- Mercredi 10 avril 2024
- Audition de représentants des biologistes médicaux : MM. Alain Le Meur, président de l'Association pour le progrès de la biologie médicale, Sébastien Gibault, directeur général de Synlab et Laurent Escudié, directeur général de Cerballiance
- Financiarisation de l'offre de soins - Audition de M. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie
- Proposition de loi d'abrogation de la réforme des retraites portant l'âge légal de départ à 64 ans - Examen des amendements de séance
- Proposition de loi tendant à préserver l'accès aux pharmacies dans les communes rurales - Examen des amendements au texte de la commission
- Proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en oeuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre - Désignation d'un rapporteur
Mercredi 10 avril 2024
- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -
La réunion est ouverte à 9 h 05.
Audition de représentants des biologistes médicaux : MM. Alain Le Meur, président de l'Association pour le progrès de la biologie médicale, Sébastien Gibault, directeur général de Synlab et Laurent Escudié, directeur général de Cerballiance
M. Philippe Mouiller, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons ce matin nos auditions plénières relatives à la financiarisation de l'offre de soins, et plus particulièrement de la biologie médicale. Après avoir entendu les ordres des médecins et des pharmaciens la semaine dernière et avant de recevoir la Caisse nationale de l'assurance maladie, nous accueillons des représentants de quelques-uns des principaux groupes impliqués dans le regroupement des laboratoires de biologie médicale : M. Alain Le Meur, Président de l'Association pour le progrès de la biologie médicale, qui fédère les principaux réseaux de laboratoires ; M. Sébastien Gibault, Directeur général de Synlab ; et M. Laurent Escudié, Directeur général de Cerballiance.
Je vous indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Messieurs, la biologie médicale est généralement considérée comme étant le secteur de la médecine de ville le plus concerné à ce jour par le phénomène de financiarisation de l'offre de soins. Les groupes réunis au sein de l'Association pour le progrès de la biologie médicale contrôlent ainsi plus de 60 % de l'offre de biologie médicale.
Vous savez sans doute que ce mouvement suscite des inquiétudes de plusieurs ordres, qu'il s'agisse du maillage territorial des laboratoires, de l'indépendance des professionnels de santé ou des finances de l'assurance maladie.
Vous pourriez donc nous préciser, dans un propos liminaire, la façon dont vos groupes (ou votre alliance) se sont structurés, pour nous préciser si, selon vous, ce mouvement est à présent achevé pour ce qui concerne la biologie médicale et apporter une première réponse aux préoccupations que j'ai évoquées.
Les membres de la commission vous interrogeront par la suite, à commencer par les trois rapporteurs de notre mission d'information, Corinne Imbert, Olivier Henno et Bernard Jomier.
Monsieur Le Meur, vous avez la parole.
M. Alain Le Meur, président de l'Association pour le progrès de la biologie médicale. - Bonjour, je suis le docteur Alain Le Meur, je suis pharmacien biologiste. J'exerce depuis plus de 30 ans en Ile-de-France. Je suis le Président de l'Association pour le progrès de la biologie médicale, qui regroupe cinq réseaux nationaux de laboratoires de biologie médicale.
M. Sébastien Gibault, directeur général de Synlab. - Bonjour, je suis le directeur général de la filiale française de Synlab.
M. Laurent Escudié, directeur général de Cerballiance. - Bonjour à tous. Je suis biologiste médical et directeur général du réseau Cerballiance.
M. Alain Le Meur. - La biologie médicale représente 70 % des diagnostics. Elle accueille 500 000 patients par jour et représente plus de 50 000 collaborateurs en emploi direct. 95 % des résultats sont rendus en moins d'une demi-journée. Vous savez que nous avons connu une consolidation très importante depuis plus de dix ans, réussie et voulue par l'État.
En 2008, un rapport de Monsieur Ballereau a montré que le secteur était assez atomisé, avec des insuffisances de qualité et une organisation peu efficiente. Suite à cela, en 2010, il y a eu l'ordonnance Bachelot et en mai 2013, cette ordonnance a été ratifiée. Trois conséquences majeures de cette ordonnance sont à signaler.
Tout d'abord, a été instaurée une accréditation obligatoire pour 100 % des actes que nous réalisons. C'est quelque chose d'unique en Europe. Aucune profession de santé n'a cette obligation. Cette dernière permet de garantir la sécurité des patients. Nous sommes très impliqués sur la continuation de cette accréditation obligatoire à 100 %.
La deuxième conséquence majeure est la mutualisation des moyens, humains et matériels, avec la création de plateaux techniques très performants, très sécurisés. En même temps, il a été possible de pérenniser l'ancrage territorial, puisque nous dénombrons environ 4 000 sites de laboratoires en France, qui contribuent aux soins de premier recours, au désengorgement des hôpitaux et des urgences et à la permanence des soins. Pour nous, la proximité avec les patients est quelque chose de très important.
Le troisième fait majeur est d'ordre économique. Nous avons fait faire 3 milliards d'euros d'économies cumulées depuis 2016 à la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam).
Nous avons été exemplaires. Grâce à cette consolidation réussie et voulue par l'État, nous nous sommes totalement impliqués lors de la crise du covid-19. Nous avons pu tester tous les Français comme demandé par le Ministre de la santé Monsieur Véran. Nous avons pu nous impliquer en continu pour réaliser les tests PCR, alimenter le système d'information national de dépistage populationnel (SI-DEP) et procéder au séquençage, parce qu'il y avait quatre plateformes de génétique et de séquençage. Nous nous sommes impliqués totalement et sans cette consolidation, sans les investissements que nous avons pu faire avec nos associés et nos professionnels, nous n'aurions pas pu nous impliquer de cette façon sur le covid-19. Désormais et à l'avenir, il faut poursuivre cet investissement sur l'oncogénétique, l'endométriose et tous les actes innovants qui seront accessibles à l'ensemble des patients sur le territoire. C'est quelque chose pour nous qui est très important. Nous sommes devenus, en plus de dix ans, des acteurs compétitifs. On s'exporte en Europe, en Allemagne, en Afrique du Nord, un peu partout. Nous réalisons nous-mêmes, en France, sur nos plateaux techniques, tous les examens de biologie médicale. Nous n'envoyons pas nos tubes à l'étranger. Je crois que c'est important de le souligner en tant qu'entrepreneur.
Nous parlerons tout à l'heure de la gouvernance. Je crois que sur ce sujet, nous devons être totalement exemplaires. La gouvernance doit être équilibrée, juste, fluide, également transparente, parce que la transparence permet la confiance, la confiance entre les professionnels, les associés non professionnels, mais aussi l'État, l'ARS et les ordres. Nous devons être exemplaires sur la gouvernance.
M. Sébastien Gibault. - Je vous remercie pour votre invitation dans le cadre de cette mission d'information qui nous donne l'occasion de vous présenter notre vision des enjeux du secteur de la biologie médicale, à travers notamment les questions de son organisation, de sa gouvernance au service et dans l'intérêt des patients. La biologie médicale est, comme vous le verrez, une profession très contrôlée et les laboratoires d'analyses médicales qui représentent près de 50 000 emplois en France sont une solution de santé de proximité pour beaucoup de Français dans l'ensemble des territoires. J'espère que nos échanges seront de nature à éclairer et enrichir vos travaux. Nous serons bien sûr à votre disposition pour répondre ensuite à toutes vos questions et pour toute précision ultérieure.
Je vous propose de commencer mon propos par une brève présentation de l'historique du fonctionnement du Groupe Synlab, puis d'évoquer ensuite la place et le soutien des partenaires financiers. Nous privilégions ce terme à celui de « financiarisation ». Je conclurai ensuite par un point sur le cadre de la réglementation actuelle, ce qu'il garantit et ce sur quoi il pourrait être intéressant pour le législateur de réfléchir en vue d'éventuelles améliorations. Synlab est un groupe conçu par et pour les biologistes. Il est le fruit du rapprochement en 2018 entre le groupe français Labco, fondé le 5 juin 2003 par un groupe de biologistes, et le groupe allemand Synlab. L'objectif de Labco reste intact aujourd'hui avec Synlab : être constitué en réseau pour permettre d'améliorer la qualité des soins dans une démarche d'excellence médicale et de service ; se doter des moyens d'accompagner les défis liés à l'innovation et au progrès technologique, par exemple pour les diagnostics génétiques ; répondre à la croissance des besoins en analyse médicale de plus en plus pointus.
En effet, deux principaux facteurs ont poussé à cette consolidation : le besoin en investissement pour automatiser les laboratoires, avec le pouvoir de négociation suffisant pour faire face aux géants de l'industrie pharmaceutique et diagnostique ; les coûts conséquents de la qualité harmonisée des diagnostics avec l'obligation réglementaire de l'accréditation à 100 % via le Cofrac, seule garantie de la qualité des résultats pour tous les patients en France, quel que soit le laboratoire ou le territoire. C'est en résumé le cadre de l'ordonnance du 13 janvier 2010 relatif à la biologie médicale.
Synlab France représente l'un des cinq principaux réseaux français de laboratoires d'analyses. Le réseau s'appuie sur 380 centres de prélèvements de proximité sur l'ensemble des territoires, 400 biologistes, médecins ou pharmaciens, encadrant 4 000 collaborateurs et 40 plateaux techniques. Certains de nos laboratoires sont situés au sein de structures hospitalières et rendent leurs diagnostics 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Cette organisation en réseau permet de proposer l'ensemble des analyses médicales traditionnelles, ainsi que celles de génétique, de diagnostic de cancer, de l'aide médicale à la procréation ou de la toxicologie médico-légale.
Synlab France est constitué de plusieurs sociétés d'exercice libéral (SEL), présentes dans la plupart des régions françaises. Ces SEL sont dirigées et contrôlées par des biologistes qui y exercent. Toutes ces SEL ont créé un groupement d'intérêt économique (GIE) visant à centraliser les services support du réseau, comme l'informatique, la comptabilité, le support juridique, le service de paye et soutenir les actions et le développement des laboratoires au niveau national. Ce GIE est dirigé sur le plan opérationnel par un comité de direction constitué des biologistes, directeurs des régions, du réseau et des directeurs fonctionnels du groupement. Sur le plan local, la gouvernance de chaque SEL permet d'assurer conformément à la loi une indépendance médicale totale des biologistes qui gèrent en toute autonomie le fonctionnement quotidien de leurs laboratoires, tout en pouvant s'appuyer, lorsqu'ils le souhaitent, sur le réseau pour les assister en matière d'achat, d'informatique ou d'investissement.
