Jeudi 16 mai 2024

- Présidence de Mme Dominique Vérien, présidente -

Table ronde avec des professionnels de santé sur la santé physique et mentale des femmes dans la rue

Mme Dominique Vérien, présidente. - Mes chères collègues, nous poursuivons nos travaux sur les femmes dans la rue avec les quatre rapporteures nommées par la délégation sur cette thématique : Agnès Evren, Marie-Laure Phinéra-Horth, Olivia Richard et Laurence Rossignol.

La présente table ronde est consacrée aux problématiques de santé physique et mentale auxquelles sont confrontées les femmes en errance.

Parmi les 330 000 personnes sans domicile en France aujourd'hui, on compte 40 % de femmes, seules ou, bien souvent, avec des enfants. Ces personnes sont majoritairement hébergées en centres d'hébergement d'urgence ou en centres d'accueil pour demandeurs d'asile. Ces solutions sont temporaires et incertaines : chaque mois, chaque semaine, chaque soir parfois, il leur faut rechercher une nouvelle place d'hébergement. La nécessité première de trouver un toit pour elles et pour leurs enfants prime sur toutes les autres préoccupations, et notamment sur celle de prendre soin de leur santé.

Parmi les personnes sans domicile, 30 000 personnes, dont environ 3 000 femmes, sont dites sans abri, c'est-à-dire qu'elles passent la nuit dans la rue. Je ne dis pas « dorment dans la rue » à dessein, car ces femmes ne dorment pas. Elles se cachent et sont en alerte constante pour éviter d'être des proies et échapper aux violences - dont sont victimes 100 % des femmes après un an passé dans la rue. Nous pouvons imaginer les conséquences de cet état de veille permanent sur leur santé physique et mentale.

Au cours de nos auditions et de nos déplacements à Paris, à Marseille et en Seine-Saint-Denis, les enjeux d'accès aux soins nous sont apparus essentiels : la rue use, elle provoque un vieillissement accéléré, des troubles liés à une mauvaise alimentation et une dégradation de la santé mentale. Or la plupart des femmes en situation d'errance n'ont pas accès aux soins, ce qui est particulièrement problématique lorsqu'elles sont enceintes ou qu'elles présentent des pathologies graves.

Pour mieux appréhender ces problématiques, nous accueillons ce matin :

- pour l'Agence régionale de santé (ARS) Île-de-France, Luc Ginot, directeur de la santé publique, et Laurence Desplanques, pédiatre, responsable du département Périnatalité, santé de l'enfant, santé de la femme ;

- pour la Ville de Paris, Véronique Boulinguez, sage-femme PMI « Hors les Murs » et Isabelle Susset, sous-directrice Santé des enfants, parentalité, santé sexuelle, de la Direction de la santé publique ;

- pour le réseau de santé périnatale Solidarité Paris Maman (Solipam) Île-de-France, Félicia Joinau-Zoulovits, présidente, cheffe de service de la maternité de Montfermeil, et Clélia Gasquet-Blanchard, directrice ;

- pour Médecins du Monde, Rafika Bekri, facilitatrice communautaire à Nantes, Sylvaine Devriendt, coordinatrice du programme « 4i » (« Impact des lieux de vie informels, instables, insalubres et indignes sur la santé ») à Nantes, et Marion Mottier, référente santé au niveau national.

Bienvenue à vous et merci pour votre présence.

Je laisse immédiatement la parole aux représentantes de Médecins du Monde qui nous dresseront un premier tableau général des problématiques de santé physique et mentale rencontrées par les femmes en situation d'errance, à partir de leur expérience de terrain et d'un programme qu'elles ont mis en place à Nantes.

Mme Marion Mottier, référente santé de Médecins du Monde Direction des Opérations France. - Merci de nous offrir la possibilité de témoigner.

Les équipes de Médecins du Monde constatent au quotidien les difficultés auxquelles les personnes en situation d'exclusion sont confrontées. Parmi elles, les femmes et les minorités de genre font face à des difficultés exacerbées et à un état de santé particulièrement dégradé.

Il n'existe pas de pathologie de la précarité, ni de la vie à la rue, ni du sans-abrisme, mais des facteurs de risque augmentés, des prévalences plus importantes de certaines pathologies, et des sévérités accrues.

Les femmes sans abri sont souvent discriminées, stigmatisées et réprimées. De même, elles sont surexposées aux risques de violences liées au genre, aux risques d'infection par le VIH et aux hépatites et aux grossesses non intentionnelles. Elles ont aussi moins accès à de l'information en santé sur comment se protéger, à une information assez générale, aux dispositifs de protection, de prévention et de présentation en santé sexuelle et reproductive. On constate par exemple que près de neuf femmes sur dix accueillies dans nos programmes n'ont jamais eu accès à un dépistage du cancer du col de l'utérus, ou ne savent pas si elles en ont déjà fait. Elles sont aussi confrontées à un accès compliqué à de l'information sur l'interruption volontaire de grossesse.

Par ailleurs, le logement est un déterminant majeur de la santé. Les impacts des habitats que nous qualifions, à Médecins du Monde d'instables, indignes, informels et insalubres (4i) sont multiples. Par exemple, nous observons dans nos programmes que des femmes n'ayant pas accès à l'eau ou à des toilettes sont plus à risque d'infections urinaires ou de mycoses, parce qu'elles doivent se retenir longtemps avant de pouvoir uriner. De même, lorsque l'accès à l'hygiène, et notamment aux douches, est difficile, nos médecins constatent très fréquemment des infections dermatologiques initialement bénignes, mais qui présentent des stades de surinfection.

La vie sans abri, au contact des déchets ou des sites pollués, expose en outre à un contact privilégié avec des nuisibles qui transmettent eux-mêmes des infections. Elle renforce les pathologies allergiques, dermatologiques, pulmonaires.

De plus, ces sites pollués sont liés à de nombreuses infections, à des contaminations aux métaux lourds, notamment au risque de saturnisme chez la femme enceinte et de conséquences pour les enfants telles que des carences ou un retard de développement.

La vie à la rue expose également davantage aux violences. L'un de nos diagnostics principaux, sur nos programmes, concerne les douleurs ostéoarticulaires ou les traumas physiques persistants après de nombreuses années. Ils n'ont pas, ou ont mal, été traités, en raison de nombreux obstacles à l'accès aux soins, et parce que l'habitat instable ne permet pas un accès aux soins permanents ou durables.

N'oublions pas l'isolement social, l'épuisement psychique. L'incertitude de l'avenir, la dépendance à un tiers, le fait de devoir chercher tous les jours une alimentation, les démarches administratives interminables, le stress, augmentent le risque de pathologies dépressives, de troubles du comportement, d'anxiété, de troubles du sommeil.

Dans nos programmes, nous observons que même lorsque les personnes parviennent à accéder aux soins, les obstacles restent nombreux : les horaires, les permanences de services publiques de moins en moins accessibles, la nécessité grandissante de prendre rendez-vous via des applications numériques, la barrière de la langue bien souvent, morcèlent ces parcours de soins. Les retards de recours aux soins ou les renoncements aux soins sont très importants pour ces femmes. Il en résulte évidemment des conséquences, notamment dans le cadre de pathologies chroniques qui nécessitent des suivis réguliers, telles que le diabète ou l'hypertension artérielle.

Médecins du Monde compte une cinquantaine de programmes en France métropolitaine et en outre-mer. Nous réalisons deux types d'interventions, à commencer par des programmes fixes de type centre d'accès aux soins et d'orientation. Pour accueillir ces femmes, nous essayons de réfléchir à des modalités d'intervention spécifiques, avec des permanences dédiées, des horaires décalés, des systèmes de garderie.

Nous intervenons également à travers des dispositifs mobiles d'« aller vers », notamment sur le programme 4i, qui porte sur l'impact sur la santé des lieux de vie informels, instables, insalubres et indignes. Il vise à créer du lien avec les personnes vivant dans ces habitats précaires, pour répondre à leurs problématiques de santé. L'expérience de terrain a montré qu'il était un levier important à utiliser. Les actions collectives et les groupes de parole permettent de faire émerger les problèmes de santé des personnes, de trouver des solutions avec elles, et de constituer un soutien social pour ces femmes.

Je laisse ma collègue vous en dire un peu plus sur ce programme, avant de reprendre la parole pour quelques recommandations.

Mme Rafika Bekri, facilitatrice communautaire chez Médecins du Monde Nantes. - Je suis facilitatrice communautaire chez Médecins du Monde. J'interviens aujourd'hui pour porter la voix des femmes en général, celles qui souffrent en silence, qu'elles soient enceintes, avec des enfants ou seules, celles qui vivent dans la rue, qui ont besoin de protection et de soins, qui sont convaincues qu'elles font une fausse couche en raison du stress, de l'anxiété, de la tristesse, du froid, de la menace d'agressions sexuelles parce qu'elles n'ont pas d'endroit où s'abriter, celles qui souffrent de diabète, d'un cancer du sein, d'hypertension artérielle. Vous les trouvez dans la rue. Si elles ont mangé le matin, elles ne savent pas si elles trouveront à manger le soir. Si elles dorment quelque part ce soir, elles ne savent pas où dormir demain.

J'ai rencontré une dame qui vit dans la rue et qui souffre de diabète. Elle a suivi un traitement pendant trois mois. L'assistante sociale de la permanence d'accès aux soins de santé (Pass) lui a demandé d'appeler le 115 pour obtenir une chambre, parce qu'elle était très fatiguée. Elle avait besoin de se reposer. Elle a été logée pendant deux semaines par le 115 qui lui a ensuite demandé de libérer la chambre pour la laisser à d'autres personnes. Elle a donc dû partir, même si elle était épuisée. Il n'est pas facile pour une femme malade d'accepter cette situation. Elle souffrait dans la rue depuis un an et demi, sans savoir où aller, ni où dormir, le désespoir, la tristesse et l'amertume dans son coeur.

Moi aussi j'ai été dans la rue, enceinte, avec ma fille. Je me sens comme les autres. Je n'avais rien à manger, pas d'endroit où dormir. Il était très difficile pour moi d'entendre que ma fille avait faim. L'enfant a besoin d'un endroit chaleureux et spacieux pour jouer, pour s'amuser, pour profiter de son enfance. Toutes ces situations sont difficiles, d'autant plus lorsque vous êtes hébergée chez quelqu'un, qu'il contrôle votre vie et vous regarde avec haine, sans raison. Vous n'avez même pas le droit d'utiliser de l'eau, de prendre une douche ou de laver des vêtements. Lorsque vous irez vous coucher, vous dormirez mal, parce que vous entendrez toujours les mêmes mots de sa part, « ce n'est pas vous qui payez les factures ». Vous devez quitter sa maison quand il part le matin et revenir à son retour le soir. Vous l'acceptez, car vous n'avez pas d'autre choix que la rue. Une femme a toujours besoin de quelqu'un qui soit à ses côtés, qui l'aide, lui parle, l'écoute. Moi aussi, j'avais besoin de parler à quelqu'un, jusqu'à ce que je rencontre Médecins du Monde.

À notre première rencontre, je pensais que cette structure travaillait dans le soin des enfants, comme la PMI, mais elle a été là pour moi et pour d'autres personnes. Sa présence régulière dans l'hôtel où j'abritais ma fille m'a permis de sortir de ma chambre, de ma dépression, de ma tristesse. Elle a également aidé toutes les femmes qui ont pu lui parler, parce que quand on peut parler, ça soulage.

Dans la rue, vous trouverez aussi des femmes qui portent des sacs lourds, dans lesquels elles ont rangé toutes leurs affaires personnelles. Elles cherchent un endroit où aller pour trouver des vêtements ou de la nourriture, pour prendre une douche, manger, et aller se coucher. Vous les verrez en train de dormir par terre dans des lieux publics si la météo le permet, ou sous un pont s'il pleut. Certaines ne connaissent pas bien les lieux et seront contraintes de rester dans la rue, trempées.

Le mercredi, aucune association ne fournit de nourriture pour les femmes seules. Alors, nous achetons du pain et le partageons ensemble. Nous le mangeons avec de l'eau afin de satisfaire notre faim.

