Jeudi 15 février 2024
- Présidence de Mme Micheline Jacques -
Étude sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer - Audition Charles Trottmann, directeur du département des Trois Océans de l'Agence française de développement
Mme Micheline Jacques, président. - Chers collègues, nous accueillons ce matin Charles Trottmann, directeur du département des Trois Océans de l'Agence française de développement (AFD), dans le cadre de nos auditions pour le rapport d'information sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer.
L'Agence française de développement est l'une des institutions majeures du soutien public, à la fois banque et organisme de coopération.
Son action est bien connue pour les pays en voie de développement, mais beaucoup moins en ce qui concerne les outre-mer, alors que la masse financière en jeu est conséquente. En 2021, l'AFD a consacré 1,4 milliard d'euros dans les trois océans en concentrant ses interventions sur le développement économique, social et les défis communs comme la lutte contre le changement climatique.
Pour renforcer l'intégration régionale des outre-mer et apporter une réponse globale à des problématiques transfrontalières, l'AFD a adopté en 2019 la stratégie dite « Trois Océans ». Cette approche - que nous avons aussi souhaité reprendre pour notre rapport - permet d'associer dans la réflexion les territoires ultramarins et les États étrangers voisins dans les trois bassins océaniques : Atlantique, Indien et Pacifique.
Il était donc très important de vous entendre, Monsieur le directeur, dans le cadre de cette étude.
Nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation pour répondre aux questions de nos rapporteurs et des autres membres de la délégation aux outre-mer.
Nous souhaitons naturellement vous interroger sur le degré d'intégration ou d'insertion régionale de nos territoires ultramarins dans chaque bassin océanique, en commençant cette année par le bassin Indien.
Une meilleure intégration régionale pourrait-elle selon vous constituer un levier contre la vie chère ? Plus largement, quels sont les obstacles à une meilleure intégration régionale des outre-mer ?
Je laisserai nos rapporteurs présents vous interroger après votre exposé liminaire sur les aspects plus précis, puis nos collègues poseront leurs questions à leur tour s'ils le souhaitent.
Monsieur le président, je vous cède la parole.
M. Charles Trottmann, directeur du département des Trois Océans de l'Agence française de développement. - Je souhaite tout d'abord vous remercier pour votre invitation. C'est un plaisir de pouvoir venir vous parler de l'intégration régionale de nos outre-mer. Comme vous l'avez très justement souligné, cet enjeu est central au sein du mandat de l'AFD dans ces territoires et les États étrangers voisins.
L'AFD est sans doute l'un des seuls opérateurs de l'État présent à la fois dans tous les outre-mer et dans tous les États voisins. Cela résulte bien sûr de son histoire : l'AFD était la Caisse centrale de la France libre, puis de la France d'outre-mer. Elle était présente dans tous les territoires qui faisaient partie de la France, mais a ensuite développé son activité dans tous les pays en développement.
Ce maillage singulier, fruit de l'Histoire, s'est déployé stratégiquement dans une période récente. Comme vous l'avez souligné, la création du département des Trois Océans, que j'ai l'honneur de diriger depuis 2019, a modifié l'organisation et sans doute le regard de l'AFD sur sa façon de travailler dans ces territoires.
Historiquement, l'AFD disposait d'un département outre-mer et de départements Afrique, Amérique Latine-Caraïbes et Asie-Pacifique. L'outre-mer était ainsi traité en silo par rapport aux autres zones dans lesquelles nous travaillions. Cela induisait un biais. En effet, l'outre-mer était considéré en tant que tel ou dans son rapport avec l'Hexagone, mais non dans ses spécificités ni dans les trajectoires de développement propres à chacun de ses territoires du fait de leurs caractéristiques géographiques, sociales, économiques ou démographiques.
Sous l'impulsion de l'État, nous avons changé de regard. En 2018, un Comité interministériel de la coopération internationale et du développement nous a enjoint d'élaborer des stratégies par bassin. Nous avons alors recherché comment être plus pertinents au service de chacun de ces territoires.