J'insiste tout particulièrement sur ce point. Cette indépendance, à l'instar de l'ensemble des règles prévues par la loi, est soumise à un contrôle intense, régulier et multiple, en particulier de la part des ordres et des agences régionales de santé réparties sur le territoire. Ce contrôle strict s'exerce également sur le plan de la qualité des diagnostics via les accréditations du Cofac, et la mise en oeuvre des recommandations de la HAS. Ainsi, toutes les SEL du réseau Synlab sont régies par des statuts, des pactes d'associés et une structure capitalistique ayant été revus et validés à la fois par l'ordre des médecins et l'ordre des pharmaciens, au terme d'un dialogue constructif, assurant la parfaite indépendance médicale et professionnelle des biologistes.
Comme le démontre l'exemple de Synlab, le soutien d'un partenaire financier n'est à notre sens pas un problème pour la biologie médicale en France, mais a, au contraire, toujours été une nécessité comme pour d'autres secteurs innovants de la santé, et ce pour plusieurs raisons. La présence de partenaires financiers permet des investissements importants au service des patients, comme les investissements dans de nouveaux tests, des solutions de cybersécurité, des équipements et des technologies de pointe que l'État ou la puissance publique ne peuvent financer. La consolidation des laboratoires était inévitable au vu des changements majeurs que la biologie médicale a connus sur le plan technique, démographique, économique et de la qualité.
La profession est en effet passée, en peu de temps, d'une pratique quasi-artisanale à une profession technologique, nécessitant des équipements lourds, de pointe, permettant de développer de nouveaux tests et de révolutionner les délais et la qualité des analyses pour les patients et les prescripteurs. Ces changements profonds ont accéléré le regroupement des laboratoires, afin de pouvoir investir collectivement dans ces technologies de pointe. L'innovation est pesée dans les négociations face aux industriels du secteur de la santé. Ce changement rapide et profond a donc dû être, comme dans tous les autres secteurs d'activité français, et en particulier les secteurs innovants, financé par le secteur privé pour faire face aux défis du progrès technique et de l'augmentation des besoins du diagnostic.
Or la biologie médicale a été confrontée à un large désinvestissement des banques dans l'accompagnement des acteurs et s'est donc tournée vers le capital-investissement pour se financer, puisqu'il constituait et constitue toujours le seul acteur capable de couvrir les besoins en investissements qu'a connus et que connaît la biologie.
Cet accompagnement a été particulièrement bénéfique pour la profession et les patients, puisqu'il a permis d'accroître le nombre de sites de prélèvement permettant d'étendre le maillage de proximité et de développer la présence médicale en zone blanche, d'investir en continu dans la qualité et l'innovation technologique et médicale, afin d'assurer le rendu d'analyses de plus en plus complexes, spécifiques et personnalisées, de gérer de gros volumes d'analyses 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, avec des délais de rendu de résultat toujours plus rapides, d'améliorer constamment les services apportés aux patients, notamment avec la digitalisation et d'assurer la réactivité face aux crises comme celle du covid-19, durant laquelle les groupes de biologie médicale ont démontré une agilité sans précédent, à la demande de l'État, pour faire face aux besoins de diagnostic présentés par l'épidémie.
Au-delà des avantages évidents qui sont à mettre au crédit de la consolidation du secteur à la faveur de son financement par des investisseurs institutionnels, il est légitime de se poser la question de sa compatibilité avec les impératifs essentiels que sont l'indépendance des biologistes et l'intérêt supérieur du patient. La réalité quotidienne de notre groupe depuis maintenant vingt ans démontre que la réglementation actuelle est en vérité globalement satisfaisante pour l'exercice de la biologie médicale, lorsqu'elle a pu trouver un point d'équilibre entre les besoins des biologistes et des patients et les besoins de financement.
Comme je l'ai dit, la très forte réglementation en termes de gouvernance et de qualité à laquelle la biologie médicale est soumise constitue d'ores et déjà un outil puissant, assurant l'accompagnement des laboratoires par des partenaires de financement, qui ne peut se faire au détriment de l'indépendance des biologistes et de l'intérêt des patients. Ce point est essentiel.
L'évolution de la réglementation ces quinze dernières années a ainsi permis d'aboutir, à travers notamment des échanges quotidiens avec les ordres et les ARS, sur le contenu de la documentation des SEL, à un équilibre fin en termes de principes de gouvernance permettant de concilier de la façon la plus intelligente et pragmatique possible, d'un côté la maîtrise de la pérennité de leurs investissements par les partenaires de financement, qui sont en réalité moins lourds que les sûretés et engagements auxquels un laboratoire serait soumis dans le cadre d'un financement bancaire, d'un autre côté la garantie de l'indépendance professionnelle et médicale des biologistes, qui ont totalement gardé la maîtrise de leur organisation, de leurs partenariats locaux avec les autres acteurs de santé, de leurs achats, même lorsque leur groupe a négocié des tarifs préférentiels avec certains fournisseurs. La consolidation a en outre permis de conquérir de nouvelles libertés pour les biologistes, telle que la possibilité de prendre leur indépendance vis-à-vis de fournisseurs extrêmement puissants qui, jusqu'alors, imposaient leurs conditions à la profession.
Ainsi, loin de vouloir remettre en cause une réglementation qui a précisément mis plusieurs années à trouver son point d'équilibre et qui comporte aujourd'hui tous les outils nécessaires à la préservation des intérêts des biologistes, des patients et de la collectivité, il nous semblerait en revanche utile de proposer de réfléchir aux freins qui nous empêchent d'améliorer encore le service rendu aux patients.
Je livre au législateur notamment trois exemples pour conclure :
- réfléchir à une refonte de la limitation d'implantation d'un laboratoire multisite à trois territoires de santé, qui permettrait dans des zones rurales de densifier le maillage territorial et de renforcer la proximité avec le patient ;
- réfléchir à un relèvement du plafond de sous-traitance de 15 % qui n'est plus adapté aux réalités de la biologie, puisqu'elle empêche la création de pôles d'excellence spécialisés, et qui se révèle désavantageuse pour les plus petits laboratoires alors que les fournisseurs d'automates refusent aujourd'hui de fournir des chaînes de diagnostic inférieures à des tailles critiques de plus en plus importantes ;
- étudier la faisabilité de partenariats publics-privés pour les plateaux techniques des laboratoires. En effet, nous partageons les mêmes compétences et équipements avec nos confrères du public ; unir nos moyens pourrait être une piste pour faire face aux grands défis du diagnostic pour demain.
Je vous remercie pour votre écoute et serais heureux de répondre à vos questions.
M. Laurent Escudié. - Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les sénatrices et sénateurs, merci de vous saisir de ce sujet dont je tiens à préciser l'importance de pour ma profession, la biologie médicale, et plus largement pour l'ensemble de notre système de soins. Merci également pour votre invitation. Beaucoup de personnes se sont déjà exprimées. Je suis heureux à mon tour de pouvoir le faire en tant qu'acteur de santé et également représentant de mes confrères de Cerba. Derrière ma voix, c'est l'ensemble de nos équipes qui vivent cette évolution de l'intérieur depuis des années. J'espère que mes propos pourront vous éclairer.
En préambule, quelques mots pour me présenter. Je suis biologiste médical depuis 2007. J'ai choisi un exercice libéral et j'ai pu connaître l'ancien modèle consistant à exercer dans des petites structures de société d'exercice libéral, juste avant la loi et l'ordonnance de 2013, et la profonde transformation de notre profession souhaitée par les pouvoirs publics. Ce début de consolidation nous a amenés à nous rapprocher de nos confrères sur des projets locaux pour faire grandir nos laboratoires, des projets régionaux puis nationaux, pour créer des réseaux. Devenant moi-même acteur de cette transformation, par la création de plateaux techniques et l'intégration de nouveaux laboratoires dans notre réseau, j'ai exercé beaucoup des métiers que l'on propose à nos biologistes dans nos organisations.
J'ai gardé toujours une attention particulière à la relation patient et également à l'attractivité de notre profession en restant à l'écoute de nos jeunes confrères. J'ai l'honneur aujourd'hui d'occuper le poste de directeur général de Cerballiance, notre réseau de laboratoires de biologie médicale, qui est composé de 700 sites de proximité en métropole et en outre-mer, 80 plateaux techniques dont la moitié est ouverte en 24/24, 7 jours sur 7, pour répondre aux besoins de nos cliniques et de nos hôpitaux publics, et enfin une dizaine de centres d'assistance médicale à la procréation.
Au total, ce sont plus de 100 000 patients par jour que nous prenons en charge. La spécificité de notre projet, que l'on retrouve d'ailleurs dans notre nom, est que nous nous sommes fédérés autour du laboratoire Cerba, un laboratoire de spécialités qui est bien connu de nos prescripteurs médicaux, qui a été créé il y a une cinquantaine d'années par un biologiste français à côté de Paris.
En tant que leader de biologie spécialisée, nous réalisons plus de 2 500 analyses de pointe dans une quarantaine de disciplines très spécialisées, comme la toxicologie, la pharmacologie, l'infectieux pour les agents pathogènes de classe 3, l'oncologie et évidemment, la génétique. Ces demandes d'analyses spécialisées proviennent de nos confrères des laboratoires privés, mais elles proviennent également de 200 établissements publics dont 27 centres hospitaliers universitaires (CHU).
Ce projet est porté avant tout par nos biologistes, qui sont les principaux décisionnaires de nos organisations. Depuis une quinzaine d'années, nous nous faisons effectivement accompagner par des partenaires économiques externes qui ont changé successivement et qui nous ont permis d'investir pour nous développer et nous réorganiser. Pour être totalement transparent, l'actionnariat aujourd'hui de Cerba est composé de 700 associés internes, majoritairement des biologistes médicaux libéraux comme moi - je précise que nous proposons ce type d'association à l'ensemble des jeunes biologistes qui nous rejoignent - et également d'actionnaires non professionnels - BPI France, PSP et Equity.
Je souhaite à présent vous expliquer en quoi nous contribuons au système de santé et surtout, en quoi cette transformation a d'abord été faite au bénéfice du patient sur trois points importants : l'accès aux soins, la qualité de la prise en charge médicale et enfin, l'innovation.
