- Mercredi 3 avril 2024
- Audition de M. Benoît Ameye, sous-directeur des politiques de l'habitat, Mme Chantal Mattiussi, directrice du Pôle national de lutte contre l'habitat indigne, MM. Stéphane Flahaut, adjoint au sous-directeur de la politique de l'habitat et Denis Solina, chef du bureau de la mobilisation et de l'amélioration du parc privé, de la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP)
- Audition de Mme Dominique Consille, directrice des programmes Action coeur de ville et petites villes de demain
Mercredi 3 avril 2024
- Présidence de Mme Amel Gacquerre, présidente -
La réunion est ouverte à 16 heures.
Audition de M. Benoît Ameye, sous-directeur des politiques de l'habitat, Mme Chantal Mattiussi, directrice du Pôle national de lutte contre l'habitat indigne, MM. Stéphane Flahaut, adjoint au sous-directeur de la politique de l'habitat et Denis Solina, chef du bureau de la mobilisation et de l'amélioration du parc privé, de la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP)
Mme Amel Gacquerre, présidente. - Nous reprenons aujourd'hui nos auditions en recevant M. Benoît Ameye, sous-directeur des politiques de l'habitat au sein de la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), ainsi que Mme Chantal Mattiussi, directrice du Pôle national de lutte contre l'habitat indigne (PNLHI), M. Stéphane Flahaut, adjoint au sous-directeur des politiques de l'habitat, et M. Denis Solina, chef du bureau de la mobilisation et de l'amélioration du parc privé.
La DHUP, et plus particulièrement la sous-direction des politiques de l'habitat, est chargée de répondre aux besoins en logement et en hébergement des citoyens, notamment en contribuant à programmer la production de logements et à améliorer la gestion de l'offre de logements existants.
Le Pôle national de lutte contre l'habitat indigne assure quant à lui une mission d'expertise au service des acteurs de terrains intervenant dans la lutte contre l'habitat indigne, notamment à l'aide des pôles départementaux spécialisés.
Madame, messieurs les représentants de la DHUP, notre commission d'enquête entend répondre à plusieurs objectifs.
Nous souhaitons, d'abord, mieux déterminer les critères ou les signaux d'alerte permettant de détecter la paupérisation d'une copropriété.
Nous étudions, ensuite, les causes qui conduisent à la dégradation de ces ensembles afin de mieux les prévenir et de permettre une intervention rapide, à l'aide d'outils adaptés.
Nous nous intéressons, enfin, à la manière dont sont prises en charge les petites copropriétés paupérisées, qui, pour mémoire, représentent les trois quarts des copropriétés fragilisées.
En conséquence, votre audition doit nous permettre de mieux comprendre le rôle de la DHUP dans la définition des outils permettant de repérer, de prévenir et d'intervenir le plus en amont possible contre la dégradation de copropriétés.
Monsieur Ameye, après presque cinq ans au sein de la DHUP, d'abord en tant qu'adjoint au sous-directeur du financement et de l'économie du logement, et désormais comme sous-directeur des politiques de l'habitat, vous êtes particulièrement qualifié pour avoir une vision d'ensemble de cette politique, de la manière dont sont fixés les objectifs et comment elle est pilotée. Il nous serait précieux que vous puissiez nous faire part de votre analyse et des améliorations que vous souhaiteriez voir aboutir.
Je souhaiterais également avoir votre regard sur la manière dont l'action de la DHUP s'articule avec les autres acteurs qui prennent en charge et accompagnent les copropriétés dégradées. Cette gouvernance est-elle selon vous perfectible ?
En outre, est-il selon vous possible et, le cas échéant, de quelle manière, d'accélérer la détection et la prise en charge d'une copropriété en voie de dégradation, puisque l'on sait qu'une intervention tardive de la puissance publique supposera un coût bien plus important qu'une identification en amont ?
Par ailleurs, madame la directrice, pourriez-vous revenir sur le rôle des pôles départementaux de lutte contre l'habitat indigne ? Quelles sont vos observations de terrain concernant la collaboration entre les différents services publics et partenaires locaux qui luttent contre la paupérisation des copropriétés et l'habitat indigne ? Comment serait-il possible d'améliorer leur action ?
Comme je l'ai mentionné, nous souhaitons également porter une attention particulière aux situations des petites copropriétés en voie de dégradation. Selon vous, la qualité des outils et de l'accompagnement des copropriétés dégradées est-elle adaptée aux situations spécifiques de ces petites structures ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Benoît Ameye, Mme Chantal Mattiussi, M. Stéphane Flahaut et M. Denis Solina prêtent serment.
M. Benoît Ameye, sous-directeur des politiques de l'habitat. - Je vous remercie de nous donner la possibilité d'intervenir sur la paupérisation des copropriétés, sujet dont votre commission s'est saisie après des échanges riches sur le projet de loi relatif à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement. C'est évidemment un enjeu majeur pour les politiques de l'habitat.
J'essaierai tout d'abord de caractériser ce phénomène de paupérisation. J'examinerai ensuite sommairement l'action de la puissance publique, en particulier de l'État. Je dirai enfin quelques mots sur la lutte contre l'habitat dégradé et le rôle du Pôle national de lutte contre l'habitat indigne.
La paupérisation des copropriétés semble avérée. C'est un phénomène complexe, pluriel, aux symptômes et aux causes multiples. Les données font apparaître un parc de logements important, plutôt ancien, constitué essentiellement de petites et de moyennes copropriétés, et présent quasiment partout.
Si l'émergence des copropriétés est un phénomène relativement récent, qui date essentiellement de la deuxième moitié du XXe siècle, c'est désormais un phénomène massif. En 2022, les copropriétés représentaient 29 % des résidences principales, soit près de 9 millions de logements, la quasi-totalité étant des appartements, contre seulement 6 % en 1962. Il y a aujourd'hui près de 780 000 copropriétés, dont 579 378 immatriculées. Plus de la moitié des logements en copropriété ont été construits avant 1974 : 27 % avant 1949, et près de 28 % entre 1949 et 1974.
Cette hétérogénéité se retrouve également en termes de taille. Les petites copropriétés de moins de dix logements sont les plus nombreuses. Elles représentent près de 71 % des copropriétés et près de 20 % des logements en copropriétés, soit une proportion supérieure à celle des logements en copropriété de plus de 100 logements, qui représentent 2 % des copropriétés et 15 % des logements. La majorité des logements en copropriété se situe dans des copropriétés comptant de 10 à 100 logements, soit 64 %.
On trouve des copropriétés quasiment partout. Les copropriétés se banalisent au sein des tissus ruraux ou périurbains, mais restent néanmoins un phénomène largement urbain puisque deux tiers des logements en copropriété sont situés dans des agglomérations de plus de 200 000 habitants et 63 % du parc de logements en copropriété est localisé dans les trois plus grandes régions, alors qu'elles ne représentent qu'environ 35 % de la population.
L'occupation des copropriétés - élément important si l'on veut analyser la paupérisation - est un phénomène plus difficile à appréhender. Dans une étude de 2023, faute de précision sur les seules copropriétés, la Banque des territoires avait retenu une approche de l'occupation de ce parc par extrapolation. Elle avait notamment relevé que 65 % des ménages sous le seuil de pauvreté sont logés dans le parc privé - un peu plus de la moitié en tant que locataires et un tiers comme propriétaires occupants -, soit 5,5 millions de personnes considérées comme modestes ou très modestes. La moitié des logements en copropriété sont des résidences principales occupées par leurs propriétaires.
Il existe différentes notions pour qualifier et essayer d'approcher de plus près la paupérisation des copropriétés. En fonction notamment du taux d'impayés de charges de la copropriété, on distingue les copropriétés fragiles, qui présentent un fonctionnement sain de la gouvernance, mais pour lesquelles apparaissent des signes de première fragilité, et les copropriétés en difficulté, qui connaissent des problèmes fonctionnels et financiers de gestion et d'administration, des problèmes techniques non traités, et pour lesquelles il existe un risque de départ de la population solvable. Les copropriétés dégradées sont le stade ultime du processus. Les dispositifs incitatifs ne sont plus suffisants et l'intervention publique, avec notamment des outils coercitifs, s'avère nécessaire.
Le nombre de copropriétés en difficulté est estimé à environ 150 000 sur 780 000, soit près de 20 % du volume des copropriétés. Plus de 1,5 million de logements sont situés dans des copropriétés très fragiles ou dégradées. L'Île-de-France, notamment la Seine-Saint-Denis et le Val-d'Oise, la Provence-Alpes-Côte d'Azur, particulièrement l'agglomération de Marseille, l'Occitanie, notamment l'ex-Languedoc-Roussillon, et dans une moindre mesure l'Auvergne-Rhône-Alpes - le Rhône et l'Isère - sont les régions les plus concernées par les copropriétés dégradées.
