Mercredi 6 mars 2024
- Présidence de Jean-François Rapin, président -
La réunion est ouverte à 13 h 30.
Environnement et développement durable - Souveraineté alimentaire européenne et mondialisation ; éthique, corruption et lanceurs d'alerte ; l'Union européenne face au changement climatique - Audition de membres de la délégation française au Comité économique et social européen (CESE)
M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, il nous revient de procéder à des nominations que nous ne pouvons plus retarder.
D'abord, la matinée d'aujourd'hui l'a montré, nous avons intérêt à réveiller le groupe de suivi de la politique agricole commune (PAC) que notre commission partage depuis plusieurs années avec la commission des affaires économiques et dont j'ai demandé la reconstitution à la présidente de cette commission, notre collègue Dominique Estrosi Sassone.
Ce groupe compte 20 membres, désignés à la proportionnelle des groupes politiques. Nos deux commissions y sont représentées à parité, ce qui implique pour notre commission d'y désigner dix membres.
La dernière réforme de la Politique agricole commune, conclue fin 2021, est entrée en vigueur le 1er janvier 2023. Cette nouvelle PAC signifie moins de revenus pour nos agriculteurs et davantage de contraintes. Il y a par conséquent du travail pour en suivre la mise en oeuvre aussi je vous propose de désigner membres du groupe de suivi PAC nos collègues : Jean-Michel ARNAUD, Daniel GREMILLET, Pascale GRUNY, Louis-Jean de NICOLA•, Karine DANIEL, Gisèle JOURDA, Nadège HAVET, Silvana SILVANI, Vincent LOUAULT, et moi-même.
Par ailleurs, les négociations entre l'UE et la Suisse reprennent. Nous sommes saisis du projet de mandat de négociation confié par le Conseil de l'UE à la Commission européenne en vue de la conclusion de nouveaux accords bilatéraux entre l'UE et la Suisse. Je vous propose donc de nommer des rapporteurs et de reconduire le duo Cyril Pellevat et Florence Blatrix Contat, qui avait déjà travaillé sur le sujet et fait une communication à ce propos devant notre commission en novembre 2021.
Aujourd'hui, nous accueillons une délégation de membres français du Comité économique et social européen. Ce CESE, institué par le traité de Rome de 1957, ne doit pas être confondu avec le CESE français, même si peuvent être relevées de fortes analogies entre eux. Tous deux, en effet, sont des organes consultatifs et représentent la diversité des groupes sociaux. Même si le même acronyme les désigne, l'un, au niveau français, porte le titre de conseil, tandis que l'autre, au niveau européen, porte le titre de comité.
Le rôle du Comité économique et social européen est de communiquer aux institutions européennes l'opinion des représentants de la vie économique et sociale. Il se compose de 329 conseillers, qui sont organisés en trois groupes représentatifs, employeurs, salariés et autres activités de la société civile, et qui représentent l'ensemble des États membres. Sur les 24 membres français, près de la moitié sont présents aujourd'hui. Nous les en remercions. J'adresse un merci tout particulier à Thierry Libaert qui est le point de contact de la délégation française et qui a facilité l'organisation de cette rencontre. Nous sommes convenus d'aborder ensemble trois sujets d'intérêt partagés par notre commission et le CESE : la souveraineté alimentaire européenne ; la corruption, l'éthique et les lanceurs d'alerte ; la lutte contre le dérèglement climatique.
Nous avons en effet en commun d'appartenir à des assemblées qui portent la parole des citoyens sur les grands enjeux européens, notamment sur les trois thèmes que nous avons choisi d'aborder ce matin.
Nous serions d'abord curieux d'en savoir davantage sur la mission et le fonctionnement du CESE, qui semble complexe à première vue : le CESE comprend donc trois groupes, mais également des catégories composées de membres de ces différents groupes ; il se compose en outre de sept sections spécialisées par thèmes - correspondant d'ailleurs en partie aux catégories déjà évoquées - et d'une nouvelle commission consultative, ainsi que d'un observatoire. Comment cet ensemble s'articule-t-il ? Est-ce que la dimension nationale joue aussi dans l'organisation des travaux ? De ce point de vue, pouvons-nous identifier les travaux que mène la délégation française au CESE ? Quels liens entretient-elle avec notre Conseil économique, social et environnemental ?
Je propose à Thierry Libaert de réaliser cette présentation liminaire. Vous êtes président de la catégorie Consommation & environnement du CESE ; vous avez une carrière d'enseignant et de chercheur. Vous êtes aujourd'hui collaborateur scientifique au « Earth & Life Institute » de l'Université catholique de Louvain, en plus de présider l'Académie des Controverses que vous avez cofondée. Je vous donne la parole. Ensuite, nous aborderons chacune des questions telles que nous les avons évoquées. Nous entendrons un propos liminaire de chaque rapporteur puis laisserons la parole aux sénateurs à chaque étape.
M. Thierry Libaert, porte-parole de la catégorie Consommation et environnement du CESE, collaborateur scientifique du Earth & Life Institute (Université catholique de Louvain) et président de l'Académie des controverses. - Merci beaucoup, Monsieur le Président. Je reviens sur les points essentiels. L'Union européenne compte deux organes consultatifs, notre Comité et le Comité des Régions, qui assument un rôle similaire. Par rapport au CESE français, la différence est symbolique. Nous ne nous occupons pas, en effet, de l'environnement. Le CESE est le Comité Économique, Social et Européen. Vous l'avez indiqué : il se compose de 329 membres, dont 24 Français. La délégation française est l'une des plus importantes, avec celles de l'Allemagne et de l'Italie. La répartition des 24 membres français prévoit une égalité entre les trois groupes, avec huit représentants du monde de l'entreprise, huit représentants des organisations syndicales et huit représentants, pour le dire rapidement, du secteur associatif, des ONG environnementales, des associations de consommateurs, droits humains, etc.
Je voudrais souligner une caractéristique importante du CESE : son abondante production. Nous produisons en moyenne 200 avis par an. Chaque avis demande entre cinq et six mois de travail. Les avis sont remis, pour la plupart (environ 80 %) à la demande des institutions, principalement de la Commission européenne. Certains sont des avis d'initiative, c'est-à-dire qu'ils portent sur un sujet que nous avons nous-mêmes proposé de travailler. Enfin, il existe des avis exploratoires, à la demande du pays qui préside l'Union européenne.
