- Mardi 14 mai 2024
- Audition de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et de Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation
- Réunion plénière avec la délégation sénatoriale aux outre-mer - échange sur le déplacement aux Antilles de la mission « Entreprises et climat » de la délégation aux entreprises et sur les défis des entreprises en outre-mer
- Table ronde : « Quelle stratégie pour la transition écologique des entreprises ? »
Mardi 14 mai 2024
- Présidence de M. Olivier Rietmann, président de la délégation aux entreprises et de M. Rémy Pointereau, président de la commission spéciale sur le projet de loi de simplification de la vie économique
La réunion est ouverte à 14 h 30.
Audition de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et de Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation
M. Rémy Pointereau, président de la commission spéciale sur le projet de loi de simplification économique. - Nous commençons les travaux de la commission spéciale par l'audition de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et de Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation, audition organisée en commun avec la délégation aux entreprises.
Monsieur le ministre, vous avez indiqué que le projet de loi de simplification de la vie économique que nous devons examiner constitue l'un des piliers de la stratégie française présentée à l'Union européenne (UE). Nous ne pouvons que constater et nous réjouir qu'il s'appuie notamment sur de nombreux travaux conduits par le Sénat, ou des sénateurs et notamment par des membres de cette commission spéciale.
Nous sommes particulièrement sensibles, dans les différents domaines de l'action publique, à la question de l'empilement des normes et à la nécessité de distinguer la norme qui protège de celle qui entrave inutilement l'action. La situation est devenue anxiogène pour ceux qui veulent entreprendre aujourd'hui.
Ce sujet, monsieur le ministre, il faut le voir avec pragmatisme et au plus près du terrain. « Cela suppose un examen systémique et systématique », avez-vous écrit. Mais la commission ne dispose que de quinze jours pour l'examiner - c'est très peu. Je remercie nos deux rapporteurs, Catherine Di Folco et Yves Bleunven, pour leur investissement.
Je comprends que ce texte doive s'inscrire dans un ensemble, dans une continuité touchant plusieurs secteurs, et ce sur plusieurs années. Pour autant, la présence à la marge du secteur agricole ou des collectivités territoriales - premier investisseur public - nous interpelle. Peut-être pourrez-vous nous en dire plus ?
Le Sénat est prêt à relever le défi de la simplification avec vous, monsieur le ministre, mais sans renoncer aux prérogatives du Parlement et à exercer notre mission de législateur. Nous serons vigilants sur ce point. La simplification est une oeuvre commune, comme la complexification est une responsabilité que partagent le Gouvernement, le Parlement et l'administration. Le règlement du stock de normes, de leur flux, est un travail de longue haleine, auquel s'ajoutent les normes liées au principe de précaution.
M. Olivier Rietmann, président de la délégation aux entreprises. - Je me réjouis de cette audition organisée conjointement avec la commission spéciale sur le projet de loi de simplification de la vie économique.
Madame la ministre déléguée, nous avons l'habitude de travailler ensemble de façon constructive. Ce sujet de la simplification, nous l'avons déjà abordé à de nombreuses reprises, et la délégation aux entreprises l'a constamment porté à son agenda depuis sa création. Il est désormais partagé par le Gouvernement, ce dont nous nous réjouissons. Nous avons d'ailleurs noté les multiples références aux travaux de la délégation dans le projet de loi dont le Sénat est saisi. Je pense en particulier à l'évaluation du poids et du coût de la complexité normative que j'ai mise en évidence voilà moins d'un an dans le rapport d'information sur la sobriété normative pour renforcer la compétitivité des entreprises que j'ai présenté avec mes collègues Gilbert-Luc Devinaz et Jean-Pierre Moga.
La simplification ne va pas de soi, particulièrement en France. Bien des tentatives infructueuses ont eu lieu depuis 2011 avec les premières Assises de la simplification et le choc de simplification de 2013. Depuis vingt ans, l'incantation de la simplification a conduit au mieux à des mesures ponctuelles d'allégement.
Pourtant, nous l'avons vu lors de l'examen de la proposition de loi visant à rendre obligatoires les « tests PME » que j'ai déposée, c'est un changement de paradigme dont nous avons besoin. Le « test PME » illustre parfaitement cette révolution culturelle, avec l'examen par un haut conseil indépendant composé de représentants des TPE-PME, entreprises de taille intermédiaire (ETI) et grandes entreprises, des projets de normes pour en évaluer l'impact sur les entreprises, qu'elles soient commerciales, industrielles ou agricoles. Je ne manquerai pas de proposer à la commission spéciale de modifier l'article 27 pour y intégrer les dispositions adoptées par le Sénat le 26 mars dernier. J'ose le dire : « Tout le texte du Sénat, rien que le texte du Sénat. »
Vous avez fait vôtre cette nécessité de changer de paradigme, comme cela est indiqué dans l'exposé des motifs du projet de loi de simplification de la vie économique. Pourtant, le texte demeure une juxtaposition de mesures sectorielles. Même si elles vont dans le bon sens, il manque un virage plus structurel dans la manière dont nous concevons et appliquons la loi. À cet égard, je regrette moi aussi vivement les délais qui nous sont imposés pour examiner ce texte, alors que les enjeux sont considérables. Je le rappelle, la complexité coûte a minima 3 % du PIB. Il aurait fallu prendre le temps de définir de nouvelles méthodes permettant d'aller au-delà de mesures trop circonscrites à quelques secteurs.
Il importe d'associer pleinement les parlementaires au-delà de l'examen de ce projet de loi. En effet, vous prévoyez des habilitations du Gouvernement à agir par ordonnance. Mais gardez en tête l'exemple du guichet unique. Le Parlement avait voté sa création dans la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte). Mais par les mesures d'application, vous avez ensuite décidé de le confier à l'Institut national de la propriété industrielle (Inpi), dans des conditions qui ont conduit à des dysfonctionnements inacceptables pour la continuité de la vie économique de notre pays. Nos alertes répétées ont fini par être entendues, et il s'agit aujourd'hui de ne plus recommencer les mêmes erreurs stratégiques. En matière de complexité, je pourrai également citer la transposition de la directive européenne CSRD - Corporate Sustainability Reporting Directive.
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. -Je marque un seul point de désaccord avec Olivier Rietmann : l'Inpi nous a été imposé et je m'étais personnellement opposé à cette proposition, conscient des difficultés que cela risquait de soulever. Dont acte : les sénateurs avaient vu juste sur ce sujet.
Permettez-moi de faire quelques remarques liminaires sur la simplification.
La simplification est l'exception, une concession de l'administration ; elle doit devenir la règle et une obligation pour tous les fonctionnaires à l'égard de nos concitoyens et de nos entreprises. C'est très souvent une question de survie pour nos TPE et nos PME. En ce début d'année, nos résultats économiques sont bons et très différents de ceux que l'on nous avait annoncés. Alors que certains parlaient de récession, nous affichons 0,2 point de croissance. On nous avait parlé de destruction d'emplois, nous venons de recréer 50 000 emplois supplémentaires au cours du premier trimestre, qui s'ajoutent aux plus de 2 millions d'emplois que nous avons créés en sept ans. On nous avait dit décrochage français, nous restons la Nation la plus attractive pour les investissements étrangers en Europe. Et le sommet Choose France a montré hier que de nombreuses entreprises internationales font le choix de la France, avec 15 milliards d'euros d'investissements et plus d'une cinquantaine d'investissements qui vont irriguer de manière très concrète tous les territoires.
Quand on discute avec des patrons de TPE et de ME, des indépendants ou des présidents de grands groupes internationaux, on s'aperçoit que la complexité administrative reste un obstacle à l'investissement et à la croissance en France comme en Europe. La simplification est donc une exigence absolue : elle améliorera nos résultats économiques, elle nous donnera plus de croissance, plus de prospérité, plus d'emplois, et nous permettra de rester dans la course du monde. Il ne peut y avoir, d'un côté, la Chine et les États-Unis qui simplifient à outrance, et, de l'autre, l'UE qui ne cesse d'ajouter des normes.
C'est pourquoi je souhaite que ce texte soit un point de départ, que cet exercice de simplification soit renouvelé chaque année, et que s'engage alors un mouvement plus global européen de simplification des normes et d'allégement des obligations qui pèsent sur toutes les entreprises européennes. La Commission européenne agirait mieux en supprimant des règles plutôt qu'en en rajoutant systématiquement de nouvelles.
Le premier volet de ce projet de loi simplifie la vie des entrepreneurs et des salariés.
Nous allons d'abord supprimer les 1 800 formulaires Cerfa. Ce travail sera très fastidieux, car certains d'entre eux seront purement et simplement supprimés tandis que d'autres seront dématérialisés. À cet égard, je rends hommage aux services administratifs qui se sont attelés à ce travail de fourmi.
Ensuite, nous ferons une revue complète, sur trois ans, des 2 500 autorisations administratives et des milliers d'autres démarches obligatoires qui sont appliquées aux entreprises et qui se révèlent très souvent inutiles. Par exemple, les arrêts maladie étant déjà déclarés auprès de l'assurance maladie, 15 millions de déclarations peuvent être supprimées. Il en est de même pour les attestations d'assurance chômage : chaque année, 26 millions de formulaires sont remplis alors que l'information est déjà traitée.
Enfin, au niveau réglementaire, nous doublerons dès cette année le seuil de la déclaration DAS 2 de 1 200 à 2 400 euros. Doubler le seuil me paraît un minimum, et je suis ouvert pour aller plus loin sur ce sujet.
Le deuxième volet de ce projet de loi concerne la simplification drastique de la commande publique, notamment des collectivités locales. Cette dernière, qui est fondamentale en ce qu'elle représente plusieurs dizaines de milliards d'euros, est aujourd'hui trop complexe. Pour soumissionner à un appel d'offres, une entreprise doit le faire différemment selon qu'il s'agit de l'État, d'un hôpital ou d'un opérateur public. Notre objectif est de mettre en place une plateforme unique, intitulée « Place », pour tous les marchés publics. Si les collectivités territoriales veulent y participer, nous sommes ouverts à ce débat. Cela simplifierait la vie de nos entrepreneurs, qui pourront déposer un dossier unique avec le numéro Siret, lequel vaudra pour tous les appels d'offres.
Aujourd'hui, la compétence est dévolue au juge administratif et au juge judiciaire. Demain, elle sera exclusivement attribuée au juge administratif. Les règles d'avance de trésorerie seront simplifiées et unifiées - 30 % pour tout le monde. Depuis des années, elles variaient en fonction de la situation économique.
Par ailleurs, nous allons mettre en place le « test PME », très demandé par les entreprises. M. Olivier Rietmann a formulé des propositions qui me paraissent judicieuses sur ce sujet : outre l'intervention de représentants des PME, une approche interministérielle devra garantir la validité de la recommandation de ce test. Ce point, certes technique, est fondamental d'un point de vue politique pour s'assurer que, quels que soient le texte et son origine, les PME demeurent favorisées.
Enfin, nous allons rapprocher le droit des professionnels et celui des particuliers en matière de banque et d'assurance, aligner les règles de clôture de compte des entreprises pour que les frais soient nuls, permettre la résiliation sans frais des contrats d'assurance pour les TPE et les PME, et, enfin, imposer le respect d'un délai pour l'indemnisation des professionnels comme des particuliers, de six mois en cas d'expertise et de deux mois pour les sinistres sans expertise. Telle est la leçon que nous avons tirée des inondations intervenues dans le Nord-Pas-de-Calais.
S'agissant des salariés, nous proposons une feuille de paie simplifiée, qui passera de 55 à 15 lignes. À terme, le chef d'entreprise n'aura qu'à produire ce document, et les salariés auront une vision exacte de la réalité de notre modèle social. Une telle simplification est un gage de transparence, de lisibilité et de démocratie. En revanche, la feuille de paie complète sera mise à la disposition des salariés dans une banque des données sociales d'ici à 2027.
Je le redis, nous souhaitons que ce travail de simplification soit reconduit chaque année par les ministères pour faire l'objet de nouvelles mesures législatives.
Un autre grand volet de la simplification concerne l'information et le conseil des patrons de TPE et de PME et des entrepreneurs.
Premier outil que nous voulons généraliser : les rescrits. Ceux-ci sont unanimement salués, mais ils sont très souvent réservés au domaine fiscal et ne font l'objet d'aucun recueil. Nous proposons d'élargir les rescrits à d'autres domaines, notamment en matière de consommation ou de droit du travail, et d'établir une jurisprudence des rescrits en faveur des entreprises, de façon anonymisée.
Nous supprimerons les peines de prison encourues par les chefs d'entreprise lorsqu'elles nous apparaissent exagérées en termes de sanctions, notamment lorsqu'une déclaration a été mal remplie, à partir du moment où aucune intention de nuire n'est établie.
J'en viens au troisième grand volet, la réindustrialisation, qui est au coeur de ce que nous défendons depuis sept ans. J'insiste sur l'importance politique de refaire de la France une grande nation de production. Les grandes vagues de délocalisation constituent le plus grand drame économique et politique que notre pays a vécu depuis quarante ans. Aucun autre grand pays de l'OCDE n'a connu des vagues d'une telle ampleur, n'a sacrifié 2,5 millions d'emplois industriels, n'a fermé plus de 600 usines, n'a sacrifié des filières entières, n'a divisé par deux la part de l'industrie dans sa richesse nationale. Il s'agit d'un scandale politique, économique et financier inacceptable. Il s'agit d'une saignée humaine, culturelle,financière et de compétences qui a durablement affaibli la France et dont découlent nombre de nos problèmes : le déficit du commerce extérieur, nos difficultés à équilibrer nos comptes publics, les tensions sociales qui sévissent dans certains territoires et la montée des extrêmes. Une grande partie de nos difficultés sociales et politiques sont liées au fait que nous avons vidé la France de sa substance en la privant de sa capacité de production.
Je me bats contre ce phénomène depuis sept ans. Les décisions d'allégement de la fiscalité, sur le capital et les entreprises, constituent la base de cette bataille. Ensuite, nous oeuvrons en matière de formation, de qualification et de revalorisation de certaines filières, au premier rang desquelles figure celle du nucléaire, qui fournit des emplois et garantit à nos entreprises l'accès à une énergie compétitive et décarbonée, à bas coût. Il nous faut aussi procéder à l'accélération du déploiement des installations industrielles, dont certains disent qu'elle nuit au climat, alors que c'est le contraire. Faut-il produire des voitures, des avions ou des batteries en France, de façon décarbonée et en gardant nos emplois, ou faut-il importer depuis des pays où le coût climatique est beaucoup plus élevé, en perdant nos emplois ? Nous sommes pour l'emploi, pour les usines et pour le climat. Nous ne souhaitons pas que la France ne soit qu'un pays de consommation, qui importe les biens manufacturiers dont il a besoin.
Cette position explique la présence de mesures visant à faciliter les installations industrielles. À titre d'exemple, les grands projets industriels ne figureront plus dans le champ d'intervention de la Commission nationale du débat public (CNDP) et pourront bénéficier d'une exonération du calcul du « zéro artificialisation nette » (ZAN), profitant systématiquement du quota national ZAN de 12 500 hectares. Il s'agit d'un grand débat et d'un vrai choix politique : l'accélération du déploiement industriel français est bon pour l'emploi, pour la prospérité nationale, mais aussi pour le climat.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation. - Je voudrais d'abord saluer le rapport d'information de la délégation aux entreprises, qui a nourri notre travail, notamment l'article relatif aux « tests PME ».
L'objectif de ce texte est simple : redonner du temps utile aux entrepreneurs et simplifier la vie des entreprises, notamment des plus petites. Grâce à une grande consultation, nous avons fait remonter des propositions d'entrepreneurs, mais aussi de fédérations et d'organisations professionnelles. Nombre des articles et dispositions du projet de loi peuvent être directement sourcés, et ce texte est issu non pas d'une logorrhée technocratique, mais de la vraie vie de nos acteurs économiques.
Il ne sert à rien d'appeler à la simplification si on ne la pratique pas et la confiance ne se décrète pas : elle se met en oeuvre. Ce texte démontre une volonté de changement de l'état d'esprit de l'État et de l'administration, qui doit être caractérisé par le souci de ne pas complexifier la vie des entrepreneurs.
Les deux enjeux majeurs du flux et du stock sont largement présents dans le texte. Les mesures relatives au stock sont importantes et nous proposons, par exemple, la suppression des 1 800 formulaires Cerfa. Cependant, les mesures concernant le flux sont aussi stratégiques, puisqu'elles portent l'hygiène de la simplification. Chaque année, nous devons avoir un débat sur la simplification et il est indispensable que nous passions enfin des paroles aux actes, notamment en mettant rapidement en oeuvre le « test PME », sans mettre à mal la liberté totale du législateur ni les projets de l'exécutif.
Je signale aussi que le projet de loi est accompagné d'une cinquantaine d'actions et de mesures, qui ne sont pas forcément normatives, et dont vingt-six prennent la forme d'articles législatifs. J'en donnerai deux exemples. D'abord, je mentionnerai la simplification des démarches sociales des travailleurs non salariés (TNS), qui se sentent souvent un peu perdus et peinent à rentrer dans les cases. Désormais, France Services, avec les services de l'Urssaf, pourra accompagner les indépendants et répondre à leurs sollicitations, permettant ainsi de renforcer la capacité de l'État à mieux les conseiller. Ensuite, nous envisageons d'améliorer le titre emploi service entreprise (Tese) par voie réglementaire, pour poursuivre notre chemin vers le plein emploi et permettre aux indépendants d'embaucher plus facilement.
Pour répondre à Olivier Rietmann, nous avons davantage été guidés par le bon sens que par une approche sectorielle. Les entreprises ne sont pas égales face au poids de la norme, les TPE et les PME n'ont pas les mêmes capacités que d'autres à la comprendre et à s'y conformer. Dans un souci de justice économique, le texte comprend un volet spécifique pour les acteurs les plus vulnérables face à la norme.
Enfin, le projet de loi comprend des mesures relatives à l'accompagnement des commerçants, auxquels nous rendrons du temps, mais aussi de la trésorerie, grâce aux dispositions relatives à la mensualisation des loyers et au « capage » des dépôts de garantie. De plus, nous voulons fluidifier les ouvertures de commerces et sécuriser les projets commerciaux.
M. Yves Bleunven, rapporteur. - Monsieur le ministre, l'article 1er du projet de loi prévoit de supprimer la Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP), présidée par le sénateur Damien Michallet et composée aux trois quarts par des parlementaires. Quelles raisons motivent ce choix ? Vous nous demandez de cautionner un affaiblissement du contrôle parlementaire, alors que votre gouvernement souhaite s'affranchir le plus possible du Parlement, faute de majorité et de culture du consensus ; c'est insensé. En 2020, le Parlement s'est déjà opposé à la suppression de la CNSP.
Votre projet est d'autant plus problématique que les secteurs concernés revêtent une importance primordiale pour les élus que nous sommes. La Poste exerce quatre missions de service public : le service universel postal, la distribution de la presse, la contribution à l'aménagement du territoire et l'accessibilité bancaire. Par ailleurs, Orange demeure attributaire du service universel des communications électroniques. Il s'agit d'autant de missions essentielles à l'aménagement de nos territoires les plus reculés, au maintien du lien social partout en France, à l'accès à l'information et à la numérisation de notre économie. Sur ces sujets, le Sénat et l'Assemblée nationale doivent effectuer un contrôle de nature politique, permanente et transpartisane.
L'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) effectue un contrôle des obligations légales et réglementaires des opérateurs, mais son collège n'est composé d'aucun élu, contrairement à ceux des autres autorités indépendantes. Le Conseil national du numérique (CNNum) a une vocation plus prospective.
J'en viens à l'article 7, qui vise à modifier les informations présentes sur le bulletin de paie, dans le but de le rendre plus lisible pour les salariés et plus simple à éditer pour les employeurs. Cet article ayant fait l'objet d'une communication importante de la part du Gouvernement, nous en attendions beaucoup. Cependant, peut-on parler de simplification quand on demande aux employeurs de collecter, de conserver et de mettre à disposition des employés l'ensemble des informations qui ne figureront plus sur le bulletin ? Quel sera le coût pour les employeurs de la mise en place de ces nouvelles modalités ?
Enfin, pourquoi remettre sur le métier la réforme du code minier, engagée par la récente loi Climat et résilience ? Si la facilitation de la conversion de puits d'hydrocarbures en vue du stockage souterrain de CO2 paraît utile, quel sera le nouveau schéma de délivrance des autorisations minières en Guyane ? L'Office national des forêts (ONF) jouera-t-il toujours le même rôle ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - J'entends ce que vous dites sur la CSNP, mais la France compte, en plus de la Commission, le CNNum, un Observatoire national de la présence postale et, de façon plus générale, 313 commissions ou instances consultatives, dans lesquelles siègent de nombreux parlementaires. Au bout du compte, la multiplication de ces instances affaiblit le pouvoir de contrôle des parlementaires, auquel je suis attaché et qu'il faut renforcer. Néanmoins, je ne livrerai pas de grande bataille sur le sujet, et nous nous en remettrons à la sagesse du Parlement.