Ce phénomène de dégradation continue s'observe un peu partout, autant dans les zones urbaines qu'en zones rurales, même si les causes et les symptômes peuvent être différents.
Cette paupérisation concerne davantage les petites copropriétés, même si l'on rencontre plus de difficultés pour bien appréhender le volume des petites copropriétés en difficulté.
La paupérisation des copropriétés est un phénomène multifactoriel. Il existe souvent un cumul des causes.
Ces dernières sont d'abord liées à la mauvaise gestion, notamment du syndic.
Il existe ensuite des causes liées au bâti. La fin du cycle technique de l'immeuble peut, par exemple, nécessiter un réinvestissement. Les faibles performances thermiques dans un contexte de hausse des prix de l'énergie peuvent également peser très lourd.
Le troisième type de facteur est la paupérisation des occupants et des propriétaires occupants, par exemple des personnes âgées ou des primo-accédants qui ne peuvent pas réinvestir dans les bâtiments pour les maintenir en état ou les mettre à niveau.
Enfin, le quatrième élément est l'évolution du quartier dans lequel s'inscrit la copropriété. Sa déqualification peut provoquer le départ de ses habitants les plus aisés et la paupérisation de sa population, ce qui entraînera une augmentation des impayés, le sous-financement de l'entretien et le développement de pratiques illégales, génératrices d'insécurité.
Cette spirale de dégradation est bien connue, avec un effet de ciseau entre les capacités contributives des propriétaires et la hausse des charges d'entretien ou d'énergie. Au-delà d'un point critique, le redressement de la copropriété sera extrêmement difficile.
Il existe différentes typologies des copropriétés en difficulté. Le rapport Braye, qui date de 2012, les répartit en trois catégories répondant à des enjeux spécifiques.
Premièrement, les copropriétés construites avant 1949 dans des quartiers anciens. Elles disposent de qualités patrimoniales importantes, mais souffrent d'une évolution non maîtrisée du bâti, ainsi que d'un manque d'entretien, ce qui peut conduire à une certaine insalubrité. Il s'agit essentiellement de petites copropriétés.
Deuxièmement, le parc construit dans les quarante années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. Ce parc est confronté depuis quelques années à une fin de cycle technique. Il est notamment nécessaire d'améliorer sa performance énergétique, ce qui conduit à un mur d'investissements. Ces copropriétés sont généralement de plus grande taille et situées en secteur urbain ou périurbain.
Troisièmement, le parc construit depuis le milieu des années 1980, marqué par la mise en oeuvre continue de politiques de soutien à la construction, notamment via le soutien à l'investissement locatif par des dispositifs fiscaux. Ce parc suscite aujourd'hui des inquiétudes, car il peut être un gisement de futures copropriétés en difficulté.
Pour répondre à ce phénomène de paupérisation des copropriétés, qui concerne des volumes importants et qui renvoie à des situations très différentes, les politiques publiques doivent s'adapter. Elles se sont progressivement déclinées selon trois orientations : d'abord, le traitement de la seule urgence ; ensuite, le développement d'outils et de programmes pour appréhender la diversité des situations ; enfin, l'augmentation continue des interventions publiques.
Face à l'accroissement des difficultés des copropriétés, l'État a d'abord cherché à répondre aux situations de copropriétés très en difficulté qui se multipliaient, essentiellement en raison d'une dégradation rapide des grands ensembles. Le caractère privé de la propriété rend l'intervention publique très malaisée. Entre les années 1990 et 2012, l'intervention publique a plutôt été axée sur des dispositifs curatifs, à travers une succession de textes réglementaires ou législatifs. En 1994, sont notamment apparues les opérations programmées d'amélioration de l'habitat (Opah) copropriétés. En 2000, une étape majeure a été franchie avec la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), qui a fait de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) un acteur majeur de la mise en oeuvre des politiques d'aide aux copropriétés fragiles ou en difficulté.
À partir du rapport Braye intitulé Prévenir et guérir les difficultés des copropriétés : une priorité des politiques de l'habitat, les pouvoirs publics ont pris conscience de la nécessité de développer une véritable politique en faveur des copropriétés en difficulté en passant d'une gestion tournée vers l'urgence à une gestion stratégique et préventive. Un besoin d'agir en amont s'est alors fait jour. Comme vous l'avez souligné, madame la présidente, plus on intervient tard, plus ça coûte cher et plus les conséquences sociales, financières, sanitaires et sécuritaires sont lourdes.
À partir de 2012, une deuxième période de l'intervention publique davantage centrée sur la prévention a débuté. Dans le respect du droit de propriété, l'État s'est attaché à l'observation, à la prévention, à l'accompagnement jusqu'au redressement et à la requalification. Cette logique de prévention et d'accompagnement s'est traduite notamment dans la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) de 2014, qui constitue une étape importante avec la création du registre national d'immatriculation des copropriétés, le fonds travaux, le contrat-type de syndic, l'administration renforcée. Ces outils ont été consolidés par la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Élan), mais également par l'ordonnance du 16 septembre 2020 relative à l'harmonisation et à la simplification des polices des immeubles, locaux et installations et par la loi relative à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement, adoptée au Sénat le 27 mars dernier.
Au-delà de ce cadre législatif et réglementaire, les interventions opérationnelles de l'État reflètent les trois orientations précitées. Les opérateurs de l'État disposent d'outils multiples et adaptables. Ils déploient des actions diversifiées, en volume croissant.
Je souligne que les logements en copropriété bénéficient comme les autres des politiques générales, qu'il s'agisse du logement, de la ville ou de la politique sociale. L'aide personnalisée au logement (APL), par exemple, solvabilise les locataires. L'État, en lien avec les collectivités locales, a également développé des interventions spécifiques à leur profit, portées par différents opérateurs, au premier rang desquels l'Anah, qui est l'interlocuteur de référence des collectivités pour leur politique de repérage, de prévention, d'accompagnement et de traitement des copropriétés en difficulté.
Le plan Initiative Copropriétés (PIC), piloté par l'Anah, constitue l'un des piliers de la politique de l'État en faveur des copropriétés. Il a été lancé le 10 octobre 2018 par le ministre du logement, et couvre la période 2018-2027. Il repose sur une démarche opérationnelle territorialisée et concertée avec les collectivités locales, qui vise le traitement des situations les plus lourdes, mais qui apporte aussi des solutions de prévention et d'accompagnement aux copropriétés identifiées comme fragiles.
Ce plan fédère autour de l'Anah : l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), la Caisse des dépôts et consignations (CDC), Procivis, Action Logement et les établissements publics fonciers, mobilisés pour accompagner les collectivités locales. Il est doté de 3 milliards d'euros sur dix ans, dont 2 milliards d'euros de financement apportés par l'Anah, 500 millions d'euros par l'Anru et 240 millions d'euros par Procivis. Pour l'État, cela représente une dépense de l'ordre de 200 millions d'euros, hors financement de l'Anru. Ce plan très massif couvre 17 sites en suivi national et 147 sites en suivi régional. Il comporte trois axes d'action, comme l'a parfaitement exposé Mme Mancret-Taylor, que vous avez déjà auditionnée dans le cadre de vos travaux. Je n'irai donc pas plus loin.
De nouveaux risques ont également été identifiés pour les copropriétés, notamment la hausse du coût de l'énergie et les investissements en matière de rénovation énergétique rendus nécessaires par la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. Pour y faire face, l'État, à travers l'Anah, a mis en place MaPrimeRénov'Copropriétés, qui a bénéficié en 2023 à plus de 30 000 logements pour près de 200 millions d'euros, dont 90 millions d'euros pour 11 757 logements en copropriétés fragiles. En 2024, les crédits ouverts au budget initial s'élèvent à 614 millions d'euros pour une cible de 90 000 logements.
L'État intervient également au travers d'autres programmes nationaux ciblant des territoires spécifiques, et donc d'autres typologies de copropriétés en difficulté. Pour les copropriétés situées en quartiers prioritaires de la ville (QPV) ou dans les quartiers anciens, l'Anru finance, aux côtés de l'Anah, des actions ciblant des copropriétés en difficulté intégrées dans le nouveau programme national de rénovation urbaine (PNRU), doté de 12 milliards d'euros d'équivalent subventions, et dont l'exécution est prévue jusqu'en 2030.
L'Anru soutient également le programme national de requalification des quartiers anciens dégradés (PNRQAD), dont l'achèvement est prévu en 2025. Par ailleurs, 122 projets relevant de ces deux programmes intègrent des actions en faveur de copropriétés en difficulté.
Sont également déployés le programme Action coeur de ville, lancé en 2018, qui s'adresse en priorité aux villes moyennes hors périmètre des métropoles, et le programme Petites Villes de demain, lancé en 2020 pour les villes de moins de 20 000 habitants situées hors des grands pôles urbains. Ces deux programmes comportent des volets relatifs à l'amélioration de l'habitat, notamment dans l'ancien fortement dégradé. Ils bénéficient également aux copropriétés en difficulté.
