- Mardi 14 mai 2024
- Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à accroître le financement des entreprises et l'attractivité de la France - Examen des amendements au texte de la commission
- Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à faciliter la transformation des bureaux en logements - Examen du rapport pour avis
- Mercredi 15 mai 2024
- Proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale, visant à réduire et à encadrer les frais bancaires sur succession - Examen des amendements au texte de la commission
- Mission d'information sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, son suivi par l'administration et le Gouvernement et les modalités d'information du Parlement sur la situation économique, budgétaire et financière de la France - Audition de MM. François Ecalle, président fondateur de l'association « finances publiques et économie » (FIPECO), Mathieu Plane, directeur adjoint de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et Olivier Redoulès, directeur des études de l'Institut Rexecode
- Régime d'indemnisation des catastrophes naturelles - Contrôle budgétaire - Communication
- Cour nationale du droit d'asile (CNDA) - Contrôle budgétaire - Communication
- Proposition de loi visant à lutter contre les fermetures abusives de comptes bancaires - Désignation d'un rapporteur
- Proposition de loi visant à mettre en place une imposition des sociétés plus juste et plus écologique - Désignation d'un rapporteur
Mardi 14 mai 2024
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 14 heures.
Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à accroître le financement des entreprises et l'attractivité de la France - Examen des amendements au texte de la commission
M. Claude Raynal, président. - Mes chers collègues, nous examinons les amendements de séance au texte de la commission sur la proposition de loi visant à accroître le financement des entreprises et l'attractivité de la France.
Nous commençons par l'examen des amendements du rapporteur.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - L'amendement n° 62 prévoit que l'allongement de dix à quinze ans de la durée maximale de blocage des parts dans un fonds commun de placement à risques (FCPR) ne soit applicable qu'aux fonds agréés à compter de la promulgation de la loi, pour ne pas pénaliser les porteurs actuels.
L'amendement n° 62 est adopté.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - L'amendement n° 63 vise à rendre les titres de sociétés de capital-risque (SCR) éligibles au plan d'épargne en actions destiné au financement des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI), le PEA-PME. La semaine dernière, en commission, nous avions déjà introduit l'article 2 ter, qui assouplit les critères d'éligibilité des titres des entreprises au PEA-PME.
L'amendement n° 63 est adopté.
Article 2 quater
L'amendement de coordination n 64 est adopté.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Nous avions un avis plus que réservé sur la demande d'habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance pour réviser le régime juridique applicable aux organismes de placement collectif (OPC), sujet très technique ; nous souhaitions au moins qu'elle soit davantage précisée. Puisque le Gouvernement propose de rétablir cette habilitation sans aucune modification par rapport au texte initial de l'article 10 quater, le sous-amendement n° 65 à l'amendement n° 53 du Gouvernement vise à réduire le délai d'habilitation et le délai de dépôt du projet de loi de ratification, tandis que le sous-amendement n° 66 a pour objet d'encadrer le champ de cette habilitation.
Mme Florence Blatrix Contat. - La suppression de l'article 10 quater nous convenait.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Le sujet est néanmoins extraordinairement technique, et la révision du cadre juridique applicable aux OPC suppose également de prendre des mesures d'ordre règlementaire, en parallèle de modifications législatives. L'habilitation à légiférer par ordonnance se justifie donc, mais à condition qu'elle soit davantage encadrée.
Si le Gouvernement refusait cet encadrement, la commission émettrait un avis défavorable sur l'amendement n° 53.
Les sous-amendements n° 65 et n° 66 sont adoptés.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - L'amendement n° 67 a pour objectif, d'une part, d'abaisser de cinq à trois mois le délai dont dispose la juridiction pour se prononcer en cas de recours contre une décision individuelle de l'Autorité des marchés financiers (AMF) relative à une offre publique et, d'autre part, d'encadrer le délai dont dispose la juridiction pour se prononcer sur la demande de sursis à exécution.
L'amendement n° 67 est adopté.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - L'amendement n° 68 est un amendement d'appel. Il concerne le plafonnement des indemnités de licenciement des « preneurs de risques » dans les établissements financiers, l'article 12 prévoyant déjà d'exclure du calcul de leurs indemnités une partie de leur rémunération variable.
Je ne suis pas favorable en soi à un plafonnement général des indemnités de licenciement, mais il s'agit là de situations très particulières, de cas hors norme. Nous parlons de salariés dont les rémunérations sont supérieures à 750 000 euros par an ou qui font partie des 0,3 % des rémunérations les plus élevées de leur établissement, rémunérations liées à des fonctions à hautes responsabilités.
Le présent amendement vise donc à plafonner les indemnités de licenciement des preneurs de risques à hauteur de dix fois le montant du plafond annuel de la sécurité sociale.
L'amendement n° 68 est adopté.
Article 13
L'amendement de coordination n° 69 est adopté.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION
M. Claude Raynal, président. - Mes chers collègues, je vous propose d'entériner les avis émis par la commission des lois sur les amendements portant sur les articles 1er, 3, 10, 10 bis A et 11 bis qui lui ont été délégués au fond.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. -L'amendement n° 15 porte sur la constitution d'une réserve de revalorisation des parts sociales par les sociétés coopératives d'intérêt collectif (Scic). J'en comprends l'intérêt pour attirer de nouveaux investisseurs et protéger les associés. Il me semble toutefois que la disposition proposée pourrait aller à l'encontre de l'intérêt social de l'entreprise, puisqu'en réservant une part des capitaux aux associés, les capitaux à disposition des Scic pour investir dans leurs activités s'en trouveraient réduits. Avis défavorable.
M. Claude Raynal, président. - Madame Blatrix Contat, vous défendez les associés...
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - ... et moi les entreprises, en l'occurrence les Scic.
Mme Florence Blatrix Contat. - Ce sont précisément les Scic qui font une telle demande. Elles souhaitent devenir plus attractives pour les investisseurs, puisque, dans le cadre de la lucrativité limitée, les rémunérations restent relativement faibles. Il s'agit de susciter de nouveaux investissements pour ces sociétés coopératives.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 15.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - L'amendement n° 27 vise à supprimer le relèvement du plafond de capitalisation des entreprises dont les titres sont éligibles aux FCPR. Je souhaite, pour ma part, relever ce plafond, afin de favoriser l'investissement dans les jeunes entreprises et les entreprises en croissance. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 27.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - L'amendement n° 14 augmente le plafond de titres solidaires dont peut disposer un fonds pour justement être qualifié de « solidaire » et être référencé en tant que tel dans les unités de compte en assurance vie ou dans les produits d'épargne salariale. C'est un avis favorable ; les critères actuels sont trop peu exigeants et l'augmentation proposée par le présent amendement est raisonnable et à propos.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 14.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Nous aimerions connaître les raisons pour lesquelles la mesure proposée par le biais de l'amendement n° 40 rectifié, qui porte sur les modalités de calcul de la réduction d'impôt sur le revenu au titre de souscriptions en numéraire au capital des PME, n'a pas été abordée lors de l'examen du projet de loi de finances 2024, alors que le dispositif dit de « l'IR-PME » a été profondément modifié à cette occasion. Je demande l'avis du Gouvernement sur cet amendement.
La commission demande l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 40 rectifié.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - L'amendement n° 43 rectifié, qui propose une exonération de droits de mutation à titre gratuit pour les dons en somme d'argent affectés à l'acquisition de titres de PME et d'ETI, relève du projet de loi de finances. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 43 rectifié, de même qu'à l'amendement n° 44 rectifié.
Article 2 bis
La commission émet un avis défavorable à l'amendement de suppression n° 59.
Article 2 ter
La commission émet un avis défavorable aux amendements de suppression nos 28 et 61.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - L'avis est favorable sur l'amendement n° 39, identique à l'amendement n° 63 que je vous ai présenté.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 39 rectifié.
Article 2 quater
La commission émet un avis défavorable à l'amendement de suppression n° 29.
Article 2 quinquies
La commission émet un avis défavorable à l'amendement de suppression n° 60.
Article 4
La commission émet un avis défavorable à l'amendement de suppression n° 47 rectifié bis.
Article 5
La commission émet un avis défavorable à l'amendement de suppression n° 31.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Le Gouvernement prétend proposer un amendement n° 51 purement technique, en lien avec les dispositions de l'article 5, alors même qu'il porte sur un tout autre sujet puisqu'il prévoit de supprimer l'approbation ex ante par l'AMF des modifications apportées aux règles de fonctionnement des marchés. Le Gouvernement avance masqué, mais la ficelle est un peu grosse. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 51.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - L'amendement n° 41 rectifié vise à rendre éligibles les jeunes entreprises innovantes (JEI) à la garantie des projets stratégiques (GPS) octroyée par Bpifrance. Il est satisfait, Bpifrance pouvant déjà leur accorder une telle garantie. Le Gouvernement pourra le confirmer en séance. Demande de retrait.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 41 rectifié et, à défaut, y sera défavorable.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Les amendements identiques nos 38 rectifié et 45 constitueraient une véritable révolution du droit des sociétés. Avis défavorable.
M. Michel Canévet. - C'est à titre expérimental !
La commission émet un avis défavorable aux amendements identiques nos 38 rectifié et 45.
La commission a également donné les avis suivants sur les autres amendements dont elle est saisie, qui sont retracés dans le tableau ci-après :
TABLEAU DES AVIS
Article 2 bis |
|||
Auteur |
N° |
Objet |
Avis de la commission |
Le Gouvernement |
59 |
Suppression de l'article |
Défavorable |
Article 2 ter |
|||
Auteur |
N° |
Objet |
Avis de la commission |
M. BOCQUET |
28 |
Suppression de l'article |
Défavorable |
Le Gouvernement |
61 |
Suppression de l'article |
Défavorable |
Article 2 quater |
|||
Auteur |
N° |
Objet |
Avis de la commission |
M. BOCQUET |
29 |
Suppression de l'article |
Défavorable |
Article 2 quinquies |
|||
Auteur |
N° |
Objet |
Avis de la commission |
Le Gouvernement |
60 |
Suppression de l'article |
Défavorable |
Article 4 |
|||
Auteur |
N° |
Objet |
Avis de la commission |
M. REICHARDT |
47 rect. bis |
Suppression de l'article |
Défavorable |
Article 5 bis |
|||
Auteur |
N° |
Objet |
Avis de la commission |
M. BOCQUET |
32 |
Suppression de l'article |
Défavorable |
Article 10 quater (Supprimé) |
|||
Auteur |
N° |
Objet |
Avis de la commission |
Le Gouvernement |
53 |
Rétablissement de l'article 10 quater |
Défavorable |
Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à faciliter la transformation des bureaux en logements - Examen du rapport pour avis
M. Claude Raynal, président. - Notre commission a demandé à être saisie pour avis de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à faciliter la transformation des bureaux en logements. La commission des affaires économiques nous a délégué les articles 2, 3, 3 bis A et 3 bis B pour examen sur le fond.
M. Stéphane Sautarel, rapporteur pour avis. - L'examen de la présente proposition de loi s'inscrit dans un double contexte de mutation des modes de travail et de crise du logement. En effet, alors que 27 % des surfaces de bureaux pourraient être libérées du fait de l'essor du télétravail en Île-de-France, le nombre d'autorisations de construction de logements neufs a chuté d'environ 20 %, ce qui représente près de 100 000 logements par an.
En outre, cette proposition de loi présente un intérêt renouvelé par l'objectif de « zéro artificialisation nette » (ZAN) d'ici à 2050 - et, plus proche de nous, de réduction de moitié de la consommation d'espace entre 2021 et 2030 -, dont les implications financières font l'objet d'une mission d'information menée par notre commission des finances.
Malgré leur intérêt certain au regard des objectifs de développement du logement abordable et de réduction des émissions de CO2 et de l'artificialisation des sols, les opérations de conversion de bureaux en logements sont toutefois encore assez rares : 800 opérations sont autorisées chaque année, représentant environ 2 000 logements, soit 2 % environ des créations annuelles de logements.
Ces opérations font en effet face à des difficultés de tous ordres : nécessité d'adapter l'aménagement intérieur, mais aussi les équipements techniques, la façade, parfois même le gros oeuvre. Les difficultés relèvent aussi de l'acceptabilité locale : les riverains préféreront souvent des bureaux inoccupés le soir et en fin de semaine, gage de tranquillité, bien que l'arrivée de nouveaux habitants présente aussi des effets positifs, attirant des commerces ou des activités de services. Face à tous ces enjeux, les maires sont en première ligne.
Cette proposition de loi vise à apporter une réponse à ces difficultés. Adoptée le 7 mars dernier par l'Assemblée nationale, elle a été renvoyée à la commission des affaires économiques, qui a délégué à notre commission l'examen au fond des articles 2, 3, 3 bis A et 3 bis B. Il s'agit du volet fiscal de la proposition de loi, qui a pour objet d'aplanir certains des obstacles qui s'opposent à la création de logements à partir de locaux professionnels. Le traitement fiscal de ces opérations est en effet l'un des éléments pris en compte par les porteurs de projets dans leur calcul économique, mais aussi par les communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) pour autoriser les opérations.
Les articles 2, 3 et 3 bis B prévoient l'application de la taxe d'aménagement aux opérations de transformation de bureaux en logements, qui n'y sont pas soumises dans le droit actuel si elles n'occasionnent pas de création de surface.
L'article 2 permet aux collectivités ayant institué la taxe d'aménagement d'assujettir, si elles délibèrent en ce sens, les opérations de transformation de bureaux en logements à cette taxe. Imposer une catégorie d'opérations afin de favoriser leur réalisation peut paraître paradoxal. Il n'en est toutefois rien. En effet, les opérations de transformation de bureaux en logements, même si elles ne créent pas de surface nouvelle, font venir des populations nouvelles et créent donc des besoins nouveaux, en particulier lorsque des établissements scolaires ou des structures pour la petite enfance doivent être créés ou étendus, établissements que la taxe d'aménagement a pour objet de financer. L'assujettissement à la taxe d'aménagement a ainsi été décrit comme indispensable par nombre de personnes entendues et comme élément d'incitation et d'acceptabilité pour les communes.
Je vous propose toutefois un amendement qui vise à trouver le juste équilibre entre la nécessité de réduire l'impact de la taxe sur l'équilibre économique des projets tout en préservant l'apport de ressources aux collectivités du bloc communal. Mon amendement de réécriture de l'article 2 prévoit ainsi de transformer l'assujettissement facultatif prévu par le texte en assujettissement de droit, tout en permettant aux collectivités d'exonérer les opérations concernées en fonction de la situation locale ; d'assujettir à la taxe d'aménagement toutes les transformations de locaux en logements, quelle que soit leur destination d'origine - je pense par exemple à des locaux commerciaux -, car la limitation aux transformations de bureaux n'est pas justifiée au regard de l'objectif de la proposition de loi ; de n'instituer que la part communale de la taxe d'aménagement pour ces opérations, en cohérence avec l'objectif de favoriser l'attribution des autorisations d'urbanisme par la collectivité compétente, mesure qui permettrait de diminuer d'environ un tiers le poids de la taxe d'aménagement ; enfin, d'introduire un abattement de 50 % sur l'assiette de la taxe, afin de prendre en compte l'existence d'équipements déjà financés par la taxe d'aménagement lors de la construction initiale de l'immeuble.
L'article 3 définit l'assiette de la taxe d'aménagement pour les opérations de transformation de bureaux en logements par transposition des règles applicables aux nouvelles constructions. Dans un souci de clarté, il vous est proposé de transférer les dispositions relatives à l'assiette au sein de l'article 2 et de supprimer en conséquence l'article 3.