En ce qui concerne le bulletin de paie, il ne s'agit pas de doubler les obligations des entrepreneurs, mais de donner aux salariés l'accès à des informations simples : ce qu'ils payent comme cotisations et impôts, ce qui leur reste à la fin du mois et ce que paye l'entrepreneur. Nous avons un devoir de transparence et de simplification en la matière. Nous souhaitons que les informations restantes ne soient plus remplies par l'entrepreneur, mais par l'administration. Elles figureront sur le portail national des droits sociaux, qui sera mis en place au plus tard en 2027, et sur lequel le salarié pourra consulter le détail de ses cotisations. J'insiste sur ce point, soulevé par de nombreux patrons de PME : ces derniers n'auront plus à remplir un bulletin de paie de 55 lignes.
Enfin, nous souhaitons poursuivre la réforme engagée du code minier. La démarche de raccourcissement des délais n'a pas été menée dans les champs miniers. Le volet relatif à l'autorisation environnementale ne sera pas remis en cause.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Je commencerai par évoquer un sujet irritant pour les parlementaires. Les articles 2, 3 et 11 autorisent le Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance sur des sujets centraux pour la vie économique des entreprises. Les délais de ces habilitations sont longs, puisqu'ils sont compris entre dix-huit et vingt-quatre mois, et leur champ est vaste, ce qui conduit le Parlement à se dessaisir de sa compétence sur de larges pans de l'action publique économique. Or nous avons la capacité de débattre de textes longs et complexes. Les sujets couverts par ce projet de loi ne paraissent pas tant techniques que politiques. Qui peut penser que la simplification des démarches administratives n'intéresse pas la représentation nationale ? Nous pourrions presque imaginer que vous ne faites pas confiance au Parlement pour traiter de ces sujets ; j'espère que vous me démentirez.
L'article 23 prévoit d'intégrer l'objectif d'innovation dans le mandat de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil). Ni le dispositif prévu par l'article ni l'étude d'impact ne nous renseigne sur le contenu ou la portée juridique de cette mesure, lourdement critiquée par le Conseil d'État. Il pourrait s'agir d'un effet d'affichage. La définition du mandat d'une autorité administrative indépendante est importante.
L'article 6 illustre une autre limite du projet de loi. Il vise à réduire de deux à un mois le délai d'information des salariés avant tout projet de vente du fonds de commerce. Cette formalité administrative supplémentaire, imposée aux entreprises par la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite « loi Hamon », était supposée favoriser les rachats par les salariés. Cependant, ces rachats sont restés très rares ; pourquoi ne pas aller au bout de votre démarche et supprimer cette mesure dont l'inefficacité semble démontrée ?
Enfin, le volet agriculture est étrangement absent de ce projet de simplification de la vie économique, alors que les agriculteurs sont des entrepreneurs ; pourquoi avoir fait ce choix ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je commencerai par apporter un démenti formel quant à la confiance que j'accorde aux parlementaires, qui est totale. J'ai moi-même été parlementaire pendant quinze ans. Nous faisons le choix de l'ordonnance quand le travail est fastidieux, long et technique, notamment dans le cas des 2 500 démarches administratives que nous voulons simplifier ou supprimer. Je tiens à ce que les textes de loi soient clairs et simples. L'ordonnance semble représenter le meilleur moyen pour aller vite et procéder à l'analyse extensive de ces démarches, ce qui n'exclut pas d'avoir recours à la voie législative pour certaines dispositions, dont celles qui sont relatives aux rescrits, sur la base de propositions qui seront faites par les parlementaires.
En ce qui concerne la Cnil, nous faisons face à des révolutions technologiques considérables. Si nous n'ajoutons pas ce volet relatif à l'innovation, lié notamment à l'intelligence artificielle (IA), j'ai peur que nous ne prenions beaucoup de retard. L'IA doit être au coeur de notre réflexion sur l'administration de demain et l'administration française, l'une des meilleures au monde, doit aussi être l'une des plus performantes et des plus innovantes en la matière. Il s'agit d'un défi considérable, mais le relever nous permettra de servir l'usager, qu'il soit entrepreneur ou citoyen. Cet article sera longuement discuté, mais je souhaite que le déploiement de l'IA soit le plus rapide possible dans notre administration. À titre d'exemple, le recours à l'IA sera utile pour les appels d'offres et il est déjà très répandu pour le conseil aux usagers, permettant de répondre plus vite, sans renoncer au conseil humain quand l'IA ne permet pas de répondre aux questions posées.
Sur le délai d'information des salariés, nous nous en remettrons à la sagesse des parlementaires. Avec le délai actuel de deux mois, le nombre de rachats d'entreprises par les salariés est passé de 40 à 50, sur 30 000 cessions. On peut donc légitimement s'interroger sur l'efficacité du dispositif.
Enfin, j'en viens à la question de l'agriculture. Le projet de loi d'orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture comporte des dispositions de simplification. Nous avons choisi de scinder les sujets.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Les trois ordonnances seront-elles ratifiées ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Bien sûr.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Si elles ne le sont pas, le Parlement sera exclu.
M. Bruno Le Maire, ministre. - C'est noté, madame la sénatrice.
M. Fabien Gay. - Le texte est technique, fourre-tout selon certains, mais il s'agit surtout d'un texte très politique, ce qu'illustre l'article 7. En effet, celui-ci va complexifier la vie des entreprises et des salariés alors que vous prétendez la simplifier. Les services de paie sont complexes et il faudra que les entreprises changent leur système informatique pour répondre aux nouvelles exigences. De plus, s'ils le demandent, les salariés devront pouvoir accéder aux informations présentes sur l'ancienne fiche de paie. Il faudra donc produire deux fiches, selon deux systèmes différents, ce qui ne sera pas simple pour un entrepreneur qui fait tout lui-même. Il s'agit donc non pas de simplifier, mais de préparer une offensive politique sur la question du salaire.
Depuis sept ans, vous dites ne pas vouloir augmenter les salaires, pour vous concentrer sur le partage de la valeur, le dividende et l'actionnariat salarié. Vous allez chercher à rapprocher le salaire brut du salaire net. Je suis d'accord sur la nécessité de donner accès aux salariés à l'information relative aux composantes de son salaire et c'est d'ailleurs un vrai combat, mais je ne crois pas à la solution du portail numérisé.
J'en viens à la réindustrialisation. Certes, nous recréons de l'emploi industriel, mais nous en perdons aussi. Quelle chaîne de valeur veut-on construire en France ? Dans le secteur automobile, vous souhaitez que la France devienne leader dans le domaine de la batterie électrique. Sommes-nous condamnés à ne construire que cet élément de la chaîne, à l'heure où les fonderies et les sous-traitants ferment les uns après les autres ?
M. Michel Canévet. - Le Sénat a beaucoup travaillé sur la question de la transmission des entreprises et nous avons mis en exergue les difficultés liées à la loi Hamon ; une révision du dispositif de consultation des salariés est-elle envisageable ?
En ce qui concerne les délais de paiement, pourrait-on considérer la proposition des commissaires de justice, qui vise à éviter la judiciarisation systématique pour obtenir le paiement des factures, en ayant recours à des procédures simplifiées ?
Les tribunaux administratifs seront les interlocuteurs pour la commande publique. S'il s'agit d'une bonne mesure, il faudra faire en sorte que les délais d'instruction soient raccourcis.
Enfin, nous parvenons à réduire les délais d'instruction dans certains dossiers, mais les administrations font obstacle. Il nous faut tenir un discours clair à l'intention des entrepreneurs : quand des délais sont mis en place, ils doivent être respectés.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Ce projet de loi nous parvient après de nombreuses lois de simplification, dont les effets en termes d'allégement des contraintes administratives et de compétitivité n'ont jamais été évalués.
Je souhaite aussi revenir sur la feuille de paie, votre proposition étant très étonnante. Dans le back office des entreprises, on procédera toujours aux mêmes calculs des différents éléments de la paie. Par ailleurs, vous dites que les salariés auront ainsi accès à des « informations simples », ce que je trouve légèrement méprisant. Dans de nombreuses entreprises, certains employeurs et les syndicats aident les salariés à comprendre leur feuille de paie. Le nouveau dispositif les rendra incapables de comprendre à combien s'élève le salaire socialisé pour chacune des cinq branches de la sécurité sociale. Vous construisez une allergie aux cotisations en choisissant de faire figurer une somme globale, qui sera importante, et en effaçant les risques socialisés auxquels elle correspond. Il s'agit d'une mesure politique et idéologique, qui ne simplifiera rien.
Par ailleurs, le projet de loi comprend peu d'éléments liés aux TPE et aux PME. De nombreuses mesures prennent acte du fait que les administrations sont surchargées et qu'elles ne sont pas en mesure de réaliser certains actes administratifs dans des délais satisfaisants. Vous souhaitez davantage acter l'insuffisance des effectifs de fonctionnaires que simplifier la vie des entreprises. À titre d'exemple, vous évoquez les délais trop longs du traitement administratif des paiements directs des sous-traitants, pour supprimer un mécanisme qui offrait pourtant une garantie. Ce dont les TPE et les PME ont besoin, c'est d'accompagnement.
Enfin, quand mesurerez-vous le bénéfice social, sanitaire et écologique des normes ? Quand évaluerez-vous les coûts qu'elles permettent d'éviter ? Je pense notamment à la suppression de l'obligation de résultat quant à la compensation écologique.
M. Serge Mérillou. - Simplifier la vie des entreprises, c'est aussi sécuriser ces dernières et les collectivités, notamment dans le cadre des marchés publics. Or les décisions de justice peuvent intervenir de façon très tardive en la matière, annulant des autorisations pour des travaux dont la réalisation est déjà avancée, voire terminée. L'article 15 du projet de loi prévoit d'étendre le dispositif de projet d'intérêt national majeur aux data centers ; pourrions- nous étendre cette disposition aux projets d'infrastructure routière portés par les collectivités, sous réserve qu'ils soient compatibles avec le maintien de la biodiversité et positifs en matière de sécurité routière ?
M. Rémy Pointereau, président de la commission spéciale sur le projet de loi de simplification de la vie économique. - Les recours abusifs représentent un véritable sujet de préoccupation dans de nombreux domaines.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Pour répondre à Mme Poncet Monge, une compensation écologique est prévue, mais elle doit être différée dans un délai raisonnable. Aujourd'hui, quand un terrain est disponible, comme au Havre par exemple, qu'une usine souhaite s'y installer, que la réindustrialisation est possible et la perspective de création d'emplois est réelle, mais que les hectares équivalents pour compenser la construction ne sont pas immédiatement disponibles, il faudrait abandonner l'investissement. Je ne suis pas d'accord. Cependant, nous ne renonçons pas à la compensation écologique, qui est seulement reportée dans le temps.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Quel est le délai raisonnable ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Vous aurez à coeur de le définir. Mais si nous ne reportons pas, l'usine s'installera en Chine, en Inde ou en Turquie. Nous ne le souhaitons pas, et c'est la différence entre vous et nous. Nous préférons que l'usine s'ouvre en France, dans des conditions écologiques qui sont les meilleures au monde en termes d'émission de CO2 par produit manufacturier produit. Je ne reproduirai pas les erreurs commises par tous mes prédécesseurs depuis quarante ans : choisir de polluer ailleurs, importer ensuite et perdre, par ces importations, toutes les réductions de CO2 obtenues en France.
J'en viens à la réindustrialisation et à l'industrie automobile, qui constitue un enjeu stratégique pour le pays. Depuis un siècle, la France a une industrie automobile de pointe, dont les marques font partie de notre patrimoine. La bascule vers le véhicule électrique ou hybride représente donc une transformation essentielle. Je voudrais vous rassurer sur notre stratégie. D'abord, nous avons un rendez-vous en 2027 ; nous verrons où nous en sommes alors. Ensuite, la bascule définitive aura lieu en 2035, quand la vente - et non la circulation - des véhicules thermiques sera interdite.
Notre souhaitons que la France soit une nation de production et non de consommation. Si nous ne prenons pas immédiatement le tournant du véhicule électrique, de manière cohérente et volontariste, il sera trop tard, et notre retard en matière de batteries, de terres rares, de métaux critiques et de moteurs électriques sera trop grand. Nous avons donc décidé, avec le Président de la République et l'ensemble de la filière de l'industrie automobile, dont je salue l'unité, d'accélérer la transition et de maîtriser l'intégralité de la chaîne de valeur.
À cette fin, il nous faudra maîtriser l'approvisionnement en lithium, en cobalt et en terres rares, et rouvrir des mines. Il faudra aussi assurer la production de batteries, qui représentent entre un tiers et un quart de la valeur des véhicules électriques. Nous avons donc ouvert quatre giga factories, qui concentreront 20 000 emplois, et nous avons choisi de faire venir des investisseurs comme ProLogium, qui travaillent sur des batteries d'un autre type, dans l'objectif de se passer du lithium ou de l'utiliser en moindre quantité. Il faudra également recycler les matériaux des batteries et récupérer les matériaux critiques.
Enfin, nous voulons produire les véhicules en France et la discussion avec les constructeurs est parfois difficile sur ce sujet. Renault est capable de produire la R5 à Douai et des véhicules utilitaires légers à Sandouville, où 200 millions d'euros ont été investis, deux nouvelles lignes de production ont été installées et plusieurs centaines d'emplois vont être créés. Il y a dix ans, ce site devait fermer et j'ai été heureux d'y retourner et d'y croiser des salariés qui avaient le sourire aux lèvres, parce qu'ils savent que l'avenir de l'usine est garanti pour les décennies à venir. Cependant, Renault et Stellantis doivent prendre des engagements sur les volumes de production, les modèles et les plateformes qui correspondent à l'investissement que réalise la Nation française dans ce domaine. Notre stratégie est cohérente : accélérer, maîtriser l'intégralité de la filière et obtenir des volumes satisfaisants.
J'ajoute un point qui peut irriter : il faut protéger notre industrie face aux surcapacités chinoises. Nous ne parviendrons pas à résister sans rétablir un équilibre commercial entre la Chine et l'Europe. Les 26 autres États membres de l'UE doivent aussi le comprendre. Les normes environnementales strictes que nous imposons à nos constructeurs ont un coût et si ce dernier n'est pas facturé à l'entrée sur le marché européen, nous n'avons aucune chance de maintenir notre industrie. La compensation est indispensable. Produire de l'acier ou de l'aluminium décarboné, à Fos-sur-Mer ou à Dunkerque, nécessite l'installation de fours électriques, qui coûtent des milliards d'euros. Le coût plus élevé de l'acier ou l'aluminium sera répercuté sur ceux de la carrosserie et de la voiture. Cette voiture ne peut pas rivaliser commercialement avec des produits fabriqués dans d'autres pays, dans des conditions environnementales moins satisfaisantes.
Se protéger, c'est aussi assumer que les bonus versés pour l'achat d'un véhicule électrique ou d'une pompe à chaleur soient réservés aux biens qui respectent les règles environnementales les plus strictes. Je regrette que d'autres pays européens n'aient pas suivi cette politique.
Il s'agit de l'un des enjeux stratégiques pour l'industrie européenne dans les décennies à venir : si l'on ne rééquilibre pas les conditions de marché avec la Chine, l'industrie européenne disparaîtra, comme c'est déjà le cas avec le secteur de la chimie. Nous ne pouvons pas demander à nos industriels de supporter le coût environnemental sans garantir un équilibre commercial avec leurs concurrents.
Enfin, j'en viens à la feuille de paie. Les changements prévus prennent du temps parce que transférer la charge de l'émission des données de l'entreprise au portail national des droits sociaux prendra un peu de temps. La tâche du chef d'entreprise sera allégée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. - En ce qui concerne le dispositif prévu par la loi Hamon, le mécanisme en place est trop lourd et freine les repreneurs, ce dont témoigne la faible proportion de transmissions aux salariés. Nous sommes ouverts à toute proposition qui pourrait enrichir les dispositions prévues.
Nous sommes également ouverts à vos suggestions sur la question des commissaires de justice.
Quant à l'article 12, il vise à simplifier les contraintes pesant sur les juges des référés et à supprimer le critère de grade, qui conditionne l'exercice de cette fonction, afin que ces juges soient plus nombreux.
Madame Poncet Monge, dire de ce texte qu'il est à la fois technique et politique n'est pas une insulte. Par ailleurs, il comprend de nombreuses mesures à destination des TPE et des PME : supprimer les formulaires Cerfa, faciliter l'accès à la commande publique en ligne, développer les visites de conformité, généraliser les rescrits et la médiation, réformer le droit des contrôles spéciaux, instaurer le « test PME », ouvrir la résiliation à tout moment pour les assurances de dommages des professionnels, reconnaître le statut de tiers déclarant, alléger les obligations de la DAS 2, fournir des outils pour faciliter l'embauche, faciliter la création de groupements momentanés d'entreprises et simplifier les démarches des entreprises du bâtiment et des travaux publics - peu importe que nous empruntions la voie législative ou réglementaire, ces mesures s'adressent aux TPE et aux PME.
Monsieur Mérillou, nous sommes ouverts à considérer des mesures de simplification pour d'autres types de projets d'intérêt national majeur.
Mme Pascale Gruny. - Je suis parlementaire depuis vingt ans et j'ai vu passer de nombreux textes de simplification. Alors j'ai envie de vous dire : ne touchez à rien, ce sera pire après !
Je souhaite revenir sur la question des bulletins de paie, pour que vous ne pensiez pas que la critique ne vient que d'un côté de l'hémicycle. Le bulletin est déjà simplifié et je ne sais pas à quoi fait référence M. Le Maire quand il évoque 55 lignes. Par ailleurs, l'entreprise aura toujours besoin des informations qui figuraient sur le bulletin. Vous ne simplifiez rien, mais le coût en matière de maintenance informatique et d'expertise comptable sera certain. Enfin, en ce qui concerne le portail, la déclaration sociale nominative (DSN) permet déjà d'avoir accès à toutes les informations.
Dans le dossier de presse préparé par votre ministère sur le projet de loi, vous précisez que la disparition des formulaires Cerfa pourra passer par le fait de « supprimer purement et simplement la démarche », auquel cas, « l'information sera obtenue autrement ». Il faudrait alors veiller à ce que l'on puisse parler à de vrais interlocuteurs lorsqu'on contacte l'administration ; j'ai pu constater personnellement hier les carences en la matière en appelant le service des impôts, car personne n'a su me répondre .
M. Martin Lévrier. - J'évoquerai la course difficile que les entreprises doivent mener pour obtenir des subventions. Des entrepreneurs m'ont dit qu'ils pouvaient toucher jusqu'à 280 subventions pour un même produit. Quant à des dispositifs comme MaPrimeRénov', ils sont devenus bien trop compliqués pour que de petits entrepreneurs tentent d'en bénéficier. Le sujet mériterait un travail de réflexion et la simplification pourrait prendre la forme d'un guichet unique des subventions.
Vous avez présenté l'administration française comme l'une des meilleures du monde, mais elle est souvent perçue comme une police des polices. Ne devrait-on pas préférer le mot « conseiller » aux termes « contrôleur » et « inspecteur » ? Pendant la crise de la covid, l'administration s'est montrée beaucoup plus proche des entreprises et il faudrait poursuivre ce travail en modifiant certains mots.
J'en viens aux « tests PME » et aux évaluations annuelles. Pourrait-on aussi envisager une évaluation normative ou réglementaire des amendements votés ? Nous en concevons beaucoup et sommes parfois les pires constructeurs de la réglementation.
M. Hervé Reynaud. - D'abord, je souhaite que le texte final soit bien d'inspiration sénatoriale, car nous avons mené un travail de longue haleine sur le sujet.
Ensuite, j'évoquerai un regret. Il semble dommage que l'objectif de simplification ait été scindé, séparant, par exemple, les questions économiques de l'agriculture. Nous aurions pu évoquer aussi les collectivités territoriales et rapprocher l'administration déconcentrée et décentralisée de nos entreprises.
Vous avez dit avoir consulté des organisations professionnelles ; quel a été le périmètre de ces concertations ? Il était important de réintroduire les corps intermédiaires dans la réflexion.
Enfin, je souhaite revenir sur la facilitation de l'accès aux commandes publiques pour toutes les entreprises. Ces dernières doivent fournir les pièces administratives requises dès la phase de candidature ; il serait sans doute possible d'alléger cette procédure.