Je citerai aussi l'action des établissements publics fonciers qui interviennent massivement sur cette thématique. Ces établissements bénéficient d'une ressource fiscale ad hoc qui leur est affectée au travers de la taxe spéciale d'équipement dans la limite de 5 euros par habitant. Ils peuvent donc porter des interventions massives.
L'État développe aussi des dispositifs de lutte contre l'habitat indigne coordonnés par le Pôle national de lutte contre l'habitat indigne. Ces dispositifs, sans être spécifiquement ciblés sur les copropriétés, leur bénéficient également.
Le parc privé indigne est évalué à 420 000 logements en métropole et concerne plus de 1 million d'occupants. Viennent s'y ajouter plus de 100 000 logements insalubres. La typologie n'est pas exactement la même dans les départements ultramarins. Pour la France métropolitaine, la part des logements indignes en copropriété est estimée à 25 % du total. En matière de lutte contre l'habitat indigne, on observe le renforcement progressif de l'action publique depuis vingt ans. L'ensemble des textes, des procédures, des outils et des financements ont été graduellement et profondément remodelés pour gagner en efficacité et simplifier l'action publique, notamment pour les copropriétés.
Les financements consacrés à la lutte contre l'habitat indigne montrent l'investissement de la puissance publique sur le sujet. En métropole, l'État a engagé directement ou au travers de ses différents opérateurs près de 230 millions d'euros pour lutter contre l'habitat indigne, dont 196 millions d'euros accordés par l'Anah pour les travaux de traitement de l'habitat indigne et très dégradé de 14 555 logements. Sur ces 196 millions d'euros versés par l'Anah, 67 millions d'euros ont été consacrés à l'outre-mer. Par ailleurs, en outre-mer, environ 50 millions d'euros ont été engagés pour la lutte contre l'habitat indigne, financés sur la ligne budgétaire unique du ministère des outre-mer.
La coordination et l'animation de la politique nationale de la lutte contre l'habitat indigne relèvent du PNLHI. Le PNLHI a été créé au début des années 2000. Il était précédemment sous l'autorité du délégué interministériel à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal). Il est désormais intégré depuis 2021 à la DHUP, donc au ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé notamment de la politique du logement.
Le PNLHI est une structure très légère, qui fédère un réseau d'experts correspondants techniques issus des services déconcentrés, des agences régionales de santé (ARS), des collectivités territoriales et des agences départementales d'information sur le logement (Adil). Il adopte donc un positionnement interministériel.
Le PNLHI joue un rôle d'expertise, de conseil, de formation et d'information. Il joue également un rôle d'appui juridique et technique des acteurs locaux - services de l'État, pôles départementaux de lutte contre l'habitat indigne (PDLHI), préfets et les sous-préfets référents de lutte contre l'habitat indigne nommés dans chaque département.
Avec la DHUP et ses partenaires, le PNLHI porte également la stratégie nationale de lutte contre l'habitat indigne, qui se décline ensuite au travers des plans d'action. Le PNLHI s'est particulièrement mobilisé en 2023 sur les questions relatives au traitement des copropriétés dégradées puisqu'il a accompagné la mission Hanotin-Lutz. Il a ensuite participé à l'élaboration du texte qui a été adopté par votre assemblée la semaine dernière.
Il travaille désormais à une accélération du plan Initiative Copropriétés au travers de la déclinaison opérationnelle de la loi qui vient d'être adoptée de manière à amplifier, affiner et approfondir les interventions publiques contre la paupérisation des copropriétés.
Mme Chantal Mattiussi, directrice du Pôle national de lutte contre l'habitat indigne. - Le PNLHI est une mission nationale de coordination et d'animation de lutte contre l'habitat indigne. Il intervient également partiellement sur les copropriétés dégradées, qui concernent 25 % du parc privé potentiellement indigne (PPPI).
L'habitat indigne relève d'une définition juridique dont les contours sont très cadrés. Il s'agit notamment de situations portant atteinte à la santé et à la sécurité. Le Pôle national de lutte contre l'habitat indigne intervient seulement sur les cas les plus graves et non sur l'ensemble des copropriétés, à savoir uniquement à partir du moment où il faut déployer les polices spéciales du maire ou du préfet pour engager des actions coercitives.
L'ordonnance du 16 septembre 2020 a procédé à la refonte des polices administratives spéciales de lutte contre l'habitat afin de simplifier et d'accélérer l'action publique. Un peu plus de 5 500 arrêtés sont pris par an, qu'il s'agisse de procédures d'insalubrité ou de procédures de mise en sécurité. Nous ne disposons pas à l'heure actuelle d'indicateur permettant de chiffrer le nombre de copropriétés concernées. Nous avons simplement une enquête nationale sur la lutte contre l'habitat indigne. Nous tâcherons d'y intégrer cet indicateur, car il semble important.
Quoi qu'il en soit, j'ai effectué un sondage la semaine dernière pour déterminer dans les différents territoires le pourcentage de procédures. En Seine-Saint-Denis, 30 % d'entre elles concernent les copropriétés dégradées. Ce taux est également assez élevé dans les Alpes-de-Haute-Provence où il existe une action très forte en matière de résorption de l'habitat insalubre (RHI) et de traitement de l'habitat insalubre remédiable ou dangereux et des opérations de restauration immobilière (Thirori), en particulier à Marseille.
La prise en charge des copropriétés dégradées s'opère via les pôles départementaux de lutte contre l'habitat indigne, mais aussi via l'animation spécifique des opérateurs, notamment des agences. Ces pôles départementaux créent spécifiquement l'interface avec les différents dispositifs sur les territoires : programmes locaux de l'habitat (PLH), dispositifs animés par l'Anah, opérations programmées d'amélioration de l'habitat et de renouvellement urbain (Opah-RU), Opah, dispositifs plus coercitifs de RHI-Thirori, etc. N'oublions pas qu'en amont de l'intervention publique sur les copropriétés dégradées, lorsque les situations sont graves et avérées, sont mises en place des procédures coercitives, qui sont le préalable à l'ouverture des différents financements de l'Anah, de l'Anru ou des collectivités.
Pour répondre à votre question, les pôles départementaux de lutte contre l'habitat indigne sont aujourd'hui en mesure d'assurer cette interface. Ils disposent d'outils publics pour détecter, signaler et résorber les situations d'habitat indigne. En plus des 5 500 arrêtés pris au titre des polices spéciales du maire et des préfets, il existe une participation des PDLHI en interface avec les programmes nationaux locaux, qui sont de véritables accélérateurs de traitement de l'habitat indigne en copropriété. Les programmes Action coeur de ville et Petites Villes de demain ont été cités. Plus de 29 % des copropriétés sont en secteur QPV et 21 % en secteur Action coeur de ville. Par ailleurs, plus de 1 000 dispositifs d'animation de l'Anah sur les territoires ont été déployés, en interface avec les pôles départementaux de lutte contre l'habitat indigne.
Ces pôles départementaux existent maintenant depuis vingt ans. Ils ont fait leurs preuves en termes de gouvernance territoriale : ils sont suffisamment souples pour s'adapter aux partenariats existants, mais aussi pour mobiliser le partenariat privé.
Les PDLHI ont élaboré une stratégie locale : 90 % d'entre eux ont disposé de plans d'action 2019-2021 sur les territoires. Par ailleurs, 84 % des PDLHI au niveau national disposent d'un guichet unique de recensement, de mise en cohérence et de traitement des situations. Aujourd'hui, 65 % des départements et des pôles départementaux de lutte contre l'habitat indigne ont intégré la plateforme numérique de signalement Histologe, véritable service public permettant à tous les particuliers de signaler les situations grâce à un téléphone portable. Nous avons donc aussi modernisé l'accès aux signalements et la mise en cohérence des données.
De surcroît, 89 % des PDLHI disposent d'indicateurs de suivi et 96 % apportent un appui méthodologique aux collectivités locales sur le traitement de l'habitat indigne, que ce soit au niveau juridique ou technique, mais aussi sur la question des copropriétés pour les départements ayant mis en avant ce besoin.
En plus du renforcement de l'action publique sur les territoires depuis une vingtaine d'années et des dispositifs mis en place, notamment au travers des derniers textes votés par le Parlement, nous avons une stratégie d'intervention sur les territoires. Celle-ci est déclinée localement à l'échelle départementale, mais aussi à l'échelle des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Nous travaillons en réseau.
Le pôle anime également des journées nationales au cours desquelles la thématique des copropriétés est souvent mise en avant. Nous développons des guides sur les copropriétés dégradées et nous mettons en place des modules de formation, avec au moins trois sessions annuelles à l'attention des services de l'État et des collectivités locales. C'est un sujet qui nous intéresse au plus haut point.
