir des cas où quelqu'un qui entre dans une propriété par des voies de fait, menaces, manoeuvres ou contraintes, s'y maintient soit à titre personnel, soit pour y faire de la location en prétendant qu'il est le propriétaire. Nous avons donc renforcé les sanctions puisqu'en plus de la procédure judiciaire liée au viol de la propriété, nous avons introduit une procédure qui permet de faire sortir les occupants du logement le plus vite possible. J'ai demandé un suivi très précis des expulsions réalisées dans le cadre de cette loi, nous avons fait une circulaire avec Gérald Darmanin et avec Éric Dupont-Moretti pour documenter au mieux ce type d'entrée et d'occupation illicite de logements. Nous aurons prochainement des chiffres ; j'espère, d'ici le premier anniversaire de cette loi, pouvoir rendre compte des effets des procédures d'interruption et d'expulsion d'occupations illicites. Il y a des personnes qui entrent dans des logements et qui, ensuite, s'y maintiennent ou le louent de façon frauduleuse en prétendant qu'ils en sont les propriétaires, il y a des affaires qui reviennent dans l'actualité. Nous demandons chaque fois au préfet la plus grande fermeté dans l'application de la loi.
Mme Amel Gacquerre, présidente. - Merci pour ces informations. Nous serons très heureux de vous présenter notre rapport avant l'été, et de le voir suivi d'effets.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 h 45.
- Présidence de Mme Amel Gacquerre, présidente -
La réunion est ouverte à 14 heures.
Audition de Mmes Joanna Ghorayeb, sous-directrice du droit économique, et Marion Vandevelde, cheffe du bureau du droit de l'immobilier et du droit de l'environnement de la direction des affaires civiles et du sceau (DACS) du ministère de la Justice
Mme Amel Gacquerre, présidente. - Madame la rapporteure, mes chers collègues, nous reprenons nos auditions en recevant Madame Joanna Ghorayeb, sous-directrice du droit économique de la Direction des affaires civiles et du sceau (DACS), et Madame Marion Vandevelde, cheffe du bureau du droit de l'immobilier et du droit de l'environnement de cette même direction.
Je me réjouis de pouvoir échanger avec vous aujourd'hui à propos du cadre juridique régissant le fonctionnement des copropriétés, alors que les auditions de notre commission touchent à leur fin.
Nous l'avons entendu à maintes reprises au cours des auditions et des déplacements effectués ces derniers mois : les acteurs de terrain sont force de proposition pour mieux prévenir et prendre en charge les copropriétés dégradées. Certaines de ces idées nécessiteront néanmoins, pour voir le jour, une adaptation de la loi du 10 juillet 1965 qui encadre depuis bientôt 60 ans le régime de la copropriété.
Ainsi, nous pourrions, dans un premier temps, revenir sur les évolutions récentes de cette loi. La loi « ALUR », la loi « ELAN » ou encore la loi relative à la rénovation de l'habitat dégradé adoptée il y a quelques mois et pour laquelle j'étais rapporteure, ont en effet d'ores et déjà permis de faire évoluer la prise en charge des copropriétés dégradées. Pour certaines de ces mesures, la DACS a-t-elle pu établir un bilan des avancées permises ?
S'agissant des évolutions à venir de la loi du 10 juillet 1965, nous avons été interpellés au cours des travaux de notre commission d'enquête sur les défaillances présentées par certaines dispositions du texte. Nous nous préoccupons particulièrement de l'effectivité de la procédure permettant la désignation d'un mandataire ad hoc prévue à l'article 29-1 A, qui demeure rarement mobilisée et souvent peu efficace. Votre direction a-t-elle identifié des pistes d'évolution de cette procédure ? Nous avions par exemple envisagé de modifier les critères permettant la désignation d'un mandataire ad hoc, pour le faire intervenir plus en amont.
De même, les prérogatives accordées aux administrateurs provisoires pourraient évoluer. Il me semble que l'un des enseignements de nos travaux tient à la nécessité de renforcer les pouvoirs de ces derniers, notamment s'agissant du recouvrement des dettes, afin d'interrompre au plus vite le cycle d'endettement des copropriétés en cours de dégradation. Dans quelle mesure serait-il opportun, selon vous, d'élargir leur palette d'actions ou de modifier les modalités de saisine du juge ?
Dans le temps qui nous est imparti, je sais que les membres de la commission d'enquête souhaiteraient également vous entendre sur la prévention par les mécanismes de veille et d'observation des copropriétés ainsi que par les modalités de fonctionnement des assemblées générales, car ces sujets sont régulièrement soulevés par les acteurs de terrain, qui en appellent à une action anticipée et incluant l'ensemble parties prenantes.
Avant de vous donner la parole, je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Les personnes auditionnées lèvent la main droite et disent « Je le jure ».
Mme Joanna Ghorayeb, sous directrice du droit économique de la direction des affaires civiles et du sceau (DACS) du Ministère de la Justice. - Au regard de vos attentes concernant les textes régissant les copropriétés en difficulté, nous sommes également venues accompagnées d'Anne-Louise Chevalier, cheffe du bureau du droit de l'économie des entreprises de la DACS.
La DACS est la direction normative en matières civile et commerciale du ministère de la justice. Ses attributions sont définies par le décret du 9 juillet 2008. Elle élabore les projets de loi et de règlement dans toutes les matières n'entrant pas dans la compétence spéciale d'une autre direction, notamment celles relevant du droit constitutionnel, du contentieux administratif, du droit civil et de la procédure civile, du droit commercial et du droit des sociétés. Elle assure par ailleurs une mission de conseil des autres administrations publiques dans ces mêmes matières.
En matière de droit immobilier et de logement, la politique publique est conduite par le ministère du logement et pilotée par l'administration centrale que constitue la DHUP. Dans ce cadre, lorsque des choix politiques doivent être déclinés par la norme, le bureau du droit immobilier et de l'environnement de la DACS est sollicité pour fournir une expertise juridique en matière de droit immobilier, principalement en matière de droit des copropriétés, pour veiller à ce que les atteintes éventuellement prévues par les textes au droit de la propriété soient proportionnées. Le bureau du droit de l'économie des entreprises de la DACS, compétent en matière de droit commercial et des entreprises en difficulté, est par ailleurs pilote dans l'élaboration de la norme vis-à-vis des copropriétés en difficulté. Les questions relatives aux procédures civiles sont quant à elles traitées par un autre bureau de la DACS.
Nous intervenons également aux côtés de la DHUP dans le cadre du conseil national de la transaction et de la gestion immobilières (CNTGI), en lien avec les parties prenantes en matière de droit immobilier, ce qui nous permet de mieux comprendre les attentes du terrain.
Le droit de la copropriété, encore relativement récent, demeure spécifique. Le copropriétaire est titulaire d'un droit composite, qui lie de manière indissociable, au sein d'un lot, la propriété exclusive sur les parties privatives et la propriété indivise sur les parties communes. Dans l'évolution de la norme, cette spécificité appelle une recherche permanente d'équilibre entre le respect des droits individuels de chaque copropriétaire et la facilitation de la gestion collective des copropriétés. C'est à travers ce prisme que nous expertisons les mesures proposées.
Les prérogatives du propriétaire d'un lot sont définies à l'article 544 du code civil. Elles garantissent le droit de jouir et de disposer d'un bien, pourvu que l'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou règlements. Pour autant, ces prérogatives sont restreintes par ce qu'impose la cohabitation au sein d'un immeuble à usage collectif, c'est-à-dire par le règlement contractuel de la copropriété (auquel chaque copropriétaire adhère au moment où il acquiert son bien) ou le statut légal de la copropriété des immeubles bâtis.
Ce cadre juridique impose au législateur de justifier les éventuelles atteintes portées au droit des copropriétaires. En cohérence avec la Déclaration des droits de l'Homme et le droit constitutionnel, les mesures proposées doivent répondre à l'intérêt général et être proportionnées au regard de l'objectif poursuivi. Ainsi, lorsque le législateur entend priver totalement le copropriétaire de son droit à la propriété, cela doit répondre à une cause d'utilité publique. Cette atteinte doit alors faire l'objet d'une juste et préalable compensation.