Pour conclure sur la taxe d'aménagement, l'article 3 bis B, qui prévoit que l'EPCI pourrait reverser à ses communes membres une partie du produit de la taxe ainsi instituée, est satisfait par le droit existant, qui prévoit déjà une telle mesure pour la taxe d'aménagement dans son ensemble. Alors que l'utilité d'une délibération spécifique n'est pas avérée, les difficultés réelles posées par les modalités actuelles de répartition du produit de la taxe d'aménagement entre une intercommunalité et ses communes membres, par exemple lorsque les communes n'obtiennent pas le reversement correspondant à la charge des équipements publics qu'elles entretiennent, faute de décision en ce sens de la part de l'intercommunalité, posent une question plus large que cette proposition de loi ne saurait traiter. Il vous est proposé de supprimer cet article.
Enfin, l'article 3 bis A prévoit l'exonération des bureaux faisant l'objet d'une transformation en logements de la taxe sur les bureaux (TSB) et autres locaux professionnels due en Île-de-France et dans les départements littoraux de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca). Je conviens qu'il n'est pas souhaitable de soumettre à la TSB des locaux dont la transformation en logement est en cours, dans la mesure où cela peut constituer un frein à ces opérations.
Je note toutefois que la rédaction de l'article peut être améliorée : en faisant porter l'exonération sur l'ensemble des transformations de locaux en logements, quelle que soit la destination d'origine, pour les raisons déjà exposées ci-dessus au sujet de l'application de la taxe d'aménagement, notamment en ciblant l'exonération sur les locaux destinés à être transformés en locaux à usage d'habitation, ce qui garantit qu'elle ne favorisera pas les transformations de bureaux et autres locaux professionnels en meublés de tourisme ou en résidence de tourisme qui ne contribuent pas à l'objectif de la proposition de loi, qui consiste à lutter contre la crise du logement ; en appliquant l'exonération à des projets ayant fait l'objet d'une autorisation d'urbanisme et qui sont vacants, car un bureau toujours occupé doit continuer à être soumis à cette taxe ; enfin, en prévoyant un engagement et un mécanisme d'amende pour le cas où l'engagement de transformation des locaux en logements ne serait finalement pas respecté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Ce n'est pas avec une multitude de propositions de loi sur différents sujets que l'on pourra résoudre la crise du logement. Le Gouvernement semble avoir modifié son approche, et renonce à un texte complet sur le logement. Néanmoins, ce texte propose une avancée ; dont acte.
J'ai dans l'idée qu'il pourrait être intéressant que des immeubles associent des activités de bureaux et des locaux à usage d'habitation. Les cas de vacance, notamment au regard des règlements de copropriété et des nécessaires prises de décision, peuvent créer de grandes difficultés. Cette proposition de loi aborde-t-elle le sujet ?
M. Arnaud Bazin. - En Île-de-France, nous comptons 5 millions de mètres carrés de bureaux vacants, et peut-être bientôt 10 ou 15 millions. La question est donc très importante. Je m'interroge cependant sur la pertinence d'un apport financier unique, en une fois, alors que les besoins, eux, sont pérennes. Certes, il faut parfois construire une école, mais il faut aussi assurer son fonctionnement. Voilà qui touche au financement des collectivités. Présenter comme seule solution pour l'accueil de nouveaux habitants la taxe d'aménagement me semble un peu court ; je crains que nous n'emportions pas l'adhésion des maires.
Par ailleurs, que prévoit le texte en matière de création de commerces en pied d'immeuble ? La taxe d'aménagement s'imposera-t-elle ?
M. Stéphane Sautarel, rapporteur pour avis. - Ce texte n'aborde qu'un volet des difficultés du secteur du logement ; néanmoins il reste pertinent, en nous invitant à une forme de sobriété foncière.
Le texte ne porte que sur les surfaces transformées : au sein d'un même immeuble, une seule partie peut être concernée, l'autre conservant des activités tertiaires. Dès lors, la taxe d'aménagement ne s'appliquerait qu'aux surfaces transformées.
Monsieur Bazin, le texte présente un paradoxe apparent : l'instauration de la taxe d'aménagement augmente le coût de la transformation de ces locaux pour les promoteurs et les investisseurs, tandis que, sans dispositif incitatif à destination des collectivités locales, en particulier du bloc communal, des blocages apparaissent. C'est la raison pour laquelle je vous propose des amendements qui visent, d'une part, à limiter le bénéfice de cette taxe d'aménagement au seul bloc communal et, d'autre part, à instaurer un abattement de 50 %, considérant que certains équipements ont déjà été mis en place. Par ailleurs, la commune conserve la possibilité d'accorder une exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) sur cinq ans. Toutefois, cela ne répond pas, à long terme, à la question des charges qui incomberaient à la collectivité à la suite de reconversions de quartiers.
De plus, nous élargissons le champ de la transformation puisque des locaux industriels pourraient aussi être concernés. Mais contrairement à sa version initiale, nous précisons que la transformation doit se faire en locaux d'habitation : la question de la transformation de bureaux en commerces n'est pas traitée par le texte.
M. Claude Raynal, président. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, nous vous proposons de considérer que, pour les articles 2, 3, 3 bis A et 3 bis B de la présente proposition de loi, le périmètre comprend les mesures relatives à la fiscalité des opérations de transformation de bureaux et autres locaux non destinés à l'habitation en locaux destinés à l'habitation.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DES ARTICLES
M. Stéphane Sautarel, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-4 vise à supprimer l'exigence d'une délibération spécifique pour assujettir une opération de transformation à la taxe d'aménagement. L'assujettissement est donc de droit, tout en conservant une possibilité d'exonération.
Ensuite, pour éviter un risque de rupture d'égalité devant l'impôt, nous étendons cet assujettissement à toutes les opérations de transformation, au-delà même des bureaux.
De plus, dans un souci de clarté, nous souhaitons transférer à l'article 2 les dispositions relatives à l'assiette de la taxe d'aménagement, tout en proposant un abattement de 50 % visant à prendre en compte les équipements existants.
L'amendement COM-4 est adopté.
La commission propose à la commission des affaires économiques d'adopter l'article 2 ainsi rédigé.
M. Stéphane Sautarel, rapporteur pour avis. - L'amendement de suppression COM-5 tire les conséquences de l'amendement précédent, qui avait pour objet, entre autres, de transférer les dispositions relatives à l'assiette de la taxe d'aménagement au sein de l'article 2.
L'amendement COM-5 est adopté.
La commission propose à la commission des affaires économiques de supprimer l'article 3.
Article 3 bis A (nouveau) (délégué)
M. Stéphane Sautarel, rapporteur pour avis. - Par l'amendement COM-6, je propose une nouvelle rédaction de l'article, dans un souci de clarté : l'exonération de taxe sur les bureaux et autres locaux professionnels ne sera possible que si les locaux sont effectivement vacants. Une pénalité est aussi prévue si l'engagement de transformation n'était pas respecté : l'opération serait alors assujettie, moyennant une majoration de 25 %.
L'amendement COM-6 est adopté.
La commission propose à la commission des affaires économiques d'adopter l'article 3 bis A ainsi rédigé.
Article 3 bis B (nouveau) (délégué)
M. Stéphane Sautarel, rapporteur pour avis. - Je propose, au travers de l'amendement COM-7, de supprimer l'article, considérant que le dispositif est satisfait.
L'amendement COM-7 est adopté.
La commission propose à la commission des affaires économiques de supprimer l'article 3 bis B.
La réunion est close à 15 heures.
Mercredi 15 mai 2024
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale, visant à réduire et à encadrer les frais bancaires sur succession - Examen des amendements au texte de la commission
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons ce matin les amendements de séance sur la proposition de loi visant à réduire et à encadrer les frais bancaires sur succession. Nous commençons par l'examen des amendements du rapporteur.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR
Article 1er
L'amendement rédactionnel n° 5 est adopté.
M. Hervé Maurey, rapporteur. - L'amendement n° 6 vise à préciser la notion de « complexité manifeste ».
Lors de l'élaboration du texte de la commission, nous avons adopté une disposition indiquant que la gratuité de la clôture d'un compte ne s'appliquerait pas en cas de complexité manifeste, tout en laissant le soin au pouvoir réglementaire de préciser cette notion par décret.
S'agissant d'une notion floue et inédite dans le code monétaire et financier, nous vous proposons d'encadrer sa définition à l'aune de quatre critères : l'absence d'héritiers en ligne directe ; le nombre des comptes et produits d'épargne à clôturer ; la constitution de sûretés sur lesdits comptes et produits ; l'existence d'éléments d'extranéité. Pour qualifier une situation comme présentant une « complexité manifeste », ces quatre critères, alternatifs et non cumulatifs, devront empêcher la réalisation des opérations liées à la clôture des comptes et produits d'épargne du défunt dans un délai raisonnable.
Le décret d'application permettra de préciser ce point, mais nos discussions avec la direction générale du Trésor nous ont incité à fixer un cadre législatif afin que la pression exercée par les professionnels de la place ne conduise pas à une appréciation trop extensive de la notion de complexité manifeste. Ce cadre législatif pourra être affiné dans le cadre de la navette parlementaire.
M. Claude Raynal, président. - Il faudra affiner cette notion, car elle peut être appréciée de façon très large ou au contraire très limitée ; c'est ma seule réserve.
M. Marc Laménie. - Les critères définissant la complexité manifeste pourront-ils être opérationnels ?
M. Claude Raynal, président. - Ils seront affinés au cours de la navette parlementaire.
M. Hervé Maurey, rapporteur. - Par cet amendement, nous encadrons la définition que proposera le pouvoir réglementaire - la Place, c'est-à-dire les acteurs bancaires, défendra une appréciation extensive de la notion. Aux termes de notre amendement, la complexité manifeste ne pourra concerner que les quatre critères alternatifs que j'ai mentionnés. La proposition de loi n'entre pas dans le détail ; le décret apportera les précisions.
L'amendement n° 6 est adopté.
M. Hervé Maurey, rapporteur. - L'amendement n° 7 précise que la loi devra entrer en vigueur au plus tard trois mois après sa promulgation.
L'amendement n° 7 est adopté.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION
Article 1er
La commission demande le retrait des amendements nos 3 et 1, et à défaut, y sera défavorable.
Après l'article 1er
La commission demande le retrait de l'amendement n° 4 et, à défaut, y sera défavorable.
Après l'article 1erbis
La commission demande le retrait de l'amendement n° 2 et, à défaut, y sera défavorable.
La commission a donné les avis suivants sur les amendements dont elle est saisie qui sont retracés dans le tableau ci-après :
TABLEAU DES AVIS
Mission d'information sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, son suivi par l'administration et le Gouvernement et les modalités d'information du Parlement sur la situation économique, budgétaire et financière de la France - Audition de MM. François Ecalle, président fondateur de l'association « finances publiques et économie » (FIPECO), Mathieu Plane, directeur adjoint de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et Olivier Redoulès, directeur des études de l'Institut Rexecode
M. Claude Raynal, président. - Nous poursuivons nos travaux avec une nouvelle audition plénière dans le cadre de notre mission d'information sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, son suivi par l'administration et le Gouvernement et les modalités d'information du Parlement sur la situation économique, budgétaire et financière de la France.
Après avoir entendu M. Pierre Moscovici à ce sujet, nous avons choisi de recueillir les avis de quelques spécialistes des finances publiques et de la prévision macroéconomique.
Cette mission d'information a été déclenchée à la suite du constat d'un écart massif entre la prévision de déficit public pour 2023 de 4,9 % du PIB, incluse dans la loi de finances de fin de gestion soumise au Parlement, et son exécution, à 5,5 %, chiffre dévoilé par l'Insee le 26 mars dernier. Le changement de base de l'Insee n'explique qu'une petite part de cet écart, lequel est en réalité lié à des recettes bien inférieures aux prévisions, en particulier de TVA, de l'impôt sur les sociétés et des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Hors période de crise, cet écart entre prévision et exécution est sans précédent.
Se pose donc, d'une part, la question du suivi de la situation budgétaire et financière par le Gouvernement et de l'information, que nous trouvons actuellement insuffisante - c'est un euphémisme -, du Parlement, et d'autre part, celle de la qualité des prévisions de déficit public - notamment des prévisions de recettes, qui ont singulièrement posé problème sur l'exercice 2023 -, mais également des prévisions macroéconomiques.
Il faut, à cet égard, rappeler que c'est leur caractère trop optimiste pour 2024 qui a motivé le décret d'annulation de 10 milliards d'euros publié le 21 février dernier, soit seulement deux mois après la promulgation de la loi de finances pour 2024. La prévision de croissance pour 2024, initialement estimée à 1,4 %, a été révisée à 1 %, ce qui semble encore élevé. Qu'en est-il, selon vous ?
Je terminerai ce propos par trois questions qui pourront guider votre propos introductif.
Tout d'abord, l'écart entre le solde public de 2023 constaté et les estimations données publiquement par le Gouvernement en fin d'année dernière vous paraît-il normal ou relève-t-il notamment d'estimations trop optimistes ?
Ensuite, comment les recettes fiscales pourraient-elles être mieux appréciées, soit lors de l'examen de loi de finances initiale, soit en cours d'année et notamment à l'automne ?
Enfin, pensez-vous que le Gouvernement prend correctement en compte les travaux des économistes lorsqu'il construit ses textes financiers ? Sur cette question pro domo, on peut facilement anticiper votre réponse !
Je vous donne donc la parole pour une intervention liminaire, à la suite de laquelle le rapporteur général et les autres membres de la commission auront, je n'en doute pas, des précisions à vous demander.
Je cède en premier lieu la parole à M. Ecalle, dont nous connaissons bien ici, pour l'avoir reçu plusieurs fois, les travaux et l'expérience administrative, au ministère des finances et à la Cour des comptes.
M. François Ecalle, président fondateur de l'association « finances publiques et économie » (Fipeco). - Je vous remercie de m'avoir invité à vous présenter mes réflexions sur les prévisions relatives aux finances publiques. Je traiterai successivement les prévisions du déficit public de l'année en cours, qui sont faites en février-mars, et à cette occasion, je montrerai comment le Gouvernement tient compte des travaux de ses propres économistes, puis celles qui sont faites pour l'année en cours, en octobre-novembre, donc à la fin de l'année.
De 1993 à 1997, j'étais le sous-directeur des finances publiques de la direction de la prévision du ministère des finances, qui a ensuite fusionné avec la direction du Trésor. Ma sous-direction établissait les prévisions de finances publiques en comptabilité nationale, notamment le déficit public, les prévisions techniques et les prévisions normées, ou ce que l'on appelait à l'époque les comptes de présentation.
Une loi d'orientation des finances publiques de 1993 prévoyait un déficit public de 2,5 % du PIB en 1997, relevé à 3 % en juin 1995 par le nouveau gouvernement. Pendant toutes ces années, j'ai écrit des notes pour le ministre où je montrais que nos prévisions techniques de déficit pour 1997 étaient largement supérieures à 3,0 % du PIB. En février 1997, notre prévision technique était de 3,5 % du PIB, même en incluant à hauteur de 1,5 point de PIB une opération exceptionnelle dont la comptabilisation était incertaine. Après la dissolution de l'Assemblée nationale, le nouveau gouvernement a demandé en juin un audit à deux magistrats de la Cour des comptes choisis intuitu personae. Je leur ai transmis nos prévisions techniques et ils ont conclu à un déficit compris entre 3,5 % et 3,7 % du PIB en 1997. Des mesures de redressement à effet immédiat, et un peu de créativité budgétaire accompagnée d'un peu de chance ont conduit à un déficit de 3,0 % du PIB en 1997, affiché par l'Insee en mars 1998. Les règles comptables ont été modifiées quelques années plus tard. Aujourd'hui, si vous regardez des séries d'Insee, vous trouverez que le déficit public de 1997 est égal à 3,7 % du PIB.
