Jeudi 23 mai 2024

- Présidence de M. Franck Montaugé, président -

La réunion est ouverte à 14 h 30.

Audition de M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'Industrie et de l'Énergie

M. Franck Montaugé, président. - Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'Industrie et de l'Énergie.

Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14, 434-15 du Code pénal, et notamment de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant « Je le jure ».

M. Lescure prête serment.

Le Sénat a constitué le 18 janvier une commission d'enquête sur la production, la consommation et le prix de l'électricité aux horizons 2035 et 2050. Nos travaux sont centrés sur le présent et sur l'avenir du système électrique. Est-il en capacité de faire face à la demande, d'offrir aux particuliers et aux entreprises une électricité à un prix raisonnable ? Quelles sont ses perspectives de développement ?

Monsieur, nous vous entendons aujourd'hui en votre qualité de Ministre délégué chargé de l'Industrie et de l'Énergie, fonction que vous exercez depuis février 2024. Auparavant, vous aviez, peut-on supposer, un certain regard, déjà, sur les enjeux de l'électricité, étant à partir de juillet 2022, Ministre délégué chargé de l'Industrie.

Vous êtes désormais responsable et comptable de la stratégie électrique de la France, sous l'autorité de Bruno Le Maire. À ce titre, vous êtes en charge de dossiers qui sont au coeur de nos travaux.

Le premier est celui du modèle de régulation post-Arenh et les négociations de l'accord EDF-État de novembre 2023. Vous nous présenterez votre compréhension des enjeux de cet accord et de sa mise en oeuvre, pour EDF mais aussi pour les consommateurs.

Nous souhaitons que vous fassiez un point sur notre politique nucléaire civile en analysant la performance opérationnelle du parc nucléaire en exploitation et les progrès envisageables, en nous faisant part de votre appréciation sur le programme de nouveau nucléaire y compris sur son ampleur puisque des rumeurs discordantes circulent à ce sujet.

Nous voudrions avoir le point de vue du Gouvernement sur un sujet trop rarement abordé, celui des risques de raréfaction et de tension sur les prix de l'uranium et, en conséquence sur la nécessité de relancer les recherches sur la quatrième génération de réacteurs nucléaires, en particulier sur les réacteurs à neutrons rapides.

La politique du Gouvernement en matière d'énergies renouvelables est aussi au coeur de nos préoccupations. Quelle est votre stratégie pour que ce renouvelable soit durable et souverain ? Vous avez récemment annoncé le lauréat du premier appel d'offres éolien flottant au sud de la Bretagne, qui ressort à 86,45 euros/MWh, hors raccordement pris en charge par RTE. Certains se posent des questions sur ce prix qui paraît bas pour un tel projet. Vous engagez-vous à ce que l'État ne remette pas au pot, comme on dit, si ce prix s'avérait insuffisant pour le consortium qui a remporté l'appel d'offres, composé de sociétés, soit dit en passant, qui ne sont ni publiques ni d'origine française ?

Nous aborderons le dossier des concessions hydroélectriques. Nous parlons d'une source d'électricité renouvelable, propre et pilotable qui représente près de 12% de la production d'électricité en France. Or, ce dossier est à la dérive depuis plus de quinze ans. Bruxelles demande d'ouvrir à la concurrence les concessions échues à la France, qui s'y refuse, et les gouvernements successifs n'ont pas avancé sur le sujet, ce qui bloque les investissements indispensables. Vous n'aviez guère été loquace sur le sujet lors de votre grand entretien pour Le Figaro du 11 avril dernier. Votre réflexion a-t-elle avancé ?

Je ne peux terminer sans vous demander si vous trouvez véritablement sérieux que l'État s'engage pour des décennies en matière énergétique sans qu'il consulte réellement le Parlement, que ce soit au travers d'un débat ou en lui présenter un projet de loi.

M. Roland Lescure. - Monsieur le Président, Monsieur le rapporteur, Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs, merci de votre accueil. Je suis très heureux d'être là.

Les travaux que vous avez engagés depuis le début de l'année s'inscrivent dans la suite d'autres travaux engagés à l'Assemblée nationale, où une commission d'enquête s'est plutôt concentrée sur le passé, tandis qu'au Sénat vous vous concentrez sur l'avenir : c'est très complémentaire. En outre, un certain nombre de consultations publiques ont été réalisées ces derniers mois. Pour ma part, j'ai pris mes fonctions il y a près de trois mois. C'est donc une bonne occasion de répondre aux questions de la représentation nationale au Sénat, sur tous ces enjeux majeurs.

Aujourd'hui, la France a un atout indéniable pour ce qui est de l'avenir. En tant que ministre de l'Industrie et de l'Energie, je rencontre régulièrement des investisseurs internationaux qui souhaitent investir en France, essentiellement parce qu'ils considèrent que le fait d'avoir de l'énergie nucléaire et de l'énergie décarbonée en volume et à coût bas, représente un atout. Cela fait partie des avantages compétitifs de la France. De ce point de vue, nous devons remercier ceux qui nous ont précédés, puisqu'il y a un peu plus de cinquante ans, en 1974, le plan Messmer de développement du parc électronucléaire a été lancé. Aujourd'hui, notre objectif est de nous assurer que dans cinquante ans, ceux qui nous auront succédé puissent dire la même chose.

Les besoins en électricité seront énormes. Je suis convaincu que nous avons besoin de décarboner notre industrie traditionnelle, pour la garder chez nous - il n'en reste déjà pas beaucoup - et en plus, de développer l'industrie de demain, l'industrie de la décarbonation, l'hydrogène, l'éolien, les batteries, les pompes à chaleur, etc.. Pour cela, une grande part d'électricité sera nécessaire. Comme vous le savez, 60% de notre mix énergétique est carboné. Par conséquent, pour nous débarrasser des énergies carbonées, dont on rappelle qu'elles proviennent beaucoup de l'extérieur et renforcent la dépendance de la France, nous devrons développer l'électricité, d'autant que les besoins seront croissants du fait de la décarbonation des moyens de transport, de la mobilité et des nécessités de la construction. Ces électricités sont véritablement renouvelables, ce qui n'est pas tout à fait le cas du nucléaire, mais elles sont aussi intermittentes. Cette situation crée par conséquent des enjeux que seules les vertus de la diversité peuvent nous permettre de résoudre, à la fois en termes de risques, de prix et de délais de construction.

Un parc électrique diversifié sera donc un parc optimal. Nous constatons en effet que les pays qui ne favorisent pas cette diversité, font face à des défis importants.

Le discours de Belfort du Président de la République, il y a deux ans, a tracé la voie : un besoin d'électricité important, des objectifs clairs sur le nucléaire, soit six EPR2 pour lesquels la construction commencera à Penly et pour lesquels on espère la construction dès 2027, avant celle de Gravelines et de Bugey. Nous devrons en outre tirer l'expérience de Flamanville, qui marche à présent très bien mais qui a tout de même représenté un semi-échec. Nous aurions tout de même pu faire mieux et plus vite.

Dans le domaine des renouvelables, l'éolien terrestre fonctionne aujourd'hui, en étant compétitif mais en étant trop concentré dans certaines régions. Une meilleure diversification sur l'ensemble du territoire est donc nécessaire, tout en maintenant l'objectif de doubler la capacité installée. L'éolien en mer débute. Nous avons deux parcs, dont le dernier que je viens d'inaugurer à Fécamp. Nous avons de larges ambitions en la matière, à la fois en terrestre et en flottant. J'y reviendrai, Monsieur le Président, de même que sur votre question concernant l'appel d'offres dit « AO5 ». Nous souhaitons également multiplier par cinq les capacités photovoltaïques, le tout en développant de l'énergie produite en France. Il est important que la majeure partie des électrons viennent de France et d'Europe, tout comme les instruments qui permettent de les produire, à l'instar des réacteurs nucléaires, des panneaux photovoltaïques ou des pales d'éoliennes.

Notre stratégie énergétique et notre stratégie industrielle fonctionnent de façon indissociable, ce qui explique que le Président de la République et le Premier ministre ont souhaité rassembler l'Industrie et l'Energie sous un même ministère. L'énergie est le plus grand projet industriel des vingt à trente ans à venir. L'industrie ne se développera en France qu'à la condition d'avoir de l'énergie décarbonée et peu chère : les deux destins sont donc étroitement liés.

Vous m'avez interrogé sur la teneur de l'accord de régulation, qui vise à assurer après la fin de l'Accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) en 2025, un prix relativement abordable sur le nucléaire historique. Ce sont nos anciens qui l'ont payé, il est donc normal que les Français en bénéficient aujourd'hui, avec un prix du nucléaire historique proche de son coût de revient, aujourd'hui estimé par la CRE aux alentours de 70 euros/MWh.

Cet accord vise également à ce que les gros consommateurs industriels soumis à la concurrence internationale, dits « électro-intensifs », puissent bénéficier de prix inférieurs. Aujourd'hui, le prix de l'Arenh est fixé à 42 euros/MWh pour environ 50% de la consommation. Nous souhaitons par conséquent que les gros consommateurs puissent avoir des prix encore meilleurs que 70 euros/MWh ainsi que de la visibilité sur les volumes.

Enfin, le troisième élément très important de l'accord vise à éviter, comme après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, une montée des prix au plafond qui conduirait à créer, de concert avec le Parlement, des mécanismes destinés à limiter l'impact très fort des chocs énergétiques sur les consommateurs ménages et entreprises.

En définitive, l'accord poursuit l'ensemble de ces objectifs et concerne un combustible historique qui, nous l'espérons, remontera progressivement vers une production globale de 300 à 400 TWh. Le texte prend un certain nombre de dispositions, parmi lesquelles la mise en oeuvre de la capacité d'EDF à signer des Contrats d'allocation de politique nucléaire (CAPN) avec les gros consommateurs, soit entre 30 et 40 TWh de production. Ces CAPN sont en train d'être signés - pas assez rapidement à mon goût - mais quelques-uns ont pu être finalisés. Ces contrats permettent à de gros industriels d'avoir de la visibilité sur les volumes et les prix.