C'est dans ces limites que s'inscrit le statut de la copropriété des immeubles bâtis fixé par la loi de 1965. Ce statut constitue une forme de régime dérogatoire d'indivision, adapté à l'usage et à la gestion en commun d'un immeuble au sein duquel il existe des parties purement privatives.
Sur cette base, avec l'indivision comme modèle d'origine et d'autres mécanismes de gestion collective des biens pouvant servir d'inspiration (dont le contrat de société), nous construisons au fil du temps une philosophie de la copropriété, avec un droit de plus en plus spécifique, traduisant la vision du législateur - la dernière évolution en date étant l'apparition d'un droit des copropriétés en difficulté.
Dans ce cadre, il convient de souligner que le législateur n'a, jusqu'à présent, dans le droit de la copropriété, jamais prévu la nécessité de tenir compte de la capacité contributive de chacun des copropriétaires. Le droit de la copropriété n'est aujourd'hui pas sous-tendu par un ordre public de protection. Dans la copropriété, on n'identifie pas une partie structurellement faible qu'il conviendrait de protéger contre une autre partie structurellement plus forte - les acquéreurs d'un bien en copropriété n'ayant pas vocation à s'intéresser à l'état du patrimoine global individuel de chacun des copropriétaires.
Cela étant, le droit de vote de chaque copropriétaire, corrélé à l'importance de son lot au sein de la copropriété, fait l'objet d'une protection très vigilante du Conseil constitutionnel, car il constitue le seul outil disponible permettant à un copropriétaire de s'opposer à des décisions génératrices d'un taux de charge excédant potentiellement ses capacités financières.
Le législateur s'efforce par ailleurs de munir les copropriétés d'outils pour surmonter les difficultés à prendre les décisions d'entretien et recouvrir les sommes dues au titre des charges. Tous les textes récemment adoptés en matière de droit de la copropriété ont ainsi eu pour objet d'adapter le régime spécifique de la copropriété aux enjeux économiques.
La loi « ALUR », avec pour ambition de mieux informer et protéger les copropriétaires et de permettre une meilleure gestion des copropriétés, a permis de faire connaître l'état du parc et de mieux identifier les copropriétés fragiles, à travers le registre des copropriétés. Pour protéger le bâti et les tiers, elle a obligé les syndics à souscrire une assurance en responsabilité civile (en cas de refus de l'assemblée générale des copropriétaires de le faire). Elle a prévu un archivage des documents, la constitution de fonds travaux, la réalisation de diagnostics techniques globaux et la création des ORCOD. Pour garantir la bonne gestion financière des copropriétés, elle a notamment rendu obligatoire l'ouverture d'un compte bancaire propre à celles-ci.
La loi « ELAN » a poursuivi ce travail d'encadrement législatif de la gestion des copropriétés et de perfectionnement des outils d'intervention publique à leur égard, pour lutter contre les marchands de sommeil, lutter contre la dégradation du bâti et l'insalubrité (en permettant notamment l'exécution des arrêtés sous astreinte pour les locaux d'habitation) et lutter contre les impayés (en améliorant notamment la procédure judiciaire de recouvrement des charges). Dans le cadre de cette loi, nous avons également été habilités à réformer le droit de la copropriété.
Une ordonnance de 2019 a ensuite réformé le droit de la copropriété, avec pour objectifs une meilleure prise en compte de la dimension collective des copropriétés (dans une optique de préservation du patrimoine commun) et une adaptation des modalités de gestion des copropriétés à la taille de celles-ci. Cette ordonnance a également permis l'adoption de mesures propres aux copropriétés à deux, soulevant des problématiques spécifiques. Elle a aussi permis de clarifier et de simplifier les modalités de prise de décision au sein des copropriétés, pour remédier à l'inertie de certains copropriétaires et faciliter la réalisation de travaux d'intérêt collectif dans les parties privatives, à travers notamment la création de passerelles de vote.
Enfin, la loi « habitat dégradé » a récemment fait évoluer les modalités d'intervention publique dans la gestion des copropriétés (expropriation, opération d'aménagement, scission, agrément de gestionnaires qualifiés, mise en place de dispositifs contraignants d'emprunt pour la réalisation de travaux nécessaires à l'entretien du bâti, etc.). Elle a également fait évoluer le droit des copropriétés en difficulté.
Lors de l'élaboration de ce projet de loi, le constat a notamment été fait, en lien avec le Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires (CNAJMJ), d'un recours insuffisant au mandat ad hoc. De nombreux dossiers examinés par les juges sont en effet apparus présenter une dégradation financière trop avancée, qui aurait justifié une intervention en amont d'un mandataire ad hoc.
Pour améliorer ce recours au mandat ad hoc, nous avons réexaminé les conditions de saisine du juge. À cet endroit, nous avons constaté une contradiction dans l'application du critère de seuil de charges impayées - ce seuil ne pouvant être vérifié en l'absence d'approbation des comptes. Il est donc apparu nécessaire d'introduire un critère permettant d'agir dès le premier symptôme de dysfonctionnement que constitue une absence d'approbation des comptes.
Nous avons également constaté que l'obligation faite aux syndics de saisir le juge aux fins de désignation d'un mandataire ad hoc n'était pas opérante. Il est donc apparu nécessaire de prévoir une incitation juridique, sans pour autant soumettre les syndics à un régime de sanctions trop sévères et ne tenant pas compte de la situation pratique des copropriétés - les impayés de charges pouvant résulter de problématiques ponctuelles de trésorerie.
Cette recherche d'équilibre nous a conduits à prévoir qu'un syndic n'ayant pas saisi le juge alors qu'il aurait dû le faire se voie imputer tout ou partie des frais de l'administration provisoire. Cela n'a pas été évident à entendre pour les professionnels de terrain. Le dialogue avec eux a cependant été constructif, car ils avaient conscience de la nécessité de rééquilibrer le dispositif. La philosophie du dispositif est aujourd'hui la suivante : si la situation d'une copropriété s'est dégradée au point que cela conduise à une administration provisoire, on se penche sur l'historique ayant conduit à cette dégradation et on laisse le soin au juge, après audience contradictoire, de décider d'une potentielle mise à la charge du syndic de tout ou partie des frais de cette administration provisoire.
En complément, nous nous sommes également efforcés d'élargir le panel des acteurs susceptibles de saisir le juge d'une demande de mandataire ad hoc, bien que le syndic demeure, en général, le mieux placé pour cela.
Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Vous avez évoqué un équilibre complexe à trouver entre la gestion collective et le droit de propriété, dans le cadre de la gouvernance des copropriétés notamment qui, lorsqu'elle ne fonctionne pas, peut contribuer à la dégradation de celles-ci et appeler une intervention publique. Dans le cadre de nos auditions, nous avons eu écho de situations de blocage dans certaines copropriétés, avec des copropriétaires ayant intérêt à bloquer tout vote et à faire dysfonctionner les instances de gouvernance. Le vote de ces copropriétaires est légitime, au regard de leur statut. Cependant, lorsqu'il fait échouer tout projet de rénovation ou de remise en état, il dessert aussi la copropriété et les autres copropriétaires. Serait-il possible de faire évoluer ce cadre de gouvernance des copropriétés ? Le cas échéant, la question de l'égale valeur du vote des copropriétaires ne défendant manifestement pas l'intérêt de la copropriété pourrait-elle se poser ?
Par ailleurs, on observe que les règlements de copropriété sont aujourd'hui extrêmement divers. Est-il envisagé ou serait-il envisageable de proposer un règlement type ?
Enfin, une codification du droit de la copropriété vous paraîtrait-elle judicieuse ?
Mme Marion Vandevelde, cheffe du bureau du droit de l'immobilier et du droit de l'environnement de la direction des affaires civiles et du sceau (DACS) du Ministère de la Justice. - Nous avons mené une réflexion avec l'ensemble des acteurs du secteur en 2019 dans le cadre de l'élaboration du projet d'ordonnance portant réforme du droit de la copropriété. À cette époque, nous nous étions déjà penchés sur le comportement de certains copropriétaires créant, par l'exercice de leur droit de vote ou leur absence stratégique en assemblée générale (ouvrant un droit de recours contre les décisions prises), les conditions d'une inertie, afin de ne pas avoir à engager des frais pour l'entretien de la copropriété.
