Jeudi 23 mai 2024

- Présidence de Mme Françoise Gatel, présidente -

Présentation des lignes directrices du renforcement des procédures de contrôle parlementaire, issues des conclusions du rapport « Renforcer le contrôle parlementaire »

Mme Françoise Gatel, présidente. - Je propose à présent de donner la parole à notre collègue Pascale GRUNY, qui avait été chargée, comme vice-présidente du Sénat, de faire des propositions visant à renforcer l'efficacité du travail parlementaire. Nous pouvons, au sein de notre délégation, tirer le plus grand profit de ces recommandations particulièrement pertinentes ; je pense notamment aux missions flash qui permettent une plus grande réactivité sur les sujets d'actualité.

Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Je rappellerai brièvement les conclusions des travaux relatifs au contrôle parlementaire que j'ai eu le plaisir de conduire en 2021, en tant que vice-présidente du Sénat en charge de la délégation du bureau sur le travail parlementaire et les conditions d'exercice du mandat de sénateur.

Ce travail est le fruit d'une large consultation menée auprès de l'ensemble des présidents de groupes, de commissions et de délégations. Ces échanges ont été fructueux puisqu'ils ont permis de dégager onze propositions pour améliorer l'efficacité du contrôle de l'action du gouvernement. Elles ont été mises en oeuvre dès le début de l'année 2022.

Ces propositions s'articulent autour de six objectifs que je rappellerai brièvement. Tout d'abord, il s'agissait de clarifier les modes de contrôle pour renforcer leur visibilité, ce qui implique notamment d'utiliser une nomenclature commune à toutes les instances du Sénat en matière de contrôle : mission d'information, commission d'enquête, mission conjointe de contrôle, groupe de suivi. Toutes ces structures ont été clarifiées et répertoriées.

Deuxièmement, il s'agissait de mieux cibler les priorités du contrôle sénatorial. Le programme de contrôle des commissions permanentes et des délégations a été ramassé autour de trois à quatre thèmes prioritaires par instance, de manière à se laisser une marge de manoeuvre pour déclencher des missions d'actualité plus courtes. Cet objectif n'est pas atteint.

Le troisième objectif vise la coordination entre les différentes instances du Sénat, commissions et délégation particulièrement, ce qui est absolument indispensable si nous souhaitons que nos travaux respectifs soient lisibles. Madame la présidente, je crois que notre délégation est exemplaire en la matière, collaborant avec les délégations comme avec les commissions permanentes du Sénat. Il convient en effet d'éviter toute redondance.

Le quatrième objectif proposait de densifier nos travaux de contrôle afin de nous saisir pleinement des possibilités offertes par cet exercice. C'est dans cette optique que sont nées les missions flashs, grâce auxquelles nous pouvons nous montrer plus réactifs sur les sujets d'actualité. Les rapports flashs sur le statut de l'élu local démontrent bien la réussite de ces formats courts.

C'est aussi dans cette optique qu'il était recommandé de diversifier les ressources sur lesquelles nous appuyons nos travaux de contrôle : consultation des élus locaux, déplacements, demandes de contributions écrites, marchés d'études, sondages, consultation des instances extérieures ou de l'antenne permanente du Sénat à Bruxelles, recours aux prérogatives de commissions d'enquête. Beaucoup d'outils sont à notre disposition. Il faut que nous nous en saisissions davantage.

Le cinquième objectif que nous avions arrêté porte sur la visibilité de nos travaux. Il était ainsi recommandé d'élaborer une stratégie de communication propre à chaque mission et de s'appuyer sur la très vaste palette d'instruments de communication à notre disposition, notamment sur les réseaux sociaux, le site internet du Sénat et la presse quotidienne régionale.

Enfin, le dernier objectif est celui qui nous intéresse plus particulièrement aujourd'hui. Il s'agit du suivi des rapports et du devenir de nos propositions. Nous devons impérativement dépasser l'étape de la formulation de recommandations et veiller à ce que ces dernières ne restent pas lettre morte. Cela se traduit d'abord, par l'instauration, pour les rapporteurs, d'un droit de suite.

Ce droit de suite est facilité par le souci de formuler des propositions opérationnelles. Ces propositions sont parfois prolongées par la rédaction de propositions de lois ou d'amendements, comme cela a par exemple été le cas en fin d'année dernière au sujet de la revalorisation du métier de secrétaire de mairie ou encore de l'important travail réalisé, en lien avec la commission des lois, relatif au statut de l'élu qui a abouti à la proposition de loi adoptée à l'unanimité par le Sénat en mars.

Je rappellerai également que ce droit de suite de nos recommandations est facilité par la mise en place du tableau de mis en oeuvre et de suivi (TMiS). Il dresse la liste des propositions figurant dans un rapport et précise les acteurs concernés par leur mise en oeuvre, le véhicule juridique et les éléments calendaires. Ce système permet par ailleurs aux commissions et aux délégations de dresser un bilan de la mise en oeuvre de leurs propositions, ce qui est fort utile pour définir le prochain programme annuel de contrôle.

Sans m'étendre davantage, je voudrais simplement me réjouir que la réunion d'aujourd'hui soit la première illustration de ce droit de suite à la délégation. Ce travail de suivi apporte une réelle plus-value à nos rapports et donne un véritable sens dans la durée à notre mission de contrôle.

Dans le cadre de cette délégation, j'avais aussi initié les débats interactifs, dans lesquels, soit sous forme de questions, soit sous forme de discussions générales, nous avions la possibilité d'avoir une réplique et parfois une réplique de réplique. Cette avancée peut sembler anecdotique, mais elle constitue le moyen d'aller au bout quand un ministre ne répond pas vraiment.

Cette présentation « Gruny » est importante parce qu'elle met en exergue une nouvelle façon de travailler qui associe les différentes instances. La délégation touche à tous les sujets, comme le montre notre travail avec la commission des finances sur les assurances des collectivités. Nous avons collaboré sans compétition, avec des auditions conjointes. Le rapporteur général du budget présentera les conclusions de nos travaux.

