Mardi 21 mai 2024

- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -

La réunion est ouverte à 17 h 00.

Audition de M. Frédéric Valletoux, ministre délégué chargé de la santé et de la prévention

M. Philippe Mouiller, président. - Nous recevons aujourd'hui M. Frédéric Valletoux, ministre délégué chargé de la santé et de la prévention, pour sa première audition devant la commission des affaires sociales du Sénat en tant que ministre.

Depuis 2020, le ministère de la santé a connu pas moins de sept ministres... Compte tenu de cette instabilité et du contexte difficile que nous traversons, les professionnels de santé se demandent souvent comment avoir le sentiment que le Gouvernement se fixe un cap en matière de santé. Monsieur le ministre, nous aimerions donc que vous nous présentiez vos projets pour les mois à venir.

Bercy a demandé aux ministères de réaliser des efforts budgétaires. Quelles seront les conséquences de ces arbitrages sur les choix d'orientation du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, par exemple sur la question des franchises médicales ? De manière plus générale, nous aimerions que vous exposiez quelles sont, selon vous, les premières urgences à traiter, à quelques mois de l'examen du prochain PLFSS.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé de la santé et de la prévention. - Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux d'essayer de tordre le cou à cette croyance selon laquelle les ministres de la santé ne seraient là que pour passer rapidement. Je veux profiter de cette occasion pour tenter de démontrer qu'il y a bien un cap - c'est ma conviction -, afin que vous puissiez en juger par vous-mêmes au terme de cette audition.

J'étais déjà intervenu devant votre commission en tant que député et encore auparavant en tant que président de la Fédération hospitalière de France (FHF). Je suis désormais devant vous pour présenter de manière globale l'ensemble des mesures que le Gouvernement a initiées en matière de santé et de prévention, que je tenterai d'amplifier dans les mois qui viennent.

Je commencerai par rappeler quelques évidences. La litanie des sondages illustre que l'accès aux soins est devenu l'une des premières préoccupations de nos concitoyens. L'obtention d'un rendez-vous chez le médecin ou à l'hôpital figure ainsi au coeur de la feuille de route que le Président de la République m'a confiée. Pour y parvenir, il faut augmenter le nombre de médecins et relever le défi que pose la démographie des soignants.

Il faut donc progressivement amplifier l'augmentation des effectifs des étudiants en médecine initiée par la suppression du numerus clausus. Aujourd'hui, 10 000 étudiants sont inscrits en deuxième année de médecine, quand ils étaient 7 000 il y a quelques années. Ces effectifs ont augmenté de 25 % entre 2019 et septembre 2023. On peut discuter à l'infini pour savoir si ces augmentations sont ou non suffisantes, mais les chiffres sont là, et nous allons poursuivre cette dynamique, avec l'objectif que 16 000 places d'étudiants de deuxième année soient pourvues d'ici à 2027. Cet effort vaut également pour les filières paramédicales : nous essayons de former des professionnels toujours plus nombreux parce que nous ne soignerons pas demain sans médecins ou sans paramédicaux.

Parallèlement, nous avons entrepris de libérer du temps médical en valorisant et en partageant les compétences au sein du système de santé. L'enjeu est d'utiliser le plus possible les compétences de chaque profession et de concentrer l'expertise médicale sur les situations qui le nécessitent. C'est le sens de mesures adoptées lors de l'examen des lois de financement de la sécurité sociale pour 2023 et 2024, de la loi du 19 mai 2023 portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, dite loi Rist 2, ainsi que de la loi du 27 décembre 2023 visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels, dont j'ai été rapporteur à l'Assemblée nationale. En tout, plus de vingt mesures portant sur l'élargissement des compétences ou sur la simplification du parcours de soins ont été adoptées ces dernières années. L'octroi de nouvelles responsabilités aux sages-femmes, leur permettant de réaliser des interruptions volontaires de grossesse (IVG) instrumentales, en fournit un exemple récent. On peut également penser à la possibilité, pour les pharmaciens, de réaliser des tests rapides de détection des angines et des cystites et de délivrer un antibiotique en cas de résultat positif, cette dernière mesure ayant été inscrite dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024.

Je souhaite accentuer encore cette dynamique avec l'élargissement des compétences des infirmiers et le déploiement des infirmiers en pratique avancée (IPA). L'arrivée des assistants médicaux change également la donne, car chacun d'entre eux permet de libérer le temps nécessaire à une ou deux consultations chaque jour par médecin. Nous en avons déjà déployé 7 000 sur le territoire, et nous espérons atteindre l'objectif d'en déployer 10 000 d'ici à la fin de l'année.

En parallèle, nous déployons les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ainsi que les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), qui tissent un réseau solide permettant une collaboration efficace, une meilleure coordination libérant également du temps médical.

De plus, conformément aux engagements du Premier ministre, le service d'accès aux soins (SAS) sera généralisé dans tous les départements métropolitains d'ici à la fin de l'été. Avec ce service, le système de santé est organisé pour qu'à toute heure de la journée, les demandes de soins non programmés puissent trouver une réponse à l'aide d'un appel téléphonique. Aujourd'hui, 30 % de ces appels se terminent par un conseil médical ou une prescription, et les 70 SAS actuels couvrent 80 % de la population. Progressivement, ce système qui incarne un travail concret entre la médecine de ville et la médecine hospitalière maille l'ensemble du territoire. Pour que l'hôpital soit efficace, il faut que la médecine de ville prenne toute sa place dans le premier recours. Les services d'urgences ne peuvent être plus fluides que si les parcours de soins le sont aussi, autant en amont qu'en aval. La loi visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels a justement pour objet de dynamiser cette coordination pour mieux adapter notre système de santé aux réalités locales, mieux répartir les compétences et les responsabilités de chacun des acteurs en fonction des besoins.

L'autre enjeu, c'est l'accélération de la territorialisation de nos politiques de santé - mesdames, messieurs les sénateurs, ce n'est pas à vous que j'en expliquerai les vertus. Nous partageons cet attachement. Ma méthode est de mobiliser des leviers nationaux pour faire confiance aux acteurs de terrain et favoriser l'émergence de solutions locales. Avec la mise en oeuvre de la loi du 27 décembre 2023, nous franchirons une nouvelle étape décisive vers l'équité dans l'accès à la santé pour tous les Français. En faisant du territoire de santé l'échelon de référence de l'organisation locale des politiques de santé, la loi fixe de nouvelles missions aux conseils territoriaux de santé (CTS), afin que ces derniers puissent mieux prendre en compte les bassins de vie en santé afin de garantir la solidarité et l'équité entre les territoires en matière d'accès aux soins.

Pour améliorer la formation et diversifier les parcours, nous avons également créé la quatrième année d'internat de médecine générale, qui permettra à plus d'internes d'exercer en zone sous-dense. Plus largement, la réforme des autorisations sanitaires ou la permanence des soins durant les soirs, les week-ends et les jours fériés sont autant de manières de faire évoluer l'offre sur le territoire, pour l'adapter et mieux répondre aux besoins des patients en faisant participer tous les professionnels à cette réponse collective.

Toutes ces réformes ne sont pas des initiatives isolées, mais contribuent à transformer notre système de santé pour que chaque Français, quel que soit l'endroit où il se trouve, puisse bénéficier d'un accès plus juste et efficace aux soins.

Bien sûr, nous continuerons à soutenir l'hôpital et les établissements de santé publics comme privés sur le plan financier. Un chiffre permet d'anticiper une réponse plus précise quant aux choix financiers qui seront faits dans les prochains mois : depuis 2017, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) a augmenté de près de 60 milliards d'euros, les hôpitaux publics ayant autant bénéficié de ces sommes que les cliniques privées.

Cette année, une fois de plus depuis 2018, les tarifs des établissements de santé augmenteront. Je vous rappelle qu'entre 2013 et 2017, pendant six années, une baisse des tarifs avait été imposée. Même si les montants de ces augmentations sont discutés chaque année, le mouvement est vertueux. En 2024, ces augmentations représentent 3,2 milliards d'euros de ressources supplémentaires pour les établissements tant publics que privés. À l'hôpital, cela permet de financer à hauteur de plus de 1 milliard d'euros des mesures de revalorisations salariales et d'attractivité pour les heures de travail de nuit, les astreintes et les gardes, ainsi que d'accompagner la reprise d'activité des établissements.

Nous faisons aussi cet effort pour accompagner le redéploiement des ressources humaines. Tout est mis en oeuvre pour tenter d'arrêter la fuite des soignants et les faire revenir dans les établissements de santé, notamment à l'hôpital. Les revalorisations du travail de nuit et de week-end décidées en septembre dernier vont dans ce sens, ainsi que certaines mesures catégorielles retenues dans la continuation des financements du Ségur de la santé en 2020. Améliorer les conditions de travail, c'est aussi améliorer le cadre de travail. L'effort du Ségur investissement, doté de 15,5 milliards d'euros, a permis de moderniser et d'accompagner dans leur politique d'investissement près de 3 000 établissements.

Nous devons continuer à accompagner notre système vers une meilleure prévention. De nombreuses mesures déjà mises en oeuvre font leurs preuves. La campagne de vaccination contre les infections à papillomavirus humains (HPV) dans les collèges a été un succès l'année dernière. La moitié d'une classe d'âge - 48 % des adolescents de 12 ans - a pu être vaccinée, soit 400 000 jeunes filles et garçons. Nous continuerons les efforts pour aller plus loin.

Le dispositif « Mon bilan prévention » constitue un pilier de cette stratégie globale. Cette initiative pionnière en Europe concernera 20 millions de Français. Dorénavant, à quatre âges clés de la vie, chaque citoyen pourra gratuitement consulter un professionnel de santé, afin de faire un point sur son mode de vie, ses risques éventuels et ses besoins, indépendamment de la maladie. Cette nouveauté va s'appliquer dans les prochains jours, lorsque l'assurance maladie enverra des courriers pour prévenir les Français concernés.

L'attente est forte pour les jeunes et les enfants. Les Assises de la pédiatrie et de la santé de l'enfant, qui auront lieu vendredi prochain, marqueront l'aboutissement de l'initiative lancée il y a deux ans autour de M. Taquet, qui a mobilisé l'ensemble des professionnels concernés par la santé de l'enfant. Je ferai part de certaines propositions travaillées avec le comité d'orientation, qui permettront des avancées importantes. Je pourrais également mentionner le sujet de la santé mentale, mais j'aborderai sûrement ce chantier important en répondant à vos questions.

Telles sont la méthode retenue et les initiatives du Gouvernement pour ce qui concerne la prévention et la territorialisation, avec la volonté de relancer l'attractivité des métiers du soin, afin de « remuscler » notre système de santé. Ma feuille de route ne prévoit pas la nécessité de présenter une grande loi ou de réengager de grands chantiers législatifs. De nombreux outils juridiques existent, et la loi offre déjà de nombreuses possibilités. L'objectif, c'est de faire confiance aux professionnels, à ceux qui prennent en charge les Français, pour penser une territorialisation des organisations de santé qui permette d'apporter des réponses concrètes aux besoins. Le système de santé doit être décloisonné. Nous devons faire confiance aux acteurs de terrain, repenser le rôle et la place des professionnels aux côtés des médecins afin qu'un continuum de la prise en charge se dessine, et non pas imaginer que la loi permet de faire des miracles. Les règles ont beaucoup changé ces dernières années, et il faut maintenant arriver à les mettre en oeuvre. Voilà le cap qui est le mien : apporter des réponses pragmatiques aux besoins immédiats des Français en matière d'accès aux soins.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Monsieur le ministre, s'il n'y a pas forcément de cap, il y a en tout cas une méthode. La semaine dernière, lors d'une table ronde sur la démographie médicale, la représentante du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (Hcaam) nous a fourni un document indiquant à quel point la planification est importante, même lorsque les ministres changent, car les résultats ne sont possibles qu'à long terme.

Ma première question concerne la situation financière de l'assurance maladie, qui est toujours préoccupante. L'année dernière, le comité d'alerte sur les dépenses d'assurance maladie avait rendu un avis très inquiétant, ce qui n'avait pas empêché le Gouvernement d'annoncer de nouvelles dépenses liées à l'inflation, sans pour autant corriger l'Ondam avant l'examen du PLFSS pour 2024. Cette année, depuis le mois d'avril, le comité d'alerte se montre particulièrement alarmiste : les crédits à destination de l'hôpital ne sont pas actualisés au regard des revalorisations annoncées, et les conséquences financières des négociations conventionnelles n'ont pas pu être correctement anticipées. Le Gouvernement prévoit-il de communiquer au Parlement une actualisation de l'Ondam avant l'été, voire de déposer un collectif social ?

Lorsque vous étiez député, vous aviez déposé une proposition de loi visant à appliquer le protocole de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) définissant des quotas de livraison de tabac pour empêcher les cigarettiers d'alimenter le commerce parallèle. Compte tenu de votre position actuelle, certaines ambitions de ce texte pourraient être plus grandes encore. Selon l'OMS, le prix est l'instrument le plus efficace pour lutter contre le tabagisme. Nous en discuterons la semaine prochaine, lors de la remise du rapport que Cathy Apourceau-Poly et moi-même avons rédigé sur la fiscalité comportementale dans le domaine de la santé. La révision de la directive sur les produits du tabac que la Commission européenne devait présenter depuis la fin de 2021 a sans cesse été repoussée. Quelles sont les perspectives actuelles en termes de calendrier ? Vous semble-t-il raisonnable de penser que l'on parvienne à une harmonisation des prix à la hausse, susceptible de réduire le commerce transfrontalier et la contrebande ?

Par ailleurs, selon l'exposé des motifs de ce texte, il s'agissait pour la France de « montrer l'exemple » afin de favoriser une révision de la directive sur les produits du tabac qui rendrait de tels quotas obligatoires et d'éviter l'approvisionnement volontairement excédentaire de pays frontaliers de la France par les industriels, qui encourage le commerce transfrontalier et la contrebande. Quelles sont les perspectives à ce sujet ?

Ma dernière question concerne les analyses biologiques médicales délocalisées. Alors que les laboratoires d'analyses médicales tendent à s'éloigner des patients, des examens délocalisés pourraient faire partie de la solution aux problèmes d'accès aux soins. Il y a deux mois, j'interrogeais le Gouvernement lors d'une séance de questions orales quant à la publication des arrêtés relatifs à l'extension du champ d'application des examens de biologie délocalisés, notamment dans les centres de santé et les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Mme El Haïry avait répondu qu'ils seraient publiés au troisième trimestre 2024. Pouvez-vous le confirmer ?

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. - En ce qui concerne l'Ondam, vous connaissez les chiffres : en 2023, le déficit de la sécurité sociale s'est élevé à 10,8 milliards d'euros, et celui de l'assurance maladie à 11,1 milliards d'euros. L'exécution de l'Ondam a par ailleurs été respectée à 0,2 milliard d'euros près. Nous aurons l'occasion d'en parler de nouveau à la fin du mois de mai, lorsque nous transmettrons nos prévisions pour 2024 à la commission des comptes de la sécurité sociale.

Le Gouvernement n'a pas prévu de déposer un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale. C'est dans le PLFSS pour 2025 que nous proposerons un ajustement de la trajectoire et de nouvelles économies pour tenir les déficits de l'Ondam prévus dans la loi pluriannuelle.

La proposition de loi relative au tabac que vous évoquez avait pour objet d'inscrire dans le droit français le protocole de lutte contre le trafic illégal de tabac de l'OMS, que la France et plus d'une quarantaine de pays dans le monde ont signé. Celui-ci vise à rendre transparent l'approvisionnement en tabac, afin de contourner les stratégies de surapprovisionnement des industriels, qui fournissent en excès les pays où leurs produits sont peu chers et qui profitent de l'aubaine que constitue le marché transfrontalier. Il faudrait livrer 49 milliards de cigarettes pour satisfaire le marché français, alors que seulement 32 milliards de cigarettes sont livrées chaque année. La différence est donc fournie par la contrebande et le marché transfrontalier. Il y a donc des stratégies industrielles de contournement de la politique d'augmentation des prix mise en oeuvre en France depuis une vingtaine d'années afin de contenir la consommation du tabac. L'année dernière, un plan pluriannuel avait été présenté afin d'augmenter régulièrement le prix du tabac pour atteindre la cible d'un prix moyen à 13 euros le paquet, et non de 11 euros comme actuellement. Il faudra aller plus loin, et je serai toujours favorable à un durcissement des conditions d'accès au marché du tabac.

Cette proposition n'aurait de sens qu'à l'échelon européen. Si la France appliquait seule les règles de l'OMS sans que nos voisins fassent de même, l'effet ne serait que symbolique, car les règles de libre circulation en Europe ne seraient pas contredites. Il faut un élan européen : la révision de la directive des produits du tabac est l'un des chantiers auquel devront s'atteler le prochain Parlement européen et la prochaine Commission européenne. Nous devrons faire pression sur le Parlement européen pour qu'il s'attaque à la régulation du marché du tabac.

Enfin, nous avons toujours l'objectif de publier les arrêtés relatifs à la biologie médicale délocalisée au troisième trimestre de 2024, pour permettre aux maisons médicales de garde, aux Ehpad et aux maisons de santé d'avancer sur ce sujet.

Mme Corinne Imbert. - Très récemment, le Gouvernement a annoncé plusieurs pistes d'économies en matière de santé, dont certaines étaient étonnantes, voire un peu farfelues. Je pense notamment à la réforme de la prise en charge des affections de longue durée (ALD), à l'allongement du délai de carence sur les arrêts de travail ou encore à l'idée évoquée par le ministre de l'économie d'un remboursement des frais de santé en fonction du revenu de chacun. Ni l'impact ni le contenu de ces diverses mesures n'ont été précisés.

Quelles pistes d'économies le Gouvernement envisage-t-il réellement en matière de santé ?

La négociation de la nouvelle convention médicale touche à sa fin et les syndicats seront bientôt appelés à se positionner sur la proposition de l'assurance maladie. Le projet de convention respecte-t-il, selon vous, ses ambitions initiales ? Après l'échec de l'engagement territorial souhaité par le Gouvernement dans le cadre des précédentes négociations, cette nouvelle proposition permettra-t-elle vraiment d'améliorer l'accès aux soins et l'attractivité de la médecine générale ?

Le Parlement a adopté une réforme du financement des hôpitaux à l'automne dernier. Celle-ci devait, selon le Gouvernement, se faire à la hâte, alors que le Sénat avait proposé une phase d'expérimentation préalable. Où en est-on des avancées opérationnelles ? Surtout, alors que le Gouvernement a voulu à tout prix afficher une entrée en vigueur au 1er janvier 2024, quels sont les changements effectivement intervenus et quand les suivants seront-ils mis en oeuvre ?

Monsieur le ministre, vous avez déclaré très récemment « vouloir ouvrir avec les employeurs le sujet » de l'autodéclaration des arrêts de travail courts afin de libérer du temps médical. Je partage votre préoccupation : j'avais moi-même rendu, lors de l'examen de la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels, dont vous étiez co-auteur, un avis favorable sur un amendement tendant à supprimer le certificat médical nécessaire pour recourir au congé pour enfant malade. Cette mesure, qui avait été adoptée par le Sénat, a été supprimée en commission mixte paritaire à la demande de la majorité présidentielle de l'Assemblée nationale...