Telle que définie par le code civil de 1804, la propriété recouvre l'usus, le fructus et l'abusus. Il est ainsi possible d'utiliser le bien dont on est propriétaire, d'en tirer le fruit ou de le laisser détruire. Dans la loi de 1965, on retrouve donc logiquement une absence d'obligation pour les copropriétaires d'assister aux assemblées générales. Si le bien cause un dommage à un tiers, le copropriétaire est tenu de réparer ce dommage, mais n'est pas tenu de réparer l'immeuble (pour autant que le dommage ait cessé). Le copropriétaire est également fondé à refuser, à la hauteur de ses droits au sein de la copropriété, de voter la réalisation de travaux dans celle-ci. Ceci s'inscrit dans la suite logique de la conception française de la propriété.
Cela étant, par rapport au droit de la propriété, le droit de la copropriété se singularise progressivement. Le nombre de sujétions d'un copropriétaire par rapport aux autres membres de la copropriété est désormais tel que le droit de la copropriété tend à devenir un régime spécifique.
Dans ce cadre, le Conseil constitutionnel considère le droit de vote du copropriétaire comme un garde-fou. Ce droit ne peut donc être supprimé de façon injustifiée. En revanche, de façon ponctuelle et lorsque cela est justifié, il est possible d'écarter la voix d'un copropriétaire. La loi de 1965 reconnaît les cas dans lesquels cela est possible : lorsqu'il existe des parties communes spécifiques à certains copropriétaires, ou encore lorsqu'il s'agit d'engager une procédure en saisie immobilière d'un lot dont le propriétaire ne s'est pas acquitté des charges.
Il existe donc des marges de manoeuvre pour écarter la voix d'un copropriétaire. Cette procédure doit cependant être motivée par un intérêt général et par son caractère indispensable à la prise d'une décision. C'est cet équilibre qu'il faudrait rechercher si l'on souhaitait sanctionner le comportement de certains copropriétaires.
À cet égard, il pourrait être complexe d'écarter la voix d'un copropriétaire ne considérant pas une décision d'investissement opportune. Le cas échéant, il faudrait que la situation du bâti soit précisément objectivée, de telle sorte que l'opposition à la réalisation de travaux puisse être qualifiée d'abus. En pratique, lorsqu'il est fait injonction d'exécuter des travaux, dans le cadre d'un arrêté de péril ou d'insalubrité, la marge de manoeuvre de la copropriété est limitée - un refus persistant risquant de se solder par une exécution d'office à ses frais. À un niveau de dégradation inférieur, il faudrait pouvoir trouver le critère justifiant objectivement de trancher en lieu et place d'un copropriétaire réticent. Or si un copropriétaire est en capacité, à lui seul, de s'opposer à une décision de travaux, c'est qu'il dispose d'une majorité de parts au sein de la copropriété. Il pourrait alors être difficile de faire de ses voisins les arbitres de ses choix patrimoniaux. La rédaction d'une mesure équilibrée et acceptable allant dans ce sens pourrait donc s'avérer délicate.
Dans le cadre de nos travaux, nous n'avons pas expertisé la question des règlements-type, n'ayant pas connaissance de cette problématique. Cependant, le fait est que de nombreux contrats-type existent dans le droit civil. Or le règlement de copropriété est un contrat, dont la loi de 1965 encadre les mentions. Il n'y aurait donc pas d'obstacle de principe à ce que des règles statutaires types soient imaginées, permettant des adaptations à chaque type d'immeubles.
La codification du droit de la copropriété, quant à elle, répondrait à un besoin fort et ancien. Dans le cadre de la loi « ELAN », le Gouvernement avait été habilité à réformer le droit de la copropriété et, parallèlement, à le codifier. Cela n'a toutefois pas été possible, en l'absence d'une version stabilisée des textes - l'habilitation à codifier ayant expiré avant la publication de l'ensemble des décrets d'application de l'ordonnance portant réforme du droit. Cela étant, les travaux de codification engagés dans cette optique et présentés à la Commission supérieure de codification devraient pouvoir être repris, cette fois à droit constant, le cas échéant avec une nouvelle habilitation.
Mme Amel Gacquerre, présidente. - Dans le cadre du fonctionnement des assemblées générales, pourrait-on envisager une participation des locataires, en cas de situation de blocage ou d'implication aléatoire de certains copropriétaires bailleurs ?
Mme Marion Vandevelde. - Il s'agit d'une proposition récurrente. Cependant, elle soulève une problématique d'égalité devant la loi. En effet, la suggestion ainsi imposée aux copropriétaires d'avoir à partager leurs délibérations avec des tiers occupants pourrait être difficile à transposer à un immeuble collectif en monopropriété. Or il conviendrait à cet endroit de conserver une égalité de traitement.
Par ailleurs, l'assemblée générale des copropriétaires n'aurait pas nécessairement vocation à être le lieu d'une prise de décision en commun concernant le patrimoine de certains copropriétaires.
Néanmoins, ceci ne devrait pas exclure une réflexion sur un cadre parallèle et circonscrit aux questions intéressant l'occupation.
En l'état du droit, les occupants doivent déjà être informés des décisions prises, à la charge du syndic, par voie d'affichage. L'article 44 de la loi du 23 décembre 1986 prévoit aussi la participation des représentants d'associations de locataires. Au sein des résidences-services en copropriété, des conseils de résidents sont également appelés à délibérer sur l'exécution et l'avenir des services rendus.
Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Une participation des locataires pourrait effectivement être difficilement duplicable dans les immeubles en monopropriété. Pour autant, avec un mandat clair des copropriétaires et une autorisation de l'assemblée générale, une représentation par les locataires pourrait-elle être envisagée ?
Mme Marion Vandevelde. - Il s'agirait alors d'élargir les possibilités de représentation des copropriétaires et non d'assurer une représentation des occupants. Du point de vue du droit civil, il est aujourd'hui possible pour un copropriétaire de désigner un mandataire pour porter ses propres intérêts en assemblée générale. Cependant, la prise de décision demeure circonscrite aux personnes intéressées au patrimoine.
Une telle représentation pourrait également soulever une question d'opportunité pour les copropriétaires occupants, n'ayant pas nécessairement envie que leurs voisins locataires disposent du même degré d'information.
Mme Joanna Ghorayeb. - Il conviendrait de clarifier la notion de gouvernance. En réalité, la gouvernance recouvre différents organes de prise de décisions, pour la gestion ou l'exercice du droit de propriété. Au sein des copropriétés, l'enjeu serait de ne pas générer de confusion entre ces différentes instances. Les assemblées générales de copropriétaires sont des lieux d'exercice du droit de vote de ceux-ci - ce droit de vote constituant un outil de protection de leur droit de propriété. La proposition que vous évoquez viserait davantage à assouplir les modalités de gestion au quotidien des copropriétés.
De manière générale, en réponse aux demandes du terrain, nous nous efforçons ainsi d'identifier les besoins, les éventuels obstacles juridiques et les potentielles implications pour la construction du droit de la copropriété.
Mme Amel Gacquerre, présidente. - Merci pour votre disponibilité et votre contribution. Je vous invite également à nous retourner le questionnaire qui vous a été adressé. Les travaux de notre commission d'enquête arrivent quasiment à leur terme. Nous devrions en partager les conclusions à la mi-juillet 2024.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de Mme Anne-Claire Mialot, directrice générale de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU)
Mme Amel Gacquerre, présidente. - Madame la rapporteure, mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions en recevant Mme Anne-Claire Mialot, directrice générale de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU).
Madame la directrice générale, vous occupez ce poste depuis décembre 2021. À l'occasion de votre nomination, vous aviez été auditionnée par la commission des affaires économiques, comme l'exige l'article 13 de la Constitution, et vous aviez déjà évoqué la question des copropriétés dégradées et de l'articulation entre l'Agence nationale de l'habitat (Anah) et l'ANRU. Vous avez maintenant une expérience de plus de deux années : comment vos deux agences coopèrent-elles, alors qu'on nous a signalé que leurs règlements pourraient être mieux coordonnés ?
Votre point de vue sur le plan Initiative Copropriétés sera également précieux : de quelle manière l'Agence est-elle impliquée dans ce programme ? Quels outils nouveaux a-t-il mis en place pour la prévention des copropriétés dans les quartiers ANRU ? Je note d'ailleurs que vous étiez conseillère au cabinet du ministre du logement à l'époque où il a été mis en place. Peut-on commencer à en dresser un bilan pour le redressement des copropriétés fragiles ?
