Mardi 19 mars 2024
- Présidence de M. Franck Montaugé, président -
Énergie hydraulique - Audition de M. Julien Français, directeur général de la Compagnie nationale du Rhône (CNR), Mmes Alix Perrin, professeur agrégée de droit à l'université Paris Dauphine-PSL, et Emmanuelle Verger-Chabot, directrice d'EDF Hydro
M. Franck Montaugé, président. - Au nom de la commission d'enquête, je vous remercie d'avoir répondu à notre sollicitation.
Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête en accueillant :
- Mme Alix Perrin, professeur agrégée de Droit public à l'université Paris Dauphine ;
- Mme Emmanuelle Verger-Chabot, directrice d'EDF Hydro ;
- M. Julien Français, directeur général de la Compagnie nationale du Rhône.
Je me dois de vous faire prêter serment en vertu des règles qui régissent les commissions d'enquête parlementaires. Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal, et notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.
Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Alix Perrin, Mme Emmanuelle Verger-Chabot et M. Julien Français prêtent serment.
M. Franck Montaugé, président. - Le Sénat a constitué, le 18 janvier dernier, une commission d'enquête sur « la production, la consommation et le prix de l'électricité aux horizons 2035 et 2050 ». Nos travaux sont centrés sur le présent et surtout l'avenir du système électrique.
Est-il en capacité de faire face à la demande, d'offrir au particulier et à nos entreprises une électricité à un prix raisonnable ? Quelles sont ses perspectives de développement ?
On ne le sait pas toujours, mais l'hydroélectricité est aujourd'hui la deuxième source de production électrique derrière le nucléaire et la première source d'électricité renouvelable en France. Avec environ 25,7 GW installés, la France dispose de l'un des plus grands parcs hydroélectriques en Europe. Cette puissance représente environ 20 % de la puissance électrique totale installée.
Toutefois, compte tenu de la forte variabilité aux conditions hydrologiques d'une année à l'autre, la part de l'hydroélectricité dans le mix électrique est davantage mesurée par le productible, c'est-à-dire la production maximale annuelle sans arrêts (pour maintenance, par exemple) dans des conditions hydrologiques moyennes. Le productible annuel est d'environ 67 TWh. La production effective varie fortement selon les années : avec un pic en 2001 à 77,3 TWh, 62,5 TWh en 2021, seulement 49,6 TWh en 2022, mais 58,8 en 2023, soit près de 12 % de la production électrique annuelle.
Quelles sont aujourd'hui les marges de développement précisément identifiées en matière d'hydroélectricité ? La presse s'est fait l'écho d'un potentiel de 20 % de production supplémentaire ; de son côté, RTE, dans son Bilan prévisionnel, est beaucoup plus prudent, il est vrai en raison notamment du conflit juridique avec la Commission européenne sur le renouvellement des concessions hydrauliques.
Ma question est la suivante, le dossier des concessions étant mis à part, mais le sujet de l'évolution prévisible des conditions hydrologiques étant pris en compte : quelles sont les capacités de développement physiques et économiques de la filière ?
Vous pourrez d'ailleurs préciser votre réponse en abordant les stations de pompage-turbinage hydroélectriques, autrement dit les STEP, qui présentent l'intérêt de jouer un rôle de stockage d'énergie.
Quels sont les investissements nécessaires pour développer la filière ?
Et puis, bien entendu, nous attendons de vous des éclaircissements sur la question des concessions hydroélectriques et du contentieux entre la France et la Commission européenne. Quel est le problème de fond ? Pourquoi dure-t-il depuis si longtemps ? Quelles sont les pistes pour résoudre ce conflit ?
Voilà quelques thèmes parmi d'autres sur lesquels notre rapporteur va vous interroger. Nous vous proposons de dérouler cette audition de la sorte. Vous présenterez successivement votre travail et vos réflexions, en 10 minutes maximum. Ce propos liminaire sera suivi d'un temps de questions-réponses avec notre rapporteur et nos collègues ici présents. Vous pourrez ensuite revenir sur les propos des uns et des autres.
Je passe la parole à M. le rapporteur.
M. Vincent Delahaye. - Merci, M. le Président. Mesdames, messieurs, merci de votre présence. Le Président a déjà cerné un certain nombre de questions que nous nous posons, sur lesquelles nous aimerions obtenir votre éclairage, notamment le désaccord avec l'Union européenne sur les concessions, la façon dont nous pourrons en sortir et son implication pratique sur les projets. Nous aimerions également approcher le potentiel de l'hydraulique. Nous avons envie d'en savoir plus sur ses possibilités de développement, le calendrier, le coût.
Nous vous demanderons de bien respecter les dix minutes de présentation pour que nous puissions tenir un échange vraiment interactif.
Mme Emmanuelle Verger-Chabot, directrice d'EDF Hydro. - Merci, M. le Président. Vous avez déjà indiqué dans votre introduction les nombreux atouts de cette belle énergie. Elle a le mérite d'apporter beaucoup au système électrique. Pilotable, elle apporte de la flexibilité, y compris à très court terme, en permettant au gestionnaire de réseau d'établir et de maintenir dans le temps l'équilibre entre la production et la consommation. Elle permet également de stocker l'électricité. Les STEP, les stations de transfert d'énergie par pompage, représentent, à ce jour, le seul moyen existant pour stocker massivement de l'électricité. Elles reposent sur le principe des deux lacs, un en altitude et l'autre plus bas. Quand l'électricité est trop abondante, nous nous en servons pour pomper l'eau et la remonter. A l'inverse, lorsque nous avons besoin d'électricité, nous faisons redescendre l'eau en produisant de l'électricité au passage.
Le parc hydroélectrique français produit environ 60 TWh par an, soit 12 % de la production nationale. Surtout, il peut produire jusqu'à 25 % de l'électricité au moment des pointes, dans ces moments les plus difficiles en termes d'équilibre offre-demande.
Parmi les 25 GW installés, le parc d'EDF Hydro représente une puissance installée de 20 GW. Au-delà de l'usine marémotrice de la Rance, ce parc comprend quatre principaux types d'ouvrages :
- des usines de lac, où nous stockons l'eau derrière un barrage pour en disposer au moment où nous en avons le plus besoin ;
- des centrales au fil de l'eau, qui produisent quand l'eau passe dans la rivière ;
- les « éclusés », qui présentent une capacité de stockage beaucoup plus limitée dans le temps, avec des variations au cours de la journée ;
- les STEP, qui sont des sortes de batteries géantes.
5 200 salariés travaillent aujourd'hui sur le parc EDF Hydro. Nous produisons une quarantaine de TWh, avec la grande variabilité que vous avez rappelée selon les années et l'hydraulicité. Sur ces 20 GW, 14 sont totalement flexibles et mobilisables en quelques minutes. Sur une STEP, nous pouvons passer en moins d'un quart d'heure de la production massive à la consommation massive. Dans ces 14 GW, je n'intègre pas la puissance de pompage qui vient en delta.
Nous aurons besoin de ces capacités de flexibilité pour accompagner la transition énergétique indispensable à notre pays, avec l'augmentation de la part des énergies renouvelables non-pilotables. Aujourd'hui, ces capacités de flexibilité sont sous-dimensionnées. Dans tous les scénarios de « Futurs énergétiques 2050 » de RTE, il faudrait développer les capacités de stockage d'ici 2050, avec au moins 3 000 MW supplémentaires de STEP.
Sur les sites que nous exploitons aujourd'hui, nous avons identifié une capacité d'augmentation de 2 000 MW à l'horizon 2035, c'est-à-dire avec une mise en service d'ici 2035. Ces 2 000 MW représentent 500 MW d'augmentation de puissance et 1 500 MW de développement de STEP, auxquels nous pouvons ajouter au moins 2 000 MW de STEP additionnels à un horizon de mise en service plus lointain, compte tenu d'enjeux d'acceptabilité plus complexes à gérer ou d'études qui peuvent prendre plus de temps.
Aujourd'hui, le régime juridique des concessions ne nous permet pas de lancer la mise en développement de ces capacités additionnelles. Procéder à une modification substantielle sur l'une de nos concessions conduirait à une résiliation anticipée de la concession, puis une réattribution selon le droit européen et sa déclinaison dans le droit français actuel, c'est-à-dire avec une mise en concurrence. Le concessionnaire n'a surtout pas intérêt à aller au-delà de la capacité prévue au cahier des charges de la concession. Si nous réalisions des investissements qui viendraient en augmenter le chiffre d'affaires, la concession serait résiliée. Cette disposition constitue un frein majeur à la mise en oeuvre du potentiel de développement alors que la filière industrielle existe et qu'elle est au moins à 90 % européenne. Les fabricants de turbines et de transformateurs ont conservé des usines en Europe. Ces 90 % sont même atteignables en France.
Je n'ai pas encore évoqué ce que nos ouvrages hydroélectriques apportent en termes de multi-usage de l'eau. Même si nous avons oublié les questions liées au manque d'eau cet hiver, l'été 2022 nous a rappelé que les étiages pouvaient devenir de plus en plus difficiles. Sur nos ouvrages (600 barrages, 400 usines), plus des deux tiers proposent au moins un autre usage de l'eau, en plus de la production d'électricité, notamment le soutien d'étiage pour l'irrigation agricole ou les usages industriels, l'approvisionnement en eau potable, la navigation, le maintien de niveau de lac pour des activités touristiques, comme à Serre-Ponçon.
Sur le soutien d'étiage, nous avons identifié sur nos ouvrages des possibilités de rehausse de barrage, c'est-à-dire une capacité à augmenter le stockage de l'eau pour faire face à ces variabilités de plus en plus grandes entre les périodes sèches et les périodes plus humides. Toutefois, augmenter la capacité de stockage reviendrait là encore à augmenter le potentiel de chiffre d'affaires de la concession, ce qui nous renvoie au sujet de la sécurisation juridique du régime des concessions. Lancer ces investissements aujourd'hui nous serait impossible dans le contexte juridique actuel.
L'hydroélectricité est une énergie renouvelable qui présente de nombreux atouts. Nous en avons besoin pour faciliter, voire accélérer la transition énergétique nécessaire pour faire face au changement climatique. Elle affiche également un grand niveau d'intégration de souveraineté européenne, voire nationale. Cette énergie singulière est présente depuis si longtemps que nous avons parfois tendance à l'oublier. Il faudrait développer son potentiel. Le besoin existe. Le potentiel aussi. La filière en a les capacités. Nous souhaitons nous donner les moyens de sortir du blocage actuel.
Le statu quo n'est pas acceptable, car il ne nous permettra pas de relancer le développement. Une solution présente, selon nous, le mérite de s'appliquer à tous les concessionnaires actuels. Elle réside dans le transfert vers un régime d'autorisation d'exploiter, qui est déjà en vigueur sur la plupart des ouvrages de production d'électricité en France, qu'il s'agisse des centrales nucléaires, thermiques ou renouvelables, y compris hydroélectriques jusqu'à 4,5 MW. Ce régime est également utilisé dans de nombreux pays européens pour l'hydroélectricité. Avec ce régime, nous observons que les autres pays ont pu sortir du contentieux avec la Commission européenne et reprendre le développement des STEP.
La sortie de cette situation juridique est indispensable pour relancer l'investissement et permettre la mise en développement du potentiel restant.
M. Julien Français, directeur général de la Compagnie nationale du Rhône. - Bonjour à tous. Merci de votre accueil et de votre écoute.
La CNR est le concessionnaire historique du fleuve Rhône depuis une loi d'aménagement du Rhône de 1921, qui portait l'ambition d'aménager le territoire de ce fleuve, à la fois pour l'essor de la production électrique, l'aménagement des zones portuaires, des écluses, de la navigation et développer les facilités d'irrigation qui bénéficient aujourd'hui à près de 128 000 hectares de terres agricoles. Nous sommes positionnés sur l'ensemble de la chaîne de valeur hydroélectrique, de la construction des aménagements, l'exploitation et la maintenance jusqu'à la valorisation de cette électricité qui est mise à disposition de l'ensemble du marché à travers notre salle des marchés et la diffusion de l'électricité.
Les usines hydroélectriques du Rhône sont des usines de type « éclusé ». Nous disposons de 19 grandes usines le long du fleuve et quelques petites centrales hydroélectriques, pour un total de 3 000 MW de puissance crête pour un productible de 14 à 15 TWh, soit un facteur de charge d'environ 5 000 heures par an. Nous représentons 25 % de la production hydroélectrique, soit 3 % du mix électrique français global. Nous avons une capacité de modulation, notamment à l'intérieur de la journée. Sur des journées moyennes où nous pourrions produire 1 800 MW, nous pouvons aller chercher une modulation à la hausse jusqu'à 2 300 MW et à la baisse jusqu'à 1 300 MW, soit une flexibilité de 1 000 MW, et ce, deux fois par jour, pour s'ajuster au mieux avec les besoins du réseau. Cette capacité de flexibilité caractéristique de l'hydroélectricité est extrêmement précieuse.
En termes de perspectives de développement, nous avons pour projet de construire un 20e aménagement, « Rhônergia », et 6 à 7 petites centrales hydroélectriques ainsi que de procéder à une refonte complète de l'usine de Montélimar. La totalité de ces projets permettrait d'ajouter, à un horizon de dix ans, 500 GWh de production hydroélectrique, pour un investissement de 700 millions d'euros.
Le Rhône n'est pas équipé de STEP aujourd'hui. S'il fallait réfléchir à la construction de STEP autour du Rhône, en prenant notamment comme point d'eau bas le fleuve lui-même et en allant chercher de l'altitude sur des pentes à proximité, le territoire présente effectivement des atouts favorables, avec des reliefs importants dans le Massif central ou le massif du Jura. Les potentialités représentent plusieurs centaines de mégawatts. Certains de ces dossiers ont été instruits par la CNR voilà quinze ou vingt ans. Nous ne sommes pas en instruction active sur ces sujets, considérant que de nouvelles STEP sont plus compliquées à mettre en oeuvre que le renforcement de STEP préexistantes.
L'hydroélectricité représente la première des énergies renouvelables en France, d'abord par l'histoire. Elle a été inventée, en France, voilà 150 ans du côté de Grenoble par Aristide Bergès, un papetier local qui a raccordé son usine à une dynamo. Cette électricité s'est révélée extrêmement importante dans le mix électrique. Quand elle a été mise en service en 1948, l'usine de Génissiat représentait à elle seule 25 % du mix électrique, renvoyant au passé les problématiques de coupure. Ce patrimoine d'infrastructures hydroélectriques répond aux enjeux de flexibilité et de service système. Energie renouvelable, elle se substitue aussi très largement à l'énergie carbonée dans son fonctionnement de base.
