Jeudi 29 février 2024

- Présidence de Mme Françoise Gatel, présidente -

Désignation de rapporteurs

Mme Françoise Gatel, présidente. - Mes chers collègues, avant de conclure notre réunion, je souhaiterais procéder à la nomination de rapporteurs pour une mission d'information relative au vieillissement.

En veillant naturellement à ne pas empiéter sur le travail de la commission des affaires sociales, qui a récemment créé une mission d'information sur la situation des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), et dont les rapporteures sont nos collègues Chantal DESEYNE, Solanges NADILLE et Anne SOUYRIS, notre délégation mènera des travaux sur la question de l'adaptation des communes et des intercommunalités aux défis posés par le vieillissement de la population. L'accent sera mis, notamment, sur les bonnes pratiques en matière, par exemple, d'adaptation du logement, de services publics locaux, ou encore de mobilités urbaines.

Je vous propose de désigner nos collègues Corinne FÉRET et Laurent BURGOA comme rapporteurs.

Le rapport d'information devrait être présenté avant le mois d'octobre 2024, ce qui pourrait permettre d'éclairer les débats autour de la future loi de programmation pluriannuelle pour le grand âge, qui est annoncée.

Audition de M. François Sauvadet, président de l'Assemblée des Départements de France

Mme Françoise Gatel, présidente. - Monsieur le président de l'Association des départements de France (ADF), cher François Sauvadet, nous sommes heureux de pouvoir échanger avec vous. J'en profite pour remercier l'ensemble de vos collaborateurs pour l'excellente coopération que nous entretenons. Vous portez la voix de 103 départements de France qui, comme les communes, constituent le socle de la France et de la République dans un moment où notre société est traversée par de multiples tensions.

Nous accueillerons dans un second temps des invités pour parler des risques d'inondations, qui se sont hélas récemment concrétisés en divers endroits. En temps de crise, le SAMU social et économique est assuré par les élus locaux.

Nos échanges s'inscrivent dans l'actualité du Sénat. Le 5 mars se tiendra en effet un débat sur les finances des départements. Le 20 mars, nous serons en séance publique pour discuter d'une proposition de loi qui me tient particulièrement à coeur. J'ai eu la possibilité d'échanger avec François Sauvadet sur le sujet du transfert aux départements volontaires, à titre expérimental, d'une compétence en matière de médecine scolaire, conformément à un voeu ancien du Sénat. Nous débattrons en séance publique, à compter du 5 mars, de la proposition de loi très oecuménique - puisque signée par 309 sénateurs - sur le statut de l'élu local. Ce texte concerne naturellement les élus municipaux, et vise à répondre à la dégradation des conditions d'exercice de leur mandat, à la diminution de l'envie de s'engager ou encore aux violences qu'ils subissent. Bien sûr, nous parlerons également des départements, car nous avons été attentifs à certaines de vos demandes, par exemple sur le sujet majeur de la responsabilité pénale.

Chacun sait que les départements sont directement concernés par la conjonction des crises. La situation financière apparaît difficilement tenable en raison d'un effet ciseaux. D'une part, les dépenses sociales, souvent imposées et obligatoires, ne cessent d'augmenter, en contradiction avec le principe cher au Sénat du « qui décide paye ». D'autre part, les départements sont confrontés à une forte contraction de leurs recettes, en particulier celles issues des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), qui sont fortement dépendantes de la situation de l'immobilier. Vous prévoyez des baisses de recettes pouvant atteindre 35 % et regrettez, monsieur le président, un certain désengagement de l'État. Au Sénat, nous avons voté, dans le cadre de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite « 3 DS », pour une disposition cohérente, logique et saine afin de rendre équitables les conditions d'évaluation des charges et des obligations résultant d'un transfert de compétences par l'État. Nous demandions l'introduction d'une clause de revoyure, pour pouvoir réévaluer si nécessaire les charges transférées, comme cela est le cas pour quiconque traite avec un partenaire assurant un marché. Hélas, nous n'avons pas été suivis par le gouvernement, qui n'a pas fait preuve d'une écoute suffisante.

Le champ des finances des collectivités locales est au coeur de la mission confiée par le président de la République à Éric Woerth, et pour laquelle vous avez été consultés. Nous arrivons au bout d'un système qui n'a plus beaucoup de sens et qui ne laisse pas aux collectivités locales la possibilité d'exercer leurs responsabilités. Les élus devraient bénéficier d'un levier fiscal. Pourtant, quinze départements ont dépassé le seuil d'alerte et n'ont plus les moyens d'assumer leurs missions : ceux-ci devraient donc être soutenus par l'État. Dans le même temps, les départements sont le seul niveau de collectivités à avoir mis en place de manière volontaire un fonds de péréquation et de solidarité entre les départements.

M. François Sauvadet, président de l'Assemblée des Départements de France (ADF). - Je vous remercie, madame la présidente. Nous entretenons une relation de confiance avec le Sénat, qui porte la voix des collectivités et nous permet d'être mieux entendus.

Vous avez parfaitement décrit la situation : les départements constituent la strate de collectivité la plus exposée, parce que nous sommes confrontés à des problèmes de société majeurs, tels que le vieillissement de la population, le virage domiciliaire ou encore la situation des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Nous devons également faire face à un phénomène migratoire inédit dans les Alpes-Maritimes, en Savoie, ou encore dans les Pyrénées-Orientales, avec un afflux de mineurs non accompagnés. Vous connaissez le principe : un jeune issu de migrations se déclarant mineur doit être pris en charge pendant toute la durée de son évaluation, en attendant l'épuisement de tous les recours possibles. Nous estimons aujourd'hui à 50 000 le nombre de personnes prises en charge par les départements. Deux systèmes coexistent. Le premier repose sur une répartition nationale, tandis que le second correspond à la situation où des jeunes se présentent directement à la porte de nos services sociaux et déclarent être mineurs. Le temps de la protection n'est pas anecdotique : à l'issue de la période d'évaluation, il apparaît que seuls 21 % des jeunes prétendument mineurs le sont réellement. Il nous est demandé de ne plus loger de demandeurs à l'hôtel, mais j'ai prévenu le gouvernement que cela était complètement inapplicable, car le système d'hébergement est saturé. Nous devons chercher une solution d'hébergement, et les alternatives sont souvent l'hôtel ou la rue. Nous sommes confrontés à des problématiques de société très lourdes, à l'instar de jeunes qui, faute de place en protection judiciaire, nous sont confiés alors même qu'ils sont soupçonnés de faits criminels et sont dans l'attente de leur jugement. Nous faisons également face à des difficultés liées à la santé mentale : il existe un problème de psychiatrie extrêmement marqué dans la jeunesse, et il conviendrait alors plutôt d'apporter une réponse médicale adaptée.

J'entends que nous sommes accompagnés, mais de lourdes responsabilités nous incombent en matière médico-sociale, comme face au virage domiciliaire et au choc démographique. Dans mon département, des EHPAD me contactent, car ils ne peuvent pas boucler les fins de mois. En tant que président de département, j'ai dû racheter un EHPAD pour éviter sa fermeture. Je me suis battu auprès du gouvernement pour que l'État nous accompagne dans le virage domiciliaire, et pour faire face à la situation des EHPAD, dont les Agences régionales de santé (ARS) revendiquent la gestion. La réponse a consisté à apporter 150 millions d'euros, avec un fonds d'urgence de 100 millions. Nous avons été confrontés aux déserts médicaux, viendra bientôt le tour des déserts médico-sociaux, avec la menace de fermeture des établissements de moins de 80 personnes. Or, dans mon département, 30 % des personnes accueillies dans les 83 EHPAD résident dans des établissements comptant moins de 80 personnes.

Nous sommes également confrontés au choc de l'insertion. Les départements ont participé aux expérimentations et partagent la volonté d'accompagner ceux qui se trouvent au bord du chemin, grâce à la coopération entre « France Travail » et les services départementaux chargés de l'insertion. En effet, 30 % des jeunes percevant le revenu de solidarité active (RSA) relèvent de « France Travail », et non pas directement des services d'insertion. Cela nécessite des moyens supplémentaires lorsqu'il faut aller chercher des personnes à leur domicile et les accompagner sur le chemin de l'emploi. Pour lancer l'expérimentation dans mon département, j'ai dû embaucher 15 personnes. Cela nécessite donc des moyens humains supplémentaires, alors que nous faisons déjà face à une pénurie de recrutements.

J'ai entendu l'annonce du Premier ministre concernant la généralisation des 15 heures d'activité obligatoires pour les bénéficiaires du RSA. Chacun sait que cet objectif est inatteignable, même « France Travail » ne dispose pas des effectifs pour assurer cette mission. Dans mon département, il faudrait que j'embauche 75 personnes. Nous devons nous fixer des objectifs réalistes. Alors que nous sommes confrontés à des difficultés sociales extrêmement lourdes, l'État n'est pas à nos côtés pour nous permettre d'avoir les moyens de nos ambitions.

Dans le département de la Côte-d'Or, en deux ans, nous avons subi 40 millions d'euros de dépenses supplémentaires, pour un budget de fonctionnement de 570 millions d'euros. Aujourd'hui, l'action sociale représente 60 % du budget de mon département, et nous ne savons plus faire face. Concernant les difficultés de recrutement, j'ai demandé qu'une réflexion soit menée non seulement sur le salaire, mais aussi sur la reconnaissance des métiers de l'humain. Face à cet enjeu de société, nous devons concilier l'impératif de prise en charge des personnes en perte d'autonomie et la vie familiale des aidants, y compris concernant l'aide domiciliaire. Le principe du « en même temps » a coûté extrêmement cher, même si je ne dis pas qu'il ne fallait pas le mettre en place dans les périodes de crise que nous avons traversées. Aujourd'hui, nous devons cependant établir des priorités. J'ai donc demandé au gouvernement de ne plus faire une annonce qui ne soit pas financée et finançable, car c'est ainsi que naissent les frustrations. J'attends de la responsabilité. Nous ne pouvons demeurer seuls face à ce choc. Il ne faut pas oublier non plus la montée des précarités, qui gagnent les classes moyennes. Un couple vivant et travaillant à la campagne, contraint de posséder deux voitures, ne peut plus faire face. J'ai dû moi-même accompagner financièrement des personnes pour qu'elles puissent acheter de l'essence afin d'aller travailler.