C'est la vie de la femme dans la rue. Malgré la tristesse, la fatigue, vous pouvez la trouver souriante lorsque vous discutez avec elle. Parfois, vous la trouverez triste, seule, sans que personne ne la voie, surtout pas ses enfants. Elle doit être forte devant eux, mais elle ne pourra pas supporter le froid de la nuit ou la faim. Elle souffrira en silence, honteuse, d'une douleur intérieure que personne d'autre ne verra.

On regarde le courage et la patience de la femme dans la rue.

Mme Marion Mottier. - Au regard de nos expériences des programmes, nous pouvons émettre trois propositions.

La première consiste à agir sur le logement et l'accès à celui-ci comme un déterminant majeur de la santé. Il s'agit de renforcer l'offre d'hébergement et de logement adaptée aux besoins des femmes et des couples. Ils doivent contenir des espaces de vie suffisants, une cuisine, et permettre la prise en compte du conjoint, notamment dans les sorties de postpartum. Il s'agit aussi d'améliorer les conditions de vie sur l'ensemble des squats, bidonvilles et campements, avec une sécurisation minimale de l'eau, de l'hygiène et de l'assainissement. Nous recommandons aussi de mettre un terme aux politiques et pratiques qui alimentent le sans-abrisme et renforcent l'éloignement de la santé, à savoir toutes les formes d'expulsion.

Notre deuxième recommandation consiste à mieux adapter l'offre de soins préventive et curative aux besoins spécifiques des femmes et des minorités de genre sans abri. Là encore, nous y parviendrons en renforçant les moyens attribués aux dispositifs existants, qu'ils soient mobiles - d'« aller vers », de médiation en santé - ou fixes, tels que les permanences d'accès aux soins de santé au niveau des hôpitaux publics, la médecine de ville et les acteurs du médico-social. Il s'agit également de promouvoir et financer les activités de groupe, de renforcer les moyens alloués aux structures de prévention, de soins et de prise en charge, notamment dédiées aux violences liées au genre et l'accès aux interruptions volontaires de grossesse. Il nous faut agir en matière de formation et de sensibilisation des professionnels et assurer une présence des structures de proximité, d'accès aux droits. Celui-ci est essentiel pour l'accès à la santé. Nous insistons ici sur la tenue de permanences physiques, sans rendez-vous. Je le disais, le « tout numérique » constitue une barrière extrêmement importante. Nous avons aussi besoin d'un accès à l'interprétariat professionnel en santé, déployé et sécurisé financièrement, concernant la médecine de ville et, plus largement, les acteurs médicaux sociaux de ville.

Enfin, nous recommandons un décloisonnement des approches, une interdisciplinarité et une intersectorialité, tant au niveau local que départemental ou national. Un enjeu important réside dans le fait de favoriser l'interconnaissance et la coordination de ces acteurs. En effet, il est parfois difficile, même pour les acteurs de terrain, de s'y retrouver. Nous avons également besoin de renforcer l'interministérialité et sa traduction au niveau local sur des problématiques liées au croisement de différentes compétences, notamment en ce qui concerne l'accès à l'eau sur les terrains.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci pour votre intervention et pour ce témoignage.

Je me tourne vers les représentants de l'ARS Île-de-France, Luc Ginot et Laurence Desplanques, qui pourront nous apporter un regard institutionnel et nous présenter les enjeux d'accès aux soins des femmes en situation d'errance, d'un point de vue de santé publique comme d'un point de vue financier. Ils pourront nous exposer les actions menées par l'ARS en matière de prévention (dépistage et traitement du VIH, des hépatites, du diabète, des cancers ou encore des maladies cardio-vasculaires), de prise en charge de la santé périnatale ainsi que de prise en compte des enjeux de santé mentale.

M. Luc Ginot, directeur de la santé publique de l'Agence régionale de santé (ARS) Île-de-France. - Merci pour cette invitation.

Nous allons vous présenter des éléments sur les réponses que nous tentons de mettre en oeuvre, plutôt que des éléments de diagnostic sur lesquels les autres intervenants sont probablement plus légitimes. Nous avons essayé de nous concentrer sur un ensemble couvrant les femmes à la rue, mais aussi les femmes hébergées, en particulier dans les centres d'hébergement d'urgence (CHU), dans les hôtels, etc. De temps en temps, nous nous concentrerons également sur le problème plus spécifique qui concerne les familles en bidonvilles, qui font l'objet d'une politique très spécifique, probablement plus ancienne que la précédente.

Je ne parlerai ici que de l'Île-de-France, étant donné que nous portons une compétence régionale. Je crois en outre que la spécificité francilienne est très importante sur ce champ. Nous le sentons bien lorsque nous discutons avec des collègues d'autres régions.

Commençons par quelques données de cadrage. L'enquête princeps date un peu. Il s'agit de l'enquête Enfams (Enfants et familles sans logement personnel en Île-de-France) lancée avec d'autres partenaires, dont la Drihl (Direction régionale et interdépartementale de l'hébergement et du logement) et la Ville de Paris. Elle a été lancée en 2011 et ses résultats ont été publiés en 2013. Les grandes données qui en sont ressorties ne sont pas surprenantes, notamment en ce qui concerne l'impact en termes de santé mentale et d'absence de couverture sociale.

Nous avons constaté que l'anémie était moins importante que ce que l'on pouvait craindre chez les enfants, mais qu'elle était en revanche beaucoup plus élevée chez les femmes, car les mères mettent en place des processus de protection à l'égard de leurs enfants. Cet élément était assez nouveau par rapport à nos informations précédentes.

Quelles sont les réponses apportées par l'Agence aux enjeux de santé des femmes à la rue et hébergées ? Nous avons tenté de classer les réponses en regardant le dispositif francilien actuel, axé sur la grande précarité en général. Il apparaît que très peu d'éléments de ce dispositif sanitaire et médico-social sont spécifiquement destinés aux femmes. Cependant, de nombreux dispositifs accueillent toutes les personnes en situation de grande précarité, y compris les femmes, qu'elles soient sans abri, hébergées, ou dans d'autres situations précaires. Ce dispositif en Île-de-France est assez dense. Par exemple, nous comptons soixante-huit permanences d'accès aux soins de santé (Pass) hospitalières. Leur utilisation par les femmes varie selon les territoires. Si elle s'établit à 40 % en moyenne, elle atteint 53 % en Seine-Saint-Denis, à Paris et dans le Val-d'Oise, pour des raisons qui restent à analyser : la préparation de cette audition nous a amenés à nous poser des questions auxquelles nous n'avons pas encore de réponses.

Nous présentons également des Pass ambulatoires spécifiques à l'Île-de-France, confiées à des opérateurs municipaux ou associatifs, en dehors du milieu hospitalier. Il semble que leur utilisation par les femmes soit plus importante, pour des raisons qui, là aussi, restent à explorer.

Il existe également des dispositifs tels que les Lits halte soins santé (LHSS), orientés vers la santé des personnes en grande précarité. Ils les accueillent de manière inconditionnelle, indépendamment de l'ouverture des droits sociaux. Ils hébergent des hommes et des femmes nécessitant des soins intensifs. L'utilisation des LHSS par les femmes s'établit à 25 %. Ce taux est supérieur à ce qu'on pourrait attendre par rapport aux personnes vivant dans la rue, ce qui reflète une meilleure orientation vers ces soins. Ces LHSS sont des dispositifs de soins résidentiels. Les personnes y entrent sur prescription médicale et y restent généralement quelques semaines ou quelques mois. En réalité, les séjours sont souvent prolongés, faute de solutions d'aval.

Les Lits d'accueil médicalisé (LAM), quant à eux, offrent des soins plus intensifs, souvent pour des personnes en fin de vie ou en état de santé très dégradé.

Enfin, les Appartements de coordination thérapeutique (ACT) ont été conçus pour les personnes atteintes du VIH, mais ils ont été largement étendus à d'autres pathologies.

Ces dispositifs sont destinés aux personnes nécessitant des soins chroniques de très longue durée. Ils sont théoriquement accessibles sans condition de droits sociaux, ce qui les distingue par exemple des soins de suite et autres dispositifs hospitaliers. C'est pourquoi nous identifions un enjeu majeur dans le financement de l'Ondam (Objectif national de dépenses d'assurance maladie) spécifique : c'est un levier essentiel pour l'accès aux soins et la continuité des soins des personnes en grande précarité.

Dans les discussions du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, vous débattez d'objectifs et de montants financiers répartis en trois grands secteurs : les personnes âgées, les personnes handicapées, et un troisième secteur, appelé « personnes en difficultés spécifiques » (PDS). Ce secteur inclut les LHSS, les LAM et les ACT. Bien qu'il soit crucial pour nous, il représente un enjeu financier mineur à l'échelle de la Sécurité sociale.

Il existe aussi plusieurs dispositifs mobiles, dont certains sont historiques, comme les Équipes mobiles psychiatrie précarité (EMPP). Celles-ci, basées dans les secteurs publics de psychiatrie, ont pour mission de sortir de l'hôpital pour aller vers les personnes sans abri ou hébergées. On compte vingt-trois EMPP en Île-de-France, couvrant désormais l'ensemble du territoire, affichant une file active de 32 % de femmes.

De plus, depuis le Ségur de la santé, nous comptons cinquante-quatre équipes mobiles appelées « mesure 27 ». Ces équipes mobiles médico-sociales comprennent des travailleurs sociaux et des soignants présentant des spécialisations variées. Certaines se concentrent sur la périnatalité.

Ces équipes mobiles ont été progressivement mises en place depuis leur création en 2022. En Île-de-France, cinquante-quatre d'entre elles sont en activité. D'autres créations sont planifiées. Ce déploiement permet une véritable montée en puissance des équipes spécialisées dans le médico-social, qui interviennent auprès des personnes à la rue dans le cadre du service public.

S'y ajoutent sept Pass mobiles, équipes plus médicalisées également créées dans le cadre du Ségur de la santé. Aujourd'hui, elles sont en cours de renforcement avec des équipes plus médicalisées.

Enfin, la Mission Migrants est portée par le Samusocial de Paris. Nous la finançons pour effectuer des maraudes et des interventions rapides et ponctuelles, notamment en cas de présence de campements ou pour accompagner les mises à l'abri organisées par le préfet. Ces équipes, composées d'infirmiers, peuvent intervenir très rapidement, souvent dès le lendemain d'un signalement.

Ainsi, en Île-de-France, nous avons développé un solide réseau d'équipes mobiles relevant d'une gouvernance publique, bien qu'elles soient portées par des associations, des structures hospitalières ou d'autres systèmes.

Vous m'avez demandé de parler de santé mentale. Bien que d'autres intervenants comme Médecins du Monde l'aient déjà abordée de manière démonstrative, il est important de mentionner que les données épidémiologiques de référence datent un peu. Par exemple, Samenta (SAnté MENTale et Addictions chez les sans domicile franciliens), l'étude de référence en Île-de-France, date de 2010. Nous envisageons de la relancer pour obtenir des données plus fines et systématiques.

Les réponses apportées sont généralement polyvalentes. Elles relèvent par exemple des équipes mobiles psychiatrie précarité (EMPP) ou du dispositif « Un chez soi d'abord ». Ce dernier permet un accès direct au logement pour les personnes à la rue souffrant de troubles psychiques. Nous y croyons beaucoup. Il est en train de se développer avec une centaine de places à Paris et bientôt une centaine d'autres dans les Hauts-de-Seine et en Seine-Saint-Denis. Il accueille actuellement 21 % de femmes.

Par ailleurs, nous avons mis en place des mesures structurelles spécifiques à la grande précarité, comme le dispositif des psychologues en accueil hébergement insertion (AHI). En Île-de-France, soixante-dix postes de psychologues ont été pourvus dans les centres d'hébergement pour déployer des prises en charge prioritairement dans les CHU et ensuite dans les CHRS. Dans certains territoires, ces psychologues commencent à s'organiser pour prendre en charge les personnes hébergées en hôtel.

Nous soutenons également de nombreuses actions associatives dans le domaine de la santé mentale.