Sur les sujets de changement climatique, la question de l'évolution de la ressource en eau mérite d'être posée. S'agissant du Rhône, l'étude de l'Agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse considère que les débits à 30 ans resteront à peu près les mêmes à l'échelle annuelle, mais avec plus de variations dans l'année. Tous les acteurs de l'hydroélectricité se sont très fortement mobilisés, ces dernières années, sur les sujets de biodiversité comme la restauration des milieux humides, la continuité piscicole, etc. Nous ne sommes plus dans les schémas des Trente glorieuses où nous développions sans prendre en compte de telles considérations.
Avec l'énergie hydroélectrique, nous sommes pleinement dans la souveraineté énergétique. Aucun carburant n'est nécessaire pour les infrastructures de production d'électricité. L'eau se trouve sur notre territoire, les usines aussi. Les fournisseurs sont français pour une très grande majorité. Les dépenses de maintenance et d'exploitation de l'ensemble des acteurs hydrauliques s'effectuent sur le territoire français au bénéfice de fournisseurs implantés en France.
Sur le marché de l'électricité, lorsque vous ajoutez de l'offre, vous provoquez une tendance baissière sur le marché de gros. Si la demande augmente, cette offre vient la rattraper. L'effet volume vient ainsi modérer les prix. Comme l'éolien et le photovoltaïque, l'hydroélectricité, en particulier l'hydroélectricité au fil de l'eau, est à prix marginal nul. Il n'existe pas de prix en dessous duquel nous déciderions de ne plus produire. L'eau est là. Nous la faisons passer en produisant de l'électricité au lieu de la laisser se déverser. Quand les prix de l'électricité baissent, parce que l'offre supplante largement la demande, il n'existe pas de seuil de prix pour l'hydroélectricité. Celle-ci peut donc accompagner des baisses de prix.
Le photovoltaïque et l'éolien sont des énergies renouvelables purement intermittentes, sans capacité de flexibilité. Leur part va augmenter de façon importante dans le mix électrique, générant à terme une volatilité plus importante des prix. Nous aurons donc besoin de capacités de stockage et de flexibilité. L'hydroélectricité répond à ce défi. En termes d'énergies renouvelables, il ne faut pas tout miser sur le soleil et le vent, au risque de perdre des opportunités. Il est important de conserver un mix renouvelable diversifié.
Enfin, sur le régime des concessions, nous nous trouvons dans une situation un peu particulière sur le Rhône. Voilà quelques années, la concession devait prendre fin en 2023, ce qui suscitait des inquiétudes et des interrogations par rapport à notre schéma d'investissement. Après 7 ou 8 années d'échanges avec l'Etat, les élus et la Commission, une loi du 28 février 2022 a amendé le contrat Rhône. Le législateur a prévu de recaler la date de fin de concession à 2041, ainsi qu'une relance de l'investissement au bénéfice de la transition énergétique. Les travaux que j'évoquais pour construire des capacités de production supplémentaires sont désormais contractuels. Des engagements sont également pris sur des investissements d'intérêt général, pour 165 millions d'euros tous les cinq ans. Ces investissements bénéficieront au secteur agricole, mais aussi au monde de la navigation. Un volet est prévu sur la biodiversité et le développement local.
Enfin, un régime de redevance modernisé a été mis en place. Avant cette loi, nous payions une redevance de 24 % de notre chiffre d'affaires sur le Rhône. La loi a instauré une redevance composite avec des taux marginaux croissants selon les niveaux de prix, avec une dernière tranche à 80 % de redistribution. Une clause de rendez-vous vient ajouter 50 % de redistribution à l'Etat au-delà d'un certain seuil. Nous pouvons ainsi atteindre des taux marginaux de redistribution à l'Etat jusqu'à 90 %.
Mme Alix Perrin, professeur agrégée de Droit public à l'université Paris Dauphine. - Le conflit qui oppose la Commission européenne à la France dure depuis plus d'une dizaine d'années. Il s'est cristallisé autour de plusieurs fondements juridiques. Dans son état le plus récent, ce contentieux repose sur une mise en demeure de la Commission européenne, une étape très en amont de la procédure de manquement, adressée à huit Etats dont la France, dans laquelle la Commission met en cause le renouvellement automatique, sans mise en concurrence, des concessions au regard des règles de la commande publique, c'est-à-dire de la directive « concessions » de 2014 et de la directive « services dans le marché intérieur » de 2006. Mon intervention portera sur ces règles, sans préjudice d'autres règles qui pourraient trouver à s'appliquer, notamment celles sur les abus de position dominante ou les aides d'Etat.
L'hydroélectricité est organisée selon le régime des concessions, pour les plus grosses infrastructures, ou selon le régime de l'autorisation. Lorsqu'il bénéficie d'une concession, le concessionnaire dispose d'un droit exclusif pour exploiter la force hydraulique. Les ouvrages appartiennent à l'Etat et l'exploitation relève d'un service public. L'hydroélectricité nécessite l'implantation d'ouvrages et d'installations sur le domaine public. Les règles de la domanialité publique extrêmement protectrices s'appliquent donc aussi, indépendamment du droit de l'Union européenne.
Le droit français a organisé un régime spécifique pour amortir, voire neutraliser dans un premier temps, la suppression du droit de renouvellement automatique et de préférence accordé au concessionnaire sortant. L'Etat n'a pas, comme il devait le faire dans les trois ans, indiqué qu'il mettait fin à l'exploitation ou passait une nouvelle concession, en respectant les règles de mise en concurrence. Pour neutraliser ces obligations, le droit français a prévu deux systèmes.
Avec le système des concessions en délai glissant, la loi a permis de laisser les concessions échues se proroger, les opérateurs historiques maintenant leurs droits. 38 concessions étaient passées en délais glissants en 2022. Elles seront une soixantaine d'ici 2025. En 2015, alors que le conflit avec la Commission européenne était déjà cristallisé, la loi « Transition énergétique » a mis en place le système de regroupement des concessions situées dans une même vallée à l'occasion de leur renouvellement, ce qui permet là encore de changer la date de la fin de concession. Cette disposition a d'ailleurs généré un contentieux national sur lequel le Conseil d'Etat s'est prononcé.
Quelles que soient les règles juridiques sur lesquelles la Commission européenne s'appuie, le droit primaire, la directive « concessions » comme la directive « services » interdisent l'attribution d'une concession ou d'un régime d'autorisation sans mise en concurrence, ainsi que le renouvellement automatique. Ces règles permettent toutefois des exceptions. Le gouvernement français est en mesure d'apporter des éléments qui justifieraient de déroger aux règles de mise en concurrence. La porte est étroite, mais elle existe. Chacune de ces exceptions est cependant différente selon le fondement juridique utilisé.
La directive du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, dont le délai de transposition a expiré le 28 décembre 2009, avait pour objectif de lever tout obstacle au commerce de services dans l'Union européenne en permettant à des entreprises de s'implanter dans d'autres Etats pour y prester des services. Pour atteindre cet objectif, la directive encadre les régimes d'autorisation mis en place par les Etats pour accéder à ces services. Elle prévoit notamment, dans son article 12, qu'il faut satisfaire une procédure de sélection transparente. Nous sommes très éloignés des règles de la commande publique et de l'appel d'offres. Ce régime d'autorisation est une notion autonome. La Commission européenne et la Cour de justice en donnent leur propre définition, indépendamment des qualifications qui seraient retenues par les Etats membres. Cette notion englobe toutes les procédures administratives par lesquelles sont octroyées des concessions.
De la même manière, toutes les règles qui seraient relatives à l'utilisation d'un bien foncier, quelles qu'elles soient, sont susceptibles d'entrer dans le champ d'application de ces directives dans la mesure où elles concernent des activités économiques et qu'elles ont une incidence sur l'accès au marché de services par des entreprises installées dans d'autres Etats membres. Dans un arrêt de 2023, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a clairement indiqué qu'il est interdit de renouveler automatiquement une autorisation octroyée pour une activité donnée. Il ne fait aucun doute sur le fait que nous ne pouvons pas renouveler un régime d'autorisation.
La directive prévoit néanmoins des exceptions. Les Etats peuvent invoquer des raisons impérieuses d'intérêt général. La France n'aurait cependant pas pu s'en prévaloir. En 2016, en effet, la CJUE a verrouillé l'utilisation de cette disposition. Pour s'en prévaloir, il aurait fallu respecter, en amont, une procédure d'attribution transparente, ce qui n'est pas le cas de nos concessionnaires. Aucune procédure de mise en concurrence n'ayant été exécutée en amont, nous ne pouvons plus nous prévaloir ex post de ces exceptions.
Cette directive de 2006 ne serait plus aujourd'hui applicable à de nouvelles concessions qui seraient conclues en matière d'hydroélectricité, parce que celles-ci relèveraient désormais de la directive « concessions » de 2014. Or les deux régimes sont exclusifs. En application de cette directive de 2006, le droit français a pris un certain nombre de règles sur l'utilisation des biens publics, qui figurent aujourd'hui dans le Code général de la propriété des personnes publiques. Ainsi, les titres portant occupation privative du domaine public sont soumis à une procédure de mise en concurrence. La stratégie qui pourrait être construite aujourd'hui par le gouvernement français aurait pour objet d'éviter à la fois cette directive de 2006, mais aussi les règles de ce code. Or je ne suis pas sûre que cette stratégie soit pleinement conforme au droit de l'Union européenne.
Enfin, la directive « concessions » du 26 février 2014, transposée en France en janvier 2016, est applicable à toutes les décisions définitives de renouvellement intervenues postérieurement. Elle s'applique aux concessions les plus importantes, au-dessus de 5,538 millions d'euros. Des exceptions existent cependant. La directive comporte, en effet, des dispositifs tenant compte des modalités de l'action publique, notamment les contrats « in house » ou « quasi régie ». Cette exception découle de la nature particulière des liens entre le pouvoir adjudicateur et l'opérateur économique qui bénéficie du contrat. Pour bénéficier de cette exception, il faut que l'opérateur économique soit considéré comme le prolongement du pouvoir adjudicateur, c'est-à-dire qu'il n'ait aucune autonomie dans son organisation et son activité. Trois conditions sont posées : il faut que l'opérateur économique soit détenu par le pouvoir adjudicateur, qu'il soit soumis à un contrôle analogue...
M. Franck Montaugé, président. - Pouvez-vous conclure ?
Mme Alix Perrin. - La régie directe exige que l'opérateur économique n'ait aucune autonomie et une possibilité très limitée pour exercer une activité sur le marché à l'égard de tiers. Je ne suis pas surprise que certains concessionnaires historiques ne soient pas favorables à cette solution.
Le gouvernement dispose de trois options pour régler la question des concessions hydroélectriques. La première consiste à jouer le jeu de la mise en concurrence, ce qui n'est pas si grave du point de vue de la puissance publique et des usagers. La puissance publique, lorsqu'elle souhaite confier la gestion d'un service public, a souvent intérêt à ne pas réduire la concurrence. En outre, cette procédure transparente n'a rien à voir avec les procédures formalisées, lourdes, coûteuses et risquées, prévues en matière de marchés publics. La deuxième option réside dans la quasi-régie. Enfin, la troisième option tient dans ce que vous avez appelé le régime d'autorisation. Le gouvernement semblerait envisager l'adoption d'une loi qui, après avoir déclassé les ouvrages du domaine public, les céderait au concessionnaire sortant qui bénéficierait par la loi d'un régime d'autorisation pour exploiter ces ouvrages dont l'assiette demeurerait sur le domaine public.
Je voudrais terminer mon propos par deux observations sur le choix politique qui conduira à retenir l'une de ces options. Je pense que le choix politique doit être précédé d'un bilan avantages et inconvénients de chaque option, ce bilan s'appréciant différemment selon que l'on se place du point de vue de la puissance publique et des usages ou du point de vue des partenaires des concessions sortants.
M. Franck Montaugé, président. - Merci.
M. Vincent Delahaye. - Toute la production hydroélectrique française est-elle soumise au régime de la concession ? Quel est le nombre de concessions concernées ? Quel est le pourcentage de production considéré ?
Mme Emmanuelle Verger-Chabot. - Quelques centaines de concessions sont concernées. Plusieurs ouvrages peuvent être regroupés au sein d'une même concession. Toutes les installations inférieures à 4,5 MW sont placées sous le régime d'autorisation.
M. Vincent Delahaye. - Pourrez-vous nous communiquer des chiffres précis ?
Mme Alix Perrin. - En volume de production, ces concessions restent les plus importantes.
M. Vincent Delahaye. - Toutes les concessions sont-elles contestées ?
Mme Alix Perrin. - Oui. A ma connaissance, aucune concession n'a été soumise aux nouvelles règles du Code de l'énergie relatives à une mise en concurrence.
M. Vincent Delahaye. - Quelle est la durée de ces concessions ?
Mme Alix Perrin. - La durée initiale était de 75 ans, renouvelable pour 30 ans. Certaines fonctionnent en délai glissant. Pour la Compagnie nationale du Rhône, cette durée est déjà bien dépassée.
Mme Emmanuelle Verger-Chabot. - 340 concessions sont concernées. Les dates d'échéance sont étalées.
M. Vincent Delahaye. - La durée était donc de 75 ans, avec une possibilité de prolonger pour 30 ans.
Mme Alix Perrin. - Ces 75 ans ont été accordés par une loi de 1919. Beaucoup de concessions arrivent donc à échéance en 2024.
M. Vincent Delahaye. - Le gouvernement espère pouvoir sortir de ce contentieux à fin 2024. Les options que vous avez citées correspondent-elles aux solutions que le gouvernement envisage de mettre en oeuvre durant l'année ?
Mme Alix Perrin. - J'ignore les solutions envisagées par le gouvernement. J'ai consulté le rapport de la Cour des comptes et recherché les solutions envisageables au regard des règles européennes.
M. Vincent Delahaye. - Ces solutions vous semblent-elles réalistes ?
Mme Alix Perrin. - Il me semble réaliste d'engager une négociation avec la Commission pour invoquer des raisons impérieuses d'intérêt général justifiant un régime dérogatoire. Cette solution me paraît toutefois peu probable dans l'état du droit.