Il convient de différencier l'approche urbaine de l'approche rurale, notamment au niveau des moyens déployés par les territoires. Sur le plan local, nous nous appuyons essentiellement sur les outils de l'Anah, notamment les opérations programmées d'amélioration de l'habitat, aussi que sur les dispositifs de prévention tels que la veille et observation des copropriétés (VOC) et le programme opérationnel de prévention et d'accompagnement des copropriétés (Popac). Nous allons pouvoir suivre également quelques copropriétés, mais pour cela il faut que les collectivités soient en mesure de développer de l'ingénierie.
Quelles sont nos propositions pour améliorer le traitement des copropriétés ? Il est certes essentiel d'intervenir le plus en amont possible et de mettre l'accent sur les dispositifs de prévention, mais il est également important d'assurer un accompagnement performant des copropriétaires ou des locataires pendant toute la durée du projet. Le temps de traitement des copropriétés est assez long. Il en est de même pour le traitement de l'habitat indigne. La question de l'accompagnement fait souvent la différence en ce qui concerne la réussite d'un projet. L'aspect social est notamment fondamental. Il importe donc d'aider les collectivités à prendre en charge ce type de dossiers, au même titre que l'ingénierie. En 2024 et en 2025, nous mettrons en oeuvre un certain nombre d'actions pour mieux accompagner socialement les occupants en matière de lutte contre l'habitat indigne. Nous fluidifierons aussi les circuits d'hébergement et de relogement, car il s'agit de pistes importantes.
Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Je vous remercie de ce tour d'horizon. Au fil des auditions, nous avons constaté qu'il existait un certain nombre de dispositifs dont l'articulation est assez complexe. Pour autant, il faut aussi faire preuve d'agilité et s'adapter aux besoins des territoires.
Certains chiffres m'interpellent. L'Anah a annoncé suivre 1 684 copropriétés dans le cadre du PIC. Or il existe au minimum 150 000 copropriétés en difficulté, sans compter les 200 000 copropriétés hors répertoire. Le phénomène s'aggrave et s'amplifie, mais nos outils ne permettent pas de traiter le problème de façon massive. Seulement 1,5 % des copropriétés référencées comme étant en difficulté sont prises en charge. Idem en ce qui concerne l'habitat indigne.
Vous avez évoqué les 5 500 procédures annuelles pour lutter contre les logements indignes. En 2019, l'Anah avait recensé 420 000 insalubres. Je m'interroge sur cet écart. Malgré toute la bonne volonté dont font preuve les différents acteurs sur les territoires en matière d'information et d'accompagnement, nous sommes bien en deçà des besoins. Les financements publics sont-ils aujourd'hui à la hauteur du défi ? Je rappelle que trois ou quatre millions de personnes vivent à l'heure actuelle dans ces copropriétés dégradées.
Dominique Braye lançait, dès 2012, un véritable cri d'alerte dans son rapport, à la suite duquel plusieurs dispositifs ont été mis en place. Pour autant, ceux-ci sont-ils véritablement efficaces, notamment pour traiter les petites copropriétés, qui apparaissent comme un angle mort de la lutte contre la dégradation des copropriétés ? Ces dispositifs pourraient-ils être améliorés ? Les moyens financiers sont-ils à la hauteur du mur qui est devant nous et des enjeux sociaux, sanitaires et de sécurité publique que vous avez rappelés ?
Les communes et les intercommunalités ont-elles les moyens nécessaires pour détecter les situations d'habitat indigne ? On sait que les services d'hygiène et de salubrité sont en grande difficulté : les quelques agents formés sont pris d'assaut par les grosses collectivités qui ont développé une politique publique extrêmement ambitieuse, ce qui prive de leur action les plus petites d'entre elles.
Vous avez évoqué des inquiétudes relatives à la part croissante de l'investissement locatif dans les copropriétés. Pourriez-vous revenir sur ce point ?
Les ventes de logements HLM et les copropriétés mixtes suscitent-elles des inquiétudes de votre part ? Comment s'assurer que ces ventes se fassent dans les meilleures conditions pour préserver l'intérêt des futurs accédants ?
Pourriez-vous préciser le montant du budget consacré à la lutte contre l'habitat indigne ? J'ai en tête le montant de 196 millions d'euros. Or, en 2009, ce budget s'élevait à 322 millions d'euros, selon le rapport de la Cour des comptes. Le périmètre de ce budget a-t-il évolué ? Comment expliquer une telle baisse, au vu de l'ampleur de l'enjeu que représente la lutte contre l'habitat indigne ?
M. Benoît Ameye. - Au regard de l'ampleur des enjeux, le nombre de copropriétés que nous citons peut laisser penser que nous n'embrassons qu'une toute petite partie du problème.
Cependant, il faut d'abord prendre en compte l'augmentation significative des volumes traités, en raison d'une forte montée en puissance, ces dernières années, des interventions publiques.
Par ailleurs, les éléments que vous avez cités se rapportent au PIC, qui agrège de nombreuses interventions publiques, sans néanmoins prendre en compte la totalité de celles-ci, quand bien même certaines font l'objet de financements significatifs. Au-delà de MaPrimeRénov'Copropriétés, MaPrimeRénov' bénéficie aux propriétaires de logements. Ce dispositif représente un volume financier très important, même si les volumes pour les exercices à venir sont sujets à débat.
En outre, le volume de copropriétés traitées dans le cadre du PIC n'est pas l'indicateur le plus pertinent. En effet, il s'agit, notamment pour le volet national, de grosses copropriétés. La partie nationale de ce plan a ainsi visé 30 000 logements pour 170 copropriétés. Le nombre de ménages concernés est donc bien supérieur à ce que laisse penser le nombre de copropriétés traitées.
D'autres programmes existent, outre le PIC. Je pense notamment au nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) et au PNRQAD de l'Anru. Au-delà de ces programmes, les pouvoirs publics font preuve d'une réelle action d'accompagnement, sur des volumes certes modestes, mais qui doivent être pris en compte dans l'évaluation de l'ensemble des interventions de l'État.
Vous avez évoqué le cas des petites copropriétés, que l'on cite souvent comme un angle mort de la politique de lutte contre la dégradation des copropriétés. Il est vrai qu'elles sont, par nature, beaucoup plus difficiles à appréhender, d'abord par manque de connaissance, puisqu'elles ne sont pas immatriculées. Néanmoins, nous pensons qu'une majorité d'entre elles sont fragiles ou en difficulté.
Ensuite, les petites copropriétés sont bien plus disséminées : on peut les trouver dans les grandes villes ou les zones urbaines. Ainsi, 10 % des copropriétés de Seine-Saint-Denis compteraient quatre lots ou moins. Néanmoins, les petites copropriétés sont aussi nombreuses dans les villes moyennes ou les zones rurales.
Enfin, pour diverses raisons, ces petites copropriétés sont moins bien prises en compte par les dispositifs d'aides financières. Ainsi, pour bénéficier d'une aide de l'Anah, 75 % des lots, en nombre ou en tantièmes, doivent être consacrés à l'habitation en résidence principale. Ce critère peut poser des difficultés aux petites copropriétés qui comptent un commerce. Des progrès restent nécessaires, mais ces difficultés sont prises en compte. Une expérimentation au profit des petites copropriétés est menée dans le cadre du PIC. Les critères d'intervention de l'Anah sont ainsi abaissés et les aides majorées. C'est par exemple le cas du seuil de gain énergétique de 35 %, qui est plus difficile à atteindre pour les petites copropriétés au regard de l'état du bâti.
De la même manière, des dispositifs de repérage et d'observation sont développés, comme le Popac et la VOC.
L'action à destination des petites copropriétés reste néanmoins délicate. Nombre d'entre elles n'ont pas de syndic, même bénévole. Pour autant, une fois que nous les avons appréhendées, elles sont souvent plus faciles à traiter que les plus grosses copropriétés.
Vous avez évoqué les risques induits par l'investissement locatif faisant l'objet d'un avantage fiscal, tels que le dispositif Pinel et ses prédécesseurs. Plusieurs rapports d'inspections diverses se sont accordés sur le constat suivant : dans la mesure où le dispositif Pinel est considéré comme un simple produit financier, une plus forte proportion de propriétaires bailleurs sont moins investis dans la gestion de leur bien.
Cela a pu représenter un volume important de programmes immobiliers dans lesquels la proportion de propriétaires occupants est faible. Certes, il n'y a pas de corrélation directe entre la part de propriétaires occupants et l'investissement dans la copropriété, mais on observe une dégradation plus avancée sur certains programmes essentiellement constitués d'immeubles érigés sur la base de ces dispositifs d'aides fiscales. Cette difficulté est pointée dans les rapports de plusieurs inspections, car elle pourrait représenter un risque pour le futur.