J'ajoute une dernière caractéristique de notre travail, par rapport à celui du Sénat, de l'Assemblée nationale ou du Parlement européen : nous ne cherchons pas à faire voter un avis à la majorité simple, soit 50 ou 51 % des voix. Nous suivons une règle tacite : dans notre culture, si un texte ne parvient pas à obtenir 80 ou 85 % de votes favorables, c'est un échec. En d'autres termes, nous sommes en recherche permanente du compromis. Nous voulons voter un avis pour ensuite indiquer à la Commission européenne, au Conseil européen et au Parlement européen : « Vous pouvez avancer sur tel projet parce que la quasi-totalité du monde de l'entreprise en Europe, des salariés, des organisations syndicales, du secteur associatif, est en soutien. ». Je crois par conséquent important de préciser que notre mission consiste en un travail sur l'acceptabilité de l'ensemble des décisions. Notre légitimité vient de notre capacité à proposer des sujets sur lesquels nous pouvons obtenir un consensus dans l'ensemble des 27 pays de l'Union Européenne.
M. Pierre Bollon, Délégué Général de l'Association Française de la Gestion Financière (AFG). - J'ajoute que nous rendons systématiquement un avis sur l'ensemble des propositions de directives et de règlements, comme si le CESE français donnait un avis sur tous les projets de loi, ce qui n'est pas le cas. C'est pourquoi nous produisons en moyenne 200 avis par an. Dès lors qu'une proposition de directive ou de règlement est publiée par la Commission, elle est évidemment transmise au Conseil et au Parlement pour décision, mais également pour avis au CESE et au Comité des régions.
M. Jean-François Rapin, président. - Quels sont les éléments sur lesquels portent vos avis ? Portent-ils sur le fond de la proposition ou sur le contrôle du principe de subsidiarité ?
M. Thierry Libaert. - Ils concernent l'ensemble des sujets, à l'exception des sujets régaliens. Par exemple, les questions de police intérieure, de justice, de défense nationale sont situées en-dehors de notre champ de compétences. Sinon, nous avons vocation à intervenir sur tous les sujets.
M. Jean-François Rapin, président. - Je précise ma question. Sur chaque sujet, réalisez-vous une analyse sur le fond ? Ou réalisez-vous une analyse quant au respect du principe de subsidiarité ? Ces deux volets relèvent en effet des missions de notre commission.
M. Thierry Libaert. - Nous travaillons clairement sur le fond du sujet. Nous ne travaillons pas sur la subsidiarité, mais sur le contenu de la proposition examinée.
J'ajoute un dernier point : notre mandat est de cinq ans. Pour nous Français, il sera renouvelé en septembre 2025, la nomination se faisant sur proposition du Premier ministre et devant être validée par le Conseil.
M. Jean-François Rapin, président. - Nous abordons à présent les questions de souveraineté alimentaire, qui mobilisent notre commission depuis plusieurs années déjà. À peine quelques semaines après le début de la guerre en Ukraine, nous demandions, par une résolution européenne proposée au Sénat qui l'a adoptée définitivement le 6 mai 2022, que la stratégie « De la ferme à la fourchette » soit reconsidérée pour redonner priorité aux objectifs de production agricole, garantissant l'autonomie et l'indépendance alimentaire de l'Union européenne. Nous avons longtemps eu le sentiment de « crier dans le désert », mais le principe de réalité semble aujourd'hui s'imposer, malheureusement trop tard.
Arnold Puech d'Allissac, vous êtes vice-Président du Groupe des employeurs du CESE. Membre du bureau de la Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles (FNSEA), vous présidez dorénavant l'Organisation mondiale des agriculteurs. Vous êtes membre du Présidium du Comité des organisations professionnelles agricoles au niveau européen. Vous vous proposez de nous présenter les travaux menés au CESE sur la souveraineté alimentaire. Nous vous écoutons.
M. Arnold Puech, vice-président du Groupe 1 (employeurs) au CESE, président de l'Organisation mondiale des agriculteurs, membre du Conseil d'administration de la FNSEA. - Merci beaucoup, Monsieur le Président. Je suis agriculteur en Seine-Maritime. Je travaille avec mon épouse, deux de mes enfants et quatre employés sur une ferme de 180 hectares. Nous travaillons dans le domaine de la transformation de volailles, notamment avec un abattoir européen.
Initialement, nous avions jugé totalement satisfaisante la direction prise par l'Union européenne. L'idée de pacte vert et l'ambition d'une durabilité la plus grande possible commandaient de mettre l'économie européenne en phase avec le changement climatique en la plaçant dans la compétition sur ces sujets. En ce qui concerne plus particulièrement la stratégie « de la fourche à la fourchette, de l'étable à la table », nous avons jugé que les cibles posées, sans outils pour les atteindre, constituaient une vraie difficulté. Nous pouvons établir une analogie avec le fait de demander à l'un d'entre vous d'améliorer sa productivité sans posséder de moyens informatiques, de secrétariat, etc. pour l'aider. J'y vois la grande difficulté de cet objectif, même si la baisse de 55 % de nos émissions par rapport à 1990 nous concerne tous. Parfois, nous progressons rapidement, parfois moins.
À titre d'exemple, lorsque Stéphane Le Foll était ministre de l'Agriculture, il nous a été fixé comme objectif de réduire de 25 % l'usage des antibiotiques en agriculture. Finalement, nous avons amplement dépassé cet objectif, car nous avons reçu des outils, des solutions, notamment les vaccins, qui ont été un vrai progrès, notamment pour moi en élevage de volailles. Grâce aux vaccins, nous ne subissons quasiment plus de coccidiose, qui était une maladie très fréquente. Parfois, les démarches peuvent ainsi être menées à bien très rapidement, tandis que, dans d'autres circonstances, elles sont plus lentes. Pour que les plantes soient plus résistantes demain et nous permettent de réduire les dommages par les ravageurs ou les champignons, nous avons besoin de nouvelles techniques génomiques. Le Parlement européen a voté récemment sur le sujet. Nous attendons à présent les résultats du trilogue. Le dossier progressera peut-être. Nous pensons qu'en 2030, nous obtiendrons les premières variétés qui nous permettront de diminuer l'usage de produits phytosanitaires chez nous.
En revanche, pour le désherbage, il n'existe pas de solution immédiate. Certes, des robots permettent aujourd'hui de désherber, notamment en maraîchage. Les investissements sont cependant colossaux. La recherche française est extrêmement avancée dans le domaine. En l'occurrence, nous ne devons pas craindre la technologie et la recherche.