M. Vincent Delahaye. - Tant que nous ne sommes pas sortis de ce contentieux de fond, les projets de développement de l'hydroélectricité et de STEP sont donc bloqués.
Mme Emmanuelle Verger-Chabot. - Tout à fait.
M. Julien Français. - Pour la CNR, une loi adoptée voilà deux ans a prolongé la concession jusqu'en 2041 en nous posant une obligation d'investir. Nous avons un programme contractuel d'investissement de 700 millions d'euros pour produire 500 GWh d'électricité supplémentaire.
M. Vincent Delahaye. - Cette loi a-t-elle été contestée par l'Union européenne ?
M. Vincent Delahaye. - Pour les STEP, il existe des possibilités le long du Rhône, mais vous n'avez pas de projet dans l'immédiat. Pourquoi ?
M. Julien Français. - Sur les STEP, nous n'avons pas d'aménagements existants. Il existe un parc de stations de pompage turbinage en France, détenu en grande majorité par EDF. Étendre des STEP existantes est une chose, en construire de nouvelles en est une autre.
M. Vincent Delahaye. - Ces projets remettraient-ils en question la prolongation de la concession jusqu'en 2041 ?
M. Vincent Delahaye. - Je ne comprends pas très bien les raisons pour lesquelles vous n'avez pas de projet en la matière. Quel est le point de blocage ?
M. Julien Français. - Nous avons déjà un programme assez lourd. Ces 700 millions d'euros d'investissements en dix ans représentent une multiplication par 2,5 des investissements que nous avons réalisés avant l'ajustement de notre contrat de concession. Construire de nouveaux ouvrages implique, au-delà de la construction elle-même, des phases de concertation préalable, des autorisations à obtenir, etc. Le processus prend du temps. Pour le projet Rhônergia, nous avons passé de nombreuses années à concerter, travailler les études.
M. Vincent Delahaye. - En dehors de la Compagnie nationale du Rhône et d'EDF, quel est le nombre d'exploitants ?
M. Julien Français. - Les exploitants sont nombreux, mais de petite taille. Il existe un troisième opérateur significatif, la Société hydroélectrique du Midi (SHEM), détenue à 100 % par Engie, qui agit sur le massif des Pyrénées.
Mme Denise Saint-Pé. - Il existe effectivement d'autres grands acteurs dans le paysage hydroélectrique. Pourquoi n'avez-vous pas accepté le régime de la quasi-régie ? Dans mon département, les concessions ne peuvent plus être renouvelées depuis 2012. Il me semblait que ce régime aurait pu convenir aux grands acteurs comme aux petits. La solution qui semble être envisagée par le gouvernement pourrait prendre encore dix ans.
M. Fabien Genet. - Pourriez-vous terminer votre exposé sur la quasi-régie ? Quelle était votre deuxième observation de conclusion ? S'agissant des raisons impérieuses d'intérêt général, à l'heure où toute la classe politique parle de souveraineté, la Commission considère-t-elle que cette notion peut intervenir dans le débat juridique ? Enfin, le droit européen permet-il d'organiser une mise en concurrence en restreignant les candidats potentiels au titre de la souveraineté pour éviter l'entrée d'acteurs chinois, indiens ou américains dans les concessions ?
Mme Alix Perrin. - Du point de vue juridique, la quasi-régie n'est pas possible dans chaque cas de figure. Il faut d'abord que l'opérateur économique soit détenu par l'un des pouvoirs adjudicateurs, l'Etat ou d'autres collectivités territoriales. Ce pouvoir adjudicateur doit exercer un contrôle, même si la directive a ajouté une possibilité de participation de capitaux privés extrêmement minoritaires, sans pouvoir de décision dans l'organisation.
Le contrôle analogue tel qu'il est exigé par la Cour de justice implique vraiment une totale dépendance organisationnelle de l'opérateur économique à l'égard du pouvoir adjudicateur. Le pouvoir adjudicateur est en mesure d'exercer une influence déterminante sur les objectifs stratégiques, sur toutes les décisions les plus importantes, et l'opérateur n'a pas la possibilité de nouer des relations avec des entreprises du secteur privé. L'essentiel de son activité doit, en outre, être réalisé pour le compte des pouvoirs adjudicateurs qui le détiennent. Selon la directive, plus de 80 % du chiffre d'affaires de l'opérateur doit être réalisé avec les activités destinées au pouvoir adjudicateur, ce qui limite drastiquement le développement d'activités avec des tiers.
La solution est-elle possible pour EDF ? L'Etat français a fait le choix de devenir actionnaire à 100 % d'EDF, remplissant l'un des critères de la quasi-régie. Le partenaire souhaite-t-il se placer dans cet état de dépendance à l'égard de l'Etat français pour pouvoir bénéficier de la quasi-régie ? En outre, ce qui est possible pour EDF ne l'est pas pour les autres en l'état actuel du droit.
M. Franck Montaugé, président. - Quelle est la position d'EDF sur le sujet ?
Mme Emmanuelle Verger-Chabot. - Ce choix du régime ne dépend pas des entreprises. L'une des raisons pour lesquelles nous avons recherché d'autres solutions tient au fait que celle-ci ne s'appliquait pas à tous les opérateurs, et en particulier pas à la SHEM.
M. Julien Français. - Pour la Compagnie nationale du Rhône, la question de la quasi-régie ne s'est pas posée. Notre prolongation a été obtenue dans le cadre des exceptions qui existent au titre de la directive « concessions ». Notre capital est constitué par Engie pour 49 %, la Caisse des Dépôts pour 33 %, les collectivités territoriales pour 17 %. Nous avons une majorité publique stricte, garantie par la loi.
En termes de gouvernance, cinq postes au conseil de surveillance appartiennent à Engie, quatre à la Caisse des Dépôts, quatre aux représentants des collectivités territoriales. Même si l'Etat n'est pas actionnaire, il dispose de deux sièges avec droit de vote. Siègent également au conseil un commissaire du gouvernement et un contrôleur économique, soit quatre personnes venant de l'Etat. Pour autant, ces quatre personnes ne peuvent pas matériellement justifier d'un régime de quasi-régie à elles seules.
La question ne s'est pas posée. Nous avons réglé la situation dans le cadre classique des exceptions à la mise en concurrence. Notre concession d'aménagement est un peu spécifique. Nous avions aussi un historique particulier. En effet, la concession du Rhône a été remise à la CNR en 1933, mais elle a vécu dans une configuration très particulière entre 1948 et 2001, puisque nous n'avions pas à notre disposition la valorisation de cette énergie. Des travaux ont été ajoutés au contrat.
Enfin, notre concession est multi-aménagement. Le premier aménagement a été mis en service en 1948, le dernier en 1986. Pour autant, tous les aménagements reposent sur une seule et même date, celle de la mise en service du premier aménagement, c'est-à-dire 1948, soit une échéance en 2023, alors que pour le reste du secteur hydroélectrique en France, à chaque usine était lié un contrat de concession. La logique qui a prévalu s'est appuyée sur la date moyenne de mise en service des ouvrages du Rhône, pondérée de leur productible, soit 1964, ce qui éloigne l'échéance au-delà de 2023.
De même, les sujets d'aides d'Etat et d'abus de position dominante ont été examinés et ne soulevaient pas de difficultés concernant la CNR.
Mme Alix Perrin. - Les règles du droit de l'Union européenne ne sont pas qu'un carcan qui imposerait une solution univoque. Les gouvernements ont la possibilité de présenter des justifications, sous réserve de bien négocier. Les raisons impérieuses d'intérêt général en font partie. Je ne suis pas certaine que la souveraineté énergétique pourrait être invoquée. Ces raisons évoluent au gré de la jurisprudence.
Le positionnement traditionnel de la Cour de justice évolue vers une interprétation plus souple de tout ce qu'exigent les principes de la commande publique. Une réflexion, amorcée à partir de 2018, prend de l'ampleur actuellement sur l'indépendance stratégique de l'Union européenne, avec un volet assez volontariste pour qu'elle organise son indépendance vis-à-vis de pays tiers. Il faut identifier les fonctions essentielles qui seront considérées dans ce cadre.
M. Franck Montaugé, président. - Faites-vous allusion au service économique d'intérêt général ?
Mme Alix Perrin. - Non. Une entreprise peut être titulaire d'un service économique d'intérêt général, une notion mobilisable au regard des aides d'Etat et des abus de position dominante. Ici, il s'agit d'identifier les raisons impérieuses d'intérêt général que les gouvernements pourraient invoquer pour justifier de ne pas être soumis aux règles imposées par les directives. Négocier sur ces raisons est une chose, convaincre la Commission dans le contexte actuel en est une autre.
La loi envisagée ne constitue pas une nouveauté ; elle puise dans des solutions anciennes. Le même dispositif avait été mis en place dans la loi de finances rectificative de 2001 pour le réseau de transport de gaz naturel.
Mme Emmanuelle Verger-Chabot. - La gestion d'un barrage ne consiste pas simplement à appliquer des procédures en appuyant sur des boutons. Les machines ne se comportent pas toutes de la même façon. Nos turbines ont plus de 70 ans d'âge moyen. Nous les avons maintenues depuis des dizaines d'années, construites pour certaines. Transformer des précipitations en débits dans nos retenues n'est pas une science exacte. L'exercice suppose un historique important.
De notre point de vue, les enjeux de sûreté, la capacité à limiter les impacts des crues sur les vallées supposent des années d'antériorité, d'exploitation, de connaissance des bassins versants. Lors de la crue du 1erdécembre dernier à Serre-Ponçon, les entrants ont ainsi pu être absorbés aux deux tiers pour limiter les impacts en aval. J'observe, en outre, que les autres pays européens ont trouvé des solutions pour ne pas mettre en concurrence les barrages hydroélectriques importants.
M. Franck Montaugé, président. - Il serait bon qu'EDF exprime sa position dans le contexte juridique actuel.
Mme Emmanuelle Verger-Chabot. - Nous cherchons une solution permettant de relancer le développement. Nos projets sont prêts. Nous avons parfois même commencé les études détaillées pour pouvoir lancer les appels d'offres. Sur le projet de Montézic prévoyant l'extension de plus de 450 MW d'une STEP existante dans l'Aveyron, nous sommes prêts à lancer les appels d'offres dès lors que nous aurons trouvé une solution sécurisant notre capacité à rester exploitant. Nos juristes et nos conseils sont confiants sur la possibilité d'opérer une bascule vers le régime d'autorisation qui est déjà utilisé pour de nombreuses installations de production électrique en France et a été retenu par beaucoup de pays européens dont la mise en demeure a pu être levée sans mise en concurrence.
M. Daniel Gremillet. - Je crois que l'Union européenne évolue sur ce sujet. Des évolutions se sont produites depuis deux ans dans d'autres pays sur l'hydroélectricité. N'avons-nous pas une fenêtre de tir aujourd'hui ? L'Europe a connu un choc énergétique avec l'Ukraine et le gaz, auquel l'hydroélectricité apporte une partie de réponse, surtout sur les heures très sensibles. Existe-t-il une possibilité pour que la France soit traitée comme les autres pays de l'Union européenne plutôt qu'en « martyr » ?
Avez-vous une idée du laps de temps qu'il vous faudrait pour atteindre cette capacité supplémentaire après avoir obtenu l'assurance de pouvoir réinvestir ? Quel serait le retour sur investissement ? L'hydroélectricité pourra-t-elle conserver son prix très compétitif ?
M. Didier Mandelli. - Je vous remercie d'avoir rappelé les différents types de production d'hydroélectricité, en particulier le volet maritime avec l'usine marémotrice de la Rance. Nous avons la chance d'avoir en France à la fois du relief, des précipitations, des fleuves et des façades maritimes permettant d'envisager le développement de cette énergie.
Je voudrais vous faire part de l'expérience que j'ai vécue dans un pays qui a misé sur les énergies renouvelables pour 98 % de son électricité, dont 75 % venant de l'hydroélectricité. Le Costa-Rica est quasiment autonome aujourd'hui. Selon vos estimations, quel potentiel réel avez-vous pu identifier pour cette énergie par essence renouvelable ?
Mme Emmanuelle Verger-Chabot. - Lorsque nous évoquons le potentiel sur nos installations, nous distinguons deux périodes, selon les enjeux d'acceptabilité et d'études pour finaliser le projet : les 2 000 premiers mégawatts pourraient être mis en service d'ici 2035 et les 2 000 additionnels prendraient plus de temps. A Montézic, les deux retenues existantes fonctionnent déjà en STEP. Le doublement de la capacité soulève peu d'enjeux d'acceptabilité. Les riverains sont habitués à ce fonctionnement. Les projets prennent plus de temps lorsqu'il s'agit d'utiliser deux retenues existantes qui ne sont pas reliées entre elles et encore plus lorsqu'il s'agit de construire une retenue additionnelle.
Les STEP ne se comparent pas à un coût de l'énergie, mais à un delta de prix entre les heures chères et les heures moins chères. Le coût principal vient du coût de l'électricité nécessaire pour pomper l'eau et la remonter. Selon les configurations, les coûts sont très variables. Sur nos projets, les fourchettes varient de 1 000 à 3 000 euros du kilowatt.
Enfin, sur le potentiel hydroélectrique français, selon les chiffres retenus pour le projet de Stratégie française pour l'énergie et le climat, nous pourrions aller jusqu'à 2 800 MW, dont 1 700 MW de STEP, avec un premier horizon en 2035.
M. Vincent Delahaye. - Vous aviez évoqué 2 000 MW à l'horizon 2035 et 2 000 à plus longue échéance. Or vous indiquez maintenant un chiffre un peu inférieur.
Mme Emmanuelle Verger-Chabot. - Tout dépend de l'horizon de temps.
M. Vincent Delahaye. - Quel serait le potentiel dans l'absolu ?
Mme Emmanuelle Verger-Chabot. - Le chiffre dépend aussi des scénarios d'évolution de la consommation et des scénarios de prix de l'énergie.
M. Julien Français. - Dans une vision totalement maximaliste, faisant fi des enjeux d'acceptabilité et de changement climatique, nous retrouvons les 20 % relayés par la presse, c'est-à-dire 12 TWh de plus. De manière plus raisonnable, il faut parler de quelques térawattheures.
Mme Martine Berthet. - Ma première question est destinée à la CNR. Les travaux prévus auront-ils un impact sur vos coûts de production ? Ma seconde question concerne EDF Hydro. Anticipez-vous la résolution de la problématique des concessions pour être prêts à démarrer immédiatement ? Enfin, le régime d'autorisation était prévu dans le texte qui nous a été soumis pour le projet de loi relatif à la souveraineté énergétique. Pourtant, vous ne semblez pas privilégier cette solution, Mme Perrin. Pourquoi ?
