Jeudi 23 mai 2024

- Présidence de Mme Dominique Vérien, présidente -

Table ronde sur la situation des enfants à la rue

Mme Dominique Vérien, présidente. - Mes chers collègues, nous poursuivons ce matin nos travaux sur les femmes dans la rue avec les quatre rapporteures nommées par la délégation sur cette thématique : Agnès Evren, Marie-Laure Phinéra-Horth, Olivia Richard et Laurence Rossignol.

Parmi les 330 000 personnes sans domicile en France aujourd'hui, on compte 40 % de femmes, bien souvent avec des enfants. Nous avons choisi de mettre le focus sur ces derniers aujourd'hui.

Chaque nuit, en France, près de 3 000 enfants dorment dans la rue, sous une tente ou dans un abri de fortune.

Lorsque nos rapporteures se sont rendues en Seine-Saint-Denis début mai, Interlogement 93 - collectif d'associations qui gère le 115 dans le 93 - leur a indiqué que le soir même, 783 personnes allaient rester à la rue malgré leur appel à l'aide et, parmi elles, 281 enfants mineurs, dont 112 enfants de moins de 3 ans.

Toutes les semaines, les chiffres publiés par Interlogement 93 se ressemblent : plus de 200 enfants mineurs restent à la rue malgré une demande auprès du 115, dont une centaine d'enfants de moins de 3 ans, pour le seul département de la Seine-Saint-Denis.

En Île-de-France, la pénurie de places d'hébergement d'urgence a amené les préfets à dresser quatre niveaux de priorité : si les femmes victimes de violences ou enceintes de plus de sept mois relèvent du niveau 1, les familles avec des enfants de moins de 3 ans ne relèvent que du niveau 3 de priorité. Elles ne sont donc pas assurées d'obtenir une place en hébergement d'urgence et un toit pour leurs enfants. Et malgré ces critères de priorité, de plus en plus de femmes enceintes ou vivant avec un nouveau-né se retrouvent sans solution d'hébergement.

À l'Hôpital Delafontaine de Saint-Denis, où nos rapporteures ont pu discuter avec des soignants et des familles, la maternité n'a d'autre solution que de garder, parfois pendant plusieurs semaines après l'accouchement, des mères et leurs bébés, refusant de les remettre à la rue.

Même lorsqu'un hébergement d'urgence est proposé aux familles, majoritairement en hôtel social, ces lieux, souvent surpeuplés, voire insalubres, ne sont pas adaptés à des enfants.

Ces situations ne touchent pas que l'Île-de-France : des métropoles comme Lyon, Toulouse, Rennes, Bordeaux ou Lille sont également concernées.

Afin de nous apporter un éclairage sur ces questions, nous entendons ce matin :

- Julie Lignon, chargée de plaidoyer sur les questions de lutte contre la pauvreté infantile à Unicef France - ONG que nous recevons régulièrement à la délégation et qui alerte depuis plusieurs années sur l'explosion du nombre d'enfants sans abri, et Mina Stahl, chargée de relations avec les pouvoirs publics ;

- Raphaël Vulliez, porte-parole du collectif Jamais sans toit, créé à Lyon en 2014 pour mettre à l'abri, dans des écoles, des enfants sans domicile ;

- et Anina Ciuciu, avocate et marraine du collectif #ÉcolePourTous, qui se mobilise pour les enfants vivant en bidonvilles, squats, hôtels sociaux ou aires d'accueil, et qui lutte notamment contre les refus illégaux d'inscription scolaire des enfants vivant dans ces lieux.

Bienvenue à vous et merci de participer à cette table ronde sur ce sujet crucial.

Vous nous livrerez votre témoignage des situations que vous rencontrez, et vous nous exposerez les actions que vos associations respectives entreprennent et les difficultés qu'elles rencontrent.

Enfin, vous nous ferez part de vos préconisations : au-delà des constats, l'objectif de notre rapport est également de s'efforcer de trouver des solutions pour toutes ces familles.

Je laisse, dans un premier temps, la parole à Julie Lignon d'Unicef France.

Mme Julie Lignon, chargée de plaidoyer sur les questions de lutte contre la pauvreté infantile chez Unicef France. - Au nom de l'Unicef, je vous remercie pour le temps consacré aux femmes sans domicile, ainsi que pour l'attention particulière accordée aux enfants qui les accompagnent souvent. Ces travaux répondent à un enjeu majeur, celui qui vise à renforcer nos connaissances sur cette population particulièrement vulnérable afin de développer et de mettre en oeuvre des politiques publiques adaptées à leurs besoins. C'est également ce que nous nous efforçons de faire à Unicef France, dans le cadre de nos actions de plaidoyer et de sensibilisation, en collaboration avec d'autres associations, des collectifs représentés ici aujourd'hui, ainsi qu'avec les pouvoirs publics nationaux et locaux.

Dans la droite ligne de notre volonté de renforcer la visibilité des enfants sans domicile et d'approfondir les connaissances sur les facteurs entravant l'effectivité de leurs droits, nous avons publié plusieurs études. Celles-ci démontrent non seulement l'ampleur de la crise du logement, mais aussi son impact sur les enfants et leurs droits, ainsi que l'insuffisance ou l'inadaptation de certaines politiques publiques. Mon intervention se concentrera sur ces trois axes.

Permettez-moi d'abord de dire quelques mots sur le contexte national. La question des données a été soulevée à plusieurs reprises lors des précédentes tables rondes, notamment dans le cadre du recensement des femmes sans domicile. Nous faisons face aux mêmes difficultés en ce qui concerne les enfants : nous manquons de données actualisées, exhaustives et reconnues. Dans ce contexte, nous, associations et collectifs, nous appuyons sur les seules données disponibles pour éclairer la situation de ces enfants sans domicile. Avec la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), nous avons choisi de nous appuyer sur celles du 115 pour publier chaque année, en septembre, notre baromètre des enfants à la rue.

Nous sommes bien conscients que ces données ne sont pas exhaustives, car elles recensent uniquement les enfants dont les familles ont eu recours au 115, excluant ainsi les nombreuses familles qui n'appellent pas ou plus ce numéro, ainsi que les mineurs isolés. Cependant, elles révèlent une évolution inquiétante du sans-abrisme. Elles soulignent également l'insuffisance des politiques publiques censées l'éradiquer. En effet, en comparant les données d'une année sur l'autre, le nombre d'enfants en demande non pourvue au 115, c'est-à-dire ceux dont les parents ont appelé ce numéro sans obtenir de solution d'hébergement, n'a cessé d'augmenter. Le 21 août 2023, nous recensions 1 990 enfants en demande non pourvue, soit 20 % de plus qu'à la même période en 2022, où ils étaient 1 658. Le 2 octobre 2023, nous avons actualisé ces chiffres. 2 822 enfants étaient alors en demande non pourvue au 115, ce qui correspond à une augmentation de 40 % en un mois seulement. Plus récemment, le 13 mai 2024, la Fédération des acteurs de la solidarité recensait 1 942 enfants en demande non pourvue.

Ensuite, en lien avec les constats de la Fondation Abbé Pierre dans son rapport de 2023 sur la surreprésentation des femmes isolées avec enfants parmi les personnes mal logées, le baromètre des enfants à la rue a démontré que 35 % des familles en demande non pourvue en août 2023 étaient des femmes seules avec enfants. Leur nombre a augmenté de 46 % entre août 2022 et août 2023.

Enfin, ce même baromètre a mis en évidence l'augmentation du nombre d'enfants de moins de 3 ans en demande non pourvue. Ils étaient 480 le 22 août 2023, contre 368 le 22 août 2022.

Nous parlons bien d'enfants de moins de 3 ans. Comment en sommes-nous arrivés là ? Le contexte de la crise du logement et la saturation de l'hébergement ont largement été décrits lors des précédentes tables rondes. Je n'insisterai donc pas sur ce point. Je rappelle simplement qu'à l'automne 2022, Olivier Klein, alors ministre du logement, s'était engagé à ce qu'aucun enfant ne dorme à la rue. Manifestement, cet engagement n'a pas été tenu. La situation se dégrade d'ailleurs au point que des enfants de quatre mois et des femmes enceintes de six mois ne sont plus considérés comme prioritaires pour obtenir une place d'hébergement, selon les critères fixés par certaines préfectures.

Nous ne pouvons nier les efforts consentis pour maintenir un niveau historique de places d'hébergement. Pourtant, les moyens actuels ne permettent ni de répondre aux besoins ni de respecter les principes d'inconditionnalité de l'accueil et de continuité de la prise en charge, inscrits dans le code de l'action sociale et des familles. Alors que les besoins augmentent, rien, dans le contexte économique actuel, ne nous préserve d'une réduction des crédits consacrés à l'hébergement d'urgence. Nous ne sommes même pas certains que l'enveloppe de 120 millions d'euros annoncée en janvier dernier par Patrice Vergriete, alors ministre du logement, pour débloquer 10 000 places d'hébergement d'urgence, soit toujours d'actualité.

Je voudrais également évoquer la situation des enfants hébergés, qui sont également sans domicile, car ne disposant pas d'un domicile personnel.