Sur les engrais, la Commission a fixé des objectifs ambitieux : la tendance était de -14 % pour 2030, la Commission a fixé un objectif de -20 %. Sur les produits phytosanitaires encore plus : la tendance était de -33 %, la Commission a fixé un objectif de - 50 %. Quand vous fixez des objectifs à un commercial ou à un collaborateur, il est toujours nécessaire de les choisir atteignables. Autrement, soit vous voulez licencier le collaborateur, soit vous êtes licencié vous-même parce que l'entreprise ne pourra pas atteindre les objectifs. D'ailleurs, le commissaire Timmermans a démissionné : il était peut-être conscient qu'il risquait de ne pas atteindre les ambitions qu'il avait fixées.
J'ajoute un mot sur quelques textes. La directive Pesticides a été abandonnée. Elle allait trop loin, sans solution. Au lieu de la baisse de -50 % proposée par la Commission, la rapporteure soutenait une réduction de 80 % pour 2030, jusqu'à prévoir une disparition complète en 2035, synonyme du passage de l'ensemble de l'agriculture européenne en agriculture biologique. Les difficultés d'autonomie et de souveraineté alimentaires auraient été incommensurables.
Par ailleurs, la taxation des élevages de volailles et de porcs risque d'être décidée par le Parlement européen le 12 mars prochain. Les éleveurs sont extrêmement inquiets. Nous peinons à imaginer que nos élevages, qui gèrent du vivant, soient considérés comme des émetteurs industriels et soient taxés à ce titre.
Sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF), vous savez que la taxation mise en place pèsera principalement sur trois secteurs à savoir l'acier, le béton et l'énergie. Or il s'agit de trois secteurs très importants pour le domaine agricole. Nos coûts de production augmenteront, parce que l'acier que nous utiliserons dans nos machines sera plus coûteux. Le béton utilisé dans nos bâtiments sera aussi plus coûteux. L'énergie utilisée dans nos champs, sauf si elle est renouvelable, sera en plus coûteuse elle aussi. En revanche, les produits agricoles importés ne sont pas soumis à cette contrainte. De nombreux secteurs de l'économie s'inquiètent déjà de la mise en oeuvre prévue en 2026 du MACF. Nous ne sommes pas le seul secteur inquiet, d'autres, pourtant extrêmement compétitifs, le sont également, comme le secteur automobile.
Face à ces questions, le virage pris récemment par la Présidente von der Leyen et la Commission va dans le bon sens, puisqu'enfin, il est question de compétitivité, oubliée ces dernières années.
M. Jean-François Rapin, président. - Je vous remercie. Je me félicite d'entendre ce discours de la part de la société civile, qui fait écho au discours que nous avons porté politiquement au Sénat depuis de nombreuses années. Nous étions tous d'accord avec l'objectif majeur. Les objectifs intermédiaires et les moyens, portés notamment par le vice-Président de la Commission européenne, M. Frans Timmermans, nous paraissaient en revanche inatteignables et quelquefois même dangereux pour notre agriculture.
Notre commission a demandé, à de nombreuses reprises, des études d'impact claires sur les moyens et les objectifs intermédiaires qui avaient été envisagés. Nous n'avons jamais obtenu de réponse à notre demande, empêchant de fait que puisse se tenir un vrai débat public, ce qui explique aujourd'hui une partie de la colère ressentie en France.
Mme Pascale Gruny. -J'ai toujours soutenu le verdissement, mais en invitant à prendre garde qu'il ne soit ni trop rapide, ni trop fort. L'accompagnement pour la transition est important. J'ai démarré mon activité professionnelle en centre de gestion agricole il y a très longtemps. J'ai pu constater tous les progrès qui ont déjà été réalisés en matière de verdissement, par rapport à l'époque où l'agriculture utilisait beaucoup de produits phytosanitaires et beaucoup d'engrais, sur les conseils des ingénieurs agronomes.
Je voudrais savoir si vous pensez que les fonds alloués à la recherche sont suffisants, puisque vous l'avez mentionné dans votre propos. Je suis sûre que nous pourrons progresser par la recherche
Dernier point : la politique agricole n'est désormais plus vraiment commune. Je voudrais connaître votre sentiment sur la concurrence interne dans l'Union européenne, qui s'est accrue selon moi avec la dernière PAC.
M. Daniel Gremillet. -J'ai deux questions. Tout d'abord, est-ce que vous n'avez pas le sentiment que parfois le rythme politique est plus rapide que celui de la science ? Effectivement, le monde agricole, comme le monde industriel, évoluent au rythme du savoir-faire. Or, l'Union européenne (UE) impose un rythme qui ne correspond pas à celui du savoir et de la science.
S'agissant de ma seconde question, mon propos a d'autant plus de relief que nous sommes à quelques semaines des élections européennes. L'Europe constitue une véritable chance : une chance d'indépendance, une chance de certitude d'avoir une assiette remplie... Nous avons cependant l'impression qu'il existe deux Europe, celle que vous venez d'évoquer et celle qui négocie. J'ai participé hier soir à des auditions sur l'accord commercial entre l'UE et le Canada, le CETA. Ce dernier n'est pas nécessairement le pire des exemples. Malgré tout, il est un exemple. Comment l'Europe peut-elle imposer des conditions, affirmer un certain nombre d'intentions et exiger de ses paysans des éléments qui ne correspondent pas à ceux qu'elle négocie elle-même au niveau mondial ?
Je prends un exemple choquant. En France, il est interdit de désinfecter une carcasse. Dans le cadre des accords, au contraire, la désinfection de carcasses serait autorisée. Mon propos ne remet pas en cause la pertinence de l'exigence sanitaire européenne qui est plus forte.
Autre exemple, nous nous interdisons, dans les conditions de production, de recourir aux hormones, aux OGM, avec une possible évolution vers les nouvelles techniques génomiques (NTG), et à d'autres nombreux éléments et nous ouvrons la porte à la concurrence. Cette situation n'est pas supportable. Elle est incompréhensible. Comment la paysannerie française et le consommateur pourraient-ils être d'accord avec des écarts aussi significatifs - du type « faites ce que je dis, mais ne faites pas ce que je fais » par rapport aux importations qui arrivent dans l'Union ?
M. Arnold Puech. - Le crédit emploi-recherche coûte 7 milliards d'euros à l'État. La France est le premier pays à disposer du contrat de solutions, où 43 organisations privées, professionnelles et publiques travaillent à essayer de trouver des solutions.