Mme Alix Perrin. - Je ne crois pas que la France se trouve dans une situation de martyr. La France a tendance à surtransposer le droit de l'Union européenne et se rend compte ensuite qu'elle éprouve des difficultés avec ses surtranspositions.
Dans cette affaire, la Commission européenne a fait preuve de beaucoup de mansuétude. En 2013, un projet de loi avait été déposé ici même pour allonger la durée des concessions de 75 à 99 ans alors que nous savions déjà que cette disposition était totalement contraire au droit européen. Quand la première mise en demeure est arrivée, la France a regroupé les concessions, décalant encore la durée. Cette procédure de manquement n'est donc une surprise pour personne. La Commission dispose d'un pouvoir discrétionnaire. Elle peut s'arrêter à tout moment et personne ne peut le contester. Tout est affaire de négociation.
Sur la question du régime d'autorisation, il me semble que nous ne pourrons pas tout placer sous un même régime juridique. De nombreux montages juridiques sont possibles. La signification que l'on en donne en droit français n'est certainement pas celle retenue par le droit de l'Union. En tout état de cause, il n'est pas réaliste de croire que nous arriverons à instaurer un régime unique de l'hydroélectricité. Il faut distinguer EDF, la CNR qui a fait l'objet d'une loi tout à fait particulière, les autres opérateurs. La petite hydroélectricité se trouve dans une situation bien différente. Il faudra raisonner de manière différenciée.
Je ne connais pas le projet du gouvernement. J'ai lu dans la presse spécialisée que le gouvernement ferait appel au législateur pour écarter le code général de la propriété publique, déclarer les biens et les céder à EDF qui les rachètera avec l'argent du contribuable. Je crois que nous surestimons les conséquences d'une mise en concurrence. Jusqu'à présent, le gouvernement a protégé ses concessionnaires sortants. Le gel des investissements ne vient pas d'une impossibilité. Les investissements auraient pu évoluer dans le cadre des concessions existantes. Je crois qu'un rapport de force s'est instauré, les opérateurs ne faisant plus rien tant qu'ils n'ont pas obtenu des engagements sur l'acquis.
M. Daniel Gremillet. - Vos propos sont lourds de conséquences. Jusqu'à présent, il nous a été expliqué qu'il était impossible de réaliser des investissements.
M. Franck Montaugé, président. - Je voudrais vous interroger sur l'impact du cadre juridique qui sera finalement retenu sur les prix. Quelle forme vous paraît la plus appropriée pour que, à moyen et long terme, la contribution de l'hydraulique au prix soit la plus acceptable possible ?
Mme Emmanuelle Verger-Chabot. - Nous avons déjà déposé des dossiers pour des augmentations de puissance de faible montant ou non substantielles. Pour l'instant, un seul dossier a été autorisé pour 3 MW. D'autres dossiers sont en suspens. Tout dépend de l'interprétation du droit. Nous ne sommes pas du tout engagés dans un bras de fer avec l'Etat. Nous ne refusons pas d'investir. Des demandes ont été déposées à l'automne 2022 et nous attendons toujours les réponses. Il ne fait aucun doute en revanche qu'un projet substantiel comme Montézic n'est pas possible dans le régime actuel.
S'agissant de l'impact sur les prix, les coûts de production de l'hydroélectricité sont très variables d'une installation à l'autre. Dans les augmentations de puissance que j'évoquais, nous nous appuyons sur des STEP. Or nous mesurons leur impact sur les prix de marché dans leur capacité à stocker l'électricité et à faciliter l'équilibre entre les pointes et les creux. Les STEP vont plutôt venir resserrer les écarts de prix que baisser le prix de base.
M. Franck Montaugé, président. - Toutes techniques confondues, quelle est la trajectoire de coût et de prix ?
Mme Emmanuelle Verger-Chabot. - Sur les moyens de production, dans les éléments de réponse que nous avons communiqués à la Cour des comptes et à votre commission, les ordres de grandeur varient de 50 euros le MWh pour du fil de l'eau à plus de 150 euros le MWh pour de petites installations très complexes.
M. Julien Français. - La forme des concessions ne définit pas vraiment le prix. Les ouvrages hydroélectriques sont appelés à durer extrêmement longtemps. Au démarrage, le coût d'investissement peut paraître significatif. Cependant, si vous l'entretenez correctement, l'ouvrage sera toujours là un siècle plus tard.
M. Vincent Delahaye. - Quelle est la durée d'amortissement ?
M. Julien Français. - Les durées d'amortissement peuvent être plus ou moins rapides.
M. Vincent Delahaye. - Au bout de 50 ans, l'ouvrage est-il amorti ?
M. Julien Français. - Oui. Aujourd'hui, nous bénéficions des investissements réalisés par nos aînés entre 1930 et 1960. Ces ouvrages représentent aujourd'hui un vrai atout. Les opérateurs en place les entretenant de manière extrêmement professionnelle, nos actifs peuvent encore perdurer des dizaines d'années. Lorsqu'ils sont amortis, ces ouvrages sont extrêmement compétitifs.
L'hydroélectricité au fil de l'eau repose sur un coût marginal nul. Pour produire 1 MWh d'électricité, une centrale au gaz doit d'abord acheter 2 MWh de gaz et payer l'équivalent de 400 kilos de CO2, soit 70 à 80 euros le MWh alors que l'hydroélectricité n'a pas à payer de carburant. Même quand le prix atteint 20 euros, l'hydroélectricité peut continuer de produire, car elle n'est pas soumise à un prix plancher. Les énergies renouvelables peuvent produire à très bas coût. Plus vous introduisez d'énergies renouvelables dans le mix électrique, plus vous faites peser une pression à la modération, voire à la baisse des prix, entraînant aussi une baisse de la volatilité de ces prix.
M. Vincent Delahaye. - J'aimerais revenir sur la sortie du contentieux avec l'Europe. Une mise en concurrence fait-elle peur à EDF ? En changeant d'objet social, la CNR pourrait-elle répondre à une mise en concurrence sur d'autres équipements ? Pourriez-vous nous en dire plus sur le modèle économique des STEP ? La Cour des comptes a suggéré, dans son dernier rapport, de revoir le mode de rémunération. Enfin, nous avons connu des difficultés sur l'eau en 2022. La situation s'est améliorée en 2023. Au cours des dix dernières années, avez-vous été confrontés à d'autres années difficiles ?
Mme Emmanuelle Verger-Chabot. - Je voudrais revenir sur les enjeux de sûreté hydraulique, de connaissances des installations, d'optimisation de la maintenance.
M. Vincent Delahaye. - Ces aspects constituent un atout dans la mise en concurrence.
Mme Emmanuelle Verger-Chabot - Tout dépend des critères d'évaluation des offres.
M. Vincent Delahaye. - Quand vous connaissez bien une concession, il est quand même plus facile de répondre.
Mme Emmanuelle Verger-Chabot. - Il est plus facile de répondre de manière juste et optimisée. Pour autant, un opérateur pourrait ne pas avoir en tête les investissements à réaliser et fixer un prix décalé.
M. Vincent Delahaye. - Dans les concessions, une discussion est possible, ce qui n'est pas forcément le cas des marchés publics. Or dans ces discussions, le fait de connaître la concession constitue un avantage indéniable. Je suis un peu surpris de votre réserve.
Mme Emmanuelle Verger-Chabot. - Je pense que cette solution ne répondra pas à l'urgence de la situation. L'organisation de cette mise en concurrence nous fera perdre du temps dans le lancement des projets. Nous ne pouvons pas prendre des engagements financiers importants. En outre, si en 2030 ou 2035 les besoins en électricité ont changé et que d'autres investissements sont nécessaires au-delà de ceux prévus dans les cahiers des charges de concession, nous nous retrouverons exactement dans la même situation et nous serons une nouvelle fois dans l'impossibilité d'optimiser l'utilisation de nos infrastructures.
M. Vincent Delahaye. - Des clauses peuvent être prévues à cet effet dans le contrat de concession. Je doute que cet argument soit opérant pour éviter la mise en concurrence.
Mme Emmanuelle Verger-Chabot. - Les STEP sont des installations capitalistiques, avec un investissement important qui trouve sa rentabilité sur 25 à 30 ans. Il paraît difficile d'avoir de la visibilité sur l'évolution des prix de marché à cet horizon. En outre, les STEP font leur revenu non pas sur un prix de marché moyen, mais sur un écart de prix entre les heures de pointe et les heures de moindre consommation, ce qui est encore plus difficile à prévoir. L'investisseur doit avoir de la visibilité au moment de son investissement, ce qui peut exiger des modes de rémunération plus sécurisants, comme une contribution à l'investissement ou des revenus sécurisés.
M. Vincent Delahaye. - Par qui ces revenus seraient-ils sécurisés ?
Mme Emmanuelle Verger-Chabot. - Il appartient à l'Etat et à la CRE de déterminer les mécanismes permettant de sécuriser ces perspectives de revenus.
M. Vincent Delahaye. - A quelle hauteur pensez-vous qu'il serait souhaitable de les sécuriser ?
Mme Emmanuelle Verger-Chabot. - Tout dépend de la forme.
Nos historiques d'hydraulicité fiables et comparables remontent aux années 1950. L'année 2022 est bien une année atypique que nous n'avions jamais connue. Depuis mi-octobre, l'hydraulicité se révèle également très atypique, avec des régions où nous n'avions jamais vu autant d'eau. Aujourd'hui, les modèles montrent une plus grande variabilité d'une saison à l'autre plus qu'une tendance généralisée à la baisse, sauf sur le pourtour méditerranéen. Sur le week-end du 1er décembre, Serre-Ponçon a enregistré des volumes entrants jamais observés depuis sa construction dans les années 1960. A la maille planétaire, l'augmentation de la température de l'air implique plus de précipitations, mais réparties différemment. Il faut donc s'attendre à connaître une nouvelle fois l'été 2022, avec peut-être aussi des hivers comme celui que nous venons de vivre.
M. Vincent Delahaye. - La CNR pourrait-elle répondre à une mise en concurrence sur d'autres installations ?
M. Julien Français. - Ce scénario n'existe pas dans notre feuille de route stratégique 2030. Dans les prochaines années, nous souhaiterions éventuellement nous positionner sur quelques nouvelles concessions. Nous mettons une nouvelle installation en service, en septembre prochain, sur la rivière Sarenne, au niveau de Bourg d'Oisans. Le fait de reprendre de l'hydroélectricité existante n'ajoute rien au mix électrique français. Nous préférons développer l'outil industriel de production d'électricité renouvelable.
M. Vincent Delahaye. - Le passage au régime d'autorisation exigerait que les biens soient cédés.
Mme Alix Perrin. - Non. Cette solution viserait à nous extraire du cadre juridique de la domanialité publique. Lorsque vous conférez un titre qui permet une exploitation économique sur le domaine privé ou le domaine public, vous êtes soumis à des exigences de publicité et de mise en concurrence préalable. Encore une fois, il ne s'agit pas d'un appel d'offres. Tout est négocié. Ce régime est extrêmement souple. Céder ces ouvrages à EDF revient à les extraire du patrimoine public alors qu'ils sont amortis. Même si EDF appartient à 100 % à l'Etat, ces ouvrages sont sortis du patrimoine public, avec un coût financier.
Mme Denise Saint-Pé. - Où pouvons-nous plaider l'intérêt général si nous retirons ces ouvrages du patrimoine public à l'heure de la souveraineté énergétique ?
Mme Alix Perrin. - Il s'agit de les confier à une entreprise 100 % publique qui connaît son métier. Nous pouvons comprendre les liens historiques avec le partenaire EDF. Vous ne pouvez pas juridiquement bouleverser l'équilibre économique de votre contrat en réalisant des investissements. Pour autant, le rapport de la Cour des comptes donne l'impression d'un gel des investissements depuis quelque temps et il est difficile de ne pas faire le lien entre ce gel et le contexte européen.
M. Vincent Delahaye. - Je voudrais qu'EDF confirme votre point de vue : le régime d'autorisation n'exige pas forcément la cession des biens à EDF.
Mme Emmanuelle Verger-Chabot. - Le rapprochement des régimes existants sur les autres installations de production d'électricité suppose effectivement un transfert, mais celui-ci peut être accompagné de garde-fous.
M. Vincent Delahaye. - Quel prix êtes-vous prêt à payer en cas de transfert ? Le transfert ne peut être gratuit sous peine d'être considéré comme une aide d'Etat.
Mme Emmanuelle Verger-Chabot. - Une estimation doit être opposable. Si ce transfert s'opère à une date donnée, nous ne prenons que l'écart de valeur entre la durée résiduelle de la concession et le nouveau régime d'autorisation.
M. Franck Montaugé, président. - Quelle pourrait être la valorisation de ce transfert sur l'ensemble du patrimoine ?
Mme Emmanuelle Verger-Chabot. - Tout dépend des prix de marché et des conditions économiques en vigueur lors de ce transfert.
M. Franck Montaugé, président. - Une évaluation a-t-elle été réalisée ?
Mme Emmanuelle Verger-Chabot. - Aucune discussion précise n'a eu lieu avec l'Etat.
M. Franck Montaugé, président. - C'est surprenant. N'êtes-vous pas en mesure de nous indiquer le montant de ce transfert ? Vous êtes sous serment.
Mme Emmanuelle Verger-Chabot. - Nous pourrons vous répondre par écrit.
M. Franck Montaugé, président. - La commission d'enquête a besoin de cette information.
Mme Denise Saint-Pé. - Dans ce cas de figure, EDF Hydro verrait-elle un inconvénient à ce que la représentation parlementaire dispose d'un droit de regard dans ses comptes ?
Mme Emmanuelle Verger-Chabot. - Si une opération comme celle-ci devait être réalisée, il faudrait bien sûr que l'évaluation soit opposable pour éviter toute qualification d'aide d'Etat et que la démarche passe par une loi.
M. Franck Montaugé, président. - Nous vous remercions pour votre contribution.
La réunion est close à 16 h 30.