S'agissant du redressement des copropriétés en difficulté, l'ANRU est évidemment concernée au premier plan lorsque la situation est tellement aggravée qu'une restructuration globale de la copropriété s'impose, avec démolition et reconstruction, voire transformation en logements sociaux. Comment se passe ce type d'opérations, d'une part, pour le relogement des résidents, d'autre part, compte tenu de la demande qui vous est faite de limiter les constructions de logements sociaux nouveaux dans les quartiers ANRU, mais de les diffuser plutôt dans le reste des agglomérations ?
J'ai été par ailleurs rapporteure de la loi relative à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé, promulguée le 9 avril dernier, et à présent, avec Sophie Primas, du projet de loi relatif au développement de l'offre de logements abordables. Nous sommes intéressés, le cas échéant, par votre point de vue sur ces deux textes.
Enfin, notre commission d'enquête porte un regard particulièrement attentif sur les petites copropriétés, qui sont souvent repérées trop tard alors qu'il suffit de quelques incidents de paiement pour mettre en difficulté l'ensemble de la copropriété. De quels moyens d'observation, de détection et de traitement dispose l'Agence que vous dirigez ?
Avant de vous laisser la parole pour un propos introductif, je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Mme Mialot lève la main droite et dit « Je le jure ».
Mme Anne-Claire Mialot. - L'ANRU pilote plusieurs programmes de renouvellement urbain, dont le NPNRU (après avoir piloté le PNRU) et PNRQAD (en cours d'achèvement). Dans le cadre de ces programmes, nous intervenons sur un certain nombre de quartiers, présélectionnés sur la base d'un diagnostic adressant les dysfonctionnements urbains et les difficultés économiques et sociales. Dans les quartiers de cette liste fermée, nous intervenons principalement sur l'habitat (le cas échéant dans une logique de diversification, à travers la transformation de logements sociaux), mais également sur l'aménagement des espaces publics et les équipements publics, dans le respect des objectifs fixés par la loi, à savoir : lutter contre la ségrégation sociale et territoriale, notamment en renforçant la mixité sociale ; améliorer les conditions de vie dans les quartiers en renouvellement urbain, en veillant notamment à leur desserte par les transports et à leur mixité fonctionnelle.
Dans le cadre de ces interventions, nous intervenons majoritairement sur le logement social, en lien avec les bailleurs sociaux. Cependant, dans le cadre du PNRQAD (programme dédié à l'habitat dégradé des centres anciens) comme dans le cadre du PNRU puis du NPNRU, nous avons aussi été amenés à prendre en compte de manière plus forte, dans nos quartiers d'intervention, les enjeux liés à l'habitat privé.
Vis-à-vis de l'habitat privé, et notamment des copropriétés, nous intervenons en complémentarité de l'Anah, qui pilote la politique publique relative à ce champ. Nous intervenons sur l'habitat privé pour financer du recyclage immobilier ou du portage massif, c'est-à-dire, de façon schématique, sur les cas les plus complexes, lorsqu'une copropriété ne peut pas demeurer privée et qu'il convient de travailler, soit à sa démolition, soit à sa transformation en logement social. Dans cette optique, le portage massif, que nous pratiquons peu, mais que notre règlement permet, consiste à financer le rachat par des bailleurs sociaux d'un certain nombre de logements dans d'importantes copropriétés, pour participer à leur redressement.
Vis-à-vis de l'habitat ancien dégradé, nous intervenons lorsque le bâti est extrêmement dégradé et qu'il convient de le recycler, pour le curer ou le démolir.
Nos interventions sont ainsi complémentaires à celles de l'Anah, qui finance aussi des interventions de redressement et de recyclage, y compris hors quartiers ANRU et dans le cadre d'opérations de moindre importance financière - nos conventions avec l'Anah prévoyant des modalités de répartition de nos interventions, en fonction des montants financiers notamment.
Nous intervenons également en complémentarité de l'Anah dans le cadre des programmes de renouvellement urbain ou en complémentarité des ORCOD-IN portés par les établissements publics fonciers (EPF), pour financer ce qui va concourir au redressement des copropriétés dans leur environnement (résidentialisation, réhabilitation des espaces publics, équipements publics, etc.).
Tout cela illustre l'importance de l'articulation entre les différents acteurs appelés à intervenir sur les copropriétés dégradées. Ces interventions sont d'autant plus complexes que, si nous disposons d'interlocuteurs uniques (à même de porter une maîtrise d'ouvrage et de gérer les relations avec leurs locataires) lorsque nous travaillons avec des bailleurs sociaux, lorsque nous intervenons sur des copropriétés, il nous faut obtenir un consensus auprès d'interlocuteurs multiples. À cet égard, le Plan Initiative Copropriétés (PIC) a permis de réunir et de mettre en synergie l'ensemble des acteurs concernés.
En conclusion, j'insisterai sur le fait que, s'agissant de traiter les copropriétés dégradées dans les quartiers en renouvellement urbain, nous n'en sommes malheureusement qu'au début du chemin. Au regard de la complexité du sujet ou de sa plus faible identification, nous n'y avons pas toujours porté une attention. Or les bâtiments non traités dans les quartiers rénovés ont tendance à concentrer tous les dysfonctionnements urbains (le trafic, l'insécurité, les marchands de sommeil, voire l'insalubrité). Il y a donc un enjeu collectif à faire en sorte que, dans les quartiers où nous sommes intervenus en matière de renouvellement urbain, nous portions aussi une attention renforcée aux copropriétés dégradées. Nous avons commencé à le faire avec le PIC. Cependant, compte tenu de la complexité du sujet et des volumes à traiter (dans 150 des 450 quartiers du NPNRU), le chemin reste encore long.
Pour le futur du renouvellement urbain, autour duquel le Gouvernement nous a confié une réflexion, ma conviction est que nous devrons être beaucoup plus attentifs aux enjeux de copropriétés dégradées, ce qui posera aussi la question des outils juridiques et des opérateurs à mobiliser, dans le prolongement de la récente loi sur l'habitat dégradé. Nous aurons besoin d'opérateurs compétents, dont certains ont déjà développé des capacités, s'agissant notamment des EPF ou d'établissements tels la SOREQA (intervenant sur l'habitat indigne), la SIFAE (intervenant sur le pavillonnaire) ou encore CDC Habitat Action Copropriétés (très active dans le captage de logements pour aider au redressement de copropriétés).
Du reste, s'il est toujours possible de s'améliorer, une coopération a déjà été initiée par le PIC entre l'ANRU, l'Anah, la Caisse des dépôts et l'ensemble des parties prenantes. Notre coopération avec l'Anah est désormais fluide. Nos interventions sont complémentaires. Nous sommes parfois confrontés à certaines problématiques d'articulation entre nos règlements. Cependant, nous parvenons à trouver des solutions. Il nous faudra poursuivre les efforts en ce sens, principalement autour de l'articulation entre les interventions sur l'habitat et l'espace public environnant (pour traiter la question des parkings notamment).
Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Le PIC a permis d'initier une politique extrêmement volontariste et ambitieuse, avec l'ensemble des acteurs concernés. Cependant, à mi-parcours, le nombre de territoires sur lesquels se déploie ce plan demeure limité. Cet outil demeure extrêmement technique et long à mettre en oeuvre, avec des conditions de réussite assez fortes. Comment dupliquer ou adapter cette démarche à d'autres territoires, le cas échéant avec davantage de souplesse ?
Alors que le phénomène de paupérisation des copropriétés demeure trop peu renseigné, objectivé et connu, il se développe, y compris dans des territoires qui, jusqu'à présent, n'étaient pas confrontés à un habitat privé dégradé et dont les élus sont parfois démunis pour agir. Quel serait selon vous le dispositif le mieux approprié pour traiter davantage cette question ? Au-delà de la loi « habitat dégradé » et du projet de loi relatif à l'offre de logements abordables, au vu de votre pratique et des enjeux que vous avez évoqués, identifiez-vous d'autres avancées législatives qu'il serait nécessaire d'apporter ?