Bayer, le ministère de l'Agriculture, avec l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE), et nous, avec nos interprofessions et nos outils techniques, mettons chacun en avant nos travaux, pour parvenir à des solutions appliquées. Il est satisfaisant que le secteur public, le secteur privé et les professionnels travaillent ensemble.
La question d'autoriser les NTG doit concerner les plantes, pas les animaux : il s'agirait déjà d'un réel progrès. Le Parlement européen va très loin puisqu'il envisage d'étiqueter l'ensemble des produits issus de techniques génomiques, or celles-ci sont indétectables dans le produit fini, contrairement aux OGM. Nous serons donc en compétition dans le monde avec des pays qui n'auront pas les mêmes pratiques d'étiquetage et pourront exporter leurs produits NTG chez nous silencieusement. Sans moyen de détection, nous sommes réellement face à une forme de surtransposition au niveau européen.
Lors du trilogue entre la Commission, le Parlement et le Conseil, je ne sais pas comment le dossier évoluera. Au CESE, deux tiers des membres étaient favorables à l'étiquetage. Un tiers des membres y étaient défavorables. Il appartient au politique de trancher.
S'agissant de la concurrence interne à l'UE, elle est extrêmement importante. La France perd des parts de marché. Notre pays présente un solde commercial très excédentaire avec les pays tiers. En revanche, depuis 2015, il est déficitaire avec les pays de l'Union européenne, parce que ces derniers nous ont pris des parts de marché. La taille des élevages, chez tous nos voisins, excepté les Italiens, n'est pas limitée. Nous avons parfois besoin d'agrandir nos élevages mais les surrèglementations nous entravent. De même, dès qu'il s'agit par exemple de créer un élevage bio en Ile-de-France, Corinne Lepage, l'avocate des riverains opposés à l'installation de l'élevage, intervient. Les riverains acceptent en effet les pâtures en face de chez eux, mais refusent en revanche les animaux. Nous apprécions tous de manger de la charcuterie : nous devons accepter un élevage de cochons pour disposer de cette charcuterie. Or nous avons perdu notre place de leader dans le domaine. En 2000, nous comptions 25 millions de cochons en France, 25 millions en Allemagne, 25 millions en Espagne, 25 millions au Danemark. Aujourd'hui, on compte 32 millions de cochons au Danemark, 37 millions en Allemagne, 42 millions en Espagne et 21 millions en France. La réglementation française permet la contestation des permis de construire pendant un long moment : à cet égard, les assouplissements que le Président de la République a décidés à la suite des récentes manifestations, incluant une diminution de ces délais de recours, vont dans le bon sens pour relancer l'esprit d'initiative.
S'agissant de nos coûts de main-d'oeuvre, le cochon français, à l'entrée de l'abattoir, est le moins cher de l'Union européenne. Toutefois, à l'entrée dans un grand magasin, il est le plus cher de l'Union européenne. Cela tient à la taille des entreprises et aux volumes de production qui régressent et rendent l'outil moins productif. Nous devons aider les entreprises du secteur, parce que les pays tels que l'Espagne, le Portugal, les Pays-Bas, l'Allemagne ou la Pologne nous prennent des parts de marché. Il faut également mentionner l'Ukraine actuellement. À ce sujet, les prochaines manifestations seront causées par les céréaliers : les prix ont chuté en effet de 270 euros avant la guerre à 155 euros aujourd'hui, du fait de l'importation de céréales ukrainiennes.
Ces difficultés de concurrence interne sont donc très importantes. De fait, la réciprocité et les clauses de sauvegarde sont fondamentales dans les accords de libre-échange. Le terme de clause miroir est souvent utilisé. Je ne reprendrai pas les termes du Président Bruno Retailleau sur le « miroir aux alouettes », mais il est certain que la réciprocité ne sera jamais une totale réalité. Par exemple, nous utilisons des produits que les Canadiens n'utilisent pas, notamment la deltaméthrine et la Fenpropidine. La réciprocité ne pourra jamais être absolue, sous peine de ne pas avancer. Concernant la clause de sauvegarde, si demain le CETA est signé, les Canadiens respectant les normes européennes et produisant de la viande sans hormone ou du porc sans ractopamine, qui est un activateur de croissance totalement interdit dans l'Union européenne, pourront exporter dans l'UE. Vu nos différences en terme de tailles d'élevages, nous, producteurs européens, risquons de souffrir de notre faiblesse. Nous avons besoin par conséquent de clauses de sauvegarde qui précisent que, si le prix a fortement baissé par rapport à celui habituellement constaté sur le marché le même mois de l'année précédente, le commerce est temporairement suspendu pour en analyser les causes. La clause de sauvegarde est essentielle. Nous la réclamons, autant que la réciprocité.
Enfin, vous avez raison d'indiquer que la désinfection des carcasses constitue une forme de concurrence déloyale.
M. Pierre Bollon. - Le concept de surtransposition a été évoqué. La France pratique également souvent la pré-surtransposition, c'est-à-dire qu'elle se précipite pour adopter des textes, alors même que le sujet est discuté à Bruxelles. Récemment, j'ai entendu le ministre français auditionné au Sénat demander d'attendre avant de voter un amendement, le sujet étant en discussion à Bruxelles. Cette attitude me semble sage.
Par ailleurs, concernant vos propos sur la compétitivité, j'ai été le promoteur, au sein du CESE, d'un test compétitivité. Il est désormais envisagé en Europe sur le fondement des résultats de la Conférence pour l'Avenir de l'Europe. Il s'agit d'examiner à l'avance, dans les études d'impact, l'effet de la réglementation envisagée sur les entreprises européennes.
M. Jean-François Rapin, président. - Une proposition de loi, portée par la délégation aux entreprises, sera soumise au Sénat dans quelques jours en ce sens pour promouvoir un test PME en France.
M. Pierre Bollon. - Je porte le sujet depuis quatre ans au CESE. J'en suis ravi.
M. Daniel Gremillet. - Il existe effectivement un sujet relatif aux NTG. Si l'Europe ne prend pas ce virage, elle disparaîtra de la scène internationale en matière de diversité végétale, incapable d'avoir son indépendance en matière de fourniture de semences. Je rappelle qu'il y a deux sortes de NTG, les 1 correspondant simplement à la sélection naturelle. Il serait terrible de ne pas pouvoir aboutir rapidement sur ce volet, sans quoi l'Europe, notamment la France, ne pourra pas produire ce type de végétaux et en avoir la maîtrise.
