COMMISSION MIXTE PARITAIRE
Jeudi 7 mars 2024
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -
La réunion est ouverte à 12 h 20.
Commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi visant à lutter contre les dérives sectaires
Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande du Premier ministre, la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi visant à lutter contre les dérives sectaires se réunit au Sénat le jeudi 7 mars 2024.
Elle procède tout d'abord à la désignation de son Bureau, constitué de M. François-Noël Buffet, sénateur, président, de M. Sacha Houlié, député, vice-président, de Mme Lauriane Josende, sénatrice, rapporteure pour le Sénat, et de Mme Brigitte Liso, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale.
La commission mixte paritaire procède ensuite à l'examen des dispositions restant en discussion.
M. François-Noël Buffet, sénateur, président. - La commission mixte paritaire (CMP) est chargée de proposer un texte sur les articles de ce projet de loi restant en discussion à l'issue de la première lecture.
Mme Brigitte Liso, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Le projet de loi qui nous réunit aujourd'hui s'inscrit dans le cadre de l'ambitieuse stratégie nationale de lutte contre les dérives sectaires, dont il constitue l'une des traductions. Il comportait à l'origine sept articles, dont les articles 1er et 4 constituaient les deux poumons du texte, ses deux principales mesures.
Les travaux du Sénat ont permis d'enrichir le texte. Je pense notamment à la circonstance aggravante lorsque l'abus de faiblesse est commis en ligne, ou encore aux modifications apportées au délai de prescription de l'action publique concernant ce délit lorsque la victime est mineure.
Les points d'accord entre nos deux assemblées étaient nombreux. Néanmoins, en supprimant les articles 1er, 2 et 4, le Sénat a considérablement amputé le projet de loi et a significativement réduit son ambition d'origine.
Nous avons entendu les réserves émises par le Sénat concernant les articles 1er et 2. Nous ne les partageons pas. Nous avons également travaillé à une nouvelle rédaction de l'article 4, pour répondre aux réserves du Sénat et nous conformer à l'avis du Conseil d'État.
Je me félicite du travail que nous avons accompli en séance publique et qui a permis d'aboutir à une rédaction équilibrée de ces dispositions en préservant la liberté individuelle et le rôle des lanceurs d'alerte tout en répondant à un enjeu majeur, celui de lutter enfin efficacement contre les dérives thérapeutiques à caractère sectaire, en gardant la protection des victimes pour point de mire. Les améliorations que nous avons apportées à cet article répondent aux craintes exprimées par le Sénat. Pourtant, force est de constater que nous avons une divergence sur le principe même de la création de ces nouvelles infractions, que nous estimons indispensable et essentielle. Sans l'article 4, nous considérons que le but n'est pas atteint. C'est la raison pour laquelle cet article doit être préservé.
Nous aurions sans doute pu trouver un accord sur l'article 1er, mais nos divergences sur l'article 4 sont trop importantes.
Dès lors, et croyez bien que je le regrette, les conditions d'une commission mixte paritaire conclusive ne me paraissent pas réunies. Et à supposer qu'un accord puisse être trouvé aujourd'hui, ce dont je doute, je crains qu'il ne soit pas acceptable par nos assemblées respectives, en fonction de sa teneur.
Je tiens ici à remercier la rapporteure pour le Sénat, Lauriane Josende, pour l'important travail réalisé, indépendamment des divergences de fond entre nos deux chambres, ainsi que l'ensemble des parlementaires, sénateurs et députés, qui, par leur implication et leur engagement, ont travaillé pour renforcer la lutte contre les dérives sectaires et améliorer la situation des victimes.
Mme Lauriane Josende, rapporteure pour le Sénat. - Malgré la bonne qualité de nos échanges et notre souci commun de lutter efficacement contre le fléau que représentent les dérives sectaires, nous ne sommes pas arrivées à trouver un texte de compromis.
Deux points ont été bloquants pour le Sénat. Le premier est la création d'un nouveau délit de provocation à l'abandon de traitement ou de soins médicaux et à l'adoption de pratiques non conventionnelles.