Vous nous avez interrogés sur l'addictologie. À ce sujet, nous devons être francs. Notre démarche est finalement peu spécifique et peu genrée, à deux exceptions près. La première correspond à un dispositif mobile relevant du réseau d'associations de prévention et de soin en addictologie (DAPSA). La seconde concerne les Équipes de liaison en soins d'addictologie (Elsa). Basées à l'hôpital, elles font le lien entre les consultations, les urgences et tout ce qui concerne l'addictologie. Une de ces équipes, implantée à l'hôpital Cochin, est particulièrement orientée vers le lien entre l'addictologie et la grande précarité, notamment dans le domaine de la périnatalité.

Je souhaite en outre aborder la question du crack, car ce sujet devient particulièrement préoccupant en région parisienne. Actuellement, environ 30 % des consommateurs de crack à la rue sont des femmes, qui se trouvent souvent dans des situations de risque extrême, notamment en raison de leur dépendance à des réseaux dont il est très difficile de les sortir. Nous tentons d'adapter notre réponse à cette problématique, mais les résultats sont variables.

Par exemple, le centre d'accueil de jour situé Porte de la Chapelle a accueilli 3 600 personnes en 2023, dont 379 femmes. Elles utilisaient cet espace de manière plus intense que les hommes.

Nous sommes en train de créer des temps dédiés aux femmes, car nous n'avons pas encore trouvé le mode d'accueil idéal. De la même façon, nous réservons des places d'hébergement pour les consommatrices de crack dans deux équipements. Cependant, cette dizaine de places est généralement sous-utilisée : bien que nous les réservions chaque nuit, elles ne sont pas souvent occupées, parce que les femmes hésitent à échapper à l'emprise des réseaux, particulièrement forte la nuit.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Ces places sont-elles réservées dans les lieux mixtes ou non mixtes ?

M. Luc Ginot. - Nous avons tout essayé : des lieux mixtes et des lieux non mixtes, sans grand succès. Les associations nous indiquent que les lieux non mixtes sont probablement moins utilisés que les lieux mixtes, pour des raisons qui restent à déterminer. Nous travaillons actuellement sur ce point avec les principales associations et la Ville de Paris. De plus, nous mettons en place des parcours dédiés, notamment pour la prise en charge et l'orientation vers des soins en région.

En ce qui concerne les questions de santé sexuelle et de VIH, notre stratégie consiste à soutenir des associations sur des projets polyvalents, en portant une attention particulière aux femmes à la rue ou aux partenariats plus spécifiques. Par exemple, nous entretenons des partenariats spécifiques avec le Samusocial, l'hôpital Bichat et Le Kiosque, travaillant sur les questions de santé sexuelle pour les femmes hébergées à l'hôtel.

Ensuite, le dépistage du cancer du col de l'utérus et du sein est en retard pour l'ensemble des femmes, plus encore pour celles en situation de grande précarité. Nous essayons de profiter d'une récente réforme qui répartit les rôles dans le dépistage du cancer. L'assurance maladie doit prendre en charge le dépistage et l'envoi des invitations aux publics « tout venant », tandis que l'ARS est responsable du déploiement, à travers notre opérateur, le Centre régional de coordination des dépistages des cancers, de l'« aller vers ». Ce processus commence à se mettre en place, en particulier pour le dépistage du cancer du col de l'utérus, qui pose des problèmes complexes de faisabilité.

Permettez-moi d'en venir à la santé périnatale et de vous expliquer pourquoi nous nous concentrons sur la périnatalité et la mortalité infantile. Nous traversons peut-être un moment charnière. La mortalité infantile est un sujet préoccupant en France, particulièrement en Île-de-France, où les données sont alarmantes. Jusqu'à présent, nous savions qu'elle dépassait largement le contexte des femmes à la rue. Elle est en effet influencée par le contexte social, incluant des facteurs tels que le système de soins, les conditions de vie, de travail, de transport et la précarité du logement. Cependant, il semble que l'augmentation du sans-abrisme et des conditions de précarité chez les femmes puisse jouer un rôle plus important dans la mortalité infantile. Les études épidémiologiques antérieures indiquaient que la mortalité infantile était principalement liée à d'autres facteurs sociaux. Aujourd'hui, nous nous interrogeons sur l'impact de la grande précarité.

Nous observons également que les mesures mises en place bénéficient à la fois aux femmes en situation de fragilité sociale et à celles en grande précarité.

Je vais maintenant passer rapidement en revue les cinq points sur lesquels nous concentrons nos efforts.

Le premier point concerne le déploiement des équipes mobiles, avec un « aller vers » qui fonctionne au travers de trois types d'équipes médico-sociales spécialisées. Certaines se concentrent sur la tuberculose, un sujet pertinent pour vos préoccupations, et d'autres sur la périnatalité, avec cinq équipes en place et une supplémentaire en déploiement. Nous soutenons également les équipes mobiles des PMI et diverses associations capables de fournir une aide efficace.

Le deuxième point, que j'aurais aimé détailler davantage, relève de l'adaptation du système de soins. Il ne suffit pas de créer des réponses spécifiques, le système de soins de droit commun doit également être capable de prendre en compte les conditions de vie des femmes en précarité. Deux types d'exemples concrets justifient cette adaptation.

Tout d'abord, nous avons développé des unités d'accompagnement personnalisé dans certaines maternités, celles qui sont les plus exposées à la précarité sociale. Ces unités, financées et mises en place sous la direction de Laurence Desplanques, travaillent spécifiquement avec des femmes cumulant des vulnérabilités, y compris les femmes sans abri. Les résultats récents montrent que ces unités réduisent les taux de prématurité et de césarienne, améliorant ainsi la qualité et les résultats sanitaires de la prise en charge.

J'insiste sur ce point, car en santé publique, il est rare de pouvoir fournir des chiffres démontrant clairement une réelle efficacité des mesures proposées.

Le deuxième dispositif, expérimenté il y a quelques années dans le cadre de la mesure 27 du Ségur de la santé, correspond à l'Hébergement en soins résidentiels (HSR). Ce dispositif, que nous avons implanté à Athis-Mons, accueille des femmes sans droit, sans abri, et sans hébergement, qui sont enceintes ou qui viennent d'accoucher et qui présentent des pathologies lourdes. La prise en charge n'est pas conditionnée par les droits sociaux, ce qui permet d'atteindre les publics les plus en difficulté. Elle permet de tenir compte de l'absence de logement et d'éviter la séparation des fratries grâce à un dispositif couplé avec celui du préfet, situé dans le même centre d'hébergement d'urgence (CHU), dans un contexte de transparence totale vis-à-vis de l'usager. Nous mixons les modes de financement permettant de proposer une aide médico-sociale, sanitaire et d'hébergement.

Ce dispositif permet de répondre à des besoins critiques, car nous traitons des pathologies graves, souvent liées à des violences sévères, des infections VIH, et d'autres conditions médicales complexes. Il constitue une réussite majeure. Nous essayons de le répliquer si les arbitrages financiers nous le permettent, car il fonctionne tellement bien qu'il devient un modèle à suivre.

Ce dispositif est particulièrement intéressant pour nous en raison de sa dualité : il répond, je pense, aux questions soulevées par Médecins du Monde concernant l'intégration des soins et de l'hébergement, en évitant de les séparer.

Le deuxième axe que j'aborderai rapidement concerne le renforcement de la capacité des femmes à exprimer leurs besoins. Nous développons actuellement deux programmes. Le premier concerne la médiation en périnatalité, et rejoint les préoccupations de nos partenaires associatifs.

La médiation vise à faciliter l'intégration par le système de soins des préoccupations spécifiques des femmes. Nous en avons accompagné 536 en 2023. Nous étendons progressivement ce programme aux zones les plus prioritaires. Ensuite, un programme plus ciblé concerne le développement de la littératie en santé périnatale, qui vise à aider les femmes à s'approprier les pratiques, le vocabulaire et les connaissances nécessaires. Ce programme sophistiqué bénéficie de l'appui de collègues en Australie et commence à se déployer.

Comme mentionné précédemment, nous considérons qu'il est du rôle de l'Agence de plaider en faveur des femmes enceintes sans abri. Le plaidoyer implique de mettre en lumière les données pertinentes pour éclairer les politiques publiques, plutôt que de faire du lobbying. En finançant des études comme celle menée sur la nuit du 4 juillet, où nous avons examiné la situation des femmes en Île-de-France bloquées en maternité faute de logement, ou celles vivant dans la rue pour la même raison, nous visons à influencer les politiques publiques.

Je tiens à souligner notre engagement dans les débats sur les politiques structurelles. Deux exemples me viennent à l'esprit. Nous estimons que l'Agence revêt un rôle crucial en fournissant des données pour influencer le Schéma régional de l'habitat et de l'hébergement (SRHH) ainsi que le Schéma directeur de la région d'Île-de-France (SDRIF), auxquels nous contribuons activement.

Nos propositions peuvent parfois être suivies par les décideurs, parfois non ou partiellement. Néanmoins, nous considérons qu'il est important de peser dans ces débats qui ne relèvent pas uniquement de la santé, mais aussi de l'aménagement du territoire, de l'hébergement et des politiques de transport. Nous assumons cette approche globalisée dans une stratégie plus vaste de l'Agence visant à articuler habitat, logement et santé.

Il est également essentiel de prendre conscience des conséquences sur le système de santé périnatal de l'augmentation du nombre de femmes sans abri. Chaque semaine, entre trente et quarante femmes se retrouvent en maternité après leur accouchement, faute d'hébergement. Cette situation est dramatique à la fois pour ces femmes et pour l'hôpital. À l'Hôpital Delafontaine à Saint-Denis, une maternité de niveau 3, un tiers des lits sont occupés par ces femmes. Cette situation contribue à la crise hospitalière. Elle préoccupe non seulement les femmes directement concernées, mais aussi l'ensemble de la société.

Pour traiter cette problématique, nous publions chaque semaine un état des lieux permettant de repérer les pics de surpopulation et les périodes plus gérables, souvent liées à la disponibilité des places. Notre objectif principal est de ne pas spécialiser certaines maternités dans l'accueil des femmes les plus précaires comme à Saint-Denis, Montreuil ou Lariboisière. Nous insistons pour que toutes les maternités de la région prennent en charge ces femmes, leur permettant de rester après l'accouchement faute d'hébergement. Une circulaire a été envoyée par la directrice générale à cet effet, accompagnée d'un webinaire collaboratif pour sensibiliser l'ensemble du système périnatal.

En conclusion, nous avons identifié quatre grandes lignes d'action :

- renforcer nos connaissances des enjeux nouveaux ;

- améliorer notre réponse spécifique à l'ARS, intensifier le soutien aux équipes mobiles et adapter le système de soins, autant de priorités clés dans notre Projet Régional de Santé ;

- soutenir la stratégie de l'État en matière d'hébergement, en déployant des équipes d'accompagnement lorsque des centres d'hébergement pour femmes sont ouverts, et en facilitant l'accueil des femmes orientées en région pour éviter toute rupture de soins ;

- mobiliser activement nos partenariats avec les collectivités locales, les PMI et les départements.

Enfin, nous sommes en phase de reconduction ou de révision des contrats qui lient actuellement l'État aux collectivités, avec l'introduction potentielle d'une dimension spécifique à la grande précarité dans cette contractualisation, sous réserve de l'acceptation des collectivités.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci pour votre intervention et pour la communication de ces chiffres.

Nous allons maintenant nous intéresser aux actions menées par la Ville de Paris afin d'accompagner les femmes enceintes, les enfants et les familles sans abri, avec notamment une « sage-femme volante », Véronique Boulinguez, qui est parmi nous ce matin.

Mme Isabelle Susset, sous-directrice Santé des enfants, parentalité, santé sexuelle, de la Direction de la santé publique de la Ville de Paris. - Je vous remercie d'avoir invité la Ville de Paris pour discuter de notre dispositif spécifique de PMI hors les murs. Actuellement, ce dispositif ne compte qu'une seule sage-femme, mais nous espérons pouvoir le renforcer rapidement. À Paris, la PMI compte environ 500 agents, répartis dans cinquante-neuf centres municipaux et associatifs. Nos équipes sont composées, outre des centres de PMI où interviennent des puéricultrices, auxiliaires de puéricultures, agents techniques, médecins, psychologues et psychomotriciens, de puéricultrices de secteur qui se rendent au domicile des patientes, ainsi que de sages-femmes intervenant en maternité et à domicile. J'insiste sur le terme « domicile », car il est très compliqué d'accompagner les femmes enceintes ou récemment accouchées qui n'en ont pas.