Je souhaite souligner un autre point. Hier soir, nous avons auditionné la Direction générale des douanes du Ministère de l'économie. De nombreux contrôles ont lieu uniquement sur le mode déclaratif, y compris au niveau du bio. En France, l'ensemble des animaux sont identifiés. J'en parle en connaissance de cause, puisque je suis à l'origine de l'identification pérenne généralisée (IPG) en France. En France, un animal qui arrive à l'abattoir sans ses deux boucles est orienté vers l'équarrissage. Dans de nombreux pays, les animaux sont bouclés à l'abattoir, peu avant d'être abattus, sans traçabilité, sans connaissance du parcours de l'animal, contrairement aux mesures mises en place aujourd'hui en Europe, dont je me réjouis. La France, en particulier, est exemplaire, dans sa connaissance sur le parcours des animaux. Elle subit, en revanche, une concurrence déloyale avec des productions qui sont importées sans cette traçabilité.
Je termine en soulignant que les Français mangent chaque jour des OGM sans le savoir. Or il nous est interdit d'en produire. Il existe par conséquent un vrai souci de concurrence déloyale. La situation pourrait se reproduire avec les NTG. La situation serait cependant plus grave, car il s'agit du dernier rempart. L'incapacité d'autoriser en Europe le croisement des plantes entre elles, sans même manipuler leurs génomes, pour obtenir une meilleure résistance aux maladies, une meilleure adaptation à la sécheresse, aux conditions climatiques, etc., nous mettrait en complète dépendance. L'Europe se doit d'assumer un rôle majeur au niveau international, sinon elle trahit ses acteurs économiques et ses consommateurs.
M. Jean-François Rapin, président. - Nous abordons à présent les sujets relatifs à la corruption, l'éthique et la protection des lanceurs d'alerte. Notre commission a récemment adopté à ce sujet un rapport, qui sera publié sous peu, demandant d'accélérer les efforts européens pour prévenir et lutter contre la corruption et renforcer les règles éthiques en la matière, tant dans les États membres - l'actualité espagnole le prouve - que dans les institutions européennes. La confiance des citoyens dans l'Union européenne est fragile. Un scandale comme celui du Qatargate contribue à la dégrader dangereusement. Éviter des errements de ce type est donc impératif pour la survie même du projet européen. Je laisse la parole à Mme Franca Salis Madinier, pour nous présenter les travaux du CESE à ce sujet. Je précise que vous êtes vice-Présidente du groupe des salariés au CESE et Secrétaire nationale de l'Union confédérale des ingénieurs et cadres adhérents de la Confédération française démocratique du travail (CFDT Cadres), en charge du numérique, de l'Europe et des lanceurs d'alerte.
Mme Franca Salis-Madinier, vice-présidente du Groupe 2 (salariés) au CESE, secrétaire nationale de la CFDT Cadres. - Je suis membre du comité d'éthique du Comité économique social européen. Nous sommes six à y siéger. Nous avons révisé notre règlement intérieur et le code de conduite, parce que nous avons eu à traiter un cas relativement grave de harcèlement. Nous avons dû par conséquent renforcer les sanctions. Le travail a été mené jusqu'en 2021.
Je fais également partie du Comité interinstitutionnel d'éthique, qui a été mis en place après le Qatargate. Dès avant ce scandale, la Présidente von der Leyen avait le projet de mettre en place un tel comité. Ce comité ad hoc réunit toutes les institutions européennes, c'est-à-dire la Commission, le Parlement, le Conseil, la Banque centrale européenne et la Cour de justice de l'Union européenne. L'objectif est d'aligner les normes éthiques entre toutes les institutions européennes. Nous travaillons sur le sujet : le texte envisagé a été l'objet de nombreuses critiques, parce qu'il n'habilite pas, par exemple, le comité d'éthique à conduire des enquêtes. Il n'en demeure pas moins que l'objectif est de mettre en place des normes plus exigeantes en termes de transparence s'appliquant aux institutions européennes, donc aux membres du Parlement, de la Commission, mais également aux membres du CESE, d'harmoniser ces normes et de faire en sorte que la déclaration des intérêts financiers et extra-financiers soit plus exigeante. Nous en sommes à ce stade.
J'étais rapporteure de l'avis du Comité économique et social européen en 2018 au sujet de la directive sur le renforcement de la protection des lanceurs d'alerte, et il a été largement voté au niveau du Comité. Des employeurs l'ont également voté, même si la majorité avait des réticences, notamment par rapport aux échelons, c'est-à-dire la possibilité d'alerter à l'extérieur de l'entreprise, par exemple les autorités publiques, sans passer forcément par l'échelon premier niveau, donc par l'entreprise ou l'organisation elle-même.
Cet avis et la directive qui a suivi ont donné lieu en France à une déclinaison par la loi Waserman de 2022, qui est parmi les plus protectrices en Europe et dans le monde sur les lanceurs d'alerte. Bien évidemment, le chemin à accomplir reste long. Un droit pose en effet des questions de mise en pratique. Dans les administrations et dans les entreprises privées, il n'existe pas encore véritablement de canaux rassurants. En conséquence, les alertes sont souvent externalisées parce que les personnes qui souhaitent alerter ne se sentent pas rassurées, même si la loi donne la possibilité de canaux sécurisants.
J'ajoute également un mot sur les procédures-bâillon. Il existait un projet de directive pour protéger les journalistes et leurs sources lorsque des procès abusifs étaient intentés à leur encontre. L'avis du CESE a été largement majoritaire en faveur de la dénonciation de ces procédures, baptisées avec l'acronyme anglais SLAPP. Comme cela a été dit par Thierry Libaert, lorsque nous rendons un avis, il s'agit d'un avis consensuel, essentiel pour le législateur.
M. Jean-François Rapin, président. - Nous avons eu à travailler sur les deux propositions de règlements prévoyant notamment la création du Comité d'éthique interinstitutionnel. Vous affirmez, de votre côté, qu'il fonctionne déjà.
Mme Franca Salis-Madinier. - Les conditions de sa mise en place sont actuellement discutées. Le texte est en cours de négociation entre toutes les institutions.
M. Jean-François Rapin, président. - Nous avions compris, dans votre propos, que le Comité d'éthique interinstitutionnel s'était déjà réuni.