Mme Anne-Sophie Romagny. - Je souhaite évoquer les formalités administratives induites par la mise en conformité de nouvelles normes, qui menace la compétitivité des plus petites entreprises. En effet, celles-ci sont obligées de recruter pour se conformer à ces normes et les sommes importantes ainsi dépensées ne sont pas investies en recherche et développement (R&D) ni dans la production. Dans notre rapport d'information sur la directive CSRD, qui a été adopté par la délégation aux entreprises, Marion Canalès et moi avons formulé une proposition : l'extension aux entreprises du principe : « dites-le-nous une fois ». Compte tenu de la densité des informations demandées aux entreprises dans le rapport de durabilité de la CSRD, l'administration ne devrait pas avoir à demander de nouveau les éléments qui s'y trouvent. J'aimerais que cet exemple de simplification soit intégré au texte.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je remercie Mme Gruny pour sa mise en garde, mais il m'en faut plus pour me décourager ! Certes, la simplification est un travail difficile, notamment parce qu'il touche aux intérêts particuliers. À titre d'exemple, dans le cas de la CSNP, pour laquelle je m'en remets à votre sagesse, les parlementaires savent qu'ils devront cesser d'y siéger si elle devait être supprimée. La même chose se produit pour les agents de la fonction publique, qui redoutent une perte d'activité. La simplification crée de l'inquiétude et nécessite de la confiance. M. Lévrier le mentionnait de façon très juste, le conseiller doit prendre la place de la police des polices. Dans le cas de DAS 2, le contrôle est tel parce que le dispositif repose sur l'idée que tout chef d'entreprise est un fraudeur en puissance. Je pars du principe qu'il faut faire confiance et que les contrôles doivent permettre de sanctionner lourdement ceux qui trichent et abusent de cette confiance. Il s'agit d'un renversement complet : ne pas multiplier dès le départ les contrôles et la paperasse pour éviter toute fraude, et faire en sorte que la confiance soit le principe.
En ce qui concerne le guichet unique pour les subventions, il s'agit de l'une des réflexions que nous sommes prêts à ouvrir. Un tel dispositif serait utile et j'y suis favorable.
Pour le « test PME », nous proposons de reprendre le travail remarquable d'Olivier Rietmann. Cependant, il s'agit d'un débat politique lourd. En effet, cela suppose de faire confiance à des chefs de PME et de TPE pour juger d'un texte et de son impact sur la vie des entreprises. En second lieu, le secrétariat doit être assuré de manière interministérielle pour garantir l'efficacité de la procédure, ce qui est complexe.
Enfin, notamment sur la question du « test PME », ce texte est bien d'inspiration sénatoriale.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. - J'ai lancé à Bercy un groupe de travail, qui rassemble des avocats, des administrateurs et mandataires judiciaires, des philosophes et d'autres acteurs, pour réfléchir aux mots à poser sur les maux de nos entrepreneurs. M. Lévrier et tous ceux qui pourraient être intéressés sont invités à venir échanger. Je crois à l'importance des mots, notamment pour les entrepreneurs qui rencontrent des difficultés. Recevoir un courrier du tribunal pour une « liquidation » ne donne pas envie d'ouvrir sa boîte aux lettres et le déni constitue un problème, notamment pour les micro-entrepreneurs. Je voudrais proposer d'autres termes, ainsi que des procédures allégées et moins difficiles humainement, pour faire face à l'échec et au rebond. L'expérience des sénateurs nous serait utile en la matière.
Monsieur Reynaud, la consultation que nous avons organisée a duré plusieurs mois, a rassemblé 70 fédérations professionnelles, le Mouvement des entreprises de France (Medef), la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), l'Union des entreprises de proximité (U2P), mais aussi des acteurs sectoriels du bâtiment, du commerce, de l'industrie, de l'artisanat, du chiffre et du droit. Nous avons reçu 1 500 propositions et 33 000 citoyens et chefs d'entreprise ont participé en ligne, nous adressant 5 300 propositions.
Madame Romagny, le principe : « dites-le-nous une fois » est au coeur de l'article 2. L'administration détient déjà 80 % des informations qu'elle demande. L'article concernant la plateforme unique pour les marchés publics va aussi dans ce sens, puisqu'il suffira de donner son numéro Siret une fois pour avoir accès à l'ensemble des marchés publics disponibles.
Cette question est aussi au centre de nos préoccupations concernant la directive CSRD et je salue votre engagement sur le sujet. Nous avons décidé de prétester le « test PME » auprès des PME sur la CSRD, en réunissant quinze PME, qui ont appliqué les douze normes prévues par la directive. Nous n'avons pas constaté de rejet en bloc puisque 70 % des informations ne consistent pas à agréger des données quantitatives, mais à décrire la politique menée par l'entreprise, ce qui ne peut être noté ni sanctionné. De plus, un tiers des données paraissent compliquées ou très compliquées, ce qui signifie que deux tiers d'entre elles sont assimilables par les PME. Un autre point important est apparu : la simplification doit aussi consister à éviter de demander plusieurs fois aux entrepreneurs des documents qui se ressemblent, sans être tout à fait les mêmes. À cet égard, nous avons veillé à ce qu'il y ait convergence entre les demandes liées à la CSRD et à l'indicateur climat de la Banque de France.
M. Rémy Pointereau, président de la commission spéciale sur le projet de loi de simplification de la vie économique. - Nous avons encore beaucoup de travail. Il nous faut arrêter la surtransposition européenne, faire mieux en matière de dérogation des préfets et étudier de plus près la proportionnalité des lois, ainsi que la différenciation en fonction du nombre de salariés.
Par ailleurs, monsieur le ministre, vous avez évoqué la suppression de certains comités et de certaines commissions. Chiche ! Mais alors, il faudra aussi travailler à la suppression d'un certain nombre d'agences, qui coûtent très cher à notre pays.
La réunion est close à 16 h 00.
- Présidence de M. Olivier Rietmann, président de la délégation aux entreprises, et de Mme Micheline Jacques, président de la délégation aux outre-mer -
Réunion plénière avec la délégation sénatoriale aux outre-mer - échange sur le déplacement aux Antilles de la mission « Entreprises et climat » de la délégation aux entreprises et sur les défis des entreprises en outre-mer
M. Olivier Rietmann, président. - Je me réjouis de cette réunion organisée conjointement par nos deux délégations. Nous avons beaucoup de sujets communs tant les défis sont nombreux pour les entreprises dans les outre-mer. Nous avions d'ailleurs apprécié la dernière réunion commune de nos deux délégations, en mai 2023, sur le thème de l'emploi des jeunes et de l'entrepreneuriat dans les territoires ultramarins.
Nous sommes aujourd'hui réunis pour échanger sur la vie économique, et plus précisément les défis des entreprises, dans les outre-mer, en débutant par le compte rendu de nos trois collègues Lauriane Josende, Brigitte Devésa et Simon Uzenat, que j'ai accompagnés lors de leur déplacement en Martinique et Guadeloupe du 22 au 26 avril derniers.
Les visites de terrain dans ces territoires ont semblé particulièrement pertinentes pour leurs travaux dans le cadre de la mission d'information « Entreprises et climat ». Les enjeux sont multiples et les entreprises doivent s'adapter avec résilience et détermination à l'évolution des contraintes climatiques.
Mme Micheline Jacques, président de la délégation aux outre-mer. - Avant tout, je souhaiterais que nous ayons une pensée particulière pour nos amis de Nouvelle-Calédonie qui vivent des moments extrêmement difficiles. Nous sommes dans une situation très grave et nous déplorons malheureusement quatre morts.
Notre collègue Georges Naturel, qui devait participer à cette réunion, vous prie d'excuser son absence. Il se consacre sur place à la recherche de solutions allant vers l'apaisement et la sécurité de nos compatriotes.
Je tiens à remercier la délégation aux entreprises, et tout particulièrement son président Olivier Rietmann, pour cette réunion conjointe qui nous permet de partager nos réflexions sur une thématique pleinement d'actualité, le réchauffement climatique analysé sous l'angle des entreprises, en l'occurrence des entreprises ultramarines. En effet, les territoires ultramarins sont en première ligne face au dérèglement climatique.
Je tiens à saluer votre démarche puisque vous avez tenu à examiner la situation particulière des outre-mer, et à vous rendre personnellement aux Antilles. La mission de la délégation aux outre-mer que j'ai conduite aux Antilles avec les deux rapporteurs de notre étude sur l'adaptation des modes d'action de l'État, Philippe Bas et Victorin Lurel, en avril dernier, a précédé d'une semaine celle que vous avez vous-même menée en Martinique et en Guadeloupe.
Nous sommes donc impatients de recueillir votre diagnostic sur ce que vous avez vu et appris sur le terrain. Je note que nous sommes particulièrement nombreux pour vous entendre et partager nos points de vue.
Je me félicite de nos liens étroits et réguliers. Nous avons déjà pu travailler ensemble de manière fructueuse par le passé, sur les thèmes du recrutement pour les entreprises ultramarines et de l'attractivité des emplois dans nos territoires. Je rappelle que trois de nos collègues sont membres de nos deux délégations et sont en quelque sorte nos « référents » directs : Dominique Théophile, Catherine Conconne et Stéphane Fouassin.
Les économies ultramarines sont confrontées à des fragilités structurelles (insularité, éloignement, étroitesse des marchés, etc.), accentuées par certaines difficultés, comme une forte dépendance extérieure, des délais de paiement traditionnellement importants ou encore un tissu entrepreneurial composé essentiellement de petites, voire de très petites entreprises.
À la suite de la crise liée à la pandémie de Covid-19, sous l'impulsion du président Michel Magras, notre délégation s'était penchée sur « l'urgence économique outre-mer », en proposant que la sortie de crise soit l'opportunité de promouvoir un nouveau modèle de développement, plus résilient, davantage tourné vers l'économie verte et bleue, pour lequel les outre-mer pourraient faire figure de territoires pionniers.
Trois ans plus tard, cette rencontre est l'occasion de faire un point d'étape : le choix de cette thématique est opportun car chacun observe que la situation conjoncturelle se dégrade. Depuis quelques mois, les défaillances d'entreprises sont en augmentation et les tensions sont particulièrement fortes dans les secteurs comme la construction et le commerce.
Je suis convaincue que cette réunion commune nous permettra un échange et un enrichissement mutuel, mais aussi de tracer des perspectives pour nos chefs d'entreprise, qu'ils soient hexagonaux ou ultramarins.
M. Olivier Rietmann, président. - La parole est aux rapporteurs de la mission « Entreprises et climat ».
Mme Lauriane Josende, rapporteure de la mission d'information « Entreprises et climat ». - Ce déplacement en Martinique et Guadeloupe du 22 au 26 avril nous a permis de rencontrer deux dizaines de dirigeants de PME, et de dialoguer, dans les deux départements, avec les diverses organisations d'employeurs, ainsi qu'en Guadeloupe, avec les représentants des filières du BTP et du secteur touristique.
Ce séjour s'est déroulé pendant un épisode de « brume de sable », pollution de l'air lié aux sables du Sahara, lesquels n'impactent pas uniquement l'Europe. C'est un exemple concret, visible, du caractère mondial de notre sujet ! Ce déplacement nous permettra d'illustrer, avec des cas pratiques, les interactions entre entreprises et climat, et d'évaluer les politiques publiques d'accompagnement des entreprises dans leur transition environnementale.
La Martinique et la Guadeloupe sont exposées en première ligne aux impacts du changement climatique. Il s'agit principalement de la montée des eaux, qui provoque un fort recul du trait de côte, jusqu'à un mètre par an dans certains endroits, et de l'intensité croissante des pluies ou des cyclones. Ainsi, l'entreprise Klingele à Baillif, en Guadeloupe, première industrie du département et seule cartonnerie des Antilles, a subi la tempête tropicale Fiona en septembre 2022, avec une inondation qui a ravagé l'usine de 3 500 mètres carrés. Elle a pu maintenir 80 % de son chiffre d'affaires grâce à neuf mois d'importation de cartons, 40 % plus chers, afin de garder ses clients. Les pertes se sont élevées à 11 millions d'euros et l'entreprise attend un remboursement des assurances à hauteur de 5 ou 6 millions d'euros. Si elle n'était pas adossée à un groupe allemand, elle n'aurait pas survécu. Elle projette de déménager, car les assurances demandent de rehausser de 80 centimètres le sol du site actuel, ce qui est impossible, et de financer une digue de protection du littoral sur 1,5 kilomètre, ce qui est également hors de portée. On mesure les enjeux pour cette entreprise qui souhaite s'inscrire dans une démarche durable : le carton est fabriqué à partir de 70 % de matière recyclable, et est ensuite recyclé à 100 %, sans aucun produit chimique. Elle n'utilise pas de résine pour renforcer le carton mais de la colle à l'amidon de maïs ou de blé. Elle utilise par ailleurs de l'encre à l'eau.
D'autres zones à fort potentiel économique sont menacées : la zone industrielle du Jarry à Pointe-à-Pitre ou encore la plage de Sainte-Anne.
Nous évoquerons la question de l'assurabilité des entreprises lors d'une audition ultérieure de France Assurance. En effet, le coût des aléas climatiques pris en charge par les assurances pourrait doubler d'ici 2050, passant de 73 à 143 milliards d'euros. Le régime public des catastrophes naturelles, créé en 1982, est en déficit, alors que les dommages couverts vont augmenter de 40 à 60 % d'ici 2050. Si ces dommages ont une fréquence trop élevée, les biens seront inassurables, avec une franchise insupportable. Le rapport Langreney, remis le 2 avril dernier, préconise ainsi l'indexation automatique de la surprime « cat-nat » (catastrophes naturelles) pour suivre l'« inflation climatique ».
Cela rend d'autant plus critique la situation de ces départements. L'élévation du niveau des mers provoquée par le réchauffement climatique conduit à des intrusions salines rendant certaines nappes phréatiques impropres à la consommation. Nous avons été stupéfaits de l'ampleur de la crise de l'eau - et sans accès à l'eau, beaucoup d'entreprises ne peuvent simplement pas fonctionner. 98 % de la population locale boit de l'eau en bouteille, alors que le revenu moyen est de 500 euros par habitant. Ces deux départements bénéficient pourtant d'une pluviosité abondante. Les « tours d'eau », distribution intermittente ou alternée d'eau potable par zone géographique, les factures démesurées liées à des fuites ou à des « compteurs bloqués », l'absence de dialogue de la part des gestionnaires, provoquent un sentiment justifié de colère de la population comme des entreprises.
La question de l'accès à l'eau et à l'assainissement a été largement mise en avant lors des Assises des outre-mer, qui en ont fait une priorité des pouvoirs publics. Selon le président du MEDEF de Guadeloupe, « les coupures d'eau intempestives sont récurrentes » alors que le « plan eau Guadeloupe 2022 » avait pour objectif, dans « une première phase d'urgence », la suppression des « tours d'eau » dans un délai de 24 mois. L'État finance d'importants investissements, actuellement de l'ordre de 70 millions d'euros par an, mais cette somme est dispersée dans les différentes collectivités ultramarines et n'est pas à la hauteur des enjeux.
En Guadeloupe, le départ de Veolia, qui n'a pas suffisamment entretenu le réseau pendant vingt ans, sans que l'État ne s'en émeuve, a été catastrophique. Désemparées, les collectivités locales ont repris la gestion en régie, désormais unifiée. Elles doivent par ailleurs affronter la crise sanitaire de la chlordécone. Fuites des réseaux, stockage de l'eau de pluie en citernes abandonnées, impayés accumulés, branchements illégaux, absence de factures pour les entreprises qui les réclament : l'état des lieux est inquiétant.
Ni la création d'un syndicat mixte unifié dans les deux départements ni la subvention annuelle de l'État (20 millions d'euros en Guadeloupe) ne semblent suffisantes pour assumer les 800 millions d'euros de travaux à réaliser, d'autant que des embauches massives et excessives handicapent structurellement la gestion de ces syndicats.
La situation est pire encore pour l'assainissement. Sur 25 stations d'épuration financées par les aides européennes du fonds européen de développement régional (FEDER), seules 3 fonctionnent. Des stations neuves n'ont jamais fonctionné. Les eaux usées ne sont pas traitées et du corail meurt. La situation sanitaire se dégrade. Si l'écosystème et la biodiversité locale sont atteints, c'est l'attrait touristique qui sera menacé. Pour le MEDEF, « la situation est gravissime. Il faut en faire un chantier prioritaire et investir un milliard d'euros ». C'est le prix à payer pour atteindre le retour à une situation normale de l'eau en Guadeloupe, pour tous, sous 5 ans, avec un schéma quinquennal d'investissement, comme le promet le Livre bleu outre-mer de 2018. Mais, faute de financements appropriés, force est de reconnaître qu'en cinq ans, on ne constate aucun retour à la normale. Si ce financement était mobilisé, encore faudrait-il qu'il profite aux entreprises locales. Or, certains laissent entendre que les entreprises guadeloupéennes ou martiniquaises ne sont pas capables de répondre aux appels d'offres et qu'il faut faire appel à des multinationales du secteur du BTP.
J'ai longuement évoqué ce sujet de l'eau, sujet traité par ailleurs par le Conseil économique social et environnemental (CESE), car il résonne avec la situation de mon département, les Pyrénées-Orientales. Comme la délégation aux entreprises l'a constaté lors d'un déplacement le 1er février dernier, la sécheresse y sévit. Depuis deux ans, la pluviométrie y est comparable à celle enregistrée dans certains pays du Sahel. Il pleut davantage à Marrakech qu'à Perpignan, même si nous avons la chance d'avoir enfin eu un peu de pluie ces derniers jours. Un arrêté de crise et des restrictions d'usage de l'eau sont en vigueur depuis plus d'un an. Des filières économiques, notamment agri-viticoles sont menacées. Pourtant, des entreprises, comme nous l'avons vu lors de ce déplacement, font d'importants efforts pour recycler l'eau et diminuer drastiquement leur consommation. L'eau reste néanmoins indispensable à l'activité économique.
Mme Brigitte Devésa, rapporteure de la mission d'information « Entreprises et climat ». - Je remercie le Président qui nous a accordé sa confiance en nous nommant rapporteurs de cette mission d'information « Entreprises et climat ». La transition écologique et l'environnement étaient des sujets que je méconnaissais : nous apprenons énormément depuis le début de nos auditions.
Le réchauffement climatique provoque également le développement des algues sargasses, ce sont des algues brunes dites holopélagiques, qui s'échouent épisodiquement de façon plus ou moins massive sur les côtes antillaises et guyanaises depuis 2011. Elles présentent, au-delà d'un certain seuil, un risque sanitaire.
Nous avons visité l'entreprise martiniquaise Master Salad, dont le fondateur est un ancien militaire. Il lui a fallu deux ans pour trouver le foncier nécessaire à son activité, en l'occurrence un ancien entrepôt de bananes. Cela illustre les conclusions du récent rapport de nos collègues de la délégation aux outre-mer, Vivette Lopez Thani Mohamed Soilihi consacré au foncier agricole en outre-mer. Comme le chef d'entreprise percevait à l'époque le revenu de solidarité active (RSA), les banques locales lui ont refusé un prêt bancaire de 3,5 millions d'euros, qu'il a finalement obtenu d'une banque à Marseille. Il s'approvisionne localement en salades, mais il n'échappe pas aux actes de jalousie ou de malveillance. Mais les quantités produites localement ne suffisent pas : il importe donc depuis l'Espagne, s'étant diversifié dans les crudités, les sauces et le fromage, et travaille dans l'Hexagone avec la Laiterie Gilbert. L'entreprise emploie 15 salariés qui emballent 1 tonne de salade par jour.
Il nous a signalé deux difficultés majeures. La première est de trouver une main-d'oeuvre qui a le goût de l'effort. Dans un département où sévit le chômage, comment comprendre qu'il ne puisse trouver les salariés pour vendre du fromage à la coupe pour un salaire mensuel de 2 500 euros bruts ? Il n'a ainsi pas pu ouvrir un restaurant, avec 21 emplois à la clé, faute de trouver un gérant qu'il aurait pourtant payé 75 000 euros par an. Je rappelle que le coût de la vie dans ces départements est de 40 % supérieur à celui de l'Hexagone. La deuxième difficulté tient aux retards de paiement des collectivités publiques, qui peuvent atteindre huit mois, voire plus, et ont été évoqués par de multiples interlocuteurs. L'entreprise attend toujours le règlement d'une facture en date de septembre 2023. Sa décision, radicale, est de ne plus répondre aux appels d'offres des cantines communales, sauf à ceux de la seule cantine qui règle à temps.
La « déprise démographique » de ces départements a également été évoquée par le dirigeant du groupe Citadelle, opérateur de mobilités dans les Antilles, avec lequel nous avons eu un entretien. Il a fait part de ses vives inquiétudes sur le dépeuplement et le vieillissement accélérés. La Martinique et la Guadeloupe connaissent en effet le rythme de dépeuplement le plus rapide de France, selon l'Insee, supérieur à celui de la Meuse ou de la Haute-Marne, avec un solde migratoire et naturel négatif depuis 2020, et le vieillissement le plus rapide de France.
Les économies ultramarines ont une empreinte carbone élevée. Le mix électrique est très dépendant d'énergies fossiles, en raison de l'absence de production nucléaire et du retard de développement des énergies renouvelables. La dépendance aux importations pour un très grand nombre de fournitures ajoute à cette empreinte. Enfin, les sociétés ultramarines sont très dépendantes de transports émetteurs de CO2 : la voiture, excessivement présente faute de transports en commun, le bateau pour les approvisionnements, l'avion tant pour l'activité touristique que pour les déplacements de la population.