Nous avons aussi mis en oeuvre la prolongation d'un dispositif dit Exeltium, qui concerne une petite dizaine d'industriels envers lesquels EDF s'est engagée à trouver une prolongation. Pour les électro-sensibles, soit 5 à 10 000 entreprises industrielles, les contrats permettront de limiter les prix et de donner de la visibilité sur les volumes, pour que les entreprises de taille intermédiaire (ETI) aussi, puissent rester en France. Au total, sur les 350 à 400 TWh, un peu moins de 100 TWh sont concernés par ces dispositifs.

Je citerai aussi le dispositif dit de « coupe-circuit », prévoyant qu'au-delà d'un certain niveau de prix, les revenus de l'énergéticien soient captés pour être redistribués aux différents consommateurs. Ce dispositif sera évidemment discuté dans le cadre législatif, et sera donc présenté à l'Assemblée nationale et au Sénat d'ici la fin de l'année.

Concernant le nouveau nucléaire civil, qui est un élément très important de notre stratégie puisque nous souhaitons développer six, puis sans doute huit, réacteurs nucléaires, je pense que nous avons tiré les conséquences de Flamanville avec une nouvelle gouvernance. Un délégué interministériel au nouveau nucléaire civil pilote l'ensemble des stratégies publiques et privées. En effet, l'État en tant que régulateur, planificateur et actionnaire unique ou principal des plus importants acteurs, a un rôle essentiel à jouer, tout comme les grandes entreprises privées. Le processus se déroule sous la gouverne du Conseil de politique nucléaire présidé par le Président de la République, auquel un certain nombre de ministres, dont le Premier ministre, Bruno Le Maire et moi-même, participent. Nous nous trouvons dans une année importante pour lancer le nouveau nucléaire civil sur les bonnes bases technologiques, opérationnelles et financières.

S'agissant du combustible et des technologies utilisées, notamment du nucléaire dit de quatrième génération, nous n'avons à ce stade aucune inquiétude sur les besoins stratégiques en uranium du fait des stratégies déjà engagées, y compris la construction des Réacteurs pressurisés européens de deuxième génération (EPR2). En effet, nos besoins stratégiques sont sécurisés jusqu'à l'horizon 2100. Pour d'autres États en revanche, le sujet peut se poser. Par conséquent, nous devons continuer à suivre de manière très précise l'évolution du marché, dans la mesure où certains prédisent un triplement du nucléaire dans les années à venir, donc une montée de la pression sur les ressources. Est-ce à dire qu'il faut laisser de côté la Recherche &Développement (R&D) sur les réacteurs de quatrième génération, qui permettront à terme de limiter l'emploi des ressources ? La réponse est négative. Nous devons investir dans la R&D, et c'est d'ailleurs ce que nous faisons. Pour autant, avant de se lancer dans le développement de réacteurs de nouvelle génération, j'estime préférable de nous focaliser sur les priorités du jour, c'est-à-dire les EPR2 et les petits réacteurs modulaires (SMR).

En effet, je crains la dispersion pour cette filière qui, jusqu'à présent, s'était plutôt inscrite dans une logique de gestion opérationnelle sans développement pendant une vingtaine d'années, et qui à présent entend se développer. Je préfère par conséquent que les EPR2 soient livrés avant toute autre initiative, quitte à travailler ultérieurement sur les EPR4 dans des proportions plus grandes que l'actuelle R&D.

L'hydraulique est un sujet important, et comme vous l'avez précisé Monsieur le Président, il stagne depuis quinze ans. D'ailleurs lorsque j'étais président de la commission économique de l'Assemblée nationale, j'avais déjà eu à connaître de cette question. Nous avons relancé la machine, vous connaissez les termes du débat. Certaines concessions sont arrivées ou arriveront bientôt à échéance. Les concessionnaires n'investissent pas dans les barrages car ils ne disposent pas d'une visibilité suffisante sur la durée de leur concession. De ce fait, une grande partie des ressources est inutilisée alors que l'hydraulique est la première source d'énergie renouvelable. Il est donc essentiel de donner de la visibilité aux concessionnaires. Comme vous l'avez indiqué, la Commission européenne nous incite à mettre les barrages en concurrence, mais ce n'est pas notre souhait. C'est pourquoi nous poursuivons le travail avec la Commission et l'opérateur principal pour trouver des solutions, dont deux sont envisageables en dehors de la mise en concurrence. Sur ce point, la France n'entend pas brader des actifs nationaux stratégiques à n'importe qui.

Par ailleurs, le maintien de la situation actuelle est également impensable en raison de l'insécurité juridique créée. Les deux solutions précédemment évoquées sont donc les suivantes. La première, qui a notre préférence, est celle du régime en autorisation, qui consiste à transférer la propriété des barrages à l'exploitant. Dans ce système, la question de prix se pose et se doit d'être discutée, de même que la possibilité de se passer d'une mise en concurrence. Vendre un barrage sur le Rhône à EDF, qui est détenu à 100% par l'État, me convient. En revanche, que l'acquéreur de ce même barrage soit un opérateur venu d'ailleurs, serait de mon point de vue impensable. C'est pourquoi nous discutons actuellement avec la Commission pour déterminer si ce régime de mise en autorisation est acceptable, et à quel prix. En particulier, je souhaite m'assurer que les remèdes ne soient pas pires que le mal. J'ai bon espoir quant aux discussions en cours. L'alternative est celle de la quasi-régie, qui consiste à déléguer le barrage à une sous-composante de l'entreprise nationale.

Enfin concernant le dispositif législatif, je suis arrivé avec un oeil très ouvert. Après mes discussions avec les parlementaires qui suivent les sujets énergétiques de près, j'ai abouti à la conclusion que le mix énergétique nécessitait un passage par décret. En effet, je considère que les incertitudes, plutôt à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, d'ailleurs, sur la capacité à aboutir à un consensus autour du mix énergétique français dans les cinquante années à venir, étaient trop grandes. Je sais qu'une proposition de loi a été déposée au Sénat, où elle sera discutée, et qu'une proposition alternative a d'ores et déjà été discutée en commission à l'Assemblée nationale. À cette dernière occasion, cette proposition a été considérablement transformée par rapport à sa formulation d'origine ce qui, sur cet exemple précis, démontre bien qu'il est possible de créer un consensus entre parlementaires qui suivent le dossier. En revanche, créer un consensus au sein de l'Assemblée nationale dans son intégralité autour du mix énergétique, ne me semble pas possible.

Cela ne signifie pas qu'aucune discussion législative sur la politique énergétique de la France ne sera menée devant les parlementaires. En particulier, des dispositions importantes seront discutées devant les parlementaires relativement à un dispositif de protection des consommateurs, mais également à l'accord de régulation et l'hydraulique. J'en profite à cet égard pour vous informer que l'Assemblée nationale vient de lancer une mission transpartisane sur l'hydraulique. Naturellement, nous travaillerons en toute transparence avec les députés qui se sont saisis de ce sujet, pour déterminer s'ils peuvent aussi contribuer à l'esquisse de la bonne solution de régulation des barrages. Si les sénateurs s'emparent aussi du sujet, nous serons également à leur disposition pour échanger.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Votre propos introductif, Monsieur le ministre, était assez complet mais je reviendrai sur un certain nombre de points sur lesquels j'ai besoin de voir préciser votre pensée ainsi que les souhaits du gouvernement.

En premier lieu sur les discussions entre l'État et EDF, que je ne dénommerai pas « accord » car j'ai plutôt vu une feuille volante recto-verso non signée, vous considérez le prix de 70 euros comme un prix d'équilibre. Le gouvernement n'a pas souhaité qu'un Contrat pour différence (CfD) soit conclu. Pensez-vous que si les marchés restent durablement assez bas, comme ils le sont depuis le début de l'année, le risque pesant sur les revenus d'EDF pourrait être non négligeable ? Un CFD aurait-il pu couvrir ce risque ? C'est notre point de vue.

Par ailleurs, pour les contrats actuellement signés sur la base de ce prix de 70 euros, dont vous considérez - et c'est aussi notre point de vue - que le rythme n'avance pas assez vite, quel serait selon vous le rythme adéquat de conclusion de ces contrats ?

En troisième lieu, comment se déroulera le fonctionnement de « l' accord » si les prix remontaient et dépassaient 70 euros ? Comment aura lieu le reversement aux consommateurs ?

Enfin, vous avez évoqué une saisie du législateur d'ici la fin de l'année. Sous quelle forme l'entendez-vous ? Dans le projet de loi de finances ou un autre véhicule législatif ?

M. Roland Lescure. - Nous n'avons pas signé d'accord parce qu'au fond, nous ne signons pas un accord entre l'État et EDF, mais plutôt les conditions d'un accord qui devra être conclu entre EDF et ses clients. Il nous importe en effet que les clients d'EDF et notamment les industriels, puissent avoir accès à des prix compétitifs et à de la visibilité sur les volumes. Nous ne sommes plus dans une économie où le tarif est décidé au ministère de l'Énergie, comme c'était le cas il y a des décennies. Aujourd'hui, nous nous trouvons dans un marché européen qui comporte de nombreuses vertus, ce que je tiens à préciser alors que certains veulent en sortir. La France a été exportatrice d'électricité pendant quarante années sauf une : sans le marché européen de l'électricité en 2022, je ne sais pas ce que nous aurions fait. Je suis donc très clair sur le fait que selon moi, le marché européen représente plutôt un avantage, même su si sa réforme est en marche et que son fonctionnement devra encore être amélioré à l'avenir.