Mme Franca Salis-Madinier. - Je me suis mal exprimée. Le texte fondateur devrait être validé dans les semaines qui viennent. Il devrait être adopté par toutes les institutions. Ensuite, le comité sera installé. Il n'est pas encore opérationnel.
M. Jean-François Rapin, président. - Dans le rapport du Sénat, nous soulignons que l'ambition en la matière est insuffisante.
Mme Franca Salis-Madinier. - Certains désignent en effet ce futur comité de « chien sans dent ».
M. Bernard Jomier. - De façon répétée, un certain nombre de parlementaires européens se plaignent de la pression de représentants de lobbies sur les travaux parlementaires. Récemment, un épisode impliquant Amazon est intervenu. Il semblerait - je n'ai peut-être pas tout compris, pardon pour l'imprécision, mais vous savez sans doute de quoi il s'agit - qu'une décision visant à restreindre l'accès des lobbyistes d'Amazon aux parlementaires européens aurait été prise. Est-ce que votre comité a pris une position sur cette question ? Est-il intervenu ? Comment abordez-vous cette question, qui revient de façon récurrente ?
Mme Franca Salis-Madinier. -- Pour le moment, il n'y a pas eu de saisine de notre comité. Il existe un registre de la transparence. Les lobbyistes existent en Europe, l'essentiel est qu'ils soient enregistrés, dans un souci de transparence. Il est primordial de savoir qu'un membre reçoit telle organisation, entreprise, etc. Je prends l'exemple du Qatar. Fight for Impunity était une ONG non répertoriée dans le registre. Nous devons par conséquent, au vu même des expériences passées, améliorer la transparence. En revanche, nous ne nous sommes pas prononcés sur Amazon.
Mme Valérie Boyer. - Il est difficile pour moi d'entendre parler de cette agence du Qatar comme d'une ONG. Il ne s'agit pas d'une organisation non gouvernementale, mais d'une association gouvernementale d'influence directe.
Ma question est simple. Savez-vous pour quelles missions ces députés européens ont-ils été corrompus ? Quels étaient les objectifs précis du Qatar ? L'affaire semblait grossière, tellement les montants en jeu étaient énormes. Depuis qu'elle a éclaté, nous manquons d'informations précises sur l'objet de la corruption, les corrupteurs et leurs objectifs. Je voudrais connaître précisément l'utilisation faite de l'argent reçu.
Mme Franca Salis-Madinier. - ONG était la façon dont l'organisation se définissait.
Je pense que l'affaire reposait sur beaucoup de connivences, parce que la personne qui gérait l'association Fight for Impunity était un ex-parlementaire, Monsieur Panzeri. L'assistant qui était encore en place est devenu l'assistant d'Eva Kaïlí, la parlementaire grecque qui était l'une des accusées principales. Un certain nombre de conditions étaient réunies pour que toutes les magouilles autour de cette affaire puissent se produire.
Eva Kaïlí était vice-présidente du Parlement européen. L'objet de la corruption de la part du Qatar visait à affirmer que ce pays respectait les règles internationalement reconnues en matière de conditions de travail et donc à le rendre présentable du point de vue social. Eva Kaïlí avait d'ailleurs prononcé un discours dans lequel elle affirmait que le Qatar était devenu un pays formidable pour les droits de l'Homme.
M. Jean-François Rapin, président. - Je relève qu'aucune discussion politique n'a suivi sur le sujet. Eva Kaïlí a énoncé des propos non fondés qui n'ont ensuite donné lieu à aucune contestation, ce qui ne manque pas d'étonner et peut laisser entendre que le phénomène de corruption était majeur.
Mme Valérie Boyer. - Je ne comprends pas pourquoi nous n'avons pas plus d'informations sur les dossiers en faveur desquels ces personnes sont intervenues, au-delà de l'enjeu de présenter un tel pays « formidable pour les droits sociaux » en vue de la Coupe du monde de football. Je voudrais savoir si précisément, sur des sujets tels que le droit des femmes ou les droits politiques, il y avait eu aussi des tentatives d'influence et si d'autres pays avaient été touchés également au sein de l'Union européenne.
Mme Franca Salis-Madinier. - Une commission chargée d'examiner le respect des droits fondamentaux et des droits sociaux, incluant les droits des femmes, était présidée par Madame Kaïlí elle-même, appartenant à un parti, dont les membres lui faisaient confiance donc se fiaient à ses propos. Je ne justifie rien, mais les événements se sont déroulés de la sorte.
Je suis d'origine italienne. En Italie, le contrôle des citoyens sur les institutions est beaucoup moins important qu'en France. En Europe, le contrôle des citoyens est encore plus léger parce que l'Europe est lointaine. Une série de dysfonctionnements peut se produire.
Je pense que l'attention autour de ces sujets sera accentuée désormais. Malgré tout, il n'est pas prévu de contrôle véritable. Un contrôle sur nos gouvernants est pourtant indispensable, dans le respect de la démocratie.
Mme Dominique Gillot, membre français du CESE. -- Je pense que les influences religieuses s'infiltrent profondément dans les institutions européennes. Des enquêteurs, des lanceurs d'alerte, notamment français - je pense en particulier à Caroline Fourest -, dénoncent très régulièrement ces influences. Même si le fonctionnement du Parlement européen et des institutions européennes protège d'un certain nombre de dysfonctionnements, j'en suis profondément choquée car l'organisation démocratique de l'Europe s'en trouve menacée, compte tenu du nombre de pays en cause, du nombre d'influences, de la volonté également de trouver toujours un consensus, de ne choquer personne. Nous devons rester très vigilants sur ces infiltrations, qui sont extrêmement dangereuses, et sur les fonds européens importants versés à des organisations islamistes.
Mme Valérie Boyer. - Je l'ai dénoncé à plusieurs reprises, sans effet.
M. Jean-François Rapin, président. - Le troisième et dernier temps de nos échanges porte sur la lutte contre le dérèglement climatique. Arnaud Libaert s'est proposé pour ouvrir la discussion sous l'angle de l'implication des consommateurs dans la transition écologique, puisqu'il a rapporté des avis sur des propositions de directives européennes en ce domaine. Vous nous parlerez sans doute d'économie circulaire, d'écoconception, de consommation responsable, et d'approvisionnement durable, sujets qui intéressent notre commission et s'installent heureusement dans l'agenda européen.