Examen du rapport « trois recommandations » relatif à la différenciation des collectivités territoriales

Mme Françoise Gatel, présidente et rapporteure. - Au cours de cette réunion plénière, nous examinerons deux rapports d'information relatifs au droit à la différenciation des collectivités territoriales. Celle-ci n'introduit pas une rupture dans la République, mais constitue, dans le respect de son unité, un principe d'égalité de droit, en adaptant les moyens à la diversité de nos territoires.

Nous traiterons donc du doit à la différenciation des collectivités territoriales et du défi de l'ingénierie dans les petites communes. Ces dernières doivent en effet remplir des obligations parfois similaires aux grandes villes et collectivités, alors qu'elles ne disposent pas de l'ingénierie pour les respecter.

M. Max Brisson, rapporteur. - Je rappelle que la loi « 3DS » reconnaît au législateur la possibilité, à droit constitutionnel constant, de différencier les règles relatives à l'attribution et à l'exercice des compétences applicables au sein d'une même catégorie de collectivités territoriales, à condition que les collectivités en question se trouvent dans des « différences objectives de situation ».

Cette notion consacre la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui juge, de façon constante, que « le principe constitutionnel d'égalité, applicable aux collectivités territoriales, [...] ne s'oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ».

L'article 2 de la loi « 3DS », issu des travaux du Sénat, ouvre aux départements et régions la possibilité de saisir le Premier ministre ainsi que les assemblées parlementaires de demandes de différenciation territoriale, par une délibération de leur organe délibérant. Cette procédure a été précisée par une circulaire du Premier ministre en janvier 2023, j'y reviendrai.

Au terme de cette séquence, nous dressons deux constats. Premièrement, très peu de collectivités se sont emparées de la nouvelle disposition et sur des sujets très « ciblés » : la région Occitanie (saisine du 30 novembre 2022), le département de la Lozère (saisine du 24 février 2023) et la région Île-de-France (saisine du 16 octobre 2023). La Bretagne a engagé une démarche similaire et devrait prochainement saisir le Premier ministre. Deuxièmement, aucune des trois collectivités pétitionnaires n'a, à ce stade, reçu de réponse du Premier ministre.

À partir de ce constat, peu satisfaisant par le nombre et par l'absence de réponse, nous allons présenter trois recommandations.

Premièrement, il est impératif d'accorder un meilleur accompagnement et de faciliter les demandes de différenciation en amont de toute délibération des collectivités. Dans les territoires, les services déconcentrés de l'État et notamment le préfet, doivent pleinement jouer un rôle « d'animateur » de la procédure de différenciation. À ce titre, il serait utile, voire indispensable, de sensibiliser les élus à cette procédure en mettant à leur disposition un guide pratique, élaboré par les services du Premier ministre. Ce dernier permettrait a minima d'expliciter concrètement la procédure voire de donner toutes les clés de compréhension de la procédure de différenciation créée par la loi « 3DS ». Même si nous sommes bien conscients que chaque demande de différenciation est un cas particulier et doit être appréciée in concreto, n'est-il pas important que les élus disposent des grandes orientations générales, assorties, si possible, d'exemples concrets de différenciation juridiquement possibles ?

Deuxièmement, notre recommandation porte sur la question des délais de réponse du Premier ministre. Je rappelle que dans le cadre de l'examen du projet de loi « 3DS », nous avions voté au Sénat un amendement prévoyant une réponse du Premier ministre dans un délai de six mois. Cette exigence de délai n'ayant pas prospéré dans le cadre de la navette parlementaire, la circulaire du Premier ministre de janvier 2023 se borne à préciser que « la qualité du dialogue entre l'État et les collectivités territoriales exige d'apporter une réponse dans un délai raisonnable », sans plus de précision.

Nos auditions ont été très instructives. À ce stade aucune des trois collectivités n'a reçu de réponse, alors qu'elles ont présenté leurs demandes entre novembre 2022 et novembre 2023 ! Par conséquent, nous recommandons au gouvernement de fournir obligatoirement une réponse motivée, dans un délai de six mois, à toutes les demandes des collectivités en matière de différenciation. Outre la nécessité démocratique d'un tel plafonnement de délai, c'est également une marque de respect envers les travaux et l'engagement des collectivités pour faire émerger leurs projets.

Mme Françoise Gatel, présidente et rapporteure. - Troisièmement, notre proposition s'attaque, si j'ose dire, au « coeur du réacteur ». Dans le cadre de notre mission, nous avons souhaité étudier les différentes options en présence pour territorialiser davantage l'action publique dans le respect de l'unité de la République : la différenciation peut-elle être utilement mise en oeuvre à droit constitutionnel constant, en améliorant les outils juridiques actuellement prévus ? Quels sont les blocages qu'une révision constitutionnelle pourrait permettre de lever ?

Comme l'a mentionné notre collègue Max Brisson, en l'état actuel de notre Constitution, les propositions de différenciation sont subordonnées à l'existence d'une différence objective de situation, notion dont les contours restent par ailleurs particulièrement flous pour tous les acteurs.

Max Brisson et moi-même sommes parvenus à la conclusion que seule une révision de l'article 72 de la Constitution permettra de consacrer un véritable droit à la différenciation territoriale. C'est pourquoi nous soutenons pleinement la proposition de loi constitutionnelle de M. François-Noël Buffet déposée au Sénat le 22 mars 2024.

Ce texte permettrait que des collectivités territoriales relevant d'une même catégorie puissent exercer des compétences différentes sans qu'elles n'aient plus à justifier de différences objectives de situation. Il permettrait également de renforcer le pouvoir réglementaire local.

En conclusion, nous voulons insister sur le fait que la différenciation doit : être guidée par le principe d'efficacité de l'action publique locale et de correction des inégalités territoriales ; être portée par une forte volonté politique locale. Nous insistons également sur ce que la différenciation ne doit pas être : elle ne doit pas créer un droit d'exception au profit de collectivités « autonomes » et dotées de « statuts particuliers ».