Ainsi, l'approche « Trois Océans » signifie que les outre-mer ne sont pas seulement considérés dans un rapport de rattrapage, même si l'enjeu reste essentiel, mais aussi dans leur propre trajectoire de développement ancrée dans une réalité géographique.
Elle signifie aussi que les États étrangers sont vraiment considérés comme partageant des enjeux communs en matière de sécurité sanitaire, de migrations, de commerce, d'infrastructures, etc.
En outre, l'approche « Trois Océans » se traduit par une maille d'action beaucoup plus forte à l'échelle des bassins ; cet échelon se révèle le plus adapté à la mise en oeuvre des projets qui relient les différents territoires, en matière de sécurité sanitaire, de lutte contre le réchauffement climatique ou de gestion des déchets.
Un dernier niveau stratégique consiste à partager des solutions entre territoires insulaires partout dans le monde. En effet, quelle que soit l'organisation institutionnelle de chacun de ces territoires, beaucoup de questions se posent dans les mêmes termes, comme l'érosion côtière, l'autonomie énergétique ou alimentaire.
Tel est notre cadre stratégique depuis 2019. Il a été renforcé politiquement l'année dernière : le Comité interministériel de la coopération internationale et le développement (CICID), comme les orientations prises par le Comité interministériel pour les outre-mer (CIOM), ont remis au rang des priorités l'intégration régionale des outre-mer.
Ce cadre stratégique se traduit opérationnellement par une très forte montée en charge du nombre et du volume de projets menés à l'échelle régionale, impliquant au moins deux territoires d'un même bassin océanique. Alors que ces projets régionaux étaient presque inexistants auparavant, leur volume annuel se situe en moyenne autour de 50 ou 60 millions d'euros dans les trois bassins. Pour information, les réponses à votre questionnaire comporteront davantage de chiffres.
À titre d'illustration, je citerai quelques modalités d'actions mises en place au fur et à mesure du déploiement de ce mandat. Beaucoup d'entre elles, notamment en matière de biodiversité ou de lutte contre le changement climatique, sont financées grâce aux crédits du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères dans le cadre du « Programme 209 ».
Nous sollicitons aussi des « crédits délégués », alloués par des financeurs internationaux, notamment l'Union européenne (le NDICI, et le FED précédemment), pour des projets de coopération régionale dans chaque bassin de l'UE. Dans le même esprit, nous avons mobilisé le Fonds vert pour le climat, uniquement dans l'océan Indien à ce stade, dans le cadre de deux projets conséquents, pour lesquels nous avons levé environ 80 millions d'euros : le premier concerne l'hydrométéorologie, le second des solutions fondées sur la nature pour préserver la biodiversité.
En outre, nous bénéficions de quelques fonds du ministère des Outre-mer, à travers notamment le « Programme 123 » qui alimente les outils de l'AFD.
Enfin, quelques instruments spécifiques orientés « acteurs » méritent d'être cités, comme la Facilité de financement des collectivités locales (FICOL) ou le Fonds d'expertise technique et d'échanges d'expériences (FEXTE).
La FICOL est dédiée au soutien des actions décentralisées des collectivités locales. Cet instrument produit un effet de levier très puissant, jusqu'à 70 % du financement, pour inciter les collectivités à mener des actions à leur initiative. Un premier bilan sera réalisé cette année dans les trois bassins. Il pourrait permettre de dynamiser encore cette facette de la coopération régionale.
Le FEXTE permet de recourir à des acteurs français de toute nature (entreprises ou agences publiques) pour financer des prestations d'expertise auprès d'États étrangers. Les résultats sont très positifs dans nos bassins. À titre d'exemple, nous avons sollicité l'Agence d'urbanisme de La Réunion pour appuyer des plans de développement à Madagascar et aux Comores ; dans le même esprit, l'agence Enercal de Nouvelle-Calédonie a été mobilisée pour une expertise sur le développement des énergies renouvelables en Papouasie-Nouvelle Guinée. Ces fonds confiés par le ministère des Finances constituent un instrument de projection d'une expertise française localisée dans les bassins, jugée plus pertinente par les États de la zone, car elle est plus proche d'eux.