Mercredi 20 mars 2024
- Présidence de M. Franck Montaugé, président -
Enjeux des flexibilités, gages de la sécurité d'approvisionnement électrique - Audition de M. Yannick Jacquemart, directeur nouvelles flexibilités chez RTE, Mme Catherine Rivière, directrice générale adjointe, MM. Benjamin Herzhaft, directeur du Centre de résultats systèmes énergétiques, de l'IFP Énergies nouvelles (IFPEN), et Stéphane Sarrade, directeur des programmes énergie au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)
M. Franck Montaugé, président. - Bonsoir à tous. Nous poursuivons aujourd'hui les travaux de notre commission d'enquête avec les auditions de Yannick Jacquemart, directeur Nouvelle Flexibilité chez RTE, Stéphane Sarrade, directeur des programmes énergie au commissariat Énergie atomique et aux Énergies alternatives, Catherine Rivière, directrice générale adjointe d'IFP Énergies Nouvelles et Benjamin Herzhaft, directeur du Centre de résultats Systèmes énergétiques de l'IFPEN.
Il m'échoit de vous faire prêter serment dans l'accord des règles qui régissent le fonctionnement des commissions d'enquête parlementaires. Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est possible de peines prévues aux articles 434-13, 14 et 15 du Code pénal, et notamment de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité en levant la main droite et en disant « je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Yannick Jacquemart, M. Stéphane Sarrade, Mme Catherine Rivière et M. Benjamin Herzhaft prêtent serment.
M. Franck Montaugé, président. - Le Sénat a constitué le 18 janvier dernier une commission d'enquête sur le thème de la production, de la consommation et des prix d'électricité aux horizons 2035 et 2050. Nos travaux sont centrés sur le présent et l'avenir du système électrique, avec une question centrale : ce système est-il ou sera-t-il en capacité de faire face à la demande ? D'offrir aux particuliers et aux entreprises une électricité à prix raisonnable ? Quelles sont ses perspectives de développement ?
Cet après-midi, nous allons consacrer notre échange aux enjeux de la flexibilité électrique du réseau électrique.
Le débat sur l'électricité est généralement centré sur la production. Pourtant, un autre élément est fondamental quant au fonctionnement de ce réseau : c'est celui de ses flexibilités, afin d'assurer l'équilibre entre production et consommation. Cet élément prend une importance croissante avec le développement des énergies intermittentes, qui exigent des capacités de stockage d'une part, pour faire face aux creux de production et passer les pics de consommation, mais aussi d'autre part pour assurer la stabilité du système électrique.
Comme l'indique RTE dans son bilan prévisionnel, le développement des flexibilités est à la fois une question de sécurité d'approvisionnement, mais aussi de performance économique et environnementale pour utiliser pleinement les productions décarbonées. Les questions qui découlent de cette problématique générale sont : quelles sont aujourd'hui les marges de flexibilité dont dispose notre système électrique ? Quels sont les objectifs à atteindre en la matière aux horizons d'étude que nous nous sommes fixés (2035 et 2050) ? Comment développer ces marges de flexibilité et quelles sont, à ce propos, les technologies de stockage les plus prometteuses ? Quels sont leurs degrés de maturité ? Quelles sont leurs perspectives en moyen de terme ?
Nous pouvons penser au stockage via l'hydrogène, mais plusieurs questions se posent. L'électrolyse de l'eau doit être modulable, ce qui suppose que les électrolyseurs soient en capacité technique de moduler. Est-ce le cas aujourd'hui ? Par ailleurs, comment assurer la compétitivité de l'hydrogène national ? Comment garantir le passage des pointes hivernales - et bientôt estivales - sans surdimensionner notre part de production électrique ? Faut-il au moins en horizon 2035 faire appel à des capacités thermiques pour un très faible nombre d'heures par an et donc un impact carbone faible ? Si oui, lesquelles ?
Un sujet peu évoqué est celui de la nécessité de renforcer le système électrique pour faire face à une injection croissante d'énergie intermittente. RTE et l'Agence internationale de l'énergie (AIE) évoquaient en 2021 diverses technologies : nouveaux modes d'exploitation des convertisseurs, compensateurs synchrones, contrôle grid-forming, etc. Quelles sont les avancées de ces technologies ? Quelles sont les perspectives à moyen et long terme en la matière ? Quels sont les coûts de ces technologies ? Quelles pourraient être leurs parts dans les coûts globaux des différentes énergies renouvelables concernées ?
Voilà quelques thèmes sur lesquels notre rapporteur Vincent Delahaye va vous interroger.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Bonjour à tous. Nous poursuivons nos auditions avec aujourd'hui le thème de la flexibilité, qui est un thème important. La consommation n'est pas linéaire, à la fois dans les saisons et dans une journée.
Le Président de notre Commission a déjà abordé plusieurs sujets. Nous aimerions également vous entendre sur le mécanisme de capacité, qui est assez contesté. Comment réformer et financer ce mécanisme de capacité ?
M. Yannick Jacquemart. - Monsieur le Président, Monsieur le rapporteur, Mesdames et Messieurs les sénateurs et sénatrices, je vous remercie de cette invitation.
Le terme de « flexibilité » est très général et recouvre des éléments très variés, très différents. La flexibilité correspond à la capacité d'un actif de production, de consommation, de stockage à moduler, à la hausse ou à la baisse, son injection ou son soutirage sur le réseau. Cette définition est très générale. Historiquement, les besoins de flexibilité viennent tout simplement de la forme de la courbe de consommation, le suivi de charge. La consommation n'est pas uniforme tout au long de l'année, de la journée et de la semaine. Ce suivi est assuré par les moyens de production depuis longtemps. Le parc nucléaire français a cette particularité, par rapport à d'autres parcs nucléaires dans le monde, de moduler et d'assurer une grande partie de ce suivi de charge.
La France a également été pionnière dans les flexibilités de consommation, tout d'abord avec le tarif heures pleines, heures creuses, modalité très simple, mais très efficace, instaurée pour accompagner le développement du parc nucléaire. Ce tarif a un effet extrêmement significatif sur l'équilibre du système électrique, puisqu'encore aujourd'hui, il déplace 10 gigawatts de consommation à minuit. La France a également été pionnière sur les tarifs à effacement, EJP et Tempo, dès les années 1980-1990. Ces tarifs ont été créés pour accompagner la montée en charge du chauffage électrique et les risques de sécurité d'approvisionnement qu'il faisait porter. Dans les années 2000, ce sont 6 gigawatts de consommation qui s'effaçaient quand on déclenchait un jour « rouge ».
Désormais, ce n'est plus la courbe de consommation que les moyens pilotables doivent pouvoir suivre, mais « la courbe de consommation résiduelle ». Il s'agit de la courbe de consommation ôtée de la production des énergies non pilotables. C'est cette courbe qu'il faut piloter et alimenter avec les moyens pilotables.
Conscient de ces difficultés de compréhension sur le sujet de la flexibilité, RTE a proposé de distinguer quatre types de flexibilité dans le dernier bilan prévisionnel. La première correspond aux flexibilités structurelles et régulières, c'est-à-dire le suivi de la courbe de charge à la saison, à la semaine et à la journée. Les arrêts de production nucléaire sont placés pour avoir de la disponibilité l'hiver et beaucoup moins l'été. À l'échelon journalier, l'énergie hydraulique est sollicitée pour les pointes et le signal heures pleines, heures creuses modifie la consommation.
À un deuxième niveau, les dynamiques correspondent aux adaptations de consommation, de production et du stockage aux conditions réelles du jour, en fonction historiquement de la température et désormais du vent et de la nébulosité. Le planning de production est donc ajusté en fonction de ces éléments. Il faut aussi tenir compte des tarifs à effacement, comme EJP et Tempo.
Le troisième niveau de flexibilité correspond aux flexibilités d'équilibrage du système électrique qui sont contractualisées par RTE pour maintenir la fréquence à 50 Hz. Ce sont des flexibilités de dernière minute, puisque RTE ne peut intervenir que dans la dernière heure avant le temps réel. Ce besoin se monte à environ 3 à 4 gigawatts et ne devrait pas évoluer énormément.
La quatrième flexibilité a été largement popularisée l'an dernier. Ce sont les flexibilités de sauvegarde, mobilisées en cas d'alerte écowatt et de difficulté. Il est important de les développer et de pouvoir y faire appel, pour éviter de devoir mettre des plans de délestage en oeuvre. Les alertes écowatt ont toutefois vocation à être utilisées le moins possible.
Venons-en maintenant à l'évolution des flexibilités du système électrique. Le système électrique évolue d'ores et déjà bien plus fortement que lors des vingt dernières années. Nous pouvons affirmer que les besoins de flexibilité du système électrique vont augmenter, mais pas tous dans la même proportion. L'élément qui évolue le plus rapidement dans la décennie en cours et qui génère le plus grand besoin de nouvelles flexibilités correspond au développement du photovoltaïque. Il s'agit d'un changement structurel et historique de la forme de la consommation résiduelle. La courbe de consommation résiduelle se traduit très clairement par deux périodes de creux (la nuit et en milieu de journée et l'après-midi) et par deux pointes courtes (en tout début de journée, de 7h à 10h, et le soir de 18h à 20h). Ce rythme structurel se retrouve en toutes saisons. Le propre de la production solaire, c'est qu'elle est prévisible.
Toutefois, la production renouvelable n'est pas le seul élément à évoluer en ce moment. La consommation électrique évolue fortement aussi, puisque nous avons atteint un point d'inflexion. Après 10 ou 15 années de stabilité, nous constatons les premiers signes d'une remontée de la consommation. La particularité des nouvelles consommations qui arrivent sur le réseau est qu'elles ne correspondent pas toujours, et même pas souvent, à un usage immédiat d'électricité. Cette situation change la donne en matière de gestion du système électrique. Le fait de pouvoir compter sur ce décalage de recharge des batteries et de pouvoir utiliser cette inertie thermique des batteries est utile dans l'évitement des périodes de pointe, à confort inchangé. Le service rendu est le même, que votre véhicule ait été chargé à 18 heures ou en milieu de nuit.
Il s'agit pour RTE un des enjeux principaux de flexibilité d'ici 2030 que de développer cette gestion active de la consommation avec les nouveaux rythmes du système électrique. Si nous avons moins de moyens de production pilotables, nous avons aussi davantage de moyens de pilotage de la consommation.
Dans ces conditions, comment assurer la sécurité de l'alimentation et l'optimisation du système ? Les périodes à risque pour la sécurité de l'approvisionnement changent dans ce contexte. Elles ne concernent plus seulement les jours de très grand froid, comme auparavant. Elles dureront de moins en moins toute la journée, du matin au soir. Le milieu de journée deviendra rapidement une période épargnée, grâce à la production photovoltaïque. Les risques de pénuries éventuelles portent donc essentiellement sur des périodes courtes, de quelques heures seulement, ce qui permet d'envisager d'autres moyens pour y faire face. Les risques sur des périodes longues existent toujours, mais ils seront plus rares et concerneront la soirée et le début de nuit, mais pas le coeur de journée.
Du point de vue de l'optimisation, il sera important de bien utiliser toute l'énergie décarbonée lorsque nous l'avons.
En matière de solutions face à ces difficultés, nous constatons deux familles de moyens. Nous avons côté des moyens qui vont uniquement servir pour ces pointes courtes. Ce sont les batteries et la flexibilité de consommation. Nous distinguons également des moyens mobilisables sur des périodes longues, en cas de crise plus longue. Il s'agit des moyens de production thermique, que l'on espère décarbonée, et le développement, si on le peut, de moyens hydrauliques, notamment de steps.
La flexibilité de consommation paraît être le premier à développer. Elle recouvre trois bénéfices conjugués. Le premier, c'est que l'absence de consommation pendant les pointes limite les émissions de CO2. Le deuxième, c'est que cela diminue le coût d'approvisionnement. Troisièmement, la diminution des points du système électrique crée de la place sur le système électrique pour accélérer les transferts d'usage, qui sont bien l'enjeu de cette décennie.
Des gigawatts de consommation sont en jeu, soit un gisement très important. Les gains économiques le sont également. RTE travaille activement à un plan de passage à l'échelle des flexibilités, avec l'ensemble des entreprises concernées, constituant ainsi une nouvelle filière industrielle dans laquelle la France peut se targuer de compter des champions de taille mondiale.
Mme Catherine Rivière. - Bonjour à tous.
L'IFPEN est un établissement public industriel et commercial. Nous adressons trois thématiques : les énergies renouvelables, la mobilité durable et l'économie circulaire. Nous comptons 1 600 agents, dont une grande partie de chercheurs. Notre dotation budgétaire publique couvre 45 % de notre budget, les 55 % restants provenant de nos collaborations avec des partenaires industriels ou des retours des dividendes et des redevances de nos filiales. L'IFPEN fait de la recherche fondamentale et de la recherche jusqu'à son application industrielle, ce qui est valorisé par nos partenariats industriels et à travers les retours de nos filiales.
Historiquement, nos activités s'inscrivaient dans le domaine des hydrocarbures. Depuis environ 15 ans, nous avons élargi notre spectre pour adresser tous les enjeux de la transition hydrologique, en nous appuyant sur nos compétences acquises dans le monde des hydrocarbures. Aujourd'hui, 80 % de notre activité concerne ces trois thèmes : énergies renouvelables, mobilité durable, économie circulaire, contre 30 % de notre activité il y a 8 ans. Nous avons réalisé une transition extrêmement rapide.
Concernant le thème de la table ronde, nous menons nos travaux sur trois points : la production d'électricité, le stockage de l'électricité, la gestion de la demande et la consommation de l'électricité. Ces trois domaines sont majoritairement traités dans les équipes sous la responsabilité de Benjamin Herzhaft.
M. Benjamin Herzhaft. - Merci de l'invitation à s'exprimer devant cette commission. Nous avons focalisé nos activités de recherche sur des thèmes assez précis. En ce qui concerne la production d'électricité, nous sommes positionnés sur l'éolien, et particulièrement sur l'éolien offshore. Par exemple, nous avons développé, en partenariat avec SBM Offshore, un flotteur pour éoliennes flottantes actuellement testé dans le cadre du projet porté par EDF Provence Grand-Large. L'année dernière, nous avons également créé une nouvelle filiale appelée GreenWITS, qui commercialise des solutions numériques pour la conception, l'optimisation et la maintenance de parcs d'éoliennes. Nous travaillons aussi sur la géothermie électrogène, un marché de niche en France, mais avec du potentiel international.