En juin 2002, à la suite d'un changement de majorité parlementaire, le nouveau gouvernement a demandé un nouvel audit aux deux mêmes magistrats. J'avais moi-même été intégré à la Cour des comptes et j'ai fait partie de leur équipe. Le programme de stabilité d'avril 2002 prévoyait un déficit public de 1,9 % du PIB en 2002. Nous avons obtenu les prévisions techniques de la direction du Trésor, lesquelles se soldaient par un déficit de 2,4 % du PIB, soit un écart de 0,5 point, et les prévisions d'exécution de la direction du budget. Nous avons refait nous-mêmes certaines estimations et conclu à un déficit compris entre 2,3 % et 2,6 % du PIB au lieu de 1,9 %.
De 2008 à 2016, j'étais le rapporteur général du rapport annuel de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques. Je n'ai jamais obtenu les prévisions techniques de la direction du Trésor et les prévisions d'exécution de la direction du budget, sauf en 2012. À la suite d'un changement de majorité parlementaire, le nouveau gouvernement a demandé en juin 2012 un audit des finances publiques, cette fois à la Cour des comptes en tant qu'institution, et je l'ai réalisé avec un autre magistrat de la Cour des comptes.
Le programme de stabilité d'avril 2012 prévoyait un déficit public de 4,4 % du PIB en 2012. Nous avons obtenu les prévisions techniques des directions du Trésor et du budget, qui concluaient à un déficit de 5,0 % du PIB, soit un écart d'un demi-point. En utilisant leurs notes et d'autres informations, nous avons refait nous-mêmes certaines estimations et conclu à un déficit compris entre 4,7 % et 4,9 % du PIB. Je note, à cet égard, que les programmes de stabilité présentés en avril ont toujours tenu compte du déficit public de l'année précédente, annoncé en mars par l'Insee. Aussi, je pense que le programme de stabilité d'avril 2024 aurait de toute façon tenu compte du déficit de 5,5 % du PIB de 2023.
Le programme de stabilité d'avril 2012 prévoyait un déficit de 3,0 % du PIB en 2013. La prévision technique de la direction du Trésor était à 4,6 % du PIB, soit un écart de 1,6 point de PIB. La Cour des comptes, dans son audit, a conclu à la nécessité de mesures nouvelles de redressement à hauteur d'une fourchette de 1 point à 2 points de PIB pour ramener le déficit à 3 % du PIB en 2013, conformément au programme de stabilité.
De 2012 à 2015, j'ai été membre du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) : je n'ai jamais vu les prévisions techniques des directions du Trésor et du budget.
En 2016, je me suis mis en disponibilité et je n'ai depuis évidemment aucune information particulière sur ce qui se fait au ministère des finances. J'ai tout de même noté que l'audit de 2017 de la Cour des comptes montrait que ses auditeurs avaient observé à peu près les mêmes résultats.
Au total, j'ai rarement eu l'impression au cours de ces vingt dernières années que les gouvernements successifs prenaient en compte les travaux de leurs propres services économiques ; et je ne parle pas des travaux des autres économistes !
Pour ce qui concerne les prévisions de déficit de l'année en cours, réalisées en octobre-novembre de l'année précédente, j'ai comparé sur quinze ans - de 2007 à 2022 - le déficit public prévu à l'article liminaire de la loi de finances de fin de gestion et le déficit annoncé par l'Insee en mars de l'année suivante. Le déficit de 2010 publié par l'Insee en mars 2011 était inférieur de 0,7 point de PIB à celui qui était prévu dans l'article liminaire à l'automne 2010. L'écart était dans le bon sens. J'ai compté quatre écarts dans ce même bon sens, compris entre 0,2 point et 0,4 point de PIB et trois écarts dans le mauvais sens, de 0,2 point ou 0,3 point de PIB. Les prévisions qui sont réalisées à cette période de l'année restent fragiles, parce que le dernier acompte d'impôts sur les sociétés versé le 15 décembre est très fluctuant et très difficile à prévoir ou parce que les investissements des collectivités locales sont concentrés sur le dernier trimestre, et eux aussi difficiles à prévoir. À ces fragilités habituelles s'ajoutent chaque année des incertitudes spécifiques à certaines recettes ou certaines dépenses. Au total, il me semble qu'une erreur technique de 0,3 point de PIB est normale à cette période de l'année ; au-delà, il faut s'interroger sur son origine.
La Cour des comptes a publié en décembre 2013 un référé sur les prévisions de recettes fiscales que j'avais écrites. J'ai observé à cette occasion que l'organisation des travaux de prévision et les méthodes utilisées au sein du ministère des finances n'avaient pas beaucoup changé depuis l'époque où j'y travaillais et qu'elles pouvaient être améliorées. Je ne suis pas sûr qu'elles aient beaucoup changé depuis dix ans, mais il faudrait le vérifier, ce que je ne puis faire moi-même. Je n'ai pas eu connaissance d'une nouvelle publication de la Cour des comptes sur ce sujet.
M. Mathieu Plane, directeur adjoint de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). - Observons les écarts survenus entre les prévisions de croissance et de déficit des différents projets de loi de finances depuis vingt ans et la réalisation. Comme vous le savez, le PLF est établi chaque année, à l'automne, pour l'année suivante. L'exercice est difficile et les erreurs peuvent être importantes, a fortiori en cas de choc économique majeur comme la crise des subprimes en 2008-2009, la crise des dettes souveraines en 2012-2013 et la crise de la covid-19 en 2020-2021, toutes trois difficiles à anticiper. Les erreurs sont alors récurrentes. Or en 2023 on ne relève pas de caractéristique spécifique. Le PLF pour 2023 prévoyait une croissance de 1 %, contre 0,9 % en réalité.
Les erreurs de prévision budgétaire concernent généralement l'année sur laquelle porte le PLF. En revanche, lorsqu'elles surviennent dans l'année en cours, que j'appellerai « T-1 », cela est plus surprenant, car on dispose normalement d'éléments suffisamment nombreux - on connaît plus de la moitié de l'année - pour établir des prévisions réalistes. Or 2023 se caractérise par une erreur importante sur la prévision de déficit. La seule année où les erreurs ont été aussi nombreuses sur l'année « en cours » est l'année 2008, mais celle-ci a été marquée à la fois par une crise et par une erreur de prévision sur la croissance. A contrario, en 2023, l'erreur de prévision ne porte pas sur la croissance, mais sur le déficit. Si on tient compte de l'erreur de prévision de croissance et qu'on l'intègre à ce qu'on aurait dû avoir comme déficit, on peut obtenir l'erreur sur le reste. Quand on procède à cette correction, on voit que l'année 2023 est l'année de la plus importante erreur de prévision de déficit, corrigé de la croissance, sur l'année T-1 sur les vingt dernières années. Une erreur de 0,6 point de PIB est élevée lorsqu'on ne se trompe que très faiblement sur la prévision de croissance. De bonnes surprises avaient en revanche été relevées en 2021 et en 2022 par rapport aux prévisions de déficit du Gouvernement.
Par ailleurs, avaient été recensées auparavant trois années assez exceptionnelles en matière de rentrées fiscales au regard de la croissance, représentées par l'élasticité des recettes fiscales au PIB. Le gain cumulé sur trois ans lié à un dynamisme des recettes fiscales supérieur à la croissance du PIB, est de 2,5 points de PIB supplémentaires entre 2020 et 2022. Or, en 2023, on observe un retournement de l'élasticité des recettes fiscales. On en perd 1,4 point sur une année mais on n'efface pas tous les gains accumulés.
Croire que de tels phénomènes sont permanents serait toutefois une erreur. Il faut tenir compte des effets cycliques dans les élasticités de recettes fiscales au PIB. Le sujet de la prévision de croissance est presque secondaire.
L'observation de l'anatomie du dérapage budgétaire pour 2023 montre qu'un quart seulement de l'erreur de prévision a trait aux prévisions de dépenses et porte notamment sur les consommations intermédiaires, du fait de prix de l'alimentaire et de l'énergie supérieurs à ce que prévoyait le Gouvernement. Trois quarts de l'erreur portent en réalité sur les prévisions de recettes fiscales. J'ai tenté de comparer les prévisions de recettes liées à chaque impôt ou cotisation sociale inscrites au PLF avec les réalisations communiquées par l'Insee. Or les erreurs sont importantes. On voit en particulier une forte erreur sur l'impôt sur les sociétés. On observe aussi des erreurs sur les cotisations sociales et la TVA - il est difficile de savoir ce qui relève de la TVA nette de l'État ou de la TVA totale. Il s'agit d'estimations.
Cependant, une erreur de prévision sur les cotisations, qui représentent environ 28 % des recettes publiques, n'a pas la même signification qu'une erreur de prévision sur les recettes liées à l'impôt sur les sociétés, qui en représentent environ 4 %. Une erreur de 3 milliards d'euros sur les cotisations est moins significative que la même erreur sur l'impôt sur les sociétés. Au vu de son faible poids dans les recettes publiques, l'erreur sur l'impôt sur les sociétés est particulièrement marquée : 10,7 milliards d'euros de baisse en 2023, après une hausse de 14 milliards d'euros en 2022. L'impôt sur les sociétés payé par la Banque de France, par exemple, a diminué de 1 milliard d'euros avec les phénomènes liés à la politique monétaire. Cet élément n'est donc pas simple à modéliser.
Cette situation n'a cependant rien de surprenant compte tenu de la volatilité de certaines assiettes fiscales. L'élasticité des recettes fiscales au PIB est importante pour l'impôt sur les sociétés, et dans une moindre mesure sur l'impôt sur le revenu, la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS). La question est de savoir comment bien modéliser les impôts les plus élastiques. Ce qui est utilisé pour faire les prévisions, c'est la moyenne observée entre 2008 et 2017 : les chiffres ne sont donc pas récents. Se pose dès lors la question de savoir si les élasticités retenues sont toujours valables au regard de ce qui s'est passé depuis cinq ans. Une mise à jour régulière serait bienvenue, sachant que des mouvements peuvent survenir à l'occasion de crises.
La chute des recettes fiscales en 2023 arrive après trois années de bonnes surprises budgétaires. Cela ne signifie pas que les déficits sont bons, mais qu'ils ont été moins mauvais que prévu. Il faut en outre étudier les élasticités sur le moyen terme. Cela soulève la question de la vitesse d'atterrissage de ces élasticités en fonction du cycle économique. Or nous manquons d'informations à ce sujet, sachant que chaque cycle économique est particulier et que les assiettes fiscales ne réagissent pas de la même façon aux chocs financiers ou à l'inflation. La prévision budgétaire est en outre perturbée par les mesures exceptionnelles, comme les boucliers tarifaires ou la création de la contribution sur les rentes inframarginales qui devait rapporter 3,6 milliards d'euros et n'a finalement abouti qu'à quelques centaines de millions d'euros, cet écart étant cependant partiellement compensé par le moindre coût brut du bouclier tarifaire. N'oublions pas non plus la conjoncture, très perturbée. Ces différents éléments expliquent en partie l'erreur de prévision survenue.
M. Olivier Redoulès, directeur des études de l'institut Rexecode. - La comparaison entre les prévisions de PIB du PLF pour 2024 et de la loi de finances de fin de gestion (LFG) pour 2023 et la réalisation montre un écart très limité. Des écarts s'observent sur certaines composantes, mais dont il est difficile de mesurer l'impact, sur l'impôt sur les sociétés ou la TVA par exemple. La composition de la consommation a peut-être changé, avec une consommation plus forte en volume et moins forte en valeur, ou a porté sur des produits à moindre taux de TVA.
Le HCFP avait jugé réalisable la prévision de croissance pour 2023 inscrite au PLF pour 2024 et dans le projet de LFG pour 2023 tandis que la prévision d'inflation était plausible, mais avait émis une alerte concernant les prévisions relatives à la masse salariale et aux cotisations associées.
Il est très difficile, a posteriori, de recoller les morceaux de l'année 2023 et de trouver des valeurs comparables d'une année sur l'autre. Le changement de base Insee survenu cette année ne facilite pas les choses. Dans l'ensemble, nous avons toutefois recensé, si l'on compare par rapport au PIB, davantage de dépenses publiques, une partie provenant sans doute du changement de base, et surtout moins de prélèvements obligatoires. Des surprises négatives ont été enregistrées sur chaque impôt affecté à l'État, particulièrement sur l'impôt sur les sociétés.
Avec l'information disponible à la fin du mois de novembre 2023 sur la situation mensuelle budgétaire d'octobre, indisponible lors de l'examen du projet de LFG, aurions-nous pu le prévoir ? Pour les recettes de l'État, cela aurait été difficile. Nous aurions pu anticiper une recette de TVA en comparant l'évolution relevée entre janvier et octobre 2023 à celle qui a été enregistrée sur la même période en 2022, et en mettant en regard l'exécuté 2022 : c'est moins élevé mais cela n'aurait pas été très significatif, en particulier au regard de la variabilité importante de l'impôt sur les sociétés, dont les recettes associées ne sont connues, pour le cinquième acompte, que fin décembre.
De nombreux impôts ont par ailleurs été rendus contemporains, pour lier la charge fiscale des agents privés - ménages et entreprises - à leurs résultats immédiats. La contrepartie est que cela les rend beaucoup moins prévisibles. La prévision économique n'aide pas forcément à prévoir ce qui se passe du côté des recettes fiscales.
Concernant l'élasticité des recettes fiscales, la comparaison de l'évolution spontanée des prélèvements obligatoires et du PIB en valeur révèle une légère avance, y compris dans une projection sur cinq ans. Plus qu'une surprise négative, on observe plutôt une sorte de lissage. On peut même s'attendre à une correction pour la période à venir. On s'attend à ce que l'élasticité des recettes fiscales soit peut-être inférieure à 1, notamment du fait des allègements de charges à venir sur les cotisations mais aussi parce qu'on est dans un cycle immobilier baissier. Cependant, il ne faut pas attendre de cette surprise négative des marges de rebond pour 2024 ou les années à venir.
Concernant le passé, la prévision macroéconomique était quasi exacte, mais assortie d'une mauvaise appréciation difficile à transcrire sur les recettes fiscales en temps réel. Le choc inflationniste, d'abord favorable aux recettes publiques, s'est ensuite avéré défavorable. Des surprises très négatives sont survenues dans la consommation des ménages. Par ailleurs, le comportement de la TVA, dont l'évolution de la base fiscale a été assez proche de celle du PIB - autour de 6 %, alors que la recette a évolué de 3 % - demeure difficile à comprendre. Cela tient notamment aux effets de remboursements et aux comportements des entreprises en matière de trésorerie, liés aux surcoûts auxquels elles étaient confrontées pour leurs emprunts. Une incertitude importante perdure sur les recettes de l'impôt sur les sociétés, susceptible de se traduire par un effet de base négatif pour les prévisions budgétaires pour 2024. Au vu de ce constat, une certaine modestie est de mise à l'égard de nos prévisions économiques. Un principe de prudence doit en outre s'appliquer. Nous devons nous autoriser des marges d'erreur, comme l'a indiqué François Ecalle précédemment : une erreur de prévision de 0,3 point peut se comprendre. On pourrait viser une marge d'erreur et affecter les bonnes surprises à la réduction du déficit, qui reste encore élevé.