Par ailleurs, nous avons été très actifs pour lutter contre les violences faites aux femmes. Nous avons suivi la demande du président de la République consistant à expérimenter des prises en charge, et nous avons placé des travailleurs sociaux auprès des gendarmes pour recueillir les plaintes et mieux accompagner les femmes victimes de violence.

Je vous parle franchement, car la situation de la France l'exige : je vis très mal les attaques systématiques contre la protection de l'enfance. L'idée de confier à nouveau aux directions départementales des affaires sanitaires et sociales d'antan le soin de protéger nos enfants est folle. Le problème réside aujourd'hui dans la nécessité pour chacun d'assumer ses responsabilités. Dans mon département, un centre éducatif fermé a dû cesser ses activités faute de recrutement. Nous ne pouvons pas constamment servir d'exutoire : les agents du champ social souffrent du sentiment de ne pas pouvoir faire face à leur mission, et subissent les critiques de ceux qui prétendent que d'autres pourraient faire mieux. Dans un premier temps, l'État devrait assumer ses propres responsabilités en matière judiciaire, et de protection de la santé mentale. Aujourd'hui, une quinzaine de départements n'ont aucun pédopsychiatre. Il s'agit bien d'une responsabilité de l'État.

Je souhaite également alerter sur un autre point. Après l'annonce d'une augmentation de 4,6 % du RSA, mon collègue du département du Nord m'a appelé pour me dire qu'il fallait arrêter ces annonces non finançables. Pour le seul département du Nord, cette augmentation représente un surcoût de 30 millions d'euros. Les allocations individuelles de solidarité, telles que le RSA ou l'allocation aux adultes handicapés (AAH), relèvent de la solidarité nationale, mais le soutien de l'État est très en deçà des besoins. Beaucoup d'objectifs sont mis en avant, mais comment les atteindre ? Pour le RSA, les départements prennent en charge environ la moitié des coûts, et assument dans les mêmes proportions les augmentations des dépenses. Dans cette situation dramatique, la moitié des départements seront en grande difficulté l'année prochaine. Nous n'avons plus de marge de manoeuvre.

La situation actuelle favorise une tendance lourde d'augmentation de la dépense. Rien n'est plus prévisible que le vieillissement de la population et, pourtant, personne ne prend en compte cette réalité. Les financements n'existent pas. Élisabeth Borne a dit nous avoir compris pour affronter cette problématique, mais le gouvernement nous a donné seulement 150 millions d'euros, quand l'État encaissait 2,5 milliards d'euros de contribution sociale généralisée (CSG) supplémentaires. Lorsque j'ai proposé de partager ces recettes, on m'a répondu qu'elles étaient déjà réparties. Quant à l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), la situation est aujourd'hui invraisemblable puisque les aides représentent entre 14 et 53 % de la dépense selon les départements. J'ai proposé que l'État compense à hauteur de 40 % au moins les dépenses pour l'autonomie des personnes âgées et handicapées pour faire face au virage domiciliaire et à l'enjeu du vieillissement de la population. L'État ne peut pas prétendre reporter toutes les tensions sociétales sur les départements de France, alors que les inégalités se creusent.

J'ai entendu le président de la République déclarer que le département était en premier lieu la collectivité du social. Mais je tiens à dire devant le Sénat - car je sais que vous en êtes tous conscients - que nous sommes également la collectivité des solidarités territoriales. Quand les budgets des départements sont limités, le choc ne porte pas seulement sur le social, mais également sur le rural. Les départements assurent aussi la péréquation horizontale. J'ose le dire devant vous : mon rôle est aussi de redistribuer de l'argent de la ville vers les campagnes. Il nous est dit que nous n'avons plus la compétence économique, mais j'ai par exemple pu observer, à l'occasion du salon de l'agriculture, nombre de stands départementaux mettant en avant nos produits agricoles. Faudrait-il donc que les départements arrêtent le soutien économique ? Nous sommes la collectivité de l'aménagement du territoire. Le déploiement du très haut débit a souvent été pris en charge par les départements, avec comme objectif de favoriser le développement territorial. Les départements servent de bouclier pour le monde rural. L'État lui-même vient nous chercher pour déployer de grands projets d'infrastructures. Dès lors, pourquoi nous limiter au domaine du social ? L'enjeu de la réorganisation territoriale, au service des Français, est au coeur de la mission menée par Éric Woerth.

Nous sommes également engagés dans le domaine de l'eau, avec des laboratoires départementaux qui surveillent la qualité des rivières, de l'eau et de l'alimentation pour le compte des ARS. Nous assurons des synthèses, avec des services qui accompagnent les communes pour la qualité de sortie des eaux des stations d'épuration. Nous finançons des interconnexions, mais nous ne pouvons pas bénéficier d'une maîtrise d'ouvrage déléguée. Dans le département de la Côte-d'Or, la ressource en eau représente 30 % de la consommation de la métropole dijonnaise. Il est possible de produire de l'eau brute, mais pas de l'eau potable. Comme il n'existe pas de syndicat suffisamment important, la situation est bloquée et il n'est pas possible de mettre à disposition de l'eau potable. Ce sont toutes ces problématiques que nous devons réétudier. Les départements doivent rester la collectivité des solidarités territoriales, car personne ne pourra agir dans ce domaine à notre place. Les régions possèdent des préoccupations macroéconomiques, tandis que la proximité relève des départements. Combien de projets s'arrêteraient si nous n'aidions pas les communes que nous soutenons ?

J'entends la revendication des métropoles portant sur l'action sociale, mais peut-on imaginer un seul instant distinguer le social des villes et le social de la campagne ? C'est un non-sens. De la même manière, je redis mon hostilité, qui est également celle d'une grande partie des départements de France, à l'expérimentation de fusion des dépendances, et au projet de confier à l'ARS la gestion des EHPAD. La logique des ARS consiste en la concentration au nom d'une réponse médicalisée, qui doit être selon moi adaptée territorialement.

Concernant les ressources, le gouvernement déclare depuis des années que les départements sont en bonne santé. Nous sommes donc considérés à la fois comme malades et bien portants, ce qui est une situation paradoxale. Nous avons pu passer la période de la COVID grâce à notre situation immobilière favorable, avec les droits de mutation à titre onéreux. Le ministère des Finances lorgne sur ces droits de mutation, mais je le dis clairement : je mènerai un combat auquel j'associerai tous les maires de France si le gouvernement touche à ces droits. On met en avant que ces droits constituent une recette variable, et donc inégalitaire entre l'Île-de-France, le Cantal ou la Creuse, mais elle est également très symbolique. Les DMTO sont étroitement liés à la compétence d'aménagement et de développement du territoire des départements. Pensez-vous qu'il soit possible d'attirer des populations si nous ne pouvons pas continuer à nous impliquer sur la santé, les maisons de santé, l'école et les collèges ? La péréquation départementale atteint quant à elle près de 1,9 milliard d'euros. Il ne faut pas toucher aux DMTO, qui sont liés à notre compétence de développement et d'aménagement du territoire.

Aujourd'hui, la grave dépression des départements est liée à une explosion de la dépense sociale et à une chute de nos droits de mutation, qui représentent environ 30 % de nos recettes selon les départements. La baisse, de l'ordre de 15 à 20 %, a même pu atteindre 30 % dans certains départements. Les premiers mois de l'année confirment cette tendance, et cela représente des dizaines de millions d'euros. Les conséquences se feront particulièrement sentir l'année prochaine, notamment pour les investissements relatifs à l'entretien des routes et pour l'aide aux communes. Les moyens dont nous ne disposerons pas pour assumer la solidarité avec le monde rural accéléreront le sentiment d'abandon et la crise profonde de la ruralité. J'alerte le gouvernement depuis deux ou trois ans sur la réalité des situations agricole et rurale. Nous sommes proches d'une rupture profonde, avec un fort sentiment d'incompréhension, de colère et de perte de sens dans le monde rural. Ces problématiques ne trouveront pas de solution à court terme. Nous en venons même à nous interroger sur une volonté politique d'asphyxie des départements, qui viserait à régler le problème des strates soi-disant superflues.

Pour les ressources, les communes ont pu bénéficier du foncier bâti. Mais nous ne bénéficions pas de la tonicité de la TVA, puisque celle-ci est intégrée à un fonds de péréquation qui vient aider les départements les plus fragiles aujourd'hui. L'État a créé un fonds d'urgence de 100 millions d'euros pour les EHPAD à l'échelle de la France. Dans la région Bourgogne Franche-Comté, nous avons bénéficié de 5 millions d'euros pour huit départements. La situation est explosive. J'ai alerté le gouvernement à ce propos, mais j'attends désormais que nous soyons entendus et qu'il n'y ait plus d'annonces inconsidérées.

L'annonce par le Premier ministre du transfert des allocations de solidarité spécifique (ASS) a beaucoup surpris. Les prestations de l'ASS représentent quelque 2,1 milliards d'euros. Je vous rappelle que nous finançons le RSA à moitié. Je m'inquiète des conséquences financières de ce transfert, qui nous conduira à devoir trouver un milliard d'euros supplémentaire.