D'abord sur l'accès aux soins, nous n'avons eu de cesse, ces dernières années d'améliorer notre maillage de proximité avec des centaines de projets de rénovation, de déplacement et plus récemment, la possibilité de réaliser des créations grâce à l'accréditation à 100 %. J'ai d'ailleurs quelques exemples qui vont parler à nos rapporteurs, en Charente-Maritime avec les projets de Mireuil et Villeneuve-les-Salines, dans les Hauts-de-France avec les projets de Libercourt et de Laleu, qui étaient des localités dans lesquelles aucune offre de biologie n'existait. Nous sommes venus nous y installer. Ce maillage nécessite également d'importants investissements en matériels de pointe pour nos plateaux techniques, de mettre en production nos automates, d'en assurer le renouvellement tous les cinq à sept ans et ceci également pour des laboratoires d'urgence pour nos établissements de soins, qui nous permettent de participer à la permanence de soins.
Le deuxième point, c'est l'amélioration de la qualité de la prise en charge. Je vous parlais de l'accréditation obligatoire qui a d'abord été considérée plutôt comme une contrainte, il faut l'avouer, et qui nous a demandé beaucoup d'investissements humains et d'énergie. Elle nous a poussés à harmoniser notre pratique médicale. Elle nous a poussés également à standardiser nos processus, à mettre en place des indicateurs pour mieux nous évaluer. Cet effort a indéniablement amélioré la qualité globale de notre prestation et surtout fait que ce niveau de qualité soit le même que vous soyez à Paris, dans les Pyrénées ou à la Réunion.
Nos systèmes informatiques ont également été un important outil de progrès. Il a été nécessaire d'investir dans de nouvelles solutions pour augmenter le niveau de sécurité de nos infrastructures, pour mieux protéger nos données de santé, mais aussi pour apporter davantage de services digitaux à nos patients, infirmiers et collaborateurs, médecins, prescripteurs et établissements de soins, toujours dans un but de faciliter la prise en charge.
La transformation de nos métiers nous a également permis de nous améliorer. Je vais rapidement vous l'expliquer. Elle a une vertu sur le niveau de nos compétences. En professionnalisant nos fonctions support administratives, comme les ressources humaines, l'informatique et les achats, nous avons pu redonner du temps médical au biologiste et le recentraliser sur son coeur du métier : la relation médicale au patient, la supervision analytique et également le dialogue clinico-biologique avec le prescripteur. Cela nous a permis également, comme l'ont fait les CHU bien avant nous, de spécialiser nos biologistes afin d'augmenter leur niveau d'expertise, ce qui nécessite un important accompagnement en termes de formation, pour maintenir et consolider leurs compétences.
Notre organisation en réseau a pris un nouveau sens quand nous avons pu créer des communautés médicales pour chaque expertise (hématologie, microbiologie, assistance médicale à la procréation). Chaque expert de région peut discuter avec ses homologues. Cette transversalité est devenue une réelle force dans notre organisation. C'est également un enjeu d'attractivité. Il y a une attente chez les jeunes confrères sur cet aspect, qui consiste à mieux valoriser notre rôle et nos compétences. C'est ce qui nous permettra demain, j'en suis convaincu, de continuer à assurer de nouvelles missions. C'est ce que nous souhaitons, notamment dans le champ de la prévention.
Le troisième point est l'innovation. Nous la portons à travers de nombreux projets médicaux qui nécessitent d'investir sans garantie de réussite, de prendre le risque parfois de travailler à perte pendant des années. Le meilleur exemple que je puisse vous donner est celui du DPNI, le diagnostic prénatal non invasif, qui permet de dépister les trisomies grâce à l'ADN foetal qui est dans le sang maternel. Nous avons été les premiers à développer la technique en 2013, avec tout ce que cela signifie en termes d'investissement, de compétences, alors que la prise en charge dans la nomenclature n'a eu lieu que six années après. Je peux également citer l'exemple du dépistage du chikungunya lors de la crise sanitaire à la Réunion, plus récemment l'exemple du dépistage de l'exposition à la chlordécone en Martinique, ou encore le séquençage de l'exome pour des maladies rares qui sont en errance diagnostique.
Nous avons une plateforme de séquençage pouvant traiter jusqu'à 450 000 tests par an. Cerba est d'ailleurs laboratoire de référence pour de nombreux tests liés à des pathologies rares. Il réalise aussi d'autres missions de service public comme le dépistage national organisé du cancer colorectal pour le compte de la CNAM et de l'Institut national du cancer.
L'association de notre laboratoire de spécialités et de notre laboratoire de biologie médicale en région nous permet d'être contributifs en termes de veille épidémiologique sur l'ensemble des territoires. Le projet RELAB en est un parfait exemple. Le partenariat avec les Hospices Civils de Lyon nous a permis de créer un projet de surveillance des infections virales respiratoires comme la grippe, le VRS et le covid-19. Nous souhaitons jouer un rôle de sentinelle en partenariat avec nos autorités publiques.
Pour accompagner toutes ces responsabilités et préparer l'avenir, nous avons fait le choix d'investir dans la construction et l'équipement de pointe de notre nouveau laboratoire spécialisé, qui déménage cette année à Frépillon, dans le Val-d'Oise, pour devenir le plus grand laboratoire de biologie médicale d'Europe, afin de maintenir notre expertise médicale, notre excellence sur l'innovation technologique et participer au rayonnement de la France à l'international.
Quelques chiffres, si vous me permettez, pour illustrer mes propos. Chaque année, nous investissons 4 millions d'euros dans la formation de nos collaborateurs et biologistes, et 10 millions d'euros dans notre parc d'automates. Chaque année, 20 millions d'euros sont investis pour les systèmes informatiques. Cette année, notre projet de laboratoire spécialisé à Frépillon va nous coûter 100 millions d'euros. Tous ces investissements cumulés sur les trois dernières années représentent plus de 400 millions d'euros d'investissement global.
Tous ces efforts de réorganisation et d'investissement se sont faits dans un cadre réglementaire qui a été défini spécifiquement pour notre profession, contrôlé par nos ordres et les ARS. La régulation est stricte. Cela, il faut le rappeler, dans un contexte de recherche de productivité suite à de nombreuses baisses de nomenclature depuis 2011 permettant d'engendrer une économie annuelle pour le budget de la sécurité sociale d'environ 1 milliard d'euros en 2023.
Pour conclure, les équipes de Cerba que je représente sont avant tout des acteurs de santé passionnés par leur travail, des biologistes qui sont présents à tous les échelons de la gouvernance, aidés par des partenaires économiques externes qui nous permettent d'investir, de porter nos projets, de progresser sur l'accessibilité de nos laboratoires, sur la prise en charge médicale, sur l'expertise des biologistes et sur l'innovation. Nous visons toujours l'intérêt du patient et l'atteinte d'objectifs de politiques de santé publique.
M. Philippe Mouiller. - Merci beaucoup pour vos présentations. Je cède la parole à nos rapporteurs.
Mme Corinne Imbert. - Merci Monsieur le Président, merci Messieurs pour vos présentations. Tout d'abord quelques éléments de contexte. L'accélération de la financiarisation de l'offre de soins s'accompagne de l'expression par les acteurs d'un besoin de régulation du secteur avec des inquiétudes portant sur la perte de l'indépendance des professionnels de santé. L'ordonnance du 8 février 2023, dont les textes réglementaires d'application restent attendus, vise justement à protéger les professions libérales d'investisseurs non professionnels.
Par ailleurs, des décisions importantes du Conseil d'État ont été rendues à l'été 2023. Elles concernent certes les vétérinaires, mais les juristes s'accordent à dire que leurs conclusions pourraient aussi valoir pour les professions médicales.
Ces décisions soulignent les risques associés à certaines stipulations contractuelles, privant de tout contrôle effectif les professionnels exerçant dans certaines sociétés privées, et rappellent l'exigence du respect de l'indépendance des professionnels dans ces sociétés d'exercice. Entendez-vous les difficultés et les critiques exprimées à l'égard de l'opacité de la structuration financière des groupes ? Rejoignez-vous le constat de l'absence de règles prudentielles pour réguler le secteur à ce jour, et quelles règles vous sembleraient pertinentes en la matière ? Quel regard portez-vous sur cette demande de régulation exprimée par l'ensemble des acteurs, notamment des professionnels de santé et des instances ordinales ?
Je vous remercie, Monsieur le directeur général de Cerballiance, d'avoir cité vos associés non professionnels. Est-ce que ce sont les seuls trois associés, ou est-ce qu'il en existe d'autres ? Monsieur le directeur général de Synlab, pourriez-vous nous donner les noms des associés non professionnels qui investissent également dans votre société ?
Dans vos réseaux et dans votre manière aujourd'hui d'exercer la biologie médicale, certaines analyses sont-elles traitées de façon moins prioritaire que d'autres ? Je pense par exemple à un frottis : je constate que les délais d'obtention du résultat sont parfois longs pour les femmes concernées. Cette question remonte du terrain.
Enfin, dans vos réseaux, parce que ce sont des phrases que l'on entend souvent en politique, comment qualifieriez-vous la gestion : « qui paie décide » ou « qui décide paie » ? Je vous remercie.
M. Philippe Mouiller. - Je vous laisse répondre.
M. Alain Le Meur. - Nous devons être exemplaires en matière de gouvernance. Cette dernière doit être juste et équilibrée. La transparence favorise la confiance avec les professionnels, les associés, les ARS, les ordres et l'État. Pour nous, ce point est très important. Vous avez fait allusion à l'ordonnance du 8 février 2023. Celle-ci a été conçue pour simplifier et harmoniser les différents textes entre les professions libérales et également de faciliter le développement et le financement des structures des professions libérales.
Des règles et des garde-fous existent. Monsieur Gibault a parlé des 15 % de transmissions. Nous sommes limités à trois territoires de santé limitrophes. Nous ne pouvons pas dépasser 25 % d'activité dans une région. Au niveau réglementaire, la majorité des droits de vote appartient aux biologistes exerçants. In fine, le maître-mot est la transparence.
M. Sébastien Gibault. - L'indépendance des biologistes est clé. Le réseau a été fondé par des biologistes qui n'ont jamais laissé la gouvernance leur échapper. De nombreux outils existent aujourd'hui pour garantir cette indépendance. Tout a été construit sous contrôle des ordres et des ARS.