En dernier lieu, je souhaiterais citer le dispositif Initiatives OSC (organisation de la société civile). Il fonctionne chaque année sous forme d'appel à projets permettant aux organisations de la société civile française d'intervenir dans les États étrangers au titre de la solidarité internationale. Historiquement, le dispositif était assez peu mobilisé outre-mer, mais nos actions d'incitation menées depuis deux ans auprès de la société civile ultramarine ont rencontré un certain succès. Une dizaine d'OSC ultramarines ont ainsi pu bénéficier de financements pour des programmes majoritairement mis en oeuvre à proximité dans leur bassin.
En conclusion, nous disposons d'une large palette d'instruments. Cependant, ils demeurent construits en silo, si bien que l'assemblage des différents fonds demeure malaisé. Au niveau européen, comme au niveau national, il manque un outil dédié permettant de construire des projets intégrés de coopération régionale. Nous en discutons avec nos ministères.
Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.
Mme Micheline Jacques, président. - Merci. Votre intervention va pleinement dans le sens des travaux de la délégation.
Je cède la parole à nos rapporteurs ici présents.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure pour le bassin Atlantique. - Merci pour cette présentation.
Mon regard de Valdoisienne est un peu différent de celui de mes collègues. Depuis le début de nos auditions, la complexité et les strates de cette coopération régionale m'interrogent. Je constate l'intérêt de la stratégie des trois océans que vous avez mise en place. Elle ne peut que simplifier la situation, car, pour être différents, les territoires ultramarins présentent des forces et des faiblesses communes.
Dans ce cadre, je souhaiterais poser plusieurs questions.
Assurez-vous la coordination entre tous les acteurs de la coopération régionale : les chambres de commerce et d'industrie, les collectivités locales, etc. ?
Associez-vous les collectivités ultramarines à vos réflexions, en particulier dans la définition de votre stratégie d'action ?
Quels moyens de soutien et d'intervention pouvez-vous développer auprès des organisations régionales ?
Enfin, une part de votre action est-elle consacrée aux sujets liés à la sécurité ? Ceux-ci représentent en effet un élément essentiel de stabilisation de nos territoires ultramarins.
M. Georges Patient, rapporteur pour le bassin océan Indien. - Ma principale question porte sur votre positionnement. En tant qu'instrument financier et bras armé de l'État en matière de coopération, parvenez-vous à faire la part des choses ? Ainsi, vous êtes l'outil financier chargé de l'exécution de l'accord-cadre entre l'État français et les Comores, mais avez-vous le contrôle des fonds déjà versés ? Disposez-vous d'indicateurs pour évaluer les résultats par rapport à l'objectif de réduction des flux migratoires vers Mayotte ? Quelles suites avez-vous données à cet accord ? Sachant que ce plan est un échec, interviendrez-vous comme prévu jusqu'en 2030 ?
Par ailleurs, il vous est souvent reproché de consentir de meilleurs taux aux États étrangers voisins qu'aux DROM. Pourriez-vous comparer ces financements et surtout communiquer auprès des collectivités locales sur les investissements réalisés dans leur voisinage immédiat ? À titre d'exemple, le financement par l'AFD du pont du Suriname n'a été connu que tardivement en Guyane.
M. Charles Trottmann. - Je répondrai à ces questions dans l'ordre.
L'AFD n'est qu'un opérateur de l'État parmi d'autres. Le rôle de coordination est assuré par les représentants de l'État, à savoir les ambassadeurs délégués à la coopération régionale. Ils sont chargés de coordonner tous les acteurs publics et privés, locaux et internationaux sur ces sujets-là.
Toutefois, l'AFD présente une double spécificité. D'une part, elle est le seul acteur présent des deux côtés, ce qui lui procure une acuité de regard particulière. D'autre part, ses actions en matière de coopération régionale sont les plus conséquentes en volume. Elles représentent aujourd'hui plusieurs centaines de millions d'euros.
Notre rôle se révèle donc central. Nous entretenons un dialogue permanent avec les préfectures, les ambassades, les grandes collectivités locales, y compris leurs délégations aux relations internationales, et les acteurs de la coopération internationale, comme les organisations régionales ou les unions de chambres de commerce lorsqu'elles existent.