Mme Muriel Jourda. - Ne pourrait-on concilier l'unité de la nation, le caractère général de la loi et la différenciation par une législation générale qui se limite aux grands principes, laissant aux autorités locales le pouvoir de réglementation ? Nos décisions s'adapteraient ainsi aux réalités locales.

M. Max Brisson, rapporteur. - Depuis que je suis parlementaire, j'observe une tendance à vouloir légiférer sur tout par crainte que le pouvoir réglementaire n'échappe au législateur. Cette posture conduit à engendrer des lois bavardes qui ne parviennent pas, de toute manière, à traiter de la diversité des problèmes de nos territoires de manière exhaustive.

Une grande réforme politique consisterait à créer des lois-cadres générales et à confier un large pouvoir réglementaire au local, comme dans la plupart des pays européens. Nous restons bien sûr attachés à l'unité de la République. Lors de son audition, le président de la région Bretagne a justement souligné que les demandes de différenciation étaient fondamentalement républicaines.

Cette approche permet de traiter de problèmes spécifiques, qui diffèrent par exemple de la Lozère à la Bretagne. Il est insupportable de devoir justifier constamment la volonté politique d'agir efficacement dans le cadre de la loi. L'efficacité de la République passe par la différenciation comme outil et le transfert du pouvoir réglementaire aux collectivités territoriales.

Mme Françoise Gatel, présidente et rapporteure. - La question posée par notre collègue Max Brisson met en lumière la manière dont nous devrions légiférer. La loi doit définir des principes généraux et offrir un cadre flexible permettant une action locale tout en respectant l'unité de la République. Le problème culturel en France est que notre centralisme excessif, alimenté par une peur du risque, génère une perte de confiance des citoyens. Parfois, les parlementaires, cherchant à résoudre des problèmes locaux, alourdissent les lois nationales, créant ainsi des blocages.

L'accumulation de détails dans nos lois, comme le code de l'urbanisme par exemple, illustre bien ce phénomène. Le processus législatif devient si complexe que même les éditeurs de codes renoncent à suivre les changements constants. Pour résoudre ce problème, il est crucial que les élus locaux utilisent pleinement les libertés qui leur sont données, malgré l'absence d'ingénierie juridique dans les petites communes.

Nous devons créer des lois plus simples et flexibles, favorisant la confiance et l'action locale. Aucun préfet, comme le rappelait Max Brisson, ne s'est aventuré à promouvoir la loi sur la différenciation, car ils redoutent une situation plus complexe si les élus locaux étaient informés de ces avancées.

Mme Sonia de La Provôté. - Je souhaite aborder deux sujets. Le premier concerne l'unité de la République et comment la préserver. Il est crucial de créer un système pour surveiller la différenciation, les expérimentations et les normes locales, permettant ainsi de partager les bonnes idées au niveau national. Ce dispositif favoriserait une gouvernance agile, reconnaissant l'importance de l'initiative locale et rééquilibrant le pouvoir entre le national et le local.

Le second sujet porte sur l'« hyperjudiciarisation » de la société, qui constitue un frein majeur pour les élus locaux. Cette tendance fait peser une lourde responsabilité sur les élus locaux, souvent davantage que sur l'État.

M. Max Brisson, rapporteur. - En réponse à votre première question de, j'estime que toutes les demandes de différenciation ne doivent pas nécessairement être acceptées, surtout si elles paraissent contraires à la loi ou à l'unité de la République. Il est essentiel que le gouvernement refuse d'éventuelles demandes inappropriées. Nous avons souligné dans notre rapport que l'absence de réponse ou d'accompagnement n'est pas acceptable, mais cela n'induit pas que toutes les demandes devraient pour autant être approuvées.

Françoise Gatel a évoqué le fait que, sans différenciation, les demandes d'exception se multiplieront. Plus la société est mondialisée, plus le besoin du territoire est fort. La différenciation, en revanche, favorise l'unité de la République, en tenant compte d'attentes variées selon les territoires. Nous devons gérer ces attentes tout en restant fidèles à notre pacte républicain.

Concernant la veille et l'échange de bonnes pratiques, il est clair que certains territoires souhaiteront initier des politiques différenciées, tandis que d'autres préféreront se protéger en critiquant l'État. Les bonnes pratiques peuvent inciter les plus hésitants à participer. Nous avions envisagé une sorte de bourse d'échange de ces bonnes pratiques, avec un guide initié par le Premier ministre, pour encourager l'initiative locale.

Mme Françoise Gatel, présidente et rapporteure. - En complément des propos de Max Brisson, je souligne que la différenciation ne doit pas être confondue avec l'exception. Elle doit être autorisée par la loi, dont la valeur universelle doit être réaffirmée. Mais, nos lois intègrent déjà des différenciations, comme pour les communes littorales, les communes de montagne ou les intercommunalités. L'objectif vise à garantir une égalité de droit à tous les habitants, en adaptant les moyens selon les territoires, comme avec les réseaux d'éducation prioritaire.

Il est crucial de discuter de la différenciation sans crainte. Par exemple, la collectivité européenne d'Alsace a été créée pour répondre à des besoins spécifiques. La décentralisation préserve l'unité de la République, en offrant des marges de manoeuvre locales, avec une autorité délibérative locale qui décide dans le cadre défini par la loi.

Il est également essentiel de sécuriser les petites communes en leur offrant des cadres clairs. Cependant, toutes les communes ne chercheront pas à expérimenter ou différencier. J'ajoute que l'État territorial doit également être facilitateur, dans le cadre de son pouvoir dérogation aux normes : par exemple, dans un village avec trois bâtiments publics, le préfet pourrait adapter les exigences de stationnement pour handicapés, simplifiant ainsi la gestion locale. Enfin, il appartient au gouvernement de valoriser et diffuser les bonnes pratiques.

M. Max Brisson, rapporteur. - L'actualité illustre d'ailleurs notre propos. Françoise Gatel avait raison d'évoquer la loi votée avant-hier sur la régulation des marchés de l'immobilier de tourisme. Les analyses varient évidemment suivant les territoires. Nous avons atteint un compromis avec un texte équilibré. Toutefois, cette loi qui me semble utile chez moi peut sembler superfétatoire ailleurs. Cette simple réalité souligne le besoin de différenciation.