Les économistes ont leur mot à dire sur la trajectoire budgétaire, notamment de moyen terme, mais ne sont malheureusement pas toujours écoutés. La trajectoire de PIB effectif et de PIB potentiel du Gouvernement, dans le programme de stabilité, s'appuie sur l'hypothèse d'un écart de production très important pour 2023. Cette hypothèse, qui peut être justifiée pour un macroéconomiste, semble trop optimiste pour la prévision budgétaire. Cela revient en effet à présumer une accélération de la croissance au-delà de la croissance potentielle, pourtant assez élevée dans les prévisions du Gouvernement, à 1,35 %, alors qu'en se fondant sur les années précédentes, le chiffre serait situé entre 1 % et 1,2 %.
Cet écart de production sert de point de départ au PIB potentiel et de cible pour le PIB effectif à moyen terme. Or il est très incertain. Même sur le passé, où toute l'information nécessaire est disponible, les organisations internationales - Commission européenne, Fonds monétaire international (FMI), OCDE - ne sont pas d'accord. Il serait sans doute raisonnable d'avoir un écart de production pour la prévision budgétaire qui soit nul.
Pourquoi la prévision macroéconomique est-elle importante et pourquoi devrait-elle être davantage prise en compte, moyennant un biais de prudence notamment pour la prévision budgétaire ? Des variables macroéconomiques découlent des prévisions de recettes. On se fixe ensuite un objectif de déficit, dont on déduit des dépenses. Or de nombreuses incertitudes demeurent sur le plan macroéconomique, pour l'année en cours et a fortiori sur cinq ans : le point de départ du PIB potentiel est difficile à prévoir, le rythme de croissance potentielle est incertain, le risque d'occurrence d'une crise n'est pas nul et l'effet des réformes est difficile à appréhender, que ce soit positivement ou négativement, mais aussi à séquencer et à dater. Le problème est que les erreurs de prévision n'ont pas les mêmes effets selon qu'elles se font à la hausse ou à la baisse. C'est pourquoi il est important de conserver des marges d'erreur et de suivre un principe de prudence.
Année après année, depuis 2008, la comparaison entre les trajectoires des lois de programmation des finances publiques et le déficit public constaté montre que l'on a quasi systématiquement, si l'on exclut la période 2017-2019, manqué la cible.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Vos interventions confirment, me semble-t-il, le bien fondé et la justesse de notre mission d'information, déclenchée après ma visite à Bercy du 21 mars dernier, intervenue au lendemain de la fuite médiatique de l'Élysée. On a fait un procès d'intention au Sénat, affirmant que nous aurions exposé de mauvais chiffres. J'exploite en réalité les éléments obtenus à Bercy où je me suis rendu pour voir d'où pouvaient venir les prévisions et comment l'information avait circulé entre l'administration, le ministère de l'économie et des finances et le reste du Gouvernement.
Les difficultés de prévision sont réelles. Comme la majorité sénatoriale le dit depuis deux ans, les prévisions de croissance et budgétaires du Gouvernement sont teintées d'un excès d'optimisme. Nos propos sur la prudence nécessaire à avoir à ce sujet trouvent cependant plus d'écho aujourd'hui qu'il y a deux ans.
Dès le 7 décembre 2023, une note de la direction du budget et de la direction générale du Trésor (DGT) faisait état d'une prévision de déficit pour 2023 estimée à 5,2 % du PIB, à prendre certes avec toutes les précautions d'usage. Or, la prévision de déficit a été maintenue à 4,9 % du PIB tout au long de l'examen du PLF et confirmée le 14 décembre par le dépôt d'un amendement à l'article liminaire à l'Assemblée nationale. Le 29 décembre, la loi de finances a été promulguée sur cette base. Par la suite, une note de la direction du budget de la DGT du 24 janvier faisait mention d'un déficit estimé à 5,3 %, puis, le 16 février, à 5,6 %. Finalement l'Insee a établi le chiffre à 5,5 % dans sa publication du 26 mars. D'après vous, le Gouvernement aurait-il pu ou dû réagir dès le mois de décembre 2023 ? Lorsqu'on laisse filer un tel niveau de déficit public, la pente à remonter est plus dure pour l'ensemble des acteurs, publics et privés.
Vous nous dites qu'en plus de vingt ans, hors période de crise, on n'a jamais eu un tel écart entre prévision et exécution par une même majorité gouvernementale. Hors ces cas et hors période de crise, existe-t-il d'autres exemples de tels écarts entre les prévisions et les exécutions constatées ?
Par ailleurs, les hypothèses du Gouvernement sur le retour rapide au plein emploi, qui soutiennent en partie ses prévisions de déficit public, vous paraissent-elles réalistes, sachant que tout dépend de ce que l'on entend par la notion de « plein emploi » ? On ne peut en effet comptabiliser 1 million de personnes en formation comme si elles étaient en CDI.
Le bouclage macroéconomique des prévisions de déficit public, qui permet de prendre en compte les rétroactions entre la croissance et le solde public, vous paraît-il réaliste, notamment dans le cadre du programme de stabilité ? Les prévisions pour 2024 et 2025 intègrent-elles suffisamment le potentiel effet récessif des mesures prises ? Une première coupe, de 10 milliards d'euros, dans les dépenses publiques a eu lieu le 20 février. On annonce 10 milliards d'euros d'économies supplémentaires, auxquels 20 à 25 milliards d'euros supplémentaires devraient s'ajouter en 2025.
La promotion du fonds vert, pourtant prévu comme un accélérateur de la transition énergétique, a reçu un coup de frein, alors que les services de l'État avaient annoncé, notamment aux départements, qu'il bénéficierait d'un accompagnement puissant. Cela témoigne d'un manque de discernement certain.
J'observe enfin que les prévisions doivent tenir compte de nombreuses variables, à commencer par l'extrême hétérogénéité de notre système fiscal.
M. Claude Raynal, président. - Nous avons eu du mal à faire bouger certains membres de l'administration. Aujourd'hui, nous constatons qu'ils sont plus ouverts. Vous appelez à la prudence et à quantifier les marges d'erreur. L'administration en a-t-elle les moyens ou la capacité ? Les élus locaux aiment proposer des marges d'erreur et faire des prévisions prudentes. C'est sans doute plus facile au niveau local que national. Il semblerait là que l'on ait surestimé tous les chiffres, sans chercher à prévenir certains risques.
La question d'un intervalle de confiance est-elle pertinente ? Pour chaque recette budgétaire, pourrions-nous prévoir des valeurs basses et hautes ? Cette proposition a-t-elle du sens ou bien est-elle purement théorique ? Ce qui se conçoit pour un budget local se conçoit-il pour un budget national ?
Il aurait fallu faire preuve de prudence. C'est non seulement la première fois que, d'une manière aussi marquée et sans que ce soit lié à la croissance mais à une erreur de prévisions des recettes, on observe une telle erreur d'appréciation, mais c'est aussi la pire année pour que cela arrive. Nous nous faisons les chantres européens de la bonne tenue des comptes publics ; le résultat est désastreux pour notre image et nos finances à un moment où le déficit n'est pas de 2,5 % du PIB mais de 5,5 %, ce qui ne nous plaît guère. Comment, techniquement, pourrions-nous mettre en oeuvre une forme de prudence budgétaire ?
Se pose la question du cinquième acompte de l'impôt sur les sociétés. Comme nous ne pouvons pas prévoir son rendement, pourquoi ne pas considérer cet acompte comme nul et en faire une recette de constatation non anticipée ? Cela serait-il pertinent, ou pas du tout ?
Nous nous interrogerons sur la baisse de l'élasticité des recettes fiscales au PIB. Pour nous, elle s'élevait à 1 - on parle d'élasticité unitaire - sur le moyen terme. Pourriez-vous préciser, monsieur Redoulès, vos propos qui envisageaient une élasticité de moyen terme infra-unitaire à l'avenir ?
M. François Ecalle. - Au cours des trente dernières années, les prévisions réalisées en début d'année, notamment liées au programme de stabilité, ont toujours été trop optimistes, et plus optimistes que les prévisions techniques de la direction du Trésor et de la direction du budget. Nous n'avons jamais respecté ce que nous avons inscrit dans les programmes de stabilité et les lois de programmation. Jamais !
Pour les prévisions de fin d'année, il en va autrement. En novembre et décembre, le moment de vérité est alors proche, l'Insee publiant ses chiffres en mars : l'on ne peut plus raconter d'histoires. Il semble qu'en novembre ou décembre 2023 les services de Bercy faisaient une erreur technique que je qualifierais de normale, de 0,3 à 0,4 point de PIB ; cependant, le ministre ne l'a pas annoncé. Il aurait pu annoncer que le déficit pour 2023 ne serait pas de 4,9 points de PIB, mais de 5,2 ou de 5,3 points de PIB. Sans doute ne pouvait-il dire 5,5 points. Il a sans doute procrastiné.
Je peux, à défaut de l'absoudre, comprendre pourquoi : si nous avions modifié les prévisions de recettes fiscales et de cotisations sociales pour 2023, il aurait fallu modifier les chiffres pour 2024, car il faut prendre en compte l'effet base qui a un effet mécanique sur les recettes de l'année suivante. Il aurait donc fallu modifier la loi de finances initiale pour 2024 dès décembre 2023. Je ne vais pas vous rappeler comment la loi de finances initiale pour 2024 a été votée... Je comprends donc les hésitations du ministre à redéposer un amendement conduisant à faire revoter l'article d'équilibre. Je comprends, à défaut de justifier.
Faire apparaître les marges d'erreur est déjà possible, même si cela reste techniquement difficile. Dans les programmes de stabilité et dans le rapport économique, social et financier (RESF), par exemple, apparaissent des variantes de données macroéconomiques et deux scénarios différents. On s'intéresse à l'impact sur le déficit d'une hausse du prix du pétrole ou de la demande mondiale : on sait le faire. En revanche, faire cet exercice pour les prévisions de recettes est complexe car le budget exige des chiffres précis. Nous pourrions néanmoins aller en ce sens dans le RESF : ce n'est pas simple, mais je pense que c'est possible. S'il n'y a jamais eu qu'un scénario pour les lois de finances, j'ai le souvenir de programmes de stabilité présentant deux scénarios macroéconomiques pour les années suivantes, donc on peut aller dans ce sens.
M. Mathieu Plane. - L'écart de 2023 est historique : l'erreur est très importante pour une année en cours, alors que la prévision de croissance de 1 % était juste au regard des 0,9 % constatés. Cette erreur de 0,6 point de PIB, très importante, représente 16 milliards d'euros. Jamais il n'y a eu une telle erreur pour l'année en cours, ou alors en 2008 avec un effet très fort du second semestre sur la croissance. Si on corrige de la croissance, jamais on n'a eu une telle erreur sur les vingt dernières années. Cela interroge.
Concernant les marges de manoeuvre, il faut faire attention car on peut faire plusieurs scénarios de croissance, mais au sein des scénarios de croissance eux-mêmes, il faudrait des marges d'erreur liées à ces élasticités. Il serait sans doute intéressant de distinguer, dans l'évolution du déficit, ce qui relève de la croissance, des élasticités et des mesures nouvelles qui peuvent faire varier le déficit.
Après trois années durant lesquelles les recettes fiscales ont été dynamiques, le déficit public s'élevait en 2022 à 4,8 points de PIB. Si l'on retire les élasticités des recettes fiscales au PIB, très fortes au cours de ces trois années, le déficit s'élèverait en réalité à plus de 7 points de PIB. Le chiffre de 4,8 points de PIB masque le fait que nous avons accumulé beaucoup de recettes fiscales qui, à un moment donné, vont s'effacer, car à moyen terme, l'élasticité va revenir à 1. En masquant cela, on croit être proche du seuil de déficit de 3 % de PIB, mais ce n'est pas du tout le cas.
Le Trésor pourrait aussi fournir le détail de ses prévisions par impôt pour l'année en cours et l'année à venir. Il faudrait un tableau, comme ceux que produit l'Insee, avec les principaux impôts. Il est aujourd'hui très difficile de retrouver les chiffres prévus et les chiffres réalisés. Il nous faut pouvoir comprendre où se situent les erreurs - je parle aussi bien des impôts d'État et des cotisations sociales et patronales que de la fiscalité locale.
Concernant les sujets macroéconomiques, les questions sont nombreuses. Le déficit se situe à 5,5 points de PIB. Si nous souhaitons revenir à 3 points de PIB d'ici à 2027. Plus exactement, on doit réduire le déficit de 2,6 points de PIB, ce qui représente 80 milliards d'euros. Comment faire ces économies et quel impact auront-elles sur la croissance ? On a comme un phénomène magique : on annonce des milliards d'euros d'économies, dont on a du mal à documenter la montée en charge, et surtout on fait comme si elles étaient exogènes et n'affecteraient pas la croissance. Or les multiplicateurs budgétaires, s'ils sont plus ou moins élevés, sont une réalité : tous les modèles macroéconomiques - et le FMI a beaucoup travailler sur ces questions - intègrent un impact de ces économies sur la croissance. Si on pouvait faire 80 milliards d'euros d'économie si facilement, il n'y aurait pas de problème de finances publiques. Si la priorité est le rétablissement des finances publiques, il faut documenter toutes les économies de manière détaillée, en examinant leur impact sur la croissance. Aujourd'hui, nous ne sommes capables de réaliser des bouclages macroéconomiques qu'à la louche, ce qui nuit à notre crédibilité.
Sur l'élasticité des recettes fiscales au PIB, on n'a pas effacé tous les gains antérieurs, donc il est difficile d'attendre un quelconque rebond.
Nos prévisions en matière de croissance sont moins optimistes que celles du Gouvernement, qui ferme son écart de production et se retrouve avec une croissance dynamique tout en réalisant 80 milliards d'économies : c'est la quadrature du cercle. Si la priorité est de réduire les déficits, il faut absolument documenter les économies.
D'après moi, il ne convient pas de courir après un objectif nominal de déficit, car l'effet récessif sera certain. Nous aurons sans doute des difficultés à atteindre les 3 %. Si on essaie absolument de les atteindre, on devra renchérir sur les économies, entraînant des effets récessifs auto-entretenus. Ainsi, documentons et faisons un certain nombre d'économies ; si la croissance revient, tant mieux ; sinon, il ne faudra pas aller plus loin, cela pourrait devenir dangereux.
M. Olivier Redoulès. - Je commence par les questions macroéconomiques. Il est difficile de définir ce qu'est le plein emploi, y compris du point de vue des finances publiques. Revenir à 5 % de chômage ne veut pas dire créer 2 points de population active. Depuis 2019, nous avons créé environ 1,2 million d'emplois, soit 4 points de population active. Nous devrions déjà avoir atteint, comptablement, les 5 % de chômage. Cependant, il existe des effets de flexion, et les politiques de l'emploi affectent la nature même de la population active. Enfin, 400 000 apprentis ne représentent pas 400 000 salariés.
Au regard des finances publiques, c'est la masse salariale qui compte, c'est-à-dire non seulement l'emploi mais aussi les salaires, ce qui pose la question de la productivité. Or, si l'emploi a augmenté, une partie s'est traduit par des baisses de productivité. Cela n'est pas forcément une mauvaise nouvelle, car cela signifie que nous avons absorbé des populations plus éloignées de l'emploi, moins compétentes et moins expérimentées, mais il ne faut pas compter là-dessus, en tout cas pas à parité unitaire, pour les finances publiques : si on augmente fortement l'emploi, il y aura moins de productivité et donc une progression de la masse salariale plus faible et des salaires moyens plus faible. La baisse du salaire moyen réel par tête depuis quelques années est liée en partie à l'inflation, mais aussi à des effets de composition de la main d'oeuvre.