Cela explique aussi pourquoi les pouvoirs publics préfèrent désormais encourager l'investissement des acteurs institutionnels dans le parc locatif privé, puisqu'ils sont des professionnels de l'investissement et de la gestion du parc. On évitera ainsi les dérives que nous avons pu observer sur les programmes essentiellement portés par des dispositifs d'investissement locatif destinés aux particuliers.
S'agissant des copropriétés mixtes, c'est une difficulté identifiée, mais qui ne me paraît pas majeure, au regard des volumes limités de ventes de logements HLM. Les bailleurs sociaux restent néanmoins sensibles à ce sujet. C'est pourquoi des dispositions permettent désormais aux bailleurs sociaux de rester gestionnaires des immeubles dans lesquels ils ont cédé des logements.
M. Denis Solina, chef du bureau de la mobilisation et de l'amélioration du parc privé. - L'expérimentation sur les petites copropriétés dans le cadre de MaPrimeRénov'Copropriétés a été votée en fin d'année par le conseil d'administration de l'Anah. Elle a débuté au 1er janvier 2024 et se déploiera sur trois ans, car le fonctionnement de la copropriété repose en effet sur le temps long. Ce dispositif cible les copropriétés de vingt lots. Les financements prévus sont à la hauteur des attentes. Un bilan sera tiré de cette expérimentation à son terme.
Près de 1 000 opérations sont programmées, assurant une couverture de 80 % du territoire. Ces opérations sont au plus près du terrain et des plus petites copropriétés, contrairement au PIC. Dans ces partenariats avec les collectivités locales, ces opérations permettent un repérage efficace et un accompagnement pertinent. Chaque année, entre 65 000 et 70 000 logements sont traités dans le cadre de ces opérations programmées, dont 4 000 logements pour les propriétaires bailleurs et entre 15 000 et 20 000 logements pour les syndicats de copropriétaires. Ces chiffres ne sont pas négligeables.
Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Cela signifie-t-il que les moyens financiers et les dispositifs sont à la hauteur des besoins ?
M. Benoît Ameye. - Ce n'est pas exactement ce que nous disons. Nous sommes dans un contexte budgétaire particulièrement contraint. Les interventions coûteuses sont ciblées sur les copropriétés qui représentent le plus d'enjeux. Ensuite, nous essayons de mener une action de prévention et d'accompagnement aussi efficace que possible pour éviter les dérives. Certaines difficultés s'expliquent aussi par des facteurs exogènes à la politique du logement.
Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Pourriez-vous répondre à ma question sur le budget de l'habitat indigne ?
M. Benoît Ameye. - Je n'ai pas en tête les chiffres de la Cour des comptes. Je pense que le périmètre d'agrégation diffère, car les budgets de la lutte contre l'habitat indigne sont plutôt en augmentation, voire en hausse sensible ces dernières années.
M. Laurent Burgoa. - Je suis sénateur du Gard, et j'ai été, à l'occasion de deux mandats, adjoint au maire à la rénovation urbaine, au contrat de ville et au logement social de Nîmes. Sur les questions liées aux copropriétés, j'ai donc l'expérience d'un élu municipal de terrain - j'ai eu l'habitude de mettre les mains dans le cambouis !
On critique souvent l'État, mais, dans ce domaine, j'ai le sentiment que celui-ci joue son rôle. Nous avons les outils, depuis l'observatoire le plus classique aux offices publics de l'habitat (OPH), en passant par les plans de sauvegarde et les opérations de requalification des copropriétés dégradées d'intérêt national (Orcod-in), dont la première, en province, a été lancée à Nîmes. Reste à trouver des élus motivés et à travailler en concertation avec les autres collectivités et avec l'État local, mais les financements sont là.
Ma question concerne la lenteur des projets, au regard, notamment, des attentes de nos concitoyens. Cette lenteur est liée au fait que ces projets ont trait à un droit constitutionnel important, à savoir le droit de propriété. Comment accélérer l'action des pouvoirs publics ? On sait que les petites copropriétés, dans la ruralité, souffrent surtout d'un manque d'ingénierie. Il leur faut faire appel à l'ingénierie du département, s'il y en a, ou à l'ingénierie de l'État, qui est de plus en plus contrainte.
M. Benoît Ameye. - Vous touchez du doigt une problématique essentielle. Dès lors que l'on parle du traitement des copropriétés, on évolue sur une ligne de crête entre la préservation de l'intérêt général et le respect du droit de propriété. La protection des occupants peut également induire des lenteurs. L'équilibre entre ces trois impératifs est difficile à trouver.
En outre, ces programmes nécessitent d'embarquer l'ensemble des parties, et reposent sur une importante concertation. Le relogement, en particulier, est d'autant plus complexe que le parc disponible est limité. Or c'est l'un des principaux facteurs de lenteur. Au fil des textes, en particulier dans la loi qui vient d'être adoptée, nous constatons une volonté d'aller au plus loin sur cette ligne de crête, mais le compromis reste difficile à trouver.
Il faut aussi prendre en compte d'autres dimensions qui prennent souvent du temps, comme l'accompagnement social ou le portage foncier. L'article 9 du projet de loi sur la rénovation de l'habitat dégradé, qui crée un droit d'expropriation pour les immeubles indignes à titre remédiable, a permis d'avancer sur ce sujet.
Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Vous avez évoqué le guichet unique de lutte contre l'habitat indigne, Histologe. Est-il suffisamment utilisé ?
Les PDLHI sont développés sur tous les territoires. Quelles sont les marges d'amélioration du fonctionnement et de la gouvernance de ce dispositif ?
Mme Chantal Mattiussi. - Dès leur création dans les années 2000, il a été demandé aux PDLHI de s'organiser en guichets uniques de signalement afin d'améliorer l'efficacité du travail de recensement et de qualification des situations et d'orientation vers différents acteurs.
Ces guichets uniques existent depuis vingt ans. Au départ, les signalements émanaient quasiment exclusivement des acteurs institutionnels - assistantes sociales, élus, opérateurs -, qui, avec l'accord des occupants, faisaient remonter ces situations aux pôles départementaux.
Dans la logique de la stratégie numérique de l'État, nous avons voulu développer des outils également accessibles aux particuliers et aux usagers. C'est la force du nouveau dispositif Histologe. La base de signalements est toujours complétée par des acteurs institutionnels, mais également par les usagers. En cas de problème d'accès au numérique, il est possible de procéder au signalement depuis les maisons France Services.
Outre ce dispositif, il existe un numéro « info logement indigne », créé par Julien Denormandie à la suite de l'effondrement de plusieurs immeubles à Marseille. C'est un numéro national, géré par l'Agence nationale pour l'information sur le logement (Anil) et les Adil. Il permet également aux particuliers de signaler toute situation d'habitat indigne. Ces signalements sont orientés vers le PDLHI et le guichet unique. Recenser l'ensemble des situations à l'échelle locale relève en effet de la performance, surtout si l'on rajoute les situations des collectivités qui peuvent être signalées via les services communaux d'hygiène et de santé.
Nous avons progressé sur ce champ. Quelque 65 départements sont équipés d'Histologe. Il s'agit d'une démarche partenariale, qui repose sur une adhésion collective, pour que chacun se saisisse de cet outil et participe à l'amélioration de la qualification des situations. Le gain de temps est phénoménal, puisque tous les signalements sont recensés dans une même base partagée par les acteurs du PDLHI. Même si des améliorations pourraient être apportées à cet outil, tous les services qui l'utilisent considèrent qu'il a fluidifié et accéléré l'action publique, en améliorant également le traitement des situations. Ce n'est pas un outil parfait, mais cette aide numérique est d'une grande utilité pour les acteurs locaux.
Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Pourquoi seuls 65 départements sont-ils équipés d'un guichet unique ?
Mme Chantal Mattiussi. - Le déploiement repose sur une démonstration de l'outil à l'ensemble des partenaires. Fédérer ces acteurs autour d'un véritable projet local prend du temps. Il ne s'agit pas de calquer, à l'échelon local, un outil national : chaque territoire se saisit de cet outil pour l'adapter à son fonctionnement et à sa gouvernance. Dans les territoires où le pilotage de la lutte contre l'habitat indigne est plus faible, le guichet unique est un moyen de créer de nouvelles dynamiques et de déployer une nouvelle gouvernance.
S'agissant de la gouvernance des PDLHI, outre ces plateformes numériques, depuis 2017, des sous-préfets référents sont nommés au sein de chaque département et travaillent de manière interministérielle avec l'ensemble des services déconcentrés concernés, que ce soit sur le volet technique ou social. Ils jouent ainsi un rôle de chef d'orchestre, au niveau local, de la stratégie de lutte contre l'habitat indigne et de la déclinaison des plans d'action. Ils s'appuient sur les directions départementales interministérielles, notamment les directions départementales des territoires (DDT) et de la mer (DDTM). Ce sont les services qui animent les pôles départementaux. Ils travaillent en interface avec les agences régionales de santé, les collectivités, et les services communaux d'hygiène et de santé, lorsqu'ils existent.