Les recommandations sont adoptées.

La délégation adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.

Table ronde relative à la mission d'information intitulée « Relever le défi de l'ingénierie dans les petites communes : les bonnes pratiques »

Mme Françoise Gatel, présidente. - Si l'État doit accompagner nos territoires, les territoires savent aussi inventer des organisations. La table ronde « Relever le défi de l'ingénierie dans les petites communes : les bonnes pratiques » nous donnera l'occasion d'entendre trois organisations expertes du sujet et qui accomplissent des projets remarquables.

Nous avons souhaité retenir un angle résolument optimiste, pour mettre en lumière la capacité d'agir des élus des petites communes. Pour autant, nous ne sommes pas naïfs. Il est bien sûr nécessaire d'avoir conscience des obstacles auxquels font face les petites communes, afin de mieux les franchir, mais il importe aussi que nous mettions en valeur certaines initiatives formidables.

Je tiens à remercier sincèrement les participants qui ont répondu à notre invitation. Nous accueillons ainsi :

- M. Gilles Noël, maire de Varzy, président des maires ruraux de la Nièvre et vice-président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF). La commune de Varzy bénéficie du label « Petites villes de demain », et j'ajouterai que l'AMRF a été un élément moteur de la construction du nouveau label « Villages d'avenir », également piloté par l'Agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT) ;

- M. Jean-Marc Labbé, maire de La Méaugon et vice-président de l'association BRUDED ainsi que Mme Ivana Potelon, co-directrice et chargée de développement de BRUDED. BRUDED est un réseau d'échanges de bonnes pratiques et de soutien à l'ingénierie entre collectivités bretonnes engagées dans des projets de développement durable ;

- Mme Chloé BRILLON, présidente du réseau « 1 000 cafés », qui s'est donné pour mission d'implanter des commerces dans des communes rurales touchées par les fermetures d'établissements.

M. Gilles Noël, maire de Varzy, président des maires ruraux de la Nièvre et vice-président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF). - Nous autres, maires ruraux, avons l'habitude de ne jamais renoncer. Je centrerai mon propos sur les projets liés aux espaces publics et aux bâtiments publics, dont l'objectif est de recréer du vivre ensemble. Mon intervention concernera surtout les communes de moins de 3 500 habitants, qui sont le coeur de cette vie rurale appelée à se développer.

En matière d'ingénierie, la complexité de l'environnement institutionnel engendre des frustrations. Pour faire émerger nos projets, nous avons besoin d'un soutien technique qui nous permettra, pour ainsi dire, de limiter la casse. Les maires, confrontés à un galimatias administratif, sont trop souvent contraints de renoncer lorsqu'ils ne disposent pas d'un personnel en nombre suffisant.

Face aux redondances administratives et à la multiplication des normes, notre rôle est limité. Nous manquons d'ingénierie, alors que prévaut une logique de manifestations d'intérêt et d'appels à projets en tous genres. II est certes possible, en cas d'adhésion aux conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE), de bénéficier de conseils.

Les programmes « Petites Villes de demain » et « Villages d'avenir » ont suscité un certain engouement local. Ce sont 4 000 communes qui ont candidaté au programme « Villages d'avenir », dont 1 600 ont été retoquées. Dans la Nièvre, douze communes n'ont pas été retenues et vingt-quatre ont été sélectionnées. Une volonté s'exprime donc, à l'échelle locale, pour développer des projets sur nos territoires.

Le label « Villages d'avenir » rend hommage à l'appellation qui avait été défendue avec énergie par le président de l'AMRF auprès des services de l'État. Pour autant, certains collègues s'interrogent sur l'enveloppe budgétaire et les modalités réellement prévues. En outre, « Villages d'avenir » n'a pas été nécessairement discuté avec les collectivités qui soutiennent les projets d'investissement, tels que les conseils départementaux et des conseils régionaux. Or, nous sommes favorables à l'addition des forces sur les territoires, qui bénéficiera à chacun.

L'ingénierie est partout et nulle part. Certains conseils départementaux ont constitué des équipes d'ingénierie pour soutenir des projets et des territoires. Si l'ingénierie des conseils régionaux n'est quant à elle pas réservée aux petits villages, elle peut venir en appui de programmes spécifiques, notamment au travers d'enveloppes financières. Je prendrai l'exemple de la région Bourgogne-Franche-Comté, qui a attribué des enveloppes de 500 000 euros à toutes ses collectivités labellisées « Petites Villes de demain » dans le cadre du dispositif « centralités rurales en région ».

Nous-mêmes, en tant qu'association nationale, comptons un ingénieur de projets auquel chacun peut faire appel et dont la mission est d'orienter les demandeurs vers les dispositifs pertinents.

L'État est à certains égards au rendez-vous, mais à un rythme ralenti. Certaines villes de plus de 3 500 habitants sont attributaires de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), alors même que celle-ci doit bénéficier aux investissements des communes rurales. Nous souhaiterions que l'État remodèle les conditions de distribution de la DETR. En ce qui concerne la dotation globale de fonctionnement (DGF), le produit affecté à un urbain et le produit affecté à un rural n'est pas le même. Nous estimons que ces écarts devraient être réduits, et nous introduirons d'ailleurs sans doute une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) à ce titre.

Nos territoires ont besoin d'ingénierie au titre de la transition énergétique. Nous comptons sur l'État, mais aussi sur vous, Sénateurs et Sénatrices, pour faire en sorte que la théorie du ruissellement soit, en quelque sorte, inversée. Nous souhaitons en effet bénéficier de modalités d'accompagnements qui existent, mais qui ne descendent pas jusqu'aux petits villages comme les nôtres. Par exemple, certaines sociétés d'économie mixte et autres structures co-départementales s'intéressent aux projets des chefs-lieux, et beaucoup moins à ceux des petites communes. Nous avons besoin d'une action transversale et coordonnée pour répondre à ce besoin d'ingénierie.