Le Gouvernement a-t-il estimé l'impact d'une telle réforme sur l'absentéisme pour les entreprises ? À quelles mesures avez-vous réfléchi pour limiter les risques de détournement du dispositif, si celui-ci devait être mis en oeuvre ?

Enfin, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 prévoyait la publication d'un décret concernant la vente d'équipements de correction optique de seconde main. Qu'en est-il ? Vous pourrez apporter une réponse écrite ultérieure à cette question si vous préférez.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. - En effet !

Mme Corinne Imbert. - Sa publication, qui devait intervenir fin 2023, reste très attendue par la profession.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. - Concernant les mesures d'économies sur la santé, je veux d'abord rappeler que ce gouvernement, comme les précédents, n'a pas lésiné pour accompagner le système de santé. Les chiffres de progression de l'Ondam que j'ai évoqués en sont la preuve.

Pour autant, la santé - j'en suis le premier convaincu - doit aussi participer à l'effort de maîtrise des finances publiques. Pour garantir l'efficience de notre système de santé, il nous faut dépenser plus utilement au bénéfice de la prise en charge des Français. Aussi, nous ne nous interdisons aucun débat. C'est pour cette raison que le ministre de l'économie a ouvert la voie à une réflexion sur les ALD, qui représentent une part importante des dépenses. On ne s'est pas interrogé sur l'efficience du fonctionnement de ce système depuis les années 1980. Cela ne signifie pas que les mesures d'économies cibleraient les personnes touchées par une pathologie chronique, qui ont besoin d'un accompagnement.

L'inspection générale des affaires sociales (Igas) a travaillé de manière très transparente sur le sujet. Sa mission conclut qu'il n'est pas question de remettre en cause le système des ALD ni de retirer certaines pathologies de la liste. Néanmoins, nous pourrions progresser sur l'efficience du système au travers de plusieurs pistes, dont celle du remboursement des transports. Pour l'instant, rien n'est arbitré. Le PLFSS pour 2025 sera éventuellement l'occasion d'avancer sur la question.

J'en profite pour rappeler que l'augmentation des franchises pour les Français n'a pas concerné ceux qui sont touchés par des ALD. Nous sommes donc précautionneux, ce qui est bien normal : nous le devons aux personnes concernées. Il n'est pas question de donner des coups de canif à notre pacte social.

Comme vous, j'attends l'issue de la convention médicale. La fumée semble plutôt blanche : tant mieux. Cela signifie que les discussions qui avaient repris au mois de novembre ont abouti, puisque tous les acteurs ont l'intention de valider cette convention. Je reste cependant prudent, car je ne participe pas directement aux discussions. J'espère en tout cas que la convention sera signée, car c'est un accord de responsabilité.

D'une part, la Nation, au travers des financements de l'assurance maladie, met sur la table 1,6 milliard d'euros supplémentaires pour accompagner les évolutions de notre système de santé et du modèle libéral dans les cinq prochaines années. Dans le contexte actuel, cela n'est pas neutre. Certaines avancées étaient nécessaires. Je pense notamment à la consultation en secteur 1, qui a trop longtemps été laissée de côté. Si la convention était signée, sa tarification passerait de 26,50 à 30 euros - soit une augmentation de 20 %, signe que le rattrapage est significatif. Mais la revalorisation de la consultation en secteur 1 - que nous devons bien entendu aux médecins - est l'arbre qui cache la forêt. En effet, la tarification de nombreux autres actes et types de consultations progresserait également. Je pense notamment à la consultation des médecins spécialistes, revalorisée à 60 euros, ou à la création d'une consultation d'accompagnement et de prise en charge pour les personnes de plus de 80 ans, une fois par an, dont le tarif serait également fixé à 60 euros. Ces évolutions témoignent de l'intention du Gouvernement de mieux accompagner les professionnels libéraux.

D'autre part, par cette convention, les professionnels libéraux s'engagent collectivement à mieux répondre aux attentes de la Nation. L'accord prévoit en effet la création d'une quinzaine d'indicateurs, qui seraient suivis deux fois par an, et dont l'évolution serait communiquée aux commissions spécialisées - notamment aux commissions des affaires sociales du Sénat et de l'Assemblée nationale - et rendue publique. Nous pourrions ainsi mieux suivre l'avancée de la convention médicale et voir de quelle manière elle répond à des enjeux d'intérêt général, tels que l'accès aux soins, notamment pour les plus précaires, le suivi des prescriptions ou encore la lutte contre la résistance aux antibiotiques. Il s'agirait d'une évolution historique : pour la première fois, la convention médicale ne serait pas seulement un rendez-vous budgétaire ou financier, mais elle serait assortie d'indicateurs permettant de mesurer sa pertinence.

La question des arrêts de travail a récemment été évoquée par un rapport de la Cour des comptes. C'est la raison pour laquelle j'ai été amené à m'exprimer sur le sujet. La Cour préconise l'autodéclaration des arrêts de travail. Bien entendu, nous devons en discuter avec les employeurs, car cette mesure ne leur plaît pas vraiment. Le Gouvernement ne souhaite pas particulièrement encourager un tel dispositif. Néanmoins, le nombre d'arrêts de travail et l'impact financier qu'ils représentent doivent nous inciter à nous interroger sur le sujet. En 2022, 7,6 millions d'arrêts maladie de moins de trois jours ont été accordés. Ils représentaient 25 % des arrêts de travail pour maladie. La recommandation de la Cour révèle en tout cas qu'il s'agit d'un enjeu important. Bien entendu, le seul prisme de la dépense publique ne permet pas d'aborder tous les sujets, mais nous ne pouvons ignorer cette préoccupation. Il est donc possible que ce sujet prospère dans des discussions ultérieures. Néanmoins, le Gouvernement n'a pas l'intention, pour l'instant, d'en faire un marqueur fort du PLFSS pour 2025.

Concernant le décret sur l'optique de seconde main, je vous préciserai par écrit les raisons pour lesquelles ce texte, prévu il y a plusieurs années déjà, n'a toujours pas été publié.

J'en viens au financement des hôpitaux. Nous avons déjà réformé le financement des urgences, de la psychiatrie et des structures de soins de suite et de réadaptation (SSR). Nous travaillons avec les différentes fédérations pour continuer à prendre en compte le financement des autres activités. Trois missions de l'Igas sont en cours sur l'amélioration de la qualité et de la prévention au regard des financements. Nous poursuivons notre travail de réajustement du financement de chacune des activités hospitalières. L'objectif est de diminuer la part de la tarification à l'activité (T2A) à l'hôpital, qui représente actuellement environ 54 % de ses financements.

M. Olivier Henno. - Je suis rapporteur d'une mission d'information sur la régulation de la financiarisation du système de santé, aux côtés de mes collègues Bernard Jomier et Corinne Imbert. Ce phénomène entraîne de nombreuses conséquences, tant sur le mode de gouvernance que sur le statut des médecins - libéraux ou salariés - ou encore sur la redondance des soins. La biologie et la radiologie sont les premiers domaines concernés, mais d'autres, dès demain, pourraient être touchés.

Quel est votre point de vue sur la question, et comment envisagez-vous de renforcer la régulation ?

Mme Pascale Gruny. - Ma question concerne SOS Médecins. L'association demande que soit reconnu son accès direct aux patients, car le projet de convention semble prévoir son intégration au service d'accès aux soins (SAS).

SOS Médecins reçoit 7 millions d'appels par an. Certes, le Samu en prend en charge 30 millions. Néanmoins, la fin de l'accès direct aux patients compromettrait l'efficience de ce réseau, pourtant pleinement intégré dans le service public du soin - je pense notamment aux visites effectuées par les médecins, y compris la nuit, quand personne d'autre ne peut assurer la permanence des soins.

Je sais que ce sujet fait partie de vos préoccupations. Néanmoins, quand allez-vous agir ? SOS Médecins attend en effet des mesures de votre part, notamment la revalorisation des visites effectuées par les praticiens, en particulier à domicile.

Pourriez-vous également revenir sur la situation des services de psychiatrie et de pédopsychiatrie, et plus généralement sur la santé mentale des jeunes ? Dans mon département, un nouveau jeune s'est suicidé vendredi dernier.

Mme Marie-Pierre Richer. - Monsieur le ministre, à l'heure où l'attractivité des métiers de l'accompagnement du grand âge et du handicap figure au rang de priorité, les orthoprothésistes, professionnels de santé qui accompagnent au quotidien les personnes en situation de handicap ou en perte d'autonomie, pâtissent très fortement de l'obsolescence de leur formation initiale - un BTS préparé en trois ans qui fait exception en matière de profession paramédicale et qui bloque notamment toute opportunité de passerelle vers des formations en master en rééducation et réadaptation.

Au travers d'une réponse à la question écrite déposée l'année dernière par notre président Philippe Mouiller, votre ministère et celui de l'enseignement supérieur ont récemment confirmé, après de multiples alertes de la profession, le principe du passage au grade de licence de la formation initiale, sans pour autant apporter de précisions sur le calendrier de lancement de ces travaux.

Au regard de l'impact de ce sujet sur l'attractivité et la pérennité de cette profession de santé, sur le maintien de l'autonomie des personnes en situation de handicap et des personnes âgées, et afin d'assurer la transversalité entre les différents professionnels de santé de la rééducation et de la réadaptation, pouvez-vous nous détailler le calendrier de passage au grade de licence de la formation initiale d'orthoprothésiste ?

Mme Annie Le Houerou. -À vous écouter, monsieur le ministre, tout va bien. Or, quand je suis dans mon département, je constate que rien ne va. Comment expliquer le renoncement aux soins, les retards de prise en charge, les suspensions de maternité, la régulation des urgences ? La situation est très difficile pour les personnes soignées, mais aussi pour les soignants.

Dans mon département, l'hôpital de référence était en grève, parce qu'on veut grappiller trente minutes sur l'heure de déjeuner à des professionnels de santé déjà exsangues et très impliqués, y compris d'ailleurs sur ce temps de pause méridienne.

La semaine dernière, nous avons reçu l'Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS), qui a insisté sur la nécessité d'un pilotage. En effet, les données existent, mais une planification est nécessaire. Comment répondez-vous à cet impératif de régulation, afin d'assurer la bonne répartition des médecins et des différentes spécialités sur le territoire ?

Dans une tribune publiée dans le journal Le Monde, ce week-end, 1 200 soignants et élus s'interrogent sur les difficultés d'accès aux soins dans nos territoires. La proposition de loi de Bernard Jomier relative à l'instauration d'un nombre minimal de soignants par patient hospitalisé, qui a été adoptée à l'unanimité au Sénat, visait précisément à assurer la juste affectation des ressources humaines là où les patients en ont besoin. Quand envisagez-vous de faire appliquer cette loi ?

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. - Monsieur Henno, je lirai avec beaucoup d'intérêt les travaux que vous avez lancés au Sénat sur la financiarisation du système de santé. Ils seront les premiers à éclairer ce phénomène que nous voyons s'amplifier dans un nombre croissant de spécialités - la biologie, la radiologie, mais aussi la pharmacie ou même la médecine vétérinaire. Cette montée de la financiarisation doit nous inquiéter.

Parallèlement aux travaux que mène votre mission d'information, nous avons lancé, avec Bercy, une mission conjointe de l'Igas et de l'inspection générale des finances (IGF) sur la question de la financiarisation, qui sera sans doute complémentaire à vos propres travaux.

Pour ma part, je pense qu'il ne faut pas faire l'autruche. Nous devons réfléchir à des mesures de régulation qui permettraient, si ce n'est de l'enrayer totalement, du moins de contrôler ce phénomène. Évitons que celui-ci n'engendre des dysfonctionnements au sein de notre système de santé, qu'ils soient relatifs à des questions d'éthique pour les soignants, qui seront amenés à intervenir dans un cadre différent, ou plus généralement à l'organisation des soins. Néanmoins, je ne vais pas préempter le débat. Si vous souhaitez m'auditionner dans le cadre de vos travaux, je serai heureux de vous apporter quelques modestes propositions. Dans tous les cas, je lirai avec intérêt les conclusions de votre rapport.

Quoi qu'il arrive, je crois fermement que c'est en assurant l'efficience de la dépense que nous pourrons mieux financer notre système de santé à l'avenir. La Nation y consacre 255 milliards d'euros. Nous avons donc largement les moyens de mieux rémunérer les soignants qui doivent l'être et de mieux équiper nos territoires, mais les dépenses doivent être régulées. Cela signifie qu'il faut faire la chasse aux dépenses inutiles et aux actes redondants. L'OCDE estimait à 20 % la part de dépenses de santé inutiles en France. D'autres enquêtes affichaient des taux un peu plus élevés. La part exacte se situerait entre 10 % et 15 %. Sur un total de 260 milliards d'euros, on voit bien les gisements que nous pourrions en tirer en travaillant collectivement à l'amélioration de la dépense.

Madame Gruny, la mise en place des SAS ne change rien au fonctionnement de SOS Médecins. L'association peut tout à fait conserver sa ligne d'appel en direct. Néanmoins, pour bénéficier des majorations financières spécifiques qui seront adossées au fonctionnement du SAS, SOS Médecins devra intégrer le dispositif.

Mme Pascale Gruny. - C'est un chantage !

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. - Non, ce n'est pas un chantage. Le SAS est un mécanisme de régulation de l'accès aux premiers recours. Ceux qui l'animeront bénéficieront d'une majoration financière.

SOS Médecins peut continuer à fonctionner comme c'est aujourd'hui le cas, mais le réseau souhaitera peut-être bénéficier de la dynamique d'entraînement du SAS. Dans les départements où ce dispositif est expérimenté depuis plusieurs années, comme les Yvelines, on constate que le SAS génère une nouvelle activité concrète pour les médecins qui intègrent le système. Aussi, pour bénéficier de la majoration financière, SOS Médecins devra participer à la régulation téléphonique et effectuer des visites : nous en avons discuté avec l'association, qui en est tout à fait consciente.

Pour répondre aux enjeux de santé mentale des jeunes, nous avons déjà déployé les maisons de l'adolescence. Alors que l'objectif était d'en créer une par département, nous en comptons déjà 117 sur l'ensemble du territoire. Leur déploiement se poursuit. Néanmoins, ce dispositif n'est pas une réponse miracle. Il n'est que l'une des nombreuses mesures qui permettront de remonter progressivement la pente. Nous avons également renforcé l'offre d'accueil familial thérapeutique (AFT) ainsi que la place de la pédopsychiatrie dans les établissements. Là encore, nous devons former davantage de professionnels de la santé mentale. Ce sera sans doute l'un des enjeux du Conseil national de la refondation (CNR) en santé mentale qui se tiendra entre le 12 juin et le 3 juillet 2024, et qui, dans la foulée des Assises de la psychiatrie organisées par le Président de la République en 2021, redonnera un élan au déploiement de plusieurs dispositifs. À cette occasion sera abordée la structuration de la profession des psychologues, qui doit être mieux régulée afin de garantir le niveau de formation des psychologues ainsi que leur disponibilité sur l'ensemble du territoire.

Nous avons reçu les orthoprothésistes il y a quelques jours. Nous sommes donc bien au fait de leur demande de reconnaissance du grade de licence et de leur entrée dans les filières universitaires. Nous y travaillons conjointement avec le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. Plusieurs chantiers ont été lancés, ciblant notamment les infirmiers, les infirmiers en pratique avancée (IPA), les orthophonistes, et, bientôt, les orthoprothésistes. Nous souhaitons accélérer l'universitarisation des métiers paramédicaux, afin d'accompagner leur montée en gamme. Depuis deux ou trois ans, une vingtaine d'actes de délégation de tâches ont été pris, dans un objectif de la montée en reconnaissance de la formation de ces métiers. Ce mouvement va de pair avec les responsabilités nouvelles que nous souhaitons confier à chacune de ces professions.

Madame Le Houerou, je n'ai pas dit que tout allait bien dans le système de santé. Il existe de nombreux sujets de tension, démographiques, financiers, organisationnels. Il faut décloisonner nos organisations, trop complexes et trop rigides, et faire davantage confiance aux acteurs de terrain. À titre d'exemple, les sages-femmes sont souvent conduites à choisir d'exercer en libéral plutôt qu'à l'hôpital, car la cohabitation de ces deux modes d'exercice n'est plus possible au bout de trois ans.

Notre grand défi est d'attirer les jeunes générations vers les métiers du soin, dans les professions médicales comme paramédicales, ce qui se révèle particulièrement difficile aujourd'hui. Or pour y parvenir, nous devons offrir davantage de souplesse dans le déroulement des carrières.

La régulation de l'installation des médecins a été souvent débattue au Sénat comme à l'Assemblée nationale, y compris, récemment, lors de l'examen de la proposition de loi que j'avais défendue. Plusieurs amendements avaient été déposés à cette occasion, notamment par les députés Guillaume Garot et Philippe Vigier - ils n'ont pas été adoptés.

Il faudra poser la question de la régulation de l'installation le jour où nous aurons des effectifs de médecins en suffisance à installer sur le territoire. Or nous n'en sommes pas là. Nous sommes en période de pénurie, et les déserts médicaux représentent 85 % du territoire français. Répartir la misère des forces médicales - si je puis dire - différemment n'enrichira aucun territoire, car nous manquons de médecins partout.

Il revient à la profession elle-même de s'emparer de la question de la régulation, de manière responsable, comme l'ont fait récemment les dentistes, qui ont signé, de leur propre initiative, un accord avec l'assurance maladie pour organiser leur installation. À partir de 2026, un dentiste ne pourra plus s'installer dans un territoire où les dentistes sont déjà trop nombreux. Les pharmaciens et les infirmiers avaient mis en oeuvre un système comparable il y a quelques années.

Concernant la proposition de loi de Bernard Jomier, je laisserai son auteur en parler plus en détail.

M. Bernard Jomier. - Ce n'est pas moi qui suis auditionné !

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. - Je voulais dire que je laisserais l'auteur du texte en détailler le principe... Instaurer des normes en matière d'encadrement médical dans les services de santé ne me semble pas adapté à la réalité du système de soins, qui est celle de la pénurie. Cela ne servirait qu'à constater que nous ne sommes pas capables de mobiliser des effectifs pour répondre aux indicateurs proposés. Cela peut en revanche être un objectif à fixer en prévision du jour où les médecins formés seront suffisamment nombreux pour être répartis utilement sur le territoire. Au stade où nous en sommes, constater que l'on manque de médecins en votant des indicateurs que nous ne pourrons pas mettre en oeuvre me semble peu utile.

Mme Nadia Sollogoub. - Une grève est imminente chez les pharmaciens, ainsi que dans le secteur hospitalier privé. Alors que l'hospitalisation publique et l'hospitalisation privée devraient se compléter, on ne cesse de les opposer. La répartition des moyens humains pose désormais problème, du fait des distorsions considérables qui séparent les rémunérations du secteur public de celles du secteur privé, alors que les aides-soignants, par exemple, du secteur privé sont soumis aux mêmes contraintes que ceux du secteur public, notamment pour le travail de nuit. Une clinique privée nivernaise doit ainsi régulièrement annuler des opérations, car nombre de ses soignants ont fui vers l'hôpital public. Le problème est aussi que l'on n'a jamais formé autant d'infirmières et qu'elles n'ont jamais arrêté leur activité aussi rapidement.