Pour revenir à la question précise concernant l'accord, je ferai donc observer que nous ne nous trouvions pas dans une logique de signature d'un accord contractuel avec EDF. Pour autant, nous souhaitions que les paramètres des accords qui seraient négociés entre EDF et ses clients soient très clairs. C'est la raison pour laquelle vous avez vu cette fameuse « feuille volante », qui a nécessité beaucoup de travaux et de négociations. Ensuite, nous suivrons de près ces négociations.

S'agissant du rythme acceptable de ces discussions entre EDF et ses clients, j'ai lancé une mission confiée à deux fins connaisseurs du monde de l'énergie : M. Julien Janès, de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) et M. Philippe Darmayan, un grand industriel. Je m'engage à ce que vous disposiez du résultat de ces travaux à la fin du mois de juin, qui seront un bilan exhaustif à date. À ce stade, quelques CAPN se trouvent très avancés, dont certains ont fait l'objet d'une signature formelle ou de lettres d'intention. Il existe en outre des centaines de contrat à moyen ou long terme avec des petites et moyennes entreprises. Cela avance donc, mais je souhaite que le rythme progresse davantage. La « feuille volante » que vous évoquiez contient une clause de revoyure fixée à la fin du mois de juin, et que j'envisagerai par conséquent sur la base des conclusions de la mission de MM. Darmayan et Janès.

Le prix de 70 euros est correct, sachant que nous ferons mieux que 70 euros pour les gros consommateurs d'énergie, qui sont prêts à partager les risques avec EDF. Ces gros consommateurs paieront par conséquent une partie de leur facture sous forme d'avance en chèque.

Je sais d'où l'on vient. Nous avions le mécanisme de l'Arenh, décrié par tous, mais malgré tout très sécurisant pour les industriels et les ménages jusqu'à la crise en Ukraine. Jusqu'à cette date, nous avions l'électricité la moins chère d'Europe, de surcroît décarbonée. L'Arenh fixait le prix de l'électricité pour moitié, tandis que l'autre moitié était fixée par le marché, et l'ensemble était totalement administré. Naturellement, le système a occasionné de sérieux enjeux pour EDF, qui acquittait le coût de la différence : en d'autres termes, l'Arenh était en quelque sorte un CfD à la charge d'EDF. Enfin, le mécanisme de l'Arenh créait de l'incertitude sur le reste du prix.

La vraie question est de savoir qui porte le risque. Personne n'est à même de prédire le prix de l'électricité dans vingt, trente ou cinq ans, même si les scénarios de RTE sont bien ficelés. Par conséquent, s'engager sur un volume d'électricité à un prix donné pour les quinze ans à venir, c'est prendre un risque. Concrètement, ce risque est porté par l'État, par EDF ou par les industriels. Dans le CfD, l'État suppose l'intégralité du risque, ce que je refuse de décider puisque finalement, il sera à la charge du contribuable. Dans ces conditions, l'accord a pour objectif de partager le risque entre les trois acteurs importants. EDF peut prendre une partie du risque - les autres producteurs sont aussi marginalement concernés - en réalisant des gains de productivité et en étant plus efficace dans la construction EPR futurs, il peut aussi gagner de l'argent qu'il réinvestira, ce qui réduira le prix de l'électricité. Pour leur part, les industriels devront aussi payer leur électricité un peu plus chère que par le passé, de même que les contribuables.

Lors des discussions sur l'accord, nous avons négocié à la fois avec EDF et les industriels, puis entre nous, entre le ministère de l'Industrie, du Budget, pour aboutir en définitive à un accord qui me semble équilibré, même si c'est un accord « donnant-donnant ». Je profite de cette commission d'enquête pour remettre la pression sur EDF et les industriels pour qu'ils signent les contrats. Il est donc nécessaire, à la fois qu'EDF consente un effort sur les prix, mais aussi que les industriels soient prêts à payer l'avance en tête. Il n'y a pas d'autre choix que de partager le risque. Je veux à tout prix éviter qu'EDF se lance dans le nucléaire avec des sabots de plomb, tout comme je refuse que les industriels se lancent dans la compétition avec des handicaps.

Pour répondre à votre troisième question, je vous indique que nous avons prévu des coupe-circuit puisqu'au-delà de 78 euros, 50% des revenus seront redistribués et au-delà de 110 euros, 90% des revenus le seront.

À ce jour, nous n'avons pas encore arrêté les modalités de cette redistribution, de sorte que sur cette modalité en particulier, nous aurons besoin d'un projet de loi pour en discuter avec la représentation nationale.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Ce sera un projet de loi spécifique ?

M. Roland Lescure. -Je n'ai pas encore la réponse à cette question. La discussion pourra avoir lieu pour partie dans le cadre du PLF, puisque les prélèvements sont de nature fiscale et pour partie dans un projet de loi de transposition de dispositif de l'Union européenne, pour les aspects non fiscaux, ou à l'inverse uniquement dans un projet de loi spécifiquement concentré sur le sujet. L'essentiel est que la discussion ait lieu.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Sur la discussion entre l'État et EDF, vous avez évoqué la clause de revoyure à fin juin et le rapport que vous avez commandé. Vous n'avez pas répondu à la partie de ma question sur les conséquences d'un marché durablement bas. Par ailleurs dans les clauses de revoyure, excluez-vous de réaborder la question du CfD ?

M. Roland Lescure. - Je serais tenté de répondre par l'affirmative, même si l'avenir n'est jamais certain. Je vous le dis avec d'autant plus de conviction, que les industriels apprécient l'idée du CfD, qui leur donne de la visibilité. Pour autant, je n'estime pas indiqué que l'intégralité de la différence soit payée par l'État, car il s'agirait d'une mauvaise utilisation des deniers publics. Je crois au partage du risque. Je pense que les industriels doivent être incités à consommer moins d'électricité, et qu'EDF soit incité à être plus productif. Quand j'évoque « l'État », je me réfère bien entendu à nous tous. L'État est composé des consommateurs et des contribuables. Je ne souhaite pas qu'ils portent, seuls, cette charge.

L'accord a été fondé sur la base de milliers de simulations. Le scénario que vous envisagez, d'un prix durablement bas pour les quinze à vingt ans à venir, n'a pas été retenu comme central. Pour que le prix de l'électricité soit durablement bas, il faudrait que les surprises sur la production soient très nombreuses, que tous les pays développent de la production électrique très rapidement, tandis que la consommation n'augmenterait que faiblement. Concernant la production, les prévisions sont aisées. La vraie incertitude porte sur la consommation. Comme vous le savez, certaines prévisions de RTE tablent sur une hausse importante de la consommation. Au-delà des enjeux de sobriété, qui sont liés à la hausse des prix récente, nous observons une hausse tendancielle de la consommation d'électricité. Par conséquent, si nous étions durablement surpris par une consommation en baisse, nous devrions sans doute nous reposer la question. Aujourd'hui, ce scénario est très peu probable.

M. Franck Montaugé, président. - Lors d'une audition précédente, nous avons compris que s'agissant du dispositif post Arenh, le CfD avait la faveur de la Commission européenne, mais qu'il a finalement été abandonné car il était conditionné à une modification de l'organisation d'EDF. Ce faisant, cela conduisait à revenir sur Hercule. Est-ce le cas ? Finalement, tout n'a pas été à la main de la France.

M. Roland Lescure. - Dans notre réflexion, nous avons évidemment intégré les contraintes européennes et le droit européen. Nous n'avons pas encore présenté le dispositif à la Commission. Le CfD obère la capacité d'EDF à être plus productif et à investir, même s'il donne de la certitude aux industriels. Par ailleurs, ce type d'instrument se traduirait nécessairement par des mesures compensatoires puisqu'il s'agit d'une aide d'État. Or l'accord comporte une asymétrie, et intègre donc les règles européennes. Finalement, le CfD est possible - nous l'avons d'ailleurs introduit dans les textes européens du temps de ma prédécesseure - mais au prix d'un certain nombre de remèdes. Je ne suis pas certain que nous souhaitions les payer.

Mme Christine Lavarde. - Sur le même sujet, une loi récemment promulguée prévoit un contrat entre l'État et EDF, définissant la stratégie de moyen terme à dix ans de l'entreprise publique. Comment le gouvernement compte-t-il mettre en oeuvre cette disposition, et dans quels délais ? Cela répondra à un certain nombre de nos questions, et notamment comment s'assurer d'avoir une énergie compétitive pour les entreprises et les consommateurs, ou comment mener à bien la décarbonation ?

M. Roland Lescure. - C'est exact. Je me souviens d'ailleurs que nous avions eu des discussions similaires avec deux d'entre vous, sur l'industrie verte. À cette occasion, vous m'aviez demandé de vous présenter une stratégie afin d'avoir une discussion globale. Par conséquent sur l'industrie verte, nous travaillons à l'élaboration de la stratégie, que nous vous présenterons d'ici la fin du mois de juin.

Sur l'énergie, nous devrons aussi y travailler. La difficulté provient du fait que nous nous trouvions actuellement dans des négociations compliquées sur des éléments importants de cette stratégie. Sur l'hydraulique, je vous ai indiqué où je souhaitais arriver, mais nous n'y sommes pas encore. Sur l'accord post Arenh, nous aurions un sérieux problème si cet accord n'était signé par personne. Par conséquent, il est nécessaire que nous en connaissions toutes le briques, avant de vous présenter la maison.

Le troisième élément indispensable mais dont nous avons peu parlé, est le nouveau nucléaire civil, pour lequel nous sommes encore dans une phase de design. Nous ne disposons pas encore de devis ni de plan détaillé. Ce sera l'objectif de cette année.