La France ne s'est pas constituée de la même manière que ses voisins. L'État et la Nation se sont constitués à partir de la commune, en riposte à la royauté, et les communes sont redécouvertes en temps de crise. Par ailleurs, je me suis demandé pourquoi il existait une relation parfois compliquée entre les départements et les grandes régions. La raison réside dans la taille de ces régions : il est toujours préférable de parler à quelqu'un que vous connaissez plutôt qu'à quelqu'un que vous cherchez. J'ai fait travailler des chercheurs sur ce sujet, et j'ai constaté la dichotomie entre les territoires administrés et les territoires vécus. Je suis profondément attaché au département, parce que cette strate correspond au territoire vécu. C'est dans le cadre d'un dialogue construit que la France pourra faire preuve d'agilité dans un monde en plein basculement. Les départements ne constituent pas une menace pour la France, mais une chance. C'est pourquoi nous devons nous fixer des objectifs atteignables et arrêter de proposer des objectifs non financés. Dans cette perspective, les 103 départements ont formulé 103 propositions, et j'ai souhaité en outre réactiver une commission ultramarine. Quels que soient les territoires, tous ont adhéré à Départements de France, car cela a du sens. C'est ce sens que nous devons retrouver.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Merci monsieur le président. Il était très important que nous vous entendions, et que vous puissiez revenir sur votre mission et sur les difficultés qui sont les vôtres aujourd'hui. Notre pays n'est pas au meilleur de sa forme financière et budgétaire, à l'heure où les dépenses ne cessent d'augmenter et où les écarts sociaux se creusent pourtant. Nous vivons une sorte de dislocation du commun. Nous constatons que vous portez pleinement les difficultés d'une société quelque peu décousue, où la jeunesse est confrontée à de grandes difficultés, héritées notamment de la crise COVID. Si nous n'accompagnons pas ces jeunes, je crains que notre avenir soit autrement difficile que pour des raisons seulement financières.

M. Hervé Gillé. - Monsieur le président, vous avez exprimé une saine colère, et j'ai le sentiment que cette colère prend de plus en plus de force au fil des mois. Ceci parce que vous avez le sentiment de ne pas être écouté : allez-vous rester à ce stade de la discussion et de la négociation avec le gouvernement ? Devrez-vous vous faire entendre plus fortement compte tenu des enjeux que vous avez très justement mis en perspective ? La politique d'action et de revendication est aujourd'hui clairement posée au regard de la situation des départements. Vous avez évoqué les dépenses et les recettes. Pour ces dernières, j'ai le sentiment que nous ne pouvons plus imaginer aujourd'hui que les dotations ne soient pas revalorisées chaque année, au moins pour les charges du personnel. L'effet ciseaux est de plus en plus fort, et cette revendication de la revalorisation avec un coefficient négocié chaque année ne semble pas suffisamment posée aujourd'hui. Est-ce un objectif important ?

Vous l'avez dit en fin d'intervention, et je partage votre remarque, il existe une forme d'étouffement. Cette situation relève d'une stratégie politique, alors que les préfets demandent constamment aux présidents de départements de se concentrer sur leurs compétences principales. Vouloir étouffer une collectivité consiste à lui imposer de se recentrer sur ses compétences principales. Je pense que l'objectif est d'éviter que les collectivités ne disposent d'un champ d'action plus large, notamment au travers des solidarités territoriales.

Concernant la mission menée par Éric Woerth, nous voyons revenir le conseiller territorial : qu'en pensez-vous ?

Au-delà de l'intérêt de conserver les DMTO, position que je partage, la question se pose d'une caisse de compensation alimentée dans le temps, qui permettrait de compenser la faiblesse éventuelle de ces DMTO. Cette fiscalité est dynamique, mais n'en reste pas moins paradoxale : lorsque nous sommes confrontés à une crise sociale et à une crise du logement, les rentrées diminuent, alors que les besoins sont plus importants. Il faudra donc sans doute la réétudier, et vous avez évoqué à ce sujet la péréquation. Nous pourrions ainsi envisager la possibilité d'attribuer une part de CSG directement aux départements.

J'ai déposé une proposition de loi sur l'eau, au terme de la mission d'information présidée par Rémy Pointereau. Nous avons repris votre amendement pour alimenter le sujet, car vous avez raison : l'échelon départemental permet de faire, d'accompagner, et de travailler l'acceptabilité des projets.

Mme Corinne Féret. - Merci, monsieur le président, de nous permettre d'échanger avec vous sur la situation des départements, et sur leurs coeurs de métier en termes d'action de proximité auprès de chacun de nos concitoyens. Vous avez rappelé lors de vos voeux de janvier le rôle des départements dans la protection des plus fragiles. Je voudrais insister sur nos ainés, et sur la question du vieillissement de la population. Je ne vais pas rappeler toutes les statistiques que l'on connaît. Vous parliez de prévisibilité en termes d'action et de financement, et nous connaissons tous en effet ces problématiques depuis des années. La population de notre pays est vieillissante, et la majorité de nos concitoyens souhaiterait rester à domicile, le plus longtemps possible. Mais nous savons aussi que nous n'avons pas les moyens suffisants à ce stade. Malheureusement, la proposition de loi sur le bien vieillir est insuffisante en la matière. Nous attendons toujours la fameuse grande loi sur l'autonomie qui devrait donner un véritable engagement fort de l'État aux côtés duquel les collectivités pourraient se retrouver. Il n'est plus possible de demander sans cesse aux collectivités, et en particulier aux départements, de remplir toutes les missions. Les annonces du Premier ministre concernant une réduction budgétaire de 10 milliards d'euros toucheront également le volet handicap dépendance et perte d'autonomie. Le gouvernement et les services de l'État seront-ils tentés de demander une nouvelle fois aux départements d'agir pour combler ces manques ? Il ne faut pas oublier les hommes et les femmes qui ont besoin de cet accompagnement et de ce soutien.

Nous aurons certainement l'occasion de revenir sur la vision des départements en matière d'adaptation au vieillissement de la population, puisque mon collègue Laurent Burgoa et moi-même travaillerons prochainement sur une mission d'information consacrée à la problématique du vieillissement de la population dans les territoires, qui reviendra sur le rôle que peuvent jouer les élus locaux.

J'évoquais la volonté d'une grande majorité des Français de vieillir chez eux : les départements ont-ils déjà envisagé la possibilité de diversifier l'offre d'hébergement et pas seulement dans les EHPAD ? Comment lutter contre l'isolement des personnes âgées à domicile en secteur rural, mais aussi en secteur urbain ? Vous avez parlé du virage domiciliaire, et il est évident que nous devons également être forces de propositions pour répondre à ces enjeux de société que sont l'accompagnement de nos aînés et le vieillissement de la population.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Je souhaite compléter la question concernant la manière dont notre société doit évoluer pour prendre en compte de manière différenciée et plus fine le vieillissement de la population. Aujourd'hui, cette prise en compte est assez
binaire : vous êtes chez vous, ou vous allez en EHPAD. Je pense que certaines choses évoluent, puisque nous parlons désormais d'EHPAD hors les murs. Les liens étant plus nombreux entre domicile et EHPAD, on pourrait parler d'un « continuum » de vie. La brutalité est infinie pour les personnes et les familles en cas d'hospitalisation, lorsqu'au bout de quatre jours le patient hospitalisé doit partir dans un EHPAD pouvant se situer à 60 kilomètres de son domicile. Cette personne peut se retrouver soudainement confrontée à une vie collective à laquelle elle n'a pas été préparée, en dehors de son champ de vie habituel. Elle perd ses racines, ce qui accélère son vieillissement. Comme beaucoup d'entre nous, j'ai été présidente d'un conseil d'orientation d'un EHPAD où 60 % des pensionnaires provenaient de l'extérieur du territoire, et parfois même de l'extrémité de la France. Leurs enfants, qui avaient 50 ou 60 ans, avaient rapatrié leurs parents pour que ceux-ci soient plus près de chez eux, engendrant toutefois isolement et déracinement.

M. François Sauvadet. - Je suis parfaitement en phase avec le diagnostic qui décrit la ressource des droits de mutation comme contracyclique. Mais il ne faut pas accepter que l'État reprenne cette ressource pour organiser une redistribution alors que nous avons déjà engagé les conditions de la péréquation entre départements. Les DMTO sont très étroitement liés à la compétence de l'aménagement et du développement du territoire des départements. Nous sommes l'un des derniers boucliers du monde rural, et nous sommes souvent sollicités en cas de problème. Les citoyens ont au moins ce repère à qui s'adresser, ce qui est important dans une République qui se cherche. Il faut réinventer des chefs de filât. Par exemple, je suis protecteur de l'enfance, et la responsabilité pénale qui peut être engagée est d'abord la mienne. Lorsque vous constatez la complexité du dialogue au sein même de l'institution judiciaire, entre le président du tribunal et le parquet, il est facile d'imaginer les difficultés que nous rencontrons pour nouer un dialogue avec les institutions compétentes lorsque des enfants nous sont confiés par voie judiciaire, ou qu'ils nous sont réattribués alors qu'ils relèvent d'autres institutions. Ces situations suscitent des tensions et des incompréhensions chez nos agents.

Des objectifs inatteignables assortis de financements non assurés nous mènent à l'asphyxie. Toutes les capacités d'innovation et d'intelligence territoriales sont menacées, ce qui risque d'aboutir à l'impossibilité de réaliser le moindre appel à projets et à l'affaiblissement de la qualité de prise en charge de nos concitoyens.

Les départements prennent des initiatives pour réconcilier Nation et agriculture, en encourageant par exemple la consommation de produits locaux dans nos établissements, pour faire du temps de repas un temps d'éducation, pour réconcilier Nation et agriculture. Cela commence dès l'adolescence, pour que nos jeunes prennent conscience que, derrière l'alimentation, existent des producteurs. Or, nous allons être contraints de mettre fin à ces initiatives. Un ministre a pointé les frais de communication associés, alors que le gouvernement vient dans le même temps d'envoyer à tous les CM1 et CM2 une pièce de valeur de 2 € pour les Jeux olympiques : je pense que charité bien ordonnée commence par un examen de conscience pour soi-même.