Mme Anne-Claire Mialot. - En tant qu'agence de l'État, notre action s'inscrit dans une logique de solidarité nationale, pour accompagner les collectivités territoriales. L'intérêt du PIC a été de permettre, sur les territoires identifiés, une mobilisation de l'ensemble des acteurs, aux côtés des maires et des présidents d'intercommunalité.
Autour des projets portant sur des copropriétés, la mobilisation des collectivités territoriales, en termes de moyens et de capital politique, est indispensable. Ces projets, au regard de leur complexité, nécessitent un investissement massif. Dans ce cadre, l'investissement des collectivités a également vocation à porter une vision à l'échelle du quartier et à rassurer les copropriétaires ou locataires.
Pour mener ces projets, il est également fondamental de disposer d'outils et d'opérateurs au niveau. En France, nous disposons désormais d'une bonne couverture du territoire par des EPF, avec toutefois des disparités en fonction des territoires - tous les EPF n'étant pas aussi engagés que ceux d'Ile-de-France ou d'Occitanie. Je pense qu'il faudra renforcer encore la mobilisation de ces outils, utiles pour faire du portage immobilier et/ou de la restructuration. Les sociétés dédiées à des problématiques particulières telles que la SOREQA, la SIFAE ou la SPLA-IN sont également précieuses. Dans les territoires ne disposant pas de tels outils, au-delà des moyens financiers et de la volonté politique, il y aura un réel enjeu de montée en compétences.
L'enjeu sera également de prévenir la dégradation des copropriétés, en travaillant en amont à leur redressement, en s'appuyant sur des syndics en capacité d'assurer une bonne gestion, en poursuivant le travail de prévention des impayés, etc. À cet égard, l'intérêt du PIC a été de permettre une prise en compte de l'ensemble des besoins d'intervention, de la prévention jusqu'au redressement ou recyclage. Il sera intéressant de déployer cette approche dans les grandes métropoles. Pour aller plus loin, il s'agira de développer aussi l'anticipation et le repérage, en s'appuyant sur les compétences des collectivités territoriales (en matière de repérage de l'habitat indigne, de suivi des impayés de copropriétés, etc.).
De fait, le traitement des copropriétés dégradées est coûteux. Cependant, l'aspect financier n'est pas le seul à prendre en compte. L'ANRU avait prévu de mobiliser plus de moyens encore sur ce sujet dans le cadre du PIC. Cependant, nous n'avons pas eu suffisamment de projets mûrs pour dépenser l'intégralité de l'enveloppe initialement prévue. Il y a donc un réel enjeu de mobilisation collective, d'ingénierie et de montée en compétences des opérateurs autour de ces projets, pour permettre leur financement par l'ANRU.
Dans ce cadre, il conviendra également de faciliter la prise de décisions au sein des copropriétés et la mise en oeuvre des procédures (jusqu'à l'expropriation), y compris dans le but d'éviter des surcoûts. La loi votée en début d'année concernant l'habitat privé est allée en ce sens. Elle va nous permettre de nous appuyer sur des procédures plus fluides et d'accélérer la mise en oeuvre d'un certain nombre de nos projets. Il est d'ailleurs symbolique que cette loi ait été adoptée suite à un rapport établi par deux maires que nous accompagnons dans le cadre du renouvellement urbain et confrontés à des problématiques d'habitat dégradé, à savoir le maire de Saint-Denis et la maire de Mulhouse.
La paupérisation des copropriétés soulève également un enjeu de production de logement social. Dans les zones tendues notamment, le niveau de production de logement social permettant d'accueillir des ménages pauvres est extrêmement important pour éviter un déport de ces ménages sur de l'habitat privé indigne ou des phénomènes de division pavillonnaire. J'ai pu être confrontée à ces problématiques lorsque j'étais préfète déléguée à l'égalité des chances en Seine-Saint-Denis. Ces phénomènes sont aussi liés au fait qu'un certain nombre de ménages pauvres ne parviennent pas à accéder à des logements. Il s'agit d'un sujet plus global de politique de l'habitat, qui doit tous nous mobiliser. C'est la raison pour laquelle l'ANRU, lorsqu'elle finance des opérations de recyclage de l'habitat privé, exige, de la même manière que dans le cadre des interventions sur le logement social, une reconstitution de l'offre par du logement social, le cas échéant en dehors du quartier pour favoriser la mixité. À Marseille, par exemple, les opérations menées sur les îlots d'habitats indignes donnent lieu à une reconstitution à 60 % en logement social et à 15 % en contrepartie Action Logement - le reste étant reconstitué en locatif libre.
La question de la paupérisation des copropriétés renvoie donc aussi à notre capacité globale à produire du logement social.
Mme Amel Gacquerre, présidente. - Vous avez évoqué un phénomène de dégradation des copropriétés encore insuffisamment connu. Ceci explique peut-être une insuffisance de certaines politiques publiques, vis-à-vis des petites copropriétés notamment. Pour mieux connaître le phénomène, dans son ampleur et dans le détail, avez-vous des réflexions sur la manière d'identifier les copropriétés dégradées, le cas échéant à travers le RNIC ?
Au-delà de la paupérisation des copropriétés, la paupérisation des copropriétaires est également un des axes du PIC. Quelle est votre réflexion sur le sujet ? Ce volet est-il suffisamment appréhendé ? Pourrait-on l'envisager autrement pour accompagner le redressement des copropriétés ?
Enfin, vous avez évoqué un levier d'action consistant à faire basculer les copropriétés privées en logement social. Comment cela fonctionne-t-il ? Quels sont les effets particuliers et les limites de ce levier d'action ?
Mme Anne-Claire Mialot. - Pour l'identification des copropriétés dégradées, nous nous appuyons beaucoup sur l'Anah, dont la mission est de recenser ces enjeux. Au lancement du PIC, nous avons ainsi identifié 150 quartiers présentant des problématiques de copropriétés, dont une cinquantaine avec des problématiques de copropriétés fragiles, 60 avec des enjeux importants et 30 avec des enjeux majeurs. 95 % des copropriétés identifiées dans le cadre du PIC se sont ainsi avérées localisées en secteur NPNRU.
Ceci illustre le phénomène de déport de la paupérisation au sein des quartiers où le logement social a été traité. Les dysfonctionnements urbains se reportent ainsi sur l'habitat privé, qui de surcroît n'est pas géré par un bailleur, avec un gardien, etc.
Dans la liste de nos quartiers d'intervention, figurent également des quartiers d'habitat ancien dégradé, composés de monopropriétés ou de petites copropriétés. Nous intervenons ainsi à Marseille, Saint-Denis, Fort-de-France, Perpignan, etc.
Au global, dans le cadre du PNRU, du NPNRU et du PNRQAD, sur le seul sujet de l'habitat privé (hors espaces publics et équipements), nous avons contractualisé près d'1 milliard d'euros d'investissements. Sur les grosses copropriétés, dans le cadre du NPNRU, nous avons contractualisé plus de 200 millions d'euros ; sur l'habitat ancien dégradé, nous en sommes à 350 millions d'euros.
Pour l'identification des copropriétés dégradées, au-delà du travail mené avec l'Anah, nous nous appuyons aussi sur les collectivités territoriales, qui connaissent leur terrain.
Du reste, nous avons aussi identifié des sites abritant d'importantes copropriétés, mais n'ayant pas souhaité engager de projet de renouvellement urbain dans le cadre du NPNRU. Ces copropriétés restent aujourd'hui à traiter.
Le volet social, quant à lui, n'est pas notre domaine d'intervention. Nous sommes néanmoins particulièrement vigilants quant à l'accompagnement des populations, pour le relogement dans le cadre des opérations de recyclage des copropriétés notamment. Pour adresser ce sujet extrêmement complexe, nous mobilisons de l'expertise au travers de maîtrises d'oeuvres urbaines et sociales (MOUS).
Comme l'a souvent souligné l'ancienne présidente de l'ANRU, les opérations de relogement mettent souvent en évidence d'autres difficultés sociales. Lorsque ces opérations sont bien accompagnées, cela permet aussi de détecter et de traiter, le cas échéant par une intervention publique, d'autres problématiques.