En définitive, la stratégie énergétique à terme de la France est détaillée dans la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Néanmoins, nous n'avons pas encore le chemin pour y parvenir. Il faut encore travailler sur des briques importantes telles que la régulation, le nouveau nucléaire et l'hydraulique. J'essaie donc de donner un calendrier cohérent et raisonnable. Selon moi, c'est donc plutôt un sujet pour 2025 que 2024, car nous devrons entrer dans le détail de la construction du modèle d'affaires de l'EPR, et devrons aussi avoir avancé sur les SMR.

Mme Christine Lavarde. - En entendant cette réponse, j'ai l'impression que tout l'avenir énergétique de notre pays est uniquement soumis aux injonctions qui seront données à une seule entreprise. Bien entendu, je conçois qu'il s'agit d'un acteur incontournable du futur énergétique, mais nous nous situons là à des niveaux différents. Vous évoquez une entreprise aux capitaux publics à 100%, pour laquelle on souhaite savoir comment l'argent public sera investi. D'ailleurs, le rapport a vocation à être rendu public tous les ans, et à être révisé. Finalement, on peut déjà dessiner une ligne sans être très précis dans les contours, puis ajuster plus tard la trajectoire lors des révisions du contrat. Cela ne me paraît pas contradictoire.

M. Roland Lescure. - La plus grosse partie de ce contrat concerne les EPR, de sorte que sans plan ni devis détaillés, il n'y aurait aucun sens à signer un contrat pour les dix ans à venir. C'est pourquoi je ne souhaite pas lancer tout de suite les réacteurs de quatrième génération. Nous avons consacré dix-sept ans et treize milliards d'euros à un seul EPR. Aujourd'hui, l'EPR2 est mieux défini, et la gouvernance a été revue et l'entreprise restructurée. Je suis donc convaincu que nous ferons mieux et plus vite, mais pour l'heure l'EPR est la priorité absolue. J'espère que nous aurons le plan détaillé et le devis d'ici la fin de l'année. Je vous donne donc rendez-vous en début d'année 2025.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Concernant le nucléaire historique, pensez-vous souhaitable ou nécessaire de prolonger la durée de vie des centrales nucléaires actuelles à 60 ans, voire de solliciter les conditions permettant d'aller jusqu'à 80 ans comme aux États-Unis pour un certain nombre de réacteurs ? Êtes-vous favorable au renforcement de la puissance de certaines centrales, notamment des centrales 900 ?

Sur le nouveau nucléaire, vous avez évoqué un prix de 70 euros/MWh, qui se base sur un montant d'investissement de 67 milliards d'euros (le précédent montant était de 52 milliards d'euros) Jusqu'à quel prix considérez-vous comme souhaitable de continuer d'investir dans les EPR2 ? Avez-vous une barrière fixée à 100 ou 120 milliards d'euros, par exemple ?

Pour les SMR, quel est l'intérêt pour la France, sachant que de nombreux interlocuteurs y ont plutôt vu un intérêt à l'export pour remplacer les centrales à charbon, mais finalement minime en France ? En d'autres termes, ne surestime-t-on pas le potentiel des SMR en France ?

Vous nous avez indiqué que selon vous, l'uranium était garanti jusqu'en 2100 en France. La COP 28 a prévu un triplement du nucléaire dans le monde à horizon 2050 et non 2100. Or quand on examine les réserves connues et les endroits où elles se trouvent, on peut s'interroger sur le potentiel réel d'uranium. Je comprends votre souhait d'éviter une trop grande dispersion, mais de nombreux interlocuteurs ont attiré notre attention sur la nécessité de ne pas arrêter la 4ème génération. À cet égard, si vous nous avez appris que la R&D se poursuivait, il reste que le projet de réacteur Astrid a été arrêté. Nous n'en comprenons pas la raison si d'un autre côté, vous précisez que la R&D continue. En ce qui nous concerne, nous pensons que la 4ème génération pourrait représenter l'avenir du nucléaire à horizon 2050, qu'on pourrait dénommer le « nucléaire durable ». Pouvez-vous nous éclairer ?

M. Roland Lescure. - Je suis favorable à une prolongation de certaines centrales à 60 ans, en n'excluant pas 80 ans à la condition que toutes les garanties de sûreté soient remplies. Vous savez, pour l'avoir votée, que nous nous trouvons actuellement dans une phase de fusion de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), ce qui nous permettra d'avoir un organisme de régulation plus puissant, flexible et agile. D'ailleurs nous avançons sur la suite de la loi, qui est en passe d'être validée par le Conseil constitutionnel en juillet. Dans la foulée, nous engagerons la préfiguration.

Notre parc nucléaire actuel se situe aux alentours de quarante années. Profitons donc des vingt ans qui suivent, pour savoir si toutes les conditions de prolongation de vingt années supplémentaires, sont remplies.

Sur le coût du nouveau nucléaire, il faut au préalable savoir que nous raisonnons en centaines d'années, voire en millénaire. Nous changeons donc de dimension. Il est hors de question que l'État dise « jusqu'à 100 milliards, tout va bien ». Ce serait le risque de se fixer une enveloppe. Personnellement, je n'ai pas vu de chiffres suffisamment complets et rigoureux pour être validés dans le cadre d'un Conseil de politique nucléaire. C'est ce que j'entendais en vous disant que je n'avais pas vu de devis détaillé. Selon EDF, il s'agit d'estimations préliminaires avant négociations avec les fournisseurs. Il existe un enjeu d'organisation de la filière. Tout ceci est trop sérieux pour se baser sur trois estimations fantaisistes parues dans la presse, ou même quelques estimations non challengées, avancées devant la commission d'enquête du Sénat. Nous avons donc demandé des devis détaillés à la filière, notamment à l'opérateur, un devis détaillé, que nous examinerons avec attention sur les modalités de financement. EDF peut en prendre une partie à sa charge, de même que les contribuables d'aujourd'hui et les consommateurs futurs, mais il n'existe aucun chiffre magique. Nous suivrons l'exécution du devis au cordeau, échaudés par l'expérience de l'EPR qui a dépassé toutes les craintes.

Nous croyons en les SMR, mais le projet en est encore au stade de la réflexion. C'est pourquoi les start-ups et l'innovation ont d'ores et déjà émis des idées intéressantes. Un appel d'offres finance d'ailleurs l'innovation et la recherche à 2030 sur les SMR. Ces petits réacteurs, potentiellement positionnés dans certaines régions, seraient plus flexibles que les gros réacteurs pour lesquels il existe des enjeux de disponibilité d'eau ou d'alimentation. Surtout, les SMR peuvent faire partie des solutions pour décarboner la chaleur nécessaire à l'industrie. Des projets très précis existent en ce sens. À ce stade, onze entreprises sont accompagnées dans la phase 2 de la recherche, pour aboutir à deux ou trois projets qui seront soutenus dans leur développement.

Sur le combustible et l'arrêt d'Astrid, nous avons estimé que les coûts engagés n'étaient pas en phase avec la ressource estimée. Peut-être l'évolution de la géopolitique changera-t-elle l'équation, mais à ce stade nous n'avons aucune inquiétude sur le stockage et la disponibilité du combustible. Nous continuerons cependant à investir dans la Recherche & Innovation, mais je suis convaincu qu'à courir trop de lièvres à la fois, nous risquerions de n'en attraper aucun. Ma priorité reste de disposer d'électricité nucléaire en volume décarbonée et peu chère, à laquelle s'ajoutera quelques SMR, dans les vingt ans qui viennent. Nous poursuivons la recherche et disposons de temps pour ce faire. Je vois bien que la filière a trop longtemps été sevrée et que les ingénieurs sont frustrés d'avoir aussi peu innové, mais il ne faut pas lâcher tous les projets en même temps. Le rôle de l'État est de sérier les investissements les uns après les autres. À terme, le rêve d'un nucléaire durable représente un avenir assez lointain.

La montée en puissance des réacteurs existants (l'uprating) fait l'objet de programmes de travaux prévus dans la PPE, notamment sur les 900 MW. Les puissances ne sont pas extrêmement importantes puisque nous sommes à 400 TWh de production possible, mais je pense que nous pourrons rechercher environ 650 TWh à terme.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Sur la quatrième génération, j'entends l'argument de ne pas courir trop de lièvres à la fois. Pour autant, alors que la France a longtemps été très en avance sur le sujet, notamment avec Super Phénix et Astrid, nous avons perdu cette avance au profit de la Chine, de l'Inde et de la Russie, qui développent des réacteurs à neutrons rapides. C'est sans doute le nucléaire de demain, auquel ces pays se préparent dès aujourd'hui. J'entends donc que vous ne prévoyez pas de renforcer les équipes de recherche sur le sujet au CEA.

M. Franck Montaugé, président. - Nous n'avons pas abordé la question du financement des investissements et celle des intérêts. Le poste pèsera lourd dans l'équation finale. Comment l'État se positionnera-t-il vis-à-vis de l'opérateur nucléaire national ? Les choses sont-elles précisées à ce stade ?

En second lieu, je ne comprends plus rien à la PPE au regard de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), qu'il faudrait actualiser pour une troisième version. A un certain moment, vous envisagiez de traiter par voie réglementaire une Stratégie énergie climat. Malgré les difficultés politiques de parvenir à un consensus, quel chemin nous proposez-vous ? Nous avons l'impression de nous trouver dans une sorte de puzzle, ce qui nous fait perdre de vue les orientations importantes. Je pense que la confusion actuelle est préjudiciable pour tout le monde.

M. Roland Lescure. - Sur la quatrième génération, nous nous trouvons déjà dans des stratégies de réduction d'utilisation du combustible. La consommation d'uranium baissera de 25%. Nous allons construire une nouvelle usine de retraitement à La Hague et prolongerons la durée de vie de l'existante.