L'hébergement d'urgence, par définition, n'est pas une solution viable à long terme. Il est donc nécessaire de le recentrer sur sa fonction de réponse immédiate et inconditionnelle aux situations de détresse, et de favoriser l'accès au logement. Cependant, dans les faits, l'embolie des parcours résidentiels des familles, due aux multiples obstacles d'accès au logement, est telle qu'elle conduit certaines familles à passer plusieurs années à l'hôtel, en moyenne plus de trois ans. Certaines d'entre elles passent trente-sept mois dans un environnement particulièrement inadapté à la vie familiale et aux besoins de l'enfant. Par exemple, l'absence de cuisine dans certains hôtels empêche les familles de préparer leurs repas, et le manque d'intimité est flagrant.

Selon le baromètre Enfants à la rue de 2023, 29 780 enfants étaient hébergés à l'hôtel en août 2023. C'est la principale solution proposée à ces familles. En outre, le Samusocial de Paris comptabilise en moyenne neuf naissances par jour au sein du parc hôtelier d'Île-de-France.

Ces chiffres démontrent une évolution inquiétante du sans-abrisme, la saturation du parc d'hébergement, et l'embolie du parcours résidentiel des familles avec peu ou pas de sorties vers le logement. Ils reflètent aussi des situations concrètes de milliers d'enfants sans domicile, sur lesquelles j'aimerais revenir.

Ces enfants connaissent des réalités très diverses, mais tous sont confrontés à la précarité inhérente à l'absence de logement. À tout âge, celui-ci est central. Il ne s'agit pas seulement d'un abri, mais d'un lieu qui remplit des fonctions sociales et individuelles structurantes dans la vie de ses habitants. Ne pas en disposer prive les enfants d'un environnement protecteur, stable et prévisible, ainsi que d'un point d'ancrage, d'un lieu où se construisent les relations familiales, d'un lieu d'intimité et de repos physique et psychique.

Pendant l'enfance, qui est une période cruciale du développement, le fait d'être sans abri, de vivre dans une chambre d'hôtel exiguë, un bidonville ou un squat, confronte les enfants à des conditions de vie dégradées qui engendreront d'importantes répercussions sur leur développement, leur santé physique et mentale. Cela va même plus loin.

Dans un rapport intitulé Grandir sans chez soi, réalisé en collaboration avec le Samusocial de Paris et Santé Publique France, nous avons mis en évidence les conséquences de l'absence de domicile sur la santé mentale des enfants. Il révèle que les troubles de la santé mentale sont plus fréquents chez les enfants sans domicile hébergés (19,2 %) par rapport à la population générale (8 %), selon les chiffres de l'enquête Enfams (Enfants et familles sans logement personnel en Île-de-France) de 2013. Nous avons également démontré que l'absence de logement, ainsi que la précarité et l'insécurité qui en découlent, affecte l'ensemble des environnements dans lesquels évoluent les enfants : familial, scolaire, social et amical. L'absence de logement constitue en ce sens une violation des droits de l'enfant.

J'illustrerai mes propos avec quelques exemples. Le rapport Grandir sans chez soi montre que la précarité inhérente à l'absence de logement peut affecter les interactions au sein de la famille, ainsi que sa stabilité et son fonctionnement. Il met également en évidence les obstacles que rencontrent les enfants pour accéder à l'école, poursuivre une scolarité continue ou disposer de bonnes conditions d'apprentissage. Pourtant, l'école pourrait justement constituer une source de résilience, un lieu de sociabilité et un refuge temporaire face aux difficultés de la vie sans domicile.

Enfin, ce rapport souligne que les enfants sans domicile sont confrontés à des difficultés d'accès aux soins, alors même qu'ils présentent des besoins exacerbés en raison de leurs conditions de vie dégradées. Si vous le souhaitez, je pourrai revenir plus en détail sur ces conséquences lors du temps d'échange.

Je vous propose maintenant de vous présenter les principales recommandations que nous portons à Unicef France. Dans un premier temps, il apparaît nécessaire de renforcer les connaissances sur les enfants sans domicile, condition sine qua non pour la mise en oeuvre de politiques publiques adaptées. Vos travaux y contribueront certainement. Nous identifions également d'autres leviers, notamment l'Observatoire du sans-abrisme, lancé en mai 2023 par le ministre du logement. Il pourrait porter une attention spécifique aux enfants, permettant non seulement l'observation de leurs besoins, mais aussi une réflexion collective sur les leviers d'action pour y répondre. La co-construction et la coopération entre les acteurs, notamment avec les collectifs de terrain, sont essentielles pour renforcer ces connaissances.

Dans un deuxième temps, nous préconisons le renforcement de la capacité du parc d'hébergement en créant au minimum les 10 000 places d'hébergement d'urgence sur lesquelles le ministère du logement s'est engagé.

Toute ambition de réduction du sans-abrisme suppose de favoriser l'accès au logement. Pour ce faire, et conformément aux recommandations du Comité des droits de l'enfant de l'ONU, formulées en juin 2023, ainsi qu'aux recommandations d'autres organisations comme la Fédération des acteurs de la solidarité, nous préconisons la mise en oeuvre d'une politique pluriannuelle de l'hébergement et du logement, avec une attention spécifique aux enfants et aux familles.

Cette politique devrait notamment comporter des objectifs ambitieux de production de logements abordables. Elle devrait également inclure des objectifs de transformation qualitative de l'hébergement, notamment par la transformation progressive des unités hôtelières actuelles en places adaptées pour les familles, ainsi que par une adaptation générale du parc d'hébergement aux besoins spécifiques des familles, de plus en plus nombreux dans ce contexte.

Nous préconisons également de renforcer l'accompagnement global des enfants et des familles, en inscrivant les enfants comme bénéficiaires directs de cet accompagnement. À cet égard, je tiens à souligner que plusieurs mesures sont prévues dans le cadre de la mise en oeuvre du Pacte des solidarités. Nous resterons cependant vigilants quant à leur concrétisation, y compris dans la loi de finances, et à leur articulation, afin de nous assurer de l'absence de lacune dans cet accompagnement.

Pour garantir cet accompagnement global, il nous semble nécessaire de mobiliser l'ensemble des ministères et de veiller à ce que toutes les politiques publiques concernant les enfants prêtent une attention particulière à ce public particulièrement vulnérable que constituent les enfants sans domicile. Je pense notamment à la politique publique des 1 000 premiers jours, aux politiques de santé, d'éducation et de protection de l'enfance.

Je vous remercie pour votre attention.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci pour votre intervention.

Je me tourne vers Raphaël Vulliez du collectif Jamais sans toit.

M. Raphaël Vulliez, porte-parole de l'association Jamais sans toit. - Je vous remercie pour le temps que vous m'accordez ainsi que pour l'attention que vous portez à la situation des femmes, et plus particulièrement à celle des enfants sans abri. C'est le public que nous suivons au sein de notre collectif.

Avant toute chose, je voudrais vous informer des faits survenus hier soir à Lyon qui illustrent l'urgence de la question traitée ce matin. Une centaine de femmes avec enfants, membres du collectif Solidarité entre femmes à la rue, avaient trouvé refuge dans un gymnase du deuxième arrondissement. Elles ont été expulsées manu militari par les forces de l'ordre à la demande du maire de Lyon, Grégory Doucet. Cet évènement s'est produit malgré une série de mesures prises par ce dernier, notamment la signature de la charte des droits des personnes sans abri portée par la Fondation Abbé Pierre, l'obtention du label « Ville amie des enfants » de l'Unicef et l'adoption d'un plan « zéro enfant à la rue » au début de son mandat.

Je ne reviendrai pas sur les chiffres, bien que notre mode de comptage diffère de celui de l'Unicef ou de la Fédération des acteurs de solidarité, qui prend en compte les demandes non pourvues au 115. Nous recensons, au sein d'environ 300 établissements scolaires dans l'agglomération lyonnaise, les familles, les enfants, les élèves sans abri, ainsi que leurs frères et soeurs. Actuellement, ce recensement hebdomadaire révèle la présence de 328 enfants sans abri dans l'agglomération lyonnaise. Ce chiffre n'est pas exhaustif et pourrait être multiplié par trois ou quatre. Dans la seule ville de Lyon, un tiers des 208 écoles élémentaires et maternelles est concerné par le sans-abrisme. Ce chiffre est considérable.

Depuis la fin de la crise sanitaire, le nombre d'enfants sans abri a été multiplié par trois dans l'agglomération lyonnaise, et par cinq dans la seule ville de Lyon. Je ne reviendrai pas sur les demandes et préconisations concernant le nombre de places créées. Je pense notamment aux 6 000 places d'hébergement d'urgence votées par le Sénat et balayées par l'article 49.3, et aux 120 millions d'euros débloqués par le ministre du logement de l'époque, Patrice Vergriete.

Comme le rappelait Julie Lignon, les scientifiques savent depuis longtemps que les besoins physiologiques de l'enfant - se nourrir, se vêtir, dormir suffisamment - et les besoins de sécurité - avoir un toit au-dessus de la tête et jouir d'une certaine stabilité - sont des préalables indispensables aux apprentissages. Vivre à la rue est extrêmement violent pour les enfants.

Ce constat, observé chaque jour par les enseignants dans les classes, a été documenté dans un rapport conjoint publié en octobre 2022 par l'Unicef et le Samusocial de Paris. Ce rapport, mentionné par Julie Lignon, révèle que les enfants sans abri sont deux fois plus touchés par les troubles psychiques que la population générale, sans parler d'une offre de soins sous-dimensionnée. De plus, ces enfants doivent souvent assumer des responsabilités au sein de leur famille.