Nous avons mis en place deux dispositifs dédiés aux femmes sans domicile : une PMI hors les murs qui accueille environ 450 personnes par an, et un centre de protection maternelle situé à l'Hôtel-Dieu, où les femmes enceintes sans abri peuvent être suivies jusqu'à trente-deux semaines d'aménorrhée, soit environ huit mois de grossesse. La prise en charge des femmes à la rue s'inscrit dans nos dispositifs dédiés, mais elle devient de plus en plus une réalité pour nos centres de PMI et nos professionnels sur le terrain. Ce constat est évidemment lié au contexte national et parisien marqué par l'augmentation du nombre de personnes sans domicile et par la saturation de l'hébergement d'urgence. Nos équipes nous signalent de plus en plus une forte précarité et des situations complexes, qui rendent le suivi classique de la PMI de plus en plus difficile. Il est par ailleurs plus compliqué de se placer dans une démarche universaliste dans le cadre de la PMI, puisque nous devons de plus en plus nous concentrer sur les femmes les plus précaires. Cette démarche est assez logique, mais également contradictoire au regard de notre objectif.

Nous peinons à documenter l'augmentation du nombre de femmes à la rue. Nous constatons une hausse du nombre de femmes jeunes, voire très jeunes, et de femmes migrantes rencontrant des problématiques de psychotraumatismes. Nous sommes confrontés à des situations d'hébergement contre service, d'emprise, de protecteurs et de prostitution qui entraînent des grossesses non désirées et des risques accrus de VIH et d'infections sexuellement transmissibles. En effet, nous constatons que bon nombre de personnes migrantes arrivent en France sans VIH, mais le contractent après quelques mois sur le territoire.

En matière de santé sexuelle, nous observons une augmentation significative du public très précaire reçu dans nos centres de santé sexuelle, centres gratuits d'information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD), souvent confronté à des violences sexistes et sexuelles. Nos sages-femmes de PMI rencontrent quotidiennement des femmes enceintes à la rue, ce qui rend les visites à domicile impossibles, alors même que cette impossibilité occasionne des risques majeurs pour l'enfant, pour la femme et pour le lien d'attachement entre le parent et son bébé.

Les enfants arrivent souvent en PMI en étant hyperactifs, accompagnés de leur mère épuisée. Ces contrastes sont très compliqués à gérer en termes d'attachement et de positionnement de chacun dans la relation.

Aujourd'hui, entre 20 et 30 % des femmes suivies par nos sages-femmes de PMI sont sans domicile dans les deux tiers de données effectivement renseignées. Dans nos centres, on observe que les mères mettent parfois plusieurs heures pour se rendre à leur rendez-vous en raison de leur éloignement géographique. Elles sont parfois hébergées très loin, mais elles prennent tout de même la peine de se déplacer. Par exemple, une PMI a signalé que 10 % de son public était sans abri, tandis qu'une autre a observé que sur une semaine, trois enfants sur sept accueillis en consultation médicale, puis sept enfants sur quatorze n'avaient pas de domicile. Dans une autre PMI, on a observé que 62 % de mères étaient en situation de rupture d'hébergement ou étaient en centre d'hébergement d'urgence. Je n'ai pas nécessairement pris en compte les PMI rencontrant les difficultés les plus majeures en termes de territoire. Les situations sont très aléatoires à Paris.

À titre d'exemple, nous avons rencontré une jeune mère de 23 ans à la rue qui a dû hospitaliser son enfant de trois mois. Elle a ensuite bénéficié d'un logement par le 115. Depuis, la famille est retournée à la rue. L'enfant est âgé de moins de six mois.

Dans le même temps, nous avons rencontré une jeune femme ivoirienne de 19 ans en maternité à cinq mois et demi de grossesse. Elle dormait à la rue, ou dans des hôtels de banlieue lorsqu'elle avait la chance d'avoir pu contacter le 115. Sa première consultation de grossesse a été très tardive, à vingt-six semaines d'aménorrhée. À trente semaines d'aménorrhée, nous sommes parvenues à faire une sérologie, qui s'est avérée positive au VIH. Nous avons pu orienter cette jeune femme vers le CHU maternel d'Ivry, qui accueille des femmes avec enfants. Elle a pu bénéficier d'un accompagnement par une sage-femme de PMI, d'un suivi psychologique, et d'un lien avec une infirmière pour une PMI spécialisée sur le site. Ces exemples montrent que lorsqu'un hébergement est disponible, la prise en charge des personnes peut être améliorée.

Je vais maintenant laisser la parole à ma collègue pour partager son expérience de terrain.

Mme Véronique Boulinguez, sage-femme PMI hors les murs de la Ville de Paris. - Merci de m'avoir invitée. Je vais vous présenter les actions menées par la PMI hors les murs, ainsi que les difficultés rencontrées. Je me déplace sur l'ensemble du territoire parisien en fonction des besoins : campements, squats, gymnases, maraudes, toujours à la demande de nos partenaires. Je pense notamment à l'unité d'assistance aux sans-abris de la Ville de Paris. J'assure également une permanence hebdomadaire dans quatre accueils de jour.

La précarité, nous le savons, constitue un facteur de risque de mortalité périnatale. Pourtant, trop de femmes enceintes dorment encore à la rue. Cet hiver, j'ai recueilli plusieurs témoignages de mères dormant dans des locaux poubelles avec leurs enfants.

Plus les temps de rue s'allongent, plus les douleurs somatiques liées aux conditions de vie augmentent, s'ajoutant aux signes de psychotraumatismes. Ce qui me frappe le plus, c'est le stress permanent et répété que vivent ces femmes, conduisant souvent à un état anxieux dépressif. C'est d'autant plus vrai que les femmes enceintes voient d'autres mères avec leurs bébés dans les accueils de jour. Elles comprennent alors que la naissance de leur enfant ne garantira pas un hébergement. Nous savons maintenant que le stress chronique a également des effets sur le bébé à naître, compliquant la parentalité et épuisant les femmes.

Chaque situation rencontrée en maraude ou en accueil de jour nécessite généralement d'initier un suivi médical. À Paris, nous avons la chance de disposer de centres médico-sociaux et de PASS (permanence d'accès aux soins de santé) pour orienter les femmes vers les PMI. Cependant, je rencontre de plus en plus de femmes revenant de province, nécessitant de recommencer le suivi médical ou psychologique. Il nous faut souvent trouver une solution de mise à l'abri. Dans ce contexte, le réseau de partenaires est très précieux. Toutes les femmes disposent de mon numéro de téléphone, et elles n'en abusent jamais.

L'ouverture du CPM Cité (Centre de protection maternelle) en 2019 a énormément facilité mon travail. J'assure le premier entretien pour ces femmes enceintes. Elles sont ensuite vues dans les quinze jours suivants. Au CPM Cité, l'accueil et l'attention portée à leurs conditions de vie leur permettent de se sentir vraiment reconnues. Elles apprécient le suivi proposé. Mes collègues de la PMI, que je sollicite régulièrement, m'apportent une aide très précieuse.

Nous faisons sans cesse face à des décalages entre les préconisations médicales et ce que nous pouvons réellement mettre en place. Comment préconiser le repos à une femme enceinte sans hébergement ? Comment remplacer les visites à domicile, si utiles ? Comment suivre les recommandations pour le diabète si la femme ne peut pas cuisiner ou se rendre dans les restaurants solidaires, parce qu'elle est terrorisée par les éventuels contrôles dans les transports ?

Après l'accouchement, les familles sont hébergées pendant trois mois, mais subissent souvent des ruptures. Parfois, au bout d'une semaine, une femme revient avec ses bagages, épuisée, le bébé sous le bras, en attente d'un renouvellement de son hébergement. C'est l'occasion pour moi de revoir son dossier, de vérifier les ordonnances, et de constater que toutes les informations n'ont pas été bien comprises. Les multiples informations administratives et médicales ne peuvent pas toujours être intégrées correctement par ces mamans. Par exemple, certaines femmes n'ont jamais entendu parler de visite postnatale, de rééducation du périnée, ou de frottis. Le mot « contraception » n'est pas toujours compris non plus. Il nous faut réexpliquer et aider à prendre les rendez-vous. Elles ont aussi besoin d'aide pour prendre les rendez-vous.

J'ai la chance que chaque accueil de jour ait accepté de créer un partenariat avec la pharmacie du quartier, ce qui facilite mes prescriptions. Malheureusement, certaines femmes revenant des urgences hospitalières n'ont pas pu passer par la pharmacie centrale, parce qu'elle était fermée la nuit, par exemple. Nous essayons de les dépanner autant que possible pour leur éviter d'avoir à retourner à l'hôpital.

Contrairement aux idées reçues, choisir d'allaiter n'est pas simple, pour de multiples raisons. Ces femmes sont notamment exposées au regard des autres dans l'espace public. La Semaine mondiale de l'allaitement maternel, que je coordonne pour la PMI, mobilise chaque année les professionnels, les accueils de jour, et les centres d'hébergement. Le thème de cette année est de réduire les inégalités et de soutenir l'allaitement pour tous.

La très grande majorité des femmes ont subi des violences sexuelles. Rares sont celles qui ont bénéficié d'un examen gynécologique ou d'un dépistage. Les accueils de jour, où les femmes passent beaucoup de temps, sont des lieux propices pour travailler sur l'information et la prévention. Les ateliers que nous y menons avec l'association Élan interculturel, utilisant une pédagogie non formelle comme le théâtre, captent l'attention des familles en proie à beaucoup de stress.

J'aimerais également attirer votre attention sur la difficulté à rencontrer des travailleurs sociaux. Dans tous ces accueils de jour, les délais d'attente s'établissent à un mois et demi, trois mois, parfois plus. L'instabilité de l'hébergement complique le suivi médical, retardant parfois des interventions chirurgicales en gynécologie. Il est difficile de prendre des rendez-vous sur des applications numériques telles que Doctolib avec des téléphones prépayés. Les femmes accompagnées d'enfants sont parfois refusées en consultation. L'inscription à l'hôpital reste compliquée sans domiciliation ni papiers d'identité. L'absence de solution pour le suivi des femmes arrivant avec un visa, mais sans argent, est problématique. Par ailleurs, la rééducation périnéale avec une aide médicale est souvent refusée en libéral. Les hébergements ne sont pas toujours adaptés pour les femmes sortant de maternité, et l'hébergement en couple n'est pas toujours possible. Parfois, seule la femme peut être hébergée, mais pas son conjoint. Enfin, il m'arrive d'être confrontée à des choix impossibles : si un enfant arrive dans un accueil de jour en ayant la varicelle, doit-on lui demander de sortir pour protéger les femmes enceintes, ou doit-on demander à ces dernières de retourner à la rue ?

Merci pour votre écoute.

Mme Isabelle Susset. - En conclusion, permettez-moi de partager quelques préconisations élaborées avec mes collègues des services.

Il est tout d'abord crucial de favoriser l'hébergement de longue durée pour les femmes enceintes ou avec des nouveau-nés et potentiellement avec leur conjoint. Inspirons-nous du modèle du CHU d'Ivry, qui permet aux femmes de venir avec leurs enfants. Certaines refusent les hébergements proposés si elles doivent être séparées de leur conjoint. Il est essentiel de sécuriser cet hébergement spécifique.

Deuxièmement, il est essentiel d'assurer un parcours de soins dès la sortie de maternité. Les femmes devraient quitter la maternité avec des rendez-vous déjà fixés en PMI, avec un pédiatre pour les premières consultations, et pour pouvoir mettre en place le suivi gynécologique des femmes post-accouchement, souvent négligé, notamment la rééducation périnéale. Si nous ne le faisons pas, nous risquons de les perdre de vue, avec rupture de soins.