Le rôle des collectivités locales est essentiel. L'élaboration de la stratégie Trois Océans en 2018-2019 a notamment donné lieu à une assez large concertation externe, en particulier sur les attentes des collectivités ultramarines. Plusieurs d'entre elles ont été interrogées l'an dernier à l'occasion du bilan de cette stratégie. La perception se révèle globalement très positive, puisque 90 % des personnes interrogées observent un progrès dans la prise en compte des enjeux transversaux.
Cela étant, nous restons un opérateur de l'État, dont le mandat est déterminé par le CICID, par notre contrat d'objectifs et de moyens avec l'État et par les stratégies pays que nous mettons en place. L'écoute de nos partenaires, comme les collectivités locales, nous permet toutefois d'assurer un équilibre. Les collectivités d'outre-mer sont aussi nos clients, puisque nous sommes leur premier financeur. Nous portons en effet 50 % de la dette publique de tous les acteurs publics ultramarins. Par conséquent, nous entretenons au quotidien un dialogue très étroit qui nous permet de capter des messages un peu différents de ceux que perçoivent d'autres acteurs de l'État dont la posture est plus régalienne.
Les organisations régionales représentent un maillon très significatif de l'action. Elles interviennent dans la grande majorité de nos projets régionaux.
Dans l'océan Indien, au coeur de votre réflexion cette année, nous travaillons beaucoup avec la Commission de l'océan Indien (COI), dont la France est membre au titre de La Réunion. Une dizaine de projets sont aujourd'hui en cours d'exécution. Ils concernent la sécurité sanitaire, la préservation de la biodiversité, la lutte contre la pollution plastique, l'inclusion économique des femmes, la formation professionnelle et la mobilité entre territoires de la zone...
Outre ce partenaire central, je citerai l'Association des États riverains de l'océan Indien (IORA), dont la France est membre depuis quelques années. Son périmètre géographique est plus large et sa substance opérationnelle moindre, mais elle constitue un espace d'échange et de coopération intéressant. Nous travaillons avec elle sur des sujets d'économie bleue et de mobilisation des ressources marines.
Côté océan Atlantique, nos partenaires sont d'abord l'Organisation des États de la Caraïbe orientale, avec laquelle nous avons conduit plusieurs projets sur la préservation des mangroves, la lutte contre la pollution plastique ou l'harmonisation des normes d'interconnexion aérienne entre les différentes autorités de régulation.
Par ailleurs, nous travaillons un peu avec la Communauté caribéenne (CARICOM), notamment avec son agence de surveillance épidémiologique et de sécurité sanitaire.
Enfin, nous sommes en relation avec la Banque de développement des Caraïbes. L'AFD lui a prêté des fonds, permettant ainsi aux entreprises ultramarines de candidater sur les lignes de crédits correspondantes. Nous espérons que le retour de la France dans son capital permettra de multiplier les opportunités.
Dans le Pacifique, nous travaillons avec la Communauté du Pacifique, qui siège à Nouméa, avec le Programme régional océanien pour l'environnement et avec le Forum des îles du Pacifique.
Nous sommes notamment actifs dans le cadre du programme Kiwa. Cette initiative, lancée en 2017, se révèle innovante. Elle est collective, car les fonds proviennent du Canada, de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande, de l'Union européenne et de la France. Elle permet de financer des solutions fondées sur la nature, comme l'utilisation des capacités de régénération et les techniques agricoles de conservation, pour s'adapter au changement climatique. 75 millions d'euros ont été mobilisés à cet effet au cours des dernières années. Ils présentent la particularité de pouvoir être mis en oeuvre dans tous les territoires de la zone. Un même programme peut donc s'appliquer dans plusieurs territoires, qu'ils soient français ou étrangers. L'ingénierie est complexe, mais apparaît pertinente.
Dans les outre-mer, la sécurité relève de l'État. Dans les États étrangers, notre mandat est limité par l'OCDE. Nous ne pouvons intervenir qu'en matière de sécurité civile (pompiers, douanes...), mais non pour le maintien de l'ordre (police, armée...). Pour autant, notre approche consiste à intervenir à long terme sur les causes profondes de l'insécurité en agissant sur l'inclusion, l'emploi, etc.