Mme Patricia Demas. - Alors que plus de six mois d'attente sont nécessaires pour obtenir un rendez-vous en ophtalmologie et que les propositions de téléconsultation en ophtalmologie et de téléexpertise par les orthoptistes ne sont pas assez nombreuses ni assez mobiles pour répondre aux besoins, la téléexpertise réalisée par les opticiens serait un outil efficace pour améliorer la santé visuelle des Français. En effet, les réseaux d'opticiens couvrent l'ensemble du territoire et les opticiens de santé en mobilité peuvent intervenir auprès des publics les plus vulnérables, à domicile ou dans les Ehpad par exemple. Or, si le décret du 3 juin 2021 offre aux opticiens-lunetiers la possibilité de recourir à la téléexpertise pour l'ensemble des patients, aucune prise en charge par l'assurance maladie ne semble prévue pour cette pratique. Quel est votre avis à ce sujet ? Comment pourrions-nous améliorer l'accès aux soins pour tous, y compris pour les lunettes ?

Mme Corinne Bourcier. - Début avril dernier, la Fédération française des médecins généralistes (MG France) s'est inquiétée de l'annonce par le Premier ministre Gabriel Attal du lancement d'un dispositif expérimental de consultation directe des spécialistes, susceptible de priver les médecins généralistes de leur rôle de médecin référent. Quel est l'état d'avancement de cette expérimentation ? Quelles sont les mesures prévues pour assurer la continuité des soins ? N'y a-t-il pas un risque d'engorgement chez les spécialistes si une telle possibilité de consultation directe est mise en oeuvre ?

De plus en plus de médecins libéraux annoncent leur déconventionnement. Pas moins de cinquante médecins l'ont fait il y a quelques jours en Corse, de même qu'une quinzaine de médecins dans le Maine-et-Loire. Devons-nous craindre que ce phénomène ne gagne du terrain, ou s'agit-il de simples annonces non suivies d'effets ? Nous sommes interpellés à ce sujet dans nos départements.

Mme Céline Brulin. - Monsieur le ministre, je suis surprise que vous n'ayez pas du tout évoqué les pénuries de médicaments, d'autant que le Sénat avait créé une commission d'enquête à ce sujet qui a rendu des préconisations intéressantes. La situation s'est aggravée depuis lors. Près de 5 000 ruptures de stock ou risques de ruptures de stock sont dénombrés. Des groupes comme Biogaran envisagent d'abandonner la production de certains médicaments génériques. Certains disent que l'objectif est de faire un chantage au tarif, mais notre souveraineté risque également d'en pâtir encore davantage, dans un contexte où les patients doivent s'acquitter de franchises de plus en plus importantes, soi-disant pour les responsabiliser. Il faudrait peut-être responsabiliser aussi les industriels face aux pénuries ! La feuille de route du Gouvernement reste en deçà des mesures nécessaires. Envisagez-vous des mesures supplémentaires ? Quel travail concret votre ministère, le ministère de l'industrie et le ministère de l'économie ont-ils engagé sur le sujet particulier de Biogaran ?

Dans mon département, la Seine-Maritime, des services d'urgence ferment régulièrement faute de médecins. Plusieurs de nos concitoyens n'ont pas de médecin traitant. La médecine scolaire est indigente. Le Gouvernement a fait par ailleurs plusieurs annonces, notamment pour le développement des soins palliatifs. Les 16 000 médecins formés prévus à l'horizon 2027 ne suffiront donc pas pour répondre à l'ensemble des besoins. Comment envisagez-vous de renforcer les formations, sachant que les terrains de stage doivent aller au-delà des centres hospitaliers universitaires (CHU) ?

Quel regard portez-vous sur la réforme chaotique des parcours accès santé spécifique et des licences accès santé, dite réforme Pass-LAS ? Pas moins de 1 500 places de formation en pharmacie ne sont pas pourvues. Nous risquons d'ajouter de la pénurie à la pénurie si rien n'est fait pour y remédier.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. - Les grèves de pharmaciens annoncées sont liées à des négociations à venir avec l'assurance maladie sur la revalorisation de leurs honoraires. Peut-être faudra-t-il un jour soulever la question de la pertinence de la construction conventionnelle. En l'état actuel des choses, lorsque l'assurance maladie discute avec une profession - en l'occurrence, les médecins -, le monde s'arrête pour toutes les autres qui attendent leur tour. Il y aurait peut-être des modèles de dialogue et d'accompagnement financier plus souples à imaginer entre la Nation et les soignants. Il reste que, quand on confie de nouvelles missions aux pharmaciens, il est normal de les valoriser économiquement.

Je connais le sens des responsabilités des pharmaciens et de leurs organisations. Je ne souhaite pas que la grève perdure. Des discussions s'engageront rapidement entre la profession et l'assurance maladie. Les pénuries de médicaments ont par ailleurs des incidences sur les pharmaciens.

Les débats actuels entre l'hôpital privé et l'hôpital public découlent des choix faits par le Gouvernement dans les campagnes tarifaires, qui appliquent les mêmes critères à des business cases différents selon qu'ils concernent le public ou le privé, ces choix résultant eux-mêmes de décisions politiques difficilement contestables : mieux financer la pédiatrie, les soins palliatifs ou encore l'activité de greffe et la gynécologie-obstétrique qui souffrent d'un sous-financement historique. Les hôpitaux qui pratiquent ces activités sont mieux financés. Ce sont des choix politiques que j'assume complètement, qui produisent des résultats différenciés.

Les campagnes tarifaires étaient dues à la nécessité de financer des accords sur le travail de nuit et le travail le week-end, qui s'appliquent d'abord à l'hôpital.

Cependant, nous devons traiter de manière plus équitable tous les secteurs, public comme privé. Les gardes doivent être financées autant dans le privé que dans le public, pour ne pas donner l'impression que l'on pénalise l'un par rapport à l'autre. Les mesures de revalorisation du point d'indice des fonctionnaires lancées par Stanislas Guérini en 2022-2023 ont donné lieu à des compensations dans le secteur privé. Il n'y a pas de différence de traitement, mais certaines mesures semblent parfois bénéficier davantage au public qu'au privé. Si, pendant des années, il était plus rémunérateur pour un infirmier de travailler en clinique qu'à l'hôpital, la situation s'est inversée, particulièrement depuis le Ségur de la santé, qui a toutefois aussi bénéficié au privé.

Je suis pour la transparence. La loi Rist 1 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification prévoyait la remise d'un rapport au Parlement portant sur les écarts de rémunérations des médecins entre les secteurs public et privé. Or ce rapport n'est jamais paru. C'est regrettable. J'ai donc demandé aux services qu'il soit publié, par souci de transparence.

Dans le secteur de l'ophtalmologie, plusieurs professionnels ont gagné en responsabilités, notamment les orthoptistes, ce qui a déjà eu des conséquences notables. Selon les syndicats des opticiens, les délais d'attente ont été divisés par deux en quelques années. Si un délai de six mois reste excessif, il faut désormais 52 jours en moyenne pour obtenir un rendez-vous chez un ophtalmologue, quand ce délai était deux fois supérieur il y a trois ou quatre ans.

Concernant le décret dont vous avez parlé, madame Demas, des discussions ont eu lieu la semaine dernière au sein du Haut Conseil des professions paramédicales, qui devraient aboutir prochainement.

Je suis très défavorable au déconventionnement. Chaque médecin qui se déconventionne est un coup de canif dans le pacte social qui est le nôtre, dans notre système assurantiel, créé après la guerre, qui peut être envié, car il prend en charge l'ensemble de nos compatriotes. Il faut se battre pour que le système conventionnel perdure, donc pour que les déconventionnements - ils ont jusqu'alors concerné quelques milliers de médecins seulement - demeurent marginaux. L'effort des pouvoirs publics de 1,6 milliard d'euros pour le financement des activités des professionnels libéraux a vocation à conforter le fonctionnement du système conventionnel.

Malgré les annonces par certains de dizaines de milliers de médecins déconventionnés et les intentions de déconventionnement affichées pour faire pression sur les pouvoirs publics ou l'assurance maladie, un décalage sépare toujours, heureusement, les intentions annoncées du pas réellement franchi. Nous faisons tout pour éviter qu'il ne se réduise.

L'accès direct aux spécialistes est une expérimentation. Les départements dans lesquels elle se déploiera restent à définir. Nous construirons la méthode avec les spécialistes et les généralistes, de façon à ne pas déstructurer le système. Le Premier ministre encourage toutes les idées de simplification et de fluidification du parcours pour améliorer l'accès aux soins des Français, mais l'idée n'est pas de mettre le système sens dessus dessous. Le médecin généraliste doit rester celui qui accompagne les patients dans leur parcours de soins. Cependant, de nombreux Français se rendent déjà directement chez le spécialiste faute d'avoir un médecin traitant.

Il nous reste donc à voir comment organiser cette expérimentation. Les syndicats de médecins étaient très accaparés récemment par la discussion relative à la convention médicale. Nous travaillerons avec eux à ce sujet en temps voulu. Cette expérimentation ne vise pas à contourner le rôle du médecin traitant, mais à faciliter l'accès aux soins, dans un cadre qui reste à définir.

Les éléments relatifs à la pénurie de médicaments issus des travaux du Sénat et du rapport de la mission interministérielle lancée par Élisabeth Borne en 2023 ont été pris en compte. Une liste de 450 médicaments devant faire l'objet d'un suivi particulier a été constituée l'été dernier. Plusieurs relocalisations de productions ont été annoncées dans le cadre du plan France 2030. Par ailleurs, plusieurs laboratoires ont annoncé des relocalisations et des investissements sur le sol français à l'occasion du sommet Choose France. Sanofi mobilisera ainsi 1,1 milliard d'euros pour la production de certains médicaments en Île-de-France.

La charte d'engagement des acteurs de la chaîne du médicament a été signée par l'ensemble des acteurs du médicament afin de fluidifier la chaîne de livraison et mieux gérer les stocks. Un travail fin est réalisé, dont vous semblez considérer, madame Brulin, qu'il tarde à produire ses résultats, mais nous agissons dans le cadre d'une pénurie mondiale dont nous nous efforçons de limiter les effets autant que possible.

Nous suivons de près la situation du laboratoire de production de médicaments génériques Biogaran - le premier de France -, que le groupe Servier a décidé de vendre. Avec le ministère chargé de l'industrie, nous suivons l'évolution des discussions en cours avec un groupe français, deux groupes d'origine indienne et un groupe britannique, pour garantir la pérennité des activités de production sur le sol français et la pérennité des volumes produits. À ce stade, rien n'est encore décidé.

Enfin, concernant le sujet des études de santé, le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche veille à ajuster le système Pass-LAS pour résoudre plusieurs dysfonctionnements avérés. C'est plutôt lui qui est en première ligne sur ce sujet.

M. Laurent Burgoa. - Si les premiers chiffres de la vaccination contre les virus HPV sont encourageants à l'échelle nationale, ils sont décevants dans ma région - l'Occitanie - et préoccupants dans mon département du Gard. Envisagez-vous de lancer une campagne de communication nationale afin de sensibiliser les jeunes ? Prévoyez-vous des actions spécifiques qui seraient pilotées par l'agence régionale de santé (ARS) et l'Éducation nationale dans les départements les plus en retard ?

Mme Émilienne Poumirol. - Vous avez déclaré qu'il n'y aurait pas de grande loi dans le domaine de la santé, alors que les constats relatifs à l'organisation et à l'accès aux soins dans l'ensemble de nos territoires sont assez dramatiques. Nous aimerions a minima disposer d'un objectif et d'une feuille de route décrivant la politique de santé souhaitée dans les dix ans à venir.

Par ailleurs, vous avez affirmé à raison qu'il fallait partir des besoins territoriaux afin de déterminer le nombre de médecins et d'infirmiers à former. Accorderez-vous aux universités les moyens de former les étudiants, afin que nous puissions disposer du nombre de médecins et d'infirmiers voulu ? Il faut en particulier former des professeurs de médecine générale, qui ne sont pas en nombre suffisant.

Concernant la permanence des soins, le drame survenu en psychiatrie à Toulouse est lié à l'absence de contraintes visant à ce que les établissements privés participent à l'organisation des soins. Au-delà des réactions immédiates, ces contraintes pourraient-elles être instaurées ?

Je souhaite insister, enfin, sur la nécessité d'opérer un virage vers la prévention : le vieillissement de la population et l'augmentation des maladies chroniques menacent en effet la soutenabilité de notre système de sécurité sociale, en particulier sur le plan financier. Ce virage majeur vers la prévention doit englober la qualité de l'air, de l'eau et de l'alimentation, le sport ou encore la lutte contre l'obésité. Si ces thèmes sont intégrés dans les plans nationaux santé environnement (PNSE), ils ne sont pas traités de manière transversale, chaque ministère agissant de son côté. Quand y aura-t-il une réelle transversalité qui permette de soutenir une véritable politique de prévention pour notre pays ? Notre système est actuellement orienté à 97 % vers le curatif, et à 3 % vers la prévention : il nous faut inverser ce ratio.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Vous aviez souligné alors, en tant que président de la FHF, qu'environ 25 % des actes étaient inutiles et redondants dans certains secteurs. Vos prédécesseurs au poste de ministre de la santé ont tous pris acte de ce chiffre, mais un véritable plan d'action se fait toujours attendre dans ce domaine afin de dégager les milliards d'euros nécessaires à une politique de santé efficace et efficiente.

Sur un autre point, la Cour des comptes a évoqué des fraudes diverses et variées d'un montant compris entre 5 milliards d'euros et 10 milliards d'euros, notamment de la part des prescripteurs et des professionnels. Nous attendons toujours l'estimation de ce montant de la part de l'assurance maladie, estimation qui avait été sollicitée par le Premier ministre, Gabriel Attal, lorsqu'il était ministre des comptes publics et qu'il a renouvelée en tant que chef du Gouvernement. Pouvez-vous nous garantir que nous pourrons en disposer d'ici à l'été, ainsi qu'un vrai plan d'action consacré à la lutte contre les fraudes sociales ?

S'agissant de l'hôpital, j'ai pu constater à l'occasion d'une mission que les frais de gestion administrative sont au maximum de l'ordre de 25 % en Allemagne, alors qu'ils atteignent 33 %, voire 35 %, en France. Quand nous déciderons-nous à changer cet état de fait ? Certains hôpitaux s'y sont engagés, et je pense qu'il est possible d'agir en ce sens, même dans le cadre législatif actuel : nous n'avons pas besoin d'un nouveau texte, mais d'un effort soutenu de la part de tous les établissements.

M. Khalifé Khalifé. - Je suis persuadé que les épreuves classantes nationales (ECN), même si elles ont été modifiées récemment, sont incompatibles avec la territorialisation de la formation médicale que vous appelez de vos voeux.

Par ailleurs, je partage votre constat relatif à nos moindres performances en matière de prévention qu'en matière thérapeutique. Outre l'adhésion de la population, la prévention nécessite des moyens suffisants : il reste très difficile d'obtenir des rendez-vous pour le dépistage du cancer du sein et du cancer colorectal.

Enfin, quelle est votre feuille de route s'agissant de la répartition des maternités ? Privilégiez-vous la proximité ou les regroupements dans des mégacentres ?

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. - Nous allons lancer des campagnes de communication nationale sur la vaccination contre les HPV, en ciblant si besoin, en lien avec les ARS, les départements les plus en retard. Je souhaite vous informer que l'enseignement privé, qui s'était retiré de la campagne de vaccination à la suite d'un incident - un décès - dans un département, nous a indiqué qu'il en serait à nouveau partie prenante et qu'il communiquerait en direction des élèves sur les bénéfices de cette vaccination dès l'année prochaine. Le taux de couverture de 48 % constaté l'année dernière devrait donc progresser.

Sur un autre point, je persiste à penser que les grandes lois ne sont pas toujours utiles : elles mobilisent de l'énergie pendant des mois et des mois pour préparer le texte et organiser des concertations - sans même parler de la discussion parlementaire elle-même -, puis le gouvernement change et on passe à autre chose. Regardez le précédent de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé - loi Touraine : une fois le temps de sa mise en oeuvre venu après un long processus d'adoption, le gouvernement suivant se dessinait déjà, d'où un impact somme toute assez limité.

Contentons-nous déjà d'apporter des solutions pragmatiques et concrètes, car nous disposons déjà des outils juridiques nécessaires, ainsi que de la volonté ; reste à trouver, dans les territoires, les organisations qui répondent de manière concrète aux besoins des Français.

Nous accorderons bien les moyens requis à l'université pour atteindre l'objectif de 16 000 étudiants en deuxième année de médecine en 2027, en trouvant les terrains de stage requis, ces derniers ne se limitant pas aux services hospitaliers. Comme nous l'avons fait en portant le nombre d'étudiants de 6 000 à 10 000, nous continuerons à monter en puissance dans l'accueil des jeunes. J'ajoute que 3 600 médecins juniors seront, à l'horizon de novembre 2026, présents dans les territoires pour prendre en charge des patients aux côtés des médecins tuteurs : voilà des éléments concrets.

Concernant les contraintes visant à ce que l'ensemble des acteurs participe à la permanence des soins, je rappelle que vous avez voté la loi relative à l'accès aux soins que j'ai portée, texte qui pose clairement le principe d'une participation des établissements privés à ladite permanence. Les tableaux de permanence de soins seront mis en place, au plus tard, le 1er janvier 2025, ce qui permettra d'éviter de voir à nouveau le spectacle désolant auquel nous avons assisté avec les urgences psychiatriques de Toulouse, durant lequel les établissements privés, faute de disposer des autorisations juridiques requises, ont regardé l'établissement public se noyer seul.

Concernant les actes inutiles, nous devons aller vers une régulation plus ferme. J'ai indiqué que des objectifs collectifs figureraient dans le projet de convention médicale, afin d'aller vers une plus grande pertinence des actes pour certaines professions et spécialités : celle-ci sera mesurée et les chiffres seront rendus publics deux fois par an.

Il faudra aussi chasser certaines niches : dans un système de médecine à l'acte, la valeur de l'acte détermine parfois l'engouement en sa faveur. Il est tout à fait possible qu'un acte n'ait pas été réévalué pendant des années, alors que son coût a pu diminuer dans le même temps : il peut ainsi devenir très lucratif pour certains. Une commission mise en place il y a quelques années accélère ses travaux, de manière que l'ensemble des actes soit revu à l'aune de leur valeur économique réelle en vue de supprimer les éventuels effets de niche.

Concernant la lutte contre la fraude, nous nous situons dans le prolongement du plan annoncé par Gabriel Attal lorsqu'il était ministre des comptes publics. En 2023, nous avons détecté et empêché 466 millions d'euros de fraude à l'assurance maladie, soit un chiffre record. De nouveaux moyens y sont accordés, puisque 1 000 emplois seront dédiés à la lutte contre la fraude d'ici à 2027 dans les caisses de sécurité sociale, cette augmentation des effectifs permettant d'obtenir des résultats de plus en plus significatifs chaque année.