Mme Chloé Brillon, présidente du réseau « 1 000 cafés ». - La structure « 1 000 cafés » est une initiative lancée en 2019 par le Groupe SOS, acteur de l'économie sociale et solidaire, face au constat que 60 % des communes rurales n'avaient plus de commerce de proximité. Or, 80 % des habitants de ces communes affirmaient parallèlement leur volonté de voir ces lieux de convivialité et de services renaître sur leurs communes. C'est autour de ce défi que nous avons créé le programme « 1 000 cafés », qui consiste à soutenir et développer des cafés multiservices en milieu rural. Ces cafés sont conçus comme des espaces de convivialité, à partir desquels se greffent des services, comme de l'épicerie, de la presse, ainsi que des initiatives numériques, ou encore de programmation culturelle. Il s'agit en somme de créer des « lieux qui respirent ». Aujourd'hui, nous accompagnons, nous formons, et nous animons une tête de réseau et nous développons des modèles pour gérer ces différents cafés. Depuis bientôt cinq ans, nous sommes intervenus dans un peu plus de 220 communes sises dans 70 départements.

Pour faire en sorte que ces lieux perdurent, la question de l'ingénierie est décisive, ce que j'illustrerai au travers de quelques points.

Premièrement, récréer un commerce relève d'un projet de village, ce qui suppose que les habitants se l'approprient, afin que l'offre de service et le lieu répondent aux besoins du territoire. C'est pour cela que nous avons développé une méthode de co-construction, qui permet de mener des enquêtes et des réunions publiques avec les habitants et les municipalités, qui sont nos premiers partenaires.

Le deuxième enjeu est la question du modèle économique. Certaines collectivités et communes investissent des montants importants sur un projet immobilier, de l'ordre de 300 000 euros et parfois jusqu'à 1 million. Or la phase d'ingénierie manque parfois, en amont, pour penser le modèle d'exploitation de ce lieu. C'est pourquoi nous avons développé une expertise qui a consisté à tester, analyser et accompagner une série de modèles de gestion, entrepreneuriaux, itinérants ou associatifs.

Le troisième enjeu correspond à la question du recrutement et de la montée en compétences des porteurs de projets. Ce type de lieux de convivialité repose beaucoup sur une personne ou un collectif. La polyvalence de compétences est essentielle, puisqu'il s'agit pour un petit collectif de gérer une structure, maîtriser l'activité de cafetier et restaurateur, être commerçant, développer des services et faire de la co-construction. C'est pourquoi nous avons développé un parcours d'accompagnement et de formation.

Le dernier enjeu sur lequel nous travaillons est celui de la mutualisation. Les porteurs de projets manquent souvent de temps, une fois leur initiative lancée. De plus, ces porteurs de projets peuvent également se trouver quelque peu isolés dans le village. C'est pourquoi nous avons monté une activité qui consiste à mutualiser une série de contrats fournisseurs et d'ingénierie mise à disposition de ces porteurs de projets, et qui permet des échanges au sein des différentes communautés, par exemple au travers de journées des gérants ou de journées des élus.

L'ingénierie est donc tout à fait clef dans notre équation de lieu de convivialité et de service. Dans notre cas, l'enjeu n'est pas tant d'identifier les besoins, puisque nous avons reçu près de 2 000 candidatures de communes, et 5 000 candidatures de porteurs de projets. Notre mission est bien plutôt de rendre notre accompagnement et cette ingénierie accessibles à ces communes rurales. Nous allons chercher des subventions pour accompagner ces communes. Ces subventions sont publiques, avec l'ANCT, le fonds de soutien au commerce rural, et les fonds européens, ou peuvent être des subventions privées. Tous ces montages sont à la fois complexes et chronophages, y compris pour des fonds aux enveloppes relativement modestes tels que le fonds de soutien au commerce rural, permettant d'obtenir un ticket d'ingénierie plafonné à 5 000 euros.

Enfin, il est essentiel de veiller à la qualité de l'ingénierie proposée sur les territoires. Trop souvent, nous sommes confrontés à des exemples d'études pensées sans opérateur, ou de manière trop éloignée des réalités du métier, qui sont alors inopérantes. C'est pourquoi nous plaidons pour des études de préfiguration qui impliquent des opérateurs.

M. Jean-Marc Labbé, maire de La Méaugon, vice-président de l'association BRUDED. - BRUDED est une association d'élus créée en 2005, dont l'acronyme signifie « Bretagne rurale et rurbaine pour un développement durable ». Cette association est forte d'un réseau de 270 collectivités en Bretagne, mais également en Loire-Atlantique, qui se sont engagées depuis 2005 dans des réalisations concrètes de développement durable et solidaire.

Les petites communes ne disposent pas d'ingénierie en propre. Avec ce réseau, les élus parlent aux élus et échangent sur les bonnes pratiques de leurs communes. Ce dialogue enrichissant permet de tisser des liens et de se soutenir techniquement et juridiquement entre élus, à l'heure où certains maires hésitent à se représenter. Ce réseau, structuré à l'échelle d'une région, est unique en France. Notre site Internet met en valeur la grande diversité des actions menées dans les collectivités adhérentes.

Mme Ivana Potelon, co-directrice et chargée de développement de BRUDED. -  BRUDED est un réseau de petites communes, puisque 80 % des communes adhérentes comptent moins de 2 000 habitants. Nous avons la particularité d'être un réseau qui a émergé du terrain, à l'initiative d'élus de petites communes qui ont ressenti le besoin d'échanger leurs pratiques innovantes et vertueuses en matière de développement durable et participatif. Nous ne sommes pas des experts. Nous intervenons plutôt en tant que facilitateurs, au travers des huit chargés de développement de notre équipe, qui agissent auprès des communes en proposant des visites, des rencontres et des échanges de documents support tels que des cahiers des charges ou des conventions.