En ce qui concerne le stockage d'électricité, nous avons focalisé nos efforts sur deux briques technologiques. Le stockage massif d'électricité pourrait répondre à des besoins plutôt longs. Nous développons nos efforts sur une technologie appelée AACAES (Advanced Adiabatic Compressed Air Energy Storage), c'est-à-dire du stockage par air comprimé, en comprimant de l'air dans des cavités. Nous avons développé cette technologie avec des entreprises telles que Geostock. Cette solution pourrait répondre aux besoins de flexibilité de long terme. Nous sommes actuellement dans une phase de validation industrielle pour démontrer l'efficacité de ce type de stockage.
Le deuxième type de stockage sur lequel nous travaillons est le stockage sous forme de chaleur par conversion thermique. Nous travaillons à titre d'exemple avec une petite entreprise française, Stolect, qui développe ce type de stockage. Il s'agit de transformer l'électricité en chaleur, de stocker l'énergie sous forme de chaleur et de la restituer sous forme électrique. Cette solution offre une empreinte environnementale extrêmement réduite et la non-consommation de matériaux critiques ou de métaux critiques.
Nous menons également des projets de recherche sur de nouveaux matériaux de batterie en partenariat et avec l'aide du CEA. Nous travaillons par exemple sur des batteries lithium-soufre, au stade de la R&D.
La thématique de la gestion de l'énergie correspond au deuxième type de flexibilité qu'a mentionné Monsieur Jacquemart, sur les pointes courtes et l'optimisation de la consommation. Il s'agit en l'occurrence de l'Energy Management System, soit des briques numériques permettant de déployer des services de gestion optimisée du système énergétique. Nous nous sommes, pour ce faire, appuyés sur des compétences en automatisme et en contrôle de système. Nous avons testé des solutions en réel sur nos bâtiments, qui montrent que l'on peut réaliser de 20 % à 30 % d'économies de facture d'électricité pour un particulier, un groupement de résidences, voire une entreprise. Cette technologie est basée sur des innovations numériques, l'accès à des données en temps réel et un protocole ouvert de pilotage des onduleurs de batteries. L'EMS recueille des données en temps réel, par exemple l'ensoleillement et calcule la production de panneaux photovoltaïques possibles sur 24 heures et le profil de consommation. Il établit ensuite un scénario de charge et de décharge optimal d'une batterie avec la contrainte de minimiser la facture. Il s'agit donc d'optimisation de la consommation et d'un élément très important dans la modulation de la flexibilité sur les pointes courtes. Aujourd'hui, nous en sommes à l'étape de démonstration avec des acteurs industriels. Nous travaillons avec un poseur de panneaux photovoltaïques qui propose des solutions chez les particuliers couplées avec des batteries. Avec EMS, le particulier va gagner jusque 20 % sur sa facture d'électricité. L'ambition consiste à étendre ce type de gestion de la consommation pour les pointes courtes.
Mme Catherine Rivière. - Nous voulions porter un dernier point à votre attention, concernant des besoins d'électricité nécessaires pour développer une filière de production d'électro-carburants pour les 15 prochaines années. Dans le domaine des e-fuels, 24 projets de production de carburants de synthèse sont en cours en France, dont sept sont en cours de développement à l'échelle industrielle. Nous sommes impliqués dans un de ces projets. La production d'e-fuels au travers de ces projets nécessitera l'équivalent de 3 % de l'ensemble de la production d'électricité française. Cet usage sera indispensable dans le cadre de la mobilité, pour décarboner le secteur aérien ou le secteur maritime.
Nous travaillons donc sur des briques technologiques, en utilisant nos compétences au mieux, dans un domaine en pleine évolution, avec de nombreux acteurs et essayant d'impliquer le plus tôt possible dans le développement des partenaires industriels.
M. Stéphane Sarrade. - Tout d'abord, je souhaite vous remercier de m'avoir invité à apporter une contribution aux travaux de votre Commission.
Le CEA est un établissement public à caractère industriel et commercial, comptant 21 000 collaborateurs. Ses activités technologiques et de recherche s'exercent au service de la souveraineté scientifique, technologique et industrielle de la France et de l'Europe, pour un présent et un avenir mieux maîtrisés et plus sûrs. Il adresse pour ce faire quatre défis majeurs de notre temps : la transition énergétique, la transition numérique, la santé du futur et la défense et la sécurité globales. À cela s'ajoutent des actions fondées sur un socle de recherche fondamentale intégré au CEA.
En 2020, après une réflexion interne de 18 mois, le CEA a opéré un mouvement significatif et a réorganisé ses activités pour bâtir et construire une vision intégrée des énergies, afin de regrouper, au sein de la Direction des programmes énergies la programmation en matière de recherche sur les énergies bas carbone, qu'il s'agisse d'énergie nucléaire, d'énergies renouvelables, mais aussi de systèmes hybrides impliquant ces deux sources d'énergie, les systèmes de stockage, les réseaux intelligents et bien sûr les sources de flexibilité. Aujourd'hui, plus de 4 000 personnes travaillent au sein de la Direction des énergies du CEA. Plus de 2 200 d'entre elles mènent des travaux de recherche dans les domaines suivants : nucléaire de deuxième et de troisième génération, nucléaire de quatrième génération, cycle des matières nucléaires, soutien aux activités de défense et R&D, pour l'assainissement et le démantèlement. Nous travaillons aussi sur les SMR et les systèmes couplés. Ces petits réacteurs sont d'ores et déjà conçus et imaginés pour produire de l'électricité, mais aussi de la chaleur, de l'hydrogène et peut-être des molécules à valeur ajoutée, comme les e-fuels. Nous travaillons sur les procédés de fabrication et de recyclage couplés à l'analyse du cycle de vie, à la simulation et l'économie circulaire du carbone. J'ajouterai parmi nos travaux la recherche transversale, la production solaire, l'efficacité énergétique des systèmes complexes, mais aussi les réseaux intelligents, le stockage et les solutions de flexibilité, le développement de batteries et développement du stockage thermique.
Globalement, 400 millions d'euros annuels sont consacrés à ces travaux, qui se traduisent par près de 250 dépôts de brevets par an. Ces activités sont menées dans toute la France, en lien avec des partenaires académiques et institutionnels, mais aussi industriels.
En termes de recherche amont, cela se traduit aussi par les implications du CEA dans le cadre des programmes d'équipements prioritaires de recherche. Nous copilotons avec nos collègues du CNRS le Programme et Equipements Prioritaires de Recherche (PEPR) hydrogène, le PEPR batteries et le PEPR relatif aux technologies bas carbone.
La convergence entre énergie bas carbone d'origine renouvelable et nucléaire est indispensable, de même que la réflexion sur l'ensemble des vecteurs énergétiques que sont l'électricité, le gaz, l'hydrogène et la chaleur. Les réseaux intelligents associés au pilotage de la demande doivent constituer des leviers de flexibilité et permettre de prendre en compte les productions énergétiques aux échelles nationales, mais aussi locales.
Adhésion de la société, économie circulaire et usage optimisé des ressources rares, flexibilité du nucléaire pour accommoder une pénétration croissante et souhaitée des renouvelables, nouveaux usages du nucléaire, photovoltaïques de nouvelle génération, production d'hydrogène par électrolyse à haute température, batteries innovantes, mécanismes technico-économiques : autant de sujets que le CEA aborde par le biais de la réflexion prospective et de l'innovation scientifique, technique et technologique. C'est uniquement sur ces plans que le CEA adresse les questions de flexibilité auxquelles j'aurais, Monsieur le Président, le plaisir d'apporter ma contribution.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Merci pour ces présentations. Plusieurs des questions que nous avons posées n'ont pas encore obtenu de réponses. Notre dialogue devrait permettre d'y remédier. Monsieur Jacquemart a évoqué la flexibilité de la consommation. Il s'agit effectivement d'un axe très important. Aujourd'hui, quel est le pourcentage des factures que vous considérez comme incitatives ? Ces factures sont-elles suffisantes aujourd'hui ? Dans quelles directions fournir plus d'efforts ? Faut-il modifier le tarif heures pleines, heures creuses ? Selon moi, l'information est insuffisante concernant les tarifs qui sont appliqués et les économies qui pourraient être réalisées par les particuliers. J'aimerais vous entendre sur ces sujets.
Nos représentants de l'IFPEN ont indiqué qu'ils travaillaient sur l'éolien offshore flottant. Travaillez-vous également sur l'éolien terrestre ? Votre positionnement pose question.
Par ailleurs, comment utiliser le stockage de chaleur pour la flexibilité, à partir de l'électricité ? Pouvez-vous nous donner explications sur ce sujet ?
Le champ d'étude du CEA semble en outre s'être largement développé, au-delà du nucléaire. Qu'entendez-vous par votre travail sur le nucléaire de quatrième génération ?
M. Franck Montaugé, président. - J'aimerais vous poser une question générale. J'ai compris notamment à la lecture du rapport de RTE sur 2050 que les besoins en flexibilité étaient très dépendants de la composition du mix de production énergétique. Or ce point a un impact sur le coût de l'appareil global de production. Pourriez-vous nous indiquer la part des fonctions de flexibilité dans le coût total de production, suivant les deux ou trois hypothèses envisagées ? Cet élément impactera le prix de l'électricité pour les consommateurs.
M. Yannick Jacquemart. - Je vais commencer par la question du rapporteur portant sur les tarifs de l'électricité. Les tarifs réglementés de vente des clients résidentiels n'ont pas évolué dans leur forme depuis 30 ans. Cette situation pouvait convenir tant que le système électrique ne changeait pas dans ses fondamentaux ni dans sa physique, soit jusque 2015. Néanmoins, aujourd'hui que la transition énergétique est largement engagée, la situation évolue et les tarifs doivent changer. Pour prendre l'exemple des heures pleines, heures creuses, depuis une semaine, l'heure la moins chère de la journée correspond au créneau de 14 heures à 15 heures. Cela est surtout vrai de mars à octobre. Même l'hiver, les signaux de coûts et de prix correspondent à des périodes moins chères la nuit et au milieu de journée et à des périodes chères qui sont très marquées, avec deux pointes, très prévisibles, autour de 8 heures du matin et autour de 19 heures. Or les tarifs doivent refléter les coûts, en reprenant les principes qui ont toujours prévalus dans la tarification de l'électricité et en les appliquant à la réalité physique d'aujourd'hui. Idéalement, il faudrait prévoir des tarifs différents le week-end et la semaine. Ces mesures fonctionnent sans investissement. Il suffit de les réactiver, alors qu'elles sont souvent oubliées dans les discussions sur le mix électrique.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Ce tarif n'a pas évolué depuis 30 ans. Vous estimez qu'il va évoluer rapidement ? Quel est le pourcentage de factures incitatives ?
M. Yannick Jacquemart. - Aujourd'hui, 15 millions de clients sont soumis à ce tarif heures pleines, heures creuses. Je voudrais aussi attirer l'attention sur un élément très oublié de la consommation électrique, que sont les bâtiments tertiaires. Les appels d'offres des bâtiments de l'État et des collectivités publiques sont souvent négociés de façon déconnectée des directions techniques qui vont gérer ces bâtiments. Pour réussir une gestion saine et sobre de l'électricité, il faut rapprocher ces deux éléments, le Smart Grid et le Smart Building. J'ai la conviction que nous sommes à un moment particulier. Nous pourrions réussir dans les deux ou trois ans à venir à opérer un changement radical. Les bâtiments tertiaires doivent s'équiper de systèmes de gestion technique automatisés. De plus, dans les deux ans à venir, les prix de l'électricité vont évoluer. Enfin, nous sortons à peine d'une crise énergétique historique qui a totalement changé le rapport sociétal à l'électricité, d'une part sur le prix et d'autre part sur la sécurité d'approvisionnement. La capacité à accepter des changements est certainement beaucoup plus grande en ce moment qu'il y a trois ans. Pour ces trois raisons, RTE pense qu'un plan de développement à l'échelle, sous trois ou quatre ans, pourrait être lancé pour réapprendre à gérer notre consommation en complément de la gestion de la production et des autres flexibilités.
Pour répondre à votre question, Monsieur le Président, dans l'étude des Futurs énergétiques 2050, six scénarios de mix de production et différents scénarios de consommation sont étudiés. Il est très clair que les besoins de flexibilité dépendent de ces scénarios, puisqu'au premier ordre, le nucléaire est un moyen qui permet le suivi de charge. Notre nucléaire est flexible. Nous avons donc moins besoin de moyens complémentaires de flexibilité.
L'étude montre aussi que la dépendance dépend fortement de la proportion du solaire. Quand on atteint un certain niveau de solaire, cela pose un nombre de difficultés qu'il est plus onéreux de compenser que si l'on parle de l'éolien, dont la variabilité est différente. D'ici 2035, les décisions ont été prises de conserver le nucléaire existant, de chercher à le prolonger, etc.
À cet horizon, nous pourrons rencontrer des problèmes de flexibilité et quelques problèmes de sécurité d'alimentation, éventuellement pour quelques gigawatts. D'ici 2035, les besoins apparaissent si le nucléaire ne revient pas à son niveau de disponibilité historique, c'est-à-dire 55 gigawatts l'hiver. Cet hiver, nous avons produit 50 gigawatts pendant quelques semaines. C'est le rythme d'évolution de la consommation et la disponibilité du nucléaire qui constituent les points cruciaux. RTE s'est basée dans ce rapport sur une hypothèse prudente de 50 gigawatts de disponibilité. Dans ce cas, il nous manquerait quelques gigawatts à la pointe. Si le nucléaire fonctionne mieux dans les années qui viennent et parvient à être mieux disponible l'hiver, nous n'aurons pas besoin de moyens longs d'ici 2035. Les choses seront différentes en 2050, puisqu'alors, une grande partie du parc nucléaire existant aura fermé.
M. Franck Montaugé, président. - Si les conditions que vous évoquez ne sont pas remplies, quel levier pourra-t-il être utilisé ? Les importations ?
M. Yannick Jacquemart. - Tous les scénarios simulent des importations et des variantes dans lesquelles les importations sont limitées par une production insuffisante à l'étranger. Si le nucléaire n'arrive pas à remonter à sa disponibilité initiale, si la consommation croît très fortement, si la sobriété n'est pas plus généralisée, les scénarios appellent des besoins de flexibilité complémentaire. Le bilan prévisionnel présente tout un bouquet de ces ensembles de flexibilité possibles. Il ne revient pas à RTE de choisir, mais RTE fait l'analyse technique des mix de différents types de flexibilité.