Par ailleurs, nous sommes hostiles au conseiller territorial. Avec les grandes régions, quel que soit le mode de scrutin, le risque est celui de la disparition du département. Est-ce l'intérêt de la France ? Je ne le crois pas. Je suis obsédé par le destin de notre pays. Nous devrions tous avoir en partage cette obsession, et la disparition du département constituerait un drame pour le monde rural en particulier. Les revendications des métropoles à exercer des compétences départementales constituent un drame absolu, car cela accélérerait la fracture de deux France, l'une urbaine et l'autre rurale. Je me battrai résolument contre cette idée de reprise de compétences qui ne serait pas justifiée. Nous devons reconstruire l'équilibre de la France pour bénéficier d'un destin commun. Voilà ma conviction profonde.

Nous avons rédigé 103 propositions il y a plusieurs mois. Où en sommes-nous ? Nous devrions être capables de nous mettre d'accord. Lorsque j'entends que les régions veulent reprendre le tourisme, je suis très surpris, tout comme pour le sport. Qui finance les petits clubs, les associations, le sport pour tous ? Lorsque j'étais dans la majorité et que Nicolas Sarkozy a proposé le conseiller territorial, qui le premier a réagi ? C'est le mouvement sportif et le mouvement culturel qui ont demandé de ne pas toucher au département. Nous sommes responsables des médiathèques, de la lecture pour tous. Nous représentons le social culturel aussi bien que le social touristique.

Je ne crois donc pas aux blocs de compétences. Il n'est pas nécessaire que les régions répètent ce que nous faisons déjà dans les départements. Les régions devraient se consacrer à la macroéconomie et laisser les départements agir en proximité. Dans le cas contraire, cela élargira les failles du système, au détriment du monde rural.

Concernant le vieillissement, nous allons être confrontés à un défi sur l'aide à domicile en milieu rural, pour lequel j'ai beaucoup d'inquiétudes. Nous vivons exactement ce que vient de décrire Françoise Gatel. Nous n'avons plus d'assistante sociale dans les hôpitaux, tandis que la continuité n'est pas suffisamment assurée pour la prise en charge à domicile des patients à leur sortie de l'hôpital de jour. Entre le maintien à domicile et l'EHPAD, il existe des initiatives très diverses telles que les résidences autonomie, que celles-ci soient publiques ou privées. Toutefois, nous devons rester très prudents pour que les maisons de l'autonomie, souvent issues d'initiatives privées, ne nous demandent pas de basculer dans la prise en charge et ne revendiquent pas un statut médico-social. Dans mon département, au regard du nombre suffisant de places en EHPAD, j'ai pris la décision qu'aucune résidence autonomie ne puisse prétendre à cela. Il existe aujourd'hui des plateformes ARS départementales avec lesquelles vous pouvez vous préinscrire et choisir votre établissement. L'enjeu résidera dans la présence territoriale du médico-social et de nos EHPAD. Vous ne construirez pas un service d'aide à domicile adapté s'il ne s'appuie pas sur les EHPAD et les hôpitaux de proximité. L'idée de fermer les établissements de moins de 80 personnes serait une erreur stratégique majeure. Je l'avais dit à Aurore Bergé lorsqu'elle était ministre, et nous avions un désaccord sur ce point.

M. Hervé Reynaud. - Merci au président Sauvadet de hausser le ton ce matin. Ce franc-parler permet de gagner du temps. Nous pouvons nous retrouver sur un principe : il n'y a pas d'autonomie de gestion sans autonomie financière. Nous avons eu l'occasion récemment d'auditionner Éric Woerth, et cette audition ne nous a pas particulièrement rassurés. J'aurais souhaité entendre votre point de vue sur les échanges avec Éric Woerth, puisque nous avons senti que pour rationaliser l'agencement institutionnel, son objectif était de recentrer l'action des collectivités sur leurs compétences dites obligatoires, et sur une compétence dite optionnelle. J'ignore toutefois ce que recouvrent ces notions, dans la mesure où les solidarités humaines et territoriales se recoupent bien souvent sur un échelon de proximité. Dans mon département de la Loire, un sondage montre que 84 % des communes n'auraient pu aller au bout de leur projet sans le département.

Par ailleurs, le département est contributeur pour un certain nombre d'organismes tels que les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS), qui ont subi les conséquences sur leur budget de décisions prises au niveau national. Quel est votre regard sur les relations entre le département et ce type d'organisme ?

M. Jérôme Durain. - Retrouver le président Sauvadet est toujours un plaisir, nous avons échangé naguère dans d'autres cadres et sur d'autres bancs. Merci pour votre analyse de l'état du pays, de la situation sociale et des contraintes conjoncturelles et structurelles. Je souhaite vous poser une question très concrète sur le dialogue construit que vous appelez de vos voeux : comment se parle-t-on entre collectivités ? Nous connaissons la mission menée par Éric Woerth, mais l'enjeu porte aussi sur l'articulation des interventions entre les collectivités. Comment définir, en effet, les notions de solidarité territoriale et de proximité ? Quant à l'organisation de ce dialogue, nous ne pouvons pas considérer que le fonctionnement des conférences territoriales de l'action publique (CTAP) soit satisfaisant. Dès lors, dans quel cadre pouvons-nous articuler ce dialogue précieux pour la qualité des décisions ? Comment utiliser de manière optimale l'argent public ? Enfin, quid de la simplification pour les porteurs de projets, lorsqu'il existe plusieurs guichets ?

M. François Sauvadet. - Je n'avais pas évoqué les SDIS, qui sont confrontés à des défis considérables. Nous avons abordé le sujet de l'eau : il faut mentionner les périodes de sécheresse, le changement climatique avec les inondations et les événements climatiques complexes. J'ai présidé le comité du bassin Seine-Normandie, et nous avons beaucoup travaillé sur ces sujets d'évolution avec le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Aujourd'hui, nous sommes dans la situation que nous redoutions, confrontés à des événements tempétueux jamais vus. Il y aura un problème de financement des SDIS, et il est donc nécessaire de réétudier notre capacité financière pour faire face à ces nouveaux risques. Aujourd'hui, tout effort supplémentaire est assumé par les départements. Vous le savez, la contribution communale et des groupements de communes ou des métropoles est plafonnée.

Il existe également un enjeu sur lequel je vous demande d'être très vigilants, celui du statut des sapeurs-pompiers volontaires. Certains départements viennent de recevoir des lettres du directeur général de la sécurité civile, qui m'inquiètent terriblement. Considérer que la réponse au déficit d'engagement serait la professionnalisation des pompiers est une menace pour le fonctionnement de la sécurité civile. Ceci aboutirait à l'abandon d'une idée à laquelle les départements de France sont très attachés, selon laquelle l'engagement citoyen participe à la sécurité civile. Nous rencontrons un double problème de financement et d'engagement et notre modèle doit évoluer. Nous avons suggéré une taxe sur les assurances : les assurances devraient participer davantage lorsque les personnes ont été secourues. D'autre part, il faudrait un travail beaucoup plus construit à l'échelle régionale. Les relations avec les préfets de zone devraient être fluidifiées. Il convient d'être particulièrement prudent, dans un contexte de multiplication des incendies, qui se produisent aussi bien dans le Sud que, désormais, dans les Vosges, en Côte-d'Or ou encore dans la Nièvre. Le statut des sapeurs-pompiers volontaires doit faire l'objet d'une attention particulière, à l'heure où les problématiques de sécurité civile sont exacerbées dans notre pays.

Par ailleurs, nous sommes d'accord concernant l'autonomie financière. La solution, que je n'ai pas encore trouvée, pourrait peut-être résider dans une part de CSG modulable. Nous devons en tout cas retrouver de l'autonomie financière, au service de l'intelligence territoriale, qui permet d'adapter les politiques à l'échelle des territoires dans leur diversité.

Monsieur le Sénateur Jérôme Durain, vous avez posé la bonne question, mais je n'ai pas encore la réponse. Le fonctionnement des CTAP est peu satisfaisant, car elles constituent souvent de grandes messes, avec un grand nombre d'invités autour de la table. Une première strate de dialogue est nécessaire, au travers du couple commune-département. Lorsque j'organise des réunions de maires, ils sont très nombreux à venir, car ils y trouvent un intérêt. Ensuite, nous devons réinventer un nouveau dialogue région-département, mais il ne faut pas voir trop grand, trop large. Il faut trouver le bon niveau pour agir. Il y a eu une volonté de proposer de grandes organisations régionales, comme pour les schémas régionaux. C'est commode pour l'État, mais ceci participe à l'asphyxie des départements. Traduction d'une déconcentration non aboutie, l'échelon régional est utilisé pour décliner la politique nationale. La véritable déconcentration devrait être départementale, mais l'État n'en a plus les moyens. Voilà ma conviction profonde.

Nous travaillons beaucoup avec Carole Delga et le niveau régional. La crédibilité politique de la région est d'assumer sa tâche de stratégie régionale. Il faut laisser respirer l'échelon départemental, qui assume un rôle de proximité.

Mme Céline Brulin. - Concernant les sujets autonomie et grand âge, même avec une meilleure répartition entre l'État et les départements qui sont à la manoeuvre sur le sujet, les ressources de la branche autonomie ne seront pas suffisantes face aux enjeux. Êtes-vous associés, et quelles propositions faites-vous pour aller chercher de nouvelles ressources financières pour répondre à cet enjeu immense pour toute la société ? Je n'évoque pas forcément des ressources que lèverait le département, mais une solidarité nationale qui permettrait de financer les départements.