La répartition des maternités, ensuite, est un sujet complexe. Nous souhaitons tous des maternités en proximité, mais dans les maternités que l'on maintient, il n'est pas toujours possible de garantir la sécurité des femmes qui viennent accoucher en raison des difficultés d'organisation des gardes dans les différentes spécialités nécessaires. Il est toujours douloureux de voir une maternité fermée, mais il ne s'agit pas d'une course au gigantisme : nous avons parfois des difficultés à trouver des pédiatres ou les effectifs de réanimation permettant d'assurer une sécurité minimale. Le cas de la maternité de Guingamp, souvent cité, est emblématique : son maintien est problématique en raison d'un niveau d'activité si faible qu'il est malaisé de recruter les professionnels nécessaires. Il convient donc de procéder au cas par cas, en recherchant cet équilibre entre proximité et sécurité.

Mme Chantal Deseyne. - Monsieur le ministre, vous avez rappelé que vous étiez chargé de la prévention et nous avez présenté votre action au travers des campagnes de vaccination, mais n'avez pas dit un mot sur la prévention du surpoids et de l'obésité, alors qu'il s'agit d'un enjeu de santé majeur : 18 maladies chroniques y sont associées, tandis que l'OMS alerte régulièrement à ce sujet en évoquant une « pandémie ». Quels dispositifs entendez-vous mettre en place afin de prévenir l'obésité ?

Ma seconde question porte sur l'expérimentation des fusions des sections de soins et de dépendance votée dans le cadre du PLFSS pour 2024 : un certain nombre de départements, dont le mien, se sont portés volontaires, mais n'ont guère eu de nouvelles depuis. Pouvez-vous nous préciser les critères qui permettront de sélectionner les départements, et à quelle échéance ces derniers en seront tenus informés ? Cette expérimentation est attendue sur le terrain.

Mme Catherine Conconne. - Monsieur le ministre, si je vous prends au mot lorsque vous affirmez qu'un Français, quel que soit l'endroit où il se trouve, doit pouvoir se soigner, j'en déduis que les Martiniquais ne sont pas des Français. J'en veux pour preuve l'état lamentable dans lequel se trouve notre principal établissement hospitalier : endetté de plusieurs centaines millions d'euros, il doit répondre aux besoins d'une population d'environ 350 000 habitants, affectée par des pathologies chroniques telles que le diabète et par des cancers dus aux pesticides qui ont été largement répandus chez nous.

La situation de la Martinique est telle que le directeur du centre hospitalier universitaire de Martinique (Chum) en vient à présenter ses excuses aux malades en leur avouant qu'il ne peut pas les accepter. Cela ne peut plus durer ! Les actes opératoires se négocient ou sont déprogrammés, tandis que des traitements de radiothérapie sont reportés en raison de pannes successives du système de climatisation qui font disjoncter les appareils. Vous me rappellerez sans doute le Ségur de santé - à l'occasion duquel les parlementaires ont dû se battre pour obtenir quelques centaines de millions d'euros et permettre un minimum de remise à niveau - mais obtenir quatre sur vingt au lieu de zéro sur vingt reste une performance bien médiocre. Je précise que je ne porte pas de jugement sur les équipes dirigeantes du Chum et de l'ARS, qui se démènent pour trouver des solutions, mais nous passons du temps à poser des rustines sur cet hôpital.

Dans le service de pneumologie, il y a deux malades par chambre, mais un seul système d'oxygène, ce qui signifie qu'il faut alimenter les patients à tour de rôle. Après les nombreux rapports et enquêtes, il faut désormais donner du sens aux mots : si les Martiniquais sont bien des Français comme les autres, ils doivent pouvoir se faire soigner correctement et ne pas être régulièrement renvoyés chez eux en raison de l'impossibilité d'assurer leurs soins.

Je vous demande, monsieur le ministre, de prendre ma requête en compte face à ce désastre : si 400 millions d'euros ont été accordés à l'occasion du Ségur de la santé, ce sont 900 millions d'euros qui sont nécessaires pour reconstruire et assurer une offre de soins correcte. Comment peut-on demander à un Chum endetté à hauteur de 600 millions d'euros d'aller faire des prêts bancaires pour compléter son plan de financement ?

Je vous demande donc d'ouvrir la discussion rapidement avec la communauté médicale et les élus martiniquais, non pas pour faire une loi supplémentaire, mais afin de prendre des mesures qui permettent aux Martiniquais de ne pas mourir faute de soins ou à cause de soins bâclés faute de médecins et de médicaments. Je le dis à mes collègues : vous roulez en Rolls Royce, quand pour faire avancer la médecine à la Martinique, nous avons un vieux vélo aux pneus recouverts de rustines ! Monsieur le ministre, nous ne pourrons pas contenir, à terme, le mécontentement et l'insatisfaction des Martiniquais, et les révoltes survenues il y a quelques années pourraient se reproduire après un énième incident ou décès qui serait lié aux difficultés de prise en charge des malades martiniquais.

Mme Anne-Sophie Romagny. - S'agissant des conditions d'organisation des examens de sixième année - les examens cliniques objectifs structurés (Ecos) -, pourriez-vous nous rassurer sur la mise en oeuvre de correctifs pour les épreuves qui se dérouleront les 28 et 29 mai prochain, afin de tenir compte des problèmes rencontrés lors des examens blancs et de ne pas sacrifier cette promotion ?

Par ailleurs, le code de la santé publique n'interdit pas la vente de produits contenant de la nicotine aux mineurs et ne prévoit aucun encadrement de leur commerce : il est ainsi possible de trouver des sachets de nicotine pure sous forme de billes aromatisées. Prévoyez-vous l'interdiction de la vente de nicotine aux mineurs et l'encadrement de sa vente dans les débits de tabac ? Selon des données récentes, 11 % des 13-16 ans ont déjà consommé des perles de nicotine.

Enfin, mon département de la Marne est particulièrement concerné par le déploiement du SAS. En avril dernier, j'ai adressé à votre ministère une question mettant en exergue les sérieux problèmes causés par son application, en particulier pour la gestion de l'agenda des médecins généralistes. En effet, dans le cas où les médecins traitants conserveraient des créneaux disponibles pour leurs propres patients, ils devraient se voir systématiquement réquisitionnés pour le SAS, dispositif qui reviendrait à inverser leur charge en faveur des patients SAS au détriment de leur patientèle classique.

La situation a évolué depuis ma question, hélas ! pas dans la bonne direction. Les négociations conventionnelles tenues en mai entre les syndicats médicaux et la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) ont en effet abouti à une mouture ne prenant nullement en considération les alertes précitées. S'y ajoute la problématique de la rémunération des médecins dans le cadre du SAS, qui n'a pas été réévaluée depuis la précédente convention : en intégrant la durée de la nouvelle convention, leurs tarifs horaires ne seront pas revalorisés pendant environ dix années. Dans un contexte de démographie médicale en berne, une telle orientation n'est pas réaliste, l'ARS Grand Est m'ayant confirmé que la rémunération horaire des médecins libéraux régulateurs au sein du SAS s'élevait à 100 euros, alors que le point d'équilibre se situe, selon eux, à 120 euros.

Parallèlement, la rémunération des médecins effecteurs de soins acceptant de recevoir des patients SAS correspond à un forfait de 1 400 euros par an, à condition que le praticien accepte de rendre visible son agenda sur la plateforme numérique du SAS. Un tel fonctionnement, qui s'apparente à un lien de subordination entre les médecins libéraux et la Cnam, ne peut pas être envisagé. Dans ces circonstances, quelles solutions envisagez-vous afin de prendre en compte la réalité du travail des médecins généralistes et de ne pas décourager les volontaires ?

Mme Jocelyne Guidez. - L'hypercholestérol familial compte parmi les maladies génétiques graves les plus répandues. Quarante fois plus fréquente que la mucoviscidose, cette pathologie touche plus de 250 000 personnes en France, dont 50 000 enfants. Faute de diagnostic et de traitement, cette maladie peut entraîner de graves complications cardioneuromusculaires à un âge précoce. Ainsi, les enfants porteurs multiplient par treize le risque de connaître à l'âge adulte un accident cardioneuromusculaire, souvent avant 50 ans. Ce risque est ramené à l'âge de 12 ans pour les enfants atteints de la forme rare de la maladie.

Or aucune démarche de prévention par un dépistage simple et peu coûteux n'est à ce jour engagée. Quelles mesures envisagez-vous afin d'assurer une démarche systématique de dépistage précoce des maladies rares, et particulièrement de l'hypercholestérol familial ? Il conviendrait d'analyser la possibilité de prescrire un bilan lipidique auprès des enfants âgés de 2 à 8 ans, comme c'est le cas dans de nombreux pays en Europe.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. - L'obésité et le surpoids feront bien partie des thèmes qui seront abordés lors des Assises de la pédiatrie et de la santé de l'enfant. De la même manière, s'agissant de l'hypercholestérol familial, nous allons intensifier le dépistage au cours des jeunes années, en mettant en place un certain nombre de rendez-vous obligatoires. En renforçant le dépistage chez les jeunes, nous pourrons repérer plus tôt un certain nombre de pathologies.

Concernant les Ehpad et la fusion des sections soins et dépendance, une expérimentation est en cours. Elle est suivie par Fadila Khattabi. Cette dernière a prévu, d'ici à la mi-juin, d'annoncer la liste des départements qui seront retenus pour y participer.

Pour ce qui est de la Martinique, il me semblait que des projets de reconstruction avaient été prévus, notamment pour le centre hospitalier de la Trinité et pour l'hôpital de Fort-de-France. Je suis ouvert à une réunion consacrée spécifiquement au cas martiniquais.

Madame Romagny, des Ecos blancs ont effectivement été marqués par des dysfonctionnements. Je peux vous garantir que les enseignements ont été tirés et que des ajustements seront apportés, ce qui permettra aux épreuves des 28 et 29 mai de se dérouler le plus sereinement possible. Concernant l'interdiction de la vente de la nicotine aux mineurs, je souhaite être intransigeant sur le sujet du tabac, car il s'agit d'un véritable fléau.

S'agissant du déploiement du SAS dans la Marne, je ne vois pas pourquoi le chantier échouerait alors qu'il a été mené à bien dans 70 départements. J'ai demandé aux équipes qui supervisent le SAS sur le plan national de se concentrer sur l'accompagnement des départements dans lesquels des difficultés ont émergé. Ces dernières peuvent tenir à des problématiques de relations entre les personnes ou à des modalités de financement qui paraissent peu claires, ce qui semble être le cas dans la Marne. D'ici à mi-septembre au maximum, nous souhaitons disposer d'un SAS dans chacun des 100 départements.

M. Daniel Chasseing. - Vos annonces relatives à la territorialisation de la santé vont, selon moi, dans le bon sens, de plus grandes responsabilités devant être confiées aux paramédicaux, aux CPTS et aux maisons de santé. Ne pensez-vous pas que les IPA devraient être uniquement présents dans une maison de santé ?

Par ailleurs, je n'ai pas bien compris si les heures de nuit et de week-end accomplies dans les cliniques privées seraient revalorisées comme elles l'ont été dans les hôpitaux et les Ehpad. Qu'en est-il, en outre, de la revalorisation des actes infirmiers ?

Enfin, ne pensez-vous pas qu'il faudrait consacrer davantage de moyens à la pédopsychiatrie ? De réels problèmes se posent dans les centres départementaux de l'enfance et dans les maisons d'enfants à caractère social (Mecs), dans lesquels le nombre de lits est insuffisant pour accueillir des enfants souffrant de graves troubles du comportement.

Mme Silvana Silvani. - Je souhaite attirer votre attention sur le cas de la Meurthe-et-Moselle, département frontalier du Luxembourg. Alors que le taux d'abandon dans les écoles d'infirmiers et d'infirmières s'établit à 20 % au niveau national, il ne s'élève qu'à environ 10 % à Nancy. Les professionnels de notre département reçoivent des formations de qualité - d'un certain coût et d'une certaine durée - et vivent en France, mais exercent au Luxembourg, ce qui entraîne une pénurie supplémentaire côté français, sans qu'aucune compensation n'intervienne de la part du pays voisin.

Certes, chacun est libre de choisir son lieu de travail, mais un réel déséquilibre est à l'oeuvre, d'autant que les rémunérations luxembourgeoises sont de deux à quatre fois supérieures à celles qui sont pratiquées dans l'Hexagone. Cet écart considérable conduit certains à faire deux heures de route depuis Nancy pour aller travailler au Luxembourg, et ils ont raison. Si ce sujet ne relève pas entièrement de la compétence de votre ministère, cet échange inégal entre la France et le Luxembourg nécessiterait un travail de fond sur la valorisation de ces professionnels, afin qu'ils disposent de conditions de travail et de rémunérations à la hauteur.

À défaut de rejoindre les niveaux de rémunération offerts par le Luxembourg, nous pourrions au moins réduire l'écart, le Ségur de la santé étant très loin d'être suffisant sur ce sujet.

Enfin, je voudrais appeler votre attention sur les praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) qui tentent d'exercer en France. Ces soignants, appréciés en temps de pénurie et de pandémie, sont aujourd'hui manifestement moins attractifs. Des praticiens ayant déjà exercé se retrouvent dans une situation particulièrement dégradée, sans emploi ou avec des contrats courts. L'étape de vérification de leurs compétences est nécessaire, mais elle semble devenue un obstacle et non une garantie à l'exercice de ces praticiens. Monsieur le ministre, que pouvez-vous nous dire à leur sujet ?

Mme Solanges Nadille. - En Guadeloupe, la situation est peut-être légèrement meilleure qu'en Martinique. Nous appelons d'ailleurs de nos voeux l'inauguration d'un nouvel hôpital dès cette année.

Environ 26 000 malades et 150 000 porteurs sains sont atteints de drépanocytose, principalement en Île-de-France et aux Antilles. Certes, cette maladie a été officiellement reconnue comme une priorité de santé publique, et une journée internationale lui est maintenant consacrée le 19 juin, mais elle continue à se débattre avec son étiquette de maladie rare. Surtout, le dépistage néonatal continue de faire l'objet d'un ciblage ethnique, qui discrimine de nombreux citoyens en raison de leur ascendance africaine ou antillaise. Ce ciblage ethnique est anticonstitutionnel, et le Président de la République avait promis d'en sortir. Dans son programme de campagne en 2022, il avait aussi présenté la lutte contre cette maladie comme une priorité dans les sept années à venir, en proposant un plan de prévention et de détection. Monsieur le ministre, pourriez-vous préciser un calendrier de sortie du dépistage ethnique ? Le Gouvernement entend-il faire de la drépanocytose une cause de santé publique, avec un grand plan de prévention et de détection ? Enfin, la Haute Autorité de santé (HAS) recommande l'extension systématique du dépistage néonatal à l'ensemble de la France métropolitaine. Qu'en pensez-vous ?

Mme Laurence Muller-Bronn. - Une étude de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) publiée la semaine dernière en collaboration avec Santé publique France constate la forte dégradation de la santé mentale des jeunes femmes depuis 2020. Les résultats pointent une progression inédite des hospitalisations pour tentative de suicide ou automutilation chez les adolescentes et les jeunes femmes en 2021 et en 2022. La situation est très inquiétante : les taux d'hospitalisation dans les services de médecine, de chirurgie et de psychiatrie augmentent considérablement depuis 2021. En 2022, près de 85 000 personnes ont été hospitalisées au moins une fois en lien avec une tentative de suicide ou une automutilation ; 64% d'entre elles étaient des femmes entre 15 et 24 ans. L'étude précise que les adolescentes et les jeunes femmes sont le plus souvent hospitalisées pour des intoxications médicamenteuses volontaires, qui représentent les deux tiers de ces hospitalisations. Tous les territoires, ruraux, urbains, favorisés ou défavorisés, sont concernés par cette alerte sur la santé mentale des jeunes femmes. Les garçons, semble-t-il, s'expriment différemment, par la violence, la prise de risque ou l'alcoolisme.

Monsieur le ministre, ce constat fait partie d'alertes qui se sont multipliées depuis la période du covid. Entre 2012 et 2020, les taux d'hospitalisation pour des tentatives de suicide féminines avaient doublé ; ensuite, à la suite du covid, elles ont de nouveau doublé, mais entre 2020 et 2022. Qu'envisagez-vous de faire dans le domaine de la prévention ? Il faut prendre en compte tous les aspects sociaux et environnementaux pour soigner les angoisses de ces jeunes filles.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. - Monsieur Chasseing, les maisons de santé pluridisciplinaires sont bien sûr le lieu d'exercice idéal des IPA, car ces lieux assurent la proximité avec des médecins. Néanmoins, il ne s'agit pas du seul endroit où les IPA doivent être déployés. Je suis favorable à ce que l'on autorise leur exercice partout où cela pourrait être utile : je connais des IPA qui ont montré toute leur utilité dans des services hospitaliers. Il faut non pas contraindre les pratiques, mais les favoriser.

Je me suis engagé à revaloriser les actes infirmiers. Ce chantier nous amènera à réfléchir en deux temps. Il faut tout d'abord repositionner le rôle et la place des infirmiers, ce pour quoi une avancée législative sera sans doute nécessaire. Aujourd'hui, cette profession est définie par les actes qu'elle a le droit de faire, ce qui n'est pas très valorisant au regard du rôle concret des infirmiers dans le système de santé. Il faut définir leur place, créer et reconnaître la consultation de soins infirmiers et poser une reconnaissance de leur profession, avant, dans un deuxième temps, à l'automne, de préciser la revalorisation économique des actes de cette profession. Avant la fin de l'année, des discussions seront ainsi ouvertes avec la profession au sujet de cette revalorisation. Les principaux actes n'ont pas été revalorisés depuis 2006, mais des discussions conventionnelles ont permis un meilleur accompagnement financier des infirmiers, notamment en 2019 et en 2020.

Par ailleurs, au sujet des heures de nuit, je suis favorable à ce que l'on garantisse progressivement l'équité de traitement entre les cliniques et l'hôpital public.

Madame Silvani, les infirmiers sont effectivement l'objet d'une concurrence transfrontalière avec le Luxembourg, la Suisse ou encore l'Allemagne, mais nous ne pouvons pas fermer les frontières pour autant. Il faut peut-être en effet permettre davantage de liberté et de souplesse dans la rémunération dans certains territoires pour lutter contre ce phénomène. C'est par l'attractivité des métiers que nous pourrons y répondre.

Nous faisons radicalement évoluer le cadre d'exercice des Padhue pour mettre fin à un système dans lequel ces praticiens, au sein des services hospitaliers, se situaient dans une zone grise, avec des rémunérations bien inférieures à celles de leurs collègues et un statut juridique indigne de la reconnaissance que nous devions à l'apport de ces professionnels.

Fin 2023, nous avons déjà régularisé près de 3 000 Padhue via des concours. C'est cinq fois plus qu'en 2018. Aujourd'hui, un peu moins de 6 000 Padhue sont encore en attente de régularisation. Diverses dispositions de la loi visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels doivent répondre à leur situation. Le texte faisait de 2024 l'année charnière avant de basculer vers un système simplifié en 2025. Il prévoyait notamment l'interdiction de l'intérim en début de carrière, afin de maintenir prioritairement les Padhue attachés à chacun des établissements. Quelque 1 000 postes supplémentaires seront créés cette année, soit une augmentation de 25 %. Le statut des Padhue a également été clarifié.

L'année 2025 sera celle de la refonte définitive du système. Il n'y aura plus de concours national. Les commissions internes aux groupements hospitaliers de territoire (GHT) valoriseront et reconnaîtront le rang et la qualité des Padhue.