Concernant l'actionnariat, Synlab France est une filiale du groupe Synlab qui est basé en Allemagne.
Pour ce qui concerne les actes, je ne vois pas du tout à ce stade de dégradation ou de sélection faite par les biologistes dans les délais de rendu et dans les analyses. Un patient qui se présente dans nos laboratoires est pris en charge de la même manière et on ne connaît pas à l'avance la prescription médicale avec laquelle le patient va arriver. Sur les rendus de résultats, nous cherchons à les faire le plus rapidement possible. En ce qui concerne le réseau Synlab, il n'y a aucune volonté de ralentir les rendus de résultats, et il ne faut pas oublier les prescripteurs qui seraient particulièrement mécontents de constater un allongement des délais de rendu. Il peut apparaître parfois des retards, en raison des maladies et des absences. Le recrutement, visant à avoir des professionnels de la santé compétents et disponibles, est un élément clé pour nous.
M. Laurent Escudié. - L'un des facteurs de succès de cette transformation est la régulation. Les règles sont très strictes en termes d'indépendance du biologiste. Les droits de vote, dans nos structures, doivent appartenir en majorité ou en totalité aux biologistes. Les mandataires sociaux de nos structures sont également des biologistes. Ils conservent la gestion de leur budget, de leur équipement, de leurs équipes, ce qui permet un exercice médical indépendant. Par ailleurs, il ne faut pas sous-estimer le rôle de l'accréditation obligatoire dans ce mouvement de régulation. Elle nous a forcés à faire tous ces changements dans un esprit d'amélioration continue, d'indicateur et d'auto-évaluation, ce qui nous permet aujourd'hui de savoir qu'en termes de satisfaction patient, nous nous sommes constamment améliorés.
La question sur les actes est particulièrement pertinente pour nous puisque, comme vous l'avez compris, nous récupérons de nombreuses analyses d'autres laboratoires. En termes d'analyses de spécialité, il peut arriver que nous soyons sur des rentabilités faibles voire nulle, mais cela ne nous empêche pas de les faire. Telle est notre responsabilité. Je ne verrais pas un biologiste refuser de faire une analyse spécialisée parce qu'elle n'est pas rentable.
Qui décide ? Cette question est importante. Nous avons des partenaires économiques, certes, mais ils ne sont pas dans nos comités de direction. Cela ne veut pas dire que nous ne nous fixons pas de contraintes économiques, mais nos partenaires financiers ne sont pas les acteurs qui prennent les décisions. Ils ne gèrent pas nos laboratoires. Ils ont un rôle de contrôle légitime de leur investissement.
Enfin, nous avons uniquement trois partenaires économiques dans le capital de Cerba.
M. Olivier Henno. - Merci Monsieur le Président. Merci Messieurs. À vous écouter, on a un peu le sentiment d'entendre Pangloss, « Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ». Un secteur éclaté qui opère un mouvement de concentration bénéficie dans un premier temps des effets de la mutualisation, d'une capacité d'investissement accrue et d'une amélioration du service. Ensuite, quand la concentration a bien avancé, une forme d'essoufflement est observée. A ce moment survient le risque des monopoles privés, et avec lui l'application de mesures d'économies diverses. Est-ce qu'à un moment donné, cela ne peut pas avoir des conséquences sur la qualité du service et la qualité des soins ?
Ma question est la suivante : quels sont vos taux de rentabilité et quels sont vos objectifs de rentabilité ? Est-ce que cela n'entraîne pas un développement du salariat dans la profession ?
M. Alain Le Meur. - Notre profession est très réglementée. L'accréditation permet de garantir la sécurité des patients. Notre gouvernance est basée sur la transparence. Nous nous appuyons sur un alignement des associés professionnels et des associés non-professionnels sur les missions de santé publique que sont le maillage territorial, la prévention, l'innovation et l'interprofessionnalité. L'activité est sécurisée au maximum et très réglementée. Dans ce contexte, les différentes craintes, dont celle de la baisse de qualité, sont infondées.
M. Sébastien Gibault. - Nous ne connaissons pas d'essoufflement. La dynamique est portée par l'innovation et l'évolution du catalogue des analyses éligibles au remboursement et les éventuelles baisses tarifaires. En fonction de l'évolution technologique et des publications médicales, nous repensons constamment notre façon de travailler. Le secteur de la biologie médicale est en constante évolution.
Concernant la rentabilité, cette dernière est très variable selon les secteurs. Certaines structures ne sont pas rentables aujourd'hui en raison de la hausse des coûts logistiques (essence, énergie, etc).
M. Laurent Escudié. - Conserver le statut libéral est important pour que le biologiste reste indépendant et reste le dirigeant des laboratoires. L'indépendance du salarié existe, mais est moins forte.
Concernant les objectifs financiers et la rentabilité, la moitié des gains est reversée aux biologistes. L'autre moitié est consacrée aux achats médicaux, aux réactifs, aux charges externes, au paiement des taxes, aux frais bancaires et aux investissements sur nos sites de proximité, nos plateaux techniques et nos projets d'innovation.
M. Bernard Jomier. - Merci Monsieur le Président. D'abord, je voudrais vous remercier tous les trois d'avoir accepté de répondre à nos questions. Comme Olivier Henno, je suis un peu interrogatif. D'abord, vous avez assez peu répondu aux questions précises de mes deux collègues rapporteurs sur la rentabilité. On a juste compris qu'il y avait des structures qui n'étaient pas rentables, mais on imagine que s'il y a des sociétés qui investissent, l'exposé sur la rentabilité ne se résume pas à cet élément.
Vous nous décrivez une gouvernance juste, équilibrée et transparente, des décisions qui sont aux mains des professionnels de santé, donc pharmaciens ou biologistes médicaux. Une telle spécialité devrait être plébiscitée par les étudiants, mais tel n'est pas le cas. Depuis quelques années, 15 % des postes sont vacants et les autres organisations entendues dans le cadre de cette mission d'information nous décrivent toutes un panorama qui n'est pas du tout celui que vous décrivez.
Les autres organisations nous disent que la financiarisation a entraîné une perte du pouvoir décisionnel et d'autres conséquences. Vous prétendez le contraire ; comment expliquez-vous alors cette perte d'attractivité de la spécialité, particulièrement nette depuis ces dernières années ?
Je reviens sur la question de la rentabilité et sur le phénomène de financiarisation. Merci au directeur de Cerballiance de nous avoir cité des partenaires extérieurs. Je vous invite, Monsieur le directeur général de Synlab, à en faire de même et à répondre à la question de ma collègue Corinne Imbert.
Les académies pointent l'entrée dans le capital de sociétés d'investissement par le contournement de la législation. Est-ce qu'une part de vos bénéfices vient abonder le résultat de sociétés d'investissement extérieures aux professions de santé ?
M. Alain Le Meur. - Le sujet de l'attractivité m'est cher. En pharmacie, tous les postes d'internes en biologie médicale sont pris. La situation est différente pour les médecins, car pour eux, la médicalisation du geste et de la consultation est très importante. Nous avons donc besoin de médicaliser notre profession. Cette dernière est en proximité du patient, à travers le prélèvement, puis à travers le rendu du résultat. Les médecins biologistes et les pharmaciens biologistes ne viennent pas en raison d'un manque de médicalisation. Nous devons donc nous ouvrir à la consultation, à la télé-expertise, à la téléconsultation, à la vaccination et à plus de dépistage. Nos jeunes biologistes doivent pouvoir réaliser davantage d'actes médicaux. Nous avons perdu 600 biologistes en cinq ans. Nous avons besoin de nouvelles missions et l'avons demandé à Aurélien Rousseau, alors ministre de la santé, lors des assises de la biologie médicale.
M. Sébastien Gibault. - L'attractivité est un point clé pour notre profession, comme pour toutes les professions de santé.
Concernant la détention capitalistique, Synlab France est une filiale du groupe Synlab basé en Allemagne. Ce dernier est détenu majoritairement par un fonds, Cinven.
M. Bernard Jomier. - Est-ce qu'une part de bénéfices est reversée à la société d'investissement ?
M. Sébastien Gibault. - Je vous invite à poser la question au niveau du groupe.
M. Bernard Jomier. - Vous ne souhaitez donc pas répondre.
M. Sébastien Gibault. - La consolidation s'opère au niveau du siège social en Allemagne.
M. Laurent Escudié. - La discipline de la biologie médicale reste attractive, mais il faut être très vigilant. Il y a neuf ans environ, nous avons donc initié un travail de pédagogie et d'explication auprès des étudiants et des internes. Nous avons pointé les aspects positifs de la transformation, tels que la spécialisation et les communautés médicales. Effectuer davantage de missions médicales permettrait de valoriser le métier et de le rendre attractif. Nous avons notamment envie de jouer un rôle plus important en matière de prévention en santé publique. Nous avons des propositions à vous soumettre, notamment sur les scores prédictifs.
Notre organisation est très réglementée. Le moindre changement est soumis à l'accord préalable des ordres, de l'ARS et du Cofrac. Ce dernier joue un rôle majeur en matière de qualité.
Enfin, Cerba ne verse aucun dividende à ses partenaires économiques externes.
Mme Brigitte Micouleau. - Concernant l'innovation, pouvez-vous citer un test existant non pris en charge à ce jour ? Par ailleurs, pouvez-vous préciser quel est le gain de temps médical pour les biologistes ?
Mme Jocelyne Guidez. - Comment placez-vous la prévention et le dépistage précoce au coeur de vos activités ? Comment peut-on amener les Français à se faire dépister davantage ?
M. Khalifé Khalifé. - Nous restons sur notre faim par rapport à nos questions. Nous vous interrogeons sur la financiarisation, et vous nous répondez sur la qualité et l'innovation. Dans vos structures de gouvernance, quel est le nombre de sociétés et quel est leur type (SEL, SELARL, SCI, etc.) ? Existe-t-il des frais de structure ? Ne nous faites pas croire que vos financeurs sont l'Abbé Pierre. Ils attendent un retour sur investissement, qui n'est pas forcément dans l'intérêt de la profession. Vous rappelez votre indépendance, mais demain, les jeunes médecins ne se verront-ils pas imposer d'être salariés de la structure ? Je regrette que des représentants du ministère des finances ne soient pas présents aujourd'hui.