Il est également important de renforcer les équipes d'intervention mobile - les équipes « d'aller vers » - et de coordonner les acteurs. En effet, nous sommes nombreux à intervenir, mais nous peinons à répondre à tous les besoins. La coordination est un défi permanent des politiques publiques en France, mais elle reste centrale.

Enfin, facilitons l'accès aux aides et aux transports. De nombreuses aides existent, mais nous pourrions réfléchir à de nouveaux dispositifs comme le « Pass Navigo des mille jours » que suggère Véronique Boulinguez. Les déplacements multiples entre les hébergements, les soins médicaux, les PMI, et les restaurants solidaires deviennent impossibles sans un soutien financier aux transports.

Je vous remercie.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci pour votre intervention.

Enfin, nos dernières intervenantes du réseau de périnatalité Solipam vont nous exposer les problématiques soulevées par l'accès aux soins des femmes enceintes, des femmes ayant récemment accouché et de leurs nouveau-nés, ainsi que les actions menées par Solipam pour mieux les accompagner.

Mme Clélia Gasquet-Blanchard, directrice de Solipam. - Je vous remercie de nous entendre et de l'intérêt que vous portez à ce sujet. Nous vous sommes reconnaissantes de vous préoccuper des violences vécues par ces femmes. Ces situations sont également violentes pour les équipes qui les accompagnent, tant elles peinent à pouvoir avoir une action soignante à destination de ces femmes. Je précise que j'englobe dans le soin ce qui relève tant du travail médical que de l'accompagnement social.

Puisque vous m'en donnez l'occasion, je présenterai succinctement Solipam, les difficultés rencontrées par les femmes enceintes en situation de rue ou d'errance résidentielle - qu'on peut qualifier d'« hyper mobilité » - et ce qu'elles impliquent : l'empêchement des prises en charge qui met à mal les relations de soin ; la dégradation sévère de leur état de santé et de celui de leurs enfants ; et l'assignation de ces femmes à la monoparentalité. Nous reviendrons plutôt sur les recommandations dans le cadre de la discussion qui suivra.

Le réseau de santé Solipam existe depuis 2006 et fait suite au constat de professionnels de terrain inquiets du nombre croissant de femmes enceintes en situation de grande précarité à Paris. En effet, une grossesse à la rue est une urgence médicale.

L'ARS Île-de-France finance la constitution de ce réseau de santé, et n'a eu de cesse de le soutenir. Initialement parisien, ce réseau associatif s'est régionalisé en 2012, pour des raisons liées à l'hyper mobilité notamment.

Il a pour mission la coordination du parcours médico-social des femmes enceintes en situation de précarité, jusqu'aux trois mois de l'enfant né. Cette prise en charge s'effectue par une équipe d'assistantes sociales et sages-femmes travaillant en binôme, en vue d'essayer de sécuriser l'hébergement, l'accès aux droits et le suivi de grossesse. Pour ce faire, l'équipe facilite l'accès et le maintien dans des soins adaptés de la femme enceinte et de son ou de ses enfants et assure le lien entre les différents professionnels et la famille.

Entre 2006 et 2023, la file active croit de même que les difficultés de suivi, en raison d'une mobilité forte à l'échelle régionale de ces femmes. Elle rend de plus en plus difficile leur ancrage dans un lieu, et donc la possibilité d'une prise en charge. La situation que je vous présente est bien en deçà de la réalité actuelle sur le terrain, car le réseau Solipam est loin d'accompagner l'ensemble des femmes qui en auraient besoin.

En 2023, 549 femmes ont été accompagnées pendant en moyenne 175 jours. La file active du réseau comptait 727 femmes, en augmentation de près de 10 % par rapport à 2022.

Les demandes proviennent, pour moitié de femmes qui nous joignent par le biais d'un numéro vert, et pour l'autre de professionnels, en majorité des départements de Paris, de la Seine-Saint-Denis et du Val-d'Oise. À eux seuls, ces trois départements représentent 76 % des demandes. Les principaux professionnels qui nous sollicitent sont les associations, les PMI, les maternités et les services sociaux de secteurs.

Ces femmes sont en moyenne âgées de 29 ans. Elles sont primipares dans 37 % des cas et majoritairement seules ou en couple sans enfant.

Plus de 50 % des femmes présentent des suivis de grossesse sous-optimaux si l'on se réfère aux recommandations de 2022 de la Haute autorité de santé. Ces derniers s'expliquent par un recours tardif aux soins, voire un non-recours aux soins en amont de leur prise en charge par Solipam.

En effet, les femmes sont orientées ou nous contactent aux alentours de vingt-deux semaines d'aménorrhée, soit à mi-parcours de leur grossesse. Ce recours tardif se couple aux difficultés d'accès aux droits, alors qu'elles pourraient bien souvent en bénéficier. 52 % des femmes suivies ne bénéficient d'aucune couverture maladie ; 29 % d'entre elles n'ont pas de domiciliation administrative, alors que celle-ci constitue la première étape essentielle pour accéder aux droits.

La situation d'une vie à la rue empêche le bon déroulement d'une grossesse. Au moment où je vous parle, les possibilités de prise en charge sont toujours plus contraintes. Il est impossible d'héberger en urgence certaines femmes enceintes de plus de sept mois et des nouveau-nés de moins de trois mois, malgré leur « sur-priorisation » selon les critères du 115. Avant sept mois de grossesse et après trois mois de vie de l'enfant, on ne peut rien faire. Nous sommes alors confrontés à des situations de remise à la rue, que vous connaissez très bien.

Le nombre de femmes en situation de rue suivies par le réseau est passé de 38 % en 2022 à 53 % en 2023. Il induit un hébergement chez des tiers, le mode d'hébergement principal des femmes suivies - pour 42 % d'entre elles - à l'entrée dans le réseau. Il s'associe souvent à l'incertitude de sa pérennité - risque de mise à la rue à l'arrivée de l'enfant - et porte son lot de violence : esclavage domestique, entrée forcée dans la prostitution... Les ruptures d'hébergement sont fréquentes ; certaines femmes ont connu jusqu'à quarante hébergements par les SIAO, dont le Samusocial, référencés pendant leur grossesse. Lorsqu'elles sont finalement hébergées par le 115, cet hébergement est morcelé : deux nuits dans le 93, trois nuits à la rue, puis cinq nuits dans le 78... Cette hyper mobilité rend impossible un suivi de grossesse serein.

Cette hyper mobilité a également pour conséquence un suivi de grossesse tardif et tronqué, qui participe à une errance dans le soin. Nous rencontrons des difficultés très sévères à l'inscription en maternité, en raison des « tensions RH » qui y existent. Elles impliquent des transferts en fin de grossesse, quand enfin l'hébergement est stabilisé et qu'un lieu de suivi peut être mis en place.

Ce phénomène occasionne aussi un impact direct pour le système de santé, déjà en difficulté. L'errance force souvent les femmes, en cas de nécessité de soins, à un recours aux urgences, point d'entrée en maternité, sans « parcours coordonné » de soins possible.

Cette dynamique gonfle le flux des services d'urgences où la réponse des soignants ne peut parfois être autre qu'un tri réifiant de patientes déjà en souffrance psychique en raison de leur errance, ce qui met à l'épreuve l'éthique en pratique du soin.

Dès lors, cette dégradation des possibilités d'accompagnement participe aussi aux violences que peuvent vivre ces femmes dans leur relation aux soignants. Surtout, elle entraîne une perte de chance considérable pour la santé de ces femmes et celle du foetus.

Durant la prise en charge à Solipam, 25 % des femmes sont hospitalisées. 23 % affichent un état de santé altéré qui rend leur grossesse à risque : utérus multicicatriciel, utérus polymyomateux à risque de nécrobiose, augmenté pendant la grossesse, hépatite B, diabète de type II, etc. 30 % d'entre elles connaissent des complications médicales durant la grossesse : retard de croissance intra-utérin, prééclampsie, diabète gestationnel et insulinodépendant, difficilement compatible pour son traitement avec une vie à la rue. Le taux de césarienne de cette population, en 2023, s'établissait à 36 %. Il s'élève à 21 % en population générale. Le taux de prématurité s'établit à 13,5 % contre un taux national de 7 %. En 2023, nous avons été confrontés à la réhospitalisation de huit nouveau-nés, à un décès maternel et à quatre morts foetales in utero entre vingt-deux et trente-huit semaines d'aménorrhée.

Ces états de santé physique dégradés sont à mettre en lien avec la dégradation de la santé psychique de ces femmes, encore trop difficilement mesurable pour notre réseau, mais aussi de façon générale. Seulement 65 % des femmes du réseau ont accès à une consultation postnatale. Cette situation est à mettre en lien avec l'augmentation du nombre de femmes victimes de violences conjugales, mais pas seulement. L'enquête DSAFHIR (Droits, santé et accès aux soins des femmes hébergées immigrées et réfugiées en Île-de-France), financée par l'ANR et conduite en 2020, met en avant le fait suivant : dans les violences déclarées par les femmes hébergées dans les hôtels du 115, si une femme sur quatre a connu des violences pendant le parcours migratoire, c'est une femme sur deux qui déclare avoir subi au moins une forme de violence depuis son arrivée en France.

Rappelons qu'aujourd'hui, la première cause de décès maternel, selon la dernière enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles (ENCMM), est le suicide maternel qui représente 17 % de cette mortalité. Les femmes décédées par suicide étaient pour 95 % d'entre elles nées en France. Une femme décédée sur trois était en situation de vulnérabilité sociale.

Sans logement, face à l'impossibilité d'une existence décente, ces femmes ont néanmoins la charge de l'éducation, du travail domestique. Ces situations entravent leur possibilité d'assurer à leurs enfants de grandir sereinement et en bonne santé. Cette situation contribue à créer de l'anxiété, de la fatigue psychique, et entraîne un risque d'entrée dans une dépression post-partum. C'est ce sujet que nous investiguons dans l'enquête Reperes (Recherche sur la périnatalité et l'errance résidentielle) financée par l'ARS et menée avec le Samusocial.

Permettez-moi de vous lire un compte rendu d'observation dans un espace solidarité insertion (ESI) :

« Paris 18e, mars 2022,

En consultation avec une sage-femme :

Femme rencontrée une semaine après son accouchement par césarienne nous raconte : après son séjour à la maternité, elle est hébergée avec sa famille en hôtel 115 à Saint-Ouen-l'Aumône pour trois jours. La chambre n'est pas renouvelée. Elle doit sortir de l'hôtel le matin, six jours après son accouchement. Retour à la rue. À 18 heures, la chambre (la même) lui est de nouveau attribuée, occasionnant un aller-retour Saint Ouen-l'Aumône-Paris-Saint-Ouen-l'Aumône en transport en commun avec ses trois enfants.

Deux de ses enfants sont scolarisés dans le 18e arrondissement. Elle a fait une hémorragie importante à sa sortie de maternité et s'est retrouvée dans l'impossibilité d'emmener ses enfants à l'école, mais aussi d'aller consulter. Elle finit par appeler le 15 qui lui propose de l'hospitaliser. Sans possibilité de faire garder ses enfants, elle refuse. On lui prescrit un traitement.

Le 115 lui a adressé une nouvelle proposition d'hébergement, à Massy-Palaiseau, à plus d'une heure de transport en commun.

Son conjoint est parti, nous dit-elle, fatigué des allers-retours du 115. »

Cette séparation des couples est souvent le fait de contingences liées tantôt à l'invisibilisation du conjoint afin d'obtenir un hébergement pour la femme et les plus jeunes enfants, au départ volontaire du conjoint ou à la mise à l'abri de la femme lors de situation de violence. Elle participe à assigner à ces femmes une monoparentalité éreintante, parfois très risquée. Elle se traduit jusque dans le corps de ces femmes fragilisées.

Dès lors, ce contexte masque que nombre de ces femmes vivent en couple avec leurs enfants. Les conjoints sont présents, essaient de les protéger, d'accompagner leur grossesse. Dans une recherche conduite en 2014, nous avons montré que la présence du conjoint auprès des femmes suivies par Solipam est un facteur protecteur contre le risque de prématurité et de césarienne. Elle est le rempart protégeant la femme durant sa grossesse, souvent en défaut d'étayage social.