Il est important de noter que les questions de papiers, de travail et de logement sont souvent intriquées. Ils sont généralement les seules preuves de vie pour la régularisation des parents et l'obtention d'un logement. Nous constatons également une régression des critères de vulnérabilité chaque année. Actuellement, seuls les enfants de moins d'un an sont prioritaires. Nous observons une augmentation significative du nombre de femmes enceintes sans-abri, notamment dans l'agglomération lyonnaise. Ce phénomène se retrouve probablement partout en France, alors même que ces personnes étaient jusque-là considérées comme prioritaires.

Le collectif Jamais sans toit s'est constitué au début des années 2010, en réponse au phénomène nouveau du sans-abrisme des enfants dans les écoles. À l'automne 2014, nous avons décidé de nous constituer en collectif sur l'agglomération lyonnaise en occupant les établissements scolaires la nuit, afin de ne pas entraver la bonne tenue des classes durant la journée. Ces actions sont encore illégales aujourd'hui, mais elles sont généralement tolérées par les municipalités.

Elles allaient de pair avec la loi d'orientation et de refondation de l'école de 2013, qui revenait à considérer que l'on n'accueille plus seulement des élèves à l'école, mais aussi des enfants dans leur globalité. La ville de Lyon, comme beaucoup d'autres, bénéficie d'un service médico-social. La loi évoquée prône une approche globale de l'enfant. Elle voit l'école comme un sanctuaire, un lieu qui protège les enfants, y compris les plus faibles qui méritent de vivre leur enfance.

Nous avons commencé à occuper les écoles pour mettre ces enfants à l'abri, mais aussi pour alerter les pouvoirs publics et pour porter cette question au centre du débat public.

Petit à petit, jusqu'à la crise sanitaire, nous avons occupé de plus en plus d'établissements scolaires. Aujourd'hui, une dizaine d'entre eux sont encore occupés dans l'agglomération lyonnaise. Depuis 2014, nous en avons occupé 174, mettant plus de 700 enfants à l'abri avant qu'ils n'intègrent le circuit légal de droit commun.

Au-delà de cette mise à l'abri, nous souhaitions pousser les autorités compétentes, et notamment l'État, à prendre leurs responsabilités. Nous désirions également que les principes d'inconditionnalité et de continuité de l'hébergement d'urgence, réaffirmés par le Conseil constitutionnel, soient respectés.

Pendant la crise sanitaire, le mot d'ordre était « Restez chez vous ». Il fallait alors loger tout le monde pour protéger les populations vulnérables et la population générale. Nous étions jusque-là considérés comme des lanceurs d'alerte. À cette occasion, notre expertise de terrain a été reconnue. La Métropole de Lyon nous a demandé de lui fournir la liste des personnes à la rue pour les mettre à l'abri jusqu'en juillet 2020. Cette mesure a été prolongée par Emmanuelle Wargon, alors ministre du logement, jusqu'en 2022. Durant cette période, il n'y avait quasiment plus d'enfants à la rue. Cependant, à l'issue de cette période, nous avons constaté une explosion des remises à la rue, des destructions de bidonvilles et de squats, sans relogement, au mépris du principe de continuité de l'hébergement d'urgence.

En 2022, au moment de la campagne présidentielle, à l'occasion de notre centième occupation d'école, nous avons organisé, avec l'Unicef, la Fédération des acteurs de la solidarité et d'autres associations, un appel dans le journal Libération pour la création d'un réseau national et la publication d'un guide pratique appelé le « Toitoriel ». Ce réseau, lancé en collaboration avec la FCPE (Fédération des conseils de parents d'élèves), regroupe désormais une vingtaine de villes. À Paris, il inclut les 13e, 15e, 18e et 20e arrondissements. Il concerne également des villes comme Ivry-sur-Seine, Argenteuil, Rennes, Pantin, Nantes, Bordeaux, Strasbourg, Grenoble, Montpellier ou Toulouse.

Nous avons pour objectif de montrer que le problème du sans-abrisme des enfants s'étend sur tout le territoire national et qu'il est impératif d'agir. En effet, la France est signataire de la Convention internationale des droits de l'enfant. Ces dispositions l'engagent, notamment s'agissant de l'intérêt supérieur de l'enfant.

À la rentrée, nous avons organisé une conférence de presse au siège de la Fondation Abbé Pierre et avons interrogé la Première ministre de l'époque sur les 3 000 enfants à la rue. Nous avons demandé la création immédiate de 10 000 places d'hébergement d'urgence. Celle-ci a été votée en commission des finances de l'Assemblée nationale. 6 000 places ont été votées par le Sénat. Il a finalement fallu attendre la vague de grand froid et la mort de cinq personnes dans la rue pour que le ministre du logement annonce débloquer 120 millions d'euros. Cependant, nous n'en voyons pas encore les effets concrets. Nous souhaitons que ces mesures soient prises au sérieux dans un pays comme la France, qui dispose de suffisamment de moyens de faire en sorte qu'aucun enfant ne vive à la rue. Ce problème n'existe pas dans certains pays européens tels que l'Allemagne.

Enfin, nous partageons les préconisations exposées par l'Unicef. À nos yeux, il est important d'y associer les collectifs locaux, qui disposent d'une expertise de terrain précieuse. La philosophie de Jamais sans toit et du réseau national repose sur la participation active des personnes concernées. Nous nous plaçons dans une logique de solidarité, et non de charité. Cette vision est cruciale pour l'émancipation sociale et politique, notamment pour ces femmes qui commencent à connaître leurs droits et à les revendiquer.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci pour votre intervention. Nous vous interrogerons après ces interventions.

Enfin, notre dernière intervenante de la matinée est Anina Ciuciu du collectif #Écolepourtous.

Mme Anina Ciuciu, marraine et avocate du collectif #Ecolepourtous. - J'interviens avec Ana Maria Stuparu, la porte-parole de notre collectif. J'aimerais lui laisser la parole en premier, si vous me le permettez.

Mme Ana Maria Stuparu, porte-parole du collectif #Ecolepourtous. - Bonjour à tous. Merci de donner la parole aux personnes directement concernées. Cette initiative me permet, en tant que porte-parole du collectif #Ecolepourtous, et surtout en tant que jeune femme ayant vécu l'extrême précarité, de partager mon expérience. J'ai passé trois ans à vivre chaque jour avec la peur de me retrouver à la rue.

Je suis d'origine Rom-Roumaine. Je suis arrivée en France en juillet 2017 avec ma mère et mon frère. Dès notre arrivée, nous avons dû vivre dans un bidonville, dans des conditions très difficiles. J'ai décidé de transformer ce drame en force, car ma mère m'a toujours enseigné que c'est par l'école que je pourrai m'en sortir. J'avais confiance en l'école de la République pour m'offrir cette chance.

Cependant, lorsque j'ai voulu m'y inscrire, j'ai rapidement compris que cette opportunité n'était pas une évidence pour un enfant vivant dans mes conditions. J'ai dû attendre plus de six mois pour être scolarisée, car on m'a refusé l'inscription. J'avais 16 ans à l'époque.

Après cette attente, j'ai finalement réussi à m'inscrire. J'ai intégré une unité pédagogique pour élèves allophones nouvellement arrivés (UP2A). Ce n'est que lorsque j'ai commencé à apprendre le français et à découvrir ce qu'était l'école que ma vie en France a réellement commencé.

Malheureusement, quelques semaines avant mon examen de fin d'année, qui devait établir mon niveau de français après seulement quatre mois d'école en France, j'ai appris que sa date correspondrait à l'expulsion du terrain où nous vivions. Grâce aux efforts de ma mère, nous avons trouvé un autre bidonville à proximité, évitant ainsi de nous retrouver à la rue et de perdre nos affaires, y compris nos fournitures scolaires. Nous sommes restés sur le bidonville jusqu'au jour de l'expulsion, dans l'espoir d'une aide qui n'est jamais arrivée. Ce matin-là, j'ai vécu ma première expulsion, et l'après-midi, j'ai passé mon examen, que j'ai réussi. J'ai obtenu 80 points sur 100 après seulement quatre mois d'études en France. J'ai pu intégrer un lycée en filière ST2S, car je rêvais de contribuer au changement social.

C'est grâce aux efforts de ma mère que j'ai obtenu mon bac et que j'ai poursuivi mes études, malgré deux années supplémentaires dans un habitat précaire. Ce n'est qu'en septembre 2020, lorsqu'elle a retrouvé un travail, que nous avons pu obtenir une place dans un centre d'hébergement d'urgence, où nous vivons depuis.

En 2018, j'ai répondu à l'appel d'Anina Ciuciu. Je me suis alors retrouvée avec de nombreux autres jeunes différents de moi, mais qui vivaient dans des situations très précaires, des mineurs non accompagnés, des jeunes des communautés de gens du voyage, vivant dans des aires d'accueil, des jeunes originaires des outre-mer. Nous avons constaté que nous avions tous rencontré des difficultés d'accès et de réussite à l'école en raison de notre grande précarité.