Nous avons ensuite visité la seule raffinerie française des Antilles à la pointe du Jarry, la Société anonyme de raffinerie des Antilles (SARA). Première entreprise antillaise à mission depuis 2023, elle est un acteur majeur de l'économie des Antilles. Afin d'optimiser le raffinage en fonction de la structure du marché et de la consommation locale, l'entreprise s'approvisionne aux États-Unis, désormais premier producteur mondial de pétrole, et en mer du Nord. Son objectif de décarbonation est de passer de 123 000 tonnes de gaz à effet de serre (GES) aujourd'hui à 86 000 tonnes en 2030, grâce à des procédés d'amélioration de l'efficacité énergétique. Plus grosse consommatrice d'eau de l'île, elle s'approvisionne désormais en mer, permettant ainsi d'alléger significativement ses prélèvements sur le réseau.
La décarbonation totale paraît hors d'atteinte. D'une part, la production d'hydrogène vert semble hors de portée, même avec des subventions importantes. D'autre part, la biomasse est convoitée pour d'autres usages, les procédés sont encore expérimentaux et la visibilité temporelle des investissements est trop incertaine.
La transition énergétique dans cette zone doit donc passer par le développement du mix énergétique. En Martinique, les énergies renouvelables ne représentaient que 6 % du mix énergétique en 2017, mais 27 % en 2022, notamment grâce au recours croissant à l'énergie solaire. Le photovoltaïque présente donc un large potentiel de développement, le taux d'ensoleillement moyen y étant de 2 400 heures par an, contre 1 850 heures à Paris.
Nous avons visité Systeko, en Martinique, qui intervient sur toute la chaîne de valeur- de la construction à la maintenance - des installations photovoltaïques, importées de Chine. De 15 millions d'euros en 2017, son chiffre d'affaires a cru à 22 millions d'euros en 2023. Cette hausse de 40 % s'explique par le développement de l'injection dans le réseau électrique de la production photovoltaïque Ce chiffre d'affaires est réalisé, soit par location de la toiture, soit par vente directe, laquelle représente 90 % de son activité contre 10 % seulement pour la location.
L'entreprise se heurte aux difficultés techniques du raccordement au réseau EDF. Alors qu'il suffit de trois semaines pour installer des panneaux, le raccordement peut prendre trois ans. Comme le modèle dominant est la location, c'est l'entreprise qui règle les loyers aux propriétaires à la place d'EDF. Les territoires antillo-guyanais constituent des zones non interconnectées (ZNI) au réseau électrique hexagonal, ils doivent donc produire et distribuer localement l'électricité nécessaire à leur consommation.
Nous avons ici l'illustration concrète des causes du retard de la France dans l'atteinte de ses objectifs d'énergies renouvelables (EnR) électriques. Avec 28 % de part des EnR dans sa consommation d'électricité en 2022, la France dépasse enfin le seuil des 27 %, qui était son objectif à fin 2020, mais ne suit toujours pas sur la trajectoire qui lui permettra d'atteindre les 40 % visés fin 2030.
Ce taux est désormais inaccessible. En Martinique, le schéma régional du climat, de l'air et de l'énergie (SRCAE) ambitionnait une production d'énergie renouvelable représentant 58 % de l'énergie produite à l'horizon 2023. Le retard est de plus de trente points. Or, seul « un développement massif des énergies vertes, localement, au niveau des territoires, reste la clé de la décarbonation et permet de sécuriser en partie notre approvisionnement énergétique » comme le clame la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR). Autrement dit, le développement du photovoltaïque doit s'effectuer au même rythme que le développement du réseau électrique.
Les causes du retard sont connues. D'abord, les procédures et demandes d'autorisations pour les projets d'EnR étaient très longues même si elles ont été récemment accélérées. Ensuite, les politiques nationales à l'égard des énergies renouvelables manquent d'engagement. Enfin et surtout, les nouveaux projets - éoliens en particulier - provoquent localement des levées de boucliers. Nous avons appris le blocage d'éoliennes en mer en raison de conflits relatifs aux zones de pêche, en lien avec l'impact sur la biodiversité ou aux nuisances dues à leur acheminement en partie terrestre (comme à Grand'Rivière en Martinique). Pour les éoliennes terrestres, on rencontre les mêmes difficultés d'acceptabilité sociale que dans l'Hexagone. Malgré des retards importants, 10 000 foyers martiniquais sont alimentés depuis février 2020 en électricité grâce au vent.
La décarbonation conduit à l'électrification de nos filières économiques. Mais un important travail de synchronisation reste à réaliser, ce qui suppose une programmation mieux articulée pour développer la consommation électrique. Ainsi, si l'on impose aux loueurs de voitures de proposer 25 % de véhicules électriques, il faut proposer dans le même temps un nombre de bornes suffisant ainsi que la puissance électrique adaptée, ce qui n'est pas le cas actuellement.
M. Simon Uzenat, rapporteur de la mission d'information « Entreprises et climat ». - Je remercie le président Olivier Rietmann de nous avoir accompagné dans cette visite de terrain. C'était mon premier déplacement en Martinique et en Guadeloupe, et il a été riche d'enseignements. Nous sommes tous d'accord : ces territoires ont vocation à être les premiers en matière d'adaptation au changement climatique et d'innovation dans le secteur économique pour y faire face.
La première illustration est l'entreprise Top Caraïbes, qui importe de l'acier européen produit par Arcelor Mittal pour réaliser les toits en tôle qui couvrent 95 % des habitations aux Antilles. Le marché est cependant étroit et le retour sur investissement est long, d'autant que la durée de vie de ces toitures a été divisée par deux avec l'abandon de produits interdits comme le plomb. Par ailleurs, le coût de la matière première a augmenté de 85 %, alors que le prix facturé au client n'a augmenté que de 60 %, parce que le secteur est très concurrentiel. On recense six entreprises en Guadeloupe contre quatre à La Réunion, alors que le nombre d'habitants y est bien supérieur.
Je rappelle également l'importance des événements climatiques comme les cyclones, qui sont très fréquents. Nous en avons eu l'illustration avec Irma à Saint-Martin en 2017 qui a nécessité un renouvellement massif des toitures.
Dans la continuité des propos de ma collègue Brigitte Devésa, je pointe le retard d'un certain nombre d'opérateurs, notamment EDF, qui a conduit l'entreprise à attendre son raccordement en Guadeloupe, le poste d'alimentation étant considéré incompatible, alors qu'il avait pourtant été validé par EDF en Martinique. L'entreprise a dû utiliser un groupe électrogène pendant plusieurs mois !
Cette même entreprise a connu une coupure d'eau brutale en pleine journée, parce qu'elle avait mal rempli un formulaire administratif, sans que le gestionnaire d'eau ne la contacte pour régulariser la situation. Elle a dû batailler pour rétablir l'alimentation. L'entreprise cherche à augmenter son autonomie, avec la récupération de l'eau de pluie notamment, mais si celle-ci lui permet de faire face à des aléas momentanés, elle ne lui permet pas de compenser des ruptures d'alimentation durables.
Cette entreprise est innovante et propose notamment des toitures intégrant une isolation thermique. Toutefois, celles-ci ne bénéficient pas d'aides plus importantes que les toitures sans isolation. Les toitures foncées, qui concentrent les rayons du soleil, élèvent la chaleur dans les habitations et donc augmentent le recours à la climatisation très énergivore, sont aidées de la même façon que les toitures plus claires qui présentent pourtant des avantages pour lutter contre le réchauffement climatique : ce sont là pour nous des aberrations.
En termes de recyclage, l'entreprise est contrainte de réexpédier dans l'Hexagone les chutes d'acier issues de sa production, l'entreprise locale, la Société nouvelle de récupération de Guadeloupe, ne valorisant pas l'acier recyclé. Il nous semble que des solutions pourraient être mises en oeuvre assez simplement.
Le deuxième exemple emblématique est celui d'Emerwall, jeune start-up créée en 2021. Elle propose des isolants acoustiques et thermiques écoresponsables à base de bagasse, notamment son produit phare dénommé « Emerflex ». Elle valorise ainsi une petite partie du sous-produit de la distillerie martiniquaise. Ces isolants répondent aux obligations de la réglementation environnementale « RE2020 », même si cette réglementation n'est pas pour l'instant déclinée de manière spécifique pour les territoires ultramarins. La bagasse est également recherchée pour son potentiel énergétique, en tant que biomasse. Cette solution d'isolation permet de limiter le recours aux systèmes de climatisation, et substitue un produit local aux laines de verre ou aux laines de roche importées, certes à des prix inférieurs mais avec un impact carbone beaucoup plus important.
L'entreprise Gazdom a été créée en 2015 en Martinique. Elle est spécialisée dans la fabrication, le conditionnement et la distribution de gaz industriels et de fluides frigorigènes. Son activité est bien sûr très dynamique sur des territoires qui connaissent des températures élevées. Elle propose une gamme complète de produits pour l'automobile, l'agroalimentaire ou la plongée. L'utilisation de ces produits, notamment par les automobiles, appelle à une vigilance particulière pour éviter les fuites de gaz réfrigérants, très émetteurs de gaz à effet de serre. Ils sont 10 000 fois plus nocifs que le CO2 ! On constate également des trafics illégaux de gaz réfrigérants qui ne sont pas aux normes et ne sont pas adaptés aux systèmes de réfrigération, ce qui augmente le risque de fuites préjudiciables pour le climat.
Nous avons enfin rencontré deux filières essentielles pour le développement économique des territoires antillais : celles du BTP et du tourisme.
Nos interlocuteurs du secteur du BTP ont déploré la baisse des investissements publics. Ils s'inquiètent de la diminution de la population et des nouvelles obligations liées à la « RE2020 ».
Un enjeu central est celui des problèmes de recrutement et de formation, qui nous ont souvent été signalés, notamment à cause d'un manque de soutien public local. Par exemple, les centres de formation ne disposent pas de plateaux techniques, ce qui conduit les jeunes à partir se former dans l'Hexagone. Les entreprises ont pris leurs responsabilités et ont créé un centre de formation d'apprentis (CFA). Mais dans certains cas, cela ne suffit pas : par exemple, Top Caraïbes nous signale qu'elle ne peut pas former localement des conducteurs d'engins à pilotage latéral, ce qui requiert un certificat d'aptitude à la conduite en sécurité (CACES) particulier.
Cependant, il y a des besoins d'infrastructures, notamment en matière de traitement des déchets. Nous déplorons que les délégations de service public pour les usines en projet aient été annulées.
La défiscalisation de la construction n'est pratiquement plus utilisée, parce que les services du ministère de l'Économie et des finances tardent trop à instruire les dossiers. Les délais administratifs sont régulièrement pointés du doigt. Les représentants de l'État dans les territoires sont de bonne volonté, mais ils n'ont pas les moyens d'agir à la hauteur des attentes des entreprises.
Par ailleurs, l'augmentation des délais de paiement est très préoccupante. C'est d'autant plus incompréhensible que les collectivités locales tardent plusieurs mois à régler leurs factures mais exigent des entreprises candidates aux marchés publics qu'elles soient à jour de leurs paiements ! On attend des entreprises qu'elles deviennent les banquiers des collectivités locales. C'est un problème qui semble pourtant assez facile à régler et qui permettrait aux entreprises de tenir le coup. Certaines craignent de devoir licencier une partie de leur personnel si elles ne sont pas payées rapidement.
Nous avons rencontré la Fédération du tourisme et des restaurateurs et l'Union des métiers de l'industrie hôtelière de Guadeloupe. Il me semble que nous avons contribué à créer des liens entre ces deux acteurs qui se parlaient peu. 75 % du tourisme de Guadeloupe est concentré dans la « Riviera du Levant » (la communauté d'agglomération regroupant les villes de la Désirade, du Gosier, de Sainte-Anne et de Saint-François), confrontée au recul du trait de côte. Ces acteurs s'inquiètent des impacts du surtourisme sur leur territoire.
Ils demandent une simplification du millefeuille administratif. L'empilement des échelons et des responsabilités ainsi que les moyens insuffisants des intercommunalités constituent des freins à leur activité.
Depuis 2000, la Guadeloupe a enregistré la fermeture de nombreux hôtels entraînant une diminution d'environ 40 % du nombre de chambres, soit un peu plus de 2 000 chambres au total. L'industrie touristique représente actuellement 30 % du PIB antillais et souhaiterait atteindre 60 %. Cependant, elle veut accueillir moins et accueillir mieux. Le tourisme de masse et le « tourisme sandwich », notamment sous la forme des escales des bateaux de croisière, amènent des flots de visiteurs qui consomment peu mais abîment les écosystèmes locaux.
Nous avons évoqué le « slow tourism ». L'un de nos interlocuteurs nous a indiqué souhaiter que le séjour des touristes soit zéro carbone dès lors qu'ils posent le pied sur l'île. Cela pourrait passer par le développement du vélo, mais on ne compte que 700 mètres de pistes cyclables en Guadeloupe.
La taxe touristique n'est aujourd'hui pas mutualisée : son affectation devrait être revue.
Nous n'avons pas pu visiter l'entreprise Myditek en raison d'un barrage routier des producteurs de canne à sucre. Elle propose aux exploitants agricoles des solutions numériques pour le pilotage de la production.
Ce barrage routier témoigne de la très forte conflictualité sociale qui existe dans les territoires antillais, nourrie par des inégalités ressenties comme insupportables, avec d'un côté les fonctionnaires et les cadres du secteur privé, plutôt bien rémunérés, ou ceux qui bénéficient de rentes de situation, et de l'autre de nombreuses personnes en situation de précarité qui subissent les affres de la vie chère.
La balance commerciale est très déficitaire. Le taux de couverture - c'est-à-dire le ratio entre la valeur des importations et celle des exportations - est seulement de 8,7 % en Martinique et de 11 % en Guadeloupe. Nous avons identifié des marges de progression, notamment sur l'alimentation et les monocultures. Sur les 232,9 millions d'euros de produits exportés par la Martinique, 70 millions d'euros proviennent des ventes de banane.
M. Olivier Rietmann, président. - Je remercie les trois rapporteurs pour leur implication dans les travaux de la mission d'information et cet excellent compte-rendu de notre déplacement.
Les retards de paiement des collectivités territoriales sont tels que les entreprises qui travaillent pour elles ne paient plus leurs charges, afin de conserver leur trésorerie et de continuer à investir. Lorsqu'elles reçoivent les rappels de charges et les pénalités correspondantes, elles répondent en envoyant les factures impayées des collectivités et en invitant leurs créanciers à se tourner vers ces collectivités.
Nous avons également rencontré le patron du RAID à Fort-de-France et qui nous a fait part d'un certain nombre de dysfonctionnements.
Le RAID n'intervient pas seulement, comme dans l'Hexagone, sur des situations terroristes ou très dangereuses. Il intervient sur toutes les interpellations. Celles-ci sont beaucoup plus dangereuses que dans l'Hexagone, parce que de nombreuses armes circulent sur le territoire. Ces interventions se déroulent aussi bien sur terre qu'en mer, en lien étroit avec les douanes.
Le bâtiment dans lequel il est installé ne correspond pas aux besoins. Plus de 600 000 euros ont été investis dans sa rénovation sans que les équipes soient interrogées sur leurs attentes. Ainsi, si le bâtiment compte plusieurs portes métalliques blindées, ce n'est pas le cas dans l'armurerie qui contient pourtant un arsenal très important !
Les visites de terrain sont « l'ADN » de la délégation aux entreprises. En conclusion de ce déplacement, après ces riches discussions avec les acteurs locaux et les dirigeants d'entreprises, nous avons la conviction que la transition énergétique ne concerne pas uniquement les producteurs d'énergie et les gros consommateurs. Elle doit se traduire par la mobilisation des PME, TPE, entreprises individuelles des territoires, tant en matière de consommation que de production. Le rôle des organisations d'employeurs pour la sensibilisation, la formation, l'accompagnement, est ici essentiel. Les collectivités locales doivent avoir un effet d'entraînement dans la transition énergétique, en développant l'équipement de leurs bâtiments en matériel de production photovoltaïque, en constituant des flottes de véhicules électriques et en proposant une offre de mobilités collectives plus conséquente. Elles doivent pouvoir aider davantage les entreprises locales grâce à la commande publique, en renforçant les clauses de responsabilité sociétale des entreprises (RSE).
L'impact climatique est plus fort dans les territoires ultramarins que dans l'Hexagone, ce qui exacerbe les enjeux que nous connaissons dans nos départements : disponibilité du foncier économique, formation de la main-d'oeuvre, adaptation des normes aux spécificités de chaque territoire, etc. Les handicaps structurels doivent être compensés par une fiscalité adaptée.
Je donne un exemple de la nécessité d'adaptation des normes, : dans l'Hexagone, les interpellations à domicile ne peuvent pas avoir lieu avant 6 heures du matin. Cet horaire permet aux équipes d'intervention de pouvoir bénéficier de l'obscurité de la nuit. Or en Martinique, il fait déjà grand jour à 6 heures du matin et l'effet de surprise n'existe plus. Il faudrait autoriser les interpellations à domicile dès 5 heures du matin sur ce territoire.
La Martinique et la Guadeloupe disposent de tous les atouts pour devenir des territoires décarbonés, avec un développement durable et responsable. Il appartient à l'État de mobiliser les moyens suffisants, et aux collectivités locales de faire preuve de responsabilité et d'exemplarité afin de montrer la voie de la transition environnementale.
Mme Micheline Jacques, président de la délégation aux outre-mer. - Les outre-mer sont au coeur des enjeux de différenciation territoriale et d'adaptation normative. Je vous remercie de les avoir appréhendés in situ. De nombreuses règles ne sont en effet pas adaptées aux territoires ultramarins, nous l'avons vu dans le secteur du logement. Il y a des aberrations. L'une de mes premières interventions au cours des débats sur le projet de loi de finances (PLF) concernait la révision des contrats des producteurs d'énergies renouvelables.
Le taux d'ensoleillement de nos territoires est important et l'énergie photovoltaïque devrait y être valorisée. À Saint-Barthélemy, malgré la violence des vents de l'ouragan Irma, nous n'avons perdu que 40 % des panneaux photovoltaïques installés, ce qui montre qu'ils peuvent résister à des vents importants s'ils sont correctement fixés.
En matière de formation, les régiments du service militaire adapté (RSMA) réalisent un travail extraordinaire tant en Martinique qu'en Guadeloupe. Ils proposent 70 formations gratifiantes et 82 % des diplômés sont embauchés rapidement par des entreprises. Malheureusement le SMA n'est accessible qu'à partir de 18 ans, alors que l'école n'est obligatoire que jusqu'à 16 ans. Il y a donc une « zone floue » pour les jeunes de 16 à 18 ans qui aboutit à des situations de rupture, certains étant livrés à eux-mêmes dans la rue. Il est ensuite difficile de les réintégrer à 18 ans dans une structure de formation. Dès le collège, il faudrait identifier les jeunes intéressés par des métiers manuels.
Nos territoires sont des riches en innovations, qui peuvent servir de modèle pour résoudre les problèmes que rencontre l'Hexagone, par exemple sur la problématique de l'eau. Certains territoires ont par exemple mis en place des dispositifs de récupération de l'eau de pluie.
M. Olivier Rietmann, président. - Tout n'est pas perdu, nous arrivons à faire avancer certains dossiers. Avec le président Micheline Jacques, nous avions échangé sur l'application de certaines normes en matière de bois de construction. Pour bénéficier de certaines subventions, les entreprises doivent utiliser du bois de construction avec la norme CE. Or, pour que le bois acheté en Guyane bénéficie de cette norme, il fallait qu'il transite par l'Hexagone avant de repartir en Guadeloupe ou en Martinique. Nous avions fait part de ce problème aux autorités compétentes : les constructeurs que nous avons rencontrés au cours de notre déplacement nous ont dit qu'il était résolu et que le bois guyanais bénéficiait désormais de la norme CE sans devoir passer par l'Hexagone.
Mme Brigitte Devésa, rapporteure de la mission d'information « Entreprises et climat ». - En Guadeloupe et en Martinique, nous avons rencontré des entreprises très attachées à la transition écologique et au développement durable. Elles font face à des difficultés, mais avec un travail commun, nous pourrions améliorer leurs conditions d'activité. Elles sont très réactives. Ainsi, l'entreprise Klingele, qui avait été inondée, a réussi à reprendre rapidement son activité.
En tant que parlementaires, nous devons interpeller le Gouvernement sur les problèmes spécifiques rencontrés par les territoires ultramarins. Il est regrettable que sur des territoires qui bénéficient d'un ensoleillement aussi important, le développement de l'énergie de source photovoltaïque soit parfois entravé.
En raison d'un manque de solutions de formation, certains jeunes sont désoeuvrés. Cette situation est un creuset pour le développement de la violence.
Ces problèmes ne sont pas insurmontables. C'est à travers des comptes-rendus comme celui que nous venons de vous présenter que nous pouvons alerter les autorités compétentes de l'État. Vous avez tout notre soutien !