Nous allons suivre les recommandations de la HAS sur la drépanocytose. Vendredi, à l'occasion des Assises de la pédiatrie, j'annoncerai la généralisation du dépistage dans les prochains mois.

Concernant la santé mentale, vous avez totalement raison. L'étude que vous avez citée décrit une réalité effrayante, que nous devons prendre en compte. Nous présenterons plusieurs propositions dans le cadre du CNR de la santé mentale. Cependant, le Gouvernement a déjà pris certaines mesures. Outre le déploiement des maisons de l'adolescence, je veux citer l'ajustement du dispositif « Mon soutien psy », qui donne accès à des consultations en santé mentale gratuites. Là encore, ce n'est pas l'unique réponse, mais l'un des outils pour répondre à ce problème.

L'ajustement de ce dispositif repose sur l'augmentation du nombre de séances gratuites - qui passe de 8 à 12 - et de professionnels susceptibles de prendre en charge les patients, et, surtout, sur un meilleur financement des consultations afin de rendre plus attractive, tant pour les psychiatres que pour les psychologues, la participation au dispositif. Au travers de ces trois leviers, celui-ci gagnera en efficacité pour apporter une première réponse à des situations d'urgence, qui, sans cela, risqueraient de s'aggraver, comme c'est le cas aujourd'hui.

M. Philippe Mouiller, président. - Monsieur le ministre, je vous remercie pour ces deux heures et demie d'audition.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 h 25.

Mercredi 22 mai 2024

- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -

La réunion est ouverte à 10 h 05.

Proposition de loi ouvrant la possibilité de concilier une activité professionnelle avec la fonction d'assistant familial - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Philippe Mouiller, président. - Nous examinons le rapport et le texte de la commission sur la proposition de loi ouvrant la possibilité de concilier une activité professionnelle avec la fonction d'assistant familial, déposée par Xavier Iacovelli.

Ce texte sera examiné en séance mercredi 29 mai, au sein de la niche du groupe RDPI.

Mme Solanges Nadille, rapporteure. - Ce texte a pour objet de permettre aux agents publics d'exercer en plus le métier d'assistant familial.

Les assistants familiaux chargés d'accueillir des mineurs et des jeunes de moins de 21 ans à leur domicile sont des acteurs essentiels de la protection de l'enfance. Ils constituent l'un des tout premiers modes d'accueil des enfants de l'aide sociale à l'enfance (ASE) et permettent de répondre aux besoins de stabilité, d'encadrement et de sécurité de ces enfants. Selon les chiffres de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), fin 2021, 74 700 jeunes, soit 40 % de l'ensemble des jeunes confiés à l'ASE dans l'Hexagone, étaient hébergés en famille d'accueil. Cette prépondérance du mode d'accueil familial est tout aussi vraie en outre-mer : les assistants familiaux réalisent plus de 60 % des accueils de l'ASE en Guadeloupe.

La profession connaît toutefois une démographie déclinante en raison d'une pyramide vieillissante des âges et d'un défaut d'attractivité à l'embauche. En 2021, on comptait 38 000 assistants familiaux, à 90 % des femmes, avec un âge médian de 55 ans. Dans un rapport paru en novembre 2020, la Cour des comptes alertait déjà sur la forte tension démographique qui pesait sur le métier d'assistant familial. En moyenne, les effectifs d'assistants familiaux diminuent chaque année de 1,4 % depuis 2017. Cette situation varie bien entendu selon les départements. Certains territoires, du fait de leur particularité, sont plus épargnés. Je pense ainsi au département de la Guadeloupe, dont les responsables, lors des auditions, m'ont indiqué n'avoir aucun problème de recrutement et le projet d'accroître de 100 postes le nombre d'assistants familiaux d'ici à 2028. Toutefois, beaucoup d'autres territoires ne sont pas dans cette situation. Certains départements, comme ceux des Hauts-de-France, qui recourent historiquement davantage aux assistants familiaux, sont en première ligne. Ainsi, le Pas-de-Calais a vu ses effectifs d'assistants familiaux décroître de 2 100 professionnels en 2019 à 1 700 en 2024.

La crise d'attractivité que connaît le métier d'assistant familial dans notre pays constitue donc un véritable enjeu de politique publique auquel le Parlement a souhaité apporter des réponses, en adoptant le 7 février 2022 la loi relative à la protection des enfants. Toutefois, comme l'avait noté notre ancien collègue Bernard Bonne dans un rapport adopté par notre commission en juillet 2023, cette tendance n'a, jusqu'à présent, pas été inversée. Les acteurs doivent encore pleinement s'approprier de nombreuses mesures de cette loi.

Parce qu'il est nécessaire d'agir pour créer un choc d'attractivité en faveur du métier d'assistant familial, la proposition de loi déposée par Xavier Iacovelli autorise les agents publics à concilier cette activité avec celle d'assistant familial. Actuellement, le code de l'action sociale et des familles ne permet qu'aux seuls assistants familiaux de droit privé, généralement salariés d'une association, de cumuler, dans le silence de leur contrat de travail, un second métier relevant du secteur privé.

Permettre aux agents publics de devenir famille d'accueil avait déjà été évoqué lors des concertations tenues en amont de la loi précitée, ainsi que lors des débats au Parlement sur cette loi, mais sans aboutir. Il me paraît nécessaire aujourd'hui que le législateur s'engage dans cette évolution.

Si ce texte n'a pas pour ambition d'apporter une solution unique aux problématiques que je viens d'évoquer, il agit toutefois sur un point précis en levant le frein juridique actuel, qui ne permet pas à un agent public, peu importe sa quotité de travail, de cumuler cet emploi public avec un emploi d'assistant familial. En effet, le statut de la fonction publique veut que l'agent public se consacre entièrement à son métier, sauf dérogations spécifiquement prévues ou encadrées par la loi. Cela empêche concrètement des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) exerçant sur un emploi à temps non complet de quelques heures par semaine d'être recrutés par un département pour héberger un enfant confié à l'ASE.

À cette description du droit existant, il faut ajouter que le code général de la fonction publique n'interdit théoriquement pas la conciliation d'un emploi public à temps non complet avec la fonction d'assistant familial dans le cas où cette dernière est exercée en tant que salarié d'une personne morale de droit privé. Enfin, il convient de rappeler que la loi permet déjà à tous, notamment aux agents publics, d'accueillir un enfant confié à l'ASE dans le cadre de l'accueil dit « durable et bénévole ». Ce type d'accueil ne peut toutefois pas concerner des enfants relevant d'une mesure d'assistance éducative, c'est-à-dire d'une mesure prise par le juge en vue d'un placement.

Dans ce cadre complexe qui ne peut être satisfaisant, l'article 1er modifie les règles de cumul d'emplois des agents publics afin d'assouplir le régime leur permettant d'exercer également la profession d'assistant familial. Il modifie pour cela les articles L. 123-5 et L. 123-7 du code général de la fonction publique. Il instaure deux régimes juridiques selon que l'agent public exerce sur un emploi à temps non complet ou à temps complet. Dans le premier cas, le cumul serait ouvert sur simple déclaration auprès de l'autorité hiérarchique. Dans le second, il ne pourrait se faire qu'à « titre accessoire » et après autorisation de l'autorité hiérarchique. La coexistence de ces deux régimes de cumul peut créer une complexité administrative supplémentaire.

C'est pourquoi je présenterai un amendement visant à ne permettre l'exercice de l'activité d'assistant familial que sous un régime d'autorisation préalable de l'autorité hiérarchique. En outre, cet amendement prévoit de renvoyer à un décret l'encadrement de ce cumul d'activité. Toutefois, afin de ne pas créer de rupture d'égalité entre les agents publics et les salariés de droit privé, cet encadrement par décret concernerait toute situation de cumul d'activité, quelle que soit la seconde activité professionnelle exercée.

L'article 2 encadre l'assouplissement de la possibilité de concilier un emploi public et la fonction d'assistant familial en prévoyant que, dans ce cas, l'agrément n'autorise l'accueil que d'un seul mineur âgé d'au moins trois ans et relevant de la protection de l'enfance. Par ailleurs, l'article précise que l'assistant familial bénéficie d'une formation dont la durée ne peut être inférieure à soixante heures, dans une période de six mois après obtention de l'agrément.

Pour rappel, tout exercice du métier d'assistant familial est soumis à l'obtention d'un agrément, attribué par le président du conseil départemental, valable cinq ans et renouvelable sur demande après examen du dossier. Cet agrément précise le nombre d'enfants que l'assistant familial est autorisé à accueillir. Quel que soit son statut, l'assistant familial doit conclure un contrat de travail avec son employeur précisant les conditions d'accueil des enfants et le nombre d'enfants accueillis.

Comme j'ai pu le constater au cours de mes auditions, chaque accueil d'enfant est unique et répond à des spécificités qui, à mon sens, ne peuvent être prévues par la loi. Il faut encadrer, mais également faire confiance aux territoires et aux acteurs pour répondre au mieux aux besoins des enfants. En lieu et place d'une détermination des modalités d'accueil au niveau législatif, il est préférable de renvoyer à un décret le soin de fixer les conditions qui permettront l'exercice satisfaisant de la profession d'assistant familial dans le cas d'un cumul d'activités. Le premier amendement que je vous proposerai prévoit cette détermination par le pouvoir réglementaire au sein de l'article 1er de la proposition de loi.

Enfin, au regard de la réalité et de la complexité de ce métier, il n'apparaît pas pertinent de prévoir une formation plus courte pour les agents publics souhaitant cumuler leur métier avec celui d'assistant familial. Il ressort de mes auditions qu'il est important, pour garantir la même qualité d'accueil chez les assistants familiaux, que tous ces professionnels bénéficient de la même formation de 240 heures et suivent également le stage préparatoire prévu par la loi avant le premier accueil d'enfant.

C'est pourquoi je vous présenterai un amendement de suppression de l'article 2 en coordination avec mon premier amendement.

Je vous invite à adopter cette proposition de loi ainsi modifiée qui permettra d'élargir les possibilités de recrutement des assistants familiaux.

Il me revient, enfin, de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Je considère que celui-ci inclut des dispositions relatives aux conditions de cumul d'emploi des assistants familiaux et aux conditions d'exercice de la profession d'assistant familial. En revanche, j'estime que ne présenteraient pas de lien, même indirect, avec le texte déposé, des amendements relatifs au statut général de la fonction publique à l'exception des modalités de cumul d'un emploi public avec la profession d'assistant familial ; aux prestations d'aide sociale à l'enfance ou aux mesures d'assistance éducative ; aux modes de prise en charge des enfants confiés à l'ASE autres que l'accueil par un assistant familial ; à la gouvernance ou au pilotage de la protection de l'enfance.

Il en est ainsi décidé.

M. Xavier Iacovelli, auteur de la proposition de loi. - Merci à Mme la rapporteure pour son travail sur cette proposition de loi, qui, malheureusement, ne révolutionnera pas la protection de l'enfance, mais qui a pour objet de proposer des solutions concrètes. On sait qu'il faut avancer par petits pas pour améliorer les conditions de travail des professionnels de la protection de l'enfance, et surtout l'accueil des enfants confiés à l'ASE. Alors que l'accueil familial doit être promu, en huit ans, sa proportion est passée de 50 % à 40 %, et la pyramide des âges nous laisse à penser que d'ici à cinq ans, on aura de vraies difficultés à accueillir les enfants - même si certains territoires, comme la Guadeloupe, ont plus de facilité à recruter. Ce métier pâtit d'un vrai manque d'attractivité, en raison de son statut et de ses conditions de travail.

Cette proposition de loi n'a pas pour objet d'améliorer le statut d'assistant familial, mais d'en accroître le vivier de recrutement. La loi Taquet de 2022 a créé le droit au répit des assistants familiaux, que nous avons tous soutenu, mais qui ne peut pas être mis en place par manque d'assistants familiaux. Il faut que certains puissent devenir des relais. C'est ce que permettrait l'ouverture du cumul d'emplois à la fonction publique, soit en accroissant l'accueil des enfants les moins en difficulté, chez quelqu'un qui travaille, comme n'importe quel parent, soit en améliorant le relais, et donc le droit au répit des assistants familiaux. Elle permettra aussi de diversifier le cadre d'accueil de ces enfants en l'ouvrant à de nouveaux profils, ce qui à mon sens peut être bénéfique dans leur expérience de vie.

Je suis tout à fait d'accord avec les amendements de la rapporteure, qui simplifient et clarifient cette proposition de loi, en renvoyant les modalités d'application au décret. Dans ma rédaction initiale, j'estimais que la possibilité de cumul devait être réservée aux enfants de plus de 3 ans qui ne soient pas porteurs de handicap, en la limitant à un seul enfant, pour un accueil de qualité. Renvoyer ces modalités au décret, en lien avec l'Assemblée des départements de France (ADF), peut être intéressant. J'avais aussi proposé 60 heures minimum de formation : dans nos départements, l'agrément est accordé après une formation initiale de 60 heures, tandis que le reste des 240 heures de formation se fait tout au long de l'exercice de la profession. Le renvoi à un décret me convient.

J'espère que vous voterez cette proposition de loi.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Merci à la rapporteure et à l'auteur de cette proposition de loi bienvenue. On ne parle jamais assez de la protection de l'enfance. Certes, ce texte ne révolutionnera pas les choses, mais il gomme une injustice et nous permet de parler de ce métier. Je le soutiens totalement.

Les assistantes familiales sont plus ou moins nombreuses, et plus ou moins soutenues, selon les départements. Certains les soutiennent bien en matière de rémunération, ou d'indemnité d'entretien, d'autres un peu moins. Par ailleurs, il n'y a pas que le soutien financier ou matériel qui varie mais également la considération accordée aux personnes qui exercent ce métier.

On évoque le plus souvent le manque de soutien et d'accompagnement tout au long de la prise en charge des enfants. Le secteur de l'aide sociale à l'enfant est en crise, disons-le !

Selon les départements, il existe une mosaïque de soutiens à cette profession, et l'on constate pourtant une réelle baisse des effectifs. Ainsi, l'an dernier, il n'y a eu qu'une quinzaine de recrutements dans mon département et il est très difficile de fidéliser les assistants familiaux. Le répit est un moyen de leur accorder du temps pour souffler et, surtout, de permettre à l'enfant de sortir d'un cadre unique d'accueil. C'est la raison pour laquelle j'avais proposé cet amendement, retenu dans la loi du 7 février 2022, créant un droit au répit. Le rapport au travail a changé dans tous les domaines et cela vaut aussi pour les assistants familiaux. Le manque de soutien et la complexité des situations aggravent leur mal-être.

En matière de formation, il faut qu'elle soit la même pour tous ceux qui exercent le même métier.

Il reviendra aux professionnels de l'ASE de se prononcer sur le profil des enfants qui pourraient être concernés par les nouvelles mesures. En effet, pour l'instant, une évaluation initiale permet de déterminer ce que sera le parcours de l'enfant autour d'un projet construit pour lui. Nous pouvons toutefois regretter que, dans de nombreux départements, ce projet reste inabouti, les professionnels de l'ASE étant souvent surchargés. Nous soutiendrons ce texte.

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Nous avançons à petits pas, mais en ajoutant des petits pas les uns aux autres, on ne fait pas forcément un grand pas. Nous aurions besoin d'une loi globale sur la protection de l'enfance, et nous l'appelons de nos voeux. En effet, la situation se dégrade : quelque 74 700 mineurs sont placés, 341 000 jeunes font partie du dispositif de protection de l'enfance et les assistants familiaux sont en nombre insuffisant.

Dans le département du Pas-de-Calais, nous recensons plus de 7 000 enfants placés, dont un nombre important en situation de handicap, ce qui met l'ASE en difficulté.

En 2021, la moitié des assistants familiaux avait 55 ans ou plus et un quart de la profession était âgée de plus de 60 ans. Je tiens à redire la volonté de notre groupe d'examiner une grande loi sur la protection de l'enfance.

Que réglera le texte que nous examinons ? Permettra-t-il de faire face à la pénurie ? Les assistants familiaux, qui nous interpellent régulièrement, déplorent que leur métier ne soit pas assez valorisé et soit très peu reconnu. Dans les départements, ce sont les seuls salariés qui ne peuvent pas prétendre au statut de la fonction publique territoriale, même s'ils ont exercé leur métier pendant vingt, trente ou quarante ans. Ce métier est donc à part.

Vous proposez d'ouvrir la possibilité de cumuler l'exercice d'un temps partiel de la fonction publique avec un emploi d'assistant familial. Ce type de cumul se pratique déjà dans le privé. Est-ce une bonne idée ? Le métier d'assistant familial s'exerce à part entière, de jour comme de nuit. Les assistants familiaux souhaitent que nous rendions leur métier plus attractif par une revalorisation salariale et par une meilleure reconnaissance. Ils souhaitent que leurs revendications aboutissent : un week-end de repos par mois, une prime d'installation pour l'équipement, notamment pour la puériculture, et une majoration pour les jours fériés.

Nous ne voterons pas contre cette proposition de loi, qui constitue un tout petit pas en avant, mais nous considérons qu'elle n'est pas à la hauteur des revendications et des besoins des assistants familiaux. Par conséquent, nous nous abstiendrons.

Mme Marion Canalès. - Les assistantes familiales sont dans une situation douloureuse. Ce texte vise à pallier un manque, mais la protection de l'enfance n'a pas forcément besoin d'une nouvelle réforme. La cathédrale normative des lois de 2007, de 2016 et de 2022, avec ses 131 articles, suffit amplement. Il reste toutefois à exécuter ces mesures, car les décrets d'application ne sont pas toujours publiés.

Mme la rapporteure a mentionné un décret qui viendrait encadrer le cumul d'activités, mais je rappelle qu'il a fallu attendre dix-huit mois pour mettre en oeuvre la mesure de la loi Taquet portant sur le tiers de confiance, alors qu'il s'agissait précisément d'alléger la pression pesant sur les assistantes familiales. Le tiers de confiance ne représente que 7 % des accueils en France, contre 60 % dans d'autres pays. Il y a une certaine habitude à reporter toutes les mesures devant être prises par décret, surtout en matière de protection de l'enfance. De même, il a fallu deux ans d'intervention transpartisane pour interdire les placements à l'hôtel.

La pratique des assistantes familiales est non visible, non audible, et non incluse dans les parcours d'accueil. Le métier manque de reconnaissance et sa pénibilité reste ignorée. À cela s'ajoutent un manque d'attractivité et une absence de recherche, notamment en innovation sociale, pour faire évoluer les pratiques professionnelles en réinventant le rôle des travailleurs sociaux au sein de l'équipe qui se déploie autour de l'enfant.

L'idée de favoriser « la diversité des expériences pour les jeunes protégés », comme il est mentionné dans l'exposé des motifs de ce texte, laisse entendre que les familles d'accueil pourront être un peu différentes, dès lors que des fonctionnaires pourront exercer comme assistants familiaux. Toutefois, une commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance est en cours à l'Assemblée nationale et le Comité de vigilance des enfants placés s'est exprimé à de multiples reprises, notamment lors des auditions qui ont eu lieu hier. Je ne suis pas certaine que ce soit un atout pour l'enfant que de changer six fois de famille d'accueil. Je connais l'attention que l'auteur de cette proposition de loi porte à mettre l'enfant au coeur de la politique de protection de l'enfance mais il faudrait corriger cette maladresse en vue de la séance.