M. Franck Montaugé, président. - Pouvez-vous développer ce « mix de flexibilités » ?
M. Yannick Jacquemart. - Quatre leviers sont disponibles technologiquement, deux correspondant à des utilisations courtes et les deux autres, à des utilisations longues. Les deux premiers correspondent aux batteries. Aujourd'hui, le territoire français dispose d'un peu moins de 1 gigawatt de batteries. En file d'attente, en demandes de raccordement, près de 5 gigawatts de batteries pourraient se raccorder sur le réseau électrique. Cependant, ces batteries correspondraient d'abord aux réglages de fréquences. Cela permet de dégager de la puissance disponible sur les autres moyens. Il nous faudrait néanmoins des batteries qui suivent le rythme du système électrique, c'est-à-dire qui chargent la nuit, déchargent le matin pendant la pointe, rechargent en journée, déchargent le soir, etc. Or les acteurs du domaine ne semblent pas avoir prévu de procéder à deux cycles par jour. Quelques doutes subsistent sur les conditions d'utilisation des batteries. Néanmoins, les batteries existent, elles se développent dans de nombreux pays et en France, mais pas toujours pour les usages qui nous intéressent ici. Les durées des batteries qui s'installent aujourd'hui sont assez courtes. À ma connaissance, il n'y a pas de batterie de quatre heures installée en France.
M. Franck Montaugé, président. - Et quelle serait la place de l'hydrogène ?
M. Yannick Jacquemart. - D'après ma connaissance de l'hydrogène, cette solution ne serait pas disponible immédiatement. Elle le sera certainement à horizon 2050, mais cela n'est pas certain à horizon 2030 ou 2035. Aujourd'hui, l'hydrogène en France utilisé dans l'industrie est produit par vaporeformage et donc émet du CO2.
Mme Catherine Rivière. - Nous avons été interrogés sur l'éolien flottant et sur le stockage de la chaleur. L'exemple de l'éolien flottant que nous avons mis en avant vise à démontrer notre mode de fonctionnement, en partant de nos compétences de compréhension d'une plateforme en mer pour développer les énergies nouvelles par l'éolien flottant, jusqu'à une industrialisation. Nous travaillons aussi dans le domaine de l'éolien terrestre, en particulier grâce à notre filiale créée l'année dernière, GreenWITS, qui modélise un système d'électricité par éolien sur un parc de plusieurs éoliennes.
M. Benjamin Herzhaft. - Le stockage constitue une solution de flexibilité. Le stockage de l'énergie électrique nécessite de transformer cette dernière. Avec le stockage par air comprimé, nous faisons passer l'énergie électrique dans un compresseur et nous dégageons de la chaleur.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - En quoi cela a-t-il une influence sur la flexibilité ?
M. Benjamin Herzhaft. - Le stockage est un élément de la flexibilité. Une technologie de stockage est utile en cas de production d'électricité en excès, lors d'une pointe.
M. Franck Montaugé, président. - Les nappes salines sont par exemple utilisées en France pour stocker le gaz naturel. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces projets de stockage ?
M. Benjamin Herzhaft. - Des stockages de ce type sont effectifs en Allemagne et aux USA, mais pas en France. Ces technologies de stockage, comme les STEP, adressent plutôt les temps longs. Ils représentent des investissements très importants et ces possibilités ne sont pas encore développées en France. D'autres technologies de stockage peuvent être utilisées dans un mécanisme de flexibilité en cas de production excédentaire, pour une réinjection sur le réseau en cas de besoin. Je vous ai cité deux briques technologiques qui sont aujourd'hui à l'étape de démonstration industrielle.
M. Franck Montaugé, président. - Je n'ai pas obtenu de réponse à ma question portant sur les coûts des flexibilités.
M. Yannick Jacquemart. - Vous souhaitez évoquer les coûts à horizon 2050 ?
M. Franck Montaugé, président. - Oui.
M. Yannick Jacquemart. - Ils peuvent être très importants, notamment dans les scénarios qui sont très locaux et très photovoltaïques.
M. Franck Montaugé, président. - Nous observons des différences sensibles suivant le scénario dans lequel on s'inscrit.
M. Yannick Jacquemart. - Oui, c'est écrit dans le rapport. Je suis désolé, je n'ai pas le chiffre en tête.
M. Franck Montaugé, président. - L'adaptation du réseau, le transport, la distribution et les techniques mises en oeuvre auront un impact direct sur les prix. Ces sujets nous intéressent.
M. Yannick Jacquemart. - Je n'ai pas ces chiffres en tête. Nous pourrons vous les fournir après l'audition.
M. Stéphane Sarrade. - Les rapports de RTE sur les scénarios représentent des travaux très importants et très structurants. D'après ces rapports, le coût de la flexibilité représente de l'ordre de 20 % pour les scénarios qui utilisent le renouvelable majoritairement et de 5 % pour les scénarios basés sur le nucléaire.
Je ne suis pas certain du lien avec les travaux de la commission aujourd'hui, mais je peux évoquer les réacteurs de quatrième génération, en réponse à votre question. Nous travaillons effectivement sur les réacteurs de quatrième génération. À l'heure actuelle, je finance 135 ETP sur ce sujet, auxquels s'ajoutent les doctorants, les post-doctorants et les stagiaires. Nous travaillons sur les réacteurs de quatrième génération, à la fois les réacteurs de puissance, mais aussi les petits réacteurs dits « AMR ». Le CEA a pour rôle de travailler sur ces sujets et de donner aux industriels les outils et les données pour imaginer le transfert et prendre part à la R&D sur certains domaines de quatrième génération, en particulier le combustible et le cycle combustible associé. Nous travaillons sur les réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium, puisqu'il s'agit de la filière que nous jugeons la plus mature, même si ces réacteurs de puissance sont encore beaucoup plus chers que les réacteurs de troisième génération. Nous travaillons aussi sur la filière la moins mature de la quatrième génération : les réacteurs à sel fondu. Nous sommes en veille sur d'autres filières, notamment les réacteurs hautes températures. Depuis deux ans, nous accompagnons, dans le cadre de France 2030, l'ensemble des projets de start-ups dans le domaine des SMR et des AMR, soit 18 projets au total.
M. Daniel Salmon. - Merci pour vous exposer. J'ai l'impression que nous sommes passés de la réelle flexibilité au stockage, alors qu'il s'agit d'éléments différents.
Pourriez-vous revenir sur le marché NEBEF, qui est un marché de flexibilité avec des blocs d'échange ? Qu'envisage-t-on à cet égard dans le secteur de l'industrie ?
Nous avons également évoqué une conscientisation des citoyens concernant le prix de l'énergie qu'ils consomment. Les compteurs Linky ont été mis en place, pour que le citoyen ait conscience de la consommation instantanée dans la maison et du prix de l'électricité. Cela aurait un véritable impact sur la consommation par le biais du portefeuille. Ne pourrait-il pas être obligatoire que chaque foyer se dote de compteurs déportés ?
En ce qui concerne le stockage, nous avons parlé du stockage potentiel dans les batteries de nos véhicules. Ce sujet est-il estimé ? Comment cette technologie peut-elle fonctionner pour être disponible aux heures de pointe ?
La fatigue des batteries doit être prise en compte. Un vieillissement prématuré se constate-t-il pour les batteries de véhicules ?
Je souhaitais enfin revenir sur le stockage à air comprimé dans les nappes salines. Où en sommes-nous de cette technologie ? Un passage au stade opérationnel est-il envisagé ? Quelles sont les capacités de stockage d'énergie dans ces nappes salines ?
Mme Denise Saint-Pé. - Je vous remercie, Madame et Messieurs, pour avoir accepté de vous produire devant nous cet après-midi. Je demeure un peu interrogative. Notre table ronde porte sur « l'enjeu de la flexibilité, gage de la sécurité d'approvisionnement électrique ». On aurait pu ajouter la maîtrise des coûts dans cet intitulé. En effet, les parlementaires sont largement animés par la maîtrise des coûts de ce tarif de l'électricité.
Vous nous avez indiqué que vous aviez la volonté d'encadrer la consommation. Je vous rappelle que notre réflexion d'aujourd'hui porte sur la flexibilité. Certes, il est nécessaire de travailler sur la consommation. De la flexibilité dépendra le coût de l'énergie finale.
Monsieur Jacquemart, vous nous avez indiqué que vous utilisiez déjà toutes les énergies décarbonées. L'hydroélectrique nous permettrait de pallier la pointe et de répondre à un cataclysme si jamais nous manquions d'électricité. Cependant, quelle est la première source d'énergie ? Le nucléaire, puis les énergies renouvelables ? Ces dernières sont plus chères que le nucléaire. Quel est le cadencement ? Il est important que vous nous expliquiez ce mécanisme de flexibilité.
En ce qui concerne le stockage en batterie, je demeure inquiète, parce que nombre de professionnels ne semblent pas prêts aujourd'hui à travailler avec un système de batteries qui nous permettrait de stocker un maximum d'énergie pour être réinjectée sur le réseau.
M. Yannick Jacquemart. - NEBEF est un mécanisme de notification d'échange de blocs d'effacement. Il s'agit d'un mécanisme de marché qui a été créé il y a une dizaine d'années pour pratiquer de l'effacement, notamment auprès d'industriels. Il concerne aujourd'hui des volumes significatifs, mais pas gigantesques. En 2022, ces volumes ont beaucoup augmenté, parce que les prix de l'électricité ont augmenté. Globalement, les effacements développés depuis une dizaine d'années représentent une puissance d'environ 3,5 gigawatts. Il s'agit d'un mécanisme d'effacement que j'appelle « assurantiel », c'est-à-dire une modification de consommation au moment où les prix sont élevés.
Il est aussi possible de développer la flexibilité sous l'angle de la consommation, c'est-à-dire le décalage, par exemple pour la modulation de la programmation des chauffe-eaux ou la recharge de véhicules électriques. Il s'agit là de « modulations de consommation », plus que de « flexibilité » proprement dite. Grâce à ces mécanismes, le consommateur bénéficie des prix bas, puisqu'il consomme davantage au moment où les prix sont bas. Cela nous permet de préserver à la fois la facture du consommateur et la tension sur le système électrique. Il est important de remettre ce levier au goût du jour.
Madame Saint-Pé, vous m'avez demandé des précisions sur le merit order. Les décisions de faire fonctionner les centrales sont prises indépendamment du coût d'investissement. Ce n'est pas RTE qui prend ces décisions. Ce sont bien les producteurs qui proposent leurs moyens de production à un certain prix. RTE se contentent de gérer les écarts pour s'assurer que le système soit bien équilibré.
Les énergies renouvelables, pour ce qui concerne le photovoltaïque et l'éolien, présentent des coûts marginaux nuls. Elles sont donc sollicitées les premières. Le nucléaire présente un coût variable très faible, mais non nul. Il est donc utilisé après ces énergies. L'hydraulique est plus complexe, mais ces technologies sont globalement plus chères. Les énergies thermiques viennent quant à elles à la fin. À certains moments de la journée, seules des énergies décarbonées vont être mises en oeuvre, souvent de 10 heures à 17 heures et le soir à partir de 20 heures. C'est lors des pointes du matin et du soir que les énergies les plus chères sont sollicitées et que le prix de l'électricité doit être le plus cher. La consommation lors des moments de disponibilité d'énergie décarbonée, qu'elle soit nucléaire ou d'origine renouvelable, doit donc être moins onéreuse.
Le vehicle to grid constitue une technologie très intéressante. Il peut s'agir d'un soutien de flexibilité tout à fait important pour ces moments de creux. Les batteries de véhicules électriques sont dimensionnées pour rouler assez longtemps, par rapport à leur puissance. À horizon 2050, il pourra s'agir d'un levier important.
En ce qui concerne la fatigue des batteries, il semble que ces dernières soient assez largement dimensionnées, sans qu'il soit nécessaire d'aller chercher les zones extrêmes de charge ou de décharge de la batterie. L'usure et le vieillissement de la batterie pourraient être modérés.
M. Stéphane Sarrade. - La batterie d'un véhicule, à l'heure actuelle, représente 50 kilowattheures, alors que notre discussion porte sur 3 à 5 kilowattheures. L'objectif consiste à concevoir des batteries toujours plus performantes, qui ne nous amènent pas d'une dépendance à une autre, notamment la dépendance vis-à-vis des matières premières critiques. Un important travail est fourni actuellement pour substituer le lithium par le sodium ou le potassium et utiliser moins de lithium.
La batterie est bidirectionnelle, puisqu'elle reçoit de l'énergie et en réinjecte, mais la borne de recharge est souvent monodirectionnelle. La vision RTE à 2035 correspond à 11,7 millions de véhicules électriques. Il s'agit donc d'un enjeu très important, avec ce service que le citoyen rendra au réseau. La question se posera donc de la rémunération de ce service, avec un intérêt majeur pour la flexibilité.
M. Yannick Jacquemart. - Au Royaume-Uni, un fournisseur d'électricité propose, si vous chargez votre véhicule à telle fréquence, de vous offrir l'ensemble des recharges du véhicule sur toute l'année. Cet exemple montre donc bien l'avantage économique pour le constructeur et le fournisseur.
Mme Christine Lavarde. - Les pertes d'énergie dues à ces transformations successives ont-elles été estimées ? Ce volume d'énergie perdue varie-t-il en fonction des technologies.
Par ailleurs, vous avez fait référence à France 2030. Quel est votre regard de l'état stratège et de la manière dont sont choisis les projets soutenus par France 2030 ? S'agit-il selon vous des projets les plus pertinents ? Les milliards d'euros investis dans ce programme, qui échappent complètement au contrôle du Parlement, sont-ils bien investis selon vous ?
M. Daniel Gremillet. - J'aurais souhaité vous poser plusieurs questions. Vous avez indiqué que les énergies renouvelables étaient les moins onéreuses, suivi du nucléaire. Cependant, dès lors que nous avons besoin d'une capacité de production pilotable nécessaire, plus les investissements sont importants, plus les frais fixes sont bas, ce qui permet de diminuer le coût de production. Nous avons besoin d'avoir une vision du prix de l'énergie électrique, notamment pour envisager une certaine réindustrialisation de la France. Le prix de l'énergie et la garantie de fournir de l'énergie sont déterminants de ce point de vue.
Par ailleurs, combien de temps s'écoule entre le moment du stockage de l'énergie et sa réinjection ? Pendant combien de temps l'énergie est-elle stockée ?