M. Alain Le Meur. - Nous avons un livret blanc, qui a été réalisé avec quatre syndicats et l'ensemble des réseaux de France. Ce livre blanc évoque notamment le maillage géographique, l'interdigitalisation, l'interprofessionnalité et la prévention. Concernant l'attractivité, il faut nous ouvrir aux téléconsultations, aux télé-expertises et à la vaccination. Nous sommes déjà très impliqués dans la prévention par exemple des tests HIV sans ordonnance, et proposons des consultations de prévention.
M. Sébastien Gibault. - Nous proposons de nombreux tests et analyses aux patients qui ne sont pas remboursés par l'assurance maladie. De nombreux tests innovants sont disponibles, tel que le dépistage des troubles de la bipolarité, qui est proposé depuis la semaine dernière. Dans d'autres laboratoires que Synlab, un dépistage des troubles liés à l'endométriose a été introduit.
Concernant les aspects structurels de notre réseau, je vous propose de céder la place à Madame Gouich, qui va pouvoir vous répondre.
M. Jalila Gouich, secrétaire générale de Synlab France. - Bonjour, je suis Jalila Gouich, secrétaire générale et directrice juridique de Synlab France. Je suis avocate de formation et j'ai rejoint le monde de la biologie médicale en 2010, à l'époque où il existait simplement Labco, qui était le premier réseau consolidateur de la biologie médicale.
Vous posez la question des impacts de la financiarisation sur la biologie médicale.
Depuis 2007, de nombreuses évolutions légales sont intervenues, notamment à travers des ordonnances, mais également à travers la jurisprudence. Ainsi, la jurisprudence a imposé au législateur de durcir la législation soit au profit du biologiste, soit au profit des détenteurs autre que les biologistes au sein du capital des SEL, ou tout simplement de clarifier les zones de non-droit.
Labco a été l'un des premiers à initier une action au niveau européen pour comprendre les règles concurrentielles régissant l'exercice de la profession de biologiste médical en France. Tous les réseaux se sont construits d'abord avec une intégration des groupements d'intérêts des financiers qui ont estimé que des profits étaient possibles dans le secteur de la santé en France, car ce pays est un pays réglementé. En effet, qui dit réglementé, dit nomenclaturé, avec des prix imposés par le législateur. Il faut reconnaître que le travail a été très bien rémunéré par rapport aux autres pays. Aujourd'hui, les actes de biologie sont réglés entre le biologiste et l'État : le patient arrive avec sa carte de tiers payant, un luxe que peu de pays peuvent avoir. Aujourd'hui, les patients bénéficient d'un système de santé exceptionnel, même si des progrès restent possibles.
Le financier s'est rapidement heurté aux nombreuses lois françaises, qui ont le mérite de protéger le patient et l'exercice des professions libérales. Par rapport aux autres pays européens, le biologiste français a la chance de pouvoir être très bien traité par le législateur et bien protégé.
Aujourd'hui, vous ne pouvez pas attenter à l'indépendance du biologiste. Les biologistes sont les responsables légaux de nos SEL, sont exclusivement les membres du comité de direction. L'investisseur extérieur ne peut détenir que 25 % maximum du capital d'une SEL et a très peu de pouvoirs, ou en tout cas uniquement les pouvoirs que le biologiste souhaite lui donner.
Les financiers sont venus à la demande des biologistes, parce que ces derniers cherchaient des investissements. Les biologistes peuvent fixer toutes les limites qu'ils souhaitent. Pour autant, il est exact que surviennent parfois des conflits et des mésententes. Les remontées d'argent ne peuvent s'opérer qu'avec l'aval des biologistes et conformément aux dispositions inscrites dans le pacte qui a été transmis aux ordres. Tout investisseur ou tout actionnaire extérieur doit respecter la loi et la respecte.
M. Philippe Mouiller. - Merci pour ces précisions.
M. Laurent Escudié. - Nous ne versons pas de dividende à nos partenaires externes. Ceux-ci se rémunèrent en débouclant leurs investissements avec une plus-value.
Concernant la structuration juridique, Cerba repose sur plus de 35 sociétés d'exercice libéral s'appuyant sur des mandataires sociaux biologistes. Les droits de vote sont détenus en majorité ou en totalité par les biologistes.
Aujourd'hui, la réglementation ne permet pas de proposer du salariat à nos biologistes. Pour garantir l'attractivité, il faut leur proposer de devenir associé.
Nous avons gagné du temps médical. La consolidation nous a permis de rééquilibrer nos activités en faveur du médical. Auparavant, nous devions faire preuve de polyvalence (gestion des plannings, résolution des problèmes informatiques, gestion des achats, négociations avec les fournisseurs, etc.).
La prévention est un enjeu majeur pour l'avenir de la profession. À titre d'illustration, le suivi de la maladie rénale chronique est désormais proposé à nos patients. En outre, le cardio-score 2 associe biologie et information clinique ; il permet d'évaluer le risque cardiovasculaire des patients.
Enfin, concernant l'innovation, nous considérons qu'il est nécessaire d'accélérer le rythme d'intégration des actes innovants dans la nomenclature. Je peux notamment citer l'exemple de l'oncogénétique et du séquençage de tumeurs, notamment sur le poumon et les ovaires.
Mme Céline Brulin. - Je reviens sur le sujet du manque d'attractivité. Vous fondez vos explications sur la place des biologistes dans la gouvernance et sur le fait que la réglementation impose la présence d'au moins un biologiste sur chaque site. Certains interlocuteurs auditionnés par la commission pensaient même qu'il fallait passer à plus d'un biologiste par site.
Cette pénurie de biologistes ne présentera-t-elle pas un impact sur la gouvernance et sur la présence des biologistes sur les sites ?
Par ailleurs, vous avez beaucoup évoqué les contrôles des ARS. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ces contrôles ?
Mme Chantal Deseyne. - Comment envisagez-vous l'entrée au capital d'un jeune biologiste alors que de plus en plus d'investisseurs extérieurs aux professions médicales entrent au capital avec une préoccupation de rentabilité ? Est-ce que des fonds de pension étrangers entrent au capital de vos structures, comme on peut le voir dans d'autres secteurs médicaux ? Est-ce que, pour vous, cela ne pose pas une question de déontologie ?
Mme Élisabeth Doineau. - Le maillage territorial est très important pour nous, sénatrices et sénateurs, et pour les patients. Une offre de qualité est aussi incontournable. J'insiste également sur l'innovation. Le regroupement a facilité les investissements. Il faut donc trouver un équilibre. La concentration favorise l'arrivée d'investisseurs recherchant un gain. Les informations doivent pouvoir être apportées de manière transparente à nos concitoyens.
Je vous ai entendus parler d'économies pour l'État. Je suis rapporteur du budget de la sécurité sociale. Êtes-vous encore capables de permettre de nouvelles économies ? Je rappelle que durant la crise sanitaire, les laboratoires ont bénéficié d'énormes subsides. Aujourd'hui, nous devons veiller à la dépense publique.
M. Alain Le Meur. - Il est très difficile de passer à 1,2 ou 1,3 biologiste par site, car nous peinons à trouver des biologistes médicaux. Depuis 2016, nous avons perdu 600 biologistes médicaux. La pénurie de biologistes médicaux n'affecte pas la gouvernance, puisque cette dernière relève des mandataires sociaux.
Concernant les contrôles des ARS, nous avons fait des propositions de cartographie pour la permanence des soins. Il faut saluer les partenariats qui ont été tissés avec les ARS.
De nombreux réseaux nationaux impliquent les jeunes biologistes dans le capital, soit dans les holdings nationales, soit au niveau régional. Dans certains groupes, la représentation capitalistique des biologistes médicaux peut aller de 10 à 20 %, ce qui est considérable.
Concernant le maillage territorial, 80 % des laboratoires sont à moins de 7 kilomètres et certains prélèvements sont réalisés au-delà de 7 kilomètres.
En cumulé, une économie de 3 milliards d'euros a été réalisée depuis 2016. La période actuelle est toutefois marquée par la fin du covid-19 et par une forte inflation des charges et des salaires. La consolidation est terminée. Il est donc excessivement compliqué de trouver de nouvelles économies.
M. Sébastien Gibault. - L'un des enjeux, pour nos structures, est de susciter l'intérêt des jeunes biologistes, avec des spécialités de biologie, un suivi opérationnel et médical, des interactions avec les patients, etc. De nombreuses pistes sont à explorer. Auparavant, un biologiste devait être capable de tout faire dans sa structure, y compris des tâches non médicales.
Aucun financier ne détient le capital des structures françaises. Dans une activité de biologie médicale, le laboratoire ne possède pas forcément les locaux. Concernant Synlab, l'essentiel des bâtiments appartient aux biologistes, qui se sont, pour certains, regroupés dans des SCI.
Les marges de manoeuvre pour trouver des économies dans notre secteur sont discutées chaque année entre la CNAM et les représentants des biologistes. Les sociétés savantes émettent des recommandations. Enfin, j'insiste sur l'importance fondamentale de la prévention, qui évite des coûts futurs.
M. Laurent Escudié. - Concernant l'attractivité, il importe de proposer de vraies associations et d'intéresser les biologistes aux projets économiques. Cerba applique cette logique.
S'agissant du nombre de biologistes médicaux par site, la démographie médicale ne permet pas une augmentation. Accroître la contrainte accentuerait les tensions sur le marché du travail entre le public et le privé. De plus, certains laboratoires pourraient fermer. Je n'y suis donc pas favorable.
Il n'existe pas de marge d'économie. Nous sommes à la fin du processus de consolidation. De plus, nous sommes dans un contexte économique défavorable, qui suit une crise sanitaire qui nous a fortement déstabilisés. Enfin, nous avons besoin de parler du projet médical, plutôt que d'économies.
M. Philippe Mouiller. - Je vous remercie pour votre présence et pour vos réponses.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 10 h 30.
Financiarisation de l'offre de soins - Audition de M. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie
M. Philippe Mouiller, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions plénières relatives à la financiarisation de l'offre de soins, en recevant le directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam), M. Thomas Fatôme.
Je vous indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Monsieur le directeur général, la commission a focalisé ses travaux en plénière sur le secteur de la biologie médicale, généralement considéré comme le secteur de la médecine de ville le plus concerné à ce jour par le phénomène de financiarisation de l'offre de soins. Les grands groupes, dont nous venons de recevoir des représentants, contrôlent ainsi plus de 60 % de l'offre de biologie médicale.