Concernant la question des effets récessifs des économies et le bouclage macroéconomique, sans exagérer les effets des multiplicateurs, les risques récessifs sont importants à l'heure où nous faisons des coupes budgétaires à la dernière minute et un peu brutalement, ne serait-ce que pour des raisons de désorganisation de l'appareil productif : certains perdent des marchés et doivent trouver de nouveaux clients et réallouer leur main d'oeuvre ou leurs capitaux. Les taux, élevés, devraient baisser, ce qui est plutôt positif. Cependant, la politique monétaire ne va pas forcément suivre notre trajectoire économique, ce qui modère cet optimisme. Tenir notre objectif de déficit demandera des économies plus importantes que celles qui ont été annoncées, mais je crains un choc violent : les coûts liés à la désorganisation de l'économie pourraient être très forts.
Le Gouvernement a pris une combinaison d'hypothèses optimistes, pour reprendre le jugement du HCFP, mais plutôt pour les années n + 1 et suivantes. Pour l'année en cours, à l'inverse des effets keynésiens, il semble qu'il y ait eu un arbitrage entre déficit et croissance. La croissance à 0,9 point de PIB était assez proche de la cible, mais c'est sans doute en partie parce que le déficit a filé, et que nous avons dû sous-estimer l'impact des stabilisateurs automatiques - dont fait partie l'impôt sur les sociétés - qui ont fortement joué. Cependant, le Trésor avait prévu une élasticité infra-unitaire pour 2023. On peut discuter de son niveau mais, en toute rigueur, il est difficile de prévoir l'élasticité.
Les intervalles de confiance seraient une solution idéale, mais très difficile à lire notamment dans la discussion budgétaire. Le vrai problème est la prise en compte de l'effet de base, afin de faire des prévisions fiables d'une année sur l'autre. Nous pourrions peut-être définir une base de prélèvements obligatoires plus basse pour construire le PLF de l'année suivante, que nous pourrions moduler ensuite. Cela semble peu complexe.
En matière d'élasticités, il faut distinguer le passé du futur.
Pour ce qui concerne le passé, du point de vue de la masse salariale, il y avait une élasticité infra-unitaire en raison des allègements de charge, puis de l'effet Smic et enfin de l'apprentissage. On a sans doute surestimé les recettes. La direction générale du Trésor l'avait sans doute pris en compte, mais étant donné l'importance de ces recettes, prendre comme hypothèse une élasticité globale inférieure à 1 serait justifié. L'immobilier - dont les transactions ne sont pas comptabilisées dans le PIB - a été un élément marquant : il y a eu moins de transactions et donc moins de DMTO.
J'en viens au futur. Il sera difficile de prévoir les recettes de l'impôt sur les sociétés à court terme ; elles seront sans doute assez basses en 2024. Pour la masse salariale, l'effet pourrait être contraire, car nous constatons une hausse des salaires réels. Enfin, les recettes de TVA dépendront du comportement des consommateurs et des choix de gestion de trésorerie des entreprises.
M. Vincent Delahaye. - La documentation des prévisions de recettes est indigente. Au niveau local, nous n'oserions présenter de telles prévisions. Aucun élément ne nous permet de justifier les chiffres qui nous sont fournis. Je ne suis donc pas étonné.
Je suis effaré que M. Ecalle nous dise que les prévisions techniques ne sont pas communiquées à la Cour des comptes. M. le rapporteur général y a-t-il accès ? Les demande-t-il chaque année ? Pourrions-nous obtenir des comptes rendus de ces prévisions ?
Concernant la TVA, j'avais demandé une étude. On ne fait que se réjouir des bonnes surprises et déplorer les mauvaises. En février 2024, la variation est de 10 milliards d'euros, sans aucune explication de Bercy. Je souhaiterais que la commission des finances réalise une étude rétrospective sur les explications qui ont été données en matière de variation de la TVA.
Pour ce qui concerne l'impôt sur les sociétés, je suis surpris que l'on soit surpris ! Toutes les entreprises font leur déclaration fiscale avant le 30 juin. Nous disposons alors du résultat fiscal sur lequel se fondent les quatre acomptes trimestriels. Nous pourrions avoir dès la fin de l'été des prévisions très précises. Je ne comprends pas qu'on puisse se rendre compte au mois de janvier ou février qu'il manque un milliard d'euros de la part de la Banque de France.
Je ne comprends pas non plus qu'il n'existe pas de tableau de bord mensuel réalisé par les trésoreries départementales pour suivre régulièrement les recettes. Il faudrait au moins que les 20 % de trésoreries qui représentent 80 % des recettes assurent ce suivi.
Je suis effaré par le manque de documentation et d'information sur l'évolution des recettes. Si l'on continue comme cela, nous aurons des surprises chaque année, plus ou moins cachées par le ministre au dernier moment. Je suis pour le principe de prudence, mais fondé sur des chiffres et des scénarios précis.
M. Grégory Blanc. - Nous parlons non pas d'un problème de dérapage des dépenses, mais d'un problème de recettes fiscales qui ne sont pas à la hauteur des attentes.
J'ai bien compris qu'il est difficile de définir l'assiette des prélèvements. Nous sommes moins dans une période de politique monétaire que budgétaire, si bien que ne pas maîtriser l'assiette accentue les problèmes. Depuis plusieurs années, nous avons développé une fiscalité sur les flux ; or nous devons investir massivement dans les transitions, notamment la transition écologique. Ne faut-il pas fiscaliser les stocks, et donc le patrimoine ? Il est temps de mettre la question sur la table.
M. Éric Bocquet. - M. Ecalle a rappelé qu'à chaque alternance politique, la Cour des comptes réalise un audit. Cet audit est-il sincèrement nécessaire pour une équipe entrante ? J'imagine que Bercy et le Trésor assurent un suivi quotidien des recettes de l'État, a fortiori depuis que l'impôt sur le revenu est prélevé à la source. Les ministères doivent connaître l'état des finances au jour le jour. Un tel audit est-il une manoeuvre politique pour justifier devant l'opinion un état des finances publiques dégradé et un renoncement à certaines promesses ? Bref, est-ce que l'on nous ment en permanence sur l'état budgétaire et financier de notre pays ? Entre autres à nous, parlementaires ?
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Monsieur Plane, j'ai un petit doute concernant l'écart que vous soulignez en matière de cotisations sociales. Dans l'annexe au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2023 comme dans l'évaluation des comptes nationaux des administrations publiques publiée par l'Insee, nous constatons certes une décélération remarquable ; cependant, la réduction de la masse salariale me semble avoir été anticipée. L'écart par rapport à la prévision ne semble pas disproportionné pour ce qui concerne les finances sociales.
Ensuite, il convient de souligner le cas de la contribution sur la rente inframarginale de la production d'électricité (CRIM), alors que l'écart à la prévision est de l'ordre de plusieurs milliards d'euros.
Enfin, dans quelle mesure l'entrée en vigueur de l'impôt mondial sur les multinationales, qui instaure une imposition minimale de 15 %, aurait-elle des conséquences sur le niveau d'impôt sur les sociétés perçu en France ?
M. Michel Canévet. - Voter la loi et contrôler l'action du Gouvernement sont des missions qui demandent de disposer d'outils et de procédures adéquats. Au 31 mars 2024, il y a 1 milliard d'euros en moins de recettes de TVA et 3,5 milliards d'euros de dépenses en moins par rapport au premier trimestre 2024. Or les dépenses de personnel et de fonctionnement, qui représentent la moitié des dépenses de l'État, augmentent de 8 à 9,5 % par rapport au premier trimestre 2023. Disposons-nous de chiffres plus affinés pour suivre l'évolution de la situation financière de l'État ?
Compte tenu de ces perspectives, pourrons-nous faire passer le déficit de 172 milliards en 2023 à 146 milliards d'euros en 2024 ? Arriverons-nous à atteindre cette cible ?
Mme Nathalie Goulet. - À qui se fier ? Les chiffres sont manifestement incertains ; pour voter les lois de programmation comme les lois de finances, nous devons faire avec. La situation se répercute dans nos territoires : voyez le dernier décret d'annulation de crédits. Comment voyez-vous le rôle du Parlement dans cet ensemble d'incertitudes ?
M. Vincent Capo-Canellas. - Nous nous focalisons sur une erreur visible, qui a des conséquences réelles, certes, mais le vrai sujet reste la situation budgétaire du pays et la réduction de la dette dans le temps ; en effet, il nous faut réduire nos dépenses tout en maintenant la croissance.
Je comprends bien qu'il était difficile, comme M. Ecalle l'explique, de revoir toute la situation budgétaire. Je ne sais comment nous aurions pu intégrer une nouvelle prévision... je n'ai pas la réponse.
Concernant l'élasticité des recettes, nous sommes passés de trois ans de recettes élevées à un ressac. Doit-on écarter la thèse d'un effet conjoncturel ? Que devons-nous en tirer comme conclusion ?
En matière de prévisions techniques, nous souhaiterions tous avoir des chiffres précis. Le HCFP pourrait avoir accès aux prévisions du ministère, mais nous risquons d'inventer un deuxième bureau, qui fera la « petite » prévision technique, validée ensuite par un autre bureau, qui publiera la « vraie » prévision technique. Je crains qu'un regard politique ne vienne irriguer cette prévision technique. Comment faire, si ce n'est de se doter d'un scénario de croissance prudent et d'un scénario d'élasticité dégradé ?
M. Thierry Cozic. - Notre arsenal législatif est-il adapté, afin que les parlementaires disposent d'une information plus fiable ?
Monsieur Plane, vous avez déclaré à la radio qu'il semble difficile d'atteindre l'objectif de 3 % de déficit public en 2027 sans toucher à la fiscalité. De votre point de vue, quelles mesures fiscales faudrait-il privilégier ?
M. Jean-Baptiste Blanc. - Nous avons très peu d'informations sur le coût du zéro artificialisation nette (ZAN). Mes collègues de la mission d'information sur le financement du ZAN s'en sont encore émus hier, et nous allons saisir le Gouvernement. Connaissons-nous les conséquences de la raréfaction du foncier et de la désindustrialisation du pays ? Entraînent-elles des pertes de recettes ?
Mme Isabelle Briquet. - Les trois dernières années furent très favorables au regard des recettes fiscales. Les explications étaient les suivantes : plus on baisse les taux de prélèvement, plus on a de produits. Mais la mécanique s'est enrayée. La réduction du déficit ne peut se limiter à la seule réduction de la dépense, comme vous l'avez tous démontré. Pourtant, le ministre de l'économie annonce toujours une réduction du déficit à 3 % en 2027 sans toucher à la fiscalité. Est-ce tenable ?
M. Laurent Somon. - Monsieur Plane, on parle d'économies, mais sans évaluer leur impact sur la croissance et les effets récessifs. Quelle est la relation entre Bercy et le service d'évaluation des politiques publiques, qui devrait éclairer le Gouvernement sur l'impact des politiques qu'il propose, notamment en matière de recettes fiscales ?
Vos graphiques présentent les écarts entre les prévisions de recettes et les chiffres réalisés. En quoi faut-il encore plus de précisions et de transparence pour prendre les mesures correctives qui nous permettront de réduire le déficit public ?
M. Claude Raynal, président. - J'irai dans le même sens que M. Somon. L'administration dispose-t-elle de référentiels sur les effets récessifs des différentes économies envisagées ? On nous donne en permanence, quelle que soit la personne qu'on interroge, l'exemple de l'aide au développement, dont la diminution n'a pas d'effet récessif en France. Avez-vous des indications sur les dépenses qui seraient plus délicates à manier du point de vue de l'impact récessif ?
M. Olivier Redoulès. - La frustration est réelle en matière de suivi de la situation budgétaire : par exemple, pour ce qui concerne la forte baisse de recettes de TVA, la ligne d'explication contenue dans la dernière note de situation mensuelle budgétaire de l'État est incompréhensible.
Cela étant, instaurer un tel suivi n'est sans doute ni faisable ni souhaitable. Techniquement, les différents déficits sont calculés à partir de conventions de comptabilité nationale qui se fondent sur des hypothèses variées et enclenchent un certain nombre de processus au sein de l'Insee. Produire des notes de suivi trop fréquemment risque de créer du bruit et de l'imprécision. Il faut accepter une forme d'incertitude et en tirer les conséquences lors des choix budgétaires. Le suivi en temps réel a des limites.
Bercy pourrait sans doute produire plus de notes techniques, mais face à la complexité des directions et du partage d'informations, il faut sans doute accepter un degré d'incertitude impondérable, même si nous pourrions sans doute faire mieux, notamment grâce à la numérisation de l'économie et des technologies.
Je ne sais pas quel véhicule technique ou législatif encouragerait une approche plus prudente. Le Gouvernement pourrait, de lui-même, décider de ses propres marges d'erreur. Cependant, en 2017 et en 2019, le Gouvernement a fait un peu mieux que la prévision pour ce qui est du déficit. Nous pourrions imaginer que le Gouvernement propose une fourchette pour le déficit. L'essentiel sera de proposer des prévisions macroéconomiques prudentes et de prendre en compte l'effet de base.
Nous ne sommes pas en mesure d'évaluer les conséquences du ZAN. Cela pose la question de l'évaluation de l'incidence des réformes sur la croissance et les finances publiques. Nous ne savons pas bien évaluer, il faut donc être prudent quand on met en place des réformes. Des réformes qui partent de bonnes intentions peuvent produire des effets indésirables. De plus, le flux de réformes, important, complexifie l'exercice de prévision et engendre du bruit.
L'impôt international entre en vigueur en 2024. L'étude préalable témoigne d'une grande incertitude en matière de prévision de recettes. La fourchette d'incertitude est de plusieurs milliards d'euros.
L'année 2023 a montré un problème lié aux recettes, mais la question des dépenses se pose aussi. Notre niveau de prélèvements obligatoires est l'un des plus élevés. Par ailleurs, durant la crise, des dépenses qui n'étaient pas liées à la crise ont augmenté, comme la Cour des comptes l'a souligné dès 2020 et 2021.
Il me semble que le Gouvernement a une vision sur les potentiels effets récessifs. Cependant, le problème est que nous avons des difficultés à voir, sur la place publique, quelles sont les mesures qui seront mises en place : je rejoins les propos de M. Plane sur la documentation.
M. Mathieu Plane. - Il est difficile de savoir si l'on nous ment ; surtout, ce sont les finances publiques qui sont compliquées à comprendre. La situation est un peu hors norme, nous avons vécu des chocs inédits, il est difficile de faire des prévisions économiques dans ces conditions. Le choc lié au covid puis le choc énergétique, avec un retour d'inflation inédit depuis trente ou quarante ans, ont eu des effets importants sur les assiettes et les rentrées fiscales. Les aléas sont forts, pour les prévisions de croissance et de déficits.
En revanche, en raison d'une élasticité importante, les rentrées fiscales ont été importantes ces dernières années. Quand l'on constate que les 4,8 % de déficit masquent un niveau réel de 7 %, peut-on prendre les mêmes mesures budgétaires ? Voilà la question. Si on sait que le niveau de 4,8 % est artificiel et qu'il y aura plus de deux points qui devront être rattrapés, certaines décisions politiques doivent être prises bien en amont. Vous faites des choix politiques différents. Il s'agit de relire la situation en décomposant les effets de la crise, la croissance et les recettes fiscales très volatiles.
Un exemple : comment envisager l'assiette fiscale pour l'énergie carbonée ? La taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) est prélevée parce qu'on achète de l'essence. Si tout le monde passe à l'électrique, le manque à gagner peut devenir très important. Allons-nous compenser cette perte en taxant plus l'électrique ? Je ne pense pas que ce soit notre objectif. Autre exemple : nous vivons un choc très particulier dans la construction, dont nous ne savons s'il est conjoncturel ou structurel.
Tout cela exige que l'on ait une bonne compréhension du point de départ. La prévision donnée synthétise en fait une information très complexe.