Dans le cadre du dernier Conseil de politique nucléaire, nous avons décidé de mettre en oeuvre un programme d'investissement important dédié à la recherche, et pas uniquement sur les réacteurs de 4ème génération et la fermeture du cycle. Notre grand opérateur de recherche sur le nucléaire, le CEA, sera doté de plus d'un milliard d'euros dans les prochaines années.

Sur le financement des investissements, je n'ai pas d'autre précision à vous apporter. Je peux uniquement vous indiquer que le travail sera mené cette année.

M. Franck Montaugé, président. - Ma question portait surtout sur le rôle que jouera l'État en la matière. Je conçois bien que vous ne disposiez pas encore du niveau des investissements.

M. Roland Lescure. - L'un va avec l'autre, Monsieur le président.

M. Franck Montaugé, président. - Bien entendu, mais quelle est l'intention de l'État pour faire en sorte d'optimiser ce poste ? Quelle est la stratégie ?

M. Roland Lescure. -Nous pouvons avoir des discussions théoriques, mais je préfère les discussions pratiques. Par conséquent, en l'absence du devis détaillé, c'est-à-dire des spécifications détaillées des EPR et de la communication des coûts afférents (à intérêts inchangés), je n'ai pas de réponse. La majeure partie des coûts de Flamanville a été liée aux intérêts de retard en raison du temps perdu. Tout ce temps perdu nous a coûté très cher en intérêts, qui sont donc la variable clé. Nous aurons donc un plan de financement d'ici la fin 2024 pour lancer, de manière concrète en 2025, les travaux d'ingénierie. Nous reviendrons devant la représentation nationale pour choisir entre les modes de financement (État, entreprise et contribuable consommateur). Si l'État devait tout payer, les intérêts seraient relativement faibles mais cette solution n'a pas été retenue. D'ailleurs EDF lui-même, qui n'est pas fier des précédents épisodes EPR, veut contribuer.

M. Franck Montaugé, président. - En principe, dans un système qui fonctionne économiquement, l'indicateur de coûts réside uniquement dans les tarifs. Les investissements sont nécessairement pris en compte dans les tarifs.

M. Roland Lescure. - Si nous faisons peser tous les investissements sur les tarifs, cela revient à faire payer au consommateur d'aujourd'hui les investissements permettant d'avoir l'électricité de demain.

M. Franck Montaugé, président. - L'ensemble des besoins de financement est actualisé et réparti dans le temps, ce qui pose donc aussi la question de la structure des tarifs.

M. Roland Lescure. - Exactement. Prenons un exemple de coûts à 100. Si l'ensemble est financé par de l'endettement public sans aucun surcoût sur les tarifs, les taux d'intérêts de l'État seront moins élevés et les consommateurs de demain paieront. Je caricature pour préciser les choses. À l'inverse, nous pouvons décider qu'EDF supportera la totalité des coûts, ou encore que ce sera au consommateur de le faire. En réalité, un mix des trois solutions sera nécessaire car chaque partie y a intérêt. Le fait qu'EDF paie une partie de la facture, est en quelque sorte une garantie qu'EDF fera en sorte d'être efficace. Malheureusement, nous ne sommes pas encore suffisamment au clair sur la structure de coûts, le projet et les délais afférents. Nous reviendrons devant la représentation nationale dès que nous aurons davantage avancé.

J'ai bien conscience que les dispositifs ne sont plus très clairs. L'objet de la PPE est de savoir à quoi ressemblera la France énergétique en 2035. Sur ce point, nous vous devons un retour. Naturellement, d'ici la fin de l'année vous saurez où l'on va. Pour aller vers cette France de 2035, un certain nombre de dispositions doivent être mises en oeuvre, et notamment des plans d'investissements massifs pour donner de la visibilité aux filières. Certaines de ces filières sont nationalisées, ce qui nous conduit à élaborer avec EDF sur le prix de l'électricité, les investissements et la régulation. Nous devrons vous présenter de manière globale et cohérente le plan de marche d'EDF à horizon 2035.

Nous devons aussi protéger les consommateurs, qui ont été injustement traités. Nous devrons donc proposer un projet de loi.

Par ailleurs, le travail sur l'hydraulique sera aussi inclus dans les briques de la PPE.

Nous devrons ensuite vous indiquer, pour chacune des briques construisant la PPE, comment l'État intervient. Le tout dépendra en partie des opérateurs, du marché, de l'État et du législateur.

M. Franck Montaugé, président. - Cela signifie-t-il qu'un texte sera prochainement soumis au législateur ?

M. Roland Lescure. - Je pense avoir déjà exposé les raisons pour lesquelles je n'estime pas qu'un « texte cathédrale » soit une bonne idée. J'ai beaucoup consulté les filières industrielles, qui veulent de la visibilité et souhaitent aller vite. Les premiers chiffres ont été présentés il y a deux ans lors du discours de Belfort. Désormais, je souhaite que d'ici la fin de l'année, la vision présentée soit globale et cohérente.

M. Franck Montaugé, président. - Que signifie le fait de « pousser tous les feux » ? Personnellement, j'y suis favorable, mais est-ce à dire qu'il ne faut pas se fixer des objectifs trop précis, prendre des marges et dire aux industriels concernés d'agir pour remplir les objectifs énergétiques de la France ?

M. Roland Lescure. - Nous devons être plus précis que cela car les industriels ont besoin de visibilité. Effectivement sur le nucléaire, nous visons la prolongation du nucléaire existant. Sur l'éolien terrestre à ce stade, nous parlons de doubler la capacité.

M. Franck Montaugé, président. - Sur ce sujet, nous connaissons des difficultés sur le terrain. Je les constate au quotidien sur mon territoire. Où sont les marges pour que nous soyons au rendez-vous ?

M. Roland Lescure. - Nous avons pour objectif de multiplier par cinq la capacité de photovoltaïque d'ici 2035, passant ainsi de 3 GW par an à 15 GW. Le photovoltaïque crée moins de problèmes, notamment d'acceptabilité. Le vrai sujet est de pouvoir produire des panneaux photovoltaïques en France, mais je suis assez rassuré en la matière. En effet, les deux giga factories de Fos et Sarreguemines avancent bien.

Sur l'éolien marin, nous souhaitons implanter 18 GW à 2035, sachant que la capacité est de 1,5 GW aujourd'hui. Cette multiplication par dix est donc énorme, mais nous avons un plan pour y parvenir. Cinq appels d'offres ont d'ores et déjà été attribués, ce qui permettra de répondre aux besoins.

L'éolien terrestre est compétitif mais crée en effet des enjeux d'acceptabilité dans certaines régions où les mâts sont nombreux. Dans ces régions, telles que les Hauts-de-France et le Grand Est, on imaginer augmenter la puissance des mâts. Dans d'autres régions, dont la vôtre sans doute Monsieur le président, on peut sans doute installer davantage de mâts, à la condition de procéder à toutes les consultations nécessaires.

Sur l'AO 5, le consortium retenu est un consortium belgo-allemand, donc européen. Le cahier des charges prévoit la présence de PME pour intégrer du contenu local dans les appels d'offres. Ceux qui l'ont mis en oeuvre, notamment le président Retailleau au large de la Vendée, ont fait part des difficultés d'intégrer du contenu local dans les appels d'offres. Nous avons donc négocié, dans un règlement européen, le fait qu'à l'avenir les appels d'offres auraient un contenu européen et français plus important dans les composantes.

Les entreprises qui composent le consortium belgo-allemand sont connues et ont remporté un appel d'offres d'éolien flottant. Ce consortium est un des seuls qui opère déjà, alors il n'y a pas encore de parc commercial éolien flottant, mais il y a des parcs expérimentaux dont l'un est au large de l'Ecosse, qui est justement opéré par Elicio, l'opérateur belge dont je parlais. Ils ont de l'expérience sur le flottant, ils sont bien connus sur le terrestre. La CRE a mené cet appel d'offres en toute indépendance. Nous sommes donc confiant dans la capacité de ce consortium à livrer dans les temps, pour un budget compétitif de 86,50 euros.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Le contrat inclut-il des clauses interdisant toute révision possible ?

M. Roland Lescure. - Il existe des clauses de révision possible et une garantie apportée par BNP Paribas, à hauteur de 50 millions d'euros. Des sanctions sont en outre prévues en cas de retard. Sur l'indexation, je reviendrai vers vous par écrit.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Cela nous intéresserait en effet, car le prix de 86 euros nous a agréablement surpris. Nous avons en effet vu qu'en Méditerranée sur les prototypes, des prix de 240 euros avaient cours, sur lesquels des rallonges pouvaient même être demandées.

M. Roland Lescure. - Le passage d'un dispositif expérimental à un dispositif de séries entraîne des économies d'échelle. En outre, les technologies sont nouvelles et se sont beaucoup améliorées.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Sur l'hydroélectricité, vous écartez la proposition de Bruxelles de remise en concurrence au motif que vous ne voulez pas brader les installations. Je ne suis pas très convaincu par ces explications car dans une concession, l'État ne brade rien puisqu'il reste propriétaire. Dans une concession, le choix tient compte de la qualité et de l'expérience du prestataire. Par conséquent, la concurrence n'aboutit pas, pour le concédant, à un choix obligatoire. J'ai le sentiment qu'à Bruxelles, le régime d'autorisation est banni pour la France. Mme Pannier-Runacher, lorsqu'elle avait la charge de la transition écologique, avait relancé une alliance de pays européens sur le nucléaire, ce qui était très positif. Que souhaitez-vous obtenir de Bruxelles avec cette alliance à court et moyen terme ?