Nous sommes évidemment très intéressés par le regard que la Cnam porte sur ce phénomène de financiarisation, notamment sur ses éventuelles conséquences financières pour la sécurité sociale. Vous pourriez d'ailleurs centrer votre propos liminaire sur ce sujet - en l'élargissant, si vous le jugez nécessaire, à d'autres secteurs que la seule biologie médicale.
M. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam). - Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de me donner l'occasion de revenir sur le constat que nous avons dressé dans notre rapport « Charges et produits » et sur les propositions que nous avons pu faire sur ce sujet de la financiarisation.
En préambule, il me semble essentiel de définir la financiarisation du point de vue de l'assurance maladie, en commençant par rappeler ce qu'elle n'est pas. Le système de santé français dispose de deux atouts : il est d'une part largement solvabilisé par l'assurance maladie, mais aussi par les complémentaires santé ; il repose d'autre part sur des acteurs de soins publics et des acteurs privés, qu'ils soient à but lucratif ou à but non lucratif. Cette coexistence constitue une force en ce qu'elle est synonyme d'approches complémentaires et d'une forme de compétition.
Nous avons clairement besoin de capitaux publics comme de capitaux privés. Selon moi, contrecarrer la financiarisation ne peut donc pas consister à rejeter les acteurs et financeurs privés, car le système tire sa force de cette diversité. Cette force provient aussi, d'ailleurs, de la diversité des pratiques et des organisations, le salariat coexistant avec l'exercice en libéral. Comme vous le savez, une large partie de l'accès aux soins de premier recours est prise en charge par des professions libérales et des travailleurs indépendants : chaque jour, les médecins généralistes accueillent 1 million de patients, et les spécialistes une proportion similaire. S'ils sont tous solvabilisés par l'assurance maladie, ces acteurs agissent dans un cadre qui n'est pas public.
Ce rappel étant effectué, la financiarisation équivaut selon moi aux processus par lesquels des acteurs privés - qui ne sont pas des professionnels de santé - prennent le contrôle de structures de soins dans une logique de retour sur investissement de court terme. L'émergence de ce phénomène est liée à plusieurs facteurs, dont un besoin de financement et de capitaux ; l'existence de marges et de niveaux de rémunération pouvant intéresser des acteurs financiers ; la prévisibilité des revenus, qui, dans le cadre d'un système de financement largement public, laisse entrevoir des perspectives financières pluriannuelles stables ; enfin, la possibilité de procéder à des restructurations, de réaliser des gains de productivité et donc d'obtenir à court terme des rendements en augmentation.
Le secteur de la biologie a connu la convergence de ces différents éléments, des interstices de la législation ayant permis à des acteurs privés non professionnels de santé de prendre progressivement le contrôle. De plus, si le cadre global a incité à accroître la qualité - ce qui est un élément positif -, il a dans le même temps élevé le niveau de contraintes et donc rehaussé le besoin en investissements. S'y sont ajoutées des possibilités de concentration des plateaux techniques de biologie, qui ont ouvert des perspectives de diminution des coûts et de rentabilité accrue.
Ces différents facteurs ont abouti à un double phénomène de concentration du secteur, avec une très forte baisse du nombre d'acteurs, des rachats successifs et l'arrivée, au cours de la décennie 2010 - avant la crise du covid-19 -, de fonds d'investissement et d'acteurs privés se situant dans une logique de court terme. Cette évolution s'est traduite par l'utilisation du mécanisme de LBO (Leveraged Buy-Out), par lequel un acteur s'endette pour acheter une entreprise avec la perspective de la revendre rapidement, avec un niveau de rentabilité élevée qui lui permet de rembourser sa dette et d'empocher la différence. Certains laboratoires ont été visés par quatre à cinq opérations de ce type, ce phénomène ayant été accentué par la crise du covid-19.
Nous avons été amenés à tirer la sonnette d'alarme dans notre rapport « Charges et produits » à ce sujet, car nous avons eu le sentiment que ce phénomène de concentration et de prise de contrôle par des acteurs recherchant des rendements financiers à court terme pouvait avoir des conséquences négatives dans différents domaines.
Le premier et le plus évident d'entre eux a trait à la régulation et au partage des gains de productivité, pour le dire un peu crûment. Dès lors que ces gains sont réalisés dans le système de santé, il semble en effet assez logique qu'ils puissent être partagés entre le financeur et l'opérateur. Or nous avons rencontré de très sérieuses difficultés lors de nos négociations avec les biologistes, puisque nous avons eu la preuve que nos interlocuteurs ne souhaitaient pas s'inscrire dans une telle logique de partage, au motif que leurs actionnaires étaient entrés à un niveau de valorisation très élevée et n'entendaient donc pas dégrader leurs perspectives de rentabilité. D'où notre question : jusqu'où la régulation peut-elle fonctionner si nos interlocuteurs nous opposent une contrainte de valorisation ?
Un deuxième domaine suscitant l'inquiétude concerne le maillage territorial et le risque que les choix d'investissements et d'organisation pourraient ne pas être décidés principalement en fonction de critères liés à la santé. Dans la pratique, nous n'avons pas observé, à ce stade, de dégradation du maillage territorial résultant de cette financiarisation de la biologie. Nous observons même, à l'inverse des arguments avancés par les grandes entreprises de biologie, une augmentation du nombre de sites de prélèvements, avec probablement une concurrence effrénée entre groupes visant à aller chercher les dernières parts de marché d'acteurs indépendants, afin de poursuivre leur expansion. Pour autant, le risque de voir des choix d'investissements et d'organisation déconnectés des besoins de santé publique de nos concitoyens demeure.
Tous ces éléments ne nous ont pas empêchés d'agir et de mettre en oeuvre le mandat de négociation que les ministres nous ont confié dans le cadre de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) voté par le Parlement. Nous n'avons ainsi pas cédé un euro lors des négociations tarifaires de l'automne 2022 et de janvier 2023. J'ai abordé ces négociations avec un objectif de 250 millions d'euros d'économies à réaliser, dont 180 millions d'euros sur la biologie et 70 millions d'euros sur le covid-19, objectifs qui ont été scrupuleusement respectés alors que nos interlocuteurs affirmaient que ces économies entraîneraient la disparition de la biologie médicale française.
Ces mêmes biologistes ont fini par donner leur accord, les ministres et l'assurance maladie ayant été fermes dans la négociation. Le protocole pluriannuel prévoyait un quasi-gel des dépenses de biologie, avec une progression annuelle de l'ordre de 0,4 %. Une nouvelle baisse tarifaire est intervenue en janvier 2024 puisque les volumes de dépenses de biologie de fin d'année 2023 et les perspectives pour 2024 nous ont amenés à penser que le niveau tarifaire ne permettrait pas de respecter le protocole. Après des négociations à nouveau difficiles, la mise en oeuvre de cette nouvelle baisse de tarifs est intervenue en début d'année, et nous suivons de très près les dépenses de biologie afin de nous assurer du plein respect du protocole.
J'ajoute que ledit protocole permet une régulation importante des dépenses, tout en garantissant l'équilibre du secteur de la biologie et le maintien du maillage territorial. Il prévoit en outre des enveloppes dédiées à l'innovation, de manière à ne pas figer totalement le cadre et à permettre d'intégrer des examens en provenance du secteur hospitalier. Les modes de régulation doivent en effet réserver une place à l'arrivée de nouveaux actes qui peuvent être très utiles pour la prise en charge des patients.
En conclusion, nous avions formulé deux propositions dans le cadre de notre rapport « Charges et produits », dont j'admets bien volontiers qu'elles relèvent davantage de la méthode que du fond, en rappelant cependant que l'assurance maladie n'a pas vocation à fixer le cadre d'intervention des effecteurs de soins, et qu'elle n'est pas spécialisée en droit des sociétés. Nous avons néanmoins partagé ce signal d'alerte, qui pourrait concerner à l'avenir d'autres secteurs tels que la radiologie, l'« anapath » et, de façon un peu différente, la pharmacie. D'ores et déjà, certaines tendances nous laissent à penser que nous risquons d'être confrontés à des difficultés dans les années à venir si nous n'agissons pas dès à présent.
Nous proposions donc la création d'un observatoire permettant de suivre ce phénomène de financiarisation, car nous manquons de données sur le sujet. Il faudrait à cet effet réunir les différents acteurs, qu'il s'agisse des ministères, des agences régionales de santé (ARS), des ordres professionnels ou de l'assurance maladie. Nous suggérions également de mettre au service de cet observatoire une mission de contrôle interministérielle, qui pourrait permettre d'objectiver des montages financiers parfois complexes.
Je termine mon propos en abordant le lien entre la financiarisation et la fraude, qui renvoie aux centres de santé, sujet que j'ai déjà abordé à plusieurs reprises devant votre commission. Nous voyons bien que le cadre juridique actuel, en vertu duquel les centres de santé doivent être pilotés par des organismes non lucratifs, est très largement contourné par des montages financiers ou immobiliers, des prestations de services ou encore par des contrats entre les associations gérant lesdits centres et d'autres acteurs, y compris financiers, contrats qui confient de fait l'exercice du pouvoir de direction à ces derniers.
Il s'agit d'un phénomène distinct de celui qui est à l'oeuvre dans la biologie, avec des schémas d'optimisation et de fraude à l'assurance maladie dont les montants sont significatifs : nos résultats en termes de lutte contre la fraude dans les centres de santé ont nettement augmenté pour atteindre 57 millions d'euros en 2023. Je peux d'ores et déjà affirmer que ces chiffres vont continuer à augmenter et que de nouveaux déconventionnements de centres de santé interviendront dans les prochaines semaines. En dépit d'un cadre législatif qui s'est nettement étoffé grâce à l'action du Parlement, les activités frauduleuses se sont développées.
J'insiste enfin sur le secteur des cliniques privées, placé sous les feux de l'actualité. Très présent dans le système de santé, il représente plus de la moitié de la chirurgie dans notre pays, tout en étant détenu de longue date par des acteurs privés. Prenons garde à ne pas mélanger ou amalgamer les acteurs et à bien cerner, secteur par secteur, les conditions de financement, d'organisation et de rentabilité.