Nous avons alors créé le collectif #Ecolepourtous, pour être la voix de ces enfants les plus éloignés de l'école, car ils sont des milliers aujourd'hui. On compte jusqu'à 10 000 enfants vivant dans des bidonvilles, risquant chaque jour de se retrouver à la rue. C'était le cas pour les enfants de mes voisins et pour ma famille, ma grand-mère, mes neveux, expulsés en mars dernier du bidonville au sein duquel j'ai vécu durant deux ans à Antony. Ils ont été prévenus seulement 24 heures avant l'expulsion, une situation fréquente. Parmi ces personnes, on comptait une trentaine d'enfants, dont la moitié étaient scolarisés. Aucun d'eux n'a retrouvé l'école depuis. À la suite d'une expulsion, on compte en effet six mois de déscolarisation en moyenne. Quand ces expulsions se répètent, cela devient une réalité de vie. Personnellement, j'ai eu la chance de ne connaître qu'une expulsion. Ce n'est pas le cas de tous.

Pour ces raisons, nous demandons l'instauration d'une trêve scolaire républicaine, se traduisant par une suspension des expulsions habitatives durant l'année scolaire. Ces milliers d'enfants pourraient alors poursuivre une scolarité plus pérenne.

Mme Anina Ciuciu, marraine et avocate du collectif #EcolePourTous. - Bonjour à toutes. J'ai l'honneur d'être la marraine et l'avocate du collectif #EcolePourTous. Je l'ai fondé en 2018, car j'ai été moi-même l'une de ces enfants privées d'école en raison de l'extrême précarité dans laquelle je me suis retrouvée en arrivant en France. Issue de l'immigration Rom-Roumaine, comme Ana Maria Stuparu, avec ma famille nous avons été contraints de nous exiler vers la France à cause des discriminations à l'emploi subies par mes parents en raison de notre origine ethnique et nous n'avons pas eu d'autre choix que vivre dans un bidonville en arrivant en France. Nous avons vécu dans des conditions indignes d'extrême précarité.

Comme Ana Maria Stuparu et des milliers d'enfants en France aujourd'hui, j'ai subi le refus discriminatoire d'inscription scolaire opposé par le maire faute de justificatif de domicile. En vivant dans un bidonville, un squat ou un hôtel social, nous ne disposions en effet ni de bail, ni de quittance de loyer, ni de facture d'électricité. C'est contre cette réalité que nous nous battons au collectif #EcolePourTous. Nous avons obtenu d'importantes victoires sur ce point, sur lesquelles je reviendrai.

J'ai moi aussi vécu une expulsion habitative traumatisante. Nous habitions dans un foyer social, un hébergement d'urgence à Mâcon, en Saône-et-Loire. Lorsque nous avons enfin pu nous inscrire à l'école, nous avons commencé à rêver à un avenir en France, à croire en la possibilité d'avoir un futur. C'est cette volonté de nous offrir un avenir qui guidait nos parents lorsqu'ils ont décidé de quitter la Roumanie.

C'est à cet instant que notre hébergement a pris fin par une décision d'expulsion sans relogement et que nous avons dû quitter l'école dès le lendemain. Je me souviens des larmes de mon directeur d'école, impuissant face à cette situation. Il ne pouvait rien faire pour nous garder mes soeurs et moi à l'école. Nous avons uniquement pu emporter nos cartables. Nous avons vécu des mois dans un camion aménagé par mon père. Nous n'avons pu retrouver l'école que neuf mois plus tard.

Cela a été dit, une expulsion habitative entraîne en moyenne six mois de déscolarisation. Cette réalité a notamment été constatée par le travail de médiation scolaire de l'association L'École au présent à Marseille présidée par Jane Bouvier. Elle a documenté les conséquences désastreuses sur la scolarité des expulsions habitatives et des mises à la rue. La déscolarisation massive, occasionnant le décrochage et l'abandon définitif de l'école, est fréquente. Des milliers d'enfants voient leur parcours scolaire brisé, leurs rêves abandonnés.

Pour mes soeurs et moi, retrouver l'école n'a été possible que grâce aux efforts de nos parents et à notre installation dans un logement stable, neuf mois plus tard. Nous avions alors perdu presque une année de cours. Malgré le retard accumulé, il était évident que nous devions absolument réussir à l'école pour sortir de la précarité. L'école de la République constituait la seule voie possible pour nous. C'est pour cette raison que je suis devenue avocate. Je voulais défendre ceux qui, comme moi, ont vécu des injustices durant leur parcours.

Je vous laisse imaginer les efforts auxquels j'ai dû consentir pour réaliser mes rêves. Il était alors impensable que j'abandonne tous les autres enfants dont je connaissais la situation et les injustices qu'ils rencontraient. Je savais qu'ils étaient privés de la possibilité de réaliser leurs rêves.

Ainsi, en 2018, avec Ana Maria Stuparu et d'autres jeunes en situation d'extrême précarité, enfants vivants en bidonvilles, squats, hôtels sociaux ou à la rue, mineurs isolés étrangers et jeunes majeurs, enfants originaires de Mayotte ou de Guyane, enfants vivant en aires d'accueil des Gens du Voyage ayant rencontré les mêmes difficultés d'accès à l'école, nous avons fondé le collectif #EcolePourTous pour faire entendre notre voix et celle des 100 000 enfants concernés. Nous vous remettrons d'ailleurs à la suite de notre audition un rapport de plaidoyer dans lequel nous avons intégré nos évaluations. Si elles ne sont peut-être pas exhaustives, elles mettent en exergue des chiffres qui reflètent la réalité. Nous estimons que 100 000 enfants sont privés du droit à l'éducation en France. Ce chiffre a été validé en 2019 par la Défenseure des enfants, Geneviève Avenard, qui estimait qu'il était en dessous de la réalité et d'autant plus après les ravages de la crise de Covid-19 sur la scolarisation des enfants en extrême précarité.

Nous avons obtenu des victoires importantes depuis 2018, notamment grâce à l'adoption de l'article 16 de la loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, qui a modifié les documents requis pour l'inscription scolaire. Cependant, certains maires continuent de refuser l'inscription aux enfants sans domicile fixe en se basant à tort sur l'absence de justificatifs de domicile alors que désormais la loi est claire, une simple attestation sur l'honneur du responsable légal de l'enfant est suffisante pour justifier du domicile. En tant qu'avocate, je mène aux côtés des parents des actions en justice victorieuses contre ces refus discriminatoires, mais des efforts politiques et structurels sont encore nécessaires en la matière afin que les maires soient contraints de respecter la loi et permettre l'inscription scolaire de tous les enfants sans discrimination.

Nous avons également instauré un dispositif de médiation scolaire en 2021, avec quarante-deux postes de médiation, permettant à environ 4 000 enfants par an de bénéficier d'un accompagnement pour assurer leur continuité scolaire.

De plus, la loi relative à la protection des enfants d'Adrien Taquet du 7 février 2022, interdisant les sorties sèches de l'Aide sociale à l'enfance (ASE), a constitué une réelle avancée. Cependant, la loi « Asile et immigration » du 26 janvier 2024 a régressé sur ce point, créant des discriminations pour les jeunes étrangers mineurs non accompagnés.

Malgré ces avancées importantes, l'obstacle majeur demeure la multiplication des expulsions habitatives, qui annule tous les efforts réalisés pour garantir le droit à l'éducation. Il en résulte du décrochage et des abandons définitifs de l'école, qui ne peuvent mener qu'à deux voies : la marginalisation des enfants ou la délinquance. Nous calculons ce risque en termes de jours, de semaines et de mois. Dans ce contexte, nous proposons une solution temporaire et urgente : la trêve scolaire républicaine, suspendant les expulsions habitatives durant l'année scolaire pour les enfants et leurs familles vivant en situation de grande précarité vivant en bidonvilles, squats, hôtels sociaux, aires d'accueil des Gens du Voyage, en caz à Mayotte ou en Guyane. Cette mesure réduirait le nombre d'enfants à la rue et garantirait la continuité scolaire.

Cette solution a été mise en place de façon expérimentale à Marseille par la mairie, la Préfecture travaillant en bonne intelligence avec l'association L'école au présent. Elle a permis de constater que l'arrêt des expulsions habitatives pendant l'année scolaire occasionnait une amélioration des résultats scolaires et une réduction forte du décrochage scolaire. Il permet aussi aux parents de s'inscrire socialement dans le travail et le logement.

Le collectif #EcolePourTous travaille en collaboration avec un groupe parlementaire transpartisan pour instaurer cette trêve scolaire. Il a proposé plusieurs amendements à cet effet. Nous vous invitons à rejoindre ces travaux pour l'intérêt supérieur de l'enfant.

Nous recommandons également la systématisation du contrat jeune majeur jusqu'à l'âge de 25 ans, pour éviter que des jeunes sortant de l'Aide sociale à l'enfance se retrouvent à la rue et perdent leur accès à l'éducation. En effet, lorsqu'ils ont eu la chance d'avoir accès à la protection de l'enfance, et donc à l'école, que se passe-t-il lorsqu'elle prend fin, à 18 ans ? Comment continuer l'école pour réaliser leurs rêves ? La loi d'Adrien Taquet supprimait les sorties sèches. Tous ces jeunes bénéficiaient d'une solution à la sortie : un contrat jeune majeur ou une garantie jeune. La loi Asile et immigration est revenue sur ce point en mettant en place une discrimination importante pour les jeunes majeurs isolés étrangers. Ceux qui seraient soumis à une obligation de quitter le territoire français ne pourront en effet plus bénéficier de cette protection jusqu'à leurs 21 ans. Cette mesure pousse de nombreux jeunes majeurs à la rue, dans l'impossibilité de continuer leur scolarité.