En brisant la possibilité de l'intimité familiale, en augmentant la mobilité des femmes, c'est aussi l'enfance entourée et étayée de plusieurs adultes qui est empêchée. Si cette mesure assure une protection initiale contre les violences qu'elles et leurs enfants pourraient subir, elle peut inversement briser beaucoup de familles.

Je conclurai ma prise de parole par les vers de Jeanne Benameur illustrés par la photo d'une jeune fille, Kimora, fière d'être photographiée devant sa mère poussant sa petite soeur, traversant toute l'Île-de-France pour un rendez-vous médical, pour nous rappeler à toutes et tous la poésie des liens qui existent dans la lutte impérieuse de ces femmes qui donnent la vie et l'accompagnent, quelles que soient leurs conditions d'existence.

« L'enfance de nos mères

est une terre sans aveu

nous y marchons pieds nus.

[...]

Trouver pour chaque mot

sa forme véritable

c'était le lent travail

des mères

elles apprêtaient le monde

pour nous.

Nous ne savions rien

de leur besogne silencieuse.

[...]

Aucune carte n'indique

le lieu

elles sont restées

sur les seuils lointains

attentives

comptant les pas qui nous séparent

et puis ne comptant plus

dérobant leur visage

à notre inquiétude.

[...]

En silence

lentement

dans les pages

qu'elles ne liront jamais

nous écrivons

nous habitons. »

Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci à toutes et tous pour votre participation à nos travaux et pour vos propos très éclairants.

Je me tourne vers mes collègues rapporteures. Qui souhaite intervenir ?

Mme Agnès Evren, rapporteure. - Merci infiniment. C'était très riche et éclairant.

Il est insupportable d'entendre qu'avoir un enfant ne constitue pas une garantie pour être abritée.

Je suis élue de Paris. Nous voyons, hélas, de plus en plus de femmes avec leur bébé à la rue. C'est presque devenu normal. Ces situations ont cours dans l'indifférence générale. Il est difficile de s'y résoudre, mais il est vrai que Paris est devenu un lieu de refuge. On y voit de plus en plus de campements, de gymnases et d'écoles se transformer en hébergement, étant donné qu'il n'y a plus de place nulle part.

L'État a donc établi des critères de vulnérabilité qui placent en quelque sorte les différents publics en concurrence. Cependant, il est évident que ces critères de priorité ne sont pas respectés. Comme vous l'avez mentionné, des femmes peuvent être à la rue avec un nouveau-né. C'est inacceptable. Je suis convaincue que nous sommes confrontés à un véritable sujet d'organisation territoriale et de logement, car le problème fondamental relève de la crise du logement.

Mais comment les actions s'organisent-elles avec l'État ? La Ville de Paris doit se charger des enfants de moins de trois ans, tandis que l'État est responsable de l'hébergement d'urgence. Comment cela fonctionne-t-il concrètement ? Je vous interroge en tant qu'élue du 15e arrondissement, d'autant plus que lors de notre précédente audition, le préfet nous avait assuré que tout se passait bien. Recevez-vous réellement l'aide de l'État à Paris ?

Mme Isabelle Susset. - Je ne pourrais pas parler pour mes collègues de la Direction des Solidarités sur le sujet de l'hébergement d'urgence. Sur le sujet de la périnatalité, nous sommes aidés financièrement dans le cadre du Pacte des Solidarités et de l'ancienne Stratégie Pauvreté. Ensuite, ce sont plutôt les professionnels de terrain qui savent qu'ils peuvent trouver une aide à tel ou tel endroit.

Nous travaillons beaucoup avec les associations, et notamment avec Utopia, sur la place de l'Hôtel de Ville, mais pas nécessairement en direct avec les services de l'État. Nous sommes tout de même confrontés à une forte séparation sur le volet opérationnel.

M. Luc Ginot. - J'ai observé un débat classique lorsque j'ai pris mes responsabilités actuelles : l'hébergement des femmes enceintes et des enfants relève-t-il d'une responsabilité locale au titre de la PMI, ou au titre de l'hébergement ? Le préfet et l'ARS ont considéré qu'il était largement nécessaire de dépasser ce débat et ne pas s'enfermer dans un jeu de ping-pong, de renvoi des responsabilités qui peut exister dans certains endroits.

En réalité, je crois que le préfet met en oeuvre une politique d'hébergement avec les moyens dont il dispose. Les équipes de PMI interviennent à Paris comme en Seine-Saint-Denis, comme ailleurs, en complément, de manière logique. L'ARS essaie d'assurer la jonction sur les questions qui relèvent de sa propre compétence. À mes yeux, le débat qui voudrait dire que « ce n'est pas moi, c'est l'autre » n'est pas au premier plan des discussions politiques en Île-de-France.

Mme Agnès Evren, rapporteure. - J'ai souvent entendu Anne Hidalgo, la maire de Paris, dire qu'elle ne pouvait rien faire, parce que le sujet relevait de l'État, qui ne fournissait pas les financements nécessaires pour éviter le déploiement de campements indignes d'une ville comme Paris.

M. Luc Ginot. - Je pense que les services suivent actuellement une approche concertée pour répondre à une préoccupation commune qui concerne à la fois le système de santé, les femmes, le système d'hébergement et l'ensemble du champ social. En tout cas, je n'ai jamais entendu, de la part des services de l'État, une déclaration affirmant que l'hébergement des femmes enceintes et des nouveau-nés ne relevait pas de leur compétence. Ensuite, il existe bien évidemment des compétences institutionnelles et des politiques publiques spécifiques.

Mme Marion Mottier. - Je rappelle que Médecins du Monde agit sur tout le territoire métropolitain et en outre-mer, pas uniquement en Île-de-France. Notre troisième recommandation concerne un enjeu crucial : renforcer l'approche partagée qui fonctionne sur certains territoires, mais qui n'est pas présente à un niveau suffisant sur d'autres. Nous identifions des défis significatifs en termes d'hébergement, d'accès à l'eau, d'hygiène et de sanitaires.

Cette réalité territoriale de l'Île-de-France n'est pas uniformément partagée sur le reste du territoire.

Mme Katell Olivier, coordinatrice régionale Médecins du Monde Pays de la Loire. - Je suis coordinatrice régionale pour Médecins du Monde en Pays de la Loire. Suite à une recherche scientifique dirigée notamment par Giulio Borghi, interne en santé publique, nous avons rencontré le conseil départemental de Loire-Atlantique, la Ville de Nantes, le CHU, l'ARS et la préfecture.

Nous avons eu des entretiens séparés avec chacun de ces interlocuteurs, et avons réfléchi avec eux ainsi qu'avec les femmes concernées, récemment accouchées ou enceintes et accueillies dans les structures 4i mentionnées précédemment. Au cours de nos réflexions collectives, nous avons convenu qu'il était indispensable de travailler ensemble. Nous avons pu partager à la fois les connaissances et les lacunes de chacun quant aux actions menées et à développer.

Nous avons réussi à réunir tous les acteurs autour de la table. Il y a un an, nous avons décidé que le Commissaire de lutte contre la pauvreté coordonnerait la réflexion et les actions visant à fournir des solutions aux femmes enceintes ou récemment accouchées vivant dans la rue, pour les années à venir. Ce travail est donc en cours avec les parties prenantes et une personne dédiée à cette coordination.

Nous avons commencé à déléguer. Nous partageons les réflexions en cours. Ce décloisonnement est absolument essentiel, et constitue certainement un exercice à long terme.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Madame Boulinguez, j'ai été très émue de voir le reportage dans lequel vous apparaissez sur France 5. En vous regardant, j'ai été frappée de constater qu'en toute circonstance, quelles que soient les conditions de vie de la mère, l'arrivée d'un enfant est merveilleuse. Il émanait de vous un rayonnement dans votre manière de vous adresser à la mère. Malgré toutes les difficultés rencontrées, vous manifestiez toujours le bonheur de l'arrivée de ce bébé. C'était extrêmement touchant.

Au-delà des coordinations, ma question concerne les services internes à notre collectivité. Depuis que nous travaillons sur le sujet, je m'interroge au sujet d'un grand absent dans le débat. Où est l'Aide sociale à l'enfance (ASE) ? Elle relève aussi de la compétence des départements, tout comme la Protection maternelle et infantile (PMI). Cette dernière la remplace-t-elle ? Est-il finalement préférable que l'ASE ne s'implique pas ? En effet, il me semble dramatique d'élever un enfant à la rue, mais je ne pense pas que la pouponnière et la séparation de la mère et de l'enfant soient judicieuses. Protégez-vous les mères d'une éventuelle intervention directive de l'ASE qui requerrait un placement rapide ? Où est l'ASE dans le collectif que vous formez autour de ces mères et de ces enfants ?

Mme Isabelle Susset. - Je vous répondrai d'abord de manière institutionnelle, puis je laisserai mes collègues de terrain intervenir.

La PMI a parmi ses missions la protection de l'enfance, en lien avec l'Aide l'enfance (ASE). On en parle peu, parce que nous adoptons une approche universaliste. Nous n'avons pas pour objectif de surveiller les familles. Cependant, cette mission fait partie des compétences légales de la PMI. En tant que professionnels, nous avons pour obligation de signaler des informations préoccupantes et de procéder à des évaluations.

Par ailleurs, les informations préoccupantes pour les enfants de zéro à 6 ans sont traitées en collaboration avec les services sociaux et l'ASE, conformément aux compétences légales de la PMI. Notre objectif n'est pas forcément de retirer les enfants à leurs mères, mais de fournir tout l'étayage possible en amont. Celui-ci peut inclure des aides avant même qu'une situation ne devienne préoccupante : fournir des Travailleurs en intervention sociale et familiale (TISF), financer des travailleurs sociaux, et organiser des visites régulières à domicile par des puéricultrices et des sages-femmes. Nous offrons diverses aides pour éviter d'en arriver à des informations préoccupantes. Je parle ici de manière générale, pas uniquement des femmes à la rue. Quand la situation de l'enfant et de la famille le nécessite, nous intervenons.

En PMI, nous travaillons également avec l'Hôpital Mère Enfant de l'Est Parisien, qui propose des hospitalisations pour les mères et les enfants afin d'éviter la séparation en cas de fragilité psychique majeure de la mère. De nombreuses initiatives institutionnelles existent pour la protection de l'enfant. Bien que ce ne soit pas notre premier objectif, nous oeuvrons donc en faveur de la protection de l'enfance. Ce n'est pas parce qu'une femme est à la rue que nous allons automatiquement faire une information préoccupante, mais cela peut arriver.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Si je comprends bien, le fait pour un bébé d'être à la rue n'est pas en soi un motif pour transmettre une information préoccupante.

Mme Véronique Boulinguez. - Il est essentiel d'avoir des inquiétudes bien fondées concernant le lien mère-enfant avant de transmettre une information préoccupante. Sinon, nous en ferions beaucoup trop. Cependant, nous utilisons volontiers les demandes de prise en charge par l'ASE. Elles sont souvent formulées par les travailleurs sociaux dans les accueils de jour. Elles occasionnent une prise en charge à l'hôtel avec un accompagnement social spécifique par le service social de secteur pour des familles nécessitant un suivi particulier. Bien sûr, elles ne peuvent pas être demandées pour toutes les familles, mais elles constituent une possibilité en cas de préoccupations.

Je me fais beaucoup aider par l'équipe famille de l'unité d'assistance aux sans-abris, qui travaille intensivement sur la protection de l'enfance pour les familles en errance. Dans ces cas, il peut être décidé de signaler une information préoccupante, voire de mettre en place un placement. Heureusement, ce n'est pas notre quotidien.

Mme Sylvaine Devriendt, coordinatrice du programme « 4i » de Médecins du Monde Nantes. - Je travaille pour Médecins du Monde à Nantes. Je suis impliquée dans un programme visant les situations de logement indigne, insalubre, instable et informel. En Loire-Atlantique, le conseil départemental soutient le dispositif Femmes isolées avec un enfant de moins de trois ans à la rue (Fieer), destiné aux femmes isolées enceintes sans domicile ou avec un enfant de moins de trois ans. Ce dispositif finance plusieurs associations qui offrent un hébergement temporaire aux mères avec de jeunes enfants. Cependant, comme mentionné précédemment, les pères ne sont pas inclus dans ces dispositifs, ce qui pose problème, car ils ont un rôle crucial à jouer en tant que parents.