Pour ce qui est du basculement des copropriétés vers le logement social, à ce jour, nous n'avons pas financé de portage massif. Nous travaillons principalement à la transformation en logement social dans le cadre du recyclage. Lorsque nous démolissons, nous reconstituons en logement social. Sur l'habitat ancien dégradé, nous pouvons également étayer une façade et reconstruire en logement social. Nous sortons ainsi des paniers de logements, hétérogènes en fonction des territoires, avec du logement social et d'autres types de logements, dans une optique de développement de la mixité et en considérant aussi l'attractivité des quartiers.
Le portage massif pourrait toutefois constituer un outil intéressant. Il consiste à financer des bailleurs sociaux pour leur permettre de racheter et de rénover des lots au sein d'une copropriété. Le niveau de majorité ainsi atteint au sein de la copropriété permet ensuite d'y engager des travaux de redressement. En cohérence avec les enjeux de demain, y compris s'agissant d'économiser les ressources, cet outil pourrait permettre de prévenir la dégradation d'un certain nombre de copropriétés et d'éviter un certain nombre de recyclages - le portage massif ayant également, le cas échéant, vocation à faciliter le recyclage.
À ce jour, tous les bailleurs ne sont pas nécessairement intéressés par ce dispositif - la gestion de quelques lots dans une copropriété dégradée pouvant être complexe. Il conviendrait donc de pouvoir les mobiliser davantage. Je leur laisserai le soin d'exprimer leurs besoins pour cela.
Mme Amel Gacquerre, présidente. - Quel est votre point de vue sur la vente de logements HLM ?
Mme Anne-Claire Mialot. - La vente de logements HLM peut constituer un levier intéressant, pour permettre aux bailleurs d'accroître leurs ressources et développer l'accession sociale à la propriété. Dans les copropriétés ainsi constituées, l'intérêt est que le bailleur social demeure généralement propriétaire et gestionnaire de la majorité des logements. Le risque est toutefois de voir certaines copropriétés intégralement vendues se paupériser et être fragilisées, si les acquéreurs n'ont pas les moyens d'entretenir leur bien. Dans le cadre des opérations en accession sociale à la propriété, ces enjeux ne sont pas toujours suffisamment anticipés.
Nous réalisons aujourd'hui une étude sur la diversification de l'offre de logements, pour tirer les enseignements de nos opérations conduites dans le cadre des programmes de renouvellement urbain. Dans ce cadre, l'enjeu serait notamment de veiller à ce que nos programmes d'accession sociale à la propriété ne génèrent pas les copropriétés dégradées de demain.
Sur ce sujet, il n'y a donc pas de solution unique et simple.
Mme Amel Gacquerre, présidente. - J'entends à la fois l'intérêt que vous trouvez à cette pratique et vos réserves. Ce levier pourrait-il néanmoins être intéressant s'il était davantage encadré ? Le cas échéant, les collectivités territoriales, qui connaissent très bien leur terrain, ne pourraient-elles pas avoir un rôle à jouer, en étant associées à la prise de décision concernant les ventes de logements HLM ?
Mme Anne-Claire Mialot. - L'important serait d'être collectivement vigilants, le cas échéant avec des dispositifs adaptés, afin que ces opérations ne risquent pas de constituer de futures copropriétés dégradées. Les collectivités territoriales ont vocation à conserver un rôle central dans le pilotage de ces dispositifs - certaines ayant déjà développé des savoir-faire et des outils pour cela.
Mme Amel Gacquerre, présidente. - Merci pour votre disponibilité et votre contribution. Nous devrions partager les conclusions de nos travaux courant juillet 2024.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition, en téléconférence, de MM. Yanick Le Meur, directeur général de la Foncière Logement et Nicolas Henry, directeur de la stratégie Action Logement Groupe
Mme Amel Gacquerre, présidente. - Madame la rapporteure, mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions en accueillant MM. Yannick Le Meur, directeur général de la Foncière Logement, et Nicolas Henry, directeur de la stratégie Action Logement Groupe.
Messieurs, il sera sans doute utile que vous rappeliez le rôle de l'association foncière logement (AFL), une organisation très spécifique puisque ses missions d'intérêt général sont inscrites dans le code de la construction et de l'habitation.
Vous pourrez expliquer ses modalités d'action sur les copropriétés dégradées. Combien d'interventions réalisez-vous chaque année ? Quels sont leur typologie et leurs effets ? Identifiez-vous des difficultés particulières ? Auriez-vous besoin d'outils supplémentaires que notre commission pourrait promouvoir ?
Votre particularité est, tout en étant une association investie de missions d'intérêt général, d'être adossée au groupe Action Logement, acteur majeur du logement social et abordable. Que vous apporte ce positionnement ? Quelles en sont les limites alors que vos missions ne se limitent pas au logement des salariés ?
Considérez-vous que le modèle de financement des opérations de redressement des copropriétés est efficace ? L'articulation entre les subventions, leur préfinancement et les prêts, qui peuvent être octroyés, se fait-elle de manière suffisamment rapide et fluide ?
À ce sujet, de quelle manière êtes-vous impliqués dans la mise en oeuvre du plan Initiative Copropriété (PIC) et des opérations de requalification des copropriétés dégradées (ORCOD) : ces programmes de grande ampleur parviennent-ils à créer une synergie suffisante entre les acteurs ?
Nous nous intéressons aussi tout particulièrement aux petites copropriétés parce que, jusqu'à présent, elles ont trop souvent échappé à l'attention des pouvoirs publics, justement parce qu'elles sont trop difficiles à repérer. Votre action vous permet-elle de contribuer à leur identification et à leur traitement ?
Vous pourrez également revenir sur la loi du 9 avril dernier relative à la rénovation de l'habitat dégradé, dont j'étais la rapporteure, et notamment sur son article 3 qui étend le champ d'intervention de l'AFL aux opérations d'aménagement ayant pour objet de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne et dangereux.
Enfin, comment le groupe Action Logement se situe-t-il dans l'organisation territoriale d'accompagnement des copropriétés paupérisées, en lien avec les agences de l'État (Anah, ANRU, ANCT), les services déconcentrés, les communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), notamment dans le cadre d'Action coeur de ville ? Existe-t-il des voies d'amélioration dans la coordination entre tous ces acteurs ?
Avant de vous laisser la parole, je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
MM. Yannick Le Meu et Nicolas Henry lèvent la main droite et disent « Je le jure ».
M. Nicolas Henry. - Le groupe Action Logement se compose fondamentalement d'une branche immobilière et d'une branche servicielle. Depuis une vingtaine d'années, la Foncière Logement contribue ainsi à l'activité immobilière du groupe.
La branche immobilière du groupe Action Logement gère un parc d'environ 1,1 million de logements, dans l'hexagone et les départements et territoires d'outre-mer, principalement composé de logements sociaux, mais aussi de logements intermédiaires abordables et de logements particuliers portés par la Foncière Logement.
La branche servicielle du groupe apporte quant à elle des services aux salariés des entreprises cotisantes et éligibles (au-dessus ou en-deçà du seuil de 50 salariés, selon les dispositifs). Dans ces services, on retrouve notamment le prêt à l'accession.
Le groupe contribue également à la mise en oeuvre des politiques publiques en matière de renouvellement urbain, à travers l'octroi de prêts et de subventions, ainsi qu'en participant au financement du programme Action Coeur de Ville.
Parmi les entités rattachées au groupe Action Logement, outre la Foncière Logement, on retrouve également Action Logement Immobilier (et les 50 filiales la composant).
M. Yannick Le Meur. - La Foncière Logement est une association de loi 1901, constituée il y a 20 ans par les partenaires sociaux et l'État pour adresser la problématique de la mixité sociale dans les QPV et du logement des ménages à faibles ressources au coeur des villes.
Nous avons ainsi conventionné 25 000 logements privés dans le coeur des villes au marché tendu. Nous louons aujourd'hui 12 000 logements en intermédiaire ou en libre dans les QPV. Nous avons également de l'ordre de 8 000 logements en cours de construction.
La Foncière Logement est ainsi un acteur de la déségrégation sociale des quartiers. Nous ne modifions pas la sociologie des villes. Toutefois, partout où nous intervenons, l'occupation de nos immeubles enclenche une phase d'évolution du peuplement des territoires, comme le montrent les contrôles de la Cour des comptes.