Le comité de vigilance sur la protection de l'enfance à l'Assemblée nationale se mobilise sur ce sujet. Je ne doute pas qu'il est important à vos yeux, au Sénat et au sein de cette délégation. Nous savons en effet qu'une personne sans domicile fixe sur quatre est issue de l'Aide sociale à l'enfance. Cet enjeu est majeur si nous voulons réduire le nombre d'enfants à la rue.

L'ensemble de ces recommandations relève de l'intérêt supérieur de l'enfant qui est au coeur de la Convention internationale des droits de l'enfant (Cide), en premier lieu l'obligation pour l'État de maintenir le droit à l'éducation, mais aussi de prendre les mesures nécessaires pour éviter les abandons scolaires, pour permettre de garantir la continuité de la scolarité. Les mesures que nous demandons ne sont que l'application des articles 28 et 29 de cette convention.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Nous vous remercions pour vos contributions et votre expertise, fondées sur votre vécu. Je n'ai que peu de questions à vous poser, car vous avez été assez exhaustifs. Cependant, je pourrais vous interroger de façon plus globale sur les expulsions : pourquoi une collectivité locale décide-t-elle, à un moment donné, de mettre fin à l'occupation d'un gymnase ? Cette question s'adresse d'ailleurs davantage à nos collègues élus municipaux ou aux représentants de l'État.

Pouvons-nous reprocher à une collectivité locale de vouloir placer l'État devant ses responsabilités en reprenant des locaux qui n'étaient pas dévolus à l'hébergement, à l'origine ? Des solutions transitoires d'urgence peuvent-elles devenir pérennes ? Nous nous situons ici au coeur de l'insuffisance de logements, et surtout de l'embolie de la chaîne d'accès au logement, à tous les niveaux.

À la suite de cette mission, je suis fermement convaincue que l'exigence d'un titre de séjour régulier pour accéder à un logement social est l'un des principaux obstacles à résoudre et contribue à l'augmentation du nombre de personnes sans abri.

Vous avez évoqué l'Aide sociale à l'enfance et son rôle à l'égard des enfants vivant dans des conditions précaires. Pourquoi cette institution, qui est censée protéger les enfants en danger, ne joue-t-elle pas un rôle plus actif dans l'accompagnement des familles et des enfants dans le cadre de leur inscription scolaire ? On peut pourtant considérer que les enfants vivant dans des conditions de vie précaires sont en danger. Nous semblons tous avoir admis que l'ASE ne s'occupe pas de la prévention et de l'accompagnement des enfants à la rue, ce qui est pourtant fondamental dans son mandat.

Il est crucial de reconnaître que l'Aide sociale à l'enfance ne se résume pas au placement des enfants en difficulté, au contraire. Il est essentiel qu'elle remplisse également son rôle préventif et protecteur, notamment au travers des actions éducatives en milieu ouvert (AEMO). Actuellement, cette responsabilité semble largement déléguée au tissu associatif, alors que les pouvoirs publics devraient également jouer un rôle substantiel aux côtés des enfants.

Mme Olivia Richard, rapporteure. - Merci infiniment pour vos propos, vos témoignages et votre expertise.

Je souhaiterais comprendre pourquoi une expulsion de domicile entraîne nécessairement la déscolarisation, alors que normalement, un justificatif de domicile n'est plus requis pour l'inscription à l'école.

Ensuite, je suis très heureuse que l'on parle de l'école, jusque-là assez absente de nos débats. Néanmoins, je pense qu'il est aussi crucial d'aborder la question des violences sexuelles à l'égard des enfants. Disposez-vous de témoignages ou de données spécifiques à ce sujet ? Nous savons que les femmes à la rue sont des proies, et qu'elles n'en sortent pas indemnes. Qu'en est-il des enfants ?

Mme Marie Mercier. - Je tiens à exprimer mes remerciements à chacun pour vos contributions de ce matin. La cause des droits des mineurs reste bien souvent mineure. Nous devons déployer une énergie considérable pour faire reconnaître le fait que les enfants ont besoin d'être écoutés.

Notre collègue Laurence Rossignol a abordé la question des évacuations de gymnases par les collectivités. Avez-vous eu affaire à une évacuation lors de l'occupation d'une école ? Je sais que parfois, les enseignants restent même la nuit pour assurer une présence dissuasive, pour faire barrage. Avez-vous connu de telles menaces ? Arrive-t-il qu'un gymnase, initialement non destiné à l'habitation, mais qui le devient par nécessité, soit évacué ?

Je suis également surprise de constater que dans mon agglomération de Chalon-sur-Saône, environ 1 000 logements sociaux sont vacants. Dans ma propre commune, vingt-deux d'entre eux le sont. Ce constat dénote des disparités territoriales marquées en matière de logement. Certains présentent de fortes tensions, et d'autres, beaucoup moins. Il est évident que le logement est crucial pour l'enfant et son éducation. Lorsque j'étais maire, nous accueillions les enfants des gens du voyage avec leurs caravanes sans exiger de justificatif de domicile, en leur assurant un accès à l'école, à la cantine et à la garderie après classe.

J'en déduis que la loi n'est pas la même pour tous sur l'ensemble du territoire. Il semble que son interprétation et sa mise en oeuvre varient selon la personne à l'origine des décisions, ce qui soulève des questions d'équité importantes.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Madame Lignon, lorsque vous mentionnez les 35 % de femmes seules avec enfants, sont-elles principalement des femmes qui élèvent seules leurs enfants ? Nous avons souvent constaté que le père s'effaçait pour permettre à sa femme et à son enfant de disposer d'un statut spécifique. Ce chiffre pourrait-il être revu à la hausse ?

Ensuite, en ce qui concerne l'accès aux logements sociaux et l'absence d'inconditionnalité, quel est le pourcentage des enfants et des familles avec enfants parmi les sans-papiers, ou ceux simplement sans domicile fixe ? Ces questions visent à comprendre les difficultés spécifiques rencontrées par ces groupes.

Mme Anina Ciuciu. - Malheureusement, l'Aide sociale à l'enfance ne remplit pas pleinement son rôle de garantir une protection adéquate aux enfants, notamment en assurant leur droit fondamental à l'éducation. C'est particulièrement préoccupant dans le cas des mineurs isolés étrangers, qui, en plus de l'absence de famille et de soutien en France, subissent une discrimination basée sur leur origine, en contradiction avec l'ensemble de nos principes fondamentaux.

Ce danger concerne également les autres enfants vivant dans la rue, ceux accompagnés de leurs parents. Vous avez mentionné l'absence de prise en charge par l'ASE dans ces situations. Cependant, une prise en charge au sein de familles d'accueil ou en foyer n'est peut-être pas toujours la meilleure solution pour eux. À titre personnel, je peux confirmer que pour Ana Maria Stuparu et moi-même, ainsi que pour de nombreux enfants que nous accompagnons, un placement ne nous aurait certainement pas permis de réaliser nos parcours de vie et d'être les personnes que nous sommes aujourd'hui.

Malheureusement, les déficiences du système de protection de l'État, notamment mises en lumière par la commission d'enquête parlementaire en cours sur ce sujet à l'Assemblée nationale, montrent que le placement ne constitue pas toujours la solution appropriée. Parfois, il peut même agir comme une double peine, une forme de sanction supplémentaire pour des enfants et leurs parents qui se trouvent déjà en situation d'extrême précarité.

Permettez-moi de vous exposer le cas d'une femme isolée avec ses enfants à la rue, contrainte de mendier pour survivre. Malgré ses demandes répétées de logement, bien que reconnue comme disposant d'un droit au logement opposable (Dalo), elle n'a reçu aucune proposition de relogement ou d'hébergement d'urgence. Elle n'avait donc d'autre choix que de vivre dans la rue avec ses jeunes enfants en bas âge et de mendier. Elle a été poursuivie pour maltraitance envers ces derniers. Dans ce contexte, ils ont été placés, sans que les carences du système de protection de l'État, qui n'a pas su garantir un hébergement d'urgence ni permettre leur inscription scolaire, ne soient prises en considération. Nous identifions ici un véritable danger.

Nous voulons que la protection de l'enfance assure son rôle, qu'elle permette aux enfants d'accéder à l'éducation, de bénéficier d'un environnement sécurisant, et de voir leurs droits respectés au sein de leur famille, tant que celle-ci ne représente pas un danger pour eux.

Madame la Sénatrice Richard, nous avons évoqué les conséquences désastreuses des expulsions sur la scolarisation, et les raisons pour lesquelles elles conduisent souvent à un décrochage scolaire. La législation actuelle ne requiert plus de justificatif de domicile spécifique pour l'inscription scolaire, mais elle impose toujours la preuve que l'enfant réside dans la commune où il est scolarisé. Toutefois, la loi précise désormais que la preuve du domicile se fait par tous les moyens et qu'une simple attestation sur l'honneur du parent ou responsable légal de l'enfant est suffisante pour en justifier...