Par ailleurs, la distinction que vous établissez entre territoire vécu et territoire administré me conduit à réinterroger la fin de la clause de compétence générale, notamment pour les départements. Lorsque je constate la liste légitime des compétences que vous souhaiteriez continuer d'assurer, ne serait-il pas nécessaire de réétudier tout cela pour redonner toutes leurs capacités d'initiative aux collectivités ?

M. Grégory Blanc. - Nous savons que la décentralisation n'est pas aboutie, et la situation des départements l'illustre parfaitement. Les doublons qui ne fonctionnent pas sont des doublons avec l'État social, tel qu'il s'est structuré historiquement. C'est particulièrement vrai concernant la protection de l'enfance. Pour affirmer un chef de filât sur la protection de l'enfance, les départements ne devraient-ils pas absorber les CAF ou une grande partie des CAF pour être réellement capables de coordonner l'ensemble des services ? La question des doublons devrait faire l'objet d'une réflexion profonde. Si nous souhaitons bénéficier sur le terrain de cellules opérationnelles pour assurer la mission de prévention auprès des familles, nous devons disposer d'une autorité suffisamment claire et limiter les doublons.

M. Cédric Chevalier. - J'ai un défaut : je n'ai jamais siégé dans un conseil départemental. Vous avez évoqué le couple commune-département, et je souhaitais vous interroger sur le couple intercommunalité-département. Dans le domaine de l'aménagement du territoire et de la proximité, l'intercommunalité ne constitue-t-elle pas une réponse ? Par ailleurs, les départements correspondent-ils véritablement au bassin de vie ? Un redécoupage de ces départements ne pourrait-il pas répondre de manière plus efficace à la réalité territoriale ?

M. Bernard Buis. - Comme de nombreux départements, la Drôme - dont je suis conseiller départemental - est confrontée au problème de recrutement des assistants familiaux. Auriez-vous une recette miracle pour en recruter ?

M. François Sauvadet. - Concernant l'enjeu de l'autonomie, vous avez parfaitement raison. Je souhaite une grande loi sur l'autonomie qui permettrait de faire face à ce choc démographique que nous connaissons tous, et qui place l'ensemble de nos EHPAD et de nos associations d'aide à domicile en situation de grande fragilité. Je constate que le gouvernement fixe des taux horaires minimum, mais il faut laisser de la liberté aux départements. L'aide à domicile en milieu rural n'est pas identique à celle en milieu urbain. Prendre son véhicule pendant une ou deux heures pour visiter 20 personnes âgées n'est pas la même chose que de travailler à l'échelle d'un quartier. Nous avons de plus en plus de difficultés sur l'aide à domicile, et je n'ai pas de recette miracle pour les recrutements. Mais je sais qu'il faut réfléchir à l'organisation du travail dans la prise en charge. En matière de handicap, j'ai demandé aux employeurs territoriaux de réfléchir pour mieux organiser et offrir des temps complets, ce qui permet de limiter la précarité de certains métiers.

Concernant l'enjeu du chef de filât évoqué par le Sénateur Grégory Blanc, nous devons être audacieux. Il a fallu passer par la loi pour que la CAF nous communique des données pourtant nécessaires à l'exercice de nos compétences. L'idée d'un chef de filât ne s'oppose pas nécessairement à celle de responsabilité partagée, mais l'État central doit accepter une forme de lâcher-prise en la matière. Je suis prêt à travailler avec vous pour y réfléchir.

J'évoque ici la relation des départements avec les communes, car je sais combien les sénateurs y sont attachés. L'intercommunalité peut bien sûr également être une échelle pertinente, l'objectif étant de laisser le champ libre à toute forme d'organisation contribuant à l'efficacité territoriale.

Les limites départementales sont le fruit de l'histoire. Dès lors, comment projeter cette histoire dans les temps modernes ? Les départements, qui ont plus de deux siècles, ne sont pas nés par hasard et sont encore très actuels dans l'organisation et dans le retour à la proximité, en dehors de laquelle il n'y aura que des chemins de traverse pour un peuple qui se désespère de l'action publique. Nous devons également laisser les territoires respirer et s'organiser librement. Par exemple, suivant une logique interdépartementale, le Puy-de-Dôme et le Cantal coopèrent en certaines matières.

Ces débats doivent se poursuivre pour trouver une voie commune, et je compte beaucoup sur les sénateurs, qui possèdent la sagesse, la distance et la proximité pour nous aider à avancer vers cet objectif d'une République qui fonctionne mieux.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Merci Monsieur le président pour le temps que vous nous avez consacré. Je crois que chacun d'entre nous partage ici votre conviction, ou votre combat, au service de la réussite de la France.

Table-ronde relative au pouvoir d'agir des élus locaux face aux risques d'inondations

Mme Françoise Gatel, présidente. - Nous avons souhaité organiser une table ronde avec Monsieur Christian Leroy, président de la communauté de communes du Pays de Lumbres et représentant Intercommunalités de France ; Monsieur Sébastien Leroy, maire de Mandelieu-la-Napoule, coprésident de la mission prévention des risques de l'Association des maires de France (AMF) et représentant l'AMF ; Monsieur Didier Felts, responsable du groupe eaux, risques et résilience du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA), ainsi que Monsieur Stéphane Coudert, directeur territorial Hauts-de-France du CEREMA.

Alors que deux tiers des communes françaises sont concernés par au moins un risque naturel, le risque d'inondation est prépondérant. Nos pensées vont aux habitants, à tous les élus et au personnel des collectivités des Deux-Sèvres, du Pas-de-Calais et de la Gironde, confrontés très récemment à d'importantes crues. Ces phénomènes, hier exceptionnels, sont devenus récurrents. La loi dispose que le maire, en tant qu'autorité de police générale, est « chargé du soin de prévenir et de faire cesser les accidents et les fléaux calamiteux ». Nous savons bien qu'il suffit d'un arrêté du maire pour que la pluie cesse et que le bonheur revienne !

Notre table ronde reviendra sur la manière dont les élus locaux exercent cette compétence de prévention des inondations, et mettra en exergue de bonnes pratiques issues des témoignages de nos invités. Les sénateurs discuteront prochainement du statut de l'élu, et nous soutenons notamment d'une disposition visant à faciliter les autorisations d'absence des élus responsables, maires et exécutifs, pendant une calamité. Il est toujours délicat d'aller négocier une autorisation d'absence dans ces conditions. Il s'agit pour nous de nourrir le débat et d'alimenter les réflexions législatives. Je salue notre collègue Hervé Gillé, membre du bureau de notre délégation qui, en tant que Sénateur de la Gironde, a été directement confronté à ces fléaux. Il fut également rapporteur d'une mission d'information sur la gestion durable de l'eau, et a donc souhaité s'exprimer sur ce sujet.

M. Hervé Gillé. - Merci, madame la présidente, de me permettre de m'exprimer sur un sujet au coeur de l'actualité parlementaire. Après la mission d'information sur la gestion durable de l'eau, dont les conclusions ont été présentées en juillet 2023, une mission conjointe de contrôle relative aux inondations survenues en 2023 et au début de l'année 2024 a été confiée à la commission des finances et à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. La délégation aux collectivités territoriales lancera quant à elle, dans les mois à venir, une mission d'information relative à la compétence de gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (GEMAPI).

La multiplication des inondations est préoccupante. Le risque inondation, qui touche aujourd'hui plus de 17 millions de personnes, pourrait bientôt menacer un emploi sur trois. Nous devons identifier les impasses auxquelles nous sommes confrontés. Les principaux outils de prévention utilisés aujourd'hui sont les fameux programmes d'actions de prévention des inondations, dits PAPI. En tant que référent du PAPI Sud-Gironde, je constate la complexité des processus, avec des cahiers des charges évoluant en permanence. En Sud-Gironde, nous disposons d'un programme d'études préalables au PAPI, qui nous conduit aujourd'hui à interroger la notion de qualification de la zone de référence et de protection. L'enjeu est, notamment, de mobiliser au mieux les fonds Barnier pour les différents territoires de la zone considérée, dont certains comprennent des fleuves avec des impacts potentiels considérables. Comment nos politiques publiques peuvent-elles faire face aujourd'hui à ce type d'enjeu majeur ? Dans le Lot-et-Garonne et le Marmandais, par exemple, la protection contre les inondations est très difficile, en raison notamment des coûts de rénovation et de réhabilitation des digues. Aujourd'hui, même les fonds Barnier ne permettent pas aux collectivités d'apporter les financements complémentaires nécessaires. Nous menons des programmes d'action et des études qui coûtent très cher, et ensuite nous n'arrivons pas à mettre en oeuvre les solutions adéquates.

Quelque 243 PAPI étaient recensés en juin 2023. Ces dispositifs sont pertinents, mais relativement lourds, et nous devons donc nous interroger sur la manière de retrouver de l'agilité. De plus, nous aurons beaucoup de mal à faire face à ces enjeux si nous ne disposons pas d'une assiette plus large que celle de l'intercommunalité. Il ne faut pas négliger non plus le chevauchement d'un certain nombre d'injonctions au travers des plans de gestion de risques des inondations, les PGRI. Les plans communaux de sauvegarde doivent également trouver une forme de cohérence avec les documents d'information communaux sur les risques majeurs (DICRIM) et le schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE). Les enjeux d'aménagement urbain et de politiques de l'urbanisme, qui relèvent des schémas de cohérence territoriale (SCoT), influencent aussi la gestion des risques. Il nous revient donc de répondre aux injonctions contradictoires, ainsi qu'à la question du financement.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Je vous remercie pour votre engagement sur ce sujet, et je cède à présent la parole à nos invités.