Cette gouvernance fonctionne bien. Elle monte en puissance. Depuis ma prise de poste, il y a deux ans et demi, j'ai entamé un tour de France pour aller vers ces pôles départementaux, qu'ils soient urbains ou ruraux, afin d'appuyer cet élan d'action locale. J'étais ainsi dans l'Orne la semaine dernière.
Cet appui national permet de renforcer la gouvernance et d'entendre ce qui se dit sur les territoires, afin d'identifier les freins et de proposer des pistes d'amélioration. C'est un système souple, doté d'une interface directe entre les niveaux national et départemental, qui permet de s'adapter.
Le réseau habitat indigne rassemble en effet les services de l'État et les collectivités locales, soit toute une chaîne d'intervenants, qui permet d'agir en fonction des besoins des territoires. Il nous faut sans arrêt, par les instructions que nous donnons aux services, procéder à ces ajustements qui contribuent à cette agilité entre les échelons national et local. Notre service est attaché à la démarche d'« aller vers » afin de proposer les politiques publiques les plus concrètes et adaptées aux territoires.
Mme Amel Gacquerre, présidente. - Monsieur le directeur, vous êtes revenu sur l'historique du traitement de l'habitat dégradé. L'un des éléments de réponse est la prévention, et donc, l'identification des situations.
Estimez-vous que les données dont vous disposez sont suffisantes pour identifier et prévenir les situations ? Quelles sont les marges d'amélioration ?
À vous entendre, nous avons à disposition une multitude d'outils, susceptibles de répondre à toutes les problématiques. Sont-ils bien suffisants pour traiter toutes les spécificités des territoires ? Par ailleurs, les actions de chacun des acteurs sont-elles suffisamment coordonnées ?
M. Benoît Ameye. - Avons-nous tous les outils nécessaires pour identifier les copropriétés en difficulté ? Probablement pas, mais nous en avons beaucoup plus qu'il y a quelques années. Le principal progrès a été la création du registre national d'immatriculation des copropriétés (RNIC).
Mme Amel Gacquerre, présidente. - Pourrions-nous aller plus loin dans ce recueil de données ? Les collectivités territoriales jouent un rôle majeur dans l'identification de ces situations, mais d'autres circuits devraient-ils être mis en place ?
M. Benoît Ameye. - D'autres dispositifs ont été créés, mais ils restent insuffisants. Les dispositifs de VOC sont peu nombreux. Même s'il ne s'agit pas tout à fait d'un angle mort, nous devons progresser sur l'identification des petites copropriétés en difficulté, grâce à un travail plus poussé avec les collectivités locales, que nous nous efforçons de développer depuis quelques années.
Nous pourrions enrichir le RNIC. Néanmoins, nous observons chaque semaine une augmentation du nombre de copropriétés : nos connaissances s'affinent.
M. Stéphane Flahaut, adjoint au sous-directeur des politiques de l'habitat. - Parmi les outils qui pourraient être optimisés, on peut citer le PLH, qui ne doit pas seulement cibler le logement social. Les textes prévoient en effet qu'il inclut le logement du parc privé. Un effort collectif est sans doute nécessaire pour rappeler à tous les acteurs que les volets consacrés au parc privé et aux copropriétés dégradées sont importants. Cet outil permet d'affiner le diagnostic et de mener des actions, y compris de prévention. Ma sous-direction plaide en ce sens.
Le PLH est, selon nous, complémentaire de l'action de l'Anah ou de l'État. Quand on intervient sur une Orcod-in, on peut ainsi s'assurer auprès de l'agglomération que la situation d'autres copropriétés n'est pas masquée par une très grande copropriété en difficulté, sur laquelle la solidarité nationale doit jouer. Nous pourrons agir au travers de la publication de guides, de circulaires et de recommandations aux préfets, mais tout appui nous sera utile.
M. Benoît Ameye. - Des données supplémentaires pourraient être intégrées au RNIC. Néanmoins, plus on demande de données, plus le document devient difficile à remplir : un équilibre doit être trouvé.
Le critère du taux d'impayés pour appréhender les copropriétés fragiles est pertinent, mais il n'est peut-être pas suffisant. Il pourrait être complété par des ratios relatifs à la qualité de la gestion ou aux volumes d'investissements réalisés en matière d'entretien ou de réparations. Comme toujours, il faut s'interroger sur l'équilibre entre les nouvelles contraintes et le résultat auquel on aboutit. Néanmoins, l'une des principales difficultés auxquelles nous sommes confrontés concerne les copropriétés qui nous échappent. Le plan pluriannuel de travaux pourrait être un outil d'identification des difficultés.
Mme Amel Gacquerre, présidente. - Et concernant la coordination des acteurs ?
M. Denis Solina. - Le PLH est un outil de coordination des différents acteurs. L'une de ses parties est consacrée à la lutte contre l'habitat indigne. Nous avons poussé les pôles départementaux à développer les partenariats, au travers d'une circulaire cosignée, pour la première fois, par la garde des Sceaux et le ministre chargé de la ville et du logement. En effet, la politique de lutte contre l'habitat indigne est très partenariale : elle réunit un grand nombre d'acteurs, notamment les collectivités et les ministres compétents en matière de justice, de logement et de santé.
Nous allons travailler à une nouvelle circulaire, qui inclura les actions en matière de santé. La précédente circulaire avait notamment encouragé la création de groupements locaux de traitement de la délinquance, qui se sont révélés efficaces. Nous souhaitons donc renforcer ces actions.
Tous les programmes que nous avons évoqués - à la fois les actions programmées, mais aussi les programmes Action coeur de ville ou Petites Villes de demain, dotés de moyens d'ingénierie spécifiques - sont des outils essentiels de repérage des petites copropriétés dégradées. Le RNIC reste l'outil principal, au travers du taux d'impayés, mais la lutte contre l'habitat indigne et les programmes partenariaux avec les collectivités permettent de détecter les signaux faibles.
En effet, des copropriétés peuvent très bien ne pas être concernées par les impayés, sans pour autant faire le moindre effort de mise aux normes. Si nous ne les accompagnons pas non plus, elles finiront par se retrouver en difficulté. Les dispositifs de droit commun de l'Anah, comme MaPrimeRénov', permettent aussi d'aider ces copropriétés, qui ne sont pas encore dégradées, mais que nous ne devons pas oublier.
Le spectre de détection et d'accompagnement est relativement large, mais il doit être utilisé sur le temps long. L'assemblée générale reste en effet l'échelon de vie de la copropriété, à l'exception de celles qui font l'objet d'une opération de requalification.
Mme Amel Gacquerre, présidente. - Je vous remercie pour les éléments que vous nous avez apportés. Le rapport de notre commission d'enquête sera publié avant la fin du mois de juillet prochain.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de Mme Dominique Consille, directrice des programmes Action coeur de ville et petites villes de demain
Mme Amel Gacquerre, présidente. - Madame la rapporteure, chers collègues, nous poursuivons nos travaux en recevant Madame Dominique Consille, directrice des programmes Action coeur de ville et Petites villes de demain au sein de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).
Madame la directrice, je me réjouis d'avoir l'opportunité de vous entendre aujourd'hui au sujet des difficultés rencontrées par les centres anciens et les petites communes en matière d'habitat dégradé.
Je sais votre attachement à ces sujets, du fait de votre expérience de sous-préfète en Moselle, dans le Finistère puis dans les Côtes-d'Armor et, enfin, entre 2020 et 2023, dans l'arrondissement de Boulogne-sur-Mer dans le Pas-de-Calais. En 2017, vous aviez également eu à connaître et à répondre à ces problématiques locales en tant que conseillère ruralité et villes moyennes au sein du cabinet du ministère de la cohésion des territoires.
Depuis juin dernier, vous avez pris la direction de deux programmes centraux au sein de l'ANCT.
Tout d'abord, le programme Action coeur de ville, déployé depuis 2018, qui porte l'ambition d'améliorer les conditions de vie des habitants des villes moyennes et de conforter leur rôle moteur dans le développement du territoire. Ce programme dispose également de l'appui de nombreux partenaires tels que la Caisse des Dépôts, Action Logement et l'Anah.
Deuxièmement, le programme Petites villes de demain, créé en 2020, qui vise à améliorer la qualité de vie des habitants des petites communes et des territoires alentour, en accompagnant ces collectivités dans des trajectoires dynamiques et en faveur de la transition écologique.