M. Bernard Jomier, rapporteur. - Vous avez rappelé à bon escient que cette mission d'information n'est pas consacrée à la répartition ou à l'opposition entre le public et le privé. Cette financiarisation traduit peut-être le dépassement d'un capitalisme professionnel - ancien et qui revêtait une forme un peu artisanale - et le passage à une phase industrielle, plus éloignée des professionnels et des territoires. En tout état de cause, la financiarisation correspond bien à l'intervention d'acteurs extérieurs qui viennent investir dans une logique de rentabilité et de retour sur investissement plutôt rapide. Ces acteurs ne recherchent d'ailleurs pas nécessairement un taux de rentabilité très élevé, mais surtout le fait d'avoir affaire à un payeur très solide, comme la crise du covid-19 l'a démontré.
Vous avez pointé une série de problèmes posés par cette financiarisation et la nécessité de renforcer des outils de régulation manifestement insuffisants. S'agissant de votre proposition de créer un observatoire, il est certainement toujours utile de mieux comprendre les mécanismes et de recueillir davantage de données, mais ne faut-il pas aller plus loin et envisager, si ce n'est la mise en place d'une autorité de régulation, une intervention ? Par ailleurs, vous avez soulevé un enjeu important en évoquant une approche interministérielle : une cohérence entre les différentes autorités concernées par cette financiarisation serait la bienvenue.
Ma deuxième question porte sur les centres dentaires, la convention que vous avez signée avec les chirurgiens-dentistes prévoyant des dispositions qui entravent le développement de centres financiarisés. Estimez-vous que le phénomène observé ces dernières années est en passe d'être enrayé, ou d'autres outils de régulation sont-ils nécessaires ?
M. Thomas Fatôme. - Le Gouvernement est intervenu en matière de régulation, notamment via l'ordonnance du 8 février 2023 qui a apporté des éléments complémentaires quant à la transparence demandée au niveau de l'évolution de la composition du capital des différentes sociétés, des pactes d'actionnaires et des modalités d'organisation du pouvoir dans les différents organismes de direction et de contrôle. Je crois que ce texte permettra d'avancer, le système de régulation étant insuffisamment au fait des évolutions qui peuvent affecter l'actionnariat et la direction des différentes organisations, dans le cadre de montages souvent extrêmement complexes. Cependant, il faudra peut-être envisager d'aller encore plus loin que ce texte.
Pour ce qui est des centres de santé, il existe un hiatus trop marqué entre un cadre législatif qui confie leur gestion à des acteurs à but non lucratif et les pratiques observées. Une fois encore, le droit des sociétés ne relève pas directement de notre champ de compétences et nous ne sommes pas en mesure d'empêcher des montages entre associations et sociétés privées qui contredisent cette obligation.
Je pense qu'il faut revoir un cadre législatif manifestement détourné, même si je ne peux pas vous proposer des mesures opérationnelles allant dans ce sens dans l'immédiat. La création d'un observatoire permettrait a minima de bâtir une vision commune aux sphères de la santé, de la justice et de l'économie, afin d'essayer d'identifier les failles du dispositif et de proposer un certain nombre de pistes.
Concernant les centres de soins dentaires, les quatre fédérations de centres de santé ont signé un accord équivalent à celui qui a été signé avec les chirurgiens libéraux sur la régulation démographique. Dans les zones non prioritaires, c'est-à-dire dans lesquelles il existe une densité de dentistes importante, il faudra, à compter de l'année prochaine, un départ pour une arrivée, disposition qui s'appliquera aux libéraux comme aux centres de santé. Nous avons souhaité, par ce biais, freiner l'installation de centres de santé dans des zones qui ne sont absolument pas prioritaires : il suffit de se promener dans la capitale pour constater que lesdits centres sont malheureusement nombreux. Soyons cependant prudents et modestes dans la mesure où ce zonage ne concerne qu'une portion limitée du territoire et, de mémoire, 10 % des dentistes.
Plus globalement, je regrette que notre investissement dans la lutte contre la fraude ne mette pas un terme aux activités frauduleuses, malgré le fort engagement de la police et de la justice à nos côtés pour les contrer.
M. Olivier Henno, rapporteur. - Merci pour vos propos sur ce sujet, assez grave, de la financiarisation. Les représentants des biologistes médicaux que nous avons auditionnés avant vous m'ont rappelé les propos de mon professeur de classe préparatoire, qui disait qu'il n'y avait rien de mieux pour comprendre la financiarisation que de lire L'Argent d'Émile Zola et César Birotteau d'Honoré de Balzac.
Nous nous situons bien dans cette logique : un secteur à l'origine éclaté s'est concentré au cours d'une première phase marquée par des investissements et une amélioration de la qualité du service comme des soins ; elle a ensuite cédé la place à une deuxième phase, bien plus redoutable, marquée par une surconcentration que les pouvoirs publics peinent à maîtriser. Compte tenu des fondamentaux qui sont les nôtres, à savoir la liberté d'installation, la liberté de prescription et le libre choix du médecin qui exigent une forte régulation, avez-vous le sentiment que nous nous nous battons à armes égales avec ces grands groupes, disposant de ressources considérables ?
Connaissez-vous, par ailleurs, le gain qu'a pu entraîner cette financiarisation sur le coût des actes ? En outre, la régulation me semble limitée en ce qu'elle n'empêche pas la multiplication des actes : j'ai pu le vérifier en accompagnant mon fils qui, s'étant blessé au football au poignet ou au genou, a subi de multiples radiographies et autres actes dans la clinique concernée.
M. Thomas Fatôme. - Nous avons intérêt à disposer d'un mécanisme qui permet des gains d'efficience au bénéfice du système de santé. Les investissements ayant permis de réaliser un million de tests se sont révélés utiles au moment de la crise du covid-19. En revanche, un blocage a émergé dès lors qu'il s'est agi de tirer les conséquences d'une rentabilité très élevée - dès avant le covid-19 - et de partager les gains de productivité, la financiarisation faisant obstacle à cette logique.
C'est tout le sens de mon alerte : les fonds d'investissement peuvent rechercher des chiffres d'affaires qui seront multipliés non pas par trois ou quatre, mais par dix ou vingt, soit des niveaux qui n'existent pas en temps normal dans le cadre de fusions-acquisitions. Dès lors que cet argument de la rentabilité de court terme est opposé pour refuser toute diminution des tarifs, le système est en danger.
La question relative à la multiplication et à l'utilité des actes est éminemment délicate : nous l'abordons par le biais de nos travaux consacrés à la qualité et à la pertinence des soins et dans le cadre d'un dialogue avec les professionnels et prescripteurs, afin de nous assurer de la pertinence des examens prescrits. Nous savons, par exemple, que de nombreuses prescriptions de vitamine D sont inutiles, mais ce problème concerne la prescription en amont, et non la financiarisation.
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Merci d'avoir clairement posé les termes du débat. Le phénomène de financiarisation et de concentration n'a pas dégradé, à ce stade, le maillage territorial. Pour autant, ce risque n'est-il pas devant nous dans un contexte économiquement défavorable du point de vue des groupes ?
Par ailleurs, avez-vous observé de leur part des pratiques contestables telles qu'une sélection des actes ou des activités les plus rentables ?
Enfin, vous avez évoqué le protocole d'accord avec le secteur de la biologie. Regrettez-vous le niveau de tarification appliqué aux actes de dépistage et aux tests durant la crise du covid-19 ? Envisagez-vous d'ores et déjà un nouveau prélèvement sur le secteur de la biologie pour le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) ?
M. Thomas Fatôme. - Le diagnostic que nous avons posé ne permet pas d'établir une corrélation entre la diminution du nombre d'acteurs et une dégradation du maillage territorial jusqu'en 2022 : la tendance est même inverse, sans toutefois être certain que les créations de sites se fassent dans les endroits les plus pertinents.
Mon inquiétude, compte tenu de nos récentes expériences de négociations, renvoie à un scénario dans lequel les groupes décideraient d'abandonner une politique pour l'instant plutôt expansionniste : sur quels outils pourrions-nous alors nous appuyer pour faire face à ce risque ? De nouveau, un observatoire pourrait apporter un début de réponse s'il se penche, de manière active, sur les manquements du cadre législatif et réglementaire.
La question de savoir si nous nous battons à armes égales, compte tenu des ressources et de la maîtrise des textes réglementaires dont disposent les acteurs concernés, est effectivement posée, les ARS n'ayant sans doute pas les moyens nécessaires au contrôle et au suivi de ces groupes.
Pour en revenir à la qualité et à la pertinence des actes, nous avons eu des remontées - émanant, de manière intéressante, de groupes de biologistes, et non des syndicats de biologistes avec lesquels je négocie - quant à leur crainte de ne pas pouvoir continuer à pratiquer certains types d'examens, pour cause de rentabilité insuffisante.
Quant aux tarifs pratiqués pendant la crise du covid-19, je n'ai aucun regret : élevés au début, ils ont permis d'inciter les laboratoires à investir, avant de diminuer très fortement, au point d'être quasiment divisés par deux. Nous avons recherché un difficile équilibre entre un cadre favorable à l'investissement et la nécessité de maîtriser les tarifs, et je crois que nous avons fait le nécessaire.
Je ne crois pas du tout à une réduction de voilure qui serait justifiée par la situation économique des laboratoires, ou que ceux-ci auraient besoin de réduire leurs coûts en raison des contraintes que nous faisons peser sur les groupes. Nous examinerons leurs résultats de 2023 au cours de l'été ; je ne pense que nous verrons un tel phénomène.
Prévoyons-nous des mesures dans le PLFSS pour 2025 ? Ma réponse, comme vous l'imaginez, sera prudente. En revanche, je peux mentionner à ce stade le protocole que nous avons signé : quand, à la fin de l'année 2023, nous avons remarqué que les perspectives pour 2024 étaient plus dynamiques que prévu, nous avons indiqué aux laboratoires biologiques que les tarifs allaient être baissés, ce qui a été fait dès janvier. Si les volumes restent dynamiques en 2024, malgré nos efforts pour maîtriser les dépenses médicales, nous proposerons de nouvelles baisses de tarifs, et nous ferons de même en 2025. Bien sûr, cela dépendra aussi des équations complexes de l'Ondam, que vous connaissez bien. Il est encore trop tôt pour en parler, mais nous nous sommes engagés à respecter le protocole, ce qui pourrait entraîner des mesures tarifaires supplémentaires.
Mme Jocelyne Guidez. - Comment voyez-vous le rôle de l'intelligence artificielle (IA) et de l'innovation numérique dans le système de santé de demain ?