L'ingénierie est un sujet très transversal. Notre témoignage sera centré sur l'ingénierie en lien avec le renouvellement urbain et les enjeux d'intensification des centres-bourgs, mais nous constatons aussi des besoins importants en matière de soutien à l'agriculture, d'alimentation, de mobilité ou encore d'énergie. Nous constatons une multiplication de partenaires techniques mobilisables, y compris par les petites communes. L'enjeu concerne davantage aujourd'hui la lisibilité et l'orchestration de ces différentes ingénieries existantes, mais disséminées et parfois insuffisamment identifiées par de nouveaux élus. La réglementation est touffue, les enjeux techniques et les financements de projets se sont complexifiés, tandis que le paysage d'ingénierie est extrêmement prolifique.

L'orchestration des projets par les élus, pour être bénéfique, doit être réalisée de « A à Z », c'est-à-dire de la définition initiale des objectifs jusqu'à la mise en oeuvre opérationnelle des projets. Il convient donc d'adopter une approche globale et de prendre le temps, dès la phase de faisabilité, d'associer les porteurs potentiels pour appréhender correctement la faisabilité des projets, à l'instar des bailleurs sociaux dont l'intervention n'est pas toujours aisée en milieu rural.

Un autre enjeu de l'orchestration de ces projets a trait à l'adéquation des solutions proposées aux petites communes. L'ingénierie qui intervient dans les petites communes reproduit parfois des solutions plutôt urbaines, par exemple en matière de traduction technique avec des voiries disproportionnées coûteuses et qui ne correspondent pas aux usages ruraux.

Le dernier enjeu de l'orchestration consiste à inclure une dimension de gouvernance et d'animation de projets. On ne naît pas porteur de projets, et l'élu doit par exemple savoir comment et jusqu'où associer les habitants. Cela suppose une ingénierie de pilotage, en complémentarité de l'ingénierie technique qui existe déjà.

Dans les petites communes, de moins de 4 000 ou 5 000 habitants, les services en interne sont très rares. Le directeur général des services n'a pas forcément le temps ou les compétences pour piloter ces projets, ce qui traduit une véritable inégalité de faits au sein des collectivités. Le pilotage renvoie donc aussi à la question du statut de l'élu et à la notion de formation. Une très grande majorité des élus ne mobilise pas ses droits à la formation, qui leur permettraient pourtant de s'outiller en matière de pilotage de projet.

Les échanges de pratiques concrètes sont en outre nécessaires entre élus, en parallèle d'échanges plus techniques. Le besoin d'une assistance à maîtrise d'ouvrage, internalisée ou externalisée, se fait ressentir. Plus le pilotage de projet est proche du terrain, plus l'assistance à maîtrise d'ouvrage prendra en compte le contexte local, au rebours d'une logique d'appel à projets qui peut être fatigante pour les financeurs, les élus et les partenaires.

Mme Sonia de La Provôté. - Ma question porte d'abord sur les modalités de financement et le budget de BRUDED. Quelle est la nature exacte de votre structure, et comment est-elle financée ? Par ailleurs, quelle est votre articulation avec les autres dispositifs d'ingénierie locale disponibles en Bretagne ? Par exemple, avez-vous mis en place un programme partenarial ?

M. Cédric CHEVALIER. - Ma question s'adresse au réseau « 1 000 cafés ». L'étude de marché est-elle intégrée dans votre aide à l'ingénierie, ou le porteur de projet doit-il avoir conduit cette étude avant de vous solliciter ?

M. Cédric VIAL. - Ma question s'adresse également à Madame la présidente de l'association « 1 000 cafés ». Vous avez évoqué le plafonnement à hauteur de 5 000 euros du fonds pour les commerces ruraux. Pourriez-vous revenir sur le fonctionnement de ce fonds. Avez-vous déjà pu intégrer dans votre action les nouveaux dispositifs d'aides pour les associations agissant dans les territoires ruraux, à la suite des annonces récentes de la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ? Quels seraient pour vous les moyens qui devraient être développés pour accélérer vos initiatives ?

Mme Ivana Potelon - Le budget de BRUDED se monte à environ 600 000 euros annuels, financé à 40 % par les cotisations de nos adhérents, elles-mêmes calculées au prorata du nombre d'habitants, sans effet de seuil, selon une logique de solidarité. Les 60 % restant de nos ressources correspondent à des subventions au titre du contrat de plan État-région, ainsi qu'à des financements de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), des départements et des conventions au projet sur certains cycles de visite que l'on peut proposer ou sur des rencontres d'échanges entre-élus.

Ce budget est équilibré, mais reste fragile. Il s'agit en effet d'un projet solidaire d'échanges entre collectivités, qui n'a pas vocation à glisser vers de la prestation de projet.

J'en viens à la question sur le lien à l'ingénierie locale. Nous ne sommes des experts en rien. Nos huit salariés, qui jouent le rôle de facilitateurs, accompagnent nos collectivités adhérentes en Bretagne et en Loire-Atlantique. Notre travail consiste à soutenir des projets dès la phase amont, en aidant les élus à définir leurs objectifs, puis à les orienter vers les partenaires adaptés, en les aidant à définir leur gouvernance. Nous travaillons donc en lien avec l'ingénierie locale et nous jouons un rôle de porte d'entrée et de soutien moral auprès des élus, quand ils se fixent des objectifs ambitieux. Je pense notamment aux élus qui avaient porté, il y a quelques années, des projets d'établissements recevant du public avec des matériaux locaux biosourcés alors que les règles de construction n'étaient pas encore clairement établies.

M. Jean-Marc Labbé - Nous entretenons des relations très fluides par exemple avec les Agences locales de l'énergie et du climat en Bretagne, ainsi qu'avec les Conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) que nous sollicitons.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Ce mode de travail est donc très collaboratif !

M. Laurent Somon. - L'association « 1 000 cafés » n'a-t-elle trait qu'aux cafés et bars-tabacs ou d'autres activités peuvent-elles également être développées, notamment dans le domaine de l'hôtellerie ?