M. Thierry Libaert. -- Nous avons effectivement beaucoup travaillé sur le dérèglement climatique. Un très grand nombre d'avis ont été rendus. En toute transparence, nous ne sommes pas très efficaces sur ces sujets, dès lors que le principe de notre activité réside dans la recherche maximale du consensus, difficile à trouver entre ceux qui veulent prioritairement affirmer que répondre au dérèglement climatique est un impératif mondial pour l'humanité, ceux qui voudront ajouter que les décisions prises ne doivent pas nuire à la compétitivité des entreprises, ou encore les pays de l'Est qui, de leur côté, réclameront une période de transition sur les combustibles fossiles, etc. Nous pouvons difficilement nous mettre en avant par conséquent sur ce sujet.
En revanche, nous avons une plus-value sur un certain nombre de points. Citons en premier lieu la grande diversité des approches. Autour du sujet du climat, nous avons beaucoup travaillé sur la notion de justice climatique. Nous sommes en effet persuadés de la nécessité de prendre en compte les aspects sociaux dans la transition climatique. Nous avons travaillé sur la diversité des pays, particulièrement sur la zone Afrique, Caraïbes, Pacifique, qui intéresse surtout la France. Nous nous sommes penchés sur les problématiques financières, d'innovation, d'investissement socialement responsable. Nous avons examiné les problématiques de matériaux rares de batteries. Mon collègue Bruno Choix a fait voter un avis à l'unanimité sur la création d'une filière de batteries électriques en Europe. Ozlem Yildirim, du Groupe 2, a travaillé sur les enjeux géopolitiques de ce sujet, par un avis qui a été voté au mois de janvier 2024. Enfin, nous avons discuté de la diplomatie climatique, parce nous pensons important que l'Europe s'engage en ce domaine. Par exemple, douze chargés de mission climat travaillent au ministère des Affaires étrangères du Danemark. Or seulement six personnes ont la charge de ce sujet au sein du Service européen d'action extérieure. Pour une réelle efficacité au niveau international, l'Union doit se doter d'une diplomatie climatique.
J'aborde à présent le sujet que vous avez annoncé de manière plus précise, parce qu'il est important, récent et innovant : il s'agit d'embarquer le consommateur dans la transition écologique et la lutte contre le dérèglement climatique. Ce sujet est totalement neuf : l'Union européenne n'y a jamais travaillé. En 1992, les sujets de consommation et d'environnement ont été mis à l'agenda de la Commission européenne à l'occasion du traité de Maastricht. Depuis 2022 seulement, le sujet a vraiment pris une importance majeure avec deux séries de textes.
Les premiers textes, « Employing Consumers in the Green Transition », ont été publiés le 22 mars 2022. L'objectif était de faire du consommateur un levier de la transition écologique. La seconde série de textes a été publiée en mars 2023. Elle porte sur les « Allégations environnementales trompeuses et droits à la réparation ».
Il existe une réelle logique. À aucun moment, nous ne pouvons considérer que ce sont des initiatives isolées. Cette série de textes sur le rôle du consommateur a été annoncée dans le Green Deal de novembre 2019 puis dans le plan d'action Économie circulaire de mars 2020. Elle figurait dans le nouvel agenda du consommateur de novembre 2020. Il existe par conséquent un emboîtement cohérent, une vraie dynamique et une logique de l'Union européenne à faire du consommateur un levier de la transition écologique. En outre, il existe un parfait emboîtement entre ces différents textes. Dès mars 2022, le sujet de l'articulation entre consommation et transition verte est considéré le plus en amont possible, avec la directive Eco-Design prévoyant une éco-conception, et avec la meilleure information du consommateur prévue par deux propositions de directives, respectivement pour faire du consommateur un levier de la transition écologique et pour encadrer les allégations environnementales. Enfin, en mars 2023, un texte porte sur le droit à la réparabilité. Nous voyons donc que, dès l'acte d'achat, avec une meilleure information, et en fin de vie du produit avec le droit à la réparation, nous touchons désormais l'ensemble des sujets.
L'approche est extrêmement intéressante, parce que la Commission se fonde sur l'hypothèse, sur le constat peut-être, que le consommateur a une volonté d'agir, mais n'en a pas les moyens. Selon l'étude d'impact de la Commission européenne, 68 % des consommateurs européens affirment : « Je souhaiterais davantage prendre en compte les problématiques environnementales quand je fais mes courses », quand 61 % précisent « Mais je ne sais pas comment faire, je n'ai pas d'informations ». L'intention est d'apporter une meilleure information au consommateur.
J'ajoute qu'il existe 232 écolabels en Europe, dont la moitié ne repose sur aucune justification. Il s'agit de labels totalement autoproclamés. L'objectif est donc de mieux informer le consommateur par l'indice de durabilité et l'indice de réparabilité du produit. Il s'agit en outre de donner une information sur l'impact environnemental du produit de consommation et d'essayer de mettre un peu d'ordre dans les écolabels.
Un vote, il y a à peine deux mois, a acté un compromis en trilogue, relatif à la meilleure information du consommateur, afin d'en faire un levier de la transition écologique, par la création d'un socle européen commun dans la lutte contre le greenwashing. Pour le moment, chaque pays possède ses propres règles. La France est en avance, avec la recommandation de développement durable de l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité. L'objectif, la publicité et les communications commerciales ne connaissant pas de frontières, est d'essayer de faire en sorte que les 27 pays de l'Union européenne puissent avancer dans la même direction en matière de meilleure information du consommateur.
M. Jean-François Rapin, président. - Vous indiquez que les consommateurs ne possèdent pas nécessairement la bonne information et ne savent pas rechercher l'information. Pour ma part, j'intègre une dimension que vous n'avez pas évoquée, celle du pouvoir d'achat. Au-delà des moyens de communication sur les produits, les « moyens du portefeuille » sont essentiels.
M. Thierry Libaert. -- Les quatre textes dont j'ai parlé ont pour objectif d'apporter une meilleure information. C'est pourquoi je n'ai pas évoqué les politiques de prix. Nous avons lancé une étude sur l'information concernant la durabilité des produits auprès de 3 000 consommateurs européens au Benelux, en République Tchèque et en Espagne. Nous avons testé le comportement du consommateur ayant une information sur la durée de vie du produit. Les résultats nous ont agréablement surpris. L'hypothèse initiale était en effet que les personnes les plus défavorisées achetaient systématiquement les produits bas de gamme. En réalité, le consommateur comprend que son intérêt est peut-être de consentir des sacrifices pour acheter le produit le plus cher. Avec une approche environnementale du produit, c'est-à-dire en étant informé de la durée de vie plus longue de tel produit, le consommateur est prêt à consentir l'effort de l'acheter un peu plus cher parce qu'il comprend que c'est dans son intérêt.