S'il est incontestable que la promotion croissante de l'abandon de soins nécessaires à la santé ou l'adoption de certaines pratiques présentées abusivement comme bénéfiques à la santé appelle une réponse ferme des pouvoirs publics, nous avons été frappés par la fragilité juridique et les difficultés constitutionnelles comme pratiques qu'emporte la disposition proposée par le Gouvernement. Nous estimons que la nécessité de légiférer sur ce point n'est pas suffisamment établie.
Par ailleurs, dans les deux rédactions proposées par le Gouvernement et initialement par l'Assemblée nationale, pourrait être réprimé un discours général et impersonnel, sans que soient observés des formes de pression ou des contacts directs ou répétés entre l'auteur et la victime, qui assurerait la promotion de pratiques dites non conventionnelles ou contestant l'état actuel des pratiques thérapeutiques. La rédaction finalement adoptée par l'Assemblée nationale précise que la provocation devra être caractérisée par des « pressions ou manoeuvres réitérées ». Mais cette nouvelle formulation nous ramène au droit existant en matière de harcèlement. Malgré les efforts consentis par le Gouvernement pour exclure les lanceurs d'alerte du dispositif, nous estimons que ces deux rédactions n'atteignent manifestement pas un équilibre satisfaisant dans la conciliation entre l'exercice de la liberté d'expression et la liberté de choisir et de refuser des soins, et l'objectif de protection de la santé publique ainsi poursuivi. Il en va ainsi a fortiori lorsque d'autres incriminations, moins attentatoires aux droits et libertés constitutionnellement garantis, sont suffisantes pour atteindre cet objectif.
Paradoxalement, les tentatives du Gouvernement pour répondre aux critiques du Conseil d'État et du Sénat aboutissent à des dispositifs soit trop larges soit inefficaces. Il apparaît particulièrement difficile de réunir des preuves permettant de caractériser et d'établir une provocation à l'abandon ou à l'abstention de soins dans les conditions définies par cet article dans sa rédaction initiale. Il est, dès lors, évident que de simples précautions dans la formulation de leur discours pourront prémunir les promoteurs de dérives sectaires, en général particulièrement bien informés de l'état du droit, contre cette infraction. À l'inverse, une provocation dans un cadre privé ou familial, et ce indépendamment du niveau de connaissance médicale de l'auteur du propos, qu'elle soit suivie d'effets ou non, pourrait être sanctionnée.
Le droit existant est finalement plus protecteur pour les victimes puisque des incriminations plus sévèrement réprimées existent, comme l'abus de faiblesse ou l'exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie, dont nous avons renforcé la portée avec l'introduction de circonstances aggravantes.
Je souligne que les situations décrites dans les témoignages que nombre d'entre nous ont reçus peuvent très souvent trouver des réponses pénales, sans changer la loi.
Le second point de blocage réside dans le rétablissement des articles 1er et 2, et leur élargissement aux victimes de thérapies de conversion.
La création d'un délit autonome réprimant le placement ou le maintien dans un état de sujétion psychologique ou physique susceptible d'altérer gravement la santé, indépendamment de tout abus éventuel, nous semble révélateur de deux défauts de conception de ce projet de loi. Celui-ci considère, d'une part, que les équilibres atteints dans la loi About-Picard visant à réprimer les conséquences des abus seraient obsolètes et insuffisants ; et, d'autre part, que l'ensemble des formes d'assujettissement ou d'emprise doivent être traitées de la même manière, au risque de fragiliser les dispositions pénales existantes, notamment en matière de violences conjugales. Le Conseil d'État avait ainsi justement rappelé que le champ des infractions nouvelles proposées par le Gouvernement outrepassait largement celui des dérives sectaires et qu'il convenait en conséquence de modifier l'intitulé même du projet de loi...
Je tiens toutefois à rappeler que si nous avons écarté les évolutions du droit pénal proposées par le texte initial, le Sénat a enrichi le texte de plusieurs dispositions appelées de leurs voeux de longue date par les acteurs de terrain et les parlementaires. Je pense en particulier à la consécration législative du statut de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) ainsi qu'à la répression de telles infractions commises en ligne ou sur des mineurs.