Ces deux programmes accompagnent au quotidien les élus et les collectivités face aux enjeux de rénovation et de redynamisation des centres de petite et moyenne tailles. À cet égard, l'ANCT et ses partenaires sont les témoins des difficultés rencontrées par les collectivités dans la gestion de l'habitat dégradé, et pour ce qui relève de notre commission d'enquête, des copropriétés paupérisées.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, dans le cadre du projet de loi qui vient d'être voté par le Parlement sur ce sujet et dont j'étais la rapporteure, j'ai introduit dans le texte la précision selon laquelle l'ANCT avait également comme mission d'apporter conseil et expertises aux collectivités territoriales sur ce sujet et plus particulièrement au profit des villes petites et moyennes ayant peu ou pas d'ingénierie.
Aussi, je souhaiterais, Madame la directrice, connaître votre appréciation, et les retours de terrain qui vous sont transmis, s'agissant des problématiques de vacance, de dégradation ainsi que de reprise en main des logements dans ces territoires. Vous l'aurez compris, mes collègues et moi-même sommes tout particulièrement attentifs à la prise en charge des copropriétés en voie de paupérisation.
Au regard de votre expérience, pourriez-vous nous faire part des difficultés rencontrées par les maires de petites et moyennes communes en matière d'habitat dégradé ? Comment l'ANCT et ses partenaires, par l'intermédiaire des deux programmes mentionnés, structurent-ils des réponses face à ces besoins multiples ? Les moyens engagés vous semblent-ils suffisants pour remplir vos missions ? Quelles propositions pourriez-vous formuler pour améliorer la prise en charge des copropriétés paupérisées dans ces territoires que vous connaissez bien ?
Avant de vous laisser la parole, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Mme Dominique Consille lève la main droite et dit « Je le jure ».
Mme Dominique Consille, directrice des programmes Action coeur de ville et Petites villes de demain au sein de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). - Merci de me donner l'occasion de vous présenter les programmes Action coeur de ville (ACV) et Petites villes de demain (PVD), qui existent désormais depuis plusieurs années et qui sont très appréciés par les élus locaux.
Le programme ACV, créé en 2018, vise à conforter le rôle moteur des centres-villes des villes moyennes et à améliorer les conditions de vie de leurs habitants. Ce programme a été conçu pour les villes moyennes en difficulté ou en phase de dévitalisation, où vit un quart de la population nationale et qui abritent un quart des emplois de notre pays.
Ce programme a été élaboré pour soutenir le travail des collectivités territoriales. Il ne s'agit pas d'un programme descendant. Ce sont bien les collectivités territoriales et les maires qui portent leur projet de territoire et en définissent les fiches actions.
Dès l'origine, cinq axes ont été définis pour ces projets de territoire :
· la réhabilitation et la restructuration de l'habitat dans les centres-villes (figurant également parmi les axes du programme PVD) ;
· le développement économique et commercial ;
· l'accessibilité, la mobilité et la connectivité ;
· la mise en valeur de l'espace public et du patrimoine ;
· l'accès aux équipements et aux services publics.
Ces axes ont vocation à être poursuivis de manière coordonnée et concertée, dans le cadre du programme ACV comme du programme PVD, pour agir sur la revitalisation des villes moyennes et petites villes.
Depuis le lancement de ces programmes, l'axe habitat-logement est apparu fondamental pour les villes moyennes et petites villes. En effet, dans nombre de ces villes, le constat a été fait d'un habitat de centre-ville dégradé.
Avec quelques années de recul, on observe que les engagements financiers portés par les partenaires de ces programmes (l'État, la Banque des territoires, l'Anah et Action Logement pour le programme ACV ; l'Anah, la Banque des territoires et le Cerema pour le programme PVD) ont atteint un montant conséquent.
Entre 2018 et fin 2023, le programme ACV a ainsi permis de mobiliser plus de 8,4 milliards d'euros, dont 2,5 milliards d'euros apportés par Action Logement et 0,9 milliard d'euros apportés par l'Anah, avec également des financements importants apportés par les départements et régions. Le programme PVD a quant à lui permis de mobiliser 3 milliards d'euros.
On dénombre aujourd'hui 244 communes accompagnées dans le cadre du programme ACV et plus de 1 600 communes accompagnées dans le cadre du programme PVD.
Dans le cadre du programme ACV, près de 30 000 logements ont été réhabilités, construits ou reconstruits par Action Logement. Plus de 245 000 logements ont été accompagnés par l'Anah. 226 villes ACV ont également été couvertes par une opération programmée pour l'amélioration de l'habitat (Opah).
Le constat a par ailleurs été fait d'un taux de pauvreté relativement élevé dans les villes ACV - ces villes ayant été sélectionnées à partir de critères de fragilité. 50 villes ACV affichent aujourd'hui un taux de pauvreté supérieur à 25 %. Parmi ces villes affichant un taux de pauvreté important figurent notamment : Denain (43 %), Creil (38 %), Maubeuge, etc. Ceci souligne l'importance de traiter le sujet des copropriétés dégradées dans ces villes.
Le taux de vacance de longue durée des logements est également important dans ces villes ACV, atteignant 4,6 % dans le parc privé, pour une moyenne nationale à hauteur de 3,4 %. Le constat est le même dans les villes PVD.
En conclusion, j'insisterai sur l'accompagnement mis en place par l'ANCT dans le cadre de ces deux programmes. Un guide a notamment été produit pour les villes ACV, avec la sous-direction des politiques de l'habitat du ministère en charge du logement, sur le thème de la reconquête des îlots anciens dégradés, afin de présenter les dispositifs et outils existants et d'identifier des exemples de bonnes pratiques. Cette approche est souvent privilégiée par l'ANCT.
Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Vous dites que l'axe habitat-logement est un axe majeur des programmes ACV et PVD, avec des actions parfois imbriquées avec d'autres dispositifs portés par l'Anah tels que les Opah. Dans vos diagnostics, utilisez-vous le répertoire national des copropriétés ou la plateforme Histologe ? De quels outils disposez-vous pour qualifier le niveau de paupérisation, de fragilité ou de difficulté des logements ? Ce travail est-il fait en amont ? Ces outils sont-ils performants ? Pourraient-ils être améliorés ou complétés ?
Par ailleurs, quels partenariats nouez-vous avec les collectivités, sachant que les villes petites ou moyennes, voire les petites intercommunalités, manquent parfois de ressources, en matière d'ingénierie notamment ? Quelles sont les conditions de réussite de ce travail partenarial, en termes de gouvernance notamment ? Quelles sont les difficultés rencontrées ?
Mme Dominique Consille. - En termes de gouvernance, il appartient aux maires des villes ACV et PVD de porter leur projet de territoire, avec l'appui des services de l'État. Ils en définissent les fiches actions, le cas échéant en définissant leurs priorités, dans le cadre des cinq axes. Ils réunissent également autour d'eux les partenaires à même de les accompagner, dont l'Anah.
En complément, pour les villes ACV notamment, un comité régional des financeurs se réunit autour du préfet de région. Au niveau national, nous réunissons également régulièrement les partenaires des deux programmes, pour identifier les appuis complémentaires à apporter aux villes, voire les évolutions législatives ou réglementaires à discuter avec les cabinets ministériels concernés.
L'Anah étant un partenaire essentiel de ces deux programmes, ceux-ci donnent souvent lieu à la mise en place de conventions Opah ou Opah-RU. Dès l'origine, ce partenaire est ainsi associé au tour de table. Ces conventions permettent même de financer des postes de chef de projets. Dans le cadre du programme ACV, 174 postes de chef de projets ont ainsi été financés par l'Anah.
Dans ce cadre, le diagnostic de la situation des logements dans chaque ville ACV ou PVD n'est pas réalisé au niveau national, mais au niveau local, le cas échéant au travers de conventions avec l'Anah, signées dès le démarrage des programmes. Cette méthode permet aux partenaires de déployer sans tarder tous leurs outils pour agir sur le logement dégradé.
Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Des améliorations pourraient-elles être apportées à ce travail partenarial, en termes de partenaires à mobiliser ou d'implication des partenaires ? Constate-t-on des disparités en fonction des territoires ou des dispositifs ? L'ensemble des partenaires vous semblent-ils mobilisés pour mettre en oeuvre les fiches actions définies par les maires ? Cette gouvernance vous semble-t-elle efficiente ?
Mme Dominique Consille. - Au niveau national, nous travaillons régulièrement avec les partenaires des deux programmes, dans le cadre de comités de pilotage nationaux. Nous suivons le déploiement des dispositifs et le nombre de mesures mobilisées dans les villes. Nous envisageons également l'évolution des dispositifs portés par les grands partenaires.
Au niveau local, on constate que le taux de réalisation des engagements financiers va même au-delà des prévisions. À fin 2023, nous en sommes déjà à 8,4 milliards d'euros engagés sur le programme ACV. Le nombre de logements accompagnés par l'Anah ou Action Logement est également très éloquent. Les maires des villes ACV ou PVD nous font part régulièrement de leur satisfaction à cet égard.