M. Roland Lescure. - En ma qualité de président de la commission économique à l'Assemblée nationale, nous avions entendu le commissaire européen à l'énergie, qui vantait les vertus de la mise en concurrence des nouvelles concessions. Or il était absolument seul à le penser, car aucun groupe parlementaire ne partageait son avis. Peut-être la majorité est-elle différente au Sénat. En tout état de cause, la remise en concurrence des concessions devra passer par la loi.

Bien évidemment, les concessions existent et il s'agit d'actifs, à l'instar des autoroutes. Les parcs éoliens sont aussi une forme de concessions. En revanche, il me semble que les rivières et fleuves représentent un actif particulier, autour duquel il me paraît difficile de trouver un consensus politique.

L'alliance du nucléaire est en effet un succès puisqu'elle réunit 15 pays, dont 13 membres et 2 observateurs à ce jour. Aujourd'hui, sur 27 pays, 15 sont favorables au nucléaire et veulent le relancer. Les conséquences industrielles sont importantes car il s'agit de construire une vraie filière nucléaire européenne, avec des têtes de pont françaises mais pas uniquement. Des entreprises tchèques pourraient aussi nous aider à construire des réacteurs. C'est une fierté pour nous, de construire une filière nucléaire européenne.

Nous attendons avant tout des institutions européennes un financement et une vraie neutralité technologique. Nous souhaitons que la décarbonation soit la priorité absolue de l'Union européenne, afin que l'Europe soit le premier continent décarboné au monde. C'est pourquoi nous devons cesser les guerres de religion entre les pays qui refusent le nucléaire et ceux qui le favorisent. La Banque européenne d'investissement (BEI) a d'ores et déjà indiqué qu'elle était prête à financer des projets de SMR. D'ailleurs, la BEI a déjà financé du nucléaire par le passé. C'est pour nous un sujet majeur car nous devrons investir des dizaines de milliards d'euros dans le nucléaire du futur. Il importe donc d'aboutir à un financement européen.

Le débat porte aussi sur l'hydrogène, sur le point de savoir s'il est tout à fait similaire selon qu'il est obtenu à partir d'énergie renouvelable ou d'énergie nucléaire. Nous répondons par l'affirmative, d'autres pensent qu'il existe une différence. De manière très concrète, la neutralité technologique devra aller jusqu'à l'hydrogène. Il existe donc encore un combat à mener sur ce sujet.

La réunion est close à 16 heures.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est ouverte à 16 h 00

Audition de M. Stéphane Michel, directeur général Gaz, électricité et énergies renouvelables chez TotalEnergies

M. Franck Montaugé, président. - Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de M. Stéphane Michel, directeur général Gaz, électricité et énergies renouvelables chez TotalEnergies.

Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14, 434-15 du Code pénal, et notamment de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant « Je le jure ».

M. Michel prête serment.

M. Franck Montaugé, président. - Le Sénat a constitué, le 18 janvier dernier, une commission d'enquête sur « la production, la consommation et le prix de l'électricité aux horizons 2035 et 2050 ».

Nous centrons nos travaux sur le présent et l'avenir du système électrique.

Est-il en capacité de faire face à la demande, d'offrir au particulier et à nos entreprises une électricité à un prix raisonnable, quelles sont ses perspectives de développement ?

TotalEnergies est une compagnie pétrolière, mais avec de fortes ambitions dans l'électricité. Votre objectif est d'atteindre une production de plus de 100 TWh/an d'ici 2030, ce qui vous placerait parmi les cinq premiers producteurs mondiaux d'électricité renouvelable, éolienne et solaire. TotalEnergies dispose de centrales à gaz (CCGT) dont vous avez prévu la décarbonation. En termes de stockage, votre objectif est de déployer 5 GW de capacités de stockage dans le monde d'ici 2030. Enfin à l'horizon 2030, vous avez pour objectif de fournir près de 10 millions de clients et de vendre 130 TWh.

Vous nous direz comment se déploie votre stratégie en France, mais aussi quelle est votre vision d'une politique électrique souhaitable pour le pays.

En particulier, vous présenterez vos perspectives de développement de l'éolien terrestre et en mer et de développement de l'énergie solaire photovoltaïque.

Nous voudrions avoir votre point de vue sur les dispositifs de soutien au marché européen de l'électricité, des marchés de long terme, des contrats de fourniture d'électricité de long terme et de gré à gré (PPA) et les contrats pour différence (CfD).

Enfin en janvier dernier, interrogé au forum de Davos, le président-directeur général de TotalEnergies, Patrick Pouyanné, a fait savoir qu'il souhaitait signer des contrats d'approvisionnement en électricité de quinze ou vingt ans avec EDF pour « aider à financer » de nouveaux réacteurs nucléaires. Les velléités de Total dans le nucléaire ne sont pas nouvelles ; Où en êtes-vous concrètement ?

Voici quelques thèmes sur lesquels notre rapporteur puis nos collègues vont vous interroger.

M. Stéphane Michel, Directeur général Gaz, électricité et énergies renouvelables chez TotalEnergies. - Merci beaucoup, Monsieur le Président, Monsieur le rapporteur, Mesdames et Messieurs les sénateurs. Je voulais d'abord vous remercier de me donner l'occasion de contribuer à vos réflexions sur la production, la consommation et les prix de l'électricité en France à l'horizon 2035 et 2050. Cela n'aurait probablement pas été le cas il y a dix ans. J'y vois la reconnaissance de la réalité de la transformation dans laquelle notre compagnie s'est engagée, et qui s'est concrètement traduite par notre changement de nom de Total à TotalEnergies.

Cette transformation, vous l'avez rappelé, vise à créer un deuxième pilier à nos activités traditionnelles que sont l'activité pétrolière et gazière, et se traduit déjà dans les chiffres, soit 33 TWh de production dans le monde en 2023, dont 19 TWh dans l'électricité renouvelable. Cette ambition vise en outre à atteindre au moins 100 TWh de production électrique en 2030, pour ainsi figurer parmi les dix premiers électriciens au monde et parmi les cinq premiers dans le domaine de la production renouvelable.

En France, nous dépasserons la semaine prochaine 2 GW de production renouvelable solaire et éolien avec 600 installations. Nous disposons par ailleurs de six centrales à gaz, dont la dernière construite en France en Landivisiau en Bretagne. Enfin, nous avons un portefeuille de 4,2 millions clients, auxquels nous avons la chance de pouvoir fournir à la fois de l'électricité et du gaz.

C'est donc en tant qu'acteur récent, mais résolument actif, que je souhaite aborder brièvement dans ce propos liminaire les thématiques que vous avez rappelées : notre vision de l'évolution de la demande en France, l'évolution souhaitable du parc de production, l'organisation du marché qui permettrait à la fois de rendre cette évolution possible et de protéger le consommateur, et enfin la place que TotalEnergies entend prendre dans ces évolutions.

En premier lieu, s'agissant de la consommation, nous réalisons chaque année un exercice prospectif dénommé le TotalEnergies Outlook, qui définit les scénarios d'évolution de la demande et de l'offre à horizon 2030 et 2050.

Dans ce scénario de référence, la France et l'Europe mettent en place avec succès des politiques pour atteindre le Net zéro carbone en 2050, ce qui suppose bien sûr une électrification massive des usages dans les transports et dans l'industrie (150 TWh dans les transports et 15 à 20 TWh dans l'industrie). Ce scénario implique en outre une augmentation de la consommation électrique de 1,5 % par an sur les 30 ans à venir. C'est sensiblement similaire aux estimations basses de RTE.

Selon nous, cette augmentation de la consommation ne sera pas linéaire. Elle est complexe à prévoir, d'autant que la crise de 2022 s'est plutôt traduite par une baisse de la consommation, et que par ailleurs une telle augmentation est liée à la pénétration du véhicule électrique et de la consommation d'électricité pour les transports.

En définitive, le processus pourrait prendre plus de temps que ce que nous avions anticipé, essentiellement pour des questions de coût et d'acceptabilité pour le consommateur.

Pour autant, il est clair pour nous que cette croissance aura lieu, constituant en cela une rupture majeure par rapport aux vingt dernières années, où elle a plutôt été stagnante.

C'est parce que nous croyons en cette croissance que nous pensons mondiale, que nous avons décidé d'investir dans le domaine de l'électricité. Nous souhaitons pouvoir décarboner ou améliorer l'indice carbone de nos ventes à nos clients. À ce titre, nous nous sommes engagés à investir 4 milliards d'euros par an dans le domaine de l'électricité, notamment de l'électricité renouvelable. Nous l'avons déjà fait au cours des deux années précédentes, et nous poursuivrons dans les années à venir.

Ce principe ainsi posé renvoie à la question du mix énergétique. Nous sommes convaincus que nous aurons besoin de toutes les énergies, nucléaire, éolienne, solaire, mais également des centrales à gaz, dont le poids respectif dépendra des situations, des choix et des caractéristiques des pays. À cet égard en Europe, nous avons la chance d'avoir un sud baigné de soleil, un nord parcouru par le vent et fort en hydraulique. Nous sommes convaincus que l'intégration européenne nous permettra de tirer parti de ces avantages compétitifs.

En France, nous avons la chance de disposer de nucléaire, qu'il faut prolonger même si TotalEnergies n'en est pas acteur. Il est également nécessaire de développer le potentiel renouvelable, même si l'on doit bien reconnaître que ce potentiel n'est pas aussi large qu'en Espagne (pays gorgé de soleil avec du foncier disponible), ni aussi compétitif. Malgré cette différence, nous mettons sur le marché entre 300 et 400 MW par an dans le domaine du renouvelable, et entendons continuer à le faire. Néanmoins, si l'on compare la situation de la France dans ce domaine avec celle du Texas, de l'Inde ou du Brésil, force est de constater que l'espace, la ressource et le foncier facilitent les opérations et les rendent plus rentables dans ces pays.