Le sujet des assistants familiaux est verrouillé dans certains de ses aspects. Ainsi, le décret d'encadrement des personnels dans les établissements, prévu dans le cadre de la loi Taquet, n'a toujours pas abouti deux ans après l'adoption du texte. Les verrous sont sans doute au niveau des départements et des associations. Je crains que les dispositions que nous voterons ne soient jamais mises en application. Si l'intention de l'auteur du texte est louable, le levier n'est pas le bon, et il faudrait davantage s'attacher à ce que les lois sur la protection de l'enfance soient appliquées. Nous ne voterons pas contre ce texte, mais nous nous abstiendrons.

Mme Laurence Muller-Bronn. - Certes, nous avançons à petits pas, mais je crois que deux petits pas font toujours un grand pas, et c'est une manière d'avancer.

Les services départementaux que j'ai pu interroger en tant que conseillère départementale perçoivent l'aspect positif de cette proposition de loi. Certes, le texte ne vise qu'une minorité de personnes, mais il offre des possibilités supplémentaires. En Alsace, 30 % des enfants placés ont des notifications de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) et leurs relations familiales sont compliquées. Prévoir des possibilités supplémentaires pour les accueillir ne peut être que bienvenu.

La reconnaissance financière ne suffit pas à revaloriser le métier d'assistant familial. En autorisant l'exercice d'un emploi à temps partiel quand on accueille un enfant, on donnera aux assistants familiaux la possibilité d'exercer leur activité de manière durable en se donnant le temps de souffler.

J'ai déposé deux amendements, rédigés en collaboration avec les Départements de France, qui visent à assouplir les critères pour favoriser l'accueil d'enfants de moins de trois ans, si cela est nécessaire, et pour éviter de séparer des fratries.

Le choix de passer par décret est étonnant. Cela voudrait dire que cette proposition de loi n'a pas lieu d'être. Le décret ne garantira rien ; mieux vaut légiférer.

Mme Jocelyne Guidez. - Je voterai cette proposition de loi. Je connais bien le métier d'assistant familial pour l'avoir exercé en accueillant un enfant, lorsque j'étais maire de ma commune. D'ailleurs, il me semble que pour bien s'occuper d'un enfant, mieux vaut n'en accueillir qu'un seul, surtout si l'on travaille. J'ai exercé le métier d'assistant familial pendant trois ans et je peux dire combien il a été difficile de voir partir l'enfant que l'on a accueilli au terme de cette période

La formation est essentielle, tout comme le répit, car les enfants placés ont souvent vécu des situations difficiles qui pèsent sur la famille d'accueil au travers des réactions qu'ils peuvent avoir.

Au Sénat, nous allons souvent par petits sauts, ce qui est toujours mieux que rien.

.

Cette petite proposition de loi constitue aussi une petite avancée.

Mme Marie-Claude Lermytte. - Nous avons tous parlé du « métier » d'assistant familial, et c'est bien de cela qu'il s'agit. Il requiert une attention de tous les instants d'autant que, au fil des années, les cas complexes se multiplient. J'ai exercé comme assistante sociale pendant trente-cinq ans dans le département du Nord et j'ai pu constater que les placements en urgence étaient fréquents. Il n'y a pas de place idéale pour un enfant. La plupart du temps, des assistants familiaux qui s'occupent de deux ou trois enfants doivent en accueillir un quatrième ou un cinquième. Le nombre de placements croît et les situations sont de plus en plus particulières. Dans ces conditions, exercer une autre activité en plus de ce métier me semble difficile.

Déontologiquement, le texte risque de poser problème quant à l'agrément et aux relations que les assistants familiaux entretiendront avec les travailleurs sociaux référents. Ils risquent d'être mis en difficulté. Le décret pourra y remédier.

Enfin, il n'y a pas d'âge idéal pour les enfants accueillis. Toutefois, si l'enfant a moins de trois ans, il faudra aussi qu'il soit inscrit en crèche dans le cas où l'assistant familial exerce une autre activité. En outre, dans ces conditions, il est plus raisonnable de se limiter à l'accueil d'un seul enfant, car il s'agit d'un métier à part entière.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Il faut revenir à la source. L'objectif avec cette loi est d'accroître quantitativement le vivier de recrutement des assistants familiaux à tout prix et à moindre prix. Je me félicite de la suppression de la disposition visant à imposer une formation antérieure et limitée à 60 heures plutôt qu'une formation de 240 heures. En effet, les départements reportent toujours les heures de formation. Toutefois, à combien estime-t-on les effectifs concernés ? Il me semble, en effet, que cela ne suffira pas à répondre à la crise d'attractivité de la profession.

Les départements ont besoin d'assistants familiaux à temps complet et c'est dans ce champ qu'il faut développer l'attractivité. Qu'entend-on par « temps non complet », sinon des temps partiels subis de la fonction publique qui souffrent d'une certaine précarité ? Il n'est pas bon de faire du métier d'assistant familial un métier d'appoint, alors qu'il s'agit d'un métier à part entière.

Ce texte constitue un petit pas, certes, mais allons-nous dans la bonne direction ? Si nous résolvons le problème de manière quantitative, mais pas qualitative, cela ne servira à rien. Nous ne souhaitons pas bloquer l'avancée de cette proposition de loi, mais, en l'état, nous ne pouvons pas non plus y être favorables. Nous nous abstiendrons donc.

Comment les départements jugent-ils la qualité de l'accueil de ceux qui exercent un métier à temps partiel dans le privé et qui sont aussi assistants familiaux ?

Mme Catherine Conconne. - Je soutiendrai cette proposition de loi, car je crois aux petits pas et je citerai en ce sens Aimé Césaire : « Un pas, un autre pas, encore un autre pas et tenir gagné chaque pas ! »

En Martinique, il y a une pénurie totale d'assistants familiaux. Si cette proposition de loi permet d'ouvrir le champ à la fonction publique, cela permettra de gagner 100, 200, voire 300 assistants familiaux supplémentaires - ce sera forcément un bénéfice.

Ce texte me paraît pragmatique et concret même s'il ne fait pas la révolution dans le monde de l'ASE. Il ouvrira le champ des possibles aux départements.

Mme Solanges Nadille, rapporteure. - Ce ne sera peut-être pas le grand soir, mais nous ferons un pas dans le bon sens.

Madame Doineau, il faut en effet faire confiance aux territoires. Les départements souhaitent renforcer l'attractivité du métier d'assistant familial en ouvrant le champ des possibles et en évitant de trop cadrer le dispositif.

Madame Apourceau-Poly, certes, il faut une loi globale sur la protection de l'enfance, mais en juillet 2023, la commission avait déjà estimé qu'il valait mieux commencer par appliquer les dispositions votées dans le cadre de la loi de 2022. Le présent texte vise à répondre à un blocage législatif précis qui a été identifié.

La profession d'assistant familial demande une grande disponibilité, mais selon la situation concrète de l'enfant accueilli et celle de l'assistant familial, il est possible de la concilier avec une autre activité. L'appréciation des situations reviendra aux employeurs des assistants familiaux et les départements seront chargés de la gestion du dispositif.

Madame Canalès, la loi du 7 février 2022 prévoit l'intégration complète des assistants familiaux dans l'équipe socio-éducative. Les départements doivent encore travailler à rendre effective l'application de cette mesure.

Le Gouvernement s'est engagé à prendre le décret nécessaire pour l'application de la présente loi, si elle est adoptée. Il reviendra à notre commission d'être vigilante sur la réalité de cette application, comme nous l'avons fait pour la loi de 2022.

Madame Muller-Bronn, cette proposition de loi n'est pas inutile, car elle lève le verrou législatif du cumul de l'emploi public. L'encadrement des conditions de ce cumul est le seul point qui est renvoyé à un décret.

Nous n'avons pas d'estimation sur le nombre de candidats susceptibles de se manifester. Toutefois, nous savons que des candidatures restent bloquées à cause de l'interdiction de cumul. Les départements estiment que ce texte facilitera le recrutement de profils intéressants, comme, par exemple, des travailleurs sociaux, des infirmiers ou des AESH.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

Mme Solanges Nadille, rapporteure. - L'amendement COM-3 vise à simplifier et à élargir le dispositif initial de la proposition de loi.

Premièrement, il est proposé de prévoir une dérogation au statut de la fonction publique dans le code de l'action sociale et des familles afin de permettre aux agents publics d'exercer, à titre accessoire, l'activité d'assistant familial sur autorisation de leur autorité hiérarchique. Cette dérogation serait plus simple en ne distinguant plus le cas des agents publics à temps incomplet de ceux à temps complet.

Deuxièmement, l'amendement prévoit que les conditions de cumul d'activité d'un assistant familial sont précisées par décret. D'une part, les conditions pourront être fixées après concertation des acteurs, ce qui permettra de prendre en compte les spécificités propres à chaque situation. D'autre part, ce décret fixera les conditions de cumul avec un emploi public comme privé, pour éviter toute rupture d'égalité.

L'amendement COM-3 est adopté.

L'article 1er est ainsi rédigé.

Article 2

Mme Solanges Nadille, rapporteure. - L'amendement COM-4 vise à supprimer l'article 2 en coordination avec le premier amendement présenté.

Il apparaît trop rigide de fixer dans la loi les conditions de cumul d'emplois, à savoir l'accueil d'un seul enfant, âgé d'au moins trois ans. Les situations peuvent être très diverses. Cependant, pour garantir le respect de l'intérêt des enfants, il apparaît préférable d'encadrer par décret les conditions de cumul qui seront applicables sur le terrain. Cette solution plus souple a été présentée dans l'amendement que nous venons d'adopter.

En outre, l'article 2 prévoit que les assistants familiaux occupant par ailleurs un emploi public bénéficient d'une formation ne pouvant être inférieure à soixante heures dans une période de six mois après l'obtention de l'agrément. Cette disposition déroge au droit commun qui prévoit une obligation de 240 heures de formation et un stage préparatoire devant être réalisé avant le premier accueil.

Il ressort des auditions qu'il est préférable que les personnes conciliant leur emploi public avec le métier d'assistant familial bénéficient d'une formation complète afin de garantir les mêmes conditions de sécurité pour l'accueil des enfants.

L'amendement COM-4 est adopté. En conséquence, les amendements COM-1 et COM-2 deviennent sans objet.

L'article 2 est supprimé.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

TABLEAU DES SORTS

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1er

Mme NADILLE, rapporteure

3

Ouverture de la possibilité de concilier un emploi public avec la profession d'assistant familial et encadrement des conditions de cumul par un décret

Adopté

Article 2

Mme NADILLE, rapporteure

4

Suppression de l'article

Adopté

Mme MULLER-BRONN

1

Suppression de la borne d'âge de trois ans pour les enfants accueillis par les assistants familiaux en cumul d'emploi

Satisfait ou sans objet

Mme MULLER-BRONN

2

Possibilité pour les assistants familiaux en cumul d'emploi d'accueillir un ou deux enfants confiés à l'ASE

Satisfait ou sans objet

Proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en oeuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Philippe Mouiller, président. - L'ordre du jour appelle maintenant l'examen du rapport et du texte de la commission sur la proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en oeuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre, déposée par Jacqueline Eustache-Brinio et plusieurs de ses collègues. Ce texte sera examiné en séance, mardi 28 mai.

M. Alain Milon, rapporteur. - Cette proposition de loi, vous le savez, a fait couler beaucoup d'encre ces dernières semaines. Elle comporte deux volets que nous devrons, il me semble, mieux distinguer : l'encadrement de la prise en charge médicale des mineurs présentant une dysphorie de genre, d'une part, l'amélioration de la situation délétère de la pédopsychiatrie dans notre pays, d'autre part.

Commençons par la prise en charge des mineurs, puisque ce sujet a concentré l'essentiel des débats. Qu'est-ce que la dysphorie de genre et pourquoi le législateur pourrait-il juger nécessaire d'en encadrer la prise en charge ?

Les définitions internationales de la dysphorie de genre ont évolué ces dernières années, dans le sens d'une progressive « dépsychiatrisation ». La onzième révision de la Classification internationale des maladies (CIM), publiée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), a exclu l'incongruence de genre des troubles mentaux, de la personnalité et du comportement pour l'intégrer aux affections liées à la santé sexuelle. Elle la définit comme « une incongruité marquée et persistante entre le genre auquel une personne s'identifie et le sexe qui lui a été assigné » à la naissance. Lorsque cette incongruence de genre induit souffrance et détresse, une dysphorie de genre peut être diagnostiquée.

Il est difficile d'estimer la prévalence de la dysphorie de genre en France. Toutefois, des données médico-administratives existent et laissent apparaître une forte croissance du nombre de personnes prises en charge ces dernières années : entre 2013 et 2020, le nombre de personnes en affection de longue durée (ALD) pour « transidentité » a été multiplié par dix pour approcher, désormais, 9 000. Dans la même période, le nombre de séjours hospitaliers codés « transsexualisme » a été multiplié par plus de trois.

S'agissant des mineurs, toutes les données disponibles semblent indiquer que leur part demeure très minoritaire parmi les patients pris en charge - environ 3 % d'entre eux auraient moins de 18 ans. Toutefois, le nombre de mineurs concernés et la part qu'ils occupent dans leur classe d'âge progressent rapidement : 8 mineurs bénéficiaient de l'ALD en 2013, contre 294 en 2020.

Ces mineurs sont principalement suivis au sein de services hospitaliers spécialisés. La prise en charge y est collégiale, et fondée sur l'organisation régulière de réunions de concertation pluridisciplinaires (RCP) réunissant des spécialistes du développement de l'enfant sur les plans psycho-affectif - pédopsychiatres ou psychologues - et somatique - pédiatres ou endocrinologues. Les RCP sont sollicitées avant toute décision thérapeutique importante.

Les mineurs peuvent également être suivis en ville, au sein des maisons des adolescents, des plannings familiaux ou auprès des professionnels libéraux. D'après plusieurs personnes que j'ai auditionnées, la prise en charge n'y est, toutefois, pas entourée des mêmes garanties.

S'agissant du contenu, quatre modalités de prise en charge pourraient schématiquement être distinguées : un soutien psychosocial afin de réduire les risques de souffrance, d'isolement et de décrochage scolaire ; des bloqueurs de puberté, prescrits à compter des premières manifestations pubertaires pour suspendre le développement des caractères sexuels secondaires, comme la poitrine, la voix ou la pilosité, qui peuvent accentuer les souffrances ressenties ; des traitements hormonaux, ou « hormones croisées », permettant de développer les caractères sexuels secondaires du genre auquel le mineur s'identifie ; enfin, les actes chirurgicaux de réassignation. Les opérations pelviennes ne sont pas pratiquées avant l'âge de 18 ans, mais des opérations mammaires et diverses opérations destinées à la féminisation ou la masculinisation du visage ou du corps peuvent l'être.

Il me faut préciser encore que la prise en charge médicale ne constitue qu'un élément, d'ailleurs facultatif, du parcours de transition que peuvent entreprendre les mineurs présentant une dysphorie de genre. Sont habituellement distinguées de la transition médicale les transitions sociale et administrative.

La première consiste, pour le mineur, à vivre au sein de son environnement familial, amical, affectif ou scolaire dans un genre différent de son genre de naissance. Elle est protégée par la loi pénale, qui punit toute discrimination fondée sur l'identité de genre et toute pratique visant à modifier ou réprimer cette dernière.

La transition administrative désigne les modifications de prénom ou de sexe à l'état civil, pour les faire correspondre au genre auquel la personne s'identifie. La loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle a simplifié ces démarches. Depuis lors, toute personne majeure ou mineure émancipée peut démontrer par une réunion de faits que son sexe à l'état civil doit être changé, sans que l'absence de traitement médical de réassignation puisse lui être opposée.

Venons-en, maintenant, à l'épineuse question de l'encadrement. Le texte qui nous est soumis entend, dans son article 1er, interdire l'ensemble des traitements prescrits - bloqueurs de puberté, hormones croisées - et l'ensemble des interventions chirurgicales pratiquées dans le cadre des parcours de transition médicale des mineurs. L'article 2 assortit ces interdictions de sanctions pénales à l'encontre des praticiens qui les méconnaîtraient.

Il ne va pas de soi que le législateur doit intervenir ainsi dans la pratique médicale : il me semble qu'il ne peut le faire que guidé par d'impérieux motifs éthiques ou de santé publique. Or, dans le cas d'espèce, plusieurs éléments tendent à justifier cette intervention.

D'abord, plusieurs études internationales récentes remettent en cause la solidité des preuves scientifiques présentées à l'appui des traitements prescrits. La revue indépendante coordonnée par le Dr. Hilary Cass, au Royaume-Uni, souligne ainsi la faible qualité des études existantes sur l'efficacité des bloqueurs de puberté et des traitements par hormones croisées pour améliorer le bien-être et la santé psychique des jeunes présentant une dysphorie de genre, ainsi que sur les effets à long terme de ces médicaments. En Suède, le Conseil national de la santé et du bien-être a recommandé, pour les mêmes raisons, de réserver la prescription de tels traitements, chez les mineurs, à des situations exceptionnelles, marquées notamment par une dysphorie de genre ancienne et stable dans le temps.

En outre, il faut souligner le caractère irréversible de certains traitements. Si les bloqueurs de puberté permettent de ralentir le processus pubertaire et sont largement reconnus comme réversibles, les hormones croisées sont susceptibles, elles, d'entraîner des effets définitifs. Dans le cas de traitements par testostérone, ainsi, les modifications de la voix, de la pilosité faciale, l'apparition d'une calvitie et l'hypertrophie clitoridienne sont irréversibles. Par ailleurs, plusieurs publications font état d'effets importants, à terme, sur la fertilité du patient.

Enfin, il nous faut nous souvenir que nous parlons de mineurs, particulièrement fragiles dans la période de l'adolescence. La Fédération française de psychiatrie apparaît divisée sur la question, mais, pour l'une des deux pédopsychiatres que nous avons entendus, les demandes de réassignation peuvent être liées à un mal-être adolescent, à une histoire familiale ou des antécédents complexes qui justifient un examen psychologique approfondi avant toute prescription. L'Académie nationale de médecine elle-même a recommandé de prolonger, dans toute la mesure du possible, l'accompagnement psychologique des enfants et des adolescents se présentant en consultation et de ne prescrire des bloqueurs de puberté ou des traitements hormonaux qu'avec prudence.

Des cas de regrets et de « détransition » sont désormais documentés, et apparaissent particulièrement difficiles lorsque des traitements irréversibles ont été administrés. Leur existence incite à renforcer encore l'exigence de prudence dans la prescription.

Compte tenu de ces éléments, il me paraît nécessaire d'encadrer par la loi les modalités de prise en charge de ces jeunes. Celles-ci doivent concilier, à mon sens, deux impératifs. Il s'agit, d'une part, de soulager les souffrances des patients qui se présentent en consultation : c'est là une obligation déontologique des médecins, directement issue du serment d'Hippocrate, et, à vrai dire, du coeur même de leur utilité sociale. Il convient, d'autre part, de limiter autant que faire se peut le recours à des thérapies ou interventions irréversibles, sur des mineurs encore en développement et susceptibles de les regretter.

Les amendements que je vous présenterai, aux articles 1er et 2, viseront tous à ménager cet équilibre.