S'il est indéniable que ce projet de loi constitue l'occasion, trop rare, d'un débat sur les dérives sectaires, nous regrettons néanmoins cette focalisation de la réflexion et de l'action publiques sur la réponse pénale, car elle a pour conséquence d'occulter la nécessité pour les pouvoirs publics de porter leurs efforts sur l'amplification des actions de prévention et sur le renforcement des moyens de la justice comme des services enquêteurs spécialisés.
Dans ces conditions, vous comprendrez, mes chers collègues, que nous n'ayons pas réussi à élaborer un texte de compromis.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie, sénatrice. - Je remercie les rapporteures pour leur travail, car le texte sur lequel elles se sont penchées est extraordinairement complexe et technique.
Pour les députés qui ne me connaîtraient pas, j'appartiens à un groupe minoritaire du Sénat : autant vous dire que c'est souvent uniquement pour le plaisir de vous voir que je viens en CMP...
Toutefois, le rôle de la commission mixte paritaire est de permettre le dialogue entre les deux assemblées. Sans mésestimer l'importance du travail des deux rapporteures, qui sont les plus susceptibles d'identifier les possibilités de convergence, il n'est jamais inutile d'espérer les faire apparaître ! C'est en tout cas mon état d'esprit.
J'ai bien écouté vos propos respectifs sur l'article 4. Son utilité a fait l'objet d'un débat. J'ai également pris connaissance de l'avis du Conseil d'État. Incontestablement, la législation existante ne suffit pas. Ni l'abus de faiblesse ni l'exercice illégal de la médecine ne permettent de couvrir l'ensemble des champs.
Les deux membres titulaires du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain au sein de cette CMP sont favorables à la rédaction de l'Assemblée nationale. Aussi avons-nous peut-être le moyen de converger vers un texte commun.
En revanche, ne prenons pas à la légère la question des thérapies de conversion. C'est d'ailleurs sur une initiative parlementaire que ces pratiques infamantes, qui avaient jusque-là libre cours, ont été définitivement considérées comme des infractions pénales. Ne le perdons pas de vue, car cette loi a été votée récemment.
Je suggère donc que nous essayions de trouver un accord, en commençant par travailler sur l'article 4.
M. Sacha Houlié, député, vice-président. - Madame de La Gontrie, je salue votre position sur l'article 4, qui est aussi la mienne, visant à soutenir la création d'un nouveau délit, au regard de l'insuffisance de ceux qui existent dans d'autres codes.
Néanmoins, la difficulté de la CMP est double : il s'agit d'abord de trouver un accord - cela vous semble à notre portée -, et, ensuite, d'obtenir l'accord des deux chambres. Or, s'il est possible que l'Assemblée nationale adopte la version qui ressortirait des travaux de la CMP, j'ai plus de réserves sur le fait que le Sénat l'accepte...
Si le texte n'était pas adopté, soit nous perdrions un temps précieux, soit le Gouvernement pourrait avoir la mauvaise idée de retirer son texte. Il vous est donc proposé de faire cette économie d'efforts, qui apparaîtra heureuse à certains, malheureuse à d'autres, avant une nouvelle lecture.
M. François-Noël Buffet, sénateur, président. - En conséquence, je vous propose de constater l'échec de notre commission mixte paritaire.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie, sénatrice. - Cela dénature l'objet de la CMP et ce n'est pas glorieux pour le Sénat.
M. Arthur Delaporte, député. - J'abonde dans le sens de Marie-Pierre de La Gontrie. Je trouve dommage de ne pas même tenter une forme de dialogue. Nous ne pouvons pas présager du vote du Sénat ni de la capacité de nos collègues sénateurs socialistes à chercher une majorité, aux côtés des centristes par exemple, pour faire adopter le texte issu des travaux de la CMP. Ces tentatives de délibération commune font l'intérêt de nos deux chambres, sachant qu'il est important que ce texte aboutisse, et que l'article 4 présente un intérêt certain.
M. François-Noël Buffet, sénateur, président. - Faute d'accord, nous aurons donc l'occasion d'examiner ce texte en nouvelle lecture.
La commission mixte paritaire constate qu'elle ne peut parvenir à l'adoption d'un texte commun sur les dispositions restant en discussion du projet de loi visant à lutter contre les dérives sectaires.
La réunion est close à 12 h 35.