Enfin, nous disposons en France de six centrales à gaz qui ont été bien utiles pour passer les pointes d'hiver récemment, et également pour pallier l'intermittence du renouvelable en Europe. Certes, ces centrales présentent l'inconvénient d'émettre du CO2, mais beaucoup moins que les centrales à charbon et ce, d'autant moins que leur taux de fonctionnement est réduit.

Selon TotalEnergies, il existe une nécessité pour la France de préserver ses moyens flexibles pour faire face à l'intermittence des renouvelables, d'une part, et pour assurer sa sécurité d'approvisionnement, d'autre part. Nous ne sommes en effet pas à l'abri de nouveaux problèmes systémiques sur le parc nucléaire existant. En outre, même si le rythme de développement du parc nucléaire nouveau et des renouvelables est planifié, il n'est pas exclu que dans la réalité, ce développement prenne plus de temps. Dans un contexte où la croissance de la demande serait présente, on doit continuer à envisager l'usage de ces centrales à gaz. Cette question ne saurait donc être éludée, pas plus que celle corrélative du stockage de leurs émissions. D'ailleurs, l'Allemagne, qui a fait le choix de ne pas poursuivre le nucléaire, se lance dans un programme massif de construction de centrales à gaz.

Pour finir sur le mix, nous aurons besoin de batteries aux fins de stabilisation du réseau et pour pallier l'intermittence des renouvelables. Nous comptons bien y contribuer car avec Saft, nous avons créé une capacité de production de batteries en vue du stockage de l'énergie. Si la loi le permettait, nous serions heureux de contribuer également à la redynamisation de l'hydraulique, qui nous paraît un élément important du mix.

La nécessité d'investir dans ces nouveaux moyens de production, d'une part, et la crise de 2022, d'autre part, invitent à s'interroger sur le fonctionnement du marché. À cet égard, j'émettrai quelques remarques.

Il existe un consensus pour considérer que la régulation a pour objectif d'assurer la sécurité d'approvisionnement, de garantir l'accès aux consommateurs (particuliers et entreprises) à l'électricité à un prix acceptable, et enfin, de contribuer progressivement à une production d'électricité tendue vers le Net zéro carbone. Ce sujet concerne aussi bien l'Europe que la France.

En la matière, notre première conviction tient au fait que l'intégration européenne et le fonctionnement du marché ont été globalement bénéfiques, en permettant l'optimisation des moyens de production. En outre, cette intégration européenne, malgré les dysfonctionnements majeurs sur les prix, a permis à tout moment de fournir de l'électricité et du gaz en 2022. La France, bien que confrontée à une baisse majeure du nucléaire en France, a été capable d'importer de l'électricité quand elle en a eu besoin. Précédemment, aucun autre choc de cette nature ne s'était produit hormis Fukushima, mais l'Europe a démontré sa capacité à faire face à ce qui pourrait être qualifié de « perfect storm ».

Nous sommes donc désireux que cette intégration européenne soit renforcée par l'accroissement des capacités d'interconnexion, dont la France bénéficiera, puisqu'elle continuera d'importer du solaire espagnol à bas prix et d'exporter du nucléaire.

Nous avons bien conscience que la fixation du prix marginal introduit de la volatilité, dont il est nécessaire de protéger les consommateurs. Nous sommes donc convaincus que c'est le rôle des fournisseurs.

Pour protéger les fournisseurs, il importe de contractualiser à long terme ou à tout le moins, à moyen terme. D'une certaine manière, le « péché originel » du marché européen est d'avoir été fondé principalement sur des indices spot et sur une réflexion à court terme sur le marché spot. A l'inverse en Asie, où une grande quantité de gaz est vendue, les ventes se concluent à 70 % sur des contrats à long terme (à quinze ans et à un prix indexé) et à 30 % sur du spot. Notre système européen a été basé sur des prix d'extrêmement court terme.

Par conséquent nous pensons que pour les besoins de l'évolution, il est nécessaire d'inciter à l'émergence d'une liquidité à l'horizon de trois à cinq ans et de permettre également le développement du marché des PPA à quinze ans.

L'objectif de cette évolution est triple. Il s'agit aussi bien de permettre aux clients de lisser leur approvisionnement à un niveau infiniment supérieur à aujourd'hui, qu'aux fournisseurs de disposer de la liquidité pour faire de telles offres, et enfin aux producteurs de vendre leur électricité à moyen terme ou à long terme en disposant du signal de prix, qui seul est susceptible de déclencher les investissements.

S'agissant de la production proprement dite, force est de constater que dans de nombreux pays, les renouvelables sont compétitifs à l'heure actuelle, sans qu'il soit nécessaire de les subventionner ou de leur octroyer des prix garantis. C'est pourquoi selon nous, les mécanismes de CfD ou les mécanismes d'enchères doivent être limités aux technologies en ont encore besoin, telles que l'éolien offshore flottant. En revanche, pour toutes les autres technologies, le risque de maintenir les subventions serait un surinvestissement dans ces technologies, avec finalement le contribuable qui paiera à défaut du consommateur.

Par ailleurs, nous constatons aussi qu'il y a du capital disponible pour investir dans les moyens de production d'électricité, dès lors que les règles sont claires, visibles et transparentes.

En France, nous estimons nécessaire d'avoir une nouvelle régulation après l'Accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), qui devra concilier la concurrence, permettre le développement des moyens de production et redistribuer aux consommateurs français le bénéfice du nucléaire existant. À cet égard, le principe de redistribution proposé par le gouvernement fait sens et nous le soutenons. Toutefois, le mécanisme de l'Arenh permettait aux fournisseurs d'avoir accès à des volumes connus, dans des conditions connues, et donc de baser leurs offres sur la disponibilité de ces volumes. C'est pourquoi le nouveau système devra assurer aux fournisseurs qu'ils continueront d'avoir accès aux volumes dans des conditions transparentes, non discriminatoires et lisibles. Selon nous, la seule manière d'y parvenir, compte tenu du poids d'EDF dans le système, est de confier à EDF la mission d'assurer la liquidité du marché, en mettant sur le marché à horizon de trois à cinq ans des volumes suffisants et de manière transparente, par exemple au travers des plateformes d'enchères existantes. Si ce système n'était pas mis en place, le risque serait celui d'une atrophie du marché.

Je conclurai sur la stratégie de TotalEnergies, qui est présent dans le marché à un triple titre. En premier lieu en tant que raffineur en France, nous sommes un consommateur électro-intensif. C'est pourquoi nous nous sommes engagés dans des discussions avec EDF pour avoir accès au Contrat d'allocation de production nucléaire (CAPN). Les discussions sont en cours. Nous sommes en outre un producteur d'électricité en France, et entendons développer nos capacités de production. Dans le renouvelable, il existe deux modèles. Le premier consiste à être un développeur sans capital et disposant de revenus garantis, ce qui n'est pas notre modèle. En ce qui nous concerne, nous n'avons pas besoin d'avoir des revenus garantis car nombreux sont les endroits, y compris en France, où les renouvelables sont compétitifs. Par conséquent, TotalEnergies est prêt à investir dans ces moyens de production sans avoir de garantie d'État ou de prix régulé, en nous basant sur le marché, éventuellement en concluant des PPAs et en étant présents sur les marchés de gros. C'est fondamentalement notre ADN.

J'ai procédé à cette synthèse parce que dans le domaine de l'éolien, il existe aujourd'hui plusieurs systèmes. En Allemagne, les concessions ont été mises aux enchères, avec la liberté de disposer des électrons. La France a fait un choix différent, dans la mesure où l'électricité produite est forcément vendue à prix fixe, sans liberté d'en disposer.

Dans ces conditions, TotalEnergies serait évidemment prêt à participer au développement de l'éolien offshore en France, à la condition d'avoir la liberté de disposer d'au moins une partie de sa production.

Sur le nucléaire, je paraphraserai les propos tenus par mon président au sein de cette enceinte. Nous ne sommes pas des producteurs de nucléaire, nous n'y connaissons rien et ce n'est pas notre métier. De plus, la production nucléaire entraîne des engagements de long terme concernant les déchets, ce dans quoi TotalEnergies ne souhaite pas s'engager. En revanche, nous avons indiqué être disposés à entrer en discussion avec EDF pour conclure des contrats d'achat d'électricité de long terme, à prix fixe, en apportant la garantie du prix.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - J'ai compris que vous étiez prêt à signer des contrats à long terme avec EDF, à la fois sur le nouveau nucléaire mais également sur la production d'électricité. Ces contrats sont encore en discussion. Il est vrai qu'il s'agirait d'un bon moyen de stabiliser les prix à long terme. À quelle échéance estimez-vous la conclusion de vos discussions avec EDF ? Pensez-vous que ce sera en 2024 ou au-delà ?

M. Stéphane Michel. - Les discussions avec EDF se tiennent à deux titres. Tout d'abord pour le raffinage, puisque nous sommes électro-intensif, il y a des discussions sur le CAPN, en tant qu'acheteur pour notre propre consommation. Je ne peux donner de date mais nous sommes d'ores et déjà entrés dans le concret. Je note aussi que si en tant que fournisseur, nous avions accès au CAPN pour en faire bénéficier nos propres clients, nous serions prêts à avoir ce type de discussion.

L'autre sujet concerne le financement du nucléaire neuf, pour lequel nous avons indiqué que nous serions disposés à nous engager. Pour l'heure, ces discussions n'ont pas commencé.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Quel est le modèle d'affaires de vos six centrales à gaz, qui par définition doivent être peu utilisées à l'année ? Comment les financez-vous ? Il serait intéressant de nous en dire plus sur ce sujet, qui n'a pas été beaucoup traité dans nos auditions.