M. Michel Masset. - Je vous remercie pour cette « photographie » de la réalité ultramarine. Je ne l'imaginais pas aussi difficile.
Quelles doivent être les priorités des parlementaires pour anticiper l'avenir, pour accompagner ces territoires ? Quelles sont les perspectives d'espoir ?
M. Jean-Gérard Paumier. - Je suis sidéré par ce que j'ai entendu sur le manque d'eau et sur les obstacles au développement de l'énergie de source photovoltaïque, dans des îles pourtant ensoleillées.
Les collectivités territoriales de l'Hexagone sont contraintes de payer leurs factures sous vingt jours, sous peine d'astreintes et de pénalités. Les collectivités ultramarines sont-elles soumises à des règles particulières, y-a-t-il moins de contrôles ? Comment est-il acceptable de laisser persister de tels retards de paiement qui pénalisent l'économie locale ?
M. Akli Mellouli. - Vous avez évoqué un besoin d'investissement de l'ordre d'un milliard d'euros pour le secteur de l'eau. Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2024, j'ai porté un amendement modeste de 100 millions d'euros qui a été rejeté. Nous serions bien inspirés de déposer un amendement transpartisan, mobilisant 200 millions d'euros par an pendant cinq ans pour financer la réparation du réseau et régler enfin le problème de l'approvisionnement en eau, qui constitue une catastrophe écologique.
M. Olivier Rietmann, président. - Il semble que Veolia soit parti en laissant derrière-lui un réseau dégradé. Celui-ci a été construit il y a des années et fuit à plus de 50 %. Aucun chantier d'entretien n'a été réalisé.
Parallèlement, sur vingt-cinq stations d'assainissement financées en grande partie par des fonds européens, seules trois ont été mises en service, malgré les sommes très importantes investies.
Je pense qu'il faudra rectifier la situation en fixant un certain nombre de conditions à l'utilisation des sommes investies. Il faudra veiller à ce que les marchés soient attribués à des entreprises locales, mais aussi à ce que l'argent soit bien utilisé pour réaliser des travaux sur le réseau d'eau ou sur le réseau d'assainissement, et non pour payer des salaires supérieurs de 40 % à ceux versés dans l'Hexagone.
La vie dans les territoires ultramarins étant plus chère que dans l'Hexagone, et les fonctionnaires bénéficiant d'une majoration de leur traitement de 40 %, beaucoup d'habitants veulent devenir fonctionnaires plutôt que de travailler pour le privé.
Le rôle d'un syndicat ou d'une collectivité n'est pas uniquement d'embaucher et d'utiliser tous les fonds dont ils disposent pour payer des salaires. Ils doivent les utiliser pour investir et maintenir les infrastructures.
Nous devrons inévitablement mobiliser de nouveaux investissements, mais il faudra être attentifs à l'affectation de ces sommes.
M. Akli Mellouli. - S'il y a de la corruption, il appartient à l'État de prendre ses responsabilités. On ne peut pas prendre en otage toute une population parce que certains feraient une mauvaise utilisation des fonds. L'égalité territoriale doit s'appliquer.
M. Olivier Rietmann, président. - Je vous rejoins, c'est à l'État de prendre ses responsabilités, de poser des conditions et de contrôler.
Comme vient de le dire Jean-Gérard Paumier, il n'est pas normal que les collectivités de la Somme ou de Haute-Saône soient contraintes de payer leurs factures sous 20 jours, alors que certaines collectivités des outre-mer attendent huit, dix, douze mois ou même dix-huit mois pour les régler. Un chef d'entreprise nous a dit qu'une collectivité lui devait 600 000 euros pour des travaux. Il s'apprête à renoncer à être payé après avoir attendu dix-huit mois, et ne travaillera plus jamais pour elle.
M. Jean-Gérard Paumier. - Il y a pourtant des préfets et des directions générales des Finances publiques (DGFiP) dans tous les territoires.
M. Olivier Rietmann, président. - On nous a dit que les services de l'État faisaient tout ce qu'ils pouvaient.
M. Guillaume Gontard. - Je ne reviens pas sur l'enjeu de l'eau qui est primordial. La situation est dramatique : il faudra agir et trouver des financements. Sur les actions passées, il existe des rapports éclairants de la Cour des comptes. Il faut passer à la vitesse supérieure pour l'avenir.
Certains éléments présentés par les rapporteurs de la délégation aux Entreprises recoupent le rapport que j'avais présenté au nom de la délégation aux outre-mer, avec le président Micheline Jacques et notre collègue Victorin Lurel, concernant la politique du logement dans les outre-mer. Ces territoires subissent de plein fouet le dérèglement climatique et ses conséquences sont beaucoup plus importantes que dans l'Hexagone. Toutes les problématiques auxquelles sont confrontées la Guadeloupe ou la Martinique se retrouvent sur chacun de nos territoires, qu'il s'agisse de la relocalisation, de la réindustrialisation ou de l'utilisation des ressources.
Nous avons tout intérêt à nous y intéresser, parce que nous aurons aussi à y réfléchir dans nos territoires. Nous devons faire de ces territoires ultramarins des territoires pilotes et réfléchir au droit à l'expérimentation, pour leur permettre de « sortir des lignes », peut-être dans le cadre d'une contractualisation avec l'État.
Vous avez parlé du sujet des normes. Certaines réglementations aboutissent à des situations aberrantes, par exemple dans le cas de la certification du bois que vous avez cité. Il va falloir y remédier.
J'ai visité, à La Réunion, le Centre d'innovation et de recherche du bâti tropical (CIRBAT) qui travaille sur des normes spécifiques pour les territoires tropicaux. C'est la bonne manière d'avancer, en mobilisation des moyens pour la recherche.
Le droit à l'expérimentation peut aussi permettre d'avancer en matière de formation.
Enfin, en matière de délais de paiement, je suis intervenu dans mon département, en Isère, pour des problématiques similaires. Les délais de paiement ont un impact sur l'économie. Les entreprises ne sont pas payées suffisamment rapidement en raison de dysfonctionnements de la DGFiP, notamment de la réorganisation des centres de trésorerie sur les départements. Je note d'ailleurs de grandes inquiétudes sur l'avancée de cette réorganisation, puisque nous allons compter deux centres de trésorerie par département. Nous parlons en ce moment de simplification : celle-ci passe aussi par un meilleur service public.
Mme Micheline Jacques, président de la délégation aux outre-mer. - La problématique de l'eau rejoint celle de l'adaptation normative. Les canalisations posées dans les territoires ultramarins ont été conçues pour l'Hexagone. Les concepteurs des réseaux n'ont pas tenu compte des spécificités des milieux alcalins. Ces canalisations auraient dû durer 70 ans, mais se sont abîmées beaucoup plus vite que prévu en raison de la composition physico-chimique des sols, ce que les élus n'ont pas pu anticiper. Ils sont donc confrontés à la casse de ces réseaux.
En matière de masse salariale, il ne faut pas oublier que le contexte est particulier. Après le déclin de la culture de la canne à sucre, les communes ont dû composer avec un fort taux de chômage et une grande pauvreté. Pour sortir de cette situation, elles ont embauché des agents qui ont ainsi pu faire vivre leur famille. Ces embauches produisent des effets de long-terme, parfois sur 30 ans. C'est la volonté des communes de conduire une politique sociale qui a gonflé leur masse salariale, qui pèse aujourd'hui lourdement sur leur budget de fonctionnement et obère leurs capacités d'investissement.
Il y a peu, les fonds européens n'étaient pas orientés vers l'eau et l'assainissement. Cela a changé. Cependant, les collectivités doivent financer sur leurs fonds propres une partie des projets mais au regard des sommes en jeu, elles ne disposent pas de ressources suffisantes. Il faudrait trouver des solutions avec le Gouvernement ou Bpifrance, pour permettre à ces collectivités de lancer des chantiers de déploiement des réseaux d'eau ou de mener des travaux d'enfouissement des lignes aériennes. En effet, les ouragans endommagent voire détruisent fréquemment les réseaux. À Saint-Barthélemy, qui est un petit territoire, nous avons entrepris l'enfouissement de tous les réseaux depuis 1995.
Je fais confiance aux territoires ultramarins et lorsque je me déplace, je découvre de nombreuses initiatives extraordinaires que nous devons soutenir.
Enfin, en écho à Guillaume Gontard, avec lequel j'ai eu plaisir à travailler dans le cadre du rapport sur la politique du logement outre-mer, j'aimerais dire que des solutions existent. Les Assises de la construction durable en outre-mer ont été lancées. Il appartient au législateur de veiller à ne plus enfermer nos territoires dans un carcan normatif, mais plutôt de leur laisser la possibilité de montrer ce qu'ils savent faire.
Mme Audrey Bélim. -Je suis ravie des nombreuses missions et déplacements conduits dans les outre-mer au sein de notre assemblée, ce que je constate depuis le début de mon mandat. J'ai moi-même fait partie d'une délégation de sénateurs en déplacement à La Réunion et à Mayotte pendant huit jours.
Ce qui ressort de nos territoires ultramarins, c'est que lorsque l'on n'a pas de soutien de l'État, on se débrouille. Au-delà des questions liées au dérèglement climatique et à la transition écologique, les territoires ont besoin de soutien. Il en va de la protection physique des populations.
Ce qui est important, c'est soutien et le projet de l'État pour les outre-mer. En Guyane, l'État a installé les activités du groupe Ariane. Ariane c'est l'aérospatial, le savoir-faire français, la recherche, etc. Pourtant, les Guyanais sont coupés d'Ariane.
La Réunion dispose d'une forte expertise volcanologique puisque l'un des volcans les plus actifs du monde est situé sur l'île. L'observatoire volcanologique du Piton de la Fournaise a été installé à La Réunion. De même, une station de référence mondiale sur le changement climatique y est située, l'Observatoire de physique de l'atmosphère de La Réunion. Or, nos populations en sont coupées.
Les missions conduites par le Sénat en outre-mer sont pour nous un relais important, puisque les sénateurs des outre-mer ne sont pas très nombreux.
Nous avons besoin de savoir quel est le projet de l'État pour ses outre-mer. Nous savons ce que nous voulons à La Réunion, nos problématiques sont structurelles. Nous savons que notre tissu économique est petit et fragile. Les élus des Antilles et de Guyane connaissant aussi leurs problèmes. Nous savons où nous voulons aller, nous savons que nous sommes ingénieux, mais nous ne savons pas jusqu'où l'État est prêt à nous accompagner en termes de financements, de compétences, d'ingénierie, etc.
Si nous avions donné aux Français de Guyane la possibilité de faire de ce territoire l'un des plus grands centres de savoir-faire sur l'aérospatial, la Guyane aurait peut-être eu un autre destin.
Aujourd'hui, trois millions de Français vivent dans des régions éloignées. L'un des territoires le plus en danger est Mayotte : nous devons en parler.
J'aime découvrir l'Hexagone, j'ai adoré participer à une réunion « hors les murs » à Marseille car parce que j'ai besoin de mieux connaître les territoires hexagonaux qui sont aussi les miens car je suis française. À La Réunion, nous avons besoin que ce désir d'outre-mer se diffuse grâce à vous tous, qu'il soit partagé. Continuez à vous déplacer dans les outre-mer, à prendre nos bonnes idées et à défendre nos besoins.
M. Frédéric Buval. - Votre perception de la situation aux Antilles est très sombre. Je ne m'y suis pas retrouvé. Vous vous êtes peut-être adressés aux mauvaises entreprises.
La Martinique couvre 1 100 km2. Sa population diminue chaque année, nous avons perdu plus de 30 000 habitants en moins de six ans, avec le plus fort vieillissement de France. Alors que l'on comptait dans chaque commune une sucrerie et une distillerie, quand la betterave cultivée dans l'Hexagone est venue concurrencer le sucre antillais, le sort de milliers d'ouvriers agricoles a été compromis. Beaucoup se sont installés à Fort-de-France, et les communes ont joué un rôle de « soupape sociale ». La culture de la canne a été remplacée au moins pour moitié par la culture de la banane. Il ne reste qu'une seule sucrerie, qui est chaque année déficitaire. Sans le soutien des collectivités locales, elle aurait disparu. Nous importons aujourd'hui du sucre, ce qui est difficile à accepter pour la population.
L'industrie est dans les mains de grands groupes qui installent des satellites en Martinique. En matière d'appels d'offres du secteur du BTP, seuls les grands groupes soumissionnent. Aucun petit entrepreneur local ne peut répondre à ces appels d'offres. Dès qu'un grand groupe a remporté un marché, il le sous-traite. Les petites entreprises locales n'ont pas les reins suffisamment solides, mais elles acceptent ces marchés de sous-traitance pour survivre.
Vous savez que les communes de la Martinique et de la Guadeloupe sont endettées. Si je ne suis sénateur que depuis septembre 2023, je suis élu local depuis 1983. Je connais donc parfaitement la situation des collectivités en Martinique. Chaque année, celles-ci s'endettent pour investir ou pour entretenir leurs équipements. Ces travaux sont réalisés par de petites entreprises qui n'ont pas les reins assez solides. Dans ma commune, nous investissons depuis 6 ans dans une école aux caractéristiques parasismiques pour un montant cinq millions d'euros. Dans ce cas, il n'y a aucun problème de paiement : les entreprises sont payées parce que l'Agence française de développement (AFD) a préfinancé les travaux. Mais les petites entreprises martiniquaises ne suivent pas et cela risque de mettre certaines collectivités en difficulté.
Je reconnais que certains délais de paiement ne sont pas raisonnables. C'est vrai pour les collectivités territoriales, mais aussi pour l'hôpital qui doit des millions d'euros à des entreprises locales.
Comment l'État vient-il au secours des 34 communes de Martinique ? Seules 4 ou 5 communes bénéficient d'un soutien financier, alors qu'elles en ont toutes besoin. Quand nous en bénéficions, nous devons montrer à l'État que nous faisons des efforts pour réduire la masse salariale. L'endettement de Fort-de-France est ainsi passé de 6 à 1 million d'euros, car elle a pu bénéficier du dispositif COROM (contrats de redressement outre-mer).
Vous avez présenté les communes comme de mauvais payeurs mais c'est vrai partout, y compris dans l'Hexagone. Il n'y a pas à en rougir, car nous avons hérité d'un système qui conduit à endetter les communes. C'est ce système qui a été dénoncé par Serge Letchimy, le président du Conseil exécutif, dans l'Appel de Fort-de-France de 2022. Il a demandé à l'État d'arrêter d'appliquer dans les Antilles les mêmes textes votées à Paris. Cela ne fonctionne plus. Nous voulons que certaines compétences soient dévolues aux collectivités.
Nous restons européens, français, martiniquais mais nous voulons intégrer la Caraïbe. L'État français nous a permis d'être représentés dans tous les organismes caribéens. Nous avons besoin de développer nos relations commerciales avec les États de la Caraïbe, ce qui est aujourd'hui du ressort unique de l'État français. Nous demandons à la diplomatie française de nous permettre d'avoir des relations normales avec les États caribéens.
Vous avez dressé un tableau assez sombre de la situation, je veux apporter un peu de blanc pour l'éclaircir ! Je ne veux pas que vous laissiez entendre que nous n'aimons pas travailler. Il y a peu de temps que l'État a compris que le problème est la formation des jeunes et qu'il faut l'améliorer.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. - Je partage votre analyse sur les énergies renouvelables. En tant que sénatrice de La Réunion, je tenais à vous signaler que pour produire une électricité plus verte, nous avons fait le choix d'utiliser des copeaux de bois qui viennent du Canada. Je ne sais pas si l'on peut considérer cela comme plus « vert », mais voilà où les choix réalisés dans l'Hexagone nous ont conduits.
Notre collègue Audrey Bélim a parlé de vulcanologie, le Piton de la Fournaise étant l'un des volcans les plus actifs dans le monde. Nous pourrions étudier les opportunités offertes par la géothermie, mais nous devons auparavant lever des freins réglementaires. On ne peut pas s'appuyer uniquement sur les compétences hexagonales : l'expertise française en géothermie doit se construire depuis les territoires ultramarins et notamment La Réunion.
Vous avez souligné le manque de main-d'oeuvre dans des territoires pourtant fortement impactés par le chômage. Il faut relier cette situation au coût de la vie. La vie est très chère, la mobilité compliquée et il est difficile de s'en sortir pour les personnes ayant de très petits salaires. Les bases salariales de l'Hexagone ne suffisent pas chez nous.
Pour inciter les citoyens à aller travailler, il faut qu'ils soient gagnants. Or, il est excessivement cher de se déplacer. Le prix du carburant est très élevé et les réseaux de transport en commun sont insuffisants, en lien là encore avec la réglementation. Nous avons besoin d'aides pour développer des réseaux de transport durable.
Pour lever ces freins et enclencher de grands travaux sur nos territoires, il faut revenir à la base : inciter les gens à se lancer par des salaires attractifs.
M. Simon Uzenat, rapporteur de la mission d'information « Entreprises et climat ». - Nous avons dessiné un certain nombre de pistes d'actions qui peuvent être utiles aux territoires ultramarins mais aussi à l'Hexagone et à l'Europe.
J'insiste sur le rôle de la puissance publique et son devoir d'exemplarité à tous points de vue, en matière de délais de paiement mais aussi dans le choix des aides accordées.
Revenons à l'exemple des toitures. Dans ces territoires confrontés à la hausse des températures, à l'utilisation massive des systèmes de climatisation, l'enjeu est de limiter au maximum la consommation d'énergie en favorisant les toitures qui limitent la pénétration de la chaleur. La puissance publique ne devrait plus investir un euro dans des toitures qui contribuent à réchauffer les habitations. Des entreprises proposent des toitures permettant de diminuer la température de quelques degrés, ce qui se traduirait par un moindre recours à la climatisation et donc à la moindre sollicitation du réseau électrique.
Enfin, il est possible de développer la production d'énergie de source photovoltaïque, mais le réseau n'est aujourd'hui pas dimensionné pour accueillir de nouvelles capacités, y compris des panneaux implantés sur des habitations et utilisés partiellement en autoconsommation. L'énergie produite ne pourrait pas être injectée dans le réseau. Or, aucun investissement n'est prévu pour accroître la capacité du réseau, alors même que Systeko dispose de solutions éprouvées.
En mettant tous les opérateurs autour de la table, en abordant chaque étape dans le bon ordre, des solutions devraient être trouvées rapidement.
Mme Brigitte Devésa, rapporteure de la mission d'information « Entreprises et climat ». - Je connais bien la Martinique, y ayant vécu pendant quelques années. Je suis très attachée à ces territoires français.
Des améliorations doivent intervenir, mais notre constat n'est pas aussi sombre que vous l'évoquez.
Il nous a semblé important de vous présenter les entreprises que nous avons visitées et leurs témoignages. Nous aurions pu en voir bien d'autres, mais le temps nous était compté.
Il y a des actions à mener en matière d'énergie de source photovoltaïque, concernant l'eau, etc. Ces difficultés peuvent avoir des impacts sur le secteur du tourisme.
Nous avons voulu mettre l'accent sur des difficultés particulières, mais je reste très positive au regard du potentiel de ces territoires, avec l'ensoleillement, la volonté des entreprises, l'implication de la jeunesse, etc. Il y a urgence à travailler en commun et à demander au Gouvernement de témoigner de son désir d'outre-mer. Nous ne pouvons pas voter des dispositions qui ne sont pas adaptées à ces territoires. Beaucoup reste à faire, par exemple concernant l'enjeu du recul du trait de côte.
Notre rôle en tant que rapporteurs de cette mission d'information est de faire remonter ce qui ne va pas, de vous accompagner et de mettre le Gouvernement face à ses responsabilités.
Mme Lauriane Josende, rapporteure de la mission d'information « Entreprises et climat ». -
Il s'agissait de mon premier déplacement dans les outre-mer et j'ai été « saisie » par ces territoires.
Je suis sénatrice d'un département hexagonal mais très méridional, les Pyrénées-Orientales. Il est touché par de fortes difficultés sociales et politiques, mais aussi climatiques.
Nous aussi demandons à être un territoire d'expérimentation. Que l'État souhaite-t-il faire de nos territoires ? Nous avons des solutions, acteurs publics comme privés ont été innovants face à la sécheresse que nous subissons.
Il existe encore en France cette forme de schizophrénie qui consiste à dire : « on sait, on veut faire, et on peut faire tout seul », mais en même temps, dès que l'on a une idée, on se tourne vers l'État pour qu'il fasse. Il n'en va pas autrement parmi les entreprises : même les acteurs qui contestent souvent l'efficience de l'action publique en appellent à la responsabilité publique et à l'État.
Nous avons besoin d'un État qui s'implique, qui vient au contact de ces territoires et qui s'appuie sur les acteurs locaux, privés et publics, qui connaissant le territoire mieux que personne.