Je ne sais pas si le Trésor suit en temps réel les recettes de l'impôt sur les sociétés. Un tableau de bord plus informatif serait intéressant. Un suivi mensuel des recettes de l'État existe, mais ces recettes ne représentent que 35 % des recettes publiques du pays. Pour 65 %, nous n'avons pas de suivi, en l'occurrence pour les cotisations et les recettes des collectivités locales.
Le dernier budget prévoyait un ralentissement des rentrées de cotisations sociales, mais il me semble que ce ralentissement a été plus fort que prévu. Pour dresser un tel constat, j'ai dû « bricoler » afin de retrouver l'information dans les textes budgétaires. Il ne s'agit que d'estimations, nous n'avons pas de tableau de bord qui nous permette de constater où sont les erreurs en fonction du type de recette.
Pour ce qui concerne l'impôt sur les sociétés au niveau mondial, force est de constater que l'assiette fiscale des multinationales, notamment des géants du numérique, est très volatile.
Les 2,6 points de PIB évoqués représentent environ 80 milliards d'euros, mais ce chiffre est défini hors effet du multiplicateur : on atteindrait un déficit de 2,9 points de PIB en 2027 si ces 80 milliards d'euros d'économie n'avaient aucun effet sur la croissance. Les multiplicateurs moyens de la dépense publique générique, dans la littérature, s'élevant environ à 1, les 80 milliards d'euros d'économies représentent environ 80 milliards d'euros de PIB en moins, soit 40 milliards d'euros de recettes publiques en moins. Pour atteindre l'objectif fixé, il faut en fait doubler la mise, à savoir faire 160 milliards d'euros d'économies. On entre alors dans une spirale de chocs très importants. Or peu d'économies ont des effets récessifs moindres - il s'agit de quelques consommations intermédiaires sur les fonctionnements et les achats.
Examinons la structure de la dépense publique. Plus de 50 % portent sur la protection sociale, dont 80 % concernent la santé et les retraites. Se pose la question de l'indexation des retraites. Avec le vieillissement de la population et la situation post covid, les dépenses de santé augmentent. Les dépenses de l'État sont constituées en grande partie de dépenses régaliennes et de dépenses d'éducation.
Restent enfin les collectivités locales. Réduire les dotations aux collectivités locales donne lieu à une réduction des investissements, alors même que l'investissement a un fort effet multiplicateur.
Tout le monde souhaiterait pouvoir réaliser 80 milliards d'euros d'économies sans effet sur la croissance. Mais la réalité en va autrement. Il va donc falloir documenter les dépenses.
De plus, au regard des enjeux, si l'on souhaite être crédible, il faut mettre toutes les questions sur la table. Il ne semble pas possible d'écarter la question de la fiscalité. Étant donné la marche à franchir, la dépense publique ne pourra être la seule solution. Faut-il un impôt exceptionnel post crise, comme il y a eu une aide exceptionnelle durant la crise ? Faut-il jouer sur la fiscalité de l'épargne et du patrimoine ? Voilà les choix politiques à faire.
Au regard des enjeux, soit l'on fait semblant que l'on sait et l'on fait des ajustements à l'aveugle - la trajectoire ne sera alors pas tenue, mais pourquoi pas ? -, soit l'on veut être crédible pour faire face au défi qui nous attend, et ainsi tout mettre sur la table et tout documenter.
M. François Ecalle. - Un audit des finances publiques a lieu à chaque grande alternance au cours des trente dernières années, et c'est le seul moment où le ministre autorise les directeurs du Trésor et du budget à transmettre les chiffres à des auditeurs extérieurs. Je précise que la Cour des comptes refait systématiquement ses propres estimations, indépendamment des notes transmises, en auditionnant les contrôleurs budgétaires ; le travail est important. Les différences d'estimation ne sont pas considérables. Les ministres de l'économie et du budget ne sont jamais très surpris.
Les raisons de ces audits sont bien politiques. C'est le moyen pour un nouveau gouvernement de justifier des mesures de redressement nouvelles.
Cela fait bien longtemps que j'ai renoncé à tirer quoi que ce soit des notes de situation mensuelle budgétaire. Les résultats des rentrées fiscales sont fortement perturbés par des procédures administratives de recouvrement des impôts, qui brouillent la lecture : la TICPE, par exemple, est recouverte par décade. Je pensais que la TVA permettait de tirer quelques conclusions, car elle est assez régulière. Je me souviens d'ailleurs avoir signalé publiquement une anomalie sur la TVA à l'été dernier, mais avec beaucoup de prudence. En effet, le calendrier de rétrocession aux collectivités locales et aux organismes de sécurité sociale, qui n'est pas fixe d'une année sur l'autre, rend les chiffres difficilement compréhensibles.
Bercy réalise des prévisions mensuelles de recouvrement, établies essentiellement par la direction générale des finances publiques, en fonction des calendriers. Je me rappelle que, il y a dix ans, nous disposions de notes inter-directions de recouvrement de recettes fiscales, chaque mois, qui comparaient le recouvrement réalisé par rapport aux prévisions du PLF ; cependant, ces notes étaient très difficiles à interpréter. Les débats étaient toujours nombreux entre les directions qui mettaient l'accent sur l'analyse des écarts et ceux qui, comme la direction du Trésor et l'ancienne direction de la prévision, se fiaient plutôt aux prévisions macroéconomiques sur la consommation, les revenus et les impôts.
Concernant l'impôt sur les sociétés, les grandes entreprises, qui sont les principales contributrices à l'impôt sur les sociétés, sont amenées à calculer leur dernier acompte versé au 15 décembre en fonction de leur prévision de bénéfices de l'année en cours. La prévision de recettes du dernier acompte est donc une prévision de la prévision que font les entreprises. Ainsi l'on multiplie les erreurs. Avoir des prévisions fiables est très difficile.
Concernant la mauvaise surprise de 2023 pour ce qui concerne les recettes, je précise qu'en 2022 nous avions atteint un niveau record de prélèvements obligatoires - jamais le taux de prélèvements obligatoires par rapport au PIB n'avait été aussi élevé - après avoir réalisé 50 milliards d'euros de baisse d'impôts et de cotisations sociales. Cela n'était pas normal. Les recettes fiscales et sociales ont été gonflées en 2021 et 2022 parce que des impôts comme l'impôt sur les sociétés amplifient toujours le rebond de l'activité. S'ajoute la situation de l'immobilier et des DMTO. Pour de nombreuses raisons, les chiffres aberrants sont le taux de prélèvements obligatoires et le déficit de 2022. L'année 2023 constitue un retour à la normale : après des baisses de 50 milliards d'euros d'impôt, il est finalement normal que le taux de prélèvements obligatoires diminue.
Les services de Bercy l'avaient prévu, avec une élasticité des prélèvements obligatoires de 0,6, mais sans anticiper l'ampleur du phénomène. Dans le programme de stabilité, Bercy continue à prévoir pour 2024 et 2025 une élasticité inférieure à 1, ce qui est sage : le phénomène n'est pas terminé. Ce n'est pas le déficit de 2023 qui est anormal, mais celui de 2022.
Enfin, le ministère dispose d'outils pour prévoir l'impact d'une réduction du déficit public, que ce soit par une baisse des dépenses ou une hausse des recettes, à savoir les mêmes instruments que l'OFCE. Bercy dispose du modèle dit Mésange (Modèle économétrique de simulation et d'analyse générale de l'économie), construit avec l'Insee, qui permet d'évaluer l'impact des politiques publiques.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je souhaite répondre à M. Delahaye. Nous avons interrogé le Gouvernement à la suite du décret d'annulation : le Gouvernement n'a pas répondu, et a dit que nous aurions les éléments dans le programme de stabilité. Nous continuons à interroger les différentes directions, nous essayons de comprendre.
Les échanges d'aujourd'hui sont utiles. Certains prétendent que les Français se fichent du fait que la dette dérive. Cependant, les sirènes se mettent parfois à hurler. Dans un contexte de tensions et de craintes, cela alimente le sentiment de défiance.
Notre souhait n'est pas celui d'un suivi budgétaire tatillon. Nous voulons pouvoir suivre la situation dans le temps long, notamment si nous voulons mener enfin des réformes véritablement structurelles.
Cette audition a fait d'une captation vidéo qui est disponible sur le site du Sénat.
Régime d'indemnisation des catastrophes naturelles - Contrôle budgétaire - Communication
Mme Christine Lavarde, rapporteur spécial. - Le sujet des catastrophes naturelles est d'actualité pour notre commission : la semaine prochaine, j'aborderai plus spécifiquement le phénomène du retrait-gonflement des argiles (RGA). Créé en 1982, le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, dit « régime CatNat », a connu un certain nombre d'évolutions. Pour rappel, le régime privé classique prend en charge tous les risques aléatoires, quantifiables et soutenables économiquement pour les assurés, ce qui signifie que le niveau de prime qui leur est demandé afin de couvrir le risque reste raisonnable au regard de leurs capacités. Dès lors qu'un risque ne répond plus à ces trois caractéristiques, il sort du système assurantiel privé pour basculer dans le système assurantiel public-privé des catastrophes naturelles.
Ce régime CatNat est aujourd'hui confronté au phénomène du réchauffement climatique : avec la hausse des températures, l'enjeu tient désormais davantage à la volatilité et à l'intensité des catastrophes qu'à leur fréquence. Face à des pics de sinistralité très élevés, le maintien d'une intervention publique est justifié. À l'issue des événements du mois de décembre dernier, et notamment des tempêtes, certains ministres se sont interrogés sur la pertinence d'une refonte du périmètre du régime CatNat, une question que je m'étais également posée l'année dernière à l'occasion du contrôle portant sur le risque lié au phénomène de RGA, me demandant s'il n'était pas appelé à basculer dans le système privé.
Après analyse, il ne semble pas judicieux de faire évoluer le périmètre du régime CatNat, en intégrant par exemple les tempêtes, la grêle et la neige, dans la mesure où ces risques sont déjà couverts par le régime assurantiel ordinaire. De la même manière, il ne semble pas pertinent d'y intégrer le recul du trait de côte, quand bien même le phénomène de submersion marine fait partie du régime CatNat. Le risque lié au RGA, quant à lui, doit rester dans le régime, même si des réassureurs privés pourraient, à l'avenir, assumer une partie du rôle aujourd'hui joué par la Caisse centrale de réassurance (CCR).
J'en viens aux différents acteurs, à commencer par les assurés, qui financent le régime. Les assureurs, auprès desquels sont souscrits les contrats d'assurance, collectent de manière automatique la surprime CatNat, répercutées, ainsi que la « surprime de la surprime » qui finançait le fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), plus communément appelé le fonds Barnier, avant sa budgétisation en 2021. Il existe, parallèlement, un mécanisme de réassurance : si elle peut être en théorie assumée par le secteur privé, la CCR couvre dans la pratique 95 % du marché. Le rôle de la CCR ne se limite d'ailleurs pas aux catastrophes naturelles, puisqu'elle couvre également les risques terroristes et technologiques.
La surprime versée par l'assuré va pour moitié à l'assureur et pour moitié à la CCR, et permet d'indemniser les sinistrés. Sans aller dans le détail de la procédure permettant d'obtenir le statut de sinistré, je rappelle que celle-ci a évolué avec la loi du 28 décembre 2021 relative à l'indemnisation des catastrophes naturelles - loi Baudu -, ainsi qu'avec différents textes d'application de la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS). Lorsque le sinistre est reconnu comme relevant du régime CatNat, son coût est évalué et donne lieu à une indemnisation versée pour moitié par l'assureur et pour moitié par la CCR.
En apparence complexe, ce « partenariat public-privé »permet de garantir une mutualisation des portefeuilles des assureurs, qui ne sont pas répartis de manière homogène sur le territoire. Il ne subsiste, par exemple, que deux compagnies d'assurances dans les départements d'outre-mer (DOM), alors que ces territoires sont fortement exposés au risque cyclonique. En l'absence d'une telle mutualisation, les primes payées par les assurés pourraient varier de un à trente : le dispositif permet donc de partager le risque entre assureurs et réassureurs. Ce système est spécifique à la France ; à l'inverse, les assureurs peuvent refuser de couvrir vos risques, comme c'est le cas aux États-Unis ; plus proche de nous, l'Espagne a mis en place un système dans lequel le réassureur perçoit 100 % des primes ; dans d'autres pays enfin, seul le régime assurantiel classique existe.
Dans le détail, la surprime est acquittée par toutes les personnes ayant souscrit un contrat multirisque habitation ou un contrat automobile, avec un taux s'élevant respectivement à 12 % et à 6%. À compter du 1er janvier 2025, ledit taux passera à 20 % sur le contrat habitation et à 9 % sur le contrat automobile. Cette très forte hausse intervient alors que la nécessité d'augmenter les recettes du système avait déjà été soulignée par différents rapports au cours des dernières années, mais le Gouvernement a procrastiné et n'a adopté le texte réglementaire correspondant que le 22 décembre, à une période qui a permis de passer la hausse sous silence. Cette augmentation ne sera pourtant pas neutre pour les assurés : là où ils financent actuellement le régime CatNat à hauteur de 23 euros par an, ils y consacreront environ 40 euros par an à partir de 2025.
Pour 1,9 milliard d'euros collecté pour le régime CatNat en 2022, les particuliers ont versé 1 milliard d'euros et les entreprises 750 millions d'euros, tandis que 130 millions d'euros ont été versés au titre des contrats automobiles.
Le déséquilibre du régime avait été largement documenté : avec un taux de surprime de 12 %, le ratio sinistres-primes s'établissait à 128 %. Avec l'augmentation du taux de surprime, il devrait être ramené à 77 %, ce qui permettrait donc de retrouver un équilibre, au moins à court terme. Cela m'amène à ma première préconisation, qui consiste à mettre en place une indexation automatique du taux de surprime, d'autant que celle-ci a vocation à croître fortement, avec des variabilités considérables selon les scénarios d'augmentation des températures qui se réaliseront.
L'État, quant à lui, intervient dès lors que le seuil de 90 % des réserves de la CCR est atteint. La garantie de l'État n'a été mobilisée qu'une seule fois depuis la création du régime, en 2000 sur l'exercice 1999, à l'occasion des tempêtes Lothar et Martin. Cela étant, le risque d'en appeler à l'État devient chaque année un peu plus élevé, car les réserves du régime CatNat se sont nettement amoindries : alors qu'elles s'élevaient à 3 milliards d'euros fin 2021, elles s'étaient réduites à 2 milliards d'euros fin 2022 et n'étaient plus que de 500 millions d'euros à 600 millions d'euros fin 2023. De fait, les provisions d'égalisation sont désormais quasi nulles, alors qu'elles s'établissaient encore à 1,2 milliard d'euros à la fin de l'année 2021. Par conséquent, le risque d'un recours à la garantie illimitée de l'État est croissant.
Il le sera d'autant plus dans le futur, puisque la sinistralité est appelée à augmenter fortement. En 2020, le coût des événements à indemniser était de 2 milliards d'euros ; à l'horizon 2050, les différentes projections laissent entrevoir des montants allant de 3 milliards d'euros à 3,8 milliards d'euros, soit des montants qui ne pourront pas être couverts par l'augmentation du taux de surprime à 20 %. Cette hausse des coûts est liée à l'augmentation de la fréquence et de l'intensité des événements, sous l'effet du réchauffement climatique, ainsi qu'à l'augmentation intrinsèque de la valeur des biens assurés. En ne tenant compte que des impacts du changement climatique, la sinistralité augmentera de 40 % ; en intégrant l'augmentation de la valeur des biens, cette hausse sera de 60 %.