Mme Chloé Brillon. - « 1 000 cafés » mène des études de préfiguration, assez proches des études de marché, mais qui en sont une forme approfondie. Souvent, nous intervenons dans des communes dans lesquelles le marché n'existe pas. Dans cette phase de préfiguration, nous travaillons donc également sur le volet de mobilisation municipale et citoyenne dans le village. Notre deuxième objectif consiste à livrer une recommandation sur le bon modèle économique. La diversité des possibilités - entrepreneuriales, ou itinérantes par exemple - permet de trouver le modèle adapté aux besoins de chaque commune.

La deuxième question touchait au fonds de soutien aux commerces ruraux. Ce dispositif est souvent sollicité par les communes avec lesquelles nous travaillons, et comprend plusieurs aspects. Le premier correspond à la subvention aux travaux et aux projets immobiliers. Le deuxième aspect concerne la subvention à l'équipement. Le troisième axe de ce dispositif, plafonné à 5 000 euros de prestations, touche à l'ingénierie. Ce montant reste relativement faible si l'on met bout à bout l'étude de préfiguration, le recrutement, l'accompagnement à l'ouverture ou encore le soutien à l'exploitation. Ces dépôts de demande d'ingénierie sont en outre structurés commune par commune, ce qui est très chronophage. Nous plaiderions plutôt pour une approche régionale, voire nationale, et une justification a posteriori de l'accompagnement des communes.

Enfin, il existe autant de cafés et de services proposés que de communes. Dans certaines communes, nous avons développé une offre d'hébergement parce que cela était pertinent pour le territoire et parce que les locaux s'y prêtaient. Dans d'autres, nous travaillons un volet de programmation culturelle ou encore de numérique. Les cafés et les lieux sont à géométrie variable, en fonction des territoires.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Le réseau « 1 000 cafés » est une illustration du mécénat de compétences.

M. Daniel Oliveau, mécène de compétences auprès du réseau « 1 000 cafés ».- J'ai la chance d'être détaché en mécénat de compétences chez « 1 000 cafés », ce qui me permet de mettre à profit mon expérience dans le secteur bancaire au service de ce réseau intergénérationnel.

M. Gilles Noël. - Je tiens à ajouter que l'ingénierie suppose également des actions dans le temps. Par exemple, la durée du programme « Petites Villes de demain » gagnerait à être allongée de trois à six ans. Nous souhaiterions que les offres d'ingénierie puissent s'inscrire dans le temps.

Par ailleurs, dans ce maquis des soutiens, l'ANCT peut jouer un rôle particulier sur les territoires, afin d'orienter les élus vers les bons interlocuteurs.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Au Sénat, nous ne cessons effectivement de penser à vous. Nous sommes de grands avocats de la cause des petites communes et du sujet existentiel de l'ingénierie.

Examen du rapport « trois recommandations » relatif au défi de l'ingénierie dans les petites communes

M. Daniel Guéret, rapporteur. - La précédente table ronde a permis de mettre en valeur des exemples stimulants d'initiatives et de coopérations déployées par des communes de dimension modeste, tout en soulignant également certains des défis auxquels elles sont confrontées.

Nous présentons, en conclusion de cette table ronde, trois recommandations sur les défis de l'ingénierie des petites communes, que les échanges tenus à l'instant permettent également de mettre en perspective.

Vaste sujet que le nôtre, qui vise à répondre aux questions suivantes : comment permettre à l'écrasante majorité des communes françaises - 85 % d'entre elles comptent en effet moins de 2 000 habitants - de concrétiser leurs projets ? Comment donner aux maires des petites communes le pouvoir de répondre aux besoins de leurs habitants ?

Nous avons mené, avec mon collègue Jean-Jacques Lozach, deux sessions enrichissantes d'auditions, qui nous auront permis d'échanger avec des acteurs très variés. Nous remercions pour leur disponibilité les élus locaux entendus, à savoir monsieur le Président du conseil départemental d'Eure-et-Loir, madame et messieurs les maires des communes creusoises de La Saunière et de Savennes, de la commune nivernaise de Varzy et de la commune haute-marnaise de Ceffonds, ainsi que monsieur le vice-président de la communauté de communes du Briançonnais. Nous savons également gré aux acteurs de l'ingénierie publique que nous avons auditionnés, au travers des représentants de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), de la Banque des territoires et de l'ensemble des intervenants de la table ronde de ce jour.

Je commencerai par dresser un rapide diagnostic de la situation. Le recul de l'État territorial, engagé depuis plus de 20 ans, et la suppression inattendue en 2014 de l'assistance technique de l'État pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (ATESAT) ont laissé nombre de petites communes démunies en matière de conception et de conduite de projets. Pour tenter de combler ce vide, les départements ont souvent pris le relais pour structurer une offre d'ingénierie territorialisée. Par exemple, le département d'Eure-et-Loir, avec son dispositif « bourgs centres » lancé en 2018, consacre des ressources significatives à l'ingénierie des petites communes.

Cette structuration est toutefois inégale d'un département à l'autre, risquant ainsi d'accentuer les disparités territoriales. Une étude de la Caisse des dépôts alerte sur un manque critique en expertise dans 26 départements. L'offre d'ingénierie « sur mesure » de l'ANCT, qui était l'une des principales attentes pour permettre un accompagnement de précision des petites communes, reste quant à elle bien trop limitée. L'augmentation de l'enveloppe des crédits propres de l'ANCT dédiée à l'ingénierie est en trompe-l'oeil. En effet, comme l'a montré la Cour des comptes dans une communication sur l'ANCT remise en février 2024 à la commission des finances du Sénat, seule une fraction de cette enveloppe, de l'ordre de 6 millions d'euros, est aujourd'hui consacrée à cette ingénierie « sur mesure ». De plus, l'appropriation de l'offre de service de l'ANCT est trop faible et l'ANCT reste encore méconnue de nombreux élus locaux.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Après avoir retracé cette « chronique de la mort de l'ingénierie publique d'État », venons-en à nos recommandations.

La première a trait à la nécessaire coordination de l'offre de service en ingénierie. En effet, le recul de l'État territorial et l'affaiblissement des directions départementales et territoriales ont cédé la place à une offre d'ingénierie fragmentée et peu visible pour les élus des petites communes.