On ne peut plus traiter les problèmes économiques ou climatiques uniformément depuis Paris. Il faut savoir s'adapter aux territoires, qui sont force de proposition. L'État doit aussi se remettre en question s'il veut mieux accompagner ces populations et éviter certaines contestations. Au Sénat, nous avons une parole à porter à cet égard.
Nous avons effectivement été surpris de l'absence d'avancées sur certains dossiers, comme les cahiers des charges des aides ou les normes de construction. J'espère que nous serons de bons porte-paroles de ces difficultés qui vous touchent.
M. Olivier Rietmann, président. - Je vous remercie et donne rendez-vous aux membres de la délégation aux entreprises demain matin 16 mai à 8h30 pour une audition plénière dans le cadre de la mission « Entreprises et climat », sur le thème « Transition écologique : quelle stratégie pour l'entreprise ? ».
- Présidence de M. Olivier Rietmann, président -
La réunion est ouverte à 8 h 30.
Table ronde : « Quelle stratégie pour la transition écologique des entreprises ? »
M. Olivier Rietmann, président. - Je vous propose de commencer notre première table ronde sur la stratégie de transition écologique dans nos entreprises. Nous avons aujourd'hui quatre experts parmi nous ; je les remercie d'avoir accepté notre invitation.
Nous entendrons d'abord Monsieur Antoine Pellion, secrétaire général de la planification écologique, conseiller au cabinet du Premier ministre, chef de pôle écologie, transports, énergie, logement et agriculture. Monsieur Pellion, pourriez-vous nous rappeler l'articulation entre les acteurs institutionnels que sont le secrétariat que vous représentez, le Commissariat général au développement durable (CGDD), le Conseil de planification écologique et le Conseil national de la transition écologique ?
Madame Amélie Coantic, vous êtes Commissaire générale au développement durable par intérim, Thomas Lesueur ayant été appelé à d'autres fonctions il y a une dizaine de jours. Depuis sa mise en place en 2008, le CGDD, acteur interministériel et direction transversale du ministère en charge de l'environnement, éclaire et alimente l'action du ministère par la production de données et d'analyses. Vous pourrez nous présenter les politiques publiques qui accompagnent la transition écologique des entreprises et préciser le rôle précis du CGDD à cet égard.
Monsieur David Marchal, vous représentez ce matin Sylvain Waserman, président de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), qui accompagne le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, à une visite d'entreprise. Vous êtes directeur exécutif de l'expertise et des programmes de l'ADEME, désigné par l'État comme l'un des opérateurs du plan d'investissement France 2030. L'Agence a la charge d'expertiser et de financer les innovations et les industrialisations. Vous pourrez nous expliquer comment vous conduisez cette mission, en particulier comment s'opère la sensibilisation des entreprises et la sélection des projets.
Enfin, Madame Corinne Le Quéré, vous êtes présidente du Haut conseil pour le climat (HCC). Pourriez-vous nous dire quelques mots de la stratégie publique de décarbonation et comment cette dernière va pouvoir être déclinée par les petites ou moyennes entreprises (PME), déjà très sollicitées pour mettre en oeuvre les normes environnementales ?
Je vous laisse la parole pour un propos introductif d'une dizaine de minutes chacun dans l'ordre de vos présentations. Ensuite, mes collègues rapporteurs poseront leurs questions. Je rappelle que ce débat est capté et retransmis en direct sur le site Internet du Sénat.
M. Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique, conseiller au cabinet du Premier ministre, chef de pôle écologie, transports, énergie, logement et agriculture. - Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), placé auprès du Premier ministre, exerce une fonction de synthèse sur l'ensemble des sujets de la planification écologique. Nous coordonnons les efforts interministériels en collaboration étroite avec nos collègues, notamment Amélie Coantic du CGDD, et préparons les ordres du jour du Conseil de planification écologique. Au sein de la commission spéciale sur la planification écologique du Conseil national de la transition écologique, nous rendons compte des phases d'élaboration et de mise en oeuvre du plan, en publiant des indicateurs précis sur l'évolution des secteurs tels que le transport, le logement, la décarbonation de l'industrie et l'agriculture. Nous travaillons également avec l'ADEME et le Haut conseil pour le climat, qui évalue les politiques publiques climatiques et nous conseille sur des sujets comme le stockage de carbone.
Dans le cadre de la planification écologique, nos objectifs incluent la réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55 % d'ici 2030 et la neutralité carbone en 2050. Nous nous concentrons également sur l'adaptation au changement climatique, avec l'élaboration du Plan national d'adaptation climatique (PNAC), qui sera présenté prochainement. Parmi les conséquences du changement climatique figure la forêt française avec une croissance divisée par deux en dix ans, les arbres poussant moins vite et leur mortalité étant plus importante. De même, la disponibilité en eau pourrait diminuer de 50 milliards de mètres cubes du fait de l'évaporation, alors que nous en prélevons actuellement 33 milliards pour divers usages. Les enjeux de biodiversité, de santé environnementale et de gestion des ressources finies sont également cruciaux. Nous devons en effet concilier notre vie, notre société et notre économie avec ces ressources limitées, telles que l'eau, la biomasse et le foncier.
Dans le cadre de cette planification, nous ne séparons pas les objectifs écologiques des objectifs économiques. Nous prenons en compte l'empreinte carbone et la réindustrialisation du pays, en intégrant dans nos calculs une hausse des émissions industrielles. Nous développons des filières industrielles cohérentes avec nos objectifs, comme celles des voitures électriques et des batteries. Le conditionnement du bonus automobile à l'empreinte carbone a, à cet égard, inversé les parts de marché entre les voitures d'origine européenne et celles d'origine non européenne. Nous travaillons de même sur les pompes à chaleur et les électrolyseurs.
La planification est également menée au niveau territorial, en collaboration avec les collectivités locales dans le cadre des COP (Conferences of the Parties) territoriales, sans imposer des directives depuis Paris. Les territoires peuvent ajuster leurs objectifs en fonction de leurs réalités locales, tout en maintenant une cohérence nationale. Pour atteindre nos objectifs de réduction des émissions de CO2 de 200 millions de tonnes par an d'ici 2030 par rapport au niveau de 2019, chacun doit contribuer, entreprises, pouvoirs publics et ménages. Les entreprises représentent environ la moitié de cette réduction, les pouvoirs publics un quart, et les ménages un autre quart.
Le SGPE a, dans ce cadre, mis en place, en partenariat avec les autres acteurs publics, un dispositif de suivi opérationnel et de publication des progrès réalisés. Il s'assure, par ailleurs, de la consolidation des planifications territoriales. En 2023, les émissions ont baissé de 4,8 %, ce qui constitue un bon résultat, mais il reste encore beaucoup à faire d'ici 2030. Nous continuerons ainsi à travailler avec l'ensemble des acteurs.
Mme Amélie Coantic, Commissaire général au développement durable par intérim. -Je vais commencer par vous présenter brièvement le Commissariat général au développement durable, une administration centrale du ministère chargé de l'Écologie. Nous accueillons un service de l'économie verte et solidaire, qui porte les politiques économiques et accompagne les entreprises. Nous sommes l'interlocuteur des directions générales de Bercy, responsables de la construction des politiques publiques pour les entreprises, et nous veillons à leur mobilisation en faveur de la transition écologique. Nous mettons en place des outils pour positionner correctement les trajectoires et outiller les entreprises pour réussir ce défi. Antoine Pellion l'a mentionné, les entreprises seront concernées par une part importante des objectifs à atteindre. Il est donc crucial qu'elles disposent des leviers nécessaires, en termes de compétences, de diagnostics et d'accompagnement financier. Nous devons également développer des politiques d'innovation pour parvenir aux ruptures industrielles nécessaires, car certaines solutions ne sont pas encore disponibles ou sont trop coûteuses.
Le deuxième volet de notre action est la mobilisation de l'ensemble des parties prenantes. Antoine Pellion l'a souligné, la réussite des politiques environnementales dépend de notre capacité à mobiliser à toutes les échelles et avec tous les partenaires. L'État, en tant qu'acteur du territoire employant des millions de salariés, doit lui-même se montrer exemplaire et effectuer sa transition, notamment en transformant la mobilité ou en rénovant les bâtiments. Cela nous permet de comprendre les difficultés que peuvent rencontrer les entreprises. La mobilisation des collectivités territoriales est également cruciale. Les COP territoriales de planification écologique sont, à cet égard, le lieu de débat pour identifier les priorités et veiller à l'articulation entre l'État, les collectivités et les acteurs économiques. Enfin, la mobilisation des citoyens est essentielle, car leur implication et leurs attentes influencent la réussite des transformations, en particulier à travers leur consommation.
Trois aspects sont particulièrement importants pour la prise en compte des enjeux climatiques par les entreprises. Premièrement, il ne s'agit pas seulement de climat, mais aussi de biodiversité et de ressources. Les entreprises doivent intégrer ces enjeux dès le départ, avec une approche systémique. Deuxièmement, la politique climatique doit inclure à la fois l'atténuation des changements climatiques et l'adaptation à ces changements. Troisièmement, la double matérialité doit être prise en compte avec l'impact des activités économiques sur l'environnement et l'impact des évolutions environnementales sur les modèles économiques. Certaines activités économiques seront fortement affectées par les transformations climatiques à venir. La diversité des acteurs économiques est un autre élément important. Les enjeux diffèrent entre les grands groupes internationaux, qui utilisent des outils européens comme la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), et les TPE-PME, qui sont nombreuses et réparties sur le territoire. Pour faciliter le passage à l'acte et accompagner les entreprises, nous mettons en place des mesures concrètes, notamment en application des lois récentes comme la loi climat et résilience. Nous proposons des feuilles de route sectorielles de décarbonation, qui permettent aux entreprises de se poser les bonnes questions pour réussir ce défi. Ces feuilles de route alimentent les stratégies d'accélération du plan d'investissement France 2030, dont 50 % des crédits doivent accompagner la transition environnementale. Nous travaillons avec les opérateurs de France 2030 pour lancer des appels à projets en cohérence avec ces feuilles de route. En termes d'accompagnement, nous nous efforçons de rendre les offres des opérateurs plus visibles et accessibles, en collaboration avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), Bpifrance, les CCI (Chambre de commerce et d'industrie) et les CMA (Chambre des Métiers et de l'Artisanat). Des plateformes numériques comme Mission Transition Écologique simplifient le parcours des entreprises souhaitant s'engager dans cette transition.
Au niveau européen, nous sommes mobilisés pour la validation et le déploiement de la directive relative au reporting de durabilité des entreprises, qui concerne non seulement les grandes entreprises, mais aussi toute leur chaîne de valeur et leurs sous-traitants. L'effet d'entraînement sera donc significatif.
Il s'agit d'un aperçu de nos actions et des outils que nous mettons en place pour faciliter la transition écologique des entreprises.
M. David Marchal, directeur exécutif et de l'expertise à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME). - En tant que représentant de l'ADEME, l'Agence de la transition écologique, je tiens à rappeler nos deux missions principales que sont l'expertise et le financement. Avec plus de 1 000 salariés répartis sur le territoire, nous structurons notre action autour de trois grands axes : éclairer la décision publique ou privée, accompagner l'accélération de la transition et innover pour accompagner les solutions de demain. Pour les entreprises, nous déclinons ces missions en proposant des scénarios de décarbonation et de transition écologique ; nous alimentons également les discussions sur la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) et les réflexions des collectivités territoriales.
L'industrie française émet environ 80 millions de tonnes de CO2, soit 20 % des émissions totales, avec deux tiers de ces émissions concentrées sur neuf secteurs électro-intensifs et une quinzaine de grandes zones industrialo-portuaires. Si ce constat permet de cibler nos politiques publiques sur ces secteurs et zones spécifiques, il est crucial de ne pas négliger le secteur diffus, qui représente un tiers des émissions industrielles, mais 90 % des emplois. Nous devons donc accompagner cette transition sur ces deux fronts. Pour éclairer les trajectoires de transition, nous contribuons à des réflexions prospectives pour le compte de l'État, en proposant des scénarios de transition à l'horizon 2050. Dans le cadre du projet européen Finance ClimAct, nous élaborons des plans de transition sectoriels co-construits avec les acteurs des secteurs électro-intensifs comme le ciment, l'acier et le papier-carton, visant des baisses de 80 % de leurs émissions de CO2 d'ici 2050.
Notre deuxième mission, historique, est d'accompagner financièrement la transition. Dans ce cadre, nous aidons aujourd'hui deux fois plus les entreprises que les collectivités. Nous opérons pour le compte de l'État divers dispositifs, notamment France 2030. Depuis 2020 et le plan de relance, nous avons distribué plus de 2,3 milliards d'euros d'aides aux entreprises industrielles, permettant d'éviter environ 10 millions de tonnes de CO2 et soutenant environ 450 lauréats. Ces aides sont efficaces, avec un coût d'abattement d'environ 11 euros par tonne de CO2 évitée. Les projets de décarbonation soutenus permettent souvent aux entreprises de produire plus tout en réduisant leurs émissions, contribuant ainsi à la réindustrialisation nationale. Pour le secteur diffus, nous avons soutenu 3 300 entreprises en 2023 avec diverses aides à l'investissement et à l'accompagnement, totalisant plus de 10 000 soutiens. Des programmes comme Eco-Flux, un diagnostic de chasse aux gaspillages, sont, à cet égard, déclencheurs pour de nombreuses petites entreprises. Nous collaborons avec Bpifrance et les chambres consulaires pour massifier nos aides aux petites entreprises et mettons en place la plateforme Mission Transition Écologique pour faciliter l'accès aux aides d'État.
Au-delà des éléments que je vous ai présentés, nous nous demandons à quel moment les modèles d'affaires des entreprises vont véritablement basculer. Il y a dix ans, la transition écologique était souvent perçue comme un frein. Aujourd'hui, elle est vue comme une opportunité économique et une nécessité pour rester compétitif, face aux attentes croissantes des consommateurs et aux contraintes du monde de la finance. L'affichage environnemental et la directive européenne CSRD sur le reporting de durabilité pour les entreprises de plus de 250 salariés sont des leviers importants pour sensibiliser et faire évoluer les entreprises. S'il y a déjà des obligations de bilan GES (Gaz à effet de serre), respectées par 43 % des entreprises et 38 % des collectivités, le plan de transition associé à la CSRD implique véritablement la mise en oeuvre d'actions pour abaisser les impacts et minimiser les risques. Au sein de l'ADEME, nous développons également l'outil ACT (Accelerate Carbon Transition), un label extra-financier qui crédibilise et rend robustes les plans de transition des entreprises. Plus de 500 entreprises en France utilisent déjà cette démarche, qui est plus répandue que la démarche internationale SBTi (Science Based Targets Initiative). En conclusion, nous sommes convaincus que la transition écologique est une opportunité économique et une nécessité pour les entreprises ; c'est un message essentiel que nous portons à l'ADEME.
M. Olivier Rietmann, président. - Je tiens à souligner qu'à l'automne dernier, Anne-Sophie Romagny, ici présente, était avec Marion Canalès les rapporteurs d'une mission de la délégation aux Entreprises sur la directive CSRD. Je vous invite à consulter leur rapport, qui est particulièrement complet et intéressant.
Mme Corinne Le Quéré, présidente du Haut conseil pour le climat. - Je prends la parole au nom du Haut conseil pour le climat, un organisme indépendant inscrit dans la loi énergie-climat de 2019. Notre mission principale est d'évaluer l'action publique en matière de climat. Chaque année, nous rendons un rapport sur la trajectoire de baisse des émissions au regard des objectifs de la France, notamment l'accord de Paris et les engagements européens. Nous évaluons également la mise en oeuvre et l'efficacité des politiques publiques pour réduire les émissions, développer les puits de carbone, réduire l'empreinte carbone et favoriser l'adaptation au changement climatique. Le Gouvernement doit répondre à notre rapport dans les six mois, ce qui crée une dynamique de rapports-réponses visant à accélérer et à améliorer l'action climatique.
Les constats principaux de notre dernier rapport sont les suivants : une baisse rapide des émissions de gaz à effet de serre est plus que jamais essentielle pour contenir l'intensification des impacts graves. En France, la baisse des émissions se poursuit, mais elle doit encore s'accélérer et être maintenue jusqu'à l'atteinte de la neutralité carbone. Il est ainsi crucial d'engager tous les acteurs, privés et publics. La France est, en effet, particulièrement vulnérable aux impacts du changement climatique en raison de sa géographie, exposée à plusieurs aléas climatiques tels que vagues de chaleur, sécheresses, feux de forêt, pluies intenses et inondations et réchauffement des climats de montagne. Actuellement, l'adaptation se fait de manière réactive et ponctuelle. Nous atteignons les limites de cette approche, et l'adaptation doit devenir anticipatrice et préventive. Toutes les entreprises doivent être impliquées dans la transition, en adaptant leurs opérations, en produisant de manière décarbonée, en incluant le transport et les chaînes d'approvisionnement, et en facilitant la décarbonation de leur secteur. Les entreprises de l'agroalimentaire, de la distribution et de la restauration doivent s'impliquer dans la décarbonation de la production alimentaire pour valoriser les produits moins intensifs en émissions. Les entreprises doivent aussi s'adapter au climat futur en utilisant la trajectoire de réchauffement de référence pour l'adaptation au changement climatique (TRACC), qui sera bientôt publiée dans le plan national d'adaptation au changement climatique 3. Elles doivent considérer l'accroissement des impacts climatiques, qui s'ajoutent à la variabilité naturelle.
Le suivi et les règles appliquées aux entreprises doivent être mis en oeuvre dans un esprit de transition juste, où chacun contribue selon ses moyens à l'ambition collective, qui est élevée face à l'urgence climatique. Nous avons, à cet égard, développé un cadre d'évaluation de l'action publique du Gouvernement, central pour l'implication des entreprises dans une transition juste. Le rôle du Gouvernement est de protéger les ménages et les entreprises des conditions climatiques et économiques changeantes, en créant les conditions favorables à une économie prospère, bas carbone et bien adaptée au changement climatique.
Le premier volet de notre évaluation concerne la stratégie du Gouvernement en matière de climat qui doit reposer sur un cadre d'action avec une trajectoire de décarbonation stable et visible pour tous les acteurs. Sa stratégie doit être claire et lisible sur le long terme pour permettre aux entreprises d'investir dans un contexte prévisible. Bien que la stratégie se construise de manière satisfaisante en France avec de nombreux plans d'action et documents stratégiques, et que la responsabilité des actions climatiques ait été positionnée au niveau du Premier ministre, les délais de publication des documents-cadre, comme la programmation pluriannuelle de l'énergie et la stratégie nationale bas carbone, créent des incertitudes. Ces documents doivent être publiés rapidement et des trajectoires de financement sur plusieurs années doivent être établies pour appuyer les engagements pris.
Le deuxième volet de notre évaluation porte sur les politiques publiques déployées. Le Gouvernement doit créer les conditions favorables à une économie prospère, incluant la politique budgétaire, la fiscalité, la politique commerciale, la politique technologique, l'emploi et la recherche. Ces actions doivent s'intensifier pour offrir une vue d'ensemble à tous les secteurs. Si de nouvelles politiques en matière de souveraineté et de déploiements technologiques, comme le captage et le stockage du carbone, ont été évoquées, une vision d'ensemble pour l'économie est nécessaire, et ce sera un point d'attention important de notre rapport annuel à paraître en juin.
Nous avons également examiné les freins et leviers sectoriels. Actuellement, nous sommes dans une approche ponctuelle par projet, mais cette démarche évolue grâce au travail du Secrétariat général de la planification écologique. Nous pensons en termes de nouvelles infrastructures (réseau électrique, production d'hydrogène décarboné, capture et stockage du carbone...) et de nouvelles organisations, de l'emploi et pour la valorisation des nouveaux produits bas carbone. Par exemple, en agriculture, l'introduction de nouvelles espèces de céréales plus résilientes au changement climatique doit être absorbée par les marchés actuels. Les entreprises qui ne soutiennent pas la production, comme la restauration, doivent jouer par ailleurs un rôle de facilitateur dans cette transition.
Enfin, il est essentiel de suivre et d'ajuster les politiques publiques en place. Par exemple, la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable du 1er novembre 2018, dite EGALIM, qui vise à partager la valeur entre producteurs et distributeurs, et les dispositions de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités qui oblige les entreprises disposant d'une flotte de plus de 100 véhicules à un quota minimal de véhicules à faibles émissions lors du renouvellement de leur flotte, doivent être appliquées, cette deuxième loi devant faciliter l'accès des ménages aux véhicules électriques bon marché. Il faut construire la stratégie et la politique économique, tout en suivant et en opérant les ajustements nécessaires au fil du temps. J'invite en tout cas votre délégation à adopter la vision la plus large possible afin de contribuer à un rôle accru des entreprises.