Je crois nécessaire, en particulier, de permettre la prescription de bloqueurs de puberté aux mineurs dans des services hospitaliers de référence assurant une prise en charge pluridisciplinaire des patients et dans des conditions permettant de s'assurer du consentement éclairé de ces derniers. S'ils ne sont pas dépourvus d'effets secondaires, ces traitements visent toutefois à améliorer l'état psychologique des patients en réduisant la souffrance et l'anxiété dues à la dysphorie et aggravées par le développement pubertaire. Largement reconnus comme réversibles, ils visent aussi à donner au mineur du temps pour apprécier la situation et réfléchir à ses besoins, avant d'envisager une éventuelle poursuite de son parcours de transition par des traitements plus lourds.

En revanche, je vous proposerai d'adopter et de préciser l'interdiction, portée par le texte, de prescrire des hormones croisées à des mineurs ou de réaliser, sur eux, des interventions de réassignation. Ces modalités de prise en charge, difficilement réversibles, voire définitives, doivent pouvoir être mûrement réfléchies.

Ces interdictions n'auront aucune incidence sur la faculté, pour un mineur, d'entreprendre une transition administrative, les procédures associées ne comportant plus de condition tenant à l'existence de traitements médicaux de réassignation.

Elles n'empêcheront pas davantage la mise en place d'un suivi psychosocial, souvent nécessaire compte tenu des souffrances ressenties, ni d'accompagner le mineur dans son questionnement et, le cas échéant, dans son parcours de transition sociale.

Enfin, parce que nous traitons ce matin d'un sujet délicat sur lequel les connaissances scientifiques sont susceptibles d'évoluer, je vous présenterai un amendement visant à inscrire dans ce texte une clause de revoyure d'ici à cinq ans, sur le modèle de celles qui figurent dans les lois de bioéthique.

Le législateur pourra, alors, tenir compte de l'avancée de la science comme des recommandations actualisées que la Haute Autorité de santé (HAS) doit produire ces prochaines années en matière de prise en charge des personnes transgenres. Les recommandations visant les mineurs de moins de seize ans ne sont pas attendues avant la fin de l'année prochaine.

J'en viens, enfin, à l'article 3, dont la présence au sein de cette proposition de loi a pu surprendre certains et susciter quelques interrogations.

Cet article prévoit la mise en place d'une stratégie nationale de soutien à la pédopsychiatrie. Cette stratégie doit être mise en place dans les six mois suivant la promulgation de la présente loi et révisée au moins tous les cinq ans. L'article précise également les objectifs et l'organisation territoriale de cette stratégie nationale.

Alors que, comme je l'ai déjà souligné, la dysphorie de genre n'est plus considérée comme une maladie mentale et qu'il n'est à mon sens pas question ici de « repsychiatriser » la transidentité, je souhaite m'attarder un instant sur l'intérêt de cet article au sein du texte qui nous est soumis.

La dégradation de la santé mentale de nos jeunes est un véritable enjeu de santé publique. Selon l'enquête Escapad menée par l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives, la prévalence des symptômes anxiodépressifs chez les jeunes de 17 ans est passée de 4,5 % à près de 10 % entre 2017 et 2022. Chez les plus jeunes, l'enquête Enabee publiée l'année dernière et conduite par Santé publique France indiquait que 13 % des enfants en élémentaire présentent un trouble probable de santé mentale.

Par ailleurs, le rapport de la Cour des comptes intitulé La pédopsychiatrie, un accès et une offre de soins à réorganiser, paru en mars 2023, constatait l'absence d'une politique de soins adaptée aux besoins de la jeunesse, une offre de soins trop inégalement répartie sur le territoire et globalement saturée, ainsi qu'une grave crise d'attractivité touchant la pédopsychiatrie : le Conseil national de l'ordre des médecins fait état d'une diminution de 34 % des professionnels spécialisés entre 2010 et 2022. Ce constat a été confirmé lors des auditions que j'ai pu mener, notamment celle de la Société française de psychiatrie.

En conséquence, il me paraît important d'agir, et d'agir tout de suite, pour améliorer la prise en charge des enfants et des adolescents et de structurer cette offre de soins. C'est l'objectif visé par cet article au travers de la création d'une stratégie nationale pour la pédopsychiatrie - j'y souscris pleinement.

Concernant plus spécifiquement les mineurs en questionnement de genre, la mise en place de cette stratégie ne pourra qu'être utile pour améliorer leur bien-être. Il s'agit, je le rappelle, d'une population particulièrement vulnérable dans le champ de la santé mentale. Les troubles psychiques en lien avec l'identité de genre peuvent conduire à un état dépressif, et, à l'inverse, un état dépressif peut conduire à des interrogations plus générales sur l'identité. Par ailleurs, la transidentité peut entraîner un risque de stigmatisation et de discrimination, à l'origine de troubles anxieux, voire dépressifs, qui doivent également faire l'objet d'un accompagnement et d'une prise en charge. Sur les 239 jeunes reçus à la consultation spécialisée de la Pitié-Salpêtrière entre 2012 et 2022, 28 % d'entre eux présentaient des antécédents d'hospitalisation psychiatrique et 38 % rapportaient avoir été victimes de harcèlement avant la prise en charge.

La « dépsychiatrisation » de la dysphorie de genre ne doit donc pas conduire, pour reprendre la formule des auteurs d'un rapport remis en janvier 2022 à Olivier Véran, à une « a-psychiatrisation » du parcours de soin et de l'accompagnement. Dès lors, le développement sur l'ensemble du territoire de structures spécialisées et coordonnées dans le cadre d'une stratégie nationale permettra d'améliorer également le suivi et l'accompagnement de l'enfant et des parents.

Je vous proposerai trois amendements sur cet article. Le premier visera à marquer dans la structure du texte la distinction entre l'encadrement de la prise en charge de la dysphorie de genre et la mise en place d'une stratégie nationale pour la pédopsychiatrie. Le deuxième tend à enrichir les objectifs de la stratégie nationale en y ajoutant un volet lié à la formation des professionnels de santé aux enjeux de santé mentale des enfants et des adolescents et un volet relatif à l'amélioration des conditions d'exercice de la pédopsychiatrie en France. Le dernier amendement, quant à lui, prévoit que le réseau de structures pédopsychiatriques est développé dans le cadre des projets territoriaux de santé mentale préexistants afin d'en renforcer la cohérence d'ensemble.

Vous l'aurez compris, ce texte me semble nécessaire pour mieux encadrer la prise en charge des mineurs présentant une dysphorie de genre et consacrer, en la matière, les meilleures pratiques des services spécialisés pluridisciplinaires. Il permettra, en outre, d'apporter une première réponse aux difficultés structurelles que connaît la pédopsychiatrie. C'est pourquoi je vous invite à l'adopter.

Il me revient, enfin, de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Je considère que celui-ci inclut des dispositions relatives aux modalités de prise en charge médicale des mineurs en questionnement de genre, ainsi qu'à la protection de la santé mentale des mineurs et au développement d'une offre de soins pédopsychiatriques adaptée sur le territoire. En revanche, j'estime que ne présenteraient pas de lien, même indirect, avec le texte déposé, des amendements relatifs aux traitements et modalités de prise en charge des personnes transgenres majeures, aux questions relatives à la transition sociale ou administrative des majeurs comme des mineurs et aux études de médecine ou aux droits et obligations des médecins.

Il en est ainsi décidé.

Mme Laurence Rossignol. - Vous avez mentionné que les risques de stigmatisation étaient réels pour les mineurs en situation de dysphorie de genre. Je propose de préciser que la stigmatisation vient du regard que nous portons sur cette dysphorie de genre et de la manière dont nous en parlons sans forcément bien connaître le dossier.

Le sujet est sérieux et terriblement idéologique. Je ne crois pas que le « péril trans » soit ce qui menace notre civilisation aujourd'hui. L'angoisse de la fin de la civilisation occidentale, personne n'en parle mieux que Vladimir Poutine, dès lors qu'il s'agit de dire que nos sociétés sont rongées par l'homosexualité, la transidentité ou l'effondrement du patriarcat.

Le sujet est donc avant tout médical. Tout le monde conviendra que la chirurgie chez les mineurs n'est pas souhaitable - les cas sont d'ailleurs très rares.

L'idée originelle de cette proposition de loi, qui est d'interdire les bloqueurs de puberté et les hormones croisées, n'est pas sérieuse ni raisonnable. En effet, de nombreux adolescents ont besoin des bloqueurs de puberté, les pubertés précoces étant la conséquence de la dégradation environnementale et de la multiplication des perturbateurs endocriniens. Il en est de même pour les hormones croisées qui sauvent certains enfants. L'adolescence est une période de grande perturbation. En aucun cas, la loi ne doit décider à la place des médecins, car chaque cas médical est unique. Par ailleurs, il ne s'agit pas d'enfants qui seraient victimes d'une « mode » de la transition de genre. Nous devons donc faire confiance aux médecins.

En réalité, vous proposez qu'il n'y ait plus de prescription en dehors des centres référencés et que ces prescriptions soient établies dans le cadre d'une approche pluridisciplinaire et collégiale. Y a-t-il besoin de légiférer pour cela ? Je crois que le sujet relève du domaine non pas de la loi, mais de HAS et du Comité consultatif national d'éthique (CCNE).

M. Xavier Iacovelli. - Je veux remercier le rapporteur pour la qualité de son travail.

En 2020, la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) a recensé 8 952 personnes titulaires d'une affection de longue durée pour transidentité, dont 3,3 % de mineurs.

Les jeunes souffrant de dystrophie de genre peuvent, dans le cadre d'une procédure encadrée, recourir à des bloqueurs de puberté et à des traitements adaptés. Pour la plupart, ce sont des procédés réversibles, contrairement aux interventions chirurgicales de changement de genre - celles-ci sont de toute façon interdites pour les mineurs.

Cette proposition de loi tend à pénaliser très lourdement ce qui est aujourd'hui possible, alors même que nous n'avons pas de retour scientifique en la matière. J'entends que le rapporteur souhaite nous rassurer, mais je ne le suis pas du tout !

L'article 3 prévoit la mise en place d'un accompagnement thérapeutique, mais cette disposition est particulièrement floue et elle ne me semble pas nécessaire au regard de l'arsenal juridique existant.

Comment nos jeunes en situation de souffrance vont-ils vivre l'interdiction proposée, alors qu'il existe aujourd'hui une solution réversible pour résoudre leur détresse mentale et physique ? Nous parlons bien de mineurs qui souffrent, parce qu'ils ne sont pas en adéquation avec le corps que la nature leur a offert à la naissance.

Quelles actions les auteurs de cette proposition de loi envisagent-ils pour éviter que ces accompagnements dits thérapeutiques ne deviennent à terme l'équivalent des théories de conversion que nous avons interdites par la loi du 31 janvier 2022 ?

Le groupe RDPI a encore beaucoup trop d'interrogations à ce stade et, même si les amendements proposés par le rapporteur semblent aller dans le bon sens, votera contre ce texte. Nous préférons attendre les données chiffrées scientifiquement étayées que nous fournira la HAS dans ses avis.

M. Bernard Jomier. - Je remercie également Alain Milon pour les explications qu'il nous a fournies, mais de quel texte devons-nous parler ici ?

La proposition de loi ne contient rien, dans sa rédaction initiale, sur la prise en charge des jeunes en quête d'identité de genre. C'est un texte ultra-politique, ultra-idéologique et assez violent envers les personnes concernées. Il a ainsi pour prétention de « temporiser l'initiation de parcours médicaux » - je reprends son exposé des motifs. Est-ce à la loi de faire cela ? Qui plus est, son article 2 vise à sanctionner durement les professionnels de santé qui auraient l'outrecuidance de donner la priorité à l'intérêt de l'enfant ou de l'adolescent présentant un questionnement sur son identité de genre.

Il y a donc bien un contexte de politisation extrême. D'ailleurs, le débat public se fait l'écho de beaucoup de désinformation et de contre-vérités et il tend parfois à projeter en fait des fantasmes identitaires. Les responsables politiques ou associatifs qui tiennent ce type de propos ne prennent pas suffisamment en compte, à mon sens, l'intérêt de l'enfant ou de l'adolescent ; ils mènent un combat que je récuse. La loi ne doit pas être le lieu de ce combat, en particulier lorsqu'on parle d'enfants.

Aujourd'hui, la prise en charge de ces enfants ou adolescents est organisée, mais il est vrai qu'elle est de qualité variable : elle peut être faite par des équipes pluridisciplinaires de bonne qualité comme par des professionnels plus isolés et moins formés spécifiquement. Cela mérite effectivement, monsieur le rapporteur, d'être revu.

Pour le reste, il faut rappeler qu'il n'y a pas de réelle controverse médicale sur la question de la transidentité. Il existe des débats sur la prise en charge parce que celle-ci doit être individualisée : les parcours, l'accompagnement psychologique sont évidemment différents. En tout état de cause, aucune controverse médicale ne nécessite l'intervention du législateur.

La transidentité ne se combat pas, contrairement à ce qu'entend faire cette proposition de loi ; elle ne s'encourage pas non plus. Elle s'écoute et elle s'accompagne avec comme seule boussole le bien-être de l'enfant ou de l'adolescent. Je récuse les deux approches militantes et idéologiques : l'encouragement comme la répression.

Pour conclure, j'évoquerai deux points.

Tout d'abord, mêler la question générale de la pédopsychiatrie à la dysphorie de genre est au minimum une maladresse politique. Le rapporteur nous dit qu'il faut dissocier les deux choses, mais le fait est qu'elles sont inscrites dans le même texte ! Cela envoie un signal de retour à la psychiatrisation. Les jeunes en situation de transidentité doivent évidemment bénéficier d'un accompagnement psychologique, mais cela ne justifie pas de mêler les deux thématiques.

Ensuite' nous avons examiné la question des enfants présentant des troubles du développement génital lors de l'examen de la dernière loi de bioéthique. J'étais rapporteur du texte sur cette question et j'y ai passé beaucoup de temps. L'affrontement était vif, les points de vue très tranchés, même si cela transparaissait peu dans le débat public. Nous avons réussi à dépolitiser cette question et sommes parvenus à un accord avec l'Assemblée nationale pour que des équipes pluridisciplinaires prennent en charge les enfants dans des centres de référence. Pour autant, la loi n'est pas intervenue - et c'est heureux - dans la manière dont ces équipes doivent être composées.

Les enfants et les adolescents présentant une question de transidentité doivent en tout cas être pris en charge par des équipes pluridisciplinaires dans des centres de référence, au moins pour l'initialisation du parcours - pour la suite, notamment le renouvellement des prescriptions, on peut le cas échéant faire appel à d'autres professionnels. C'est l'objet d'un amendement du rapporteur et c'est le seul point qui pourrait justifier une disposition législative.

À l'exception de cette disposition proposée par le rapporteur, nous rejetons cette proposition de loi qui n'a pas lieu d'être.

Mme Silvana Silvani. - Cette proposition de loi m'inquiète et me préoccupe franchement, comme nombre de personnes concernées - professionnels de santé, parents, personnes trans, etc. Son point de départ est le rapport dont on a déjà parlé sur la transidentification des mineurs.

Sans ses annexes, le rapport fait 368 pages. Une petite dizaine de pages seulement est consacrée aux données chiffrées françaises ; pourtant, les partisans de cette proposition de loi évoquent une flambée exponentielle et un péril trans qui n'existent évidemment pas.

Ce rapport met clairement en cause des pratiques de professionnels de santé, alors que ceux-ci prescrivent sur la base de diagnostics, d'évaluations, de rencontres. Je trouve regrettable que des médecins, du fait de leurs positions idéologiques, mettent en cause l'intégrité de certains de leurs confrères.

Je trouve également regrettable de mettre en cause des parents qui entendent la détresse de leurs enfants et qui veulent simplement les accompagner.

Je trouve enfin regrettable de mettre en cause le corps enseignant, qui, prétendument, ferait tout et n'importe quoi. Je rappelle que le changement d'état civil ou les mesures mises en place par Jean-Michel Blanquer requièrent toujours l'accord des parents.

Le rapporteur a bien indiqué que nous disposions de très peu de données, mais c'est tout simplement parce que nous ne sommes pas face à une pandémie de la transition ! De plus, il s'agit principalement de données sur les adultes.

Le rapport de Mme Eustache-Brinio va même jusqu'à proposer d'étendre l'interdiction jusqu'à 25 ans sous prétexte que le cerveau n'est pas encore complètement formé avant cet âge. Peut-être faudrait-il alors s'interroger sur l'ensemble des décisions prises par les personnes de moins de 25 ans ?... Sous couvert de protéger les mineurs, on vise donc bien aussi la population adulte.

En 2020, environ 300 mineurs, bien évidemment accompagnés par leurs parents, ont demandé une consultation - je ne parle pas d'un traitement ou d'une opération, mais d'une simple consultation -, certains traversant toute la France pour cela...

La proposition de loi laisse très clairement entendre que le questionnement de genre est une anomalie, une pathologie, et qu'il nécessite des soins. En effet, elle parle uniquement de dysphorie de genre, pas de transition, ce qui suppose évidemment une psychiatrisation. Le questionnement de genre ne pourrait donc pas avoir d'issue positive !

Il s'agit d'un sujet méconnu parce que les recherches scientifiques sont encore limitées. Alors, comment trancher entre un médecin qui affirme que les bloqueurs de puberté ont des effets réversibles et d'autres qui affirment le contraire ?

Même s'il concerne finalement très peu de personnes, c'est un sujet important qui mérite mieux qu'une proposition de loi écrite de cette façon. J'ajoute que son article 3 sur la mise en place d'une stratégie nationale pour la pédopsychiatrie n'a pas sa place dans un tel texte.

Pour conclure, j'en viens aux amendements proposés par le rapporteur que je félicite pour son travail. Soulager les souffrances des patients ? Qui peut être contre ? Mais ce n'est pas le sujet du texte ! Limiter le recours à des thérapies irréversibles ? Je rappelle que ces thérapies ne sont quasiment pas pratiquées sur des mineurs. Interdire les opérations ? Les opérations de chirurgie pelvienne ne sont pas non plus pratiquées sur des mineurs. Une clause de revoyure ? Mais pour faire quoi ? S'il existe un doute sur la pertinence de la proposition de loi, ne la votons pas !

Mme Laurence Muller-Bronn. - J'ai participé au groupe de travail qui a travaillé sur ce sujet pendant huit mois. Avec Jacqueline Eustache-Brinio et Muriel Jourda, nous avons auditionné soixante-dix personnes - des parents, des enfants, etc. -, rencontré les représentants d'associations et d'institutions qui avaient des positions diverses. Nous voulions comprendre un sujet qui est très présent dans nos vies, en nous extrayant des idéologies. Les programmes scolaires ont évolué et beaucoup de parents sont venus nous en parler.

Loin de nous l'idée de défendre telle ou telle idéologie ! Au contraire, ce que nous vous proposons, comme ce que propose le rapporteur, correspond plutôt à une volonté de prudence au bénéfice des enfants. L'adulte fait ce qu'il veut de son corps et nous ne voulons pas que les gens souffrent. C'est pourquoi cette proposition de loi ne concerne que les enfants.