M. Stéphane Michel. - Il s'agit de centrales que nous avons rachetées à des acteurs divers au cours des dernières années, et d'une centrale acquise via le rachat de Direct Energie. Le modèle d'affaires, qui est classique, est double. En 2022, les centrales ont produit pendant 40 à 50% du temps, au vu des nécessités liées à la manque de disponibilité du parc nucléaire) tandis qu'en 2024 elles ne produisent que 5% du temps. Ce n'est pas grave car ces centrales sont globalement rentables, si l'on envisage la moyenne au cours du temps. Il faut surtout les envisager comme une assurance en cas d'absence de renouvelable disponible. Nous sommes capables de vendre cette « prime d'assurance », indépendamment du fait de savoir si ces centrales produiront le jour J. Les centrales à gaz sont absolument indispensables à la gestion de l'intermittence dans un pays tel que l'Allemagne. C'est pourquoi ce pays s'est lancé dans un programme d'investissement dans les centrales à gaz.

La question qui se posera quant au maintien, à terme, d'un parc de centrales à gaz,sera celle de la capacité à capter puis à stocker le CO2 qui serait émis, sachant que les technologies existent aujourd'hui et qu'elles se développent. Nous avons des projets en ce sens au Royaume-Uni et aux Etats-Unis.

Par ailleurs, dans un mix renouvelable où sont réunis du solaire, de l'éolien et de la batterie, ces énergies sont intermittentes mais complémentaires. Par conséquent, le besoin en centrales à gaz est donc réel, mais est limité car il ne représente qu'une fraction de la production. Les émissions de CO2 qui en résultent sont donc tout aussi limitées.

M. Franck Montaugé, président. - Il est donc possible de déterminer le prix à la pointe à partir d'une énergie fossile.

M. Stéphane Michel. - C'est bien mon propos, mais j'ai bien précisé que cela concernait uniquement le marché de gros. C'est donc un sujet pour les producteurs. La conclusion que je n'en tire pas, et que le consommateur final soit nécessairement soumis à cette volatilité. J'en reviens donc à l'idée que c'est le rôle des fournisseurs d'être capables de transformer l'utilisation du marché de gros, en un prix lissé et non volatil, vendu au consommateur final. Encore faut-il que le marché soit suffisamment développé pour que cette liquidité existe, et que la transformation soit effective.

M. Franck Montaugé, président. - Que pensez-vous de la réforme du marché européen telle qu'elle se dessine ? Vous paraît-elle inachevée ?

M. Stéphane Michel. - Elle va dans le bon sens mais est encore imparfaite. Ainsi, un client qui souhaiterait, en France, acheter de l'électricité sur une durée de cinq ans, n'y parviendrait pas. La raison en est simple. Au départ, de la concurrence a été instillée dans un marché où étaient présents des acteurs historiques. L'objectif était de permettre aux clients de quitter ces derniers en toute facilité, pour changer de contrat. Le corollaire de cette situation, a abouti à ce que les prix se fixent sur le court terme, alors même que l'énergie n'est pas un marché de court terme. Sur ce marché en effet, les investissements doivent être amortis sur le long terme, de la même manière que sur le marché du pétrole ou du gaz.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Investissez-vous dans les domaines de l'éolien en mer et terrestre ?

M. Stéphane Michel. - Nous investissons dans l'éolien terrestre et en mer, même si dans le domaine de l'éolien terrestre, nous sommes un acteur plus récent. Notre portefeuille est donc plus solaire qu'éolien, mais nous investissons dans l'éolien terrestre en Europe, de même que pour une large part en Inde, au Brésil.

Par ailleurs, nous sommes présents dans l'éolien offshore à Taiwan, au Royaume Uni. Nous avons également des concessions en Allemagne et aux Etats-Unis.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Répondez-vous aux appels d'offres de la France ?

M. Stéphane Michel. - Nous y avons répondu par le passé. Nous n'avons pas fait de même pour le dernier appel d'offres sur l'éolien flottant car, comme je l'ai indiqué, nous avons un sujet concernant la possibilité, pour TotalEnergies, de disposer plus librement de la vente de ces électrons.

La manière dont nous concevons le développement du renouvelable, n'est pas de concevoir cette énergie en tant que telle, mais plutôt de la considérer au sein d'un parc de production réunissant d'autres moyens pour fournir de l'électricité à nos clients. En ce qui nous concerne, nous ne sommes pas intéressés par l'assurance de vendre à un prix garanti, qui ne correspond pas à notre modèle d'affaires. Nous concevons cependant que d'autres acteurs le fassent.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Vous avez récemment investi dans une société britannique sur un projet de câbles sous-marins entre le Maroc et la Grande-Bretagne. Est-ce un axe stratégique pour vous ou est-ce ponctuel ?

M. Stéphane Michel. - Ce n'est pas un axe stratégique. Il s'agit plutôt une exploration ponctuelle car nous souhaitions en apprendre davantage sur le marché des câbles. Nous avons donc recruté des personnes très compétentes dans ce domaine. Il me semble que notre participation dans la société britannique ne dépasse pas 10 à 15% des parts. Ce sujet intéressant pourrait ultérieurement voir d'autres développements.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Par rapport aux autres pays européens, comment jugez-vous la politique de la France dans le domaine des renouvelables ? Avez-vous le sentiment que nous avançons bien ?

M. Stéphane Michel. - La France est un pays compliqué structurellement, car il compte peu de grands espaces inhabités, contrairement à l'Australie, l'Inde ou le Texas. Par conséquent, la taille des projets est beaucoup plus réduite que les pays précités.

De plus, la France est organisée de telle façon que les délais d'instruction prennent beaucoup plus de temps qu'à d'autres endroits, notamment au Texas. Les raisons s'expliquent aisément, mais nous estimons que les délais pourraient être réduits. Pour donner un ordre de grandeur, un projet solaire prend en moyenne quatre ans d'instruction en France, contre un an au Texas. Nous pensons qu'une planification pourrait être utile dans ce domaine.

M. Franck Montaugé, président. - Êtes-vous présent, dans vos activités, sur le marché des solutions de décarbonation énergétique pour le compte de clients industriels qui utilisent aujourd'hui des industries fossiles ?

En quoi l'activité pétrolière telle que vous la maîtrisez, peut servir la transition énergétique ? Je pense aux gisements de pétrole qui ont été exploités puis abandonnés. Ces couches géologiques sont-elles envisageables pour du stockage carbone ou d'autres types de gaz ?

Enfin, TotalEnergies se pose-t-elle la question des coûts échoués de l'activité pétrolière, qui pourrait être amenée à décroître ?

M. Stéphane Michel. - Nous avons réalisé il y a deux à trois ans que les industries qui achetaient de l'énergie et avaient la nécessité de décarboner, se tournaient naturellement vers le fournisseur. Face à cette demande, nous avons donc créé en interne une structure spécifique au BtoB, décomposée en secteurs industriels, pour proposer des offres pertinentes aux clients. Nous avons ainsi aidé les cimentiers et les sidérurgistes en leur proposant des offres complètes liant la production et le photovoltaïque sur leur site, en y ajoutant des contrats de PPA solaire, de la vente d'électricité traditionnelle, de l'hydrogène, du biogaz...

Nous avons de plus en plus de contrats aux termes desquels la décarbonation est la clé.

M. Franck Montaugé, président. - C'est donc un renoncement à vos anciennes pratiques, consistant à vendre un produit sans s'interroger sur son utilisation.

M. Stéphane Michel. - En effet car il s'agit d'une demande de nos clients. Pour être clair, le sujet sur lequel nous n'intervenons pas est la gestion de la chaleur, que nous ne fabriquons ni ne vendons.

Notre savoir-faire pétrolier et gazier apporte au moins deux synergies évidentes avec le monde de l'électricité. En premier lieu, nous sommes un gros exportateur et importateur de gaz. À cause de la crise russe, le gaz en Europe est davantage lié au GNL, que nous connaissons bien, ce dont nous faisons bénéficier l'Europe.

Sur le Net Zéro et les savoir-faire techniques, il est clair que nous devrons acquérir la compréhension des sous-sols pour développer les solutions.

Sur les coûts échoués, Patrick Pouyanné rappelle souvent qu'un gisement normal de pétrole et de gaz perd chaque année 4% de production. Par conséquent, dans dix à quinze ans, les champs qui sont aujourd'hui en production auront disparu. Or dans ce délai, nous aurons encore besoin de pétrole et de gaz. C'est pourquoi la question des coûts échoués ne se posera pas encore, mais elle se posera un jour. En revanche, nous devrons répondre aux nécessités du remplacement.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - J'ai une question supplémentaire sur la flexibilité. Vous avez évoqué les pointes avec les centrales au gaz. Or l'objectif est malgré tout d'essayer d'atténuer ces pointes par un processus d'effacement parfois de la demande, mais aussi par une incitation à la flexibilité, c'est-à-dire au transfert de consommation d'une période à une autre. En d'autres termes, les tarifs doivent être assez incitatifs pour les clients. Parmi vos 4 millions de clients, combien de contrats sont incitatifs et combien ne le sont pas ?

Faut-il généraliser les contrats incitatifs ?

M. Stéphane Michel. - Notre gamme d'offres comprend la gamme classique et la gamme « offre heures pleines-heures creuses ». Au moment de la crise, nous avons accentué l'écart. En tout état de cause, nous avons probablement l'offre du marché la plus accentuée entre heures creuses et heures pleines, pour aboutir au rééquilibrage des consommations. Je vous fournirai le pourcentage exact. Cela étant, les clients sont relativement rationnels car ils effectuent les calculs en fonction de leur consommation. L'objectif est plutôt de vérifier que les consommateurs qui consomment le plus utilisent le dispositif « heures pleines-heures creuses ». Le digital et l'automatisation permettront de progresser sur le sujet. C'est en cela que la concurrence présente aussi du mérite car les idées fourmillent.

La réunion est close à 16 heures 55.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.