Lorsque nous discutons des expulsions et de leurs impacts, nous parlons des conséquences matérielles immédiates : lorsqu'on se retrouve du jour au lendemain sans abri, la survie et la recherche d'un nouveau lieu de vie deviennent l'urgence. Souvent, cela se traduit par la reconstruction de bidonvilles ailleurs, dans une commune voisine. Durant cette période, les difficultés d'accès à des conditions d'hygiène dignes, comme laver son linge, rendent presque impossible le retour à l'école en raison du risque de moqueries et du rejet des autres enfants, comme nous l'avons vécu avec Ana Stuparu. D'autant plus qu'un enfant identifié comme vivant dans un bidonville est souvent victime de harcèlement raciste à l'école, une réalité très difficile à affronter. Le dossier que nous vous adresserons contient d'ailleurs des actions à ce sujet. Nous pourrons en discuter.

Ce risque est aggravé lorsque l'enfant en vient à vivre dans la rue ou dans une voiture. Ainsi il devient presque physiquement impossible pour lui de fréquenter régulièrement l'école. C'est le cas de Slavi Miroslavov, membre du collectif #EcolePourTous. Il a connu depuis son enfance une dizaine de bidonvilles en Seine-Saint-Denis. Il a été expulsé d'innombrables fois. L'école constituait le seul ancrage pour lui et sa famille, un lien précieux qu'il a tenté de maintenir en dormant parfois dans une voiture, près de l'école. À chaque expulsion, il devait tout recommencer à zéro. Dans 86 % des expulsions, les fournitures scolaires sont détruites, souvent avec les vêtements, les médicaments, et les documents d'identité. Ces pertes matérielles sont considérables et s'ajoutent à l'urgence vitale de retrouver un abri pour stabiliser sa situation. Ces facteurs expliquent pourquoi, concrètement, dans la vie quotidienne, l'accès à l'école est gravement compromis lors d'expulsions sans solutions de relogement.

Mme Ana Maria Stuparu. - Malgré la clarté de la loi, comme vous l'avez souligné précédemment, il existe des disparités dans son application à travers le pays, notamment s'agissant des exigences documentaires pour l'inscription scolaire. Bien que la loi soit claire, toutes les municipalités n'affichent pas la volonté d'inscrire tous les enfants à l'école.

Ces familles se trouvent dans une situation où elles doivent survivre, retrouver une certaine stabilité après avoir perdu tous leurs repères, et ensuite entreprendre des démarches lourdes pour réintégrer le système scolaire. Celles-ci sont souvent entravées par divers obstacles, comme le manque de places en médiation scolaire. Bien que nous ayons obtenu leur doublement, c'est-à-dire quarante places supplémentaires, leur nombre reste largement insuffisant par rapport aux besoins réels des milliers d'enfants qui ont besoin d'être soutenus pour retrouver le chemin de l'école après une expulsion.

M. Raphaël Vulliez. - Lorsque nous avons commencé à occuper les écoles, nous avions pour objectif de mettre ces familles à l'abri la nuit, au plus près de leurs pôles de vie sociale - souvent, les écoles. Même lorsque certaines familles sont placées dans des hôtels à plus d'une heure de trajet de l'école, elles maintiennent leurs enfants dans la même école, par confiance. Elles sont inscrites dans des tableaux Excel. Parfois, elles sont transférées d'un endroit à un autre sans préavis, ce qui est très déstabilisant.

Sous le mandat de l'ancien maire de Lyon Gérard Collomb, la situation était assez conflictuelle à Lyon, car la police municipale était envoyée pour empêcher les occupations d'écoles, bien qu'aucune évacuation n'ait eu lieu. Cependant, lors de l'arrivée du nouveau maire, des engagements ont été pris pour utiliser les pouvoirs de police municipale afin de réquisitionner des bâtiments, comme cela avait été fait à Paris sous le mandat de Jacques Chirac, pour loger des familles sans abri. À Noël 2022, nous avons constaté que 40 % des enfants sans abri de Lyon et de Villeurbanne étaient hébergés dans des écoles. Ces occupations duraient souvent des mois.

Chaque nuit, des parents d'élèves ou des enseignants dormaient aux côtés des familles pour des raisons de sécurité. Nous avons toujours respecté ce « contrat moral » avec la ville. Cependant, lorsque ces situations durent plusieurs mois, les complications sont réelles. Nous avons eu le sentiment que la générosité citoyenne palliait les manquements des pouvoirs publics.

Il y a deux ans, nous avons dépensé 35 000 euros de nuitées d'hôtel, chiffre qui est monté à 70 000 euros l'année suivante, pour soulager un peu ces familles et leurs soutiens. Ce montant devrait encore augmenter cette année. À la veille de Noël dernier, 45 % des familles sans abri étaient hébergées dans des écoles, soulignant que ces dernières sont devenues un dispositif officieux d'hébergement, les pouvoirs publics se déchargeant sur la bonne volonté des citoyens.

Ensuite, des gymnases ont été utilisés pour héberger environ 140 mineurs isolés à Lyon. Cette mesure reste préférable à la rue, où le nombre de décès reste tragiquement élevé. Le collectif Les Morts de la rue a compté entre 600 et 700 morts l'an dernier. Le dernier décompte depuis le début de cette année en dénombre 222. Il est crucial que les villes mettent à disposition leur patrimoine municipal pour que l'État puisse créer des places d'hébergement d'urgence, même si elles ne sont pas compétentes en la matière. Il est décevant de constater que certains engagements pris ne sont pas tenus, ce qui affaiblit la confiance dans l'autorité publique. En effet, des municipalités s'engagent auprès d'enfants et de familles, puis attaquent l'État pour défaillance, tout en lui demandant le concours de la force publique pour déloger des femmes et des enfants. Ce n'est pas acceptable. Je m'exprime ici en toute indépendance partisane.

Mme Julie Lignon. - S'agissant du rôle de l'ASE, une mesure a été mise en place dans le cadre de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté : les maraudes mixtes. Active de 2018 à 2022, cette initiative visait à aller vers les familles et les enfants en situation de rue ou vivant en squats ou en bidonvilles. Elle n'existe plus. Elle ne figure pas dans le nouveau plan de lutte contre la pauvreté. Son efficacité variait selon les territoires, en fonction des moyens attribués et de la présence des acteurs locaux. Une évaluation complète aurait été utile pour identifier ses lacunes et l'améliorer.

La maraude mixte, impliquant à la fois l'État et les départements, mettait en effet en lumière le rôle crucial de l'ASE. Malheureusement, elle n'est plus opérationnelle à ce jour.

Pour ce qui est de la déscolarisation liée aux expulsions des lieux de vie informels, je vous invite à consulter le rapport de l'Observatoire des expulsions des lieux de vie informels, qui a cette année focalisé son étude sur l'impact de ces expulsions sur les enfants. Il est important de rappeler que les pratiques impliquant une demande abusive de justificatifs de domicile sont illégales depuis le décret du 29 juin 2020, régulant les pièces nécessaires à l'inscription scolaire.

Plus globalement, les expulsions sont souvent inefficaces lorsque non préparées et sans accompagnement ni solution de relogement adéquate. Elles contraignent les personnes à se réinstaller ailleurs, parfois dans des endroits moins visibles et avec moins de ressources qu'auparavant. Elles contribuent ainsi à leur invisibilisation et à la rupture de leur suivi éducatif et médical, ou d'un éventuel accompagnement professionnel de la protection de l'enfance.

En résumé, la question des expulsions pose problème. Je vous oriente également vers l'instruction du 25 janvier 2018 relative à la résorption des bidonvilles. Elle prévoit un changement de paradigme en privilégiant une résolution durable plutôt que des expulsions répétées. Malheureusement, elle n'est pas uniformément mise en oeuvre, ce qui entraîne la poursuite des expulsions dans certains territoires.

Quant aux violences sexuelles, bien que nous ne disposions pas de chiffres précis à ce jour, il est établi que la rue expose les enfants, tout comme les femmes, à des risques de violences et de traite. Ce phénomène est largement dénoncé, bien que nous manquions encore de données précises et documentées sur ce sujet.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Il est vrai que nous manquons de données chiffrées. Les violences sexuelles à l'égard des enfants constituent déjà une zone d'ombre, et dans le contexte des habitats informels, cette obscurité s'amplifie. Tous les facteurs semblent réunis pour une augmentation préoccupante. Dans les habitats informels, la promiscuité et le fait d'être hébergé chez des relations ou dans des familles où les situations peuvent être instables contribuent à exposer les enfants à un risque accru de violences sexuelles par des adultes. Ce risque est déjà élevé même en dehors des situations de sans-abrisme ou de problèmes d'hébergement.

Mme Julie Lignon. - Tout à fait.

Madame la Présidente, le nombre des femmes isolées que j'évoquais provient des données du 115. Il est issu de déclarations, ce qui ne nous permet pas de déterminer quelle proportion de femmes adopte effectivement cette stratégie ou non. J'ai tendance à dire que nous devons les croire, mais malheureusement, nous ne pouvons pas distinguer celles qui sont véritablement isolées de celles qui sont accompagnées, mais choisissent de ne pas révéler leur situation.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Mon propos ne relevait pas d'une défiance envers ces femmes, mais dénonçait le système qui contraint certains hommes à ne pas montrer leur existence, alors qu'ils peuvent être présents dans la vie de ces femmes et ces enfants.

Mme Julie Lignon. - Je précise également que, selon le rapport de la Fondation Abbé Pierre, les difficultés liées au logement affectent particulièrement les familles monoparentales. Les mères isolées sont surreprésentées parmi elles. Donc, même si certaines femmes peuvent être accompagnées par des hommes tout en cachant cette réalité, les femmes isolées demeurent une part importante de cette population.