Mme Émilienne Poumirol. - Que pensez-vous de la financiarisation des groupes de radiologie ? On le sait, les radiologues cherchent à avoir le rôle principal dans la gouvernance, mais les financiers usent tous de la même tactique : ils approchent les radiologues proches de la retraite pour leur proposer, si j'ose dire, un pactole ; ils mettent en place un cadre si complexe, incluant la gestion des ressources humaines et juridiques, que le médecin, au moment de partir à la retraite, accepte de vendre, car cela améliore considérablement sa situation financière. En outre, les investissements en radiologie sont, on le sait, très coûteux.
L'État ou les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) ont-ils les moyens juridiques pour empêcher ces financiers de contrôler les sociétés d'exercice libéral (SEL) ?
On pourrait ainsi éviter le risque de surutilisation des examens coûteux, comme les actes d'imagerie par résonance magnétique (IRM), sans réelle pertinence médicale. Vous avez souligné l'importance de la prescription, mais dans certains cas, comme les petits accidents sportifs, c'est le radiologue qui prescrit, pas le médecin généraliste. Donc, existe-t-il vraiment un moyen juridique pour empêcher les financiers de décider de la gouvernance ?
M. Thomas Fatôme. - En radiologie, des applications fondées sur l'IA sont de plus en plus utilisées ; elles aident le radiologue à réaliser ses diagnostics. Nous examinerons, dans notre prochain rapport annuel, si le cadre actuel permet le remboursement de l'utilisation de ces nouvelles technologies.
M. Artus de Cormis, directeur de cabinet de la directrice déléguée à la gestion et à l'organisation des soins (DDGOS). - L'IA renferme la promesse d'augmenter la qualité et l'efficacité du système de santé. Toutefois, si son usage est détourné, elle peut accentuer ou aggraver certaines dérives financières. Il est donc important qu'elle reste au service des médecins. Soyons vigilants sur ce point : les médecins doivent rester maîtres, en continuant à réaliser les diagnostics, même s'ils peuvent être utilement appuyés par l'IA.
L'ordonnance du 8 février 2023 ne change pas les règles du jeu ; en revanche, elle augmente le nombre de garde-fous, notamment en matière de transparence. Pour aller plus loin, il faudrait modifier la loi de 1990, en ajoutant des mesures tendant à contrôler les investisseurs tiers pour limiter le rôle qu'ils peuvent jouer dans la gouvernance.
Dans le cadre actuel, les pactes d'actionnaires, les actions préférentielles, les obligations convertibles et autres mécanismes financiers permettent de contourner les règles, si bien que, aujourd'hui, les acteurs financiers détiennent les droits financiers et contrôlent les sociétés d'exercice libéral.
L'ordre des médecins du département du Rhône est récemment intervenu dans le cas d'une société de radiologie, car les actionnaires avaient, selon lui, détourné les règles et l'esprit de la règle de détention du capital. Pour le moment, le Conseil d'État s'est uniquement prononcé sur la procédure ; il doit encore juger au fond. Ce cas pourrait faire jurisprudence, car il s'agit du premier contentieux où un ordre intervient après avoir estimé que les médecins n'étaient plus les propriétaires de leur outil de travail.
L'ordonnance offre donc déjà un cadre d'actions.
M. Bernard Jomier, rapporteur. - Il manque les textes réglementaires...
M. Artus de Cormis. - Les textes réglementaires ne sont pas nécessaires pour que l'ordonnance s'applique.
M. Philippe Mouiller, président. - Je vous remercie, monsieur le directeur général, pour vos réponses.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Proposition de loi d'abrogation de la réforme des retraites portant l'âge légal de départ à 64 ans - Examen des amendements de séance
M. Philippe Mouiller, président. - Je vous indique qu'aucun amendement n'a été déposé sur la proposition de loi d'abrogation de la réforme des retraites portant l'âge légal de départ à 64 ans, dont nous débattrons cet après-midi en séance publique.
Proposition de loi tendant à préserver l'accès aux pharmacies dans les communes rurales - Examen des amendements au texte de la commission
M. Philippe Mouiller, président. - Nous en venons à l'examen des amendements de séance sur la proposition de loi tendant à préserver l'accès aux pharmacies dans les communes rurales, texte qui sera, lui, examiné demain en séance publique.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
Mme Guylène Pantel, rapporteure. - L'amendement n° 5 rectifié bis revient sur l'amendement adopté par notre commission, en rétablissant la rédaction initiale de la proposition de loi. Je vous propose donc un avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 5 rectifié bis.
Mme Guylène Pantel, rapporteure. - L'amendement n° 6 rectifié vise à permettre aux directeurs généraux d'agences régionales de santé (ARS) d'autoriser, par dérogation, l'ouverture d'officines dans des communes de moins de 2 500 habitants.
Notre commission a, au contraire, considéré qu'une réforme des critères d'ouverture de droit commun des pharmacies d'officine n'était pas souhaitable ; elle préfère recentrer le dispositif sur les seuls territoires fragiles. Je vous propose donc un avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 6 rectifié.
Mme Guylène Pantel, rapporteure. - L'amendement n° 3 vise à assouplir les conditions d'autorisation et d'exercice des médecins propharmaciens, établis dans une commune dépourvue d'officine et autorisés à délivrer directement des médicaments.
Pour cela, il supprime notamment les dispositions prévoyant que ces dispensations sont limitées aux médicaments et dispositifs médicaux listés par le ministre de la santé, après avis des conseils nationaux des ordres des médecins et des pharmaciens. Il permet également la délivrance des produits de santé par un infirmier pratiquant des soins à domicile pour ses patients dépendants.
Si l'autorisation de médecins propharmaciens est souhaitable dans certains territoires dépourvus d'officines, cet amendement a toutefois pour effet de supprimer plusieurs garanties prévues par le code de la santé publique, dont l'encadrement des produits de santé concernés et la saisine des ordres. Ces garanties sont pourtant indispensables.
En conséquence, je vous propose un avis défavorable sur cet amendement.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 3.
Mme Guylène Pantel, rapporteure. - L'amendement n° 2 rectifié vise à supprimer les seuils dérogatoires encadrant l'ouverture de pharmacies d'officine en Alsace et en Moselle.
En examinant ce texte la semaine dernière, notre commission a jugé inopportune la révision des critères d'ouverture d'officines, susceptible de déstabiliser le réseau existant. Je vous propose de maintenir cette approche en émettant, à l'encontre de cet amendement, un avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 2 rectifié.
Mme Guylène Pantel, rapporteure. - L'amendement n° 7 rectifié vise à avancer au 1er juillet 2024 la date à laquelle, en l'absence de décret pris par le Gouvernement, les dispositions relatives aux territoires fragiles restées inappliquées depuis 2018 deviendraient directement applicables.
Compte tenu des délais d'examen parlementaire comme du temps nécessaire au Gouvernement pour prendre le décret attendu, cette date me paraît trop proche. Je vous propose donc un avis défavorable sur cet amendement.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 7 rectifié.
Mme Guylène Pantel, rapporteure. - L'amendement n° 4 rectifié vise à autoriser le directeur général de l'ARS, d'une part, à renouveler une fois le délai maximal d'un an de remplacement d'un titulaire d'officine afin de ne pas compromettre l'approvisionnement nécessaire en médicaments de la population ; d'autre part, à renouveler une fois, sur demande du titulaire de l'officine, le délai de douze mois à l'issue duquel, en l'absence d'activité constatée, la cessation d'activité d'une officine est réputée définitive.
Il me semble que ces nouvelles prérogatives sont souhaitables pour permettre aux directeurs généraux des ARS de mieux tenir compte des tensions constatées localement dans l'accès à une officine et des éventuelles difficultés à trouver un repreneur. Elles seront autant d'outils supplémentaires pour réguler les opérations de restructuration.
C'est pourquoi je vous propose d'émettre un avis favorable sur cet amendement.
Mme Corinne Imbert. - J'avais imaginé ce dispositif lors de l'audition de la direction générale de l'offre de soins (DGOS).
Toutefois, je n'ai pas déposé d'amendement pour une raison de cohérence - à première vue, il est difficile de trouver des situations dans lesquelles ce dispositif pourrait s'appliquer - et pour un motif technique : la licence ne peut être cédée par son titulaire indépendamment du fonds de commerce.
Si l'on regarde bien, il existe deux situations où l'officine peut être ouverte sans titulaire : en cas de décès, la gérance peut durer deux ans ; en cas de maladie, le titulaire peut être remplacé pendant un an. Le titulaire doit bénéficier des indemnités journalières.
Mais j'ai du mal à trouver des situations correspondant au fait de ne pas exercer personnellement son activité pendant deux ans. Je rappelle que la licence ne peut pas être dissociée du fonds de commerce. Même si j'avais initialement pensé à un tel dispositif, je voterai contre cet amendement, car il ne me semble répondre à aucune situation concrète.
Mme Guylène Pantel, rapporteure. - Ma chère collègue, nous avions effectivement parlé de ce dispositif. Je tiens à indiquer que le renouvellement du délai de caducité de la licence ne serait pas obligatoire ; cela se ferait sur demande du pharmacien.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 4 rectifié.
Mme Guylène Pantel, rapporteure. - L'amendement n° 1 vise à assouplir les conditions de création des antennes d'officine, en permettant, lorsqu'aucune antenne n'est créée par un pharmacien titulaire d'une officine d'une commune limitrophe ou de l'officine la plus proche, d'autoriser la création d'une antenne par un pharmacien titulaire d'une officine d'une commune non limitrophe ou plus éloignée.
L'expérimentation des antennes d'officine n'a pas encore été effectivement appliquée. Les premières créations d'antennes devraient intervenir bientôt. Il semble précipité de réviser, déjà, les conditions de création. C'est pourquoi je vous propose un avis défavorable sur cet amendement.
Mme Corinne Imbert. - L'expérimentation va enfin être mise en oeuvre, le cahier des charges ayant été rédigé récemment ; il sera d'ailleurs approuvé la semaine prochaine. Je pense néanmoins que nous devons garder à l'esprit la proposition, intéressante, de Daniel Chasseing, notamment en cas de généralisation de l'expérimentation.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1.
TABLEAU DES AVIS
Proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en oeuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre - Désignation d'un rapporteur
La commission désigne M. Alain Milon rapporteur de la proposition de loi n° 435 (2023-2024) visant à encadrer les pratiques médicales mises en oeuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre.
La réunion est close à 11 h 40.