Au sein même du régime CatNat, des distorsions sont à l'oeuvre. Au cours des trente premières années d'existence de ce régime, les inondations ont été majoritaires puisqu'elles représentaient la moitié des indemnités versées, la sécheresse 42 % et les autres risques 8 %. Sur les dix dernières années, on constate déjà une modification de la répartition puisque la sécheresse représente désormais 52 % des indemnités, contre 32 % pour les inondations et 16 % pour les autres risques. À l'avenir, le poids du RGA devrait augmenter fortement, avec une volatilité qui pourrait être considérable selon les scénarios de hausse de température. Les indemnités versées au titre de la sécheresse devraient avoisiner 43 milliards d'euros entre 2020 et 2050, contre 13,8 milliards d'euros sur la première période d'existence du régime. Ce triplement tient pour environ 20 % à l'élargissement des critères d'indemnisation introduit par la loi relative à l'indemnisation des catastrophes naturelles de décembre 2021, dite « loi Baudu », et pour le reste à l'impact du changement climatique.
Pour ce qui est de la sinistralité relative aux inondations, la hausse devrait être comprise entre 6 % et 19 %. Parallèlement, le risque de submersion marine augmentera assez significativement.
Une fois ce constat posé, j'en viens aux propositions, avec un premier volet consacré aux moyens de mieux protéger les assurés, notamment pour mieux prendre en compte la détresse des sinistrés lorsque leur situation n'est pas reconnue comme relevant des catastrophes naturelles. Lorsque je vous avais présenté un point spécifique sur le RGA l'année dernière, je vous avais indiqué qu'un sinistré sur quatre était éligible à une indemnisation au titre du régime CatNat. Parmi les communes affectées par le phénomène, seule une sur deux était en effet éligible à cette indemnisation dans le cadre de l'ancien régime - même s'il devrait progresser à la suite de récentes modifications -, tandis que seulement la moitié des dossiers déposés dans ces communes ouvrait droit à une indemnisation.
Parmi les préconisations les plus saillantes, l'une concerne l'expertise, qui joue un rôle clé. L'expert, en effet, décidera si la situation du sinistré relève du régime CatNat, puis communiquera le montant de l'indemnité versée par la compagnie d'assurances. Disons-le simplement : il existe une forte présomption d'un manque d'indépendance des experts, d'où découle une forte défiance de la part des sinistrés. Afin d'y remédier, je préconise l'interdiction des liens capitalistiques entre la compagnie d'assurances et la société d'experts qui est mandatée. En outre, certains experts peuvent être rémunérés en fonction de l'indemnité proposée, ce qui est également insatisfaisant.
Par ailleurs, il semble judicieux de rétablir la possibilité d'utiliser librement son indemnité d'assurance : si une compagnie d'assurances ne vérifie jamais si vous avez utilisé votre indemnité versée au titre d'un dégât des eaux pour repeindre un mur, l'ordonnance du 8 février 2023 a explicitement précisé que l'indemnité versée au titre du RGA devait être utilisée pour réparer le bien endommagé. Or une telle utilisation peut être dénuée de sens, car un sinistré peut préférer un déménagement à la réparation de son bien. De la même manière, une partie des victimes des récentes inondations à répétition dans le Pas-de-Calais ont pu exprimer le souhait de quitter leur domicile.
Il faut donc laisser cette possibilité d'utiliser librement l'indemnité d'assurance, la jurisprudence allant plutôt dans ce sens. En revanche, il convient d'assortir ce principe d'une obligation de céder le bien endommagé, afin qu'il ne soit pas utilisé à des fins de location ou pour une autre activité économique. Les biens laissés vacants devront donc être remis gratuitement aux communes : libres à elles, ensuite, de décider de leur utilisation. Cette solution me paraît préférable à celle qui consiste à imposer aux sinistrés de rester chez eux, quitte à ce qu'ils soient à nouveau victimes d'inondations ou de fissures dans leur habitation deux ou trois ans après.
Une autre préconisation a trait à un sujet évoqué par le Premier ministre lors de son discours de politique générale devant le Sénat, à savoir le fait que certains territoires ne pourront plus être assurés. Nous n'avons pas réussi à caractériser un phénomène d'éviction massif dans le secteur de l'assurance : le bureau central de tarification (BCT) - en quelque sorte l'assureur en dernier ressort - nous a indiqué qu'il ne recevait au mieux que cinq dossiers par an d'assurés venant l'informer qu'ils s'étaient vu refuser la souscription d'un contrat ouvrant droit à la garantie CatNat. Précisons cependant que le requérant ne peut que difficilement apporter la preuve que ce refus est lié à l'importance du risque de catastrophes naturelles : en retenant une présomption de refus pour ce motif, la charge de la preuve incomberait à l'assureur, ce qui permettrait au BCT d'obliger les compagnies à présenter une proposition d'assurance à un tarif qui resterait raisonnable. J'insiste sur ce point : les assurés doivent pouvoir choisir une proposition économiquement soutenable, ce que permet justement le régime CatNat grâce à la mutualisation du risque.
La situation des DOM est, quant à elle, particulière, avec un taux de couverture assurantielle bien plus faible et une assurance multirisque habitation peu souscrite. Nous n'avons pas réussi à en déterminer les causes exactes, qui pourraient tenir à des niveaux de primes très élevés.
Le second volet des préconisations a trait à l'amélioration de la prévention, avec l'idée que toute action réduisant le risque dès à présent sera de nature à diminuer la sinistralité à l'avenir et donc à garantir la soutenabilité financière du régime CatNat. Persuadée qu'il convient d'inciter les personnes à mettre en place des politiques de prévention, j'estime qu'il ne faut pas « punir » de la même manière l'assuré qui s'est inscrit dans une démarche de prévention et celui qui n'a rien entrepris le jour où un sinistre survient. En pratique, la punition prend la forme de la franchise qui reste à charge : il conviendrait de moduler cette dernière en la diminuant pour les assurés ayant adopté des mesures de prévention. Cette logique existe d'ailleurs déjà pour les entreprises qui assurent plus de 300 mètres carrés, reste à l'appliquer aux particuliers.
Mieux prévenir, c'est aussi renforcer les règles de construction pour le RGA : si la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Élan) a apporté des premiers éléments en prévoyant des études, celles-ci ne sont que de niveau G1, alors qu'un niveau G2 serait requis pour déterminer la nature des fondations à réaliser. De plus, ces études devraient être communiquées au moment de la vente du terrain, sous peine de voir des ménages acquérir un terrain et se voir signifier par le constructeur que des fondations à 6 mètres seront nécessaires, ce qui entraînerait des coûts bien plus élevés que des fondations à 1,5 mètre, soit le régime de base de la loi Élan. L'Espagne, dont la nature géologique est assez proche de celle de la France, impose, pour sa part, des fondations bien plus profondes et présente une sinistralité RGA bien plus faible. J'entends déjà l'objection selon laquelle il en résultera une augmentation des coûts de construction, mais je rappelle qu'une habitation est un bien durable et qu'il vaut mieux accepter de payer 5 000 euros supplémentaires lors de la construction pour éviter ensuite une sinistralité bien plus lourde.
S'agissant des autres risques, il me paraît aujourd'hui inconcevable de continuer à effectuer des rénovations globales dans des habitations qui ne sont pas résilientes au changement climatique. La rénovation d'une maison qui sera inondée demain ou qui se trouve en risque RGA fort a-t-elle du sens ? Non. Les rénovations globales devraient donc être couplées à des études de risques, ainsi qu'à la mise en place de mesures de prévention, afin de rendre les habitations résilientes aux aléas climatiques. Parallèlement, des travaux d'adaptation au changement climatique ne devraient pas être effectués sur des passoires thermiques : il faudrait donc s'assurer d'une complète porosité entre MaPrimeRénov' et une nouvelle prime pour la résilience, en tâchant de construire des habitations durables. Le financement de cet effort, en particulier pour les ménages les plus précaires, pourrait s'appuyer sur un prêt à taux zéro (PTZ), sans oublier le fait que les ressources destinées à financer la prévention des risques sont déjà collectées auprès de l'ensemble des assurés par le biais de la surprime.
Il est d'ailleurs impossible de passer sous silence la scandaleuse déconnexion entre les recettes de la taxe sur la surprime CatNat et le montant du fonds Barnier. Certes, ce dernier a opéré un saut quantitatif entre 2020 et 2021 en passant de 131,5 millions d'euros à 200 millions d'euros ; pour autant, ce montant reste significativement plus faible que les 273 millions d'euros collectés auprès des assurés en 2023, et sera en 2025, à la suite du relèvement du taux de surprime, bien plus modeste que les 450 millions d'euros qui devraient être collectés. En résumé, les particuliers et les entreprises verseront 450 millions d'euros au titre de la prévention des risques naturels alors que seulement 200 millions d'euros seront, bon an mal an, inscrits au budget.
Cette situation est anormale et pose problème, en termes d'acceptabilité, pour des sinistrés qui ne parviennent pas à être indemnisés ou pour des personnes qui ne peuvent pas financer les travaux d'adaptation. Il faudra donc s'assurer d'une transparence totale des montants collectés auprès des assurés, ainsi que des dépenses que consacre l'État à la prévention des risques naturels. Tous les flux ne doivent pas nécessairement transiter par le fonds Barnier - le fonds vert peut appuyer des actions de prévention -, mais, in fine, 450 millions d'euros devront être consacrés à la prévention des risques naturels majeurs.
Enfin, je préconise une extension du fonds Barnier au RGA et à la lutte contre le recul du trait de côte, qui en sont aujourd'hui totalement exclus, ainsi qu'un renforcement de l'utilisation de ce fonds par les particuliers.
M. Pascal Martin, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Merci de m'avoir convié. Ce rapport vient opportunément répondre à une lacune que nous avions eu l'occasion de souligner lors de l'examen de la loi Baudu, à savoir l'absence totale d'un volet financier. En complément d'un régime CatNat imaginé il y a quarante ans, ladite loi a eu le mérite de revenir sur les aspects organisationnels et de faciliter les démarches pour les maires - avec la création d'un référent départemental, par exemple - et pour les assurés.
Vos propositions me conviennent tout à fait. La démarche me semble similaire à celle qui a été adoptée lors de l'examen de la loi visant à renforcer la prévention et la lutte contre l'intensification et l'extension du risque incendie : la mesure préconisée pour les franchises procède exactement du même mécanisme que celui qui a été mis en place pour les obligations légales de débroussaillage. Je prends en compte l'ensemble des recommandations, même si j'aurais sans doute accordé la priorité à la prévention, en l'abordant avant les problématiques assurantielles.
Mme Christine Lavarde, rapporteur spécial. - Si la commission des finances valide ce rapport, une proposition de loi sera déposée dans la foulée sur les aspects relevant de ses compétences. J'espère que la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable se saisira de ce texte pour le compléter.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Les propositions formulées permettront de répondre à une partie des demandes en associant en particulier le public et le privé, par le biais d'un financement auquel contribuent tous les assurés, c'est-à-dire une très grande majorité de Français. Je préfère cette solution à un énième renvoi à la responsabilité du seul État.
Par ailleurs, il ne faudra pas perdre de vue celles et ceux, communes ou particuliers, qui resteront à l'écart, du moins au début parce que leurs dossiers ne sont pas reconnus.
Le coût des travaux que devront entreprendre les particuliers sera très important. Plus globalement, il faudra examiner, au-delà du bâti neuf, les dossiers actuels, des corrections étant déjà apportées sur du bâti ancien, et pas uniquement sur des lotissements construits dans les années 1970.
Enfin, il est certain que les sommes utilisées pour le fonds Barnier doivent être mieux dépensées et surtout mieux connues. La formule de l'indexation me paraît être une bonne solution : d'ailleurs, si les réserves du fonds venaient à être trop importantes en raison d'une moindre sinistralité, nous pourrions décider, par une mesure adoptée dans le cadre du projet de loi de finances, de bloquer l'indexation. Je salue, à nouveau, ce travail colossal qui permet de mieux cerner d'énormes enjeux.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Je m'interroge sur les modalités pratiques d'une diminution des franchises en cas d'adoption de mesures de prévention : si le cas du débroussaillage qui a été cité est simple à comprendre face au risque incendie, quelles pourraient être les mesures de prévention pour des catastrophes naturelles ? Comment apprécierait-on la nécessité d'adopter ou non ces mesures, afin d'éviter toute injustice ? Pourrait-il s'agir de diagnostics obligatoires des habitations ? L'idée de cette diminution semble séduisante, mais sa mise en oeuvre paraît complexe.
M. Didier Rambaud. - Je souligne la grande qualité pédagogique du rapport. Parmi vos recommandations, la treizième, qui conduirait à conditionner l'attribution de MaPrimRénov' à la réalisation de travaux de prévention des risques me conduit à m'interroger cependant, car il s'agit d'une contrainte supplémentaire alors que nous nous plaignons régulièrement de l'empilement des normes. Il sera difficile, en particulier, d'expliquer aux agriculteurs qu'ils ne pourront pas bénéficier de MaPrimeRénov' pour ce motif.
Mme Ghislaine Senée. - Je ne partage pas toutes les propositions concernant la prise en charge du phénomène du RGA mais nous aurons l'occasion d'en reparler prochainement.
Par ailleurs, ce rapport permet sans doute d'exercer une forme de pression alors que le ministre de la transition écologique s'apprête à présenter le plan national d'adaptation au réchauffement climatique (Pnacc) : peut-être serait-il possible d'y intégrer un certain nombre de propositions.
Je partage l'attention portée à la prévention et souligne qu'il existe là une réelle opportunité pour accélérer la transition énergétique du bâti, qu'il soit neuf ou surtout ancien. Le RGA, qui affecte un grand nombre d'habitations, constitue aussi un levier pour le secteur du bâtiment, actuellement en proie à des difficultés économiques : la rénovation pourrait donc avoir des effets vertueux pour la croissance et pour l'emploi.
De manière générale, la solidarité nationale reste un enjeu prioritaire. Certains sinistrés vivent dans des passoires thermiques et sont dépourvus des moyens de lancer des procédures face aux refus des experts de les indemniser au titre du RGA. Ils sont parfois obligés de tout abandonner et vivent dans des conditions fortement dégradées. D'autres assument le coût des travaux, mais peuvent avoir à débourser 150 000 euros au bas mot, simplement pour rendre leur maison à nouveau habitable et vendable. Il est urgent d'apporter une réponse à ces cas, de plus en plus nombreux et préoccupants.
M. Thierry Cozic. - Je salue la qualité de ce travail, qui dépoussière un sujet complexe. Le renforcement des règles de construction dans les zones exposées au RGA me semble tout à fait pertinent. En revanche, à l'instar de mon collègue Didier Rambaud, je suis très réservé sur le conditionnement de l'attribution de MaPrimeRénov' à la réalisation de travaux de prévention des risques, tout comme sur la perspective de créer un PTZ visant à aider au financement des dépenses de prévention des particuliers.
À titre de retour d'expérience, je rappelle que les plans de prévention des risques technologiques (PPRT) pouvaient donner lieu à un accompagnement allant jusqu'à 90 % du montant des travaux. Cependant, pour en avoir mis un en oeuvre, je souligne les difficultés pour les ménages à faibles revenus d'assumer ne serait-ce que 10 % de ces coûts, même avec des mesures d'étalement des paiements. Je tiens à vous alerter sur un point, le principe du PTZ est intéressant, mais la mise en pratique s'avère bien plus complexe.