Actuellement, nous sommes confrontés à un manque criant de places disponibles. Elles ne répondent pas aux besoins globaux du territoire. Il en faudrait davantage. Le conseil départemental s'investit activement dans ces questions. Il participe à une cellule famille qui se réunit deux fois par mois avec l'hôpital, la préfecture et le SIAO pour évaluer la situation des femmes sortant de la maternité, celles qui y sont encore ou qui sont hébergées dans des structures temporaires avant de trouver un logement pérenne.

En outre, les mamans expriment une appréhension importante lorsqu'elles sont hébergées dans des hôtels du 115. Elles se sentent obligées de se faire discrètes de peur que leur enfant ne leur soit retiré à cause de leur situation de sans-abrisme. Cette crainte ressurgit à certains moments de l'année.

Nous avons récemment été confrontés à un cas de placement d'un bébé à la maternité, après une période d'observation de deux semaines par l'hôpital, en raison de problèmes particuliers. Les placements d'enfants sont extrêmement rares. Les conseils départementaux manquent souvent des moyens nécessaires pour fournir un soutien adéquat aux familles.

Nous rassurons les mères en leur expliquant que séjourner à l'hôtel et ne pas disposer d'un hébergement viable n'implique pas automatiquement un placement de leur enfant. En général, la réalité montre plutôt que les enfants qui subissent des violences restent souvent au sein de leur famille. Les placements hors du foyer familial sont rares dans notre département, bien que la situation soit critique. Cependant, le conseil départemental maintient fermement qu'il est primordial de préserver l'unité parent-enfant, même dans des conditions de logement précaires. Aucun placement n'est prononcé parce qu'il n'y aurait pas des conditions adéquates d'accueil de l'enfant.

Mme Clélia Gasquet-Blanchard. - Je rejoins mes collègues. Nous avons été confrontés à des situations où des enfants ont été placés en pouponnière et où des allaitements ont été arrêtés. À Solipam, nous nous interrogeons beaucoup, car il semble que ce risque pour l'enfant ne soit pas dû à une incompétence maternelle. Placer ces enfants reviendrait à stigmatiser à nouveau ces femmes comme incapables d'être mères. En tant qu'acteur engagé dans l'éthique de nos pratiques, ce sujet nous préoccupe profondément quant à la mise en cause des compétences maternelles de ces femmes, alors que la problématique de fond est ailleurs.

L'Aide sociale à l'enfance est souvent influencée par l'orientation politique des conseils départementaux. Ainsi, à l'échelle régionale, nous ne sommes pas certains de recevoir le même accueil si nous devons signaler une situation préoccupante. Cela rend notre positionnement très délicat.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - C'est d'autant plus vrai que les mères que vous accompagnez sont souvent des étrangères en situation irrégulière. Les différents conseils départementaux n'appliquent pas la même politique d'accueil à l'égard de ces populations.

Mme Véronique Boulinguez. - Je précise qu'il est arrivé que des mamans supplient que l'on prenne leur enfant parce qu'elles sont épuisées. Il est terrible d'en arriver là. On cherche alors une place d'hébergement en urgence, pour pallier cette fatigue maternelle.

Mme Marie Mercier. - J'ai été maire d'une commune comptant un centre maternel et un foyer d'aide sociale à l'enfance. Malgré une alternance, la même politique a toujours été en vigueur, tant au sein de la commune que du département. Nous avons tous essayé de faire au mieux.

La photo qui est restée projetée après votre intervention, Madame Gasquet-Blanchard, me semble trancher avec le tableau de chiffres, projeté précédemment par l'ARS. Nous voyons ce paradoxe entre la vie, votre bienveillance, votre bonne volonté, tout ce que vous essayez de faire sur le terrain, et la suradministration caricaturale qui est en train de faire contagion dans notre pays depuis des années. Cette dernière a un coût. L'argent dépensé dans certains domaines ne le sera pas ailleurs.

Comment faire pour que, dès le départ, moins de personnes soient dans la rue ? Il nous faut en effet travailler à la source. Comment faire pour que les choses s'améliorent ?

Vous avez commencé à donner une explication en annonçant ce que vous mettez en place avec un coordonnateur. Simplement, n'allons-nous pas monter un comité administratif et ne plus avoir personne sur le terrain pour soigner, écouter, traiter et évaluer les politiques publiques ? C'est ce que nous faisons généralement en France. Ces constatations sont très insatisfaisantes. La situation ne s'est pas améliorée. Les cas que nous évoquons aujourd'hui augmentent. Vous n'y êtes pour rien, mais comment les corriger au mieux ?

Avons-nous besoin de moyens humains, de professionnels, de psychologues, de psychiatres, de médecins, de travailleurs sociaux ? Nous avons besoin de logements. Nous constatons les manques, mais vous, de votre côté, identifiez-vous des actions simples qui permettraient des passerelles plus rapides pour ces prises en charge ?

M. Luc Ginot. - Il m'a semblé normal de vous rendre compte, avec des chiffres, de ce que nous faisons de l'argent que vous nous attribuez.

Les expériences que nous présentons ici résultent souvent de propositions de l'administration ou de ses efforts pour décloisonner les services et sont toujours le fruit de discussions entre l'administration, les structures locales, et les collectivités. Vous pouvez constater une certaine fluidité dans notre collaboration.

Le projet Confluence d'Athis-Mons, que j'ai mentionné, illustre cette démarche. Cette expérience est le fruit d'une collaboration entre des acteurs associatifs et des collègues de l'agence, notamment Laurence Desplanques, présente à mes côtés : une question soulevée par les associations a été résolue conjointement par les services de l'État et l'ARS. La solution que nous avons inventée fonctionne. Nous couvrons plusieurs domaines, y compris la tuberculose et d'autres sujets que nous n'avons pas abordés aujourd'hui. Ainsi, nous utilisons les moyens que vous nous fournissez pour trouver de telles solutions.

C'est pour cette raison que j'ai mentionné l'Ondam, car nos actions dépendent des ressources que vous, les représentants nationaux, nous attribuez.

Notre rôle vise également à vous informer de nos difficultés et de l'absence de certaines réponses que nous cherchons encore.

Mme Félicia Joinau-Zoulovits, présidente du réseau de santé périnatale Solidarité Paris Maman (Solipam) Île-de-France, cheffe de service de la maternité de Montfermeil. - Je suis gynécologue obstétricienne, chef du service de gynécologie obstétrique à Montfermeil en Seine-Saint-Denis. Je suis également présidente de l'association Solipam.

Je me permets d'appuyer l'intervention de l'ARS. Les regards croisés avec une administration à l'écoute des besoins du terrain nous sont utiles. Je n'interviens pas par démagogie aujourd'hui. Je suis un vrai acteur du terrain. J'assure des gardes et j'ai mis en place de nombreux dispositifs financés et élaborés avec l'ARS. C'est notamment le cas des unités d'accompagnement personnalisé dont Luc Ginot a parlé précédemment.

Vous le savez, l'hôpital public manque cruellement de moyens humains et d'attractivité pour faire venir des sages-femmes, des infirmières, des auxiliaires de puériculture, des médecins, qui veulent travailler de manière durable sur le terrain. Nous manquons d'effectifs qui prennent le temps de prendre en charge ces patientes.

Grâce aux échanges que nous menons avec l'ARS, et grâce à sa confiance, nous avons pu proposer des consultations plus longues, développer l'interprétariat, former les équipes au dépistage des vulnérabilités et des violences faites aux femmes. Nous avons pu prendre ce temps que nous n'avons pas habituellement en médecine, mettre en place des entretiens prénataux et postnataux précoces, dans une maternité au sein de laquelle nous étions exempts de moyens humains et financiers.

Personnellement, je me demande si l'État français veut vraiment accueillir des femmes migrantes. Il n'existe que très peu de liens entre la Drihl et le ministère de la santé. Nous parlons de logement ce matin. Pourtant, nous sommes tous des acteurs de la santé. Les vraies problématiques relèvent du logement et des financements alloués aux systèmes de soin.

Sur le terrain, nous donnons notre coeur, notre vie à nos métiers. L'État nous suit-il vraiment dans nos actions ?

Mme Marie Mercier. - L'ARS, c'est l'État.

Mme Katell Olivier. - Nous portons largement un enjeu de sécurisation de l'existant. Il est essentiel de trouver un équilibre entre les expérimentations et les innovations, fondamentales, mais aussi les moyens à donner à l'existant. Nous devons sécuriser les équipes, les professionnels qui interviennent sur le terrain. L'innovation ne doit pas être la réactivation d'actions qui ont été éteintes cinq ou dix ans auparavant, au risque d'épuiser les professionnels et les bénévoles, et de créer en permanence des ruptures dans le parcours des personnes engagées ou accompagnées. À un moment donné, les dispositifs s'arrêtent, et ce dont elles peuvent bénéficier s'écroule.

Parmi les pistes de réflexion, je recommande en outre de s'appuyer sur l'expertise et les compétences des personnes concernées. Cette réflexion commune permettra de répondre au plus près de leurs besoins. Parfois, on déploie beaucoup d'énergie à développer des réponses qui ne sont pas appropriées.

Enfin, on a beaucoup parlé ce matin de la démultiplication du « aller vers ». Si cette démarche est fondamentale, il est essentiel de s'interroger : aller vers où ? Où oriente-t-on ces personnes ? Nous avons également évoqué l'enjeu du droit commun et la vigilance à ne pas créer des circuits parallèles pour ne pas perdre les concernés, les professionnels et les bénévoles. Nous avons une vraie réflexion à mener à court, moyen et long termes, de manière sécurisée dans la durée pour éviter toute rupture des parcours.

Mme Olivia Richard, rapporteure. - Merci infiniment pour vos témoignages, votre expertise et vos expériences.

Nous avons effectué plusieurs déplacements et je n'ai pas l'impression d'avoir observé une suradministration entraînant une perte de moyens. En revanche, comme certains d'entre vous l'ont dit, nous sommes confrontés à une multiplication des acteurs. Il en résulte un besoin de pilotage.

À Marseille, nous avons visité un centre mis en place par plusieurs associations spécialisées dans différents domaines. Elles se sont regroupées pour accueillir de manière flexible des femmes et des enfants. Cela montre bien la nécessité d'un pilotage et d'une mise en commun des expériences et des compétences spécialisées.

Vous avez abordé de nombreux sujets, et nous pourrions en parler toute la journée, mais je vais me concentrer sur quelques points. Lors de notre visite en Seine-Saint-Denis pour rencontrer vos collègues de Médecins du Monde, les difficultés d'accès à l'Aide médicale d'État (AME) nous ont été largement évoquées. Elles ne se limitent pas au tout numérique, mais incluent aussi des barrières administratives : la validité d'une seule année renouvelable, nécessitant des démarches constantes, l'absence d'attestation de dépôt de demande, et un délai moyen de deux mois pour aboutir. À cela s'ajoutent la barrière de la langue et la littératie en santé. Pouvez-vous nous en parler davantage ?

Monsieur Ginot, vous avez mentionné des chiffres concernant le programme « Un chez soi d'abord » à Paris, avec seulement 21 % de femmes prises en charge. Pourquoi 79 % des bénéficiaires sont-ils des hommes ? Nous avons rencontré des personnes qui n'ont pas seulement besoin d'un hébergement d'urgence, mais d'un hébergement durable. Pourquoi les femmes avec enfants, disposant d'un titre de séjour régulier, et éventuellement de sources de revenus grâce à leur conjoint, ne sont-elles pas prioritaires pour de tels dispositifs ? Des critères spécifiques sont-ils pris en compte ?

Enfin, vous indiquiez que les femmes enceintes se présentent en moyenne à vingt-deux semaines de grossesse. Je m'interroge donc s'agissant de l'accès à l'avortement. J'imagine que ces personnes sont confrontées à un retard dans la connaissance de leur grossesse.