Du reste, la situation demeure difficile. Récemment, plusieurs maires nous ont alertés concernant des difficultés nouvelles apparaissant dans les villes ACV ou PVD, en matière de logement ou d'habitat dégradé dans les centres anciens. Certaines villes ACV ou PVD sont confrontées à une paupérisation accrue. Les situations demeurent différentes en fonction des villes, mais ce sujet redevient néanmoins prégnant. Nous souhaiterions y travailler au niveau national, en mettant en place un nouveau groupe de travail avec des maires.
Mme Amel Gacquerre, présidente. - Travaillez-vous spécifiquement sur le sujet du traitement de l'habitat dégradé ou des copropriétés dégradées ? Disposez-vous de chiffres concernant ces deux domaines d'intervention, au-delà des chiffres globaux que vous avez évoqués sur le nombre de logements traités par l'Anah ou Action Logement ? Mettez-vous en oeuvre une approche spécifique pour accompagner les copropriétés dégradées ou en voie de paupérisation ?
Dans le cadre du projet de loi qui vient d'être voté par le Parlement, nous avons également souhaité rappeler votre mission d'accompagnement des collectivités, qui aujourd'hui manquent d'ingénierie. Vous avez notamment évoqué le financement de postes de chef de projets. Les dispositifs que vous proposez en matière d'accompagnement sont-ils aujourd'hui suffisants ? Serait-il nécessaire d'aller plus loin ?
On constate par ailleurs une difficulté rencontrée, dans certains territoires, pour recruter des compétences spécifiques. Certaines collectivités, même lorsqu'elles disposent du budget nécessaire, ne parviennent pas à trouver les compétences recherchées. Quelles réponses pourrions-nous apporter à cette problématique ?
Mme Dominique Consille. - Dans le cadre du programme ACV, depuis 2018, 1 162 copropriétés ont pu bénéficier d'un accompagnement, soit 20 790 logements, pour un montant total d'engagements de 171,344 millions d'euros. Dans le cadre du programme PVD, 229 copropriétés ont pu bénéficier d'un accompagnement, soit 2 493 logements, pour un montant total d'engagements de près de 20 millions d'euros. Un effort très important a ainsi été fourni en direction des copropriétés dégradées, en mobilisant les outils et les dispositifs de droit commun de l'Anah, permettant notamment de financer des postes de chef de projets. Ces chiffres nous ont été communiqués par l'Anah, qui pilote le Plan Initiative Copropriétés.
Pour accompagner les villes ACV et PVD, nous nous appuyons ainsi sur les dispositifs de droit commun de l'Anah - ce partenaire étant engagé, dès l'origine, dans la définition et la mise en oeuvre des plans d'action.
L'ACNT s'appuie par ailleurs sur un marché d'ingénierie. Il comporte des lots dédiés à l'appui au pilotage, au montage d'opérations ou encore à la transition énergétique et à la gestion énergétique des bâtiments, permettant aux villes (y compris ACV ou PVD) d'être accompagnées par des prestataires. Néanmoins, à ce jour, ce marché de permet pas de fournir des prestations spécifiques d'ingénierie autour du logement ou des copropriétés. Du reste, cela semble cohérent, car nous nous appuyons beaucoup pour cela sur l'ingénierie de nos partenaires, dont l'Anah et la Banque des territoires.
Dans le cadre du projet de loi voté par le Parlement, j'ai bien noté qu'une nouvelle mission d'accompagnement des collectivités autour de l'habitat dégradé serait confiée à l'ANCT. Cette mission devrait être complémentaire aux missions existantes de l'ANCT - les lots du marché d'ingénierie de l'ANCT ne la prévoyant aujourd'hui pas.
Quant à savoir si cet accompagnement est aujourd'hui suffisant, l'une des principales difficultés auxquelles sont confrontées les villes petites et moyennes est effectivement le déficit d'ingénierie pour faire face aux nombreux sujets mobilisant les élus et services des collectivités. Cela fait partie des missions de l'ANCT, dont le marché d'ingénierie a été doublé en 2024. Nous nous appuyons également beaucoup sur nos partenaires.
Pour ce qui est du déficit de compétences, la problématique est générale. À cet égard, les collectivités et les services de l'État rencontrent les mêmes difficultés. Dans le cadre du programme PVD, nous avons pu expérimenter la mise en place d'une bourse de l'emploi. Nous développons aussi beaucoup la formation des agents des collectivités et des chefs de projets. Dans le cadre du programme PVD, des formations ont été mises en place par l'ANCT et la Banque des territoires. Nous développons aujourd'hui une nouvelle offre de formation avec le CNFPT, dédiée à tous les chefs de projets (des programmes ACV et PVD, du plan Avenir montagnes, etc.).
Mme Audrey Linkenheld. - Vous avez présenté des chiffres concernant ce que produisent ces programmes, en termes de financements mobilisés et de logements construits ou accompagnés. Cependant, est-on capable de mesurer également l'effet de levier qu'ils induisent ? Au-delà des dispositifs de droit commun de l'Anah et de l'ANCT, ces programmes permettent-ils aux villes de faire davantage ? En matière d'accompagnement des copropriétés dégradées ou en voie de paupérisation, l'enjeu serait précisément de trouver les moyens de faire davantage. La boîte à outils existe et s'améliore au fil du temps. L'enjeu serait de faire en sorte que ces outils sortent de la boîte et enclenchent des réalisations concrètes.
Par ailleurs, dans le cadre de vos programmes, au-delà des Opah et des Opah-RU, des Opah Copropriété dégradée ont-elles également été mises en place ?
Mme Dominique Consille. - L'ensemble des outils de l'Anah sont mobilisés dans le cadre des programmes ACV et PVD, dont les Opah Copropriété dégradée.
Pour ce qui est des moyens supplémentaires mobilisés, le groupe Action Logement s'est engagé à intervenir dans toutes les villes ACV et intervient désormais, grâce au programme, dans des villes où ses équipes n'intervenaient pas. Dans le cadre de la phase 2 du programme, le groupe Action Logement s'est engagé à apporter 1 milliard d'euros supplémentaires sur la période 2023-2026.
Les moyens supplémentaires d'Action Logement ne sont pas nécessairement dédiés aux copropriétés. Ils sont davantage consacrés à l'acquisition, l'amélioration ou la réhabilitation de logements en monopropriété ou d'immeubles entiers. Néanmoins, dans les villes ACV, nous avons des exemples d'îlots dégradés réhabilités grâce à l'intervention d'Action Logement et d'autres partenaires. Le partenariat avec Action Logement a également permis de mener des opérations de démolition-reconstruction dans des villes ACV.
À Bayonne, par exemple, 30 logements ont pu être reconstruits dans le centre historique, à partir de copropriétés dégradées, grâce à l'intervention de Domofrance (filiale du groupe Action Logement). Le coût total de cette opération s'est élevé à 11,9 millions d'euros, avec des financements apportés par la ville, le département, la communauté d'agglomération, Action Logement, la Banque des territoires et l'ANRU.
Nous parvenons par ailleurs à mobiliser davantage que le droit commun, en associant dès le départ l'Anah aux projets de territoire. Ceci permet d'obtenir de bons résultats en termes de nombre logements rénovés.
Nous déployons également un effort d'animation dans le cadre des programmes ACV et PVD, autour de saisons thématiques, dont la dernière était dédiée au logement. Nous avons ainsi organisé des sessions d'information et des webinaires. Ces actions ont vocation à sensibiliser et à présenter l'ensemble des outils mobilisables par les maires, les chefs de projets et les différents partenaires, pour dynamiser la mise en oeuvre des projets.
Mme Amel Gacquerre, présidente. - Vous avez indiqué votre souhait de lancer une réflexion sur les nouvelles difficultés remontées par les élus locaux, le cas échéant au travers d'un groupe de travail. Quelle pourrait être la composition de ce groupe de travail ? Quels pourraient en être les objectifs ?
Mme Dominique Consille. - De plus en plus de maires nous font remonter le constat d'une paupérisation de leur centre-ville, avec l'arrivée, dans le parc privé, de populations en difficulté sociale. Ils sont également confrontés à des propriétaires privés peu responsables. L'enjeu serait de pouvoir identifier ces logements, y compris au-delà des copropriétés - le répertoire national des copropriétés n'étant de surcroît pas totalement exhaustif. L'objectif serait ensuite de vérifier que tous les outils à disposition des maires sont bien utilisés (y compris s'agissant des outils coercitifs) et d'envisager les besoins complémentaires. En parallèle, l'objectif serait d'identifier les bonnes pratiques à diffuser.
Mme Amel Gacquerre, présidente. - Merci pour votre disponibilité et les réponses apportées à nos questions. Notre commission d'enquête finalisera ses travaux fin juillet 2024. Son rapport sera ensuite présenté publiquement.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 40.