M. Laurent Somon. - Les phénomènes s'amplifient et méritent qu'on s'y attarde. J'aurais la même remarque sur la treizième recommandation, en y ajoutant une interrogation : en raison des pluies diluviennes et des éboulements qui les affectent régulièrement, toutes les zones montagneuses seront-elles considérées comme des zones à risques et donc pénalisées par une absence de soutien à la rénovation ?
Mme Christine Lavarde, rapporteur spécial. - Je rappelle que MaPrimRénov' est financée par de l'argent public : jugez-vous opportun de l'investir pour changer les huisseries d'une habitation qui sera inondée ou fissurée, alors qu'une mutualisation des coûts permettrait d'engager des rénovations plus globales ? Tel est le sens de cette treizième recommandation. Les particularités des zones montagneuses devront bien sûr être prises en compte, en intégrant le risque de coulée de boue, peu fréquent, mais potentiellement très destructeur.
J'y insiste, est-il logique de procéder à la rénovation thermique d'une maison qui se trouve dans une zone qui sera exposée au risque de submersion marine à un horizon de trente ans ? Tel ne me semble pas être le rôle de la puissance publique.
S'agissant du plan d'adaptation du ministère de la transition écologique, nous pourrons sans doute être une source d'inspiration : les différentes auditions que nous avons menées nous ont montré que ce plan est loin d'être prêt, alors que nous ne pouvons pas continuer à attendre. Il importe d'agir plus rapidement, d'autant que le deuxième volet de la loi Baudu, consacré au financement et à la soutenabilité du régime, n'est jamais arrivé en dépit des promesses.
Pour ce qui est de la modulation de la franchise, j'observe qu'un certain nombre de compagnies d'assurances proposent la réalisation gratuite de diagnostics afin de réduire la vulnérabilité des assurés. En outre, un outil public, la plateforme Géorisques, a récemment été déployé et permet d'identifier les aléas naturels ainsi que les risques existant dans une zone donnée, en renseignant simplement son adresse. En fonction des informations fournies par cet outil, l'assuré pourra adopter des mesures de prévention adaptées. Ces dernières ne sont pas nécessairement coûteuses : il peut s'agir de couper des arbres à fort système racinaire situés à proximité d'une habitation, car ils accentuent le phénomène de RGA, ou encore d'installer des batardeaux en zone inondable. Ces mesures de prévention peuvent être mises en oeuvre et réduiront le coût de la sinistralité le jour où l'événement se matérialisera.
La commission adopte les recommandations du rapporteur spécial et autorise la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.
Cour nationale du droit d'asile (CNDA) - Contrôle budgétaire - Communication
M. Christian Bilhac, rapporteur spécial. - « La juridiction du chaos du monde », c'est en ces termes que le président de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), Mathieu Herondart désigne cette juridiction.
La CNDA est une juridiction encore plutôt neuve puisqu'elle a été créée en 2007, mais elle est issue d'un héritage ancien en faisant suite à la Commission de recours des réfugiés, créée par un amendement parlementaire en 1952, dans le même temps que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Elle occupe une place singulière dans le paysage juridictionnel français dans la mesure où il s'agit d'une juridiction administrative nationale chargée, en partie, d'appliquer les stipulations d'une convention internationale, à savoir la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés. Sa place est aussi originale au niveau européen en ce qu'il n'existe que très peu de juridictions entièrement dédiées au contentieux de l'asile, si ce n'est en Irlande et au Danemark.
Des diverses auditions que j'ai menées au cours de ces derniers mois, je voudrais partager avec vous quelques brèves remarques. Tout d'abord, il s'agit d'une juridiction plutôt performante. Depuis 2021, la CNDA a été saisie chaque année de plus de 60 000 recours. Par comparaison, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a été saisie en 2022 de 45 000recours. La CNDA a aussi de fortes capacités de jugement puisqu'elle rend plus de 66 000 décisions par an depuis 2021, si bien que son taux de couverture est excédentaire, ce qui veut dire qu'elle juge plus d'affaires que le nombre de recours introduits sur l'année. Aussi, la Cour connaît un niveau historiquement bas de ses stocks d'affaires.
Les délais de jugement se sont quant à eux nettement améliorés : le délai moyen global constaté est actuellement de 6 mois et 3 jours pour 2023, alors qu'il est, par exemple, de l'ordre de 9 mois devant les tribunaux administratifs.
Bien sûr, la situation n'est pas parfaite. En effet, le délai de cinq semaines fixé par le législateur en 2015 pour les procédures accélérées est loin d'être atteint. Pour ma part, je doute qu'il soit réalisable dans les faits, à raison notamment des délais nécessaires au respect du caractère contradictoire de la procédure et au temps requis pour trouver des interprètes et des avocats.
Le délai de cinq mois pour les procédures normales est, quant à lui, quasiment respecté, à un mois près. Ce mois représente toutefois d'importantes masses budgétaires puisque, selon les informations transmises par la direction générale des étrangers en France (DGEF), le coût mensuel moyen de la prise en charge des demandeurs d'asile en attente d'une décision de la CNDA s'élève à 91 millions d'euros, hors dépenses de santé et de scolarisation d'enfants. Réduire les délais, c'est aussi améliorer les dépenses publiques. Il existe donc des marges de progression, mais je tenais toutefois à insister sur ces aspects positifs.
Ensuite, c'est une juridiction dont le budget « courant » a été maintenu au niveau de l'évolution du nombre de recours. Depuis 2010, tandis que le nombre de recours a été multiplié par 2,4, le budget l'a été par 2,8. La hausse du budget s'explique principalement par une augmentation des dépenses de personnel : sur la période 2018-2019, plus de 200 postes ont été créés à la CNDA, qui a ainsi capté la quasi-totalité des créations d'emplois du programme 165 auquel elle est rattachée.
L'évolution du budget est plus conséquente en prenant en compte les dépenses exceptionnelles immobilières liées au relogement de la CNDA avec le tribunal administratif de Montreuil dans un même bâtiment, dépenses qui ont été lissées sur plusieurs années depuis 2018. Le coût global provisoire est estimé aujourd'hui à plus de 130 millions d'euros, mais permettra une économie de loyers de l'ordre de 8 millions d'euros, ce qui signifie que ces travaux seront rentabilisés en une quinzaine d'années. Le montant restant à payer est de 49 millions d'euros, qui seront répartis sur 2025 et 2026.
Enfin, la CNDA a été une nouvelle fois réformée avec la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, qui comprend deux mesures phares et structurelles pour la Cour : d'une part, la généralisation du juge unique ; d'autre part, la déconcentration de la Cour, avec le déploiement de chambres territoriales au sein des cours administratives d'appel. Les objectifs affichés sont le rapprochement des justiciables et la réduction des délais de jugement.
Si les objectifs en termes de délais n'ont pas été évalués dans l'étude d'impact, la territorialisation de la Cour permettra sans doute de limiter le phénomène de concentration des avocats, qui ralentit l'enrôlement et l'audiencement des affaires. Lors de mon déplacement à la Cour en mars dernier, j'ai pu constater qu'un même avocat pouvait détenir 600 dossiers de requérants d'une même nationalité. De ce fait, le délai ne peut pas être respecté, les communautés se tournant souvent vers les mêmes avocats : la territorialisation devrait pouvoir remédier à cette tendance à la concentration et réduire les délais à Montreuil.
Toutefois, si les objectifs sont louables, la réforme soulève de nombreux défis logistiques, qui pourront s'avérer coûteux. Pour l'heure, le Conseil d'État prévoit des dépenses limitées, principalement ciblées sur la revalorisation des frais d'interprétariat en région et le coût du réaménagement des locaux pour installer 7 chambres territoriales au sein de 6 cours administratives d'appel. Le besoin d'aménagement des locaux serait seulement de l'ordre de 1 million d'euros, ce qui me semble modeste, pour une ouverture de toutes les chambres en septembre 2025.
Dans ce contexte, je me permets de vous proposer plusieurs recommandations. La première série de recommandations - 1 à 3 - vise à garantir l'effet utile des objectifs de la réforme, tout en maintenant la qualité des décisions juridictionnelles. Je vous propose donc, avec la recommandation n° 1, de veiller à avoir des directives claires et unifiées sur le renvoi en formation collégiale d'affaires qui relèvent par principe du juge unique, car les règles doivent être les mêmes pour tous les justiciables.
Je propose également, au travers de la recommandation n° 2, l'adoption d'un cadre déontologique propre à tous les juges de l'asile, avec des garanties minimales d'indépendance, d'impartialité et de neutralité, ce qui est d'autant plus nécessaire avec la généralisation du juge unique. Il est également proposé, avec la recommandation n° 3, d'assurer une justice de qualité dans les chambres territoriales avec un nombre de personnels de la CNDA suffisants et un accès à un vivier d'avocats et d'interprètes aussi compétents qu'à Montreuil. Les difficultés sont plus grandes pour les interprètes, certains dialectes n'étant parlés que par une poignée d'entre eux.
La deuxième série de recommandations - les recommandations nos 4 à 6 - vise à poursuivre et accroître la juridictionnalisation de la Cour, avec le déploiement d'outils informatiques adaptés, notamment l'utilisation de l'application Télérecours pour tous les avocats - recommandation n° 4 -, ainsi qu'à augmenter le nombre de magistrats permanents affectés à la Cour. Les présidents vacataires représenteraient encore plus de 80 % des effectifs - recommandation n° 5 -, ce qui semble surprenant. Par ailleurs, je propose une formation obligatoire pour tous les juges, en s'appuyant notamment sur les ressources du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) - recommandation n° 6.
Enfin, la troisième série de recommandations porte sur les moyens alloués à la Cour. Ceux-ci se doivent d'être clarifiés, car actuellement l'action n° 7 du programme 165 ne retrace que les dépenses de personnel de la Cour, et il faut se référer au document de politique transversale « politique française de l'immigration et de l'intégration » pour connaître le budget global de la Cour, ce qui ne permet donc pas de connaître le détail des dépenses, notamment en matière de fonctionnement. Dans le cadre de l'augmentation constante et massive du budget de la Cour, qui représente désormais 10 % du budget total de la mission « Conseil et contrôle de l'État », le projet annuel de performances devrait a minima détailler la ventilation des crédits alloués à la Cour - recommandation n° 7.
Les moyens alloués à la Cour doivent aussi être maîtrisés. Ainsi, le déploiement des chambres territoriales n'est qu'une possibilité ouverte par la loi et l'ouverture des 7 chambres territoriales ne doit pas se faire « quoi qu'il en coûte » - recommandation n° 8.
Pour conclure, je salue les efforts réalisés par la Cour et ses personnels, dévoués pour assurer une justice de l'asile de qualité alors qu'ils reçoivent un nombre incalculable de dossiers. Ils devront redoubler d'efforts pour continuer de maîtriser les délais de jugement dans un contexte d'augmentation continue du nombre de recours - le « chaos du monde » n'est pas près de s'arrêter -, et ce de façon unifiée sur tout le territoire à l'horizon 2026.
Comme le disait Anicet Le Pors, « dis-moi qui et comment tu accueilles et protèges, je te dirai qui tu es » : pays des droits de l'homme, la France est et doit rester une terre d'asile, mais la CNDA doit également jouer son rôle en écartant ceux qui abusent du droit d'asile.
M. Guy Benarroche, rapporteur pour avis de la commission des lois. - Monsieur le rapporteur spécial, vous avez soulevé des points sur lesquels toutes les inquiétudes n'ont pas été levées.
Le juge unique pose problème. De l'avis de tous les magistrats, la collégialité assurait une garantie pour les juges comme pour les demandeurs. Le juge unique nous prive aussi de certaines expertises. L'inversion de la règle est regrettable. Nous ne connaissons pas les effets de cette mesure, mais il existe un risque de moins bonne justice, sans amélioration des délais - il est encore trop tôt pour pouvoir en juger.
La territorialisation de la CNDA avait été bien perçue. Néanmoins, les cours territorialisées sont une bonne chose à condition qu'elles disposent de moyens, notamment en matière d'interprétariat. Souvent, les interprètes sont en lien très direct avec les demandeurs. Cela induit des pressions sur ces interprètes, qui ne bénéficient d'aucune protection, ni réglementaire, ni administrative, ni policière. Je ne sais pas comment nous pourrons régler le problème, a fortiori dans les cours territorialisées.
Enfin, je souscris à vos propos selon lesquels il faudrait isoler le budget de la CNDA, eu égard à la hausse constante de son budget. Je ferai des demandes en ce sens dans le prochain projet de loi de finances.
M. Marc Laménie. - Quelle est la répartition territoriale de la Cour ? Quels sont les moyens humains dont elle dispose et pour quel budget ?
Mme Christine Lavarde. - Le rapport indique que les interprètes, en région, seraient rémunérés en moyenne 25 % de plus qu'à Montreuil. Pourquoi une telle différence ? Tous les interprètes voudront exercer en province !
M. Christian Bilhac, rapporteur spécial. - En tant que rapporteur spécial de la mission « Conseil et contrôle de l'État », je n'ai pas à me prononcer sur le juge unique dans le cadre de ce contrôle budgétaire. Mes conclusions tendent seulement à retranscrire le fonctionnement de la CNDA dans le cadre législatif qui a été fixé par la loi du 26 janvier 2024.
S'agissant de la répartition territoriale, pour l'heure, le siège unique de la CNDA se situe à Montreuil, et ce depuis 2004. La commission des recours des réfugiés était quant à elle implantée dans le Val-de-Marne, à Fontenay-sous-Bois. La loi du 26 janvier 2024 ouvre la possibilité de déployer des chambres territoriales. Le Conseil d'État entend se saisir de cette possibilité dès l'automne 2024, selon un calendrier assez ambitieux. L'ouverture de cinq chambres territoriales est envisagée dès 2024 au sein des cours administratives d'appel de Lyon, Nancy, Toulouse et Bordeaux, avec deux chambres à Lyon. En septembre 2025, deux chambres devraient ouvrir, à Marseille et Nantes. Pour l'année 2025, 17 % des dossiers devraient être jugés en région, avec un objectif de territorialiser un tiers des audiences à horizon 2026. En ce qui concerne les effectifs, la CNDA est composée au 1er janvier 2024 de 653 agents, qui sont pour quasiment la moitié des personnels contractuels. Les dépenses de personnels s'élèvent à 42,5 millions d'euros pour 2023.
Enfin, la rémunération plus élevée des interprètes en région s'expliquent par la structure des marchés actuellement conclus. Les interprètes qui interviennent en région bénéficient, de fait, d'une rémunération de 25 % de plus que les interprètes à Montreuil. Les sous-jacents de ce différentiel ne m'ont pas vraiment été donnés, mais il apparaît que le marché de l'interprétariat est moins concurrentiel en région, ce qui peut permettre d'expliquer en partie cette rémunération supérieure. À toutes fins utiles, je précise toutefois que le coût moyen des dépenses d'interprétariat est de 148 euros par sortie audiencée, et que toutes les audiences en langue rare resteront à Montreuil. Disons-le clairement, nous naviguons un peu à vue pour ces chambres régionales.
La commission adopte les recommandations du rapporteur spécial et autorise la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.
Proposition de loi visant à lutter contre les fermetures abusives de comptes bancaires - Désignation d'un rapporteur
La commission désigne M Marc Laménie rapporteur sur la proposition de loi n° 519 (2023-2024) visant à lutter contre les fermetures abusives de comptes bancaires présentée par M. Philippe Folliot.
Proposition de loi visant à mettre en place une imposition des sociétés plus juste et plus écologique - Désignation d'un rapporteur
La commission désigne M. Bruno Belin rapporteur sur la proposition de loi n° 862 (2022-2023) visant à mettre en place une imposition des sociétés plus juste et plus écologique présentée par M. Rémi Féraud et plusieurs de ses collègues.
La réunion est close à 12 h 30.