Mme Anne-Sophie Romagny. -J'ai deux questions à poser. La première est plus une remarque concernant la directive CSRD, sujet sur lequel nous avons travaillé avec Marion Canalès. Une expérimentation a été lancée par le ministère de l'Économie et des Finances, appelée pré-test PME, en lien avec l'entrée en vigueur de cette directive. Quinze PME ont, dans ce cadre, été interrogées, et les premiers résultats montrent que les entreprises rencontrent des difficultés pour calculer leurs émissions de gaz à effet de serre, notamment le scope 3, qui calcule l'empreinte carbone d'une entreprise en couvrant les émissions associées aux activités en amont et en aval de la chaîne de valeur. Lors de nos auditions, nous avions déjà identifié cette difficulté. Ce test révèle que ce n'est pas seulement le scope 3 qui pose problème, mais que le calcul global des émissions de gaz à effet de serre qui est complexe pour les entreprises. Comment pouvons-nous les aider à répondre efficacement et pragmatiquement à cette exigence ?
Ma deuxième question concerne un site agro-industriel dans la Marne, dont l'un des acteurs fait partie des 50 entreprises les plus émettrices de gaz à effet de serre et qui s'engage activement dans sa décarbonation. Nous avons évoqué de nouvelles méthodes pour décarboner, et actuellement, les petits réacteurs modulaires (SMR) reviennent de manière récurrente dans les discussions. Pensez-vous qu'ils constituent une solution cohérente pour la décarbonation ?
M. Antoine Pellion. - Je vais répondre sur les Small Modular Reactors (SMR), les petits réacteurs nucléaires. Il est important de préciser que lorsqu'on parle de « baisses des gaz à effet de serre des entreprises », cela inclut non seulement l'industrie, mais aussi des secteurs comme la logistique et les bâtiments tertiaires. L'ensemble du champ doit être pris en considération, notamment parce que le transport de marchandises et le chauffage sont des éléments significatifs en termes d'émissions de gaz à effet de serre. Dans le cadre de la décarbonation des 50 sites industriels que vous avez évoqués, nous avons contractualisé avec chacun d'entre eux, avec des trajectoires d'investissement pour la décarbonation. Cela repose sur quatre axes principaux : l'économie d'énergie grâce à l'amélioration des procédés, l'hydrogène, l'électrification (ce qui inclut les SMR) et les bioénergies comme la biomasse, avec une vigilance particulière sur la disponibilité de la ressource en biomasse.
Concernant les SMR, dans le cadre de notre politique énergétique et du Conseil de politique nucléaire, nous avons décidé de nous mettre en capacité de les développer. Actuellement, notre objectif est d'avoir un démonstrateur à l'horizon 2030. Ensuite, en fonction des résultats et de la compétitivité des coûts de production d'électricité, nous pourrons envisager un certain nombre de déploiements. Cependant, ces déploiements interviendront plutôt lors d'une nouvelle vague de rénovation du site industriel dont vous parlez. À court terme, ce n'est pas une solution immédiatement accessible. Il existe néanmoins des alternatives décarbonées possibles que nous étudions pour l'avenir. Pour l'instant, nous développons une technologie française de SMR, notamment avec EDF (Électricité de France). Par ailleurs, dans le cadre de France 2030, des appels à projets ont été lancés pour d'autres technologies de petits réacteurs. Nous sommes donc encore en phase de développement, avec un premier type de réacteur SMR prévu pour 2030. Ensuite, d'autres technologies pourraient émerger en fonction des résultats des start-up, qui travaillent sur des dispositifs très différents. Cela implique également des innovations en matière de conception des combustibles, sur lesquelles nous collaborons avec les acteurs de l'amont du cycle nucléaire.
Je laisserai peut-être mes collègues compléter sur les aspects relatifs à la CSRD et au scope 3. Nous avons une approche centrée sur les actions-clés permettant de décarboner, plutôt que l'obtention d'un bilan complet de toutes les émissions. Toutefois, une vision plus large est nécessaire au titre de la réglementation, et je vous laisse compléter sur ce point.
Mme Amélie Coantic. - Je vais aborder quelques points, mais c'est principalement la direction générale de l'Energie et du climat qui gère les méthodologies de comptabilité des bilans d'émissions de gaz à effet de serre (BEGES). Pour répondre à votre préoccupation, Madame la Sénatrice, nous savons que ce volet de diagnostic est essentiel. Le scope 3 mobilise fortement les entreprises, car il les pousse à réfléchir au-delà des deux premiers scopes, sur lesquels elles avaient déjà accumulé beaucoup de connaissances. Nous changeons de dimension avec des questions qui dépassent le simple fonctionnement. Des travaux d'expérimentation sont, dans ce cadre, en cours. Je vais laisser l'ADEME, qui intervient également dans l'outillage des méthodes et le cadrage, apporter des éléments sur les modalités de comptabilisation.
M. David Marchal. - En réponse à la question que vous posiez sur le pré-test concernant les PME et leur retour, nous ressentons que les PME perçoivent la CSRD comme comportant énormément de données à remplir, et la partie environnementale n'en représente qu'une partie. Il y a un fort intérêt pour la méthodologie ACT que j'ai mentionnée précédemment. ACT existe en deux versions : ACT Évaluation, qui permet de noter le niveau d'ambition d'une entreprise par rapport à une trajectoire bas carbone, et ACT Pas à Pas, un dispositif d'accompagnement pour la réalisation de ce plan d'action. ACT Pas à Pas est particulièrement adapté aux PME moins matures sur le sujet carbone, pour les aider à établir leur bilan et déterminer un plan d'action. Nous avons un programme volontaire français avec un appel à projets et des financements pour accompagner les PME. Plus de 500 PME sont engagées dans ce programme. Nous les aidons à mettre en place cette méthodologie ACT. Notre promesse est de faire évoluer nos outils ACT pour qu'à la fin d'un ACT Pas à Pas, en un clic, le reporting CSRD soit disponible. Nous travaillons sur cette méthode pour faciliter le chemin vers le reporting CSRD, notamment pour les PME.
Mme Anne-Sophie Romagny. - Je souhaite que les entreprises parviennent à répondre à leurs obligations et il faut, pour cela, les aider dans cette démarche, car elles sont soumises à un certain nombre de normes et d'obligations. Bien qu'elles soient volontaires, elles se sentent parfois contraintes de les respecter, non pas par manque de volonté d'accélérer leur transition, mais parce que cela représente une charge supplémentaire pour elles. Il est ainsi essentiel de les accompagner dans cette transition.
Mme Corinne Le Quéré. - La faiblesse du reporting européen et international est bien connue, notamment en raison des risques importants de greenwashing. Cela pénalise les entreprises qui souhaitent agir de manière responsable. La méthode ACT a été mentionnée ; elle est unique en son genre et jouit d'une reconnaissance internationale considérable. Je tiens, par ailleurs, à souligner les efforts significatifs réalisés au niveau des Nations-Unies. Un nouveau groupe d'experts de haut niveau sur les engagements de zéro émission nette des entités non étatiques, incluant les entreprises, a élaboré un guide directeur. Ce guide, bien que parallèle à la méthode ACT, présente une forte intersection et fournit des lignes directrices précieuses.
Pour le Haut conseil pour le climat, le scope 3 et les chaînes d'approvisionnement constituent des sujets essentiels. En effet, l'empreinte carbone de la France résulte aux trois quarts des décisions prises par les ménages et les entreprises, et même à 85 % si l'on inclut le niveau européen. En reportant leurs émissions du scope 3 sur les chaînes d'approvisionnement, les entreprises peuvent non seulement réduire leurs propres émissions grâce à un suivi détaillé, mais aussi diminuer l'empreinte carbone globale, y compris celle des autres pays. C'est cette réduction de l'empreinte globale qui fera réellement la différence pour le climat.
M. Olivier Rietmann, président. - Merci, Madame la Présidente. Nous allons maintenant passer aux questions et interrogations de nos rapporteurs. J'aimerais en préalable faire une remarque, et poser une question. Vous avez mentionné le bilan carbone. Nous savons que la France, bien que commençant à amorcer un virage, reste un grand paquebot, notamment sur le plan économique. En parlant de bilan carbone, j'ai compris, Monsieur le Secrétaire général, qu'il est peut-être préférable de produire chez nous avec une production de carbone légèrement inférieure plutôt que de consommer des produits fabriqués ailleurs avec des techniques beaucoup moins décarbonées que les nôtres. On entend souvent qu'il faut rester en dessous de 1 % de production de carbone. Dans ce bilan carbone, inclut-on également le carbone produit par les moyens de transport à l'échelle planétaire qui nous approvisionnent en produits et denrées ? Prend-on en compte le carbone produit par les industries qui fabriquent les produits importés ? Dans ce cas, ne serions-nous pas bien au-delà de ce seuil de 1 % ?
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - Nous menons cette mission d'information depuis plusieurs mois. Nous avons déjà rencontré de nombreux acteurs et entreprises, puisque c'est l'objet de notre rapport, et avons constaté un manque de lisibilité, même pour nous, parlementaires. Il existe autant de structures de coordination sur le climat qu'il y a de besoins. Ne serait-il pas pertinent d'unifier ces structures pour gagner en lisibilité et en efficacité ?
En ce qui concerne la programmation et le plan d'action, pourriez-vous expliquer pourquoi la stratégie de décarbonation et les instruments de planification ne sont pas encore publics ? Nous nous interrogeons également sur le rôle que vous envisagez pour le Parlement dans cette stratégie et la poursuite de ces objectifs. Nous attendons beaucoup de la loi de programmation sur l'énergie et le climat, qui tarde à venir. Bien que nous reconnaissions le travail accompli et les résultats obtenus en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, il serait utile de poser les choses clairement aujourd'hui, notamment avec le Parlement, afin que nous ayons des objectifs mieux identifiés, à partager avec les entreprises et les collectivités, non seulement au niveau local, mais au niveau national pour que cela puisse davantage infuser et être diffusé sur tous nos territoires.
M. Antoine Pellion. - Je vais répondre à votre question sur l'empreinte carbone. Les ordres de grandeur sont corrects : les émissions directes de la France représentent moins de 1 % des émissions mondiales. Nous devons toutefois également prendre en compte les émissions importées, c'est-à-dire celles générées par les produits que nous importons. Actuellement, les émissions importées sont équivalentes aux émissions directes du pays, ce qui double l'empreinte carbone de la France. Dans les émissions directes, nous incluons également le transport international, selon une règle conventionnelle qui attribue la moitié du trajet au pays de départ et l'autre moitié au pays d'arrivée.
Nous travaillons sur l'idée que la réindustrialisation peut aider à réduire l'empreinte carbone. Par exemple, nous visons une réduction de 200 millions de tonnes de CO2 par an d'ici 2030 par rapport à 2019. Environ 20 millions de tonnes de CO2 supplémentaires ont été émises en France. Si nous n'avions pas réindustrialisé ou si la population n'avait pas augmenté, il aurait donc suffi de réduire de 180 millions de tonnes, mais en raison de la réindustrialisation, nous visons précisément une réduction de 200 millions.
Notre objectif est de répondre précisément au souci que vous avez exprimé, à savoir que la planification écologique et la création du Secrétariat général placé auprès du Premier ministre visent à unifier l'ensemble des planifications afin de garantir leur cohérence. Le travail mené avec les ministères et les opérateurs consiste à avoir une vision complète de tous les sujets et à élaborer un « master plan ». La programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) est, en ce sens, un zoom sur l'énergie, la SNBC sur le climat, et la SNB sur la biodiversité. Nous avons publié l'intégralité du « master plan » lors du Conseil de planification écologique de septembre 2023. Toutes les trajectoires sont connues et les indicateurs sont publiés annuellement, ce qui est essentiel pour la lisibilité des entreprises. Le projet de PPE, mis sur la table en décembre, est coordonné avec ce que nous avons publié l'été dernier. Le projet de SNBC 2030, que nous avons finalisé avant-hier et qui sera bientôt mis en consultation est également aligné avec les précédentes publications. Il en va de même pour la biodiversité. Nous cherchons également à unifier les planifications nationales et locales, notamment avec les COP au niveau territorial.
Concernant les prochaines étapes en matière de textes réglementaires et de lois, la PPE est actuellement en consultation et devrait être adoptée d'ici la fin de l'année. Elle sera ajustée pour rester compatible avec les évolutions législatives. La stratégie nationale bas carbone à l'horizon 2030 sera présentée dans les prochains jours, et la version 2030-2050 à la rentrée. Le plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC) sera publié en mai. D'autres documents, comme le plan Ecophyto, sont déjà publiés et alignés avec la vision d'ensemble. Si des évolutions sont nécessaires, nous ajusterons ce « master plan » pour maintenir une cohérence.
L'articulation des différentes entités au sein de l'État et des opérateurs vise également à aligner l'ensemble des acteurs sur cette vision. Nous y sommes parvenus ces derniers mois. Cependant, nous ne sommes pas favorables à une fusion de tous les acteurs. Certains de vos collègues m'ont auditionné sur les évolutions avec France Stratégie, le SGPE, le Commissariat au plan ou encore le HCC. Le HCC, par les textes, est indépendant, ce qui est bénéfique pour s'assurer d'une évaluation légitime d'un point de vue scientifique. Notre travail de planification opérationnelle se complète avec la prospective de long terme de France Stratégie ou du Commissariat au plan. Nous utilisons leurs productions pour consolider une planification opérationnelle. Il est important d'avoir des entités libres dans leur réflexion à long terme, dont nous pouvons nous nourrir. France Stratégie réalise de nombreuses évaluations, et il est essentiel que nous soyons évalués par des entités distinctes pour mieux identifier les points à améliorer.
Mme Amélie Coantic. - En parallèle de tout ce travail de mise en cohérence et de lisibilité sur les trajectoires et la planification, est mené un travail d'opérationnalisation et de mise en mouvement. Nous avons, en effet, besoin d'outils opérationnels très concrets pour accompagner les entreprises.
Ce que vous avez ressenti dans vos auditions, c'est le passage à l'acte, la transition, le changement. Il nécessite pour les entreprises d'avoir un peu de visibilité parce qu'elles prennent des risques, impliquant la pérennité même de leur activité. Ce passage à l'acte ne pourra se faire que si les diagnostics ont été bien faits, si la réflexion et la gouvernance ont été réfléchies. Les acteurs ne sont toutefois pas en train d'attendre une macro-visibilité parce qu'en réalité, les documents qu'évoquait Antoine Pellion sont des mises à jour. Il existe déjà des trajectoires et celles-ci sont simplement réajustées pour prendre en compte les évolutions.
Si les réflexions à l'échelle stratégique de planification sont extrêmement importantes, leur appropriation territoriale est cruciale, car c'est à l'échelle des territoires que vont se conduire les actions et les transformations. Tout l'outillage, que ce soit des moyens économiques ou des leviers d'accompagnement, permet d'accompagner les acteurs pour réussir cette transition. Enfin, la cohérence avec les attentes dans le territoire et celles du consommateur est également importante. Toutes ces échelles sont toutefois travaillées en même temps.
M. David Marchal. - Pour revenir sur la plateforme Mission Transition, cette start-up d'État a pour objectif de faciliter le parcours des entreprises pour accéder à toutes les aides disponibles, y compris les aides locales. Si de nombreux acteurs proposent des aides publiques, cela pourrait inciter à envisager une fusion, même si cela impliquerait également une fusion avec les régions, qui fournissent aussi des aides, cependant l'optique retenue est plutôt celle de mettre en place une plateforme simple d'accès. Une entreprise n'a qu'à fournir son numéro SIRET et indiquer si elle a une idée précise de son projet ou non. En fonction de son secteur d'activité et de sa localisation, en trois ou quatre questions, elle obtient une liste précise des aides disponibles, avec les contacts de tous les opérateurs concernés. Ce service est co-construit avec des entreprises et testé pour répondre à leurs attentes.
Mme Corinne Le Quéré. - Je souhaitais revenir sur la réindustrialisation et sur sa pertinence d'un point de vue des émissions. Il y a des conditions pour que la réindustrialisation soit réussie dans un contexte d'atteinte de la neutralité carbone. Premièrement, il faut que les émissions de gaz à effet de serre de l'industrie soient moins fortes que celles des importations, en prenant en compte les émissions du transport. Il convient de noter, sur ce point, que le transport routier est beaucoup plus émetteur que le transport longue distance en bateau. Il faut donc que cela soit accompagné de la décarbonation du transport routier, en particulier des poids lourds. L'industrie française doit, par ailleurs, être adaptée aux impacts du changement climatique, et il y en a beaucoup en France. Mais le point le plus important, c'est vraiment la stabilité et la prédictibilité. Le Haut conseil pour le climat a récemment écrit une lettre au Premier ministre pour souligner que le délai de publication des documents-cadres mettait à mal la lisibilité des trajectoires. S'il est fondamental de mettre en place des trajectoires de financement pluriannuelles, plusieurs trajectoires annexes doivent également être définies : le renouvellement du parc de véhicules électriques, le nombre de rénovations énergétiques du bâtiment, le nombre d'installations de pompes à chaleur ou encore le prix du carbone au sein du système européen d'échange de quotas. Toutes ces trajectoires ont été établies au sein d'un cadre européen où la France opère et qui impose des règles. Dans ce cadre, une stabilité est nécessaire et il faut définir la mise en oeuvre et le financement correspondants sur plusieurs années, tout en faisant attention aux actes qui fragilisent ces trajectoires et donc les investissements. Ce n'est qu'ensuite que les différentes actions pourront être renforcées.
M. Antoine Pellion. - Si les informations sont désormais disponibles de manière précise pour tous les secteurs, la maturité réglementaire ou législative doit encore être améliorée. Cela touche à la pérennité et à la stabilité des trajectoires dans le temps. Nous travaillons activement sur ce point pour y remédier.
M. Olivier Rietmann, président. - Je me permets une réflexion, influencée par mon penchant libéral. Je tiens à rappeler que le premier objectif d'une entreprise est de créer de la valeur, de générer de la richesse et de payer des salaires, contribuant ainsi à la richesse sociale. Bien sûr, cela ne doit pas se faire de manière désordonnée, mais son objectif principal n'est pas de remplir des dossiers ni de rédiger des comptes rendus, même si cela reste nécessaire. N'oublions pas ces priorités.
M. Pierre Cuypers. - Ma question rejoint votre réflexion précédente. Je souhaite revenir sur l'aspect économique. J'ai lu attentivement les documents du Haut conseil pour le climat, qui évoquent la fragilité économique. Cette fragilité se manifeste aujourd'hui par une forme d'interdiction de produire ce dont nous avons besoin, nous obligeant à importer. Par exemple, un poulet sur deux que nous consommons est importé. Nous avons une autre fragilité lorsque nous nous interdisons certaines productions alors qu'elles sont autorisées ailleurs, et que nous cessons d'exporter et de produire, ce qui a de graves conséquences économiques. Prenez-vous en compte ces aspects dans vos analyses ? Notre souveraineté alimentaire et énergétique est terriblement fragilisée. Le monde animal est comme il est depuis des millénaires. Nous ne changerons pas le métabolisme des animaux. Nous risquons cependant d'accroître encore notre vulnérabilité. Actuellement, nous importons du sucre, mais les volumes concernés en provenance d'Europe centrale, notamment d'Ukraine, sont passés de 20 000 tonnes à 700 000 tonnes et nous risquons bientôt de fermer nos usines. Nous sommes tous pour la cause climatique, mais si la France ne représente que 1ou 2 % des émissions, il faut que tout le monde travaille dans le même sens et il faut tout comptabiliser, y compris les coûts liés à l'importation de sucre d'Ukraine. Concernant le conflit en Europe de l'Est, nous importions 17 % de notre gaz de cette région. Aujourd'hui, nous développons la méthanisation avec la biomasse, ressource dont vous avez mentionné la disponibilité. Heureusement, nous produisons du méthane en France. Cependant, il ne doit pas y avoir d'interdictions qui ralentissent nos projets. En France, il faut trois ans pour monter un projet, contre six mois en Allemagne. Lorsque des décrets sont pris puis annulés pour des raisons écologiques ou environnementales, nous nous empêchons de produire localement et d'assurer notre sécurité alimentaire et énergétique.
M. Antoine Pellion. - Nous intégrons le sujet de la souveraineté dans notre réflexion sur la planification écologique. Le point central, c'est notre dépendance énergétique. Aujourd'hui, nous ne sommes pas souverains énergétiquement. Nous importons massivement notre énergie depuis des décennies et 60 % de notre consommation énergétique provient des énergies fossiles, ce qui nous rend vulnérables économiquement et en termes de sécurité d'approvisionnement. La guerre en Ukraine l'a illustré. En ce sens, décarboner notre économie est avant tout un acte de souveraineté nationale pour réduire notre dépendance aux importations d'énergies fossiles. Les crises économiques les plus graves que nous avons connues ont, d'ailleurs, toujours été liées à cette dépendance. La crise des années 70 et celle actuelle due à la guerre en Ukraine et à la hausse des prix du gaz en sont des exemples. Réduire cette dépendance est ainsi vital pour notre économie à long terme, car les crises économiques liées à la flambée des prix des énergies fossiles risquent d'être de plus en plus fréquentes et de plus en plus graves à l'avenir. Indépendamment des préoccupations écologiques, décarboner l'économie, changer les mobilités et les usines est une question de survie économique pour le pays à moyen et long terme. En ce sens, quel que soit le niveau de départ, réduire les émissions signifie réduire la consommation d'énergies fossiles, ce qui est bénéfique pour la résilience de notre économie.