Sur le plan financier, l'AFD est un instrument de la coopération internationale dont l'actionnaire est l'État. Notre mandat est donc public.
Je ne m'exprimerai pas sur le volet politique des relations entre Mayotte et les Comores. Cependant, il convient de rappeler que le plan de développement France-Comores a permis de débloquer une situation de crise. En 2018-2019, les Comores refusaient en effet de reprendre leurs ressortissants sous obligation de quitter le territoire français.
Dans ce cadre, l'AFD a apporté 150 millions d'euros d'engagements financiers pour aider au développement des Comores, en contrepartie d'un double effort. Le premier concernait les réadmissions. À cet égard, les Comores sont irréprochables puisqu'elles reprennent 25 000 ressortissants par an sans laissez-passer consulaire. Le second portait sur la prévention des départs. Beaucoup reste sans doute à faire en la matière, mais cela ne relève pas de l'AFD.
Celle-ci cherche à agir sur les causes profondes des migrations en concentrant les fonds sur trois grands secteurs : l'éducation, la santé et l'insertion dans l'emploi, en particulier dans les secteurs agricoles.
Conformément à la demande qui nous était faite, nous avons engagé la totalité des fonds fin 2021. La mise en oeuvre se réalise progressivement, sans doute jusqu'en 2028 ou 2029, à la mesure des capacités d'exécution des partenaires comoriens. En tout état de cause, le dispositif est très étroitement contrôlé. Outre l'agence de l'AFD présente sur place et constituée d'une quinzaine de personnes, environ cinquante collaborateurs français d'Expertise France accompagnent sur place la mise en oeuvre des programmes. Chaque euro peut ainsi être tracé.
Leur utilisation est très concrète : rénovation de cinq hôpitaux, dont les maternités d'Anjouan, construction ou rénovation de cinquante écoles, accompagnement de plus de 8 000 personnes en formation professionnelle et insertion... L'AFD agit réellement, selon ses capacités techniques et financières, même si cela ne suffit pas à compenser l'écart structurel de niveau de vie - actuellement d'un à huit - entre Anjouan et Mayotte.
Enfin, nos conditions financières sont bien entendu plus favorables dans les territoires ultramarins que dans les États étrangers, d'une part parce que les ressources bonifiées par l'État permettent d'abaisser le coût de nos prêts outre-mer, d'autre part car ces collectivités françaises présentent moins de risques.
De fait, les taux y sont structurellement moins élevés, même si les États étrangers peuvent accorder des dons, ce qui est peu fréquent outre-mer même si la pratique se développe avec le Fonds outre-mer. À cet égard, je souhaite vous remercier pour les efforts que vous accomplissez pour le développement de nos capacités.
Concernant l'information sur nos financements, l'intégralité des projets financés dans les États étrangers est publiée sur le site de l'AFD. Nous ne cachons rien. En revanche, nous pourrions être plus proactifs en matière d'information ou de régularité de l'information entre nos territoires.
Au Suriname, nous avons financé notamment l'hôpital d'Albina, de l'autre côté de la frontière. Nous reprenons les opérations qui avaient été interrompues depuis quelques années en raison d'impayés. Il est en effet utile de continuer à informer de nos actions les autorités locales, via notre agence de Guyane.
Mme Micheline Jacques, président. - Je donne la parole à nos deux collègues de Mayotte.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Je vous ai écouté avec attention, Monsieur le directeur, et je ne suis pas d'accord avec vos propos. L'AFD est une agence française. Elle doit d'abord oeuvrer pour les intérêts de la France.
Je conçois que vous ne puissiez vous prononcer sur des questions politiques, voire géopolitiques. Cependant, les Comores ne respectent pas leur part de contrat. La situation migratoire à Mayotte n'a jamais été aussi préoccupante. Les Comores exercent un chantage migratoire à l'encontre de la France. Elles orientent vers Mayotte les Africains de la région des grands lacs, d'où un flux migratoire massif de la part de nouvelles populations.
Les Comores ont le devoir de reprendre leurs concitoyens, elles ne rendent pas un service à la France. Cela devrait représenter leur premier devoir, mais à certains moments, elles exercent un chantage jusqu'à ce qu'elles reçoivent des fonds. Avec l'accord de 2019, ces fonds transitent par l'AFD, mais c'est la seule différence. Les Comores ne jouent pas le jeu, elles continuent leur chantage. J'ai appuyé l'accord de 2019, mais aujourd'hui force est de constater que le président Azali Assoumani se moque de nous et qu'il ne l'exécute pas.
Pour cette raison, indépendamment de la présente mission, je préconise de passer par un autre pays. L'Union européenne paie la Turquie pour empêcher l'immigration de Syriens. Or la situation dans l'océan Indien est aussi grave et justifierait le même type de démarche, quitte à intégrer des ONG dans le processus pour s'assurer d'un traitement humanitaire. Les migrants irréguliers devraient être renvoyés de Mayotte vers un autre pays où ils formuleraient leur demande de séjour ou de statut de réfugié. La France s'engagerait à les traiter de façon humaine, alors qu'ils risquent leur vie aujourd'hui. S'ils bénéficient du statut de réfugié, la France a bien sûr le devoir de les accueillir, sinon ils doivent rentrer dans leur pays.
M. Saïd Omar Oili. - Je souscris à ces propos.
Tout a été dit en matière de coopération régionale. Je m'exprimerai donc seulement en tant qu'ancien maire d'une commune de 18 000 habitants en Petite-Terre.
Je voudrais saluer les efforts de l'AFD à l'égard de nos collectivités à Mayotte. En effet, nous avons relevé lors d'une précédente audition le montant élevé des impayés qui mettent les entreprises en difficulté. Dans ces conditions, les avances accordées par l'AFD dès lors qu'une convention de subvention a été signée avec l'État permettent aux collectivités de fonctionner et d'investir sans attendre le versement des fonds. Encore merci.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Là aussi, nous sommes d'accord.
Mme Micheline Jacques, président. - Je comprends parfaitement votre émoi au regard de la situation que vit Mayotte actuellement. Nous vous l'avons déjà dit, mais vous pouvez compter sur notre indéfectible soutien.
Mme Vivette Lopez. - Nous comprenons les difficultés et l'émotion que vous manifestez.
Ma première question porte sur l'aide apportée aux collectivités, telle qu'elle vient d'être évoquée. Toutes les collectivités la demandent-elles ?
Par ailleurs, certains États vous sollicitent-ils moins ? Si oui, quels sont-ils ?
Enfin, les crédits sont-ils tous consommés ? Qu'advient-il s'ils ne le sont pas ?
M. Charles Trottmann. - J'illustrerai les propos du sénateur Saïd Omar Oili sur nos actions internes à Mayotte. L'an dernier, année record, nous y avons engagé 170 millions d'euros. Les montants ont été multipliés par trois sur les trois dernières années. L'effort accru de l'AFD sur ce territoire est absolument essentiel compte tenu des besoins considérables de la population. Nous intervenons dans tous les services de base : l'eau, les transports, l'appui aux communes... Nous essayons de nous concentrer sur cette mission essentielle.
Je ne reviens pas sur le sujet de Mayotte et des Comores. Beaucoup a été dit. Nous pouvons juste agir en tant qu'acteurs de développement dans le mandat donné par le Gouvernement français. Dans ce cadre, nous cherchons à agir le mieux possible pour contribuer au traitement des causes profondes des migrations, sachant que cela relève du temps long.
Pour répondre à la sénatrice Vivette Lopez, nous ne rencontrons aucune difficulté à mobiliser les crédits. Bien au contraire, la demande est très forte. 100 % des crédits relevant du ministère des Outre-mer sont engagés chaque année.
Les demandes proviennent de la plupart des collectivités. Nos activités s'exercent dans tous les territoires français d'outre-mer, y compris Wallis-et-Futuna et les Terres australes. Le degré d'intensité varie cependant selon les territoires, mais à titre d'exemple l'AFD accompagne 100 % des collectivités de Mayotte.