Nous n'avons pas de dispositif spécifique aux copropriétés. Ce n'est pas le fait qu'un bien immobilier ait le statut de copropriété qui légitime notre action. Cela étant, 55 % de notre parc immobilier est aujourd'hui en copropriété. Nous avons donc une expérience forte de la gestion des copropriétés.
Nous demeurons un acteur de petite taille. Pour nous, l'enjeu est donc davantage la nature et la qualité des services immobiliers que nous apportons aux territoires. À ce titre, nous sommes un donneur d'ordre important pour les opérateurs de gestion des syndics. Nous sommes ainsi, en France, le premier client de Foncia et le deuxième client d'Evoriel (ex-Nexity).
L'habitat indigne est une problématique relativement récente pour nous, puisque sa première introduction dans la loi encadrant nos missions date de 2020. Notre rôle en la matière a été clarifié dans la loi de ce début d'année, pointant les copropriétés dégradées comme un segment à travailler ou à interroger pour notre association.
Nous intervenons aujourd'hui sur l'habitat insalubre ou indigne, avec nos produits de mixité permettant d'offrir des logements de qualité aux salariés ayant des revenus supérieurs aux plafonds HLM. Notre champ d'intervention, tel que défini par la loi d'avril 2024, recouvre : les OPAH ayant un objet de lutte contre l'habitat insalubre, les immeubles concernés par un arrêté d'insalubrité ou de péril, les immeubles se situant dans le périmètre des opérations de restauration immobilière (dont les copropriétés identifiées au titre du CCH), ainsi que les opérations d'aménagement décrites à l'article 300-1 du code de l'urbanisme ayant pour objet de lutter contre l'habitat indigne. Nous pouvons ainsi intervenir sur tout territoire, en France, sur lequel l'autorité publique locale a mobilisé une procédure d'aménagement ou une procédure prescriptive concernant un bien immobilier présentant des dérives.
Dans ce contexte, la copropriété ne constitue pour nous ni un frein ni un interdit. Notre intervention sur les copropriétés en plan de sauvegarde est même désormais prévue explicitement par la loi. Nous allons pouvoir y développer l'ensemble de nos interventions, au regard des moyens dont nous disposons dans le cadre des conventions quinquennales.
Pour rappel, la Foncière Logement n'est pas un outil public. À ce titre, nous ne bénéficions d'aucune prérogative publique. Nous demeurons un opérateur privé et ne demandons pas, par exemple, une délégation du droit de préemption. Notre rôle d'investisseur est de promouvoir la mixité. Nous fabriquons pour cela un parc de qualité, ayant vocation à être transmis gratuitement à l'Agirc-Arrco.
L'un des critères fondamentaux de notre intervention est donc de veiller à ce que le parc que nous allons construire, reconstituer ou restructurer, quel que soit son statut, constitue un actif de qualité et sans risque pour les caisses de retraite. Nous veillons également à ce que chaque projet développé soit attractif, en termes de qualité, de nature et de niveaux de loyer, pour notre population cible (à savoir principalement les cadres débutants). Nous mobilisons pour cela de la participation de l'employeur à l'effort de construction (PEEC), en étant attentifs à l'efficacité de l'usage de ces équivalents subventions (représentant de l'ordre de 42 % du plan de financement de nos opérations) - notre adossement au groupe Action Logement étant à cet égard fondamental.
Je terminerai en vous apportant un éclairage opérationnel, à travers l'exemple d'une opération que nous menons aujourd'hui autour d'une copropriété à Gaillard, dans l'agglomération d'Annemasse. Sur ce territoire tendu emportant des enjeux de croissance démographique, de transformation et d'évolution forte de l'emploi, avec une pression frontalière forte et une pression touristique, nous intervenons sur une copropriété, en lien avec un opérateur public, à savoir la TERACTEM (SEM départementale ayant des compétences foncières et en matière de développement de projets urbains et immobiliers). Nous allons entrer dans cette copropriété, en acquérant 20 % des lots sur le marché, ce qui va nous permettre d'entrer au conseil syndical. Nous allons ensuite pouvoir y exploiter, dans le cadre du PLU discuté avec le maire, une surface constructible supplémentaire, dans une optique de densification verticale. À l'issue de cette opération, nous disposerons de plus de 50 % des tantièmes. Les charges foncières acquittées permettront à la copropriété de financer des travaux d'amélioration ou de transformation des parties privatives, pour aboutir à une réhabilitation de l'ensemble du parc en étiquettes A et B. In fine, ce parc se constituera de 70 % de logements en LLI et de 30 % de logements sociaux, avec des loyers moyens en-dessous de ceux du marché, au bénéfice des salariés et en cohérence avec les besoins du territoire. La principale difficulté demeurera toutefois de convaincre le conseil syndical.
M. Nicolas Henry. - Au-delà de cette activité très particulière de la Foncière Logement, l'activité de nos filiales immobilières de droit commun s'est également inscrite dans le cadre du Plan d'Investissement Volontaire lancé en 2018.
Le groupe Action Logement détient plusieurs milliers de lots au sein d'environ 10 000 copropriétés. Parmi ces copropriétés, certaines sont directement gérées par nos filiales ESH (lorsqu'elles en détiennent plus de 50 % des tantièmes) ; d'autres sont gérées par des syndics.
Dans les copropriétés que nous gérons, nous observons que les impayés sont globalement maîtrisés, du fait de la mise en oeuvre d'une gestion préventive et d'un accompagnement des locataires de la même qualité que celui proposé dans le reste du parc.
Dans nos 179 000 lots gérés par des syndics privés, nous n'observons pas non plus de dérapage des impayés. Les éventuelles difficultés sont prises en charge très en amont, le cas échéant avec un système d'avance par le bailleur.
Dans le cadre du Plan d'Investissement Volontaire, nous avons également mis en place des dispositifs exceptionnels, dont un dispositif de services aux copropriétés logeant des salariés et ayant besoin de travaux de rénovation. Ce dispositif très particulier est demeuré expérimental, au regard des disponibilités financières. Néanmoins, il a fait l'objet d'une ingénierie et a produit des résultats intéressants, à Marseille notamment.
Dans le cadre du Plan Initiative Copropriétés, les filiales immobilières du groupe ont par ailleurs pu déployer des actions de redressement (à travers l'achat de lots pouvant potentiellement être revendus un fois la copropriété redressée) ou de recyclage (sur mandat des élus locaux, dans une optique de conversion en logement social) d'un certain nombre de copropriétés, avec une enveloppe de 145 millions d'euros pour intervenir sur 2 500 logements. Les actions menées en ce sens par nos filiales sont suivies par la holding Action Logement Immobilier et par le ministère en charge du logement.
Marianne MARGATÉ, rapporteure. - La paupérisation des copropriétés est un phénomène encore trop peu renseigné et parfois invisible. Pour autant, il est une réalité, qui va en s'amplifiant, voire en s'aggravant.
Vous avez décliné vos nouveaux moyens d'intervention, instaurés par la loi d'avril 2024. Comment appréhendez-vous ce nouveau positionnement d'opérateur ? Quelles sont vos perspectives d'engagement dans ces opérations ? Le cas échéant, quel est votre plan de déploiement ? Concerne-t-il l'ensemble du territoire français ? Êtes-vous amenés à vous déployer sur tous les types de territoires (urbains, périurbains et ruraux) ? Quelles sont selon vous les conditions de réussite de ces opérations ?
M. Yannick Le Meur. - Dès la fin des années 2000, les copropriétés ont représenté une opportunité de logement pour les ménages aux plus faibles revenus, notamment dans les zones tendues. Cependant, cela se traduit aujourd'hui par un parc un très mauvais état, parfois en état d'obsolescence et parfois présentant les signes d'une intervention nécessaire de la puissance publique (en cas de péril ou de dérive complète du modèle des copropriétés).
Différents véhicules législatifs ont été mis en place pour tenter d'apporter des réponses à cette problématique. Cependant, les volumes à traiter demeurent colossaux.
Dans ce contexte, les moyens de Foncière Logement demeurent limités. Avec 38 000 logements, nous sommes un petit objet. Notre organisation ne nous permet de délivrer physiquement qu'environ 1 000 logements par an sur l'ensemble du territoire national.
Nos moyens sont liés aux conventions quinquennales signées par le groupe Action Logement avec l'État, qui définissent les emplois de la PEEC. Dans le cadre de la convention 2023-2027 en cours, nous nous efforcerons de faire en sorte que les ressources en PEEC qui nous sont affectées soient bien toutes engagées sur des projets de transformation urbains, immobiliers et sociaux, autour notamment de copropriétés.