Concernant la souveraineté alimentaire et agricole, sur laquelle nous avons établi un rapport, je voudrais souligner que la France n'a pas perdu en termes de capacité de fermes productives ces dernières années. Nous restons largement le premier pays producteur agricole européen. Cependant, certaines filières se portent mieux que d'autres. Par exemple, la diminution de la production de betteraves sucrières a été compensée par une augmentation de la production céréalière et des exportations associées. Il y a donc eu des gagnants et des perdants. Certaines filières alimentaires symboliques ont souffert, mais globalement, la situation s'est améliorée, notamment en termes d'exportations.
Concernant l'élevage, la planification écologique a entraîné une baisse rapide du cheptel bovin. Il est maintenant crucial de le stabiliser, car il y a des besoins de prairie. Il faut aussi que cela soit cohérent avec l'évolution de notre consommation alimentaire. Réduire le cheptel pour ensuite importer massivement serait, en effet, un contresens absolu. Nous cherchons ainsi à stabiliser le cheptel bovin d'ici 2030, en évitant d'être naïfs face à la mondialisation et en construisant une cohérence globale.
Enfin, le terme même de « planification » au sein d'une économie de marché peut interroger, mais il ne s'agit pas de dire à chaque entreprise ce qu'elle doit faire. Le travail que nous menons avec les filières du transport maritime et aérien constitue un exemple concret de l'utilité d'une telle planification. Chacune de ces filières a un plan de décarbonation reposant sur des biocarburants, des e-fuels, etc. Cependant, la somme des ressources nécessaires dépasse les ressources disponibles. Il est donc indispensable d'échanger sur ce sujet pour éviter une explosion des prix due à une pénurie de ressources.
M. Pierre Cuypers. - On ne peut pas remplacer à 100 % une énergie fossile. C'est un bouquet d'énergies qui doit être mis en place.
M. Antoine Pellion. - Nous souhaitons supprimer totalement les énergies fossiles, avec de l'électricité et de la chaleur renouvelable, et des bioénergies.
Mme Corinne Le Quéré. - En réponse à la question soulevée, je tenais à souligner que les implications pour les importations étaient bien prises en compte au niveau du Haut conseil pour le climat.
M. Simon Uzenat, rapporteur. - Ce matin, en vous écoutant, j'ai perçu des progrès, des améliorations et de la bonne volonté. Cependant, à titre personnel, je pense que nous sommes encore au milieu du gué en termes de modèle et d'ambition. Nous restons dans une logique de bilans des émissions de gaz à effet de serre, encore un peu extérieure aux logiques économiques, alors que tout l'enjeu est de lier définitivement et intimement cette double matérialité, à la fois en termes d'impact et de business model.
Ce qui m'a frappé dans vos propos, c'est que vous mentionnez qu'il n'y a pas que le climat, mais aussi la biodiversité, les ressources, etc. En me mettant à la place d'un chef d'entreprise non spécialiste, cela peut sembler complexe et je crois que dans notre rapport d'information, nous devons veiller à être clairs sans trop complexifier inutilement, au sens où l'enjeu de résilience climatique doit être clairement mis en avant.
Concernant les bilans des émissions de gaz à effet de serre (BEGES), vous mentionnez que 43 % des entreprises les ont réalisés. Beaucoup nous disent que ce n'est pas simple, et il faudra sans doute faire pivoter le modèle pour que demain, les BEGES soient directement intégrés à la logique économique.
Sur l'exemplarité de la puissance publique, il est crucial que l'État et les collectivités soient au rendez-vous. Actuellement, le cadre réglementaire, la commande publique et les aides financières semblent calés sur le monde d'avant, ce qui bloque des avancées possibles.
J'ai une question précise pour l'ADEME sur la simplification des aides. Aujourd'hui, il y a plus de 300 aides identifiées, et cette difficulté est soulignée dans un rapport de l'Inspection générale des finances. Ce sujet est également régulièrement remonté par les organisations patronales et professionnelles. Peut-on simplifier ces aides, notamment en articulation avec Bpifrance ?
Le Gouvernement cherche actuellement à justifier les annulations de crédits opérées. Prenons l'exemple du fonds vert pour les collectivités, il faut une montée en puissance financière. Comment demander aux entreprises de s'engager davantage alors que l'État freine ? Le rapport Pisani-Ferry est clair sur ce point. Il faut être au rendez-vous.
Enfin, le pilotage par la donnée est un sujet qui me tient à coeur. La transparence en quasi-temps réel me paraît essentielle pour mobiliser les acteurs, publics comme privés, et mesurer les effets de nos actions. Je m'adresse là au CGDD : quelle méthodologie développez-vous pour évaluer ces politiques publiques ? Est-ce que vous avez pu avancer sur le sujet des achats durables dans le cadre du PNAD (Plan National pour des Achats Durables) ?
Mme Le Quéré, dans votre rapport, vous recommandiez de concevoir les éléments opérationnels manquants des feuilles de route afin de clarifier les responsabilités, les objectifs assortis d'indicateurs de suivi et l'évaluation périodique. Pouvez-vous préciser cet aspect du pilotage par la donnée, qui est pour nous un élément clé pour relever le défi climatique ?
M. Michel Canevet, vice-président de la délégation, remplace à la présidence M. Olivier Rietmann.
M. David Marchal. - La simplification des aides et leur lisibilité sont des sujets sur lesquels nous travaillons depuis plusieurs années. Nos aides sont désormais disponibles en ligne sur un site appelé Agir pour la transition. Nous consolidons et améliorons ce site quotidiennement pour offrir des parcours adaptés aux collectivités et aux entreprises en fonction de la spécificité de chacune. C'est un premier levier important. Il ne faut pas non plus oublier que les aides d'État sont interdites, sauf si elles respectent le cadre européen. Nous sommes ainsi contraints par ce cadre, qui varie selon les domaines (économie circulaire, énergies renouvelables, mobilité, efficacité énergétique...).
Notre partenariat avec Bpifrance est une collaboration essentielle que nous développons depuis quelques années. À l'ADEME, nous sommes une agence d'expertise. Nous inventons des dispositifs que nous testons sur un certain nombre d'entreprises. Par exemple, le diagnostic Eco-flux a été engagé il y a 5 ans sous d'autres noms et nous avons constaté qu'un diagnostic coûtant entre 1 000 et 2 000 euros pouvait générer très rapidement des économies de 10 000 euros, simplement par la prise de conscience des pertes. Cependant, avec nos ressources limitées, nous n'avions pas la capacité de déployer ce dispositif massivement auprès des TPE et PME. C'est là qu'est intervenu notre partenariat avec Bpifrance, qui a amélioré l'outil et la marque « Diag Éco-Flux » et le distribue désormais avec des subventions de l'ADEME pour couvrir le surcoût pour les entreprises. Aujourd'hui, de nombreux diagnostics sont déployés par Bpifrance avec l'ADEME, tels que « Diag Écoconception », « Diag Perf'Immo » sur le décret tertiaire, et « Diag Décarbon'Action ». Il y a une véritable synergie entre les actions de l'ADEME et celles de Bpifrance. Nous sensibilisons les entreprises à leurs impacts, tandis que Bpifrance, en distribuant ces diagnostics, peut ensuite proposer des prêts et d'autres actions aux entreprises.
M. Antoine Pellion. - Je souhaiterais aborder la question des financements. Notre référence principale est le rapport Pisani-Ferry-Mahfouz, car nous avons travaillé ensemble sur ce sujet. Selon ce rapport, il faut atteindre plus de 60 milliards d'euros d'investissements par an d'ici 2030. Ces investissements devraient être répartis à parts égales entre le secteur public et le secteur privé. Nous cherchons donc à obtenir quelque 30 milliards d'euros de fonds publics (État et collectivités). Nous réévaluons toutefois chaque étape, notre objectif étant de maximiser les investissements privés afin d'alléger le niveau global de dépenses publiques. La majorité de ces fonds sont destinés aux bâtiments publics, aux transports en commun et aux réseaux d'eau, qui relèvent principalement des compétences des collectivités. Dès 2024, nous avons prévu plus de 10 milliards d'euros dans le projet de loi de finances pour 2024. Je reconnais que la réduction de 10 à 8 milliards d'euros, en raison du décret d'annulation, pourrait entraîner une diminution des réalisations. Cependant, même avec cette réduction, nous restons sur une trajectoire significative par rapport aux objectifs Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz. Par approximation, si nous considérons que les 30 milliards recommandés sont répartis à parts égales entre l'État et les collectivités, nous avons déjà atteint 8 milliards sur les 15 nécessaires d'ici 2030.
Concernant la baisse de 2 milliards d'euros, un milliard est lié à « MaPrimeRénov' », en raison du ralentissement du secteur de la construction, ce qui a entraîné une diminution des dossiers déposés. Malgré cela, les prises en charge de « MaPrimeRénov' » ont été améliorées dans certains cas. Il reste un milliard, notamment pour le fonds vert, qui est un sujet important. Nous considérons au sein du SGP que l'accompagnement via cet outil devra être poursuivi à l'avenir.
Mme Corinne Le Quéré. - En complément de ce qu'a dit Antoine Pellion, je tiens à souligner l'importance de clarifier la trajectoire de financement au niveau européen sur le plan opérationnel.
Dans notre rapport, nous avons noté que, dans le cadre de la loi climat et résilience de 2021, la stratégie gouvernementale s'orientait principalement vers des feuilles de route sectorielles. Par la suite, nous avons concentré nos efforts sur les 50 sites industriels les plus émetteurs, ce qui a permis des avancées significatives sur ces sites spécifiques. Cependant, nous n'avons pas aligné ces efforts avec les feuilles de route sectorielles, ce qui a créé une certaine incohérence. Il existe, en outre, des acteurs plus diffus, notamment ceux impliqués dans la transition énergétique, pour lesquels nous disposons de moins d'éléments précis pour identifier leurs besoins en matière de décarbonation et les obstacles qu'ils rencontrent.
Mme Amélie Coantic. - La question de la donnée est, bien sûr, fondamentale avec deux enjeux. Le premier, c'est l'accès à la donnée, car en réalité, des données environnementales, il y en a beaucoup. Le deuxième enjeu, c'est sa qualité. Comment m'assurer que la donnée environnementale à ma disposition est juste ?
Nous avons conduit un travail extrêmement important en lien avec les équipes d'Antoine Pellion pour doter la planification écologique d'indicateurs nationaux régionalisables et ainsi obtenir des données territoriales sur l'état de l'environnement de qualité. S'agissant de l'utilisation de la donnée pour les structures ou les entreprises, notamment dans le cadre de la commande publique, nous cherchons à harmoniser et consolider les démarches, dans une logique étatique visant à donner accès, le plus gratuitement possible, à la donnée pour permettre aux différents acteurs de se mobiliser. Météo France vient, par exemple, de publier un outil qui permettra aux territoires de se projeter dans le temps en termes de climat.
Mme Brigitte Devésa, rapporteure. -Beaucoup de choses ont été dites, notamment par mon collègue. Vous avez mentionné, Madame Le Quéré, qu'en France, nous ne voyions pas arriver la nécessaire accélération de la baisse des émissions de gaz à effet de serre. Vous avez ajouté que la réponse française au réchauffement climatique n'était pas si mauvaise. Pour autant, nous avons l'impression que la pression est constamment mise sur les entreprises. La question qui se pose est financière : est-ce que les aides publiques sont suffisantes pour accompagner la transition écologique ? Ce sujet est important, car cela peut aussi influencer les entreprises et leurs investissements à l'étranger. Vous avez évoqué un parcours sur les aides financières. Est-il suffisamment clair ?
M. Guillaume Gontard. - Il me paraît essentiel tout d'abord de rappeler que la décarbonation et la lutte contre le réchauffement climatique ne sont pas seulement une « bonne cause », mais une nécessité absolue, y compris pour la compétitivité des entreprises. Si nous n'avançons pas, c'est en grande partie dû à un manque d'anticipation et nous devons accomplir aujourd'hui en six ans ce que nous n'avons pas su faire en trente ans.
Je m'interroge également sur notre incapacité à mettre en place des filières qui semblent pourtant évidentes. Prenons l'exemple du secteur du bâtiment, nous avons des orientations politiques claires avec la réglementation environnementale RE 2020 et les matériaux biosourcés, qui vont devenir une obligation ; pourtant, nous sommes très en retard dans la mise en place de ces filières, malgré leur lien local et leur potentiel en termes d'emplois et de synergies avec l'agriculture. Pourquoi est-il, à votre sens, si compliqué d'avancer dans ce domaine ?
Un autre exemple, plus complexe, est celui du photovoltaïque. Nous avons perdu notre dernière entreprise dans ce secteur. Bien qu'il y ait des projets comme la Gigafactory Carbon, il manque une vision globale. Pour établir une filière photovoltaïque, il faut, en effet, une approche intégrale. Or, nous avons fermé une entreprise de fabrication de silicium décarbonée pour transférer cette production en Espagne, où elle est désormais carbonée. Nous risquons de faire la même erreur avec le corindon blanc, essentiel pour les batteries et l'industrie automobile. Quelle est votre visibilité sur ces entreprises que nous perdons, souvent déjà engagées dans la décarbonation, comme celles autour des vallées savoyardes et iséroises dans le secteur de l'hydroélectricité ?
Mme Corinne Le Quéré. - Nos politiques publiques fonctionnent globalement et parviennent à réduire les émissions. Cependant, il est important de noter que la France n'agit pas seule et n'est pas l'unique pays où les émissions diminuent. Au moins 18 pays, dont les États-Unis et le Royaume-Uni, ont réussi à réduire leurs émissions. Le Royaume-Uni, par exemple, a diminué ses émissions de plus de 50 % jusqu'à présent. La France évolue ainsi dans un cadre international très compétitif dans lequel ses concurrents se décarbonent. Aux États-Unis, par exemple, l'Inflation Reduction Act (IRA) est fortement axé sur l'économie bas carbone de demain. La décarbonation actuelle fonctionne, mais cela ne signifie pas qu'il faut ralentir. Protéger les entreprises d'aujourd'hui dans un monde qui se réchauffe, c'est les mettre en position de compétitivité pour l'économie de demain.
M. David Marchal. - Il est vrai qu'il existe plusieurs dispositifs pour développer les filières vertes que nous n'avons pas mentionnés. En tant qu'opérateur de France 2030 sur les sujets de l'innovation, nous soutenons toujours les projets liés au photovoltaïque et aux pompes à chaleur, en aidant les industriels à innover dans ces domaines. En réponse à l'IRA américain, l'État a mis en place le crédit d'impôt au titre des investissements dans l'industrie verte (C3IV) par la loi de finances pour 2024. À l'ADEME, nous délivrons des agréments techniques et traitons les demandes d'agrément de la direction générale des finances publiques (DGFiP) sur ce sujet. Bien que ces données soient soumises au secret fiscal, nous observons une forte dynamique autour de ce dispositif C3IV, qui facilite l'obtention de crédits d'impôt pour les industries qui se développent dans les secteurs des pompes à chaleur ou du photovoltaïque.
Je souhaiterais également aborder la question de la souveraineté et de l'affichage environnemental. Il s'agit d'un point peu évoqué, mais il existe des signaux économiques que nous pouvons transmettre via les dispositifs d'affichage environnemental pour les aligner avec les questions de souveraineté. Antoine a mentionné le bonus écologique, où nous mettons en place un label bas carbone pour les véhicules électriques afin de favoriser ceux ayant un contenu carbone le plus faible, ce qui encourage la production en France. L'État réfléchit à appliquer cette logique à d'autres technologies pour orienter les consommateurs vers des produits à faible impact environnemental et fabriquer en France. Je pense que cela peut aller jusqu'à l'économie de la fonctionnalité. Nos entreprises doivent être ouvertes à l'évolution de leur modèle d'affaires. Actuellement, nous sommes encore largement dans un modèle de croissance en volume, où plus je produis, plus cela me rapporte. Cependant, dans une logique de résilience face aux risques et aux tensions d'approvisionnement, que ce soit en énergie ou en matériaux, il est essentiel de se projeter dans un monde où il est possible de créer de la valeur ajoutée en produisant moins. L'économie de la fonctionnalité est une nouvelle tendance qui intéresse fortement les PME et les grands groupes : comment vendre un service plutôt qu'un bien, et faire en sorte que ce service génère des revenus sur le long terme ? C'est une question cruciale dans l'évolution des modèles d'affaires des entreprises qui ont, effectivement, vocation à créer de la valeur.
Mme Amélie Coantic. - Pour répondre à Madame Devésa sur la question de la structuration des aides, je tiens à souligner qu'il s'agit d'une priorité qui nous mobilise. Nous avons plusieurs millions d'entreprises de proximité et il est crucial de leur permettre d'accéder aux solutions disponibles. En réponse à Monsieur Uzenat, leur priorité reste la question carbone, avec deux enjeux principaux : le bâti et le transport.
Nous avons mis en place une plateforme qui regroupe toutes les aides publiques, qu'elles proviennent de Bpifrance, de l'ADEME ou d'autres organismes. L'utilisateur n'a pas besoin de savoir d'où provient l'aide, l'important est de répondre à son besoin et de l'accompagner efficacement. Cela permet également de mettre de la cohérence, d'éviter les doublons et de gagner en efficacité, comme l'a souligné l'IGF (Inspection générale des finances).
Je souhaitais également intervenir sur la question des filières. Nous avons initié un chantier important concernant l'emploi, la formation et les compétences, qui constitue un des chantiers transversaux de la planification écologique. Dans les secteurs évoqués, l'un des freins à la structuration des filières est le manque de compétences. Nous devons, en effet, nous assurer que nos territoires disposent des compétences nécessaires et des formations adéquates. Un autre point important est la place de la commande publique, qui représente 10 % du PIB (Produit intérieur brut). La commande publique peut croiser des enjeux de souveraineté et aider les entreprises dans leurs efforts de transition et d'exemplarité en tirant les marchés.
M. Antoine Pellion. - L'accompagnement des entreprises est, dans les faits, majeur et massif. France 2030, sur la partie innovation, met énormément de moyens sur la table. En plus de ces moyens d'innovation, il y a d'importants moyens d'accompagnement au déploiement. Quand on investit sur les 50 sites industriels d'ores et déjà 4 milliards et bientôt 5 autres de plus pour pouvoir décarboner, c'est très significatif. Il convient également d'ajouter le soutien à l'hydrogène ou encore le soutien à la décarbonation des poids lourds. Les moyens sont ainsi très conséquents et la limite est désormais, en termes de rythme de déploiement, plutôt la capacité technique à faire.
Je partage le fait qu'il faut des filières fortes. Néanmoins, pour qu'une filière puisse décoller, il faut s'y intéresser dans tous ses aspects. S'agissant du biosourcé, l'une des limites réside dans la capacité de déploiement chez les artisans et dans le développement d'une demande suffisante. Concernant le sujet de l'éolien en mer, nous avons une filière industrielle, mais les acteurs ne se portent pas bien au niveau européen.
Je termine d'un mot sur les sujets de l'emploi et des compétences. Ces éléments ont bien été intégrés dans la planification. 8 millions d'emplois sont globalement concernés par les filières évoquées. À cet égard, ce n'est pas tant la structuration de l'emploi qui évolue que des vagues massives de départs à la retraite qui nous touchent, avec, en corollaire des besoins très forts de formations
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - Dernière question très courte, Madame Le Quéré. La décarbonation est mise en avant dans le cadre de la transition écologique. Nous savons tous que les entreprises abordent cela en termes d'opportunités. Elles sont très inventives, mais, selon vous, existe-t-il d'autres objectifs de même importance que la décarbonation qui pourraient être affichés comme des objectifs à poursuivre pour les entreprises, tant sur le plan scientifique qu'économique ?
Mme Corinne Le Quéré. - Nous pouvons évoquer tous les nouveaux marchés qui s'ouvrent. Il s'agit, dans ce cadre, de produire les infrastructures de demain. Nous avons déjà abordé les sujets des batteries et des véhicules électriques. Il existe également des opportunités dans le secteur forestier, avec la nécessité d'augmenter les puits de carbone, ce qui peut se traduire par une utilisation accrue du bois de la forêt et, dans une moindre mesure, du bois énergie. Il est essentiel de déterminer nos besoins futurs pour décarboner l'ensemble de l'économie. Toutes ces infrastructures de base doivent être développées. Il y a aussi des opportunités au niveau du financement, avec le soutien des banques et de l'ensemble de l'économie. Enfin, il est impératif de s'adapter au changement climatique, ce qui implique de revoir la structure des bâtiments, la protection côtière ou encore la gestion de l'eau.
M. Michel Canévet. - Je remercie nos intervenants pour leur éclairage qui sera très utile à nos rapporteurs et je vous souhaite une bonne journée.
La réunion est close à 10 heures 30