Nous avons rencontré de nombreuses femmes lors de notre visite à l'Hôpital Delafontaine. Ce n'est pas nécessairement un réflexe, pour elles, de penser à l'avortement dans ces situations. Cependant, quand on a déjà deux enfants, qu'on vit à la rue et qu'on ne sait pas comment les nourrir, une troisième grossesse n'est pas toujours une bonne nouvelle. Identifiez-vous des actions à mener dans ce domaine ?

Mme Marion Mottier. - Je sais que mes collègues de Saint-Denis vous ont déjà beaucoup parlé de l'AME. Il ne faut pas oublier qu'en France, l'accès au soin est d'abord conditionné à l'accès au droit. Il s'agit de la première barrière pour la plupart des publics que nous rencontrons. L'AME en est une illustration. Les pratiques sont très variables d'un territoire à l'autre et d'une caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) à l'autre.

La barrière numérique peut poser des difficultés, car il faut de plus en plus passer par un standard téléphonique, souvent très long. Vous mentionnez également les pièces complémentaires demandées par certaines administrations qui ne sont pas listées dans les documents initiaux. Ces demandes fréquentes sont souvent rapportées par nos programmes. Elles concernent notamment des papiers d'identité. Les pratiques varient considérablement d'une CPAM à l'autre, entraînant de nombreux retards dans l'accès à l'AME.

Une fois que les personnes obtiennent cette aide, le panier de soins est limité, certains soins sont soumis à un délai de carence de neuf mois. L'AME doit être renouvelée annuellement. Il existe beaucoup d'idées fausses qui voudraient que l'AME permette la prise en charge des soins de type cure thermale.

Il est crucial d'en avoir conscience. Je pense notamment à une dame souffrant d'un traumatisme au genou qui n'a jamais été soigné, et qui a dû attendre les neuf mois du délai de carence pour obtenir une prise en charge chirurgicale. Pendant cette période, seuls quelques bilans sanguins et démarches préliminaires pouvaient être effectués, mais la chirurgie elle-même était conditionnée par ces neuf mois d'attente. Ce constat pose vraiment la question d'un possible allongement du délai de l'AME.

Une nouvelle réforme de l'AME est en discussion, chez Médecins du Monde, nous restons vigilants et nous sommes préoccupés par certaines propositions allant vers plus de restriction de ce dispositif.

Mme Clélia Gasquet-Blanchard. - La question de l'avortement se pose évidemment. Nous accompagnons les femmes qui le souhaitent. Nous l'évoquons également lorsqu'elles se présentent à nous en dehors des délais légaux. Nous avons pu procéder à des accompagnements d'IMG (Interruption médicale de grossesse) pour de grandes détresses maternelles.

Bien souvent, ces femmes ne réalisent pas qu'elles sont enceintes. Elles sont psychiquement mobilisées ailleurs. Lorsqu'elles vivent à la rue, avec plusieurs enfants, entre deux hébergements, elles n'ont pas accès à la contraception. Leurs conditions d'existence ne les aident pas à y penser.

Nous les accompagnons lorsqu'elles le souhaitent, mais un avortement représente pour certaines femmes en situation de grande errance une fin de prise en charge, parce qu'elles ne sont plus enceintes, et donc plus prioritaires. Nous rencontrons cet obstacle dans le cas de fausses couches également. Il arrive que des femmes sortent d'un hébergement d'urgence parce qu'elles n'appartiennent plus à un public prioritaire, juste parce qu'elles ne sont plus enceintes. Ce sujet nous inquiète beaucoup, bien qu'il ne nous empêche évidemment pas de parler d'avortement.

Parfois, ces femmes ne souhaitent pas avorter, parce que la grossesse est une bonne nouvelle, un élan de vie et d'espoir malgré les conditions de grande précarité. Cet élan de vie peut être plus fort que toutes les difficultés.

En revanche, nous vous indiquions que nous rencontrions souvent ces femmes à vingt-deux semaines d'aménorrhée. Dans ce contexte, nous sommes toujours en situation de gérer l'urgence, alors même que nous pourrions mettre en place des pratiques préventives bien plus tôt. Nous essayons d'y travailler, mais c'est très compliqué.

Dans les CHU périnataux, au sein desquels 1 000 places d'hébergement ont été créées pour ces femmes, les professionnels de santé observent des états de santé dégradés. En effet, les directeurs de ces centres nous indiquent rencontrer beaucoup de femmes post-partum avec des nouveau-nés présentant des petits poids de naissance, des retards de croissance intra-utérins, une grande prématurité. Ce constat s'explique par le fait que nous ne parvenons pas à faire des femmes enceintes une priorité lorsqu'elles sont en situation de précarité.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Quand on voit la somme des consignes données aux femmes enceintes actuellement et le décalage avec les femmes à la rue, il n'est pas étonnant que les bébés présentent de tels problèmes de santé dégradée.

Je précise que la position de notre collègue Marie Mercier sur la question de la suradministration est la sienne, et non celle de l'ensemble des membres la délégation. Nous réclamons en permanence des pilotages nationaux. Les politiques sociales, médico-sociales et sanitaires ne relèvent pas d'une forme de darwinisme « social ». La République exige des politiques d'État pour répartir les moyens de façon égalitaire sur le territoire. Nous saluons le travail de l'ARS en la matière.

Madame Joinau-Zoulovits, vous demandiez si l'État voulait vraiment accueillir les femmes migrantes. En tant que sénatrice de l'opposition, je ne le pense pas. Il craint un appel d'air : les femmes arriveraient intentionnellement en France en étant enceintes, ou y commenceraient une grossesse pour faire venir leurs proches. Je rapporte ici les fantasmes sur l'immigration que l'on entend à longueur de temps, qui se traduisent dans les politiques publiques.

M. Luc Ginot. - Le dispositif « Un chez soi d'abord » est le seul dispositif qui permet un accès direct au logement. Il nécessite des droits ouverts. Il exclut donc les personnes sans papiers et ne prend en compte que les « SDF classiques » que l'on peut imaginer dans une représentation simpliste. Cette population compte plus d'hommes que de femmes. Dans ce contexte, un taux de 21 % de femmes me semble déjà important. Je prends tout de même note de votre remarque, car nous n'avions pas approfondi ce point. Historiquement, ce dispositif vient de l'étranger et est adapté. Il fonctionne très bien pour de grands SDF souffrant de pathologies mentales, lorsqu'ils sont à la rue depuis longtemps, mais qu'ils ont des droits ouverts.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Disposons-nous de comparaisons avec d'autres pays sur l'accueil des migrants ? On parle souvent du Canada, qui serait une terre d'immigration. Je vois pourtant que ce pays n'est pas nécessairement plus solidaire que la France peut l'être. Pourtant, il ne subit pas les mêmes critiques que celles qui nous sont adressées. Quelles comparaisons pouvons-nous établir entre ce qui se passe chez nous et ailleurs, spécifiquement en ce qui concerne les femmes ?

Par ailleurs, pouvez-vous m'en dire davantage sur l'impossibilité de prendre un rendez-vous sur Doctolib avec un téléphone prépayé ?

Enfin, je retiens l'idée du Pass Navigo des 1 000 premiers jours dans un contexte d'hypermobilité des personnes en errance. Public Sénat a d'ailleurs réalisé un reportage montrant que cette mobilité permanente ne leur laisse pas le temps de faire autre chose que de se déplacer pour trouver un repas, un logement, une douche. Cette proposition a-t-elle déjà été envisagée à la région ?

Mme Véronique Boulinguez. - S'agissant de votre dernière question, je ne le pense pas.

Ensuite, les téléphones prépayés sont souvent très sommaires et ne permettent pas d'y installer des applications accessibles par Internet. Par ailleurs, une certaine part de ces femmes ne maîtrise pas le français et n'est pas en mesure de le lire ou l'écrire. Il est compliqué de prendre des rendez-vous sur Doctolib dans ce cadre. Or de plus en plus de services demandent désormais de recourir à cette application ou ce site Internet.

Mme Marion Mottier. - Il me semble que le Pass Navigo était par le passé inclus dans le panier de soin de l'AME en Île-de-France, mais qu'il en a été retiré. Je pourrai me renseigner pour plus d'informations à ce sujet.

Mme Véronique Boulinguez. - Il existe encore, mais n'est pris en charge qu'à hauteur de 50 %. Le bénéficiaire doit tout de même payer le reste à charge.

M. Luc Ginot. - L'AME donne droit à une réduction sociale.

Nous sommes en train d'étudier les dispositifs de la loi immigration relatifs aux transports. Je ne sais pas si cette question a été affectée par la décision du Conseil constitutionnel. En tout cas, je sais que l'accessibilité au Pass Navigo à prix réduit pour les personnes bénéficiant de l'AME a fait l'objet d'un débat francilien.

Mme Marion Mottier. - Je me permets de rebondir sur les téléphones prépayés. Cette question est liée plus largement au recours aux soins selon l'endroit d'où nous venons. On a tendance à reproduire ce qui nous a été enseigné, ou ce qu'on a vu nos parents faire. Ils prenaient des rendez-vous et on a appris à le faire également. Par ailleurs, le recours aux soins est différent en fonction des pays d'où l'on vient. Dans de nombreux pays, il relève de l'urgence : les individus se présentent physiquement sur le lieu de prise en charge et font la queue. Comment donner cette information aux publics que l'on accueille ? Ils doivent être accompagnés au parcours de soins. Celui-ci ne relève pas que d'une suite de rendez-vous, mais aussi d'une appropriation du transport, d'un repérage dans un hôpital. Ces établissements sont massifs en France. Ce n'est pas le cas partout dans le monde.

Cet enjeu est majeur dans les parcours individuels comme collectifs. La prise de rendez-vous numérique en est un symptôme parmi d'autres. Il est vrai qu'à l'heure du « tout numérique », les individus n'ont pas tous une maîtrise parfaite de l'outil.

Ce n'est pas toujours vrai selon les publics. La plus jeune génération peut être plutôt bien connectée, mais ces personnes ont tout de même besoin de maîtriser le français écrit.

Mme Véronique Boulinguez. - Je vous remercie de votre réflexion concernant les urgences. Lorsque j'ai pris mon poste, il y a huit ans, je voyais des femmes qui se rendaient régulièrement aux urgences et dans différents hôpitaux. Elles étaient persuadées de bénéficier d'un suivi de grossesse. L'ouverture du CPM Cité et l'information à son sujet diffusée dans les différents hôpitaux parisiens ont permis d'y adresser toutes les femmes qui se présentaient aux urgences à moins de sept mois de grossesse. De ce fait, je ne les vois plus aller de services d'urgence en services d'urgence. Leur prise en charge est désormais bien plus rapide.

Mme Katell Olivier. - Vous nous interrogiez sur la situation des femmes à l'étranger. En tant qu'actrices de Médecins du Monde France, nous ne sommes pas nécessairement légitimes à vous donner des informations. Vous pourriez vous rapprocher du réseau de Médecins du Monde, si vous souhaitez obtenir plus d'informations.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Il me semble intéressant de disposer de cet état des choses pour faire du droit social comparé.

M. Luc Ginot. - Je pense que l'approche épidémiologique est plus documentée à l'étranger qu'en France. De nombreuses publications portent sur des comparaisons, tant en Grande-Bretagne qu'aux Pays-Bas ou aux États-Unis. Des analyses traitent des liens entre l'état de santé et le type de parcours. De là à dire que cela traduit des politiques différentes, je serais moins affirmatif.

Mme Dominique Vérien, présidente. - À Strasbourg, une expérimentation a été menée sur les femmes enceintes en situation de précarité. Des produits bio leur ont été livrés, pour voir si leur consommation améliorait l'état de santé des concernées. En effet, ces femmes n'ont pas la possibilité de se nourrir sainement.

Il me reste à vous remercier pour cette table ronde très riche, variée, complémentaire. Je vous remercie également pour votre engagement. Grâce à vous, la situation de ces femmes est moins difficile. Nous allons essayer d'ajouter une petite pierre à cet édifice. Merci beaucoup.