M. Christian Leroy, président de la communauté de communes du Pays de Lumbres, représentant Intercommunalités de France. - Merci madame la présidente, mesdames et messieurs les sénatrices et sénateurs pour cette invitation. Je suis maire d'Escoeuilles, village situé dans le Pas-de-Calais, charmant quand il n'est pas inondé. Il ne l'est plus fort heureusement. Je suis également président de la communauté de communes du Pays de Lumbres, qui regroupe 36 communes et 25 000 habitants, soit un territoire éminemment rural. Trente-et-une de ces communes ont fait l'objet d'un arrêté de catastrophe naturelle, ce qui donne une idée de l'ampleur du phénomène. Tout le Pas-de-Calais n'a pas été inondé, et cette précision est importante pour l'image du département. Il n'en reste pas moins qu'un tiers du territoire départemental a été inondé, ce qui est beaucoup.

Je vous propose un rapide rappel historique. Le Pays de Lumbres regroupe trois cours d'eau : la Hem, l'Aa et la Lys. Tous trois ont été touchés par les crues. Nous disposons historiquement de davantage de données chiffrées sur l'Aa, mais nous trouvons les mêmes phénomènes pour d'autres cours d'eau du grand ouest du Pas-de-Calais. En 2002, nous avions déjà subi une crue importante, avec 50 millions de mètres cubes d'eau qui s'étaient déversés dans le bassin versant que représentent le Pays de Lumbres et le Pays de Saint-Omer. Environ 700 habitations avaient alors été touchées. Face à ce phénomène, les territoires se sont rapidement mobilisés, avec la création d'un syndicat mixte, qui a ensuite travaillé et assuré un travail de prévention avec opiniâtreté. Construire des ouvrages de zones d'expansion de crue et des barrages coûte très cher. Cela a représenté un travail de presque 10 ans pour parvenir à construire des ouvrages présentant une capacité de rétention de 640 000 mètres cubes, ce qui avait vocation à répondre à des phénomènes tels que celui que nous avions connu en 2022.

Nous pensions être suffisamment armés face aux inondations, mais nous savons que le risque zéro n'existe pas en la matière. Cela s'est malheureusement vérifié en novembre 2023, lorsque 90 millions de mètres cubes d'eau sont tombés sur le territoire sur une période à peu près similaire. Les phénomènes engendrés ont été hors norme. Plus de 2 000 maisons ont été touchées, avec des situations complexes de relogement. Nous sommes confrontés à une situation d'inondation au long cours, avec des eaux arrivées très vite, dans une zone de polders. Tout le monde, y compris les habitants, s'est attelé à la tâche. Nous avons mobilisé les assurances, les experts. Alors que nous avions initié une dynamique de reconstruction, en janvier 2024, un nouvel événement s'est produit avec la chute de 55 millions de mètres cubes, sur des sols déjà saturés. Les impacts ont été terribles, en particulier pour les personnes qui avaient entrepris des travaux de reconstruction. Nous avons été confrontés à des réactions de fatalisme puis de colère, difficiles à gérer. L'impact a été très important pour le monde agricole, avec des cultures perdues parfois pour l'année, ainsi que pour certains industriels, en particulier les papetiers situés près des cours d'eau, des commerces et des artisans. Des postes électriques ont aussi été touchés.

J'ai toujours été très sensible à la question du changement climatique. Alors que nous pensions disposer d'un peu de temps pour nous adapter, nous constatons que nous sommes déjà au coeur de ce changement climatique. Nous devons donc travailler plus vite sans doute que nous l'avions prévu.

Par ailleurs, nous avons constaté une véritable mobilisation générale de tous les acteurs : l'État, la région, le département, les intercommunalités, les communes. Tout le monde a mis en oeuvre un certain nombre d'outils et de réponses auprès des habitants et de l'ensemble des acteurs du territoire, même si cela n'a pas été assez vite pour les habitants. Nous constatons encore, dans les temps d'échange que nous avons ces derniers temps, le besoin de coordination pour faire en sorte que ce qui est proposé à un endroit soit compris par les habitants. Un travail de pédagogie est nécessaire. Nous avons aujourd'hui sur le territoire un grand débat sur le curage. Il est dit que le curage va tout régler, mais la plupart des personnes concernées savent que ce n'est pas vrai. Les solutions à mettre en oeuvre sont multiples.

Nous devons donc expliquer, coordonner, répondre à l'impatience de nos habitants. Nous sommes maintenant dans l'après, car j'espère que nous avons passé ce phénomène d'inondations. Nous parlons aujourd'hui chez nous de pluvioanxiété à la moindre goutte d'eau, qui inquiète les habitants, mais aussi les salariés. L'impact psychologique est énorme, et nous mettrons sans doute beaucoup de temps à le mesurer. Nous devons accompagner nos concitoyens de manière adaptée.

L'une des premières mesures a été de répondre à l'urgence et aux attentes des habitants, notamment en adaptant le logement. En premier lieu se pose la question des batardeaux. Mais une telle solution ne se met pas en place à très court terme. Il est nécessaire de poser un diagnostic, alors que nous manquons de diagnostiqueurs sur le terrain. Nous réalisions un travail de prévention et de mémoire du risque météorologique auparavant, à la suite de la crise de 2002, et ce travail doit être amplifié.

Nous nous interrogeons beaucoup sur les moyens de nous protéger. Nous avons retrouvé le témoignage d'un événement similaire en 1894. Si les phénomènes d'inondation existaient déjà, la principale différence réside dans leur occurrence, avec des événements rapprochés qui démontrent la réalité du changement climatique. Nous devons donc nous préparer, avec des outils comme le plan intercommunal de sauvegarde (PICS). Nous avons constaté que certaines communes non touchées et qui souhaitaient aider celles qui l'étaient étaient désarmées devant les moyens de réponse. Ce PICS concernera aussi l'industrie, certains industriels regrettant en effet un manque de prévention. Une autre question concerne l'urbanisation, avec des communes qui se construisent le long des cours d'eau. Des maisons vont potentiellement être rachetées dans le cadre du fonds Barnier, mais cela se traduira par une baisse du nombre d'habitants dans certaines communes.

J'évoquais l'image du territoire, et nous mesurons l'ampleur du travail de reconstruction. Nous y travaillons déjà avec les offices de tourisme, car le territoire connaissait une dynamique touristique que nous tenons à préserver. Le Sénateur Hervé Gillé a évoqué la compétence GEMAPI, qui renvoie à une taxe pertinente, mais qui n'est pas appliquée au bon échelon. Il manque un volet relatif à la solidarité nationale. La reconstruction des ouvrages coûtera très cher, et les intercommunalités n'auront pas la capacité de tout financer. Beaucoup d'élus partagent ces préoccupations.

M. Sébastien Leroy, maire de Mandelieu-La-Napoule et co-président de la mission prévention des risques, représentant l'AMF. - Je m'exprimerai en tant que maire de Mandelieu-La-Napoule - commune qui a été dévastée par trois inondations majeures en quatre ans et par de puissants incendies -, mais également en qualité de représentant du groupe risques de l'AMF, que je copréside avec Éric Menassi, maire de Trèbes.

Le groupe risques de l'AMF a été institué à la demande de David Lisnard il y a deux ans, pour dresser un état des lieux des moyens dont disposent nos collègues maires dans toute la France, pour évaluer leur niveau de sensibilisation et identifier les blocages, et afin d'envisager les solutions que nous pourrions apporter pour que leur situation évolue.

Nous sommes confrontés aujourd'hui à une situation particulièrement grave. Les événements climatiques se multiplient, leur intensité monte très sensiblement en puissance, et nous sommes certains que cette tendance va s'accentuer. Nous allons donc affronter des événements de plus en plus dévastateurs, de plus en plus imprévisibles. Des territoires jusqu'ici épargnés seront également frappés, avec des risques que nous ne pouvons pas mesurer aujourd'hui. Face à cette situation, un constat clair s'impose dans tous les territoires : l'état du droit français est totalement déconnecté de cette réalité, et ne permet pas de répondre à ces défis. Non seulement du fait de sa complexité, mais aussi de la contradiction entre certaines normes, réglementations et lois, et en raison de la dispersion de l'autorité entre les différents acteurs relevant de l'État.

Cette alchimie met le maire, qui est au centre de la gestion de crise, dans une situation inextricable. Il doit, tout à la fois, sensibiliser ses habitants sur des risques dont il n'a parfois pas la connaissance précise, gérer des crises avec des moyens qui ne sont pas adaptés, et préparer son territoire à affronter les crises suivantes, alors que tout semble fait pour freiner son action. Ce constat est partagé par les maires, des petits villages jusqu'aux grandes métropoles. Les politiques procèdent aujourd'hui de la réaction plutôt que de l'anticipation : les efforts budgétaires sont consentis pour des réparations, tandis que des crédits qui pourraient être alloués au service de la résilience des territoires ne peuvent pas être déployés en raison de normes - notamment environnementales - parfois contradictoires. Je citerai l'exemple des maires dont les territoires ont été affectés à plus de 80 % par les événements climatiques, et qui sont par ailleurs sanctionnés financièrement pour ne pas avoir construit de logements sociaux conformément à la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU). Ces fonds prélevés dans leur budget sont autant de financements indisponibles pour édifier des ouvrages sur les cours d'eau, une fois les autorisations nécessaires obtenues, soit généralement une décennie après la demande en ce sens. Les autorisations procèdent en effet de différents services de l'État. Les plans de validation des PAPI seront drastiquement complexifiés par l'obligation posée par l'Union européenne d'assurer des études environnementales préalables globales. Ainsi, l'action est aujourd'hui largement paralysée.

Vous avez souligné avec justesse que le maire est responsable de tout. Or, le maire est aujourd'hui souvent dans une impasse. Il est important de prendre conscience de cette déconnexion du droit français avec la réalité. Tant que cet état de fait n'aura pas été transformé en profondeur, tant que l'autorité du préfet n'aura pas été rétablie au niveau local, pour qu'il puisse être avec le maire dans une action libre, et dans un contrôle non pas a priori mais a posteriori dès qu'il y a urgence sur la vie humaine, la situation ne pourra que s'aggraver. Les crises se succédant, lorsque nous parvenons à livrer des ouvrages, ils sont décorrélés des exigences, qui évoluent plus vite que notre capacité à nous protéger. Je pense donc que cette table ronde est extrêmement importante dans cette dynamique d'échanges.