M. Jean-François Rapin, président. - Votre stratégie porte-t-elle sur tous les types de produits ou uniquement sur l'agroalimentaire ?
M. Thierry Libaert. -- Elle porte sur l'électroménager, sur les valises, sur les vêtements, sur les produits d'épargne, sur les produits financiers, etc.
Mme Dominique Gillot. - La réparabilité des matériels a soulevé une autre difficulté, relative à la disponibilité réelle de la main-d'oeuvre pour réparer, entraînant une nouvelle réflexion et un nouveau programme sur la formation et sur la disponibilité de la main-d'oeuvre.
M. Daniel Gremillet. - Je copréside, avec ma collègue Anne-Catherine Loisier, un groupe de suivi sur la loi Egalim. Nous avons pu constater qu'il existe un écart entre le discours du consommateur et la réalité des produits qu'il achète. Par exemple, les produits bios sont plébiscités, mais pas achetés. Plus largement, malheureusement, l'assiette des Français et des Européens se vide au quotidien, par exemple de poulet, d'agneau, etc.. Il existe par conséquent un écart entre le discours des consommateurs qui prétendent être prêts à payer plus cher et la réalité des achats.
J'ai été surpris, par ailleurs, quand vous avez évoqué les labels, qui relèvent en réalité uniquement de l'affichage.
M. Thierry Libaert. - La proposition de directive européenne « Faire du consommateur un levier de la transition » porte sur les produits de consommation, et non pas sur les produits alimentaires. Notre étude porte sur neuf catégories de produits en-dehors de l'alimentation. Le produit sur lequel la corrélation est la plus forte vous surprendra peut-être : il s'agit des valises. Les consommateurs sont prêts à payer beaucoup plus cher s'ils sont persuadés que la valise durera cinq ou dix ans, et non pas seulement un ou deux ans. En revanche, la corrélation est quasiment nulle sur les téléviseurs. Les personnes ne sont pas prêtes à payer plus cher un téléviseur pour une durée plus longue.
Mme Valérie Boyer. - Ma question porte sur l'étiquetage des produits alimentaires, même si elle est hors du champ de votre mission. J'ai beaucoup travaillé sur le sujet quand j'étais députée. Les pressions en Europe pour une forme d'immobilisme sont extrêmement fortes, tandis que les Français voudraient simplement savoir ce qu'ils mangent. Cette situation est préoccupante du point de vue démocratique. Nous avons tous des dizaines d'exemples. Récemment, chez Carrefour, j'ai trouvé des oignons du Chili, à côté desquels il était écrit « Oignons de Roscoff » et « Made in France ». Cette situation est honteuse. Elle inclut d'ailleurs plus largement l'incompréhension à la lecture des étiquettes. Il s'agit d'un sujet majeur de pouvoir d'achat et, plus simplement, de respect du consommateur.
M. Thierry Libaert. - Nous ne sommes pas dupes quant à l'écart entre les déclarations et les pratiques des consommateurs. Nous prenons cependant le pari d'une meilleure information. Nous verrons si la volonté d'agir est réelle. Nous avons notamment obtenu qu'un produit non réparable n'aura plus sa place sur le marché européen.
Nous devons combattre les manoeuvres cachées de certaines grandes entreprises internationales, notamment Apple, qui empêchent la réparation par des pratiques de sérialisation. Le produit ne peut ainsi être réparé que chez un distributeur agréé Apple, dont les prix sont rédhibitoires. Ce type de sujet n'était pas attendu initialement. Le Comité y a travaillé, pour aboutir à un texte repris par la Commission.
Mme Christine Lavarde. - En France, un dispositif de soutien à la réparation de vêtements a été mis en place, avec notamment des campagnes de communication plus ou moins pertinentes et des normes également plus ou moins pertinentes. Par exemple, le pourcentage d'aide varie selon la longueur de la fermeture-éclair du produit. Cela étant, avez-vous examiné la faisabilité du dispositif ? J'habite dans une ville de 120 000 habitants. J'ai cherché un cordonnier agréé ou une couturière agréée. Le seul endroit de réparation, pour bénéficier du bonus réparation, est le magasin Zara ! Je pense toutefois que le coût du changement d'une fermeture-éclair d'un vêtement Zara, est disproportionné par rapport au coût d'achat de ce dernier. Surtout, l'incitation auprès des consommateurs de se rendre chez Zara est contre-productive dans la logique de réparation. Les principes se confrontent, en l'occurrence, à une mise en oeuvre opérationnelle inexistante ou confortant les acteurs contre lesquels nous luttons.
M. Bruno Choix, membre français du CESE. -- Je fais partie du groupe 1 au CESE. J'ai été nommé par l'Union des entreprises de proximité (UDP). Nous travaillons sur le label « Répar'acteurs », dont les couturières et les techniciens de réparation d'appareils électroménagers font partie. Nous sommes en conflit avec les acteurs de la grande distribution comme Boulanger, Darty, qui se disent « répar'acteurs » également, alors qu'ils en sont loin. Ils exploitent des sous-traitants et en tirent les bénéfices.
Nous parlions précédemment d'inflation et de coûts d'accessibilité pour tous. En matière automobile, l'accessibilité des véhicules électriques soulève des questions. Les constructeurs n'ont jamais gagné autant d'argent en vendant aussi peu d'automobiles, puisque le coût de l'automobile est beaucoup plus élevé aujourd'hui. Auparavant, la rentabilité de l'automobile se faisait, pour le constructeur, tout au long de la vie de l'automobile, parce qu'il y avait la réparation et la vente de pièces détachées. Désormais, cette partie est devenue inexistante. La marge globale est par conséquent réalisée immédiatement à la vente du véhicule. De même, cinq techniciens étaient nécessaires pour réaliser un véhicule thermique. Dorénavant, deux techniciens sont requis pour réaliser un véhicule électrique. La masse salariale décroît par conséquent également, tandis que, malgré tout, les véhicules sont vendus plus chers. Il est faux et aberrant d'invoquer le coût des batteries pour expliquer les coûts plus élevés des véhicules.
M. Jean-François Rapin, président. - Je vous remercie pour ces échanges sur de multiples sujets qui montrent la diversité des travaux du CESE et leur convergence avec certaines préoccupations de notre commission.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 15 heures.