Je voudrais vous lire un propos que nous avons entendu durant nos auditions : « La demande de réassignation sexuelle est à la fois ce procès fait au corps hérité et détesté et l'expression d'une confiance sans borne dans le corps de l'autre sexe, doublée d'une confiance non moins démesurée dans les capacités de la médecine et de la chirurgie de le faire réel. »

Aujourd'hui, les enfants sont très vite pris en charge par des équipes pluridisciplinaires et une forte pression pèse sur eux. Sont-ils en capacité de gérer leurs émotions et cette pression ?

Les situations dans lesquelles un enfant ne naît pas dans le bon sexe existent, c'est la transsexualité, mais c'est une pathologie extrêmement rare qu'on détecte dans les deux premières années de la vie. Quelle est alors la différence entre un transsexuel et une dysphorie de genre ? Nous avons rencontré des personnes opérées qui ont témoigné de leur transsexualité de naissance. La transsexualité est reconnue médicalement, alors que la dysphorie de genre repose uniquement, de ce que nous avons entendu, sur des mots. Et ces mots accréditent une idéologie. La transsexualité autorise les bloqueurs de puberté ; une prise en charge médicale existe donc pour cette pathologie.

Pourquoi avons-nous déposé cette proposition de loi ?

Mme Silvani nous dit qu'il n'y a qu'une dizaine de pages sur la France dans notre rapport. Je peux vous dire que j'en suis heureuse ! Notre système nous a plutôt protégés jusqu'à présent de la tendance qui nous arrive des États-Unis ou des pays nordiques - la Norvège, la Finlande, la Suède et le Royaume-Uni.

Or, depuis quelques mois, plusieurs de ces pays ont appris de leur expérience et reculent. Ainsi, la Finlande a été la première à sonner l'alarme : en 2015, une étude a révélé une surreprésentation des filles parmi les jeunes qui voulaient changer de sexe et il est apparu que beaucoup présentaient d'autres troubles, notamment psychiatriques - dépression, anorexie, autisme... La même année, au Royaume-Uni, des lanceurs d'alerte ont révélé que le personnel soignant de la Tavistock Clinic s'étonnait que les patients mineurs soient systématiquement orientés vers des parcours de transition médicale, alors qu'ils estimaient que leur prise en charge devait être avant tout psychothérapeutique. De plus, le National Health Service (NHS) britannique a interdit, le 1er avril dernier, en raison de l'insuffisance des études, les traitements hormonaux et les bloqueurs de puberté pour les mineurs. En 2022, l'agence suédoise d'évaluation des technologies de santé a averti sur les risques de maladies cardio-vasculaires, de cancer et d'ostéoporose liés à la prise à vie de ces hormones.

Une pédopsychiatre belge que nous avons auditionnée s'est félicitée que son pays aille dans le même sens : elle estime que le consentement informé est très difficile à obtenir pour des enfants ou des adolescents.

On découvre peu à peu des effets secondaires de ces traitements.

Enfin, nous avons constaté que les personnes opérées n'avaient pas été suffisamment sensibilisées sur le fait qu'elles ne pourraient pas avoir d'enfant ni connaître de plaisir physique réel.

Il faut que les équipes pluridisciplinaires qui accompagnent les jeunes prennent tout cela en considération.

Mme Brigitte Devésa. - Je remercie le rapporteur pour son travail sur ce rapport qui fait polémique et je fais confiance à toutes celles et à tous ceux qui ont approfondi cette question. Je ne reviens pas sur l'exemple du Royaume-Uni qui vient d'être évoqué par Laurence Muller-Bronn.

Nous ne sommes pas là pour parler idéologie ; nous sommes là pour essayer de répondre aux questions qui se posent. Or il faut être prudent, parce que l'adolescence est une période à la fois cruciale et difficile : on se cherche, on se pose des questions, on est en conflit avec les parents...

Les enfants transgenres doivent faire face à des défis importants, notamment en termes d'acceptation sociale et familiale. Pour la dysphorie de genre, il faut tenir compte de la détresse liée à l'incongruence entre l'identité de genre ressentie et le sexe assigné à la naissance. Je ne parle même pas des risques accrus de troubles mentaux, comme l'anxiété et la dépression. Le plus important est de pouvoir soulager la souffrance des patients.

Le groupe Union Centriste est opposé aux interventions chirurgicales en la matière avant la majorité. En ce qui concerne les traitements hormonaux, nombre de médecins sérieux avertissent sur les problèmes de santé qu'ils peuvent entraîner. Nous suivrons aussi les propositions du rapporteur en ce qui concerne l'article 3 du texte sur la stratégie nationale pour la pédopsychiatrie.

Par conséquent, sous réserve d'une discussion ultérieure, mon groupe votera ce texte.

Mme Anne Souyris. - Le rapport préparatoire à cette proposition de loi a été rédigé par plusieurs sénatrices, mais aussi par deux femmes- Caroline Éliacheff et Céline Masson -, dont le discours est pour le moins idéologique. Par exemple, quand on leur parle d'irréversibilité, elles parlent également du parcours à l'école et des aspects sociaux de la transition.

Ce rapport pose de nombreux problèmes de fond - cela a déjà été mentionné -, mais en plus il est tronqué. Plusieurs personnes auditionnées dans le cadre de ce rapport n'y ont pas retrouvé leurs propos et croyaient qu'il était préparé au nom du Sénat ; certaines ne voulaient même pas revenir en audition... Or, je le rappelle, la préparation de ce document n'a aucunement associé les autres groupes politiques du Sénat. Il y a eu une incompréhension totale quant au statut de ce rapport. C'est un problème démocratique.

Les auteurs de ce rapport et de la proposition de loi avancent un objectif de prudence et de protection des jeunes. Or seuls 10 % des jeunes suivis dans les services spécialisés prennent des bloqueurs de puberté. Les professionnels n'y font pas la promotion des bloqueurs de puberté, des hormones ou de la transidentité ; ils sont là pour accompagner les jeunes. J'ajoute que 24 % des jeunes arrivant dans un service spécialisé ont auparavant fait une tentative de suicide et qu'ils ne sont plus que 2,5 % à en faire une lorsqu'ils sont accompagnés. De même, un tiers des jeunes qui arrivent dans ces services sont déscolarisés à ce moment-là ; ils se sont tous rescolarisés. Ces chiffres montrent clairement la considérable baisse du nombre de jeunes qui vont mal à partir du moment où ils sont accompagnés.

Dire qu'il n'y a pas de chiffre, que tout va mal et qu'il faut tout interdire, alors que ces services sont un atout majeur dans la prise en charge des jeunes, ne peut que contribuer à l'augmentation des tentatives de suicide.

Nous avons auditionné des représentants de plusieurs associations de parents : l'une est favorable à une interdiction jusqu'à 25 ans ; toutes les autres vont dans le sens d'un meilleur accompagnement des jeunes. Personne n'a envie de donner à foison des bloqueurs de puberté ou des hormones et de faire moult réassignations de genre ! Les parents n'ont tout simplement pas envie de voir leur enfant aller très mal, voire mourir de ce fait. Les problèmes sociaux qu'un adulte qui n'a pas été accompagné peut connaître ne sont pas dus à une maladie mentale, mais au harcèlement et à la grave discrimination qu'il a subis.

Le rapporteur a fait un excellent travail et il a organisé de nombreuses auditions. L'Académie nationale de médecine, le Conseil national de l'ordre des médecins et tous les professionnels entendus, à l'exception de l'Observatoire de la petite sirène - autrement dit La Manif pour tous... - et une psychiatre, sont défavorables au fait d'interdire et se sont beaucoup inquiétés de cette proposition de loi, largement considérée comme inappropriée et dangereuse. J'ajoute qu'évidemment les médecins sont déjà prudents en la matière.

Vous nous dites que le sujet n'est pas idéologique. Alors, attendez les avis de la HAS ! L'un est attendu pour début 2025, l'autre pour fin 2025. Pourquoi ne pas attendre ces avis, si ce n'est pas pour des raisons idéologiques !

Mme Véronique Guillotin. - J'étais inquiète à la suite de la publication du rapport qui a précédé cette proposition de loi et je veux remercier le rapporteur pour son travail et l'équilibre qu'il propose d'apporter.

Les chiffres montrent que l'utilisation de la chirurgie est exceptionnelle. La seule technique qui est utilisée est la mammectomie ; avec les bloqueurs de puberté, il n'y en aura quasiment plus. Merci, monsieur le rapporteur, d'avoir rappelé le caractère exceptionnel de cet aspect de la question.

Je voterai certainement contre cette proposition de loi, le groupe du RDSE déterminera ultérieurement sa position. En effet, ce sujet est largement débattu dans la communauté médicale et des recommandations seront bientôt publiées par la HAS. Je ne suis donc pas certaine que ce soit le moment de légiférer et qu'il revienne de toute façon au législateur d'édicter des prescriptions médicales.

Pour autant, il est impératif de fixer un circuit de décision et d'affirmer l'importance des réunions de concertation pluridisciplinaire, car ce sont toujours des cas individuels et il serait dramatique de ne pas prendre en charge ces jeunes. Un psychologue doit juger de la maturité et du consentement de l'enfant et nous avons besoin d'autres spécialistes sur d'autres aspects.

M. Daniel Chasseing. - Actuellement, aucune disposition juridique n'interdit en France les opérations de changement de sexe sur les mineurs ; elles ne sont pas pratiquées du fait de recommandations internationales, mais elles ne sont pas interdites formellement.

Les mineurs peuvent aujourd'hui bénéficier d'un traitement réversible par bloqueurs de puberté visant à suspendre le développement des caractères sexuels en cas de dysphorie du genre. Cela est également possible en cas de puberté précoce. Il est aussi possible de prescrire des traitements hormonaux permettant de développer des caractéristiques physiques secondaires du sexe opposé dont les effets sont en partie irréversibles et qui ont un impact sur la fertilité. Il existe, comme l'a dit le rapporteur, des regrets. L'article 1er de ce texte édicte clairement l'interdiction des opérations chirurgicales et de tout traitement hormonal tendant à développer des caractères sexuels secondaires. Je n'ai rien vu d'idéologique dans cette proposition.

En ce qui concerne l'article 3 sur la stratégie nationale pour la pédopsychiatrie, il faut que cela soit entendu de manière générale.

M. Alain Milon, rapporteur. - Beaucoup de collègues ont fait état de questionnements qui sont aussi les miens.

Pourquoi une proposition de loi maintenant ? Parce que la nature a horreur du vide. Or aucune loi ne prévoit comment les médecins doivent prendre en charge les mineurs transgenres et il n'est pas inutile de préciser les choses dans la loi.

Faut-il attendre les avis de la HAS ? Je rappelle tout de même que ce n'est pas la HAS qui écrit la loi. Elle édicte des recommandations de bonnes pratiques pour les médecins et les autres professionnels de santé. Nous avons auditionné ses représentants : la HAS travaille en ce moment sur les préconisations médicales à mettre en place pour les personnes de plus de 16 ans et elle les publiera uniquement à la fin de l'année 2024 ou au début de l'année 2025 ; elle travaillera ensuite sur les préconisations pour les moins de 16 ans et elle ne les publiera pas avant la fin de l'année 2025. Nous devons donc attendre au moins dix-huit mois pour disposer de ces recommandations, ce qui est long.

En ce qui concerne les positions idéologiques, on ne peut pas les nier, et il y en a de tout côté ! Je crois que les amendements que je vais vous proposer répondent en grande partie, voire en totalité, aux observations qui ont été faites. Mais il faut regarder ce qui se passe dans la société et ce qui se passe à l'Assemblée nationale : une proposition de loi sensiblement identique à celle-ci a été déposée par le Rassemblement national. De ce fait, si notre texte ne prospère pas dans le sens que je vous propose et si nous ne faisons rien pour encadrer le sujet, d'autres le feront à notre place et différemment ! Qui plus est, rappelez-vous que la loi s'imposera aux préconisations de la HAS.

Pourquoi prévoir une clause de revoyure ? Parce que la connaissance scientifique et les techniques évoluent. Ainsi, on ne sait pas ce que donneront dans quelques années les recherches en cours en matière de diagnostic ou de prise en charge de la dysphorie de genre. Certains professeurs de médecine estiment, par exemple, que l'imagerie fonctionnelle cérébrale pourrait contribuer au diagnostic, grâce à des stimuli filles ou garçons.

Mme Laurence Rossignol. - Je m'interroge sur la nature de ces stimuli.

M. Alain Milon, rapporteur. - Par ailleurs, il y a quelques années, une délégation de la commission s'est rendue en Espagne et a notamment rencontré le président de la Haute Autorité de santé espagnole. Il nous avait parlé du problème éthique de la conservation des gamètes : que faire des gamètes d'une fille qui est devenue garçon - c'est son droit - et qui a choisi de les faire conserver pour avoir un enfant par la suite ?

Vous le voyez, une clause de revoyure est importante.

J'ai essayé de ne pas faire d'idéologie ; je voulais surtout qu'on prenne en considération les mineurs - ce texte ne concerne qu'eux - pour qu'ils se sentent bien.

Je propose de donner un rôle particulier aux centres de référence spécialisés - il y en actuellement une quinzaine de services spécialisés. Ils ne sont pas reconnus en tant que tels par le ministère de la santé ; les reconnaître ici permettra de les faire connaître tant par les professionnels de santé que par les parents. Ces centres auront la responsabilité du diagnostic et de la primoprescription, la suite pouvant éventuellement être assurée par les médecins traitants.

Les amendements que je vous propose et que j'ai préparés avec le soutien du président de notre commission répondent à la plupart des observations qui ont été faites. Mon objectif était de répondre aux désirs des personnels soignants et d'assurer la prise en compte de l'intérêt des mineurs.

EXAMEN DES ARTICLES

Division additionnelle avant l'article 1er

M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-1 vise à inscrire formellement la distinction entre les deux sujets couverts par le texte : d'une part, la prise en charge de la dysphorie de genre chez les mineurs, d'autre part, la mise en place d'une stratégie nationale pour la pédopsychiatrie.

L'amendement COM-1 est adopté.

Une division additionnelle est ainsi insérée.

Article 1er

M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-10 entend supprimer l'article 1er. Je ne peux qu'y être défavorable.

L'amendement COM-10 n'est pas adopté.

M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-2 vise à permettre et à encadrer la prescription de bloqueurs de puberté aux mineurs, en la réservant aux services hospitaliers spécialisés assurant une prise en charge pluridisciplinaire de ces patients.

L'amendement COM-2 est adopté.

M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-3 vise à lever une ambiguïté sur le périmètre de l'interdiction de chirurgies de réassignation, en précisant que celle-ci n'a vocation à s'appliquer qu'aux patients âgés de moins de dix-huit ans.

J'ajoute que les chirurgiens ne font pas d'interventions pelviennes avant la majorité et qu'ils ne souhaitent pas pratiquer d'opérations faciales - masculinisation ou féminisation - avant cet âge. Pour les torsoplasties ou gynécomasties, certains souhaiteraient en faire, en arguant qu'on peut ajouter des prothèses ensuite si besoin ; mais dans ce cas, l'allaitement n'est plus possible. C'est pourquoi je préfère interdire aussi ces pratiques.

L'amendement COM-3 est adopté.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 2

M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-11 vise à supprimer l'article 2. J'y suis défavorable.

L'amendement COM-11 n'est pas adopté.

M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-4 tend à créer, dans le code pénal, une section spécifique relative aux sanctions applicables en cas de méconnaissance des règles légales relatives à la prise en charge de la dysphorie de genre.

L'amendement COM-4 est adopté.

M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-5 assure une coordination.

L'amendement COM-5 est adopté.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Division additionnelle après l'article 2

M. Alain Milon, rapporteur. - Pendant de l'amendement COM-1, l'amendement COM-6 vise à inscrire dans le texte une division additionnelle relative à la mise en place d'une stratégie nationale de pédopsychiatrie.

L'amendement COM-6 est adopté.

Une division additionnelle est ainsi insérée.

Article 3

M. Alain Milon, rapporteur. - Je suis défavorable à l'amendement COM-12 pour les raisons que je développerai en séance.

L'amendement COM-12 n'est pas adopté.

M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-13 vise à associer à l'établissement des stratégies de soins les associations d'usagers du système de santé. J'y suis défavorable.

L'amendement COM-13 n'est pas adopté.

M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-14 a pour objet d'ajouter que la stratégie nationale vise à prévenir activement les pratiques visant à modifier l'orientation sexuelle. Avis défavorable.

L'amendement COM-14 n'est pas adopté.

M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-7 prévoit que la stratégie nationale inclut un volet relatif à la formation de l'ensemble des professionnels de santé à la prise en charge des problématiques de santé mentale des enfants et des adolescents et un volet relatif à la revalorisation des conditions d'exercice de la pédopsychiatrie.

L'amendement COM-7 est adopté.

M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-8 vise à intégrer le réseau territorial de structures pédopsychiatriques dans le cadre existant des projets territoriaux de santé mentale.

L'amendement COM-8 est adopté.

L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article 3

M. Alain Milon, rapporteur. - L'amendement COM-9 complète, sur le modèle des clauses de revoyure inscrites dans les lois de bioéthique, le texte par un article prévoyant le réexamen de la présente loi dans un délai de cinq ans.

L'amendement COM-9 est adopté et devient article additionnel.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

TABLEAU DES SORTS

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Division(s) additionnelle(s) avant Article 1er

M. MILON, rapporteur

1

Ajout d'une nouvelle subdivision

Adopté

Article 1er
Interdiction des traitements médicaux de transition et chirurgies de réassignation pour les mineurs

Mme SOUYRIS

10 rect.

Suppression de l'article

Rejeté

M. MILON, rapporteur

2

Suppression de l'interdiction de prescrire des bloqueurs de puberté et encadrement de la prise en charge

Adopté

M. MILON, rapporteur

3

Interdiction des actes chirurgicaux de réassignation de genre

Adopté

Article 2
Interdiction des traitements médicaux de transition et chirurgies de réassignation pour les mineurs

Mme SOUYRIS

11 rect.

Suppression de l'article

Rejeté

M. MILON, rapporteur

4

Création d'une section dédiée dans le code pénal

Adopté

M. MILON, rapporteur

5

Amendement de coordination

Adopté

Division(s) additionnel(s) après Article 2

M. MILON, rapporteur

6

Ajout d'une nouvelle subdivision

Adopté

Article 3
Mise en place d'une stratégie nationale pour la pédopsychiatrie

Mme SOUYRIS

12 rect.

Modification des objectifs de la stratégie nationale pour la pédopsychiatrie afin de placer l'enfant au centre des décisions partagées relatives à son parcours de transition

Rejeté

Mme SOUYRIS

13 rect.

Intégration des associations agréées d'usagers du système de santé dans les acteurs établissant la stratégie nationale pour la pédopsychiatrie

Rejeté

Mme SOUYRIS

14 rect.

Ajout de la lutte contre les pratiques visant à modifier l'orientation sexuelle ou l'identité de genre dans les objectifs de la stratégie nationale pour la pédopsychiatrie 

Rejeté

M. MILON, rapporteur

7

Ajout de volets relatifs à la formation et à la revalorisation de la pédopsychiatrie

Adopté

M. MILON, rapporteur

8

Intégration du réseau territorial dans le projet territorial de santé mentale 

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article 3

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. MILON, rapporteur

9

Ajout d'une clause de révision

Adopté

La séance est close à 12 h 30.