L'AMF et les maires de France attendent du Sénat de vraies réponses et une révision de toutes ces contradictions législatives, souvent dictées par la démagogie plutôt que par la réalité du terrain. Nous comptons sur vous pour que ces messages puissent remonter. Il est important de rendre aujourd'hui aux collectivités la liberté et les moyens d'agir, sinon les événements qui viennent de toucher le Pas-de-Calais, la Gironde ou les Alpes-Maritimes se reproduiront. C'est pour cette raison que nous essayons d'apporter des solutions et que nous demeurons ouverts à tout échange qui irait dans ce sens.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Votre propos s'inscrit dans la lignée des positions que le Sénat ne cesse de défendre. Le préfet doit disposer d'une réelle autorité sur l'ensemble des services déconcentrés, et doit en être le coordonnateur. Les délais pour obtenir des autorisations constituent également un sujet de préoccupation récurrent. Les nouvelles études globales environnementales auxquelles vous faisiez référence m'inquiètent de ce point de vue. Ensuite, nous ne pouvons pas nous contenter d'une posture de réaction. Face au risque climatique, une approche systémique de la prévention, assortie de méthodes et d'objectifs, est nécessaire. Enfin, la norme doit être rédigée en partant des besoins exprimés par les maires confrontés aux inondations, aux incendies et aux catastrophes.

M. Stéphane Coudert, directeur territorial Hauts-de-France du CEREMA. - Merci de nous donner l'occasion de présenter les travaux du CEREMA. Le risque se retrouve dans le « R » de CEREMA. Chronologiquement, le CEREMA a d'abord travaillé sur les connaissances indispensables à l'étude des phénomènes, qui supposent des études complexes et multidisciplinaires. Il existe déjà un corpus très important d'études héritées du partenariat avec la direction générale des patrimoines et de l'architecture - qui relève du ministère de la Culture -, et de coopérations avec l'univers des architectes ou encore des urbanistes. Plusieurs questions se posent aujourd'hui : doit-on continuer à bâtir des digues et des
barrages ? Comment adapter les habitations, les équipements, les industries pour parvenir à la résilience, c'est-à-dire à une réparation rapide des fonctions de tous les ouvrages et de tous les équipements atteints par les inondations ?

Le CEREMA perçoit toutes ces études comme ayant un objectif : reconstituer et fabriquer un aménagement durable, qui tient compte des contraintes liées au changement climatique. Concernant les inondations dans le Pas-de-Calais, tous les spécialistes sont prudents sur le lien avec le réchauffement climatique, puisqu'il y a déjà eu des événements importants qui correspondent à des conjonctions avec des situations météorologiques qui dépassent le territoire métropolitain. En tout cas, cet événement ressemble aux prédictions concernant l'accélération du changement climatique.

Les maires ont besoin de réponses concrètes aux questions que posent leurs administrés. C'est dans cette voie que s'engage le CEREMA en développant des outils tels que la boussole de la résilience, qui propose une analyse multicritères sur les aspects techniques et scientifiques, mais aussi sur les aspects de simplification administrative. L'objectif est également de sensibiliser les riverains, de les inciter à la prudence, et les familiariser à une « culture du risque ». Par exemple, la pratique de l'imperméabilisation des surfaces peut avoir un rôle dans l'accélération des inondations. La « culture du risque » consiste dès lors à garder la mémoire des événements climatiques.

Je souhaitais partager avec vous un témoignage et exprimer un remerciement. Vous devez avoir conscience que se trouvent au CEREMA des personnes à qui vous avez donné un nouvel élan avec la loi « 3DS » et la transformation du statut de l'établissement en un établissement partagé entre l'État et les collectivités. Cela a radicalement transformé la manière dont les agents considèrent le territoire. Dans les Hauts-de-France, nous avons affaire à des personnes très engagées pour leur région. Je ne pense pas à titre personnel que l'image du Pas-de-Calais sera durablement affectée par ces événements météorologiques. Il faut certainement travailler à mettre en oeuvre de façon concrète cet équilibre entre la présence de l'État, qui est essentielle, et les travaux réalisés par les collectivités. D'après nos premières analyses, ces dernières sont d'ailleurs exemptes de tout reproche. Tous les plans sont en effet en place, des DPRI aux PAPI. Il pourrait être nécessaire de trouver un nouveau référent pour continuer à travailler avec tous les acteurs et faire face à ces événements exceptionnels en termes de pluviométrie.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Nous sommes sensibles au rappel que vous faites de la position exprimée par le Sénat dans le cadre de la loi « 3DS » concernant le statut du CEREMA. Nos collectivités ont besoin, sur des sujets qui nécessitent des expertises très pointues d'être accompagnées par le CEREMA. Le fait que les élus s'engagent change la culture.

Nous parlions de la nécessité de coordination des acteurs. Elle ne fonctionne que lorsque les acteurs se connaissent, et qu'ils ont travaillé ensemble sur le sujet. Si vous donnez soudainement au préfet l'autorité nécessaire pour réunir des personnes qui ne se connaissent pas, l'entente sera délicate.

M. Didier Felts, responsable du groupe eaux, risques et résilience du CEREMA. - Je viens également d'une belle région, celle de Bordeaux, et j'officie entre la Nouvelle-Aquitaine et l'Occitanie. Je vais rebondir sur tous les propos déjà évoqués. Nous sommes dans une situation d'accélération. Concernant le changement climatique, les scientifiques et les techniciens tentent de répercuter les connaissances le mieux possible. Le cadre a beaucoup évolué en quelques années. Vous avez évoqué tous les outils, qui fonctionnent et qui ont évolué récemment, permettant au territoire de répondre à ces enjeux de risques. Le plan de prévention des risques (PPR) représente aujourd'hui le dire de l'État sur la connaissance des risques, et il permet des évolutions notoires. Un décret publié en 2019 permet de repenser le territoire avec des espaces d'aménagement, ce qui est fondamental pour l'avenir. Sur ces territoires affectés où convergent plusieurs problématiques, les pouvoirs publics sont désormais convaincus qu'il faut réaliser des aménagements qui prennent en compte ces risques, pour tenir compte des évolutions futures. Dans ces outils réglementaires, nous ne prenons pas forcément en compte les changements climatiques. Nous avons évoqué les dossiers d'autorisation environnementale, sujet pour lequel nous demandons aux acteurs du territoire de se projeter dans le futur. Nous parlons également de bassins de risques. Nous réfléchissons par rapport au territoire sur ces notions de bassins de risques, qui dépassent les limites communales ou intercommunales. L'enjeu est d'avoir sur ces territoires une bonne représentation des risques, des aléas ou des phénomènes naturels, et de prendre en compte ces évolutions. Sur des sujets qui portent le CEREMA en tant qu'acteur aux interfaces des territoires, il existe de bons exemples inspirants. Par exemple, les projets « Mieux aménager les territoires en mutation exposés aux risques naturels (AMITER) » lancés par le ministère, qui visent à expérimenter sur certains territoires les aménagements optimums par rapport à un risque donné. Plusieurs territoires sont ainsi couverts par un partenariat public d'aménagement (PPA), à l'instar du grand Cahors ou de Saint-Jean-de-Luz. Les enjeux sont traités sous forme d'expérimentation.

Nous avons évoqué la résilience : ce sujet concerne le groupe que je pilote. Son objet est de réfléchir avec des territoires donnés à des situations d'évolution, de repenser des actions à mettre en place, et de coconstruire ces trajectoires. Ce principe doit nous permettre d'agir sur la base de connaissances les plus complètes possibles.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Je retiens deux éléments, récurrents dans la réflexion du Sénat, sur la manière dont l'État doit permettre aux collectivités de travailler pour atteindre leurs missions de service public, y compris dans les cas de catastrophes.

Vous avez évoqué les bassins de risques. Auditionné avant vous par notre délégation, le président de Départements de France établissait une distinction entre « territoire administré » et « territoire vécu ». Ce que vous dites est particulièrement juste : la catastrophe et le fléau ne se renseignent pas au préalable sur la carte administrative. Des inondations ne sont pas forcément dues à des erreurs de la commune touchée. Cela peut être dû à une forte urbanisation sur d'autres communes en amont. La ville en aval se trouve donc affectée par les décisions d'autres communes. Il faut donc être à chaque fois à l'échelle de pertinence, et j'aime beaucoup cette notion de bassins de risques.

Par ailleurs, vous avez mis en exergue la notion d'expérimentation. Nous pensons qu'il est nécessaire de tester et d'expérimenter des diagnostics, des processus et des méthodes de travail. C'est particulièrement vrai dans le cadre de catastrophes, mais c'est vrai d'une manière générale. Je prends souvent l'exemple de l'industrie automobile. Il ne viendrait à personne l'idée de fabriquer des modèles grand public avant d'avoir testé des prototypes. À l'issue de cette table ronde, nous retiendrons cette analyse que vous faites de la manière de prévenir, de gérer et d'ancrer la culture du risque dans notre territoire.

Je cède à présent la parole aux collègues qui souhaitent poser des questions.

M. Daniel Gueret. - Les adaptations du statut de l'élu local vous paraissent-elles nécessaires pour mieux répondre aux crises ? La délégation a récemment recommandé l'allègement des autorisations d'absence, par exemple. D'autres adaptations seraient elles nécessaires selon vous ?