Au cours de nos auditions avec les maires des villes creusoises de La Saunière et de Savennes, il s'est apparu que la capacité de mener à bien des projets dépendait en grande partie d'une connaissance fine de l'écosystème des acteurs de l'ingénierie.

Savennes, commune de 200 âmes, a réussi à solliciter l'appui du conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE), de la direction régionale des affaires culturelles (DRAC), de la communauté d'agglomération du grand Guéret et de plusieurs acteurs associatifs pour lancer un appel à idées qui a été un grand succès, destiné à repenser les manières d'habiter la ville et à dynamiser le secteur touristique.

Les idées existent sur nos territoires, mais encore faut-il savoir à quel interlocuteur s'adresser pour les concrétiser ! D'autres projets remarquables auraient certainement émergé si les conditions d'accès à l'ingénierie étaient plus limpides. Nous espérons que l'ANCT ressuscitera les projets dormants sur nos territoires. C'est pourquoi il reste plus que jamais nécessaire de renforcer le pouvoir d'orientation des préfets, qui doivent effectivement jouer leur rôle de délégué territorial de l'ANCT, comme le prévoit la loi. Les comités locaux de cohésion des territoires (CLCT) constituent l'instance à privilégier pour permettre au principe de subsidiarité de devenir la clef de répartition des services d'ingénierie, dont l'efficacité dépend des synergies entre les services locaux et nationaux.

Nous reprenons à notre compte la recommandation visant à faire du sous-préfet d'arrondissement l'interlocuteur de premier niveau sur les questions d'ingénierie. Nous regrettons que, dans un tiers des départements, la logique du « guichet unique » ne soit pas encore effective.

Nous formons donc le voeu que la circulaire du 28 décembre 2023, qui réaffirme les principes auxquels nous sommes attachés, soit appliquée de manière homogène à l'ensemble du territoire. En somme, nous sommes convaincus que les préfets sont la clé pour donner corps à un principe de subsidiarité intelligent.

Notre deuxième recommandation appelle à pérenniser les financements, pour favoriser la planification des projets des petites communes.

Dans le cadre de cette mission, nos échanges avec des élus locaux - en particulier avec M. Pierre Leroy, ancien maire de Puys-Saint-André et avec Mme Annie Zapata, maire de La Saunière - ont confirmé que l'émergence des projets dépendait en grande partie de la capacité à accéder à des financements pérennes.

La logique d'appel à projets engendre une incertitude sur les financements futurs et une dépendance qui peut brider les capacités des petites communes à investir dans des projets structurants. Or, les financements disponibles sont souvent ponctuels et liés à des projets spécifiques. C'est pourquoi nous recommandons d'expertiser la création d'un fonds national dédié à l'ingénierie, tel que proposé par l'Association nationale des pôles territoriaux (ANPP), que nous avons auditionnée. L'allocation d'une petite fraction des volumes financiers dédiés aux politiques d'investissement, sous la forme d'un fonds national, offrirait des moyens réguliers et pérennes pour les petites communes.

Enfin, comme le Sénat l'avait défendu dans ses « 50 propositions pour le plein exercice des libertés locales », les dépenses en ingénierie d'animation pourraient utilement compter parmi les dépenses éligibles à une Dotation d`équipement des territoires ruraux (DETR) élargie. Il s'agirait effectivement d'élargir l'éligibilité des actions et donc d'élargir également les financements.

M. Daniel Guéret, rapporteur. - Je conclurai nos propos en présentant notre troisième recommandation et en dressant quelques perspectives.

L'esprit de notre dernière recommandation est de prévenir la création d'une « ingénierie à deux vitesses ». À cet effet, il est nécessaire de renoncer au caractère systématique des appels à projets et de structurer des réseaux d'ingénierie solides.

Tout d'abord, le recours fréquent aux appels à projets pénalise les communes qui ne disposent pas de la capacité administrative et technique nécessaire pour y répondre.

Les petites communes manquent souvent de l'ingénierie stratégique et préopérationnelle, nécessaire pour s'inscrire dans ces dispositifs. C'est pourquoi les projets des communes qui se sont portées candidates, mais n'ont pas été retenues dans le cadre du programme « Villages d'avenir » devraient bénéficier d'une priorité dans l'étude de leurs dossiers pour la prochaine cohorte de communes accompagnées, et faire l'objet d'une attention renforcée de la part des services préfectoraux.

Pour répondre à ce « déficit criant » d'ingénierie, il est essentiel de renforcer l'offre d'ingénierie « sur mesure », aujourd'hui largement insuffisante. Plus structurellement, un réseau d'ingénierie solide passe par la diffusion continue de bonnes pratiques, comme l'ont bien montré les intervenants de notre table ronde : que l'on pense par exemple à la coopération au sein du réseau BRUDED.

Pour reprendre les termes des représentants de la Banque des territoires que nous avons auditionnés, il convient en effet de « ne pas perdre d'énergie à réinventer des solutions duplicables qui ont fait leurs preuves ailleurs ». Faisons confiance à l'intelligence territoriale et exploitons les gisements d'ingénierie !

Le renforcement de la coordination des ingénieries publiques, la pérennisation des financements et la structuration des réseaux d'ingénierie publique territoriale sont des enjeux cruciaux pour que vive la démocratie locale, et pour donner aux élus locaux le « pouvoir d'agir » nécessaire en vue de mener à bien les projets essentiels au développement de leurs territoires.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Nous constatons régulièrement la satisfaction des communes qui bénéficient de l'ingénierie de l'ANCT en matière de gestion de projets. Cependant, qu'en est-il en effet des autres communes ? Les appels à projets sont mortifères. Comment nous assurer que toutes les communes aient accès à l'ingénierie ?

La question du financement pose problème, notamment pour les programmes « Petites villes de demain » et « Villages d'avenir ». De plus, l'enveloppe de la DETR reste identique, alors qu'elle doit tenir compte d'un nombre croissant d'obligations.

Nous vous remercions vivement pour votre rapport et vos préconisations, qu'il conviendra de remettre officiellement au ministre.

Les recommandations sont adoptées.

La délégation adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.