De même, les chiffres du 115 ne nous permettent pas de connaître le nombre exact de personnes sans papier parmi les demandes non pourvues.

Mme Laure Darcos. - J'aimerais revenir sur les propos de Laurence Rossignol concernant le rôle prépondérant des associations et des collectivités. Les départements, notamment, sont très présents.

Permettez-moi également de partager mon témoignage concernant l'ASE. Elle correspond à notre première dépense dans l'Essonne, bien avant la dépendance.

Vous le savez, malheureusement, les finances locales des départements sont réduites année après année. Il en résulte des répercussions sur tout ce dont nous avons discuté. Par exemple, les placements ne se résument pas à la simple séparation d'une mère et de son enfant. Aujourd'hui, certaines femmes sont victimes de violences conjugales. Si leur enfant refuse d'aller voir le père, le procureur peut parfois décider de le placer d'office, sans chercher de compromis, sans examiner les détails des querelles familiales et sans évaluer l'influence potentielle de la mère sur l'enfant. De plus, en vertu de la loi Taquet, il est interdit de loger des enfants, notamment des mineurs non accompagnés de moins de 16 ans, dans des hôtels sociaux. Les logements disponibles se font de plus en plus rares, malgré tous nos efforts.

Par ailleurs, de nombreux départements aimeraient pouvoir soutenir les jeunes majeurs après leurs 18 ans, mais nous sommes souvent démunis, car l'État ne nous apporte pas suffisamment de soutien sur ce point.

Ainsi, je voudrais donc rétablir un peu l'équilibre en affirmant que les départements sont souvent les principales collectivités pour vous aider, bien qu'ils soient eux-mêmes fréquemment très démunis.

Ensuite, vous évoquiez le droit au logement opposable. Serait-il possible d'accorder plus de points à vos situations pour garantir leur prise en compte prioritaire lors des attributions de logements ?

Enfin, le Gouvernement a souvent évoqué l'apprentissage du français pour les allophones. Il est sidérant que vous ayez mis autant de temps, Mesdames, à pouvoir apprendre le français après la période de scolarisation obligatoire, jusque 16 ans. Vous devriez systématiquement pouvoir être accueillis dès votre arrivée en France pour accéder à ces cours qui semblent encore insuffisamment disponibles.

Mme Colombe Brossel. - Merci d'avoir redonné du sens à ce qui, parfois, devient une forme de fatalité dans certains discours de politiques publiques. Je me souviens d'un échange que j'ai trouvé personnellement assez surprenant avec le ministre du logement de l'époque, Patrice Vergriete. Nous avions réalisé un effort transpartisan important au Sénat pour faire adopter un amendement, malgré l'utilisation de l'article 49-3. Sa réponse, dans ce cadre, m'avait désarçonnée.

Je suis élue à Paris. La situation des enfants sans abri a été un sujet très préoccupant l'hiver dernier, ainsi que l'hiver précédent. Les collectifs citoyens ont joué un rôle crucial pour les mettre à l'abri d'urgence et vers des solutions semi-pérennes. Ils méritent nos sincères remerciements.

Il y a deux jours, on a compté, parmi les demandes non pourvues à Paris, 666 personnes en famille à la rue, dont 322 enfants, ceci malgré les efforts déployés. Nous pouvons donc identifier, selon les alertes des élus locaux, des collectifs et des acteurs communautaires, un retour aux pires moments de cet hiver. Pourtant, des places d'hébergement ont été débloquées, des lieux de mise à l'abri d'urgence ont été ouverts. La participation de l'État est inexistante dans un certain nombre de dispositifs, qui permettent tout de même de mettre des familles et enfants à la rue. Nous en revenons tout de même à une situation catastrophique, qui nécessite d'ouvrir des écoles, des lycées qui ne sont plus occupés par la région Île-de-France. Ce phénomène est-il exclusivement parisien, ou le retrouvez-vous ailleurs en France ?

Par ailleurs, pourriez-vous nous donner plus de détails sur le dispositif de médiation scolaire que vous avez mentionné ?

Mme Julie Lignon. - La question du dispositif Dalo n'a pas été approfondie jusqu'à présent. Nous sommes toujours en train de porter notre plaidoyer sur l'hébergement d'urgence et sa qualité. Je ne suis donc pas en mesure de répondre à cette question.

Mme Laure Darcos. - C'est une piste à explorer.

Mme Julie Lignon. - Tout à fait.

Vous indiquiez ensuite que le département est la collectivité territoriale qui peut le plus nous aider sur cette question, parce qu'il dispose des compétences de prise en charge des femmes isolées avec des enfants de moins de 3 ans. Ils doivent également prendre leurs responsabilités, malgré des moyens limités.

J'aimerais également souligner le rôle des communes et intercommunalités. 300 villes amies des enfants se sont engagées à tenir des objectifs en matière de défense des droits et de protection des enfants. Lyon en fait partie. Durant le précédent mandat, la question des enfants sans domicile fixe était peu abordée, mais nous visons à mettre cette question à l'agenda municipal pour le prochain mandat. Nous encourageons les municipalités à s'engager activement dans l'accompagnement des enfants sans domicile, en fonction de leurs compétences locales. Elles ne doivent pas remplacer l'État, mais chacun doit assumer ses responsabilités.

Elles disposent de compétences en matière d'accueil de la petite enfance et peuvent renforcer ces compétences en lien avec la législation sur l'emploi. Elles ont aussi des responsabilités en matière d'éducation, de tarification scolaire, d'accès aux soins et de mobilité. Ces compétences, si elles sont inclusives et adaptées, peuvent améliorer la vie quotidienne des familles et enfants sans domicile. Nous travaillons sur ce point avec l'Unicef.

Pour ce qui est des demandes non pourvues à Paris, les chiffres que vous évoquiez, dont je n'avais pas connaissance, sont plus élevés qu'en août dernier. Nous comptions alors 620 personnes en famille en demande non pourvue. Cette situation n'est pas spécifique à Paris : nous rencontrons des difficultés similaires d'accès à l'hébergement dans toute la France, surtout dans les grandes métropoles, mais pas seulement.

Mme Dominique Vérien, présidente. - La situation n'est pas tendue partout en France. Est-il proposé à ces familles de se rendre en province ? On dit souvent qu'elles ne s'y rendront pas, parce qu'il n'y a pas de travail disponible dans ces territoires. Ce n'est pas vrai.

Je fais écho aux remarques de Marie Mercier. Dans le département de l'Yonne, une ancienne sous-préfète d'Avallon, maintenant installée en Seine-Saint-Denis, promeut cette idée. Le défi réside dans le soutien des réseaux déjà bien établis dans certains départements, nécessitant la participation des personnes impliquées. Je pense qu'il est important de réfléchir à ces zones moins tendues qui pourraient offrir à la fois du logement et des opportunités d'emploi, comme partout ailleurs où la main-d'oeuvre est recherchée.

Mme Julie Lignon. - Ce n'est pas le cas dans toute la France, mais tout de même dans la plupart des grandes métropoles. Je pourrai vous transmettre le baromètre Enfants à la rue 2023, qui signale les départements les plus tendus : Paris, la Seine-Saint-Denis, le Nord, la Haute-Garonne, le Bas-Rhin, la Gironde, l'Isère, le Rhône, l'Hérault, la Loire-Atlantique. Ce classement date d'août 2023. Depuis, la question de l'orientation des personnes sans domicile d'Île-de-France vers les SAS régionaux a été soulevée.

Cette solidarité nationale a été évoquée lors des précédentes tables rondes par les associations. Elle présente certains avantages, en permettant aux familles et aux individus d'accéder à un logement. Toutefois, je partage les points de vigilance soulevés par la Fédération des acteurs de la solidarité. La réorientation des familles ne peut se faire sans leur information claire, sans leur accord, et sans coopération de la part des collectivités. Elle ne peut se faire sans place d'hébergements disponibles, et sans prise en compte des besoins des concernés. Je pense notamment à la scolarisation des enfants, mais aussi aux parcours de soins, d'emploi, de protection de l'enfance, le cas échéant.

Ainsi, cette orientation n'est acceptable que lorsque ces conditions sont respectées.

M. Raphaël Vulliez. - L'année dernière, à Lyon, certaines familles ont été orientées vers les départements limitrophes comme la Loire, la Drôme et l'Ardèche pendant l'hiver. À la fin de la trêve hivernale, elles ont été contraintes de quitter ces lieux. Elles sont revenues à Lyon, là où elles ont leurs attaches. Au-delà des sas régionaux, qui ont suscité certaines polémiques, il existe des problèmes concrets.

À Lyon, toujours, des structures vides attendent des personnes sans domicile cet été pour les Jeux olympiques. Cependant, tant que nous ne construirons pas leur parcours avec les concernés, ces solutions resteront insuffisantes. Envoyer subitement ces personnes dans des départements où elles n'ont plus d'attaches et peu de perspectives d'emploi ne fonctionnera pas. Cela revient en quelque sorte à une gestion « au thermomètre », contraire à la politique du « logement d'abord » que préconisent tous les acteurs politiques, y compris la Cour des comptes. Dans un référé du 7 janvier 2021, celle-ci a souligné son efficacité sociale et son coût moindre pour la collectivité, tout en pointant le caractère moins brutal de cette approche encore expérimentale, mais non assumée politiquement. Bien que des sommes considérables soient investies dans l'hébergement d'urgence, celui-ci s'avère souvent inefficace.