M. Sébastien Leroy. - Je vous remercie d'évoquer ce sujet. Le statut de l'élu local a en effet besoin d'être repensé. L'autorisation d'absence peut être un sujet si le maire ou ses adjoints sont salariés, et qu'une crise engendre un travail 24 heures sur 24, parfois sur plusieurs semaines, ce qui est extrêmement éprouvant et qui peut être source de conflits avec l'employeur. Le statut de maire en tant que tel n'est pas adapté aujourd'hui à la mission qui est maintenant la sienne. Sur un territoire à risques, le maire est responsable personnellement et pénalement de tout ce qui peut arriver, y compris ce qui n'est pas de son fait. Cette réalité s'étend également à des concepts jurisprudentiels qui ont échappé à tout contrôle. Je pense notamment à la prise illégale d'intérêts qui, aujourd'hui, vous condamne parce que vous êtes élu même si vous n'avez rien pris ou fait d'illégal. Dans mon département, la maire d'une commune vient de passer en correctionnelle pour un manquement à l'application de son plan de sécurité. Il est donc nécessaire de repenser le statut de l'élu, notamment en matière de responsabilités. Vous devenez maire sans étape préalable, et certains découvrent l'ampleur de cette responsabilité après l'élection, surtout dans les petites communes. Que vous soyez maire d'un village de dix habitants ou d'une métropole de 200 000 habitants, la charge est la même, voire plus lourde pour les petites communes, car vous devez tout faire.

Il est nécessaire d'accompagner les élus mais aussi de revoir leur rémunération, car on constate aujourd'hui un phénomène massif de démission lié à cette question. En temps de crise, vous mesurez votre incapacité à répondre aux problématiques, ce qui est moralement très difficile. En cas de décès sur le territoire de votre commune, vous êtes alors responsable, non pas juridiquement, mais moralement. Le statut de l'élu nécessite donc une refonte très importante. De petites évolutions ne seront pas en mesure de répondre aux attentes des élus de terrain qui sont dans une vraie souffrance, notamment dans les petites communes.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Je souhaiterais poser une question en lien avec une mission lancée par notre délégation sur le thème de l'intelligence artificielle. En matière de prévention et de gestion du risque, l'IA peut-elle être source de valeur ajoutée ? Si oui, comment ?

M. Hervé GILLÉ. - Nous devons regarder comment alléger un certain nombre de cahiers des charges, tout en tentant d'être le plus exhaustif possible dans notre approche. En examinant les pratiques sur le terrain, nous constatons que beaucoup de choses peuvent être faites, qui ne nécessitent pas forcément de disposer d'un document homologué. La confortation de l'approche intercommunale sur la gestion du risque est un vrai enjeu. Les systèmes d'information - et leur bonne coordination sur les territoires --, ainsi que l'accompagnement des élus sont aussi des sujets importants.

Vous évoquiez, Monsieur Christian Leroy, l'enjeu des batardeaux. Un batardeau n'a pas forcément besoin d'un PAPI. En cas d'enjeux particuliers, nous pouvons disposer d'un accompagnement, de diagnostics particuliers qui permettent d'équiper un certain nombre de maisons, d'ouvrages, pour commencer de protéger a minima, sans qu'un PAPI soit nécessaire. Nous pouvons mobiliser un certain nombre d'actions sur le terrain, sans passer par des programmes très lourds. Nous attendons souvent que les programmes soient mis en place avec la validation du plan d'action pour les décliner par ailleurs. Il serait souhaitable de disposer d'un cahier de préconisations des bonnes mesures, avant d'attendre des agréments.

Nous avons également de vrais efforts de promotion à réaliser quant aux nouvelles architectures sur des territoires inondables. Dans certains endroits, il est possible de construire sur pilotis. La gestion du fil de l'eau constitue aussi, au niveau du CEREMA, un enjeu majeur. Elle est encore insuffisamment maîtrisée et connue, et intégrée dans les documents d'urbanisme à tous les niveaux. Si la gestion du fil de l'eau est stratégique et prospective, il est possible d'atténuer l'impact des événements, et nous devons progresser rapidement pour intégrer cela dans les documents d'urbanisme.

M. Christian Leroy. - Concernant le statut de l'élu, et au regard de l'expérience que vivent certains de mes collègues, cela constitue en effet un vrai sujet. Pour l'un de ces élus, il s'agit de 20 jours d'autorisation d'absence sans rémunération, alors que l'indemnité municipale est faible. Certains maires sont de véritables moines.

Pour revenir ensuite sur le propos du Sénateur Hervé Gillé, je compte beaucoup sur le plan intercommunal de sauvegarde (PICS) pour tenter de développer une stratégie locale. Nous disposons d'un PAPI efficace, et nous sommes déjà dans une logique de l'après avec un programme d'action mis en oeuvre, mais le PICS doit apporter beaucoup dans cette mutualisation des moyens. Nous allons le développer avec l'agence de l'urbanisme, car nous avons besoin d'ingénierie. Le CEREMA pourrait également être un acteur et nous accompagner dans cette démarche.

Concernant la reconstruction, nous devrons faire de la pédagogie. Aujourd'hui, il serait difficile d'expliquer à nos habitants que nous allons reconstruire de façon résiliente sur des terrains qui ont été inondés. Nous disposons de terrains constructibles sur lesquels les projets existent, mais des associations se montent pour les refuser radicalement. Je suis d'accord sur le principe d'une construction différente, mais cela pose une problématique économique : la construction sur pilotis est plus coûteuse que la construction traditionnelle.

M. Sébastien Leroy. - Mettre en place les dispositifs comme les batardeaux peut être assez immédiat, et nous essayons de partager cette information avec nos collègues. Il est certes nécessaire d'avancer cet argent avant d'être remboursés par l'État, mais cela permet de garantir la protection des biens en cas de catastrophe. Les PICS peuvent être très pertinents sur des ensembles constitués de petites communes, avec une ville-centre en confortant plusieurs moyens. Mais le PICS donne peut-être parfois l'illusion aux élus qu'ils ne sont plus responsables et que l'intercommunalité se chargera de tout, ce qui n'est pas le cas. Même en cas de PICS, le maire demeure le seul responsable de son plan communal de sauvegarde (PCS). Il faut particulièrement insister sur ce point. Lorsque vous avez des communautés constituées de villes moyennes ou grandes, il peut être contre-productif, car les villes sont plus réactives quand elles ont les moyens d'intervenir seules. Le PICS n'est peut-être dans ce cas qu'un complément logistique. Il doit être vu en termes d'options et de choix. Mais le PICS ne remplace pas le PCS.

Concernant les financements, la taxe GEMAPI n'est plus du tout adaptée aux dépenses que vont devoir affronter les collectivités, car elle a été imaginée à une époque où la compétence GEMAPI était transférée alors que les enjeux étaient différents. Aujourd'hui, les charges se sont considérablement accrues. Au 24 janvier 2024, l'État a transféré l'ensemble des digues de France aux collectivités. Or, l'État n'a pas effectué son travail dans la décennie écoulée, en termes d'audit et d'entretien. Aujourd'hui, les collectivités se retrouvent avec des ouvrages dont elles n'ont aucune connaissance. Cela va nécessiter un financement considérable, auquel l'État ne contribuera qu'en partie. La taxe GEMAPI n'était déjà pas suffisante avant ce transfert, pour faire face aux transformations des territoires. Les Alpes-Maritimes peuvent être confrontées à des crues torrentielles, avec des eaux d'une très forte puissance, mais qui ne restent pas, quand le Pas-de-Calais est touché par des inondations très larges ou l'eau reste. Les ouvrages à réaliser sont considérables si nous souhaitons réduire ces risques. Le coût de consommation électrique des stations de pompage du Nord-Pas-de-Calais a atteint 30 % du budget annuel, car elles ont fonctionné jour et nuit. Il faut donc penser à un nouveau système.

Concernant l'urbanisme, nous nous battons pour retrouver une liberté. Le maire n'est plus du tout maître de son plan local d'urbanisme. Il subit là aussi des injonctions contradictoires. Les réglementations telles que la loi SRU sont extrêmement pernicieuses, car elles poussent à urbaniser sur des zones déjà identifiées comme inondables. Dans ma commune, l'État a fait construire des bâtiments de logements sociaux sur des zones blanches le long d'une rivière. Aujourd'hui, le terrain est en zone rouge. D'autres terrains acquis pour réaliser de grands ensembles ont été inondés avant que les permis ne soient délivrés par l'État. Ces terrains sont aujourd'hui totalement inconstructibles. Il faut donc redonner au maire la liberté d'aménager son territoire et de rendre des comptes. C'est pour cela que le rôle du préfet est important. Le droit français n'est plus du tout adapté à ce qui nous attend, et les maires doivent retrouver leur capacité d'agir, de l'autonomie et un pouvoir de décision au niveau local.

M. Stéphane Coudert. - Concernant l'intelligence artificielle, je vais donner l'avis d'un établissement qui ne mène pas de recherche en la matière, mais qui potentiellement en est un utilisateur. Le CEREMA héberge au moins une start-up d'État fonctionnelle. Nous avons des réflexes de développement informatique. Nous pouvons évoquer deux points : l'intelligence artificielle permet d'attaquer de manière très performante et rapide des bases de données accessibles, ce qui peut permettre de gagner un temps considérable dans les premiers éléments de diagnostic, en matérialisant l'accès à des bases de données. Ensuite, vous pouvez choisir d'appliquer le moteur d'intelligence artificielle sur les sources que vous souhaitez. Il existe des programmes qui permettent d'accéder au seul rapport du GIEC. Ces rapports sont écrits dans un langage très accessible, mais ils demeurent très arides. Pouvoir les parcourir non pas de manière linéaire, mais au gré des questions qui viennent à l'esprit aide beaucoup à leur appropriation.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Merci beaucoup d'avoir pris le temps de nous rencontrer, pour cette table ronde particulièrement instructive, qui nous aura permis de confirmer et consolider nos convictions.