Avons-nous en outre de la visibilité sur la capacité à accompagner, dans notre territoire, les moyens de sécurité indispensables au développement des SMR et des AMR ? L'ASN et l'IRSN ne semblent pas forcément dimensionnées pour répondre aux questions que se posaient les start-ups. Combien d'énergie pourrait-elle être produite par ces technologies ?
M. Stéphane Sarrade. - Vous posez la question des rendements. Lorsque l'on utilise de l'électricité pour fabriquer de l'hydrogène par électrolyse, nous mobilisons 50 kilowattheures d'électricité pour fabriquer un kilogramme d'hydrogène, contenant 33 kilowattheures d'énergie latente. Avec la transformation de cet hydrogène, nous fabriquons 15 kilowattheures, soit un rendement de 30 %. Grâce à l'hydrogène ou à la chaleur, il est possible de stocker l'électricité sur une longue durée et de produire de l'électricité lorsque la valeur de l'électricité n'est pas la même que lors de son stockage. Cette notion de flexibilité est un service apporté au-delà de l'électricité.
M. Franck Montaugé, président. - Je souhaite prolonger cette question. Est-il envisageable de s'affranchir du gaz naturel pour la centrale marginale, appelée à équilibrer le réseau ? Il s'agit d'une question de souveraineté nationale. La France peut-elle s'affranchir de cette dépendance à caractère géopolitique ?
M. Stéphane Sarrade. - J'ignore si la réponse à votre question est « oui », mais tel est notre objectif. Nous travaillons sur ces sujets-là pour justement sortir des énergies fossiles. Tel est notre objectif, mais j'ignore à quelle échéance nous l'atteindrons.
M. Franck Montaugé, président. - La commande l'État est-elle claire sur ce point ?
M. Stéphane Sarrade. - La commande de l'État est claire : il s'agit du net zéro à horizon 2050.
Pour revenir sur France 2030, trois thématiques intéressent le CEA, dont le nucléaire innovant. 1 milliard d'euros a été dédié au soutien du SMR français et à un appel à projets, qui a fait émerger des nouveaux acteurs. Le CEA accompagne ces projets. Une autre thématique concerne les énergies renouvelables. Pour stocker et utiliser l'hydrogène, il faut commencer par fabriquer ce dernier. Or le coût de cette fabrication dépend du coût de l'électricité. Cela passe aussi par le développement d'électrolyseurs. À titre personnel, je considère que France 2030 constitue une force motrice très importante et structurante.
Pour revenir sur les SMR, je ne parlerai pas au nom de l'ASN et de l'IRSN. L'État a la volonté de faire émerger de nouveaux acteurs, autour de réacteurs de plus petite taille. Dès le départ, l'ASN a indiqué qu'elle n'était pas organisée pour ce faire, mais qu'elle accompagnerait également ces projets. Le lien entre l'ASN, les AMR et les SMR existe donc. Avec le projet de SMR français, Nuward, porté par EDF, pour la première fois, dès la conception du réacteur, trois autorités de sûreté ont été associées : l'autorité de sûreté nationale française, l'autorité de sûreté finlandaise et l'autorité de sûreté tchèque.
La dernière question portait sur le coût de l'énergie et le positionnement. Je ne vais pas parler au nom des porteurs de ces projets. Cependant, il y a quelques jours, le CEO de Newcleo, Stefano Buono, évoque un coût de 4 euros du watt installé. Le petit réacteur de 200 mégawatts électriques représente donc un coût industriel de 800 millions d'euros.
Mme Catherine Rivière. - Plusieurs questions ont été posées à l'IFPEN. Le programme France 2030 nous a aidés sur deux sujets importants. En ce qui concerne le champ industriel, nous avons pu faire la démonstration de l'intérêt de nos procédés et de nos briques technologiques, dans le domaine des biocarburants et du captage du CO2, par exemple. Par ailleurs, le soutien de France 2030 aux PEPR permet de structurer des feuilles de route nationales sur des sujets importants. Nous sommes copilotes de trois PEPR, sur la décarbonation de l'industrie, la digitalisation des mobilités et sur les produits biosourcés.
Une autre question portait sur la flexibilité. Le pilotage de l'autoconsommation par un système digital spécifique permet à terme de diminuer la facture du consommateur.
M. Benjamin Herzhaft. - Au sujet de l'autoconsommation individuelle, vous avez mentionné l'intérêt pour le consommateur d'avoir une vision des économies qu'il peut réaliser. La technologie que nous développons permet justement d'optimiser l'autoconsommation individuelle. Depuis quelques années, la croissance de l'autoconsommation individuelle est assez forte. Nous proposons des tableaux de bord digitaux, qui permettent au consommateur de suivre ses économies en temps réel.
Vous nous interrogez également sur la maturité des technologies de stockage par air comprimé. Aujourd'hui, nous considérons que la R&D est terminée sur ce sujet. Nous en sommes à l'étape de démonstration industrielle. Nous avons donc besoin de partenaires industriels qui veulent s'engager et du soutien de France 2030, par exemple. Il s'agit de capacités de stockage de grande capacité, pour des besoins en temps long, de quelques heures à quelques jours et des puissances de l'ordre de 100 mégawatts.
Enfin, chaque transformation fait effectivement perdre de l'énergie. La recherche sur les technologies consiste ainsi à optimiser le rendement. L'AACAES permet d'obtenir des rendements de 70 % à 75 %, ce qui est considérable pour ces puissances-là.
Effectivement, c'est le sérieux net zéro à horizon 2050 qui sous-tend toutes nos recherches. Ce scénario se décline au niveau européen, au niveau français, avec la planification écologique, notamment. Cette planification affiche des ambitions considérables en termes d'éolien flottant, qui nécessitent une montée en technologie importante.
M. Yannick Jacquemart. - Pour répondre à la question de Madame Lavarde, le rendement des batteries doit être de l'ordre de 80 %.
Monsieur Grémillet, effectivement, l'amortissement des coûts fixes reste une bonne pratique économique. Le merit order porte cependant sur l'utilisation. Par ailleurs, de nombreuses filières de l'électricité sont très capitalistiques : nucléaire, hydraulique, éolien, photovoltaïque, etc. Une fois qu'elles sont développées, nous avons donc intérêt à toutes les utiliser, d'autant qu'elles sont décarbonées et que 60 % de l'énergie consommée en France est d'origine fossile.
Ensuite, vous m'avez posé la question du temps qui s'écoule entre le moment où l'on stocke l'énergie et la délivrance. L'électricité hydraulique peut être réinjectée très rapidement, mais, de ce point de vue, les batteries sont imbattables. Toute la réserve primaire de France est désormais stockée sur des batteries directement connectées au réseau.
Vous m'interrogez également sur le temps entre le moment où l'on stocke et le moment où l'on déstocke. Je ne suis pas certain qu'une batterie puisse se garder aussi longtemps qu'un barrage hydraulique, par exemple. Les projets de recherche dont mes collègues font état sont de même nature et ont trait au stockage long.
Sur le sujet extrêmement sensible et extrêmement important du prix variable, les moyens de base qui fonctionnent longtemps seront toujours des moyens aux coûts fixes importants et aux coûts variables faibles. Toutefois, pour les pointes, nous aurons toujours besoin de moyens aux coûts fixes plus bas. La logique du coût marginal est essentielle pour décider les centrales qui fonctionnent à court terme. Néanmoins, elle est utilisée aujourd'hui pour trois éléments. Elle est utilisée pour le dispatch, pour rémunérer les producteurs et pour facturer les consommateurs, ce qui pose problème. La façon la plus naturelle d'envisager ces situations consiste à conserver des signaux de court terme sur des coûts marginaux. La rémunération de tous les producteurs au coût marginal ne constitue peut-être pas la meilleure solution ni la facturation de tous les clients au coût marginal, surtout quand ce coût marginal vient plutôt de l'étranger. Les moyens à coûts fixes faibles, mais à coûts variables très importants seront toujours préférables pour les pointes, pour les utilisations occasionnelles. Néanmoins, il ne faut pas facturer tous les clients à ce prix-là.
M. Franck Montaugé, président. - Comment faudrait-il opérer la distinction ?
M. Yannick Jacquemart. - Mon mandat RTE ne m'autorise pas à m'exprimer sur le sujet.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Je souhaitais revenir sur les compteurs Linky. Nous avons évoqué la possibilité d'informer le consommateur très rapidement par ce biais. Cette perspective vous semble-t-elle envisageable rapidement ? Qui travaille sur ce sujet ? Il s'agit d'un facteur de flexibilité sur la consommation non négligeable.
Je souhaitais également évoquer les risques de rupture et les nécessités d'importation de l'électricité. Préconisez-vous de construire de nouvelles centrales thermiques au biogaz ?
Vous avez fait référence aux recharges bidirectionnelles, en lien avec les batteries. D'autres usages permettraient-ils d'utiliser cette intelligence de la recharge bidirectionnelle ?
M. Yannick Jacquemart. - Je vais revenir sur la question des compteurs, en tenant compte également des bâtiments tertiaires. Ce n'est pas RTE qui est en charge de ce comptage. C'est ENEDIS ou les autres sociétés de distribution en France, les entreprises locales de distribution. Je ne vais pas répondre techniquement sur la capacité de faire le déport, mais je m'inscris pleinement dans la dynamique que vous mentionnez. Il est important, pour avancer vers une consommation la plus efficace possible au regard des moyens disponibles, de rapprocher la gestion technique du bâtiment des informations de prix. Nous y travaillons, avec de nombreux acteurs.
En ce qui concerne les centrales au gaz, le bilan prévisionnel que RTE a publié en septembre dernier, mentionne la possibilité, dans certaines variantes, de recourir à quelques centrales thermiques supplémentaires. Ce point est cependant soumis à certaines conditions. Dans cette estimation, nous aurions besoin de 1 à 2 gigawatts si le nucléaire n'arrive pas à être plus fiable que 50 gigawatts l'hiver. Si le parc est capable de redonner 55 gigawatts, ce besoin disparaît. C'est la puissance publique qui sera décisionnaire à ce propos.
Sur le bidirectionnel, je ne connais que la technologie de la batterie. Nous pouvons toutefois identifier les consommations décalables de recharge des batteries, des chauffe-eaux, de la production de froid dans le tertiaire, etc. Certaines consommations peuvent également être modulées, en respectant le tunnel de confort au moment de la pointe.
Mme Denise Saint-Pé. - Je voulais revenir sur la possibilité pour le compteur Linky de donner aux particuliers l'information de sa consommation. Il semble que le particulier peut déjà disposer de cette information de consommation, à la condition de s'acquitter d'un service supplémentaire au distributeur d'électricité.
M. Yannick Jacquemart. - RTE estime la consommation globale sur le réseau, mais nous ne faisons pas la somme des 37 millions de compteurs Linky ni des autres consommateurs.
M. Daniel Salmon. - J'aimerais une précision sur les coûts variables. Je ne comprends pas que l'hydraulique au fil de l'eau soit appelé après le nucléaire. Je suppose que le coût variable de l'hydraulique barrage est également très faible. Néanmoins, le gestionnaire du barrage a sans doute un intérêt d'écouler forcément son énergie au moment où elle est la plus chère. En outre, quel est le coût variable du nucléaire ? Je suppose que, si le combustible est consommé sur une durée plus longue, le temps de rechargement de la centrale augmente le coût variable.
M. Yannick JACQUEMART. - L'hydraulique au fil de l'eau fait partie des énergies à coût marginal nul. En matière d'hydraulique barrage, depuis 40 ans, nous gérons la rareté de l'eau. Il est plus intéressant d'attendre les moments où cette énergie produite par l'eau viendra remplacer un moyen très cher que de l'utiliser dès le début. Il s'agit d'un principe d'optimisation très ancien chez EDF. C'est le même principe qui est d'ailleurs utilisé pour les centrales nucléaires en gestion de stock. Les prix offerts sur les marchés ne reflètent pas le coût marginal au sens économique comptable. Ils reflètent une valeur d'opportunité, qui est représentée par l'eau de ces lacs ou par le combustible nucléaire la centrale.
Pour répondre à la question sur le chiffre, il me semble que le coût variable du nucléaire se monte à 5 euros du mégawattheure. Ce point doit cependant être vérifié et sera confirmé par écrit. Ce coût est bien plus faible que celui des autres sources d'énergie, hormis ceux de l'hydraulique au fil de l'eau et du renouvelable.
M. Daniel Gremillet. - Ma question pouvait être mise en lien avec une question posée à l'occasion d'une autre audition, sur les 200 milliards d'euros nécessaires au transport. En fonction des choix qui seront faits, ce point a son importance. C'est pour cela que nous nous prononcés très tôt en faveur du bidirectionnel. Il ne devrait pas être possible d'autoriser des bornes qui ne seraient pas bidirectionnelles. Quels éléments pourraient diminuer les 200 milliards d'euros d'investissements sur le transport ?
Par ailleurs, alors que notre pays compte de nombreux cours d'eau, pourquoi ne parvenons-nous pas à développer l'énergie hydrolienne ?
M. Yannick Jacquemart. - Le coût du réseau de transport ne représente pas 200 milliards d'euros, mais 100 milliards d'euros, auxquels il faut ajouter 100 milliards d'euros pour le réseau de distribution.
RTE a lancé la semaine dernière une consultation publique sur son schéma décennal de développement du réseau. À cet égard, tout n'est pas lié aux choix du mix. Toute une partie a trait au renouvellement du réseau. Nous connaissons une période historique, où l'essentiel du réseau de transport atteint l'âge honorable de 80 ans. Il convient donc d'éviter de devoir gérer une dette technique trop importante dans les années qui viennent.
Il est nouveau que des consommateurs se raccordent sur le réseau de distribution. Les demandes de raccordement atteignent un niveau inédit depuis 20 ans, pour des data centers en région parisienne, pour de grands centres industriels, ainsi que pour des raccordements de batteries et de stockage. Les EPR engendreront également des flux supplémentaires. Certes, l'éolien offshore représente une part importante de ces coûts, tout comme le raccordement de production renouvelable dans des zones où le réseau était faible, par exemple dans le Massif central. Même si nous changions de mix énergétique, les coûts sur le réseau devraient augmenter.
Mme Denise Saint-Pé. - Le coût du raccordement est-il bien à la charge du producteur ?
M. Yannick Jacquemart. - Tout dépend des parties du réseau. Pour les producteurs d'énergie renouvelable, des schémas régionaux qui ont été établis pour qu'une quotepart soit partagée.
M. Franck Montaugé, président. - Merci pour vos contributions à nos débats.
La réunion est close à 18h30.