En ce qui concerne le circuit de l'hébergement d'urgence, je ne veux pas avancer de chiffres erronés, mais il semble que près de la moitié des 300 000 places disponibles sont occupées par des personnes sans papiers qui travaillent. Ainsi, la loi Asile immigration s'est privée d'un levier potentiel d'action, notamment dans les secteurs en demande de main-d'oeuvre. En réalité, la plupart des personnes que je connais travaillent, même si elles le font souvent dans des conditions informelles ou illégales. Elles pourraient potentiellement accéder au parc privé ou social. La théorie de l'appel d'air que brandissent certains est un fantasme.

Mme Anina Ciuciu. - En tant qu'avocate accompagnant de nombreux clients dans ces procédures, je suis bien consciente des divers aspects de la protection de l'enfance. Mon propos visait à mettre en lumière les effets discriminatoires, pervers et souvent dangereux des placements abusifs, surtout pour les familles en grande précarité. Il est frappant de constater que les seuls enfants souvent exclus de cette protection sont ceux qui la réclament, les mineurs isolés étrangers.

On observe aussi des problèmes flagrants de placements discriminatoires et abusifs, notamment à l'égard des enfants de familles précaires, notamment issus des communautés roms et des Gens du Voyage. Cette question reste largement ignorée et nécessiterait une enquête spécifique. Ces familles, dans des situations déjà extrêmement précaires et difficiles, sont accusées d'être responsables de leur propre malheur lorsque leurs enfants se retrouvent à la rue et privés d'école, comme l'a vécu la femme isolée dont j'ai parlé plus tôt. C'est extrêmement préoccupant.

Au contraire, l'État et les institutions devraient garantir ces droits et permettre à ces enfants de sortir de la marginalité, sans recourir à des placements abusifs.

Concernant le manque de moyens dans les départements, il est crucial d'augmenter les ressources, mais aussi d'harmoniser les politiques à travers la France. En effet, la loi ne semble pas appliquée de la même manière partout. C'est pourquoi nous préconisons la systématisation du contrat jeune majeur sans distinction d'origine ou de nationalité. Nous pensons que ce dispositif devrait relever de la responsabilité de l'État, pour éliminer les disparités départementales et assurer l'application uniforme des droits fondamentaux pour tous ces enfants. Cette uniformisation devrait s'accompagner d'une refonte des compétences entre les départements et l'État.

Quant à la question des placements croissants d'enfants, il est essentiel de contrer l'idée fausse selon laquelle nous assisterions à une arrivée massive de mineurs isolés étrangers, qui surchargerait les dispositifs d'accueil existants. Il n'existe aucune donnée à l'appui de cette hypothèse.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Chaque département est en mesure de fournir des chiffres précis sur le nombre de mineurs isolés qu'il accueille et sur l'évolution de cette population à prendre en charge.

Je ne suis pas sûre que l'on puisse parler de vagues d'arrivées, mais le fait est que leur nombre progresse. De plus en plus de prises en charge sont nécessaires, sans que les moyens associés soient suffisants.

Mme Anina Ciuciu. - Bien sûr, je ne remets pas du tout en question ce point. Simplement, certains font état d'une arrivée massive et d'un appel d'air. Je pense qu'ils n'existent pas réellement.

Ensuite, vous avez constaté une explosion du nombre de demandes non pourvues d'enfants à la rue, au nombre de 332 aujourd'hui. Je vous invite à porter une grande attention aux conséquences des Jeux olympiques, car le nombre d'expulsions va considérablement augmenter dans les mois à venir. La semaine dernière, à Saint-Denis, commune des Jeux olympiques, deux bidonvilles ont été expulsés, ce qui a conduit plusieurs dizaines d'enfants scolarisés à se retrouver à la rue, sans possibilité de continuer leur scolarité. Pour l'un de ces bidonvilles, une décision de justice accordait un délai jusqu'au mois de juillet pour permettre aux enfants de rester scolarisés pendant la trêve estivale. Pour l'autre, l'expulsion avait été refusée par la justice. Malgré tout, les autorités locales, y compris la mairie et le département - car ces terrains leur appartiennent -, ont procédé à ces expulsions sans proposer de relogement.

Ce nombre d'expulsions va augmenter, ce qui signifie que le nombre d'enfants à la rue, particulièrement en Île-de-France et dans les grandes métropoles, va exploser. Nous aurons ainsi des milliers de nouveaux enfants privés de tous leurs droits, notamment de celui à l'éducation. C'est un aspect sur lequel il est crucial de se concentrer, d'autant plus que votre rapport sera rendu, je crois, en octobre prochain. Vous pourrez alors observer cette situation et, je l'espère, proposer des leviers d'action pour éviter le pire.

Ensuite, vous m'interrogiez sur la médiation scolaire. Ce dispositif permet de faire le lien entre les enfants en situation d'extrême précarité et les équipes des établissements scolaires. Actuellement, ce sont principalement les associations qui assurent cette mission. Ce n'est pas du ressort de l'Éducation nationale.

Je préside également Askola, une association de médiation scolaire en Seine-Saint-Denis ; nous avons développé un modèle national, notamment grâce à la Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal) dans le cadre du Pacte des solidarités. Les deux missions principales de la médiation consistent tout d'abord à faciliter l'inscription scolaire des enfants, car malheureusement, pour ceux en situation d'extrême précarité, ils sont encore confrontés à des refus discriminatoires. Ensuite, dans l'attente de l'inscription, elle prépare les enfants à devenir élèves et les parents à leur rôle de parents d'élèves. Ce travail inclut la préparation aux évaluations de la langue française des enfants allophones et leur permet d'acquérir les fondamentaux en attendant l'accès à l'école publique.

De plus, surtout pour les enfants à la rue, l'un des rôles cruciaux de la médiation scolaire est de garantir la continuité scolaire. En cas d'expulsion, le médiateur scolaire permet de maintenir le lien avec l'école et de faciliter la transition vers de nouveaux établissements. En effet, lorsqu'un enfant en extrême précarité doit en changer, son parcours éducatif est souvent perdu, sans aucune continuité ni suivi de son niveau scolaire. La présence d'un médiateur scolaire est essentielle dans ces situations.

Ce dispositif a été particulièrement important pendant la période de la Covid-19, car il a permis de maintenir le lien avec les enfants vivant en bidonville, en squat ou en hôtel social. D'autres moyens, comme le « cartable électronique », étaient inefficaces dans ces contextes où l'accès à Internet et au Wi-Fi était limité. Ainsi, là où il y avait des médiateurs scolaires, les équipes pédagogiques ont pu rester connectées et éviter un décrochage scolaire total.

Actuellement, il n'existe que quarante postes pour des milliers d'enfants, ce qui est extrêmement limité. Nous saluons l'annonce de la ministre Aurore Bergé concernant le triplement de ce dispositif à la rentrée prochaine, mais il est important de souligner qu'actuellement, il est limité aux enfants intraeuropéens. À nos yeux, cette restriction n'est pas justifiée, car des enfants d'autres origines, comme les enfants syriens vivant dans des bidonvilles ou les mineurs isolés étrangers venant de pays d'Afrique de l'Ouest comme la Guinée, ont également urgemment besoin de ce type de soutien. Nous sommes ravis de son expansion, mais il est crucial que ce dispositif puisse bénéficier à tous les enfants qui en ont besoin sans distinction d'origine.

Mme Julie Lignon. - En ce qui concerne les disparités territoriales dans la mise en oeuvre des politiques publiques, je souhaite attirer votre attention sur les territoires d'outre-mer. Ils étaient par exemple exclus de l'instruction du 25 janvier 2018 relative à la résorption des bidonvilles, malgré des besoins exacerbés qui y sont relevés en raison d'une pauvreté plus prononcée.

La situation est particulièrement grave dans ces territoires. À Mayotte, huit enfants sur dix vivent dans la pauvreté ; en Guyane, six sur dix sont concernés, et à La Réunion, plus de quatre sur dix (46 %). Pour cette raison, je vous invite à consulter le rapport de l'Unicef intitulé « Grandir dans les outre-mer », qui aborde notamment la question du mal-logement dans ces régions. La Fondation Abbé Pierre a également publié des rapports essentiels sur ces enjeux.

Mme Dominique Vérien, présidente. - La délégation aux droits des femmes a également rédigé un rapport sur la parentalité dans les outre-mer. Je pense que les sujets de Mayotte et de la Guyane sont très particuliers, en raison d'une immigration forte. La Guyane est un petit département disposant de peu de moyens en préfecture. Elle fait face à une explosion de demandes de régularisation.

Il me reste à conclure cette table ronde et à vous remercier de vos interventions, vos témoignages, vos propositions, votre expertise sur ces sujets.

Nous adopterons notre rapport le 8 octobre. Nos rapporteures tiendront compte de toutes ces remarques. Nous nous étions orientés vers ce sujet en voyant que de plus en plus de femmes se trouvaient à la rue, depuis dix ans, et que de plus en plus d'enfants se trouvaient dans la même situation, depuis cinq ans. La France s'est engagée sur les droits des enfants. Notre délégation se doit d'émettre des propositions pour éviter que ces situations ne perdurent.