Concernant les États étrangers, la situation dépend du degré de développement, du niveau de richesse et de l'intérêt à collaborer avec la France, mais l'utilisation de nos moyens budgétaires ne pose pas de difficulté.
Mme Évelyne Perrot. - Vous avez évoqué la lutte contre les pollutions plastiques dans l'océan Atlantique, mais je suppose que vos interventions concernent tous les océans.
M. Charles Trottmann. - Je vous le confirme. Nous menons un projet sur la question dans chacun des trois bassins, porté à chaque fois par une organisation régionale différente : la Commission de l'océan Indien, l'Organisation des États de la Caraïbe ainsi que la Communauté du Pacifique et le Programme régional océanien de l'environnement. Ce sujet, à la fois sanitaire et environnemental, est essentiel.
Mme Évelyne Perrot. - Il est particulièrement important à Mayotte en raison du volume de bouteilles en plastique importées. J'avais écrit à ce sujet à la Première ministre pour lui demander comment le problème serait réglé. Elle m'a répondu que les bouteilles plastiques étaient consignées et que la population les rapportait pour être transportées par container au Havre. Le confirmez-vous ?
M. Charles Trottmann. - Nous ne sommes pas impliqués dans ce cas d'espèce, ce type de dispositif étant géré directement par l'État.
En revanche, vous soulignez le point important de la gestion et de la valorisation des déchets dans les territoires insulaires. La collecte représente un premier défi. De plus, le fonctionnement d'une unité de valorisation de tel ou tel déchet implique un volume minimum qu'une petite île n'atteint pas nécessairement. Il s'agit bien d'un sujet de coopération régionale. Les possibilités de mutualisation entre unités de traitement font l'objet de discussions à l'échelle de bassin.
M. Georges Patient, rapporteur pour le bassin océan Indien. - Nous savons que la Commission de l'océan Indien fonctionne très bien entre La Réunion et les États voisins. Cependant, fonctionne-t-elle bien sans Mayotte ?
M. Charles Trottmann. - C'est évidemment un sujet de préoccupation. Comme je l'ai souligné, la France est membre de la Commission de l'océan Indien au titre de La Réunion, mais certains États de la zone ne reconnaissent pas sa souveraineté sur Mayotte. Nous parvenons parfois à insérer celle-ci de façon technique dans certains travaux.
Mme Micheline Jacques, président. - Une dernière question porte sur les investissements des pays asiatiques dans le bassin caribéen, à Maurice ou aux Comores... Comment percevez-vous ces stratégies ?
Estimez-vous que la France pourrait disposer de moyens d'action plus conséquents pour rayonner dans ces territoires ?
M. Charles Trottmann. - Les trois océans font en effet l'objet d'une importante compétition géopolitique, tout particulièrement dans la zone indopacifique, compte tenu du poids de grandes puissances comme la Chine ou l'Inde, mais aussi des pays du Golfe et même des États-Unis. L'AFD est lucide quant aux influences qui s'exercent et aux investissements réalisés.
Notre réponse, en tant qu'acteur du développement, consiste à présenter la disponibilité et l'offre de la France. À cet égard, nous disposons de capacités d'action croissantes, en dons comme en prêts. En effet, le ministère des Affaires étrangères nous délègue de plus en plus de crédits, notamment dans le Pacifique.
De fait, les attentes vis-à-vis de la France se montrent très fortes, de la part des territoires comme Maurice, mais aussi de partenaires tels que l'Australie et la Nouvelle-Zélande qui partagent nombre de nos valeurs.
Mme Micheline Jacques, président. - Au moment de clore cette audition, je vous réitère nos remerciements.
Nous avons bien noté le changement de regard de l'AFD ainsi que sa volonté de s'inscrire dans le cadre de la coopération régionale et de contribuer, dans la limite de ses compétences, au développement de certains territoires. Vous avez également insisté sur votre rôle comme outil de coordination au service de la France.
Nous recevrons avec intérêt vos contributions écrites et toute précision technique que vous souhaiteriez communiquer.
M. Charles Trottmann. - Merci, Madame la présidente.