Les conditions de la réussite de nos opérations sont liées à notre mission de fabriquer un parc qualitatif pour l'Agirc-Arrco, avec des logements attractifs pour une clientèle de jeunes cadres (libre du choix de la localisation de son habitat). Si nos investissements ne sont pas attractifs pour cette clientèle, nous risquons de nous trouver avec des logements vacants (ce qui n'est pas le cas aujourd'hui) ou occupés par une clientèle ne correspondant pas tout à fait à notre cible.
À cet égard, le projet que nous conduisons à Gaillard peut paraître provocant, aux portes de la ville de Genève qui constitue un îlot de richesse visible à l'échelle internationale. Néanmoins, il répond à un réel besoin, car, de ce côté de la frontière, des ménages ne parviennent plus à se loger, dans un parc arrivant à bout de souffle.
Dans une zone tendue, avec une demande extrêmement soutenue, des strates de clientèle correspondant à nos critères et des opérateurs publics mobilisés, ce projet pourrait paraître facile à mettre en oeuvre. Nous allons disposer d'un patrimoine de qualité, neuf ou recyclé en termes d'étiquette énergétique, bien localisé et avec un modèle économique soutenable. Toutefois, pour y arriver, il nous faudra tout de même mobiliser 40 % d'équivalents subventions. Sans cette ressource financière, provenant du travail des salariés et de la contribution des employeurs, nous ne pourrions conduire un tel projet.
Nous devrions pouvoir décliner ce modèle dans des territoires moins attractifs. Cependant, cette stratégie pourrait être difficile à piloter avec des écarts de loyer plus réduits entre le marché et les produits en LLI ou en PLS, au regard des coûts de transformation et de mutation au sein des copropriétés.
Dans les territoires en perte démographique, avec une stagnation voire une régression de l'emploi et une vacance importante au sein des parcs, il pourrait ainsi être difficile de traiter la question de la transformation des copropriétés dégradées avec un outil comme Foncière Logement. Les critères que j'évoquais ne seraient pas réunis et le modèle développé par Foncière Logement nécessiterait des contributions financières hors d'atteinte.
Quoi qu'il en soit, nous tirerons les enseignements de ce type d'interventions en fin de convention quinquennale, le cas échéant pour nourrir la réflexion sur les futurs emplois de la PEEC à envisager.
M. Laurent Burgoa. - Notre commission d'enquête s'est notamment penchée sur la situation des petites copropriétés. En tant qu'ancien adjoint à la rénovation urbaine du maire de Nîmes, je connais et salue l'action que vous menez dans le cadre des projets ANRU, dont vous êtes des partenaires importants. Cependant, pourriez-vous intervenir également auprès des petites copropriétés, y compris dans les communes rurales ?
Vous avez évoqué un enjeu d'attractivité. Or tous les territoires ont leur charme et sont potentiellement attractifs, pour peu que les partenaires se mobilisent en ce sens. Action Logement me semble ainsi avoir tout son rôle à jouer dans toutes les communes, y compris rurales.
M. Yannick Le Meur. - La taille d'une commune ou d'un regroupement humain ne détermine pas nécessairement son attractivité. J'ai souvenir de débats au sein du Conseil d'administration de l'ANRU ayant mis en évidence que, pour sortir de la géographie prioritaire, il était préférable de se concentrer sur les quartiers les plus petits, présentant les leviers les plus importants pour opérer des transformations d'usages et de peuplement.
En tant qu'opérateur, nous n'avons pas ce tropisme de la taille des projets. Les grands projets de transformation des copropriétés, s'agissant notamment des ORCOD, ne sont pas nécessairement les plus faciles à réaliser. Sur ces territoires, les interventions s'inscrivent davantage dans une logique de démolition-reconstruction. Nous y construisons plutôt du neuf, pour être très différenciants.
Dans le cadre du projet que nous menons à Gaillard, nous intervenons sur un petit ensemble immobilier, d'environ 200 logements. Cette opération est d'une taille très adaptée, car elle repose sur un parcellaire défini, correspondant à une petite entité foncière, immobilière et économique ayant ses propres équilibres à l'intérieur d'une ville. Nous savons que nous en verrons le début et la fin.
M. Nicolas Henry. - Le groupe Action Logement, à travers ses filiales immobilières et la Foncière Logement, intervient dans toutes les localités du territoire national, indépendamment de leur taille. Notre critère unique est celui du lien emploi-logement. Nous considérons ainsi la capacité des salariés à accéder facilement aux aménités et notamment aux lieux d'emploi. Dans ce cadre, au regard de l'effort de réindustrialisation et de relocalisation des emplois en France, nous adressons aussi des zones aujourd'hui considérées comme en déprise, potentiellement pour y traiter des copropriétés ou y mettre en oeuvre d'autres leviers serviciels.
La compétence de nos filiales vis-à-vis des copropriétés demeure malgré tout récente, puisqu'elle provient de la loi ALUR, qui fête ses 10 ans. Cette compétence demeure aujourd'hui difficile à mettre en oeuvre. Le portage dans le cadre des opérations de redressement nécessite un effort sur plusieurs années, avec des situations différentes en fonction des villes. Pour l'instant, nous intervenons plutôt dans des milieux urbains, dans de grandes villes comme Marseille ou Metz, mais aussi dans de plus petites comme Jarville. Dans ce cadre, nous sommes parfois confrontés à des situations délicates, avec des communes ne souhaitant pas nécessairement davantage de logements sociaux sur site, privilégiant d'autres acteurs ou ne considérant pas nécessairement prioritaires les copropriétés fléchées par Action Logement en lien avec l'État et l'Anah. Dans certaines copropriétés, nous sommes également confrontés à des emprises mafieuses, qui nécessitent une coordination avec les services de justice et de police compétents.
Cette compétence est presque contre nature pour les ESH, dont le modèle repose historiquement sur la pleine propriété et qui redoutent d'avoir à gérer des copropriétés dégradées - les ESH, contrairement à des investisseurs classiques, ayant vocation à conserver leur patrimoine dans la durée. À cet égard, la vente en l'état futur d'achèvement (VEFA) et la vente HLM ont en quelque sorte constitué pour les ESH une école de la copropriété. Aujourd'hui, bien que contre nature, coûteuse et pouvant s'exercer au détriment de la production nouvelle, cette compétence nouvelle vis-à-vis des copropriétés est néanmoins très intéressante pour les ESH, dans le cadre de leurs relations avec les collectivités et les territoires.
Mme Amel Gacquerre, présidente. - Quel est votre regard sur les copropriétés mixtes, issues notamment de la vente de logements HLM ? Quelles problématiques y voyez-vous ? Quelles seraient vos propositions à ce sujet ?
Enfin, quel est votre positionnement vis-à-vis de la fonction de syndic ? Le rôle des syndics apparaît central dans la gestion des copropriétés en difficulté. Vous arrive-t-il de tenir ce rôle ? Quel est votre regard sur ce sujet ?
M. Nicolas Henry. - La gestion des copropriétés mixtes, issues de la possibilité d'acquérir des logements en VEFA, développée dans les années 2000, ne correspondait pas spontanément au métier des bailleurs, qui avaient pour pratique de construire leurs logements et de les gérer en pleine propriété. Cela a constitué un défi nouveau pour les ESH. La vente de logements HLM a ensuite démultiplié ces situations de copropriété mixte.
Dans ce contexte, lorsque notre bailleur détient plus de 50 % des tantièmes d'une copropriété, il y exerce de droit la fonction de syndic. À défaut, c'est-à-dire dans 80 % des cas en ce qui concerne le groupe Action Logement, il s'en remet à un syndic privé. Dans les deux situations, nous ne constatons pas de dérive des impayés.
Chez les bailleurs, la politique de prévention des impayés gagne à être structurée. Nous le faisons au sein du groupe Action Logement. Cela étant, il s'agit d'un métier à part, différent de la gestion locative classique, à intégrer dans notre relation de longue durée avec les collectivités et les locataires.
Mme Amel Gacquerre, présidente. - Merci pour votre disponibilité et votre contribution.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 16 h 50.