- Mercredi 14 février 2024
- Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), un outil à consolider - Audition de Mme Catherine Démier, présidente de la cinquième chambre de la Cour des comptes, M. Stanislas Bourron, directeur général de l'Agence nationale de la cohésion des territoires, et Mme Cécile Raquin, directrice générale des collectivités locales
- Réforme de l'octroi de mer - Audition de Mme Marie-Luce Penchard, vice-présidente du conseil régional de Guadeloupe, MM. Enfanne Haffidhou, directeur général adjoint des finances et vie institutionnelle du conseil départemental de Mayotte, Lucien Alexander, conseiller territorial délégué à la fiscalité et à la performance budgétaire de la collectivité territoriale de Guyane, Patrick Lebreton, premier vice-président du conseil régional de la Réunion, et Arnaud René-Corail, conseiller exécutif en charge des finances de la collectivité territoriale de Martinique
Mercredi 14 février 2024
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 10 heures.
Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), un outil à consolider - Audition de Mme Catherine Démier, présidente de la cinquième chambre de la Cour des comptes, M. Stanislas Bourron, directeur général de l'Agence nationale de la cohésion des territoires, et Mme Cécile Raquin, directrice générale des collectivités locales
M. Claude Raynal, président. - Nous procédons ce matin à une audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, réalisée à la demande de notre commission, en application de l'article 58-2 de la loi organique relative aux lois de finances, sur la mise en place et la viabilité de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).
Ce sujet intéresse tout particulièrement le Sénat pour plusieurs raisons. D'abord, parce que nous sommes sensibles à l'action des organismes qui contribuent à maintenir une forme de cohésion dans notre pays et parce que nous sommes conscients, sans doute ici plus qu'ailleurs, du risque de dislocation de la société si l'on n'atténue pas les disparités.
Ensuite, parce que notre assemblée assure la représentation de toutes les collectivités locales et qu'il faut bien reconnaître qu'un fort volontarisme politique est nécessaire pour tenter de restaurer l'accès aux services publics ou pour intensifier l'activité économique dans certains territoires.
L'ANCT joue un rôle crucial en la matière, même s'il faut bien admettre qu'il est parfois difficile de s'y retrouver dans l'ensemble des compétences qui lui ont été attribuées, quatre ans après sa création. En effet, l'Agence accomplit une grande variété de missions : pilotage de la politique de la ville, des dispositifs de l'État en faveur des villes moyennes ou des petites villes, de la ruralité et de la montagne, déploiement du très haut débit, accès au numérique, politiques d'accès aux services publics, soutien à la création de tiers lieux, mobilisation pour la réindustrialisation. Elle est également l'autorité de coordination pour la gestion des fonds européens, et bien d'autres choses encore !
Aussi avons-nous demandé à la Cour des comptes d'analyser les premières années d'exercice de l'Agence, qui a retenu les années 2020 à 2022 pour formuler des pistes d'amélioration.
Nous recevons Mme Catherine Démier, présidente de la cinquième chambre de la Cour des comptes, qui nous présentera tout d'abord les principales conclusions de cette enquête. Ensuite, le rapporteur spécial sur les deux programmes consacrés spécifiquement à la politique des territoires de la mission « Cohésion des territoires », M. Bernard Delcros, nous indiquera les principaux enseignements qu'il en tire et posera les premières questions.
Pour nous éclairer sur le sujet, mais aussi pour répondre aux observations de la Cour et aux remarques du rapporteur spécial, M. Stanislas Bourron, directeur général de l'ANCT et à Mme Cécile Raquin, directrice générale des collectivités locales, prendront la parole.
Chacun pourra ensuite poser la question qu'il souhaite. Je salue d'ailleurs la présence de M. Louis-Jean de Nicolaÿ, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.
À l'issue des débats, je demanderai aux membres de la commission des finances leur accord pour publier l'enquête remise par la Cour des comptes.
Je rappelle enfin que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et est retransmise en direct sur le site internet du Sénat.
Je laisse désormais la parole à Mme Catherine Démier.
Mme Catherine Démier, présidente de la cinquième chambre de la Cour des comptes. - Monsieur le président, pour présenter le rapport, je suis accompagnée de l'un de ses coauteurs, M. Vincent Launay, conseiller référendaire en service extraordinaire, et de MM. Guy Duguépéroux et Cyrille Pierre, conseillers maîtres.
Par une lettre en date de décembre 2022, vous avez demandé à la Cour des comptes, dans le cadre de sa mission d'assistance au Parlement, une enquête portant sur la mise en place et la viabilité de l'ANCT.
Le périmètre de l'enquête a été mis au point, en février 2023, avec M. Bernard Delcros, rapporteur spécial. Il n'était guère possible d'examiner l'ensemble des nombreuses missions de l'Agence, chacune d'entre elles pouvant faire l'objet d'un travail spécifique. Du reste, en 2022, la Cour des comptes a réalisé un rapport sur le programme « Action coeur de ville ». Cette année, la Cour des comptes a programmé d'examiner le programme « Petites Villes de demain », et s'apprête à publier avec certaines chambres régionales des comptes, une évaluation des maisons France Services. De plus, le New Deal mobile a également fait l'objet de travaux de la Cour à la suite d'une demande de la commission des finances du Sénat, en septembre 2021.
Nous avons donc convenu de délimiter le champ de contrôle aux objectifs et aux conditions de création de l'Agence, à la qualité de sa gestion et de son fonctionnement, et aux changements ou nouveautés que sa création avait pu susciter par rapport aux organismes dont elle prenait la suite. À cet égard, une attention particulière a été portée à sa relation aux territoires, à leur développement, auquel elle doit contribuer, et à son offre d'ingénierie.
L'enquête se présente en trois parties.
La première traite des conditions de la création de l'ANCT et de sa gouvernance. Elle rappelle la manière dont elle a été décidée : lors d'un discours prononcé ici même au Sénat en juillet 2017, le Président de la République a annoncé la création de l'Agence, qu'il a décrite comme porteuse du retour de l'État dans les territoires. Celle-ci devait agir dans une logique de guichet unique et de simplification de projets pour les territoires ruraux et les villes moyennes en difficulté.
Cependant, sa gestation a pris plus de deux ans, au cours desquelles différents périmètres et plusieurs principes d'intervention ont été envisagés, avant son installation, le 1er janvier 2020. Sa mise en place et le déploiement de son action ont été fortement perturbés par la crise sanitaire, survenue moins de trois mois après son lancement.
L'Agence doit composer, dans le champ étendu de ses missions, avec le nombre élevé de ministères chargés des politiques auxquelles elle participe et avec les organismes qui ont été désignés comme ses partenaires, qu'il s'agisse de l'Agence nationale de l'habitat (Anah), de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), de la Banque des territoires, de l'Agence de la transition écologique (Ademe) ou encore du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). Localement, l'Agence s'appuie sur les préfets, qui sont les délégués départementaux de l'ANCT ; elle doit obtenir leur participation active à la mise en oeuvre des dispositifs.
La deuxième partie a pour objet l'organisation administrative de l'Agence. Elle souligne les difficultés spécifiques qui s'opposaient à cette structure encore jeune, du fait notamment de la diversité des statuts et des cultures professionnelles de ses agents.
Dans plusieurs domaines, tels que les ressources humaines, les finances, les marchés publics ou les systèmes d'information, la structuration de l'ANCT n'est pas aboutie ; la mise en oeuvre, urgente, des dispositifs confiés à l'Agence a pris le pas sur la finalisation de son organisation. Par exemple, les outils financiers dont dispose l'Agence ne suffisent pas à lui donner une connaissance précise de ses coûts et une vision prospective de sa situation financière. Les documents financiers établis par l'Agence ne permettent pas d'en apprécier les équilibres. Le suivi de l'emploi des crédits fléchés, des engagements des restes à payer, de l'équilibre économique et de l'activité immobilière reste lacunaire, même si la trésorerie actuelle de l'Agence, au moment où nous avons rendu le rapport, en décembre 2023, lui assure à court terme une soutenabilité financière correcte.
L'État a d'ailleurs sa part de responsabilité, car la Cour estime qu'il n'a pas défini avec une clarté suffisante l'adéquation entre les financements reçus et les missions dont elle est chargée. En effet, l'ANCT devrait être en mesure d'isoler les coûts et les recettes, par exemple, de son activité en matière d'immobilier commercial - l'ex-Epareca (Établissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux) -, qui relève d'un service public à caractère industriel et commercial. Au surplus, l'examen de la commande publique a permis de détecter quelques anomalies, lesquelles ont été corrigées. Par ailleurs, l'étude des systèmes d'information a révélé de graves faiblesses, qui ont fait l'objet d'une annexe séparée, transmise directement à l'Agence ; il n'était pas souhaitable de les divulguer au grand public, s'agissant de questions touchant à la sécurité informatique.
La majeure partie des recommandations proposées par la Cour dans son rapport vise à conforter la gestion de l'ANCT dans les domaines des ressources humaines, du budget, de la comptabilité, des finances et des systèmes d'information.
La troisième partie vise à distinguer les apports de l'ANCT à l'action publique. Si elle n'a pas compromis l'action des services qu'elle a regroupés, l'Agence n'a pour l'instant que peu donné lieu à des synergies ou à des coopérations, notamment en matière de politique de la ville.
Les évolutions les plus représentatives sont les dispositifs numériques tournés vers les usagers ou relatifs au développement de services publics numériques locaux, tels que l'incubateur des territoires, pour la création de tiers lieux ou de sociétés numériques, qui regroupent des actions en faveur de l'inclusion numérique.
En ce qui concerne l'activité de promotion commerciale de l'ex-Epareca, l'intention d'étendre son intervention aux villes moyennes dans le cadre d'Action coeur de ville a été ralentie par l'absence de financement. On peut également s'interroger sur la pertinence de laisser à l'ANCT le rôle d'autorité de gestion des fonds européens, qui est davantage une prérogative de l'État, et qui est peu en rapport avec les autres activités de l'Agence, de même que sa désignation comme autorité de gestion de la réserve d'ajustement au Brexit.
Enfin, le rapport caractérise les nouvelles méthodes ou missions apportées par l'ANCT. Son intérêt est souligné, mais son ambition n'est pas exagérée. Au cours de la période contrôlée, seulement 20 millions d'euros ont été consacrés à l'accompagnement des dispositifs déployés par l'Agence, mais ces crédits ont été doublés dans la loi de finances pour 2024.
L'ANCT joue un rôle d'ensemblier des dispositifs dont les financements sont issus de divers ministères, opérateurs ou organismes. Elle n'en effectue pas de synthèse financière, qui pourrait de fait relever des autorités de tutelle, mais la Cour recommande à tout le moins qu'une telle synthèse soit présentée dans le document de politique transversale « Aménagement du territoire » et annexée au projet de loi de finances.
Je souhaite souligner trois des principaux enseignements de notre travail.
Premièrement, la viabilité de l'ANCT requiert une stabilisation de son périmètre et de ses missions. Les gains provenant de la réunion de trois organismes seulement - le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), l'Agence du numérique et l'Epareca -, qui oeuvrent chacun dans des domaines très spécifiques n'étant pas totalement démontrés, il n'est pas souhaitable de faire évoluer ce périmètre, selon la Cour. L'ANCT a besoin de stabilité pour déployer son action dans de bonnes conditions et construire une identité commune entre des équipes aux cultures très différentes. L'organisation en directions, héritières d'une ou de plusieurs politiques historiques, travaillant de manière très autonome et souvent en lien direct avec l'autorité publique, c'est-à-dire les cabinets, n'a pas encore permis de créer des processus de travail et des règles de gestion homogènes et rationnelles.
Deuxièmement, la présence de l'ANCT dans les territoires repose largement sur l'appropriation de ses missions par ses relais, à savoir les préfets de département. L'une des clefs du succès de l'ANCT, dont l'essentiel des effectifs est à Paris, réside dans sa capacité à relayer son action sur le terrain. Elle ne disposait pour cela, au moment de notre contrôle, que de huit chargés de mission territoriaux, nombre qu'il était prévu de doubler.
L'accompagnement des collectivités territoriales, nécessaire pour susciter des projets, a été confié aux préfets, délégués territoriaux de l'Agence, et aux services déconcentrés de l'État, aux sous-préfets ou aux directeurs départementaux des territoires, lesquels sont souvent désignés comme délégués territoriaux adjoints, mais aucun moyen spécifique ne leur a été apporté pour accomplir cette tâche. Leur appropriation des enjeux portés par l'ANCT et des outils mis à leur disposition est très variable d'un département à l'autre, ce qui peut induire des différences de traitement entre les territoires. Le recrutement de cent chefs de projet dans les préfectures pour le déploiement du programme « Villages d'avenir » peut constituer une première réponse.
Troisièmement, l'apport de l'ANCT est d'être un intégrateur des interventions publiques autour de projets de territoire. L'ANCT souhaite renforcer et simplifier le dialogue avec les collectivités territoriales et favoriser la construction de projets par les collectivités territoriales, en devenant un ensemblier ou un intégrateur des politiques publiques à l'échelle locale. D'ailleurs, ce point était l'une des préoccupations de M. Bernard Delcros.
Les programmes nationaux, lancés en même temps que la décision de créer l'ANCT, mettent en application cette nouvelle approche de l'intervention de l'État en matière d'aménagement. Ils favorisent l'élaboration par les collectivités territoriales de projets de territoire, en cofinançant des chefs de projet ou en apportant l'ingénierie nécessaire, et visent à rassembler autour de ces projets les différents soutiens, en particulier à l'échelle des territoires.
Les premiers résultats obtenus par ces programmes ainsi que l'accueil favorable des élus concernés témoignent de l'intérêt de la méthode. Les contrôles en cours ou à venir de la Cour des comptes, notamment des maisons France Services ou du programme Petites Villes de demain, nous permettront d'apprécier l'efficacité de l'action de l'ANCT sur la mise en oeuvre de ces dispositifs.
Pour conclure, malgré les difficultés qu'a rencontrées l'ANCT, et bien qu'elle soit récente, sa méthode, fondée sur la coconstruction, semble avoir emporté l'adhésion des collectivités territoriales, même si nombre d'améliorations doivent encore être concrétisées. L'État doit s'engager à stabiliser son organisation et son fonctionnement. Il doit surtout renforcer ses relais locaux, dont la portée et l'efficacité devraient être réévaluées à terme.
Au fond, la question semble moins celle de l'autorité de l'ANCT, représentée par le préfet délégué territorial, ou celle de la viabilité de son projet, que celle des moyens à lui octroyer pour normaliser son organisation et son fonctionnement, ce qui lui permettra de contribuer effectivement à la territorialisation des politiques publiques. De ce point de vue, le constat dressé par la Cour des comptes est moins sévère que celui qu'a établi le Sénat dans son rapport d'information L'ANCT : se mettre au diapason des élus locaux ! rendu en février 2023.
M. Bernard Delcros, rapporteur spécial. - Je tiens tout d'abord à vous remercier, madame la présidente pour la présentation de l'enquête portant sur l'Agence nationale de la cohésion des territoires et la qualité du travail réalisé.
L'ANCT est une agence récente, créée le 1er janvier 2020. Elle a connu, au cours de ces 4 années, une montée en charge très rapide des missions qui lui ont été confiées. J'y reviendrai.
Votre enquête était donc attendue. Elle rend fidèlement compte de l'importance des missions que l'ANCT assure, dans des conditions qui ont parfois pu être compliquées.
Elle démontre aussi l'intérêt, l'utilité de l'ANCT en matière de pilotage des politiques publiques de cohésion des territoires. Même si vous formulez aussi une série de réserves ou de pistes d'amélioration.
Lors de sa création, comme le rappelle la Cour des comptes, il a été demandé à l'Agence de remettre de la proximité entre les services de l'État et les collectivités, et de simplifier la politique territoriale de l'État. Ces objectifs restent d'actualité ; ils sont même cruciaux pour rétablir la confiance et de l'efficacité dans l'action territoriale de l'État.
Je veux tout d'abord insister sur plusieurs raisons qui ont rendu parfois difficile le lancement et la mise en oeuvre par l'Agence des actions dont elle a la responsabilité.
Première raison, l'Agence a dû absorber dès sa création la fusion de trois entités distinctes : le CGET, l'Agence du numérique et l'Epareca. Ces structures avaient chacune des missions spécifiques et leur propre mode de fonctionnement et de gouvernance.
Deuxième raison : quelques mois seulement après sa création, l'Agence a dû subir la longue crise sanitaire que nous avons connue, ce qui n'a pas facilité la mise en oeuvre de ses missions au moment de son lancement.
Enfin et surtout, l'ANCT a dû faire face à une montée en charge très rapide, à un empilement continu de nouvelles missions sans avoir été toutes identifiées lors de sa création et sans que les moyens nécessaires pour les mener à bien n'aient toujours été mis à sa disposition au bon moment.
Ces missions étaient au demeurant tout à fait justifiées et utiles à l'aménagement des territoires.
Ainsi et pour n'en citer que quelques-unes, l'ANCT s'est progressivement vu confier l'appui en ingénierie aux territoires, les conseillers numériques, le déploiement et le suivi du plan France Services - 2 700 maisons aujourd'hui -, le pilotage des programmes « Action coeur de ville », « Entrée de ville », « Territoires d'industrie », « Petites Villes de demain », « Avenir montagnes », le plan France Très Haut Débit, France mobile ou encore la coordination de fonds européens et la mise en oeuvre de la réserve d'ajustement au Brexit, créée en 2021 ; je pense aussi au programme Villages d'avenir, lancé récemment.
Il s'agit donc d'un empilement de missions successives qui ont demandé sans cesse adaptation et réorganisation.
Je considère, comme le démontre d'ailleurs la Cour des comptes au travers du schéma d'emplois, que ce n'est qu'à partir de 2023 que l'Agence a été dotée de moyens à la hauteur des nombreuses tâches confiées, même si cette question des moyens n'est pas entièrement réglée à ce jour - je pense notamment à la mission de coordination des fonds européens qui reste structurellement déficitaire, son coût étant couvert à environ 70 %.
Je pense qu'il conviendrait à l'avenir, lorsqu'une nouvelle mission est confiée à l'Agence, d'examiner en amont les moyens nécessaires pour la mener à bien.
Globalement, je considère que l'ANCT a su surmonter les difficultés qu'elle a pu rencontrer et qu'elle a aujourd'hui démontré sans aucun doute sa capacité à agir pour les territoires.
Je tiens à cet égard à saluer l'engagement sans faille des équipes de l'ANCT. Elles réalisent au niveau central un travail de fond solide, essentiel, avec compétence et efficacité. J'ai pu le mesurer particulièrement à l'occasion de la mission que j'ai conduite sur les maisons France Services (MFS).
Pour autant je souscris à deux pistes prioritaires d'amélioration mises en avant par la Cour dans son enquête qui sont pour moi des priorités.
Premièrement, accroître la visibilité de l'Agence et de son action à l'échelle territoriale.
Deuxièmement, améliorer la lisibilité financière des programmes pilotés par l'Agence.
Sur le premier point, l'ANCT est trop peu visible au niveau local. Les élus locaux, notamment dans les petites collectivités, peinent à la connaître, à comprendre son organisation et à pleinement identifier son rôle et son offre de services. Ce manque d'identification au niveau local est un handicap pour l'efficacité de l'action de l'Agence sur le terrain.
Pour y remédier, les préfets de département ont, me semble-t-il, une responsabilité majeure, comme le souligne d'ailleurs la Cour des comptes, à juste titre. Ils sont les délégués territoriaux de l'Agence et animent le guichet unique auquel les élus locaux doivent pouvoir avoir accès.
Certains préfets doivent se mobiliser davantage pour que les élus identifient mieux l'Agence, son rôle dans les programmes qu'elle pilote et son offre de service en faveur des collectivités, tout particulièrement les plus petites d'entre elles.
Sur le second point, la lisibilité financière des programmes pilotés par l'ANCT est à parfaire. Les dispositifs que conduit l'Agence sont nombreux et variés et les modalités de financement sont aussi d'une grande diversité, engageant les crédits de nombreuses missions du budget de l'État.
Dans certains cas, les crédits sont intégrés au budget de l'Agence, comme par exemple pour les maisons France services au travers de la subvention pour charges de service public.
Dans d'autres cas, l'Agence pilote des programmes dont les financements ne transitent pas par son budget, ce qui a pour effet de disperser l'information financière.
Il ne s'agit pas pour moi de militer pour une intégration dans le budget de l'Agence des crédits de tous les programmes qu'elle pilote, mais simplement de défendre l'idée que nous devons disposer d'une meilleure information et d'une meilleure lisibilité financière de l'ensemble des programmes. Elle serait utile pour comprendre la globalité des crédits affectés par l'État aux actions mises en oeuvre ou pilotées par l'Agence. Ainsi, nous pourrions mieux faire le lien entre ces actions et leur impact sur le territoire.
Pour y remédier, la Cour des comptes suggère une adaptation du document de politique transversale consacré à l'aménagement du territoire qui présenterait une synthèse financière pour chacun des programmes nationaux. Je souscris, sur le principe, à cette recommandation.
Ces deux pistes d'amélioration - identification locale et lisibilité financière - constituent à mes yeux des priorités. Pour autant, je n'occulte pas les autres recommandations de la Cour qui portent sur la gouvernance et le fonctionnement interne de l'Agence qui pourraient encore être améliorés sur certains points.
Ce rapport nous pousse enfin à nous interroger sur le rôle que pourrait jouer l'ANCT dans les années à venir. Deux voies s'offrent à nous. Faut-il une pause dans le développement des missions de l'Agence pour lui laisser le temps de s'adapter et de conforter ses missions actuelles ? Ou faut-il à l'inverse, élargir encore son champ d'action pour faire de l'Agence l'intermédiaire de référence sur l'ensemble des sujets relatifs à l'aménagement du territoire ?
À titre personnel, je pense qu'une réflexion privilégiant cette deuxième voie pourrait être menée. Ainsi, l'ANCT pourrait, sous réserve qu'on lui en donne les moyens, devenir un acteur encore plus central des politiques d'aménagement du territoire.
Pour réussir ce pari, il faudrait me semble-t-il renforcer la transversalité de l'Agence en facilitant son action interministérielle, parce que les questions d'aménagement du territoire vont bien au-delà de ses compétences actuelles et que la cohérence des politiques de l'État nécessite une vision et une action globale et transversale.
En conclusion, je tiens à souligner quatre points principaux.
L'Agence, qui avait soulevé des interrogations lors de sa création, a démontré son utilité et a su faire face à une montée en charge rapide et non programmée de ses missions.
Le défaut de visibilité à l'échelle locale doit être corrigé parce qu'il nuit à l'identification, à la reconnaissance et au bout du compte à l'efficacité de l'Agence sur le terrain.
Pour moi, le fait que l'Agence exerce seulement une partie de ses missions par le biais de crédits internalisés n'est pas un handicap. En revanche, les élus doivent disposer d'une parfaite connaissance des moyens engagés par l'État au titre de l'ensemble des programmes confiés à l'Agence.
Enfin, je suis convaincu que l'ANCT a vocation à voir son champ d'action renforcé pour devenir un acteur central d'une véritable politique d'aménagement du territoire qu'il reste à structurer et à inscrite dans la durée.
Je souhaiterais pour terminer connaître l'avis de la DGCL et de l'ANCT sur deux sujets.
Y aurait-il un intérêt ou non à intégrer dans le budget de l'Agence l'ensemble des crédits affectés par l'État aux actions et aux programmes que celle-ci conduit ? Et y-aurait-il un intérêt ou non, selon vous, à étendre la vocation interministérielle de l'Agence ainsi que son périmètre d'action ?
M. Claude Raynal, président. - Pour reprendre une expression en vogue, l'Agence semble être au milieu du gué : elle est née, elle s'est développée, elle reste à stabiliser.
M. Stanislas Bourron, directeur général de l'Agence nationale de la cohésion des territoires. - J'ai pris mes fonctions voilà quatorze mois, lors du lancement du rapport : j'ai ainsi eu la chance de participer aux travaux préparatoires de la Cour des comptes et je me réjouis de nos échanges productifs.
Nous partageons certains constats dressés par la Cour. Les huit recommandations portent sur des points d'amélioration que nous avons nous aussi identifiés. À ce titre, des actions ont d'ores et déjà été engagées en 2022 et en 2023.
L'ANCT est un jeune établissement public : créé en 2020, il est issu d'une fusion de plusieurs entités - le CGET résultait lui aussi d'une fusion de structures diverses cinq ans auparavant. En sus de cet exercice complexe, l'Agence a également subi deux événements exogènes. D'une part, la crise sanitaire a déstabilisé le fonctionnement de notre système administratif : elle ne favorisait pas l'implication des préfets en tant que délégués territoriaux de l'ANCT ; ils avaient - à juste titre - d'autres priorités. D'autre part, le plan de relance est arrivé très vite : l'Agence s'est vu confier de nouvelles responsabilités, alors que la consolidation de ses missions initiales n'avait pas eu lieu.
Ce contexte délicat n'a toutefois pas remis en cause l'action menée par l'ANCT : 6 milliards d'euros ont été engagés par tous les partenaires au profit du programme Action coeur de ville, les 143 Territoires d'industrie fonctionnent bien et le plan France Services est arrivé à échéance, avec 2 500 maisons à la fin de l'année 2022. Le déploiement des 4 000 conseillers numériques s'est fait en lien avec les collectivités territoriales ; la dématérialisation des procédures a montré la nécessité de renforcer la médiation numérique. Quelque 210 cités éducatives ont été créées, en lien avec les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Le plan Avenir montagnes et l'agenda rural ont été déployés.
Ces nombreuses politiques sont le fruit de l'histoire des établissements composant l'Agence, mais aussi d'une volonté forte du Gouvernement de promouvoir de nouvelles actions à destination des territoires, dans une logique se fondant sur l'initiative locale : le projet vient des élus locaux, il est ensuite accompagné par l'Agence et ses partenaires et, le cas échéant, entre dans un cadre national.
Ce développement rapide a suscité des questions. Je reconnais que l'action a parfois primé sur l'organisation. Toutefois, de nouvelles étapes ont été franchies : depuis 2022, de nombreuses mesures ont été instaurées pour améliorer le fonctionnement de la structure. Des progrès ont ainsi été accomplis en matière de contrôle interne et de pilotage budgétaire. Mais notre mode de financement est complexe, aussi l'exercice prend-il du temps. La mutualisation des services est engagée. Nous avons aussi pris à bras-le-corps les problèmes liés à nos systèmes d'information.
Concrètement, le rapport de la Cour pointe 50 pistes d'amélioration. Nous avons instauré un tableau de suivi et avons déjà engagé une vingtaine de mesures ; une quinzaine d'autres suivront en 2024.
Ces efforts seront poursuivis. Mais ils n'épuisent pas le sujet de l'équilibre budgétaire complexe de l'ANCT, tant du point de vue des missions existantes que des nouvelles tâches qui nous sont confiées.
J'en viens à la lisibilité et à la consolidation de l'action de l'Agence. En 2023, nous avons travaillé à une nouvelle gouvernance, le deuxième temps de l'agence, comme le souhaitait le Gouvernement. Avec le nouveau président, Christophe Bouillon, nous avons préparé une feuille de route, en lien avec les équipes de l'ANCT, les élus locaux, les préfets, les acteurs associatifs, mais aussi avec notre conseil d'administration, où siègent les associations d'élus et quatre parlementaires. Nous l'avons adoptée à la fin du mois de juin 2023 ; comme vous le disiez, monsieur le président, il nous faut désormais franchir le gué.
Pour passer de l'autre côté de la rive dans de bonnes conditions, sans être emporté par le courant, il faut, d'abord, plus de proximité. C'est un mantra très fort en interne. L'Agence est en contact permanent avec les réseaux de l'État, avec ceux des collectivités locales, et avec les collectivités locales elles-mêmes, mais nous devons travailler mieux et davantage avec nos représentants locaux, qui sont les préfets, délégués départementaux de l'Agence, comme la loi l'a prévu. D'ailleurs, les orientations actuelles sont de renforcer le rôle des préfets, acteurs de proximité auprès des élus, par la déconcentration des moyens dont ils disposent.
Nous avons donc engagé ce travail, avec la direction générale des collectivités locales (DGCL), notamment en déconcentrant nos moyens d'ingénierie. Un décret publié ce week-end alloue ainsi 15 millions d'euros directement aux préfets pour de l'accompagnement sur mesure. Ils pourront ainsi aller au-devant des projets des collectivités territoriales et, pour les plus fragiles d'entre elles, les accompagner en proximité. Nous doublons nos moyens d'accompagnement des préfets, car nous savons que, dans certains territoires, même les services de l'État ne sont pas bien équipés pour faire face à ces missions. Je confirme donc à la Cour que nous avons doublé le nombre de nos chargés de mission en contact direct avec les préfets de département : l'engagement pris en 2023 a été tenu.
Nous souhaitions aussi faciliter le recours aux acteurs de l'État qui sont mobilisés sur les territoires, comme l'Ademe, le Cerema, l'Anru, l'Anah ou la Banque des territoires. Leur multiplicité fait qu'il est parfois difficile pour les élus locaux de savoir à qui s'adresser. Nous avons avec ces acteurs des conventions triennales, que nous avons renouvelées fin novembre, lors du salon des maires. Nous avons achevé le recensement exhaustif de la totalité de l'offre de services de ces acteurs en matière d'ingénierie, quelle que soit la thématique ou la forme d'ingénierie : financement, direction de projet, diagnostic, subvention... Désormais, tous les services de l'État départemental connaissent de manière exhaustive l'offre de services de l'Ademe, de l'Anah ou de la Banque des territoires, par exemple, et ils peuvent donc plus facilement y recourir.
De plus, nous avons obtenu de ces acteurs, qui ne sont pas tous organisés à l'échelle départementale, qu'ils acceptent d'entrer dans un guichet unique départemental. Ainsi, ils pourront participer à l'accompagnement de tous les projets soumis par les élus locaux.
Une circulaire du 28 décembre 2023 a aussi rappelé l'importance, pour les préfets, de s'emparer de ces missions. M. le rapporteur a d'ailleurs souligné le besoin de mobiliser nos services départementaux. La circulaire rend systématique la mise en place d'un guichet unique de l'ingénierie dans chaque département. Ces guichets existaient dans bon nombre de départements, à vrai dire, mais ils seront désormais systématisés, pour faciliter la lisibilité de l'action et permettre aux élus de savoir facilement à qui s'adresser lorsqu'ils ont un besoin d'accompagnement qui ne trouve pas sa réponse.
Nous avons encouragé la transversalité par le rapprochement de nos programmes et la fongibilisation d'un certain nombre de mesures et de services, afin de sortir des logiques de silos qui étaient le fruit de l'histoire mais nous étaient reprochées. L'Agence doit faire agence, dans une logique transversale.
Vous nous interrogez, monsieur le rapporteur, sur l'intégration au sein de l'Agence de l'ensemble des crédits, selon une logique de type Anru. Pour Action coeur de ville, par exemple, les 6 milliards d'euros viennent, pour 2,5 milliards d'euros, d'Action Logement, pour 2,5 milliards d'euros, de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), mais aussi de l'Anah, de subventions de l'État... Faut-il regrouper tous ces fonds dans une seule enveloppe, qui serait gérée par l'Agence ? Je ne le crois pas. Ce ne serait pas la bonne approche. L'Agence n'a pas été conçue pour cela : elle est un ensemblier, un facteur d'animation, de portage de politiques elles-mêmes portées par les élus locaux. Pour conserver cette dynamique, nous ne devons pas regrouper l'ensemble de ces crédits - même si, pour faciliter leur lecture, quelques ajustements pourraient être effectués. Sur les grands programmes, la logique d'ensemblier doit demeurer, et ne pas être remplacée par une logique de fongibilisation globale. La lisibilité des interventions, dans la présentation financière, est effectivement un enjeu majeur pour l'avenir. Nous souscrivons donc complètement aux préconisations de la Cour.
Il ne me revient pas de me prononcer sur l'étendue du périmètre de l'Agence. L'étape que nous sommes en train de franchir est celle de la consolidation, demandée par la Cour. Nous pourrons ensuite nous demander jusqu'où il faut aller, et avec quel objectif.
M. Claude Raynal, président. - Je vous prie d'excuser le départ du rapporteur général et de plusieurs commissaires, qui ont dû nous quitter pour participer à l'hommage national rendu à Robert Badinter.
Mme Cécile Raquin, directrice générale des collectivités locales. - Je commencerai par quelques mots sur le bilan de cette Agence. La DGCL estime qu'en quatre ans, celle-ci a accompli un certain nombre de missions, dans un périmètre très vaste et avec une méthode nouvelle.
Certains programmes sont marquants. Ils sont considérés par les élus locaux comme des réussites. Je pense notamment à France Services, au déploiement du très haut débit ou, pour les collectivités territoriales qui en bénéficient, au plan Action coeur de ville ou à Petites Villes de demain, qui ont été emblématiques, notamment de cette nouvelle méthode.
Il s'agissait de changer de vision de l'aménagement du territoire et de passer de politiques descendantes, comme les grandes planifications de la délégation à l'aménagement du territoire et à l'attractivité des régions (Datar), qui furent parfois regrettables, à une méthode qui venait du terrain. L'idée est de se fonder sur une vision venant des élus locaux, de leurs territoires, de leurs projets, et de se mettre en mesure d'apporter un accompagnement, grâce à cette Agence, en lien avec les sous-préfets et avec les préfets de département, pour jouer un rôle d'intégrateur, comme cela a été dit.
Nous souhaitions aussi que l'Agence favorise le déploiement national des bonnes pratiques. Elle a constitué des communautés d'élus, ce qui a permis de partager à l'échelle nationale des projets de départements parfois très éloignés, et de diffuser des bonnes pratiques.
Aujourd'hui, l'enjeu est la stabilisation et la consolidation. Cela dit, la stabilisation n'est pas forcément contradictoire avec l'approfondissement d'un certain nombre de ses missions. Pour la tutelle, l'enjeu est surtout la consolidation interne et le suivi budgétaire, avec le suivi des ressources humaines et des crédits. Nous l'inscrivons dans le nouveau contrat d'objectifs et de performance (COP) en cours d'élaboration. C'est une priorité pour que l'Agence soit à même, dans les années à venir, de mener à bien ses missions dans de très bonnes conditions.
Pour en faire un acteur encore plus central des politiques d'aménagement du territoire, nous souhaitons consolider son rôle interministériel. L'ensemble des ministres doivent utiliser l'Agence comme un vecteur de déploiement des politiques sectorielles et ministérielles. C'est le cas dans certains secteurs depuis l'origine - pour le numérique, par exemple. Nous voulons que cela le devienne dans de nouveaux secteurs, et notamment pour la culture et la santé : dans le cadre du plan France Ruralités, nous pouvons sans doute progresser en la matière et faire jouer à l'Agence un rôle plus important.
Nous avons eu la chance de travailler pendant toute l'année avec la Cour des comptes, et donc de bénéficier, en avance de phase, de ses huit recommandations, que nous sommes d'ores et déjà en train de mettre en oeuvre. De fait, la tutelle que nous sommes les partage totalement. Certaines d'entre elles, d'ailleurs, répondent à des interrogations que vous avez formulées.
La première recommandation était de renforcer et de préciser le cadre d'intervention du préfet de département, délégué territorial de l'Agence. Cela rejoint votre préoccupation sur la visibilité de l'Agence sur le terrain. Le progrès devrait être immédiat avec la déconcentration des crédits d'ingénierie dont vient de parler le directeur général, permise par le décret publié samedi. Sur une grande partie de l'enveloppe, les préfets pourront décider directement, au contact des élus, des offres d'ingénierie qu'ils proposent. Cela accroîtra fortement la visibilité, en permettant de bien identifier le préfet comme interlocuteur, et en rendant clair que le catalogue d'ingénierie vient bien de l'Agence, et qu'il s'agit de moyens supplémentaires apportés aux élus pour mener leurs projets.
La deuxième recommandation de la Cour a trait à tout ce qui relève du pilotage des crédits, à leur visibilité et à leur suivi. Je rejoins la réponse du directeur général : nous ne devons pas intégrer dans l'Agence l'ensemble des crédits qui vont directement sur le terrain. J'en gère directement certains, en tant que responsable des programmes 112 et 147. Beaucoup sont délégués aux préfets. Beaucoup servent aussi à faire des paiements directs d'actions. Il n'y a pas d'intérêt à ce qu'ils transitent par le budget de l'Agence. D'ailleurs, ces crédits sont souvent fléchés dès leur adoption. Nous respectons donc cette volonté.
Nous avons toutefois suivi la recommandation de la Cour de globaliser beaucoup plus le champ de la subvention pour charges de service public de l'Agence. Quand les crédits ne sont pas fléchés, l'Agence doit bénéficier d'une certaine liberté d'action pour ses moyens internes, mais aussi pour mener des actions nouvelles. L'enjeu est surtout le suivi. En lien avec tous les partenaires de l'Agence - qui ont d'ailleurs signé avec elles de nouvelles conventions pour cette année 2024 -, nous souhaitons effectuer un suivi fin de ce qui contribue au financement de chacun des programmes. Nous allons y travailler, pour améliorer la consolidation et le document de politique transversale.
Les travaux en cours sont importants, même s'il s'agit de sujets internes. Je pense notamment aux systèmes d'information. À la suite des recommandations de la Cour, l'Agence a souhaité lancer une mission de l'inspection générale de l'administration (IGA), qui a abouti à un audit très détaillé de l'état des systèmes d'information et à des préconisations pour établir un plan d'amélioration.
Nous serons très attentifs, en tant que tutelle, à la mise en oeuvre des recommandations de la Cour. Nous les intégrons évidemment dans le COP de l'Agence. Nous sommes pleinement en soutien de son action, et nous travaillons quotidiennement avec elle. En tant que tutelle, il nous importe de l'aider, par cette consolidation et ces améliorations internes, à accomplir ses missions de politique publique.
M. Claude Raynal, président. - Je donne à présent la parole à Louis-Jean de Nicolaÿ, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable sur les crédits de la mission « Cohésion des territoires » consacrés aux politiques des territoires.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Merci de votre invitation, qui permet d'associer la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable à cette audition. Je ne rentrerai pas dans les considérations financières, qui relèvent de votre commission, et partage sur ce point les propos de votre rapporteur spécial.
Lorsque l'Agence a été instituée en 2019, la promesse qui avait été faite était que ce serait une agence de concertation territoriale.
Sur les territoires, on connaît bien les politiques principales de l'Agence en milieu rural, comme Petites Villes de demain, Action coeur de ville, et maintenant Villages d'avenir. Le rôle du Cerema est moins perçu, même si le travail sur la politique des ponts a fait connaître cet organisme sur l'ensemble des territoires. Mais, avec la multiplication de grands organismes comme France Services, on ne voit plus très bien le rôle de l'Agence.
J'ai beaucoup soutenu cette Agence au départ, et elle me semble toujours utile pour l'aménagement du territoire. Les réunions organisées par les préfets sur Petites Villes de demain, ou Action coeur de ville, fonctionnent bien. Pour le reste, il s'agit surtout de distribuer les crédits de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) ou de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL).
Dans mon département, je n'arrive pas à obtenir que, lorsque des politiques sont soutenues par l'Agence en termes d'ingénierie, elles bénéficient de crédits de la DETR ou de la DSIL. C'est au travers des programmes Petites Villes de demain ou Action coeur de ville qu'elles touchent ces crédits. En pratique, pour l'attribution de la DETR, au-dessus de 100 000 euros, on a quelque chose à dire mais en dessous, rien ! Les membres des commissions ne savent absolument pas comment l'Agence attribue ses crédits, au travers des préfets, pour les politiques d'aménagement du territoire, d'autant qu'il n'y a pas de programmation longue sur ces crédits, qui sont annualisés. Il est donc difficile de faire la part des choses entre les politiques d'ingénierie, qui sont plutôt bien faites sur les territoires, grâce aux délégués mis à disposition, et la concrétisation financière consistant à bénéficier de crédits d'ingénierie au travers d'investissements.
Le conseil d'administration de l'Agence compte 30 ou 40 personnes, dont 14 élus. Il est difficile de mobiliser des parlementaires pour y siéger. J'ai demandé qu'il puisse y avoir des suppléants, pour éviter qu'il n'y ait que 3 ou 4 élus présents, face à une administration assez pléthorique, afin que notre voix porte davantage.
Il serait utile, avec cette volonté de collaboration et de stratégie territoriale, d'instituer un comité stratégique incluant les élus territoriaux. C'est surtout une question de forme, monsieur le directeur général, de compréhension et d'appropriation de l'Agence sur les territoires. Car sur le fond, les politiques publiques sont bien portées par l'Agence. Il y a tout de même un travail important de formation des préfets à effectuer, pour qu'ils vulgarisent le travail de l'Agence et les possibilités qu'elle offre.
Je termine par un satisfecit à la Banque des territoires, qui fait un travail énorme d'accompagnement auprès des collectivités territoriales pour leur permettre de bénéficier de crédits et d'ingénierie.
M. Hervé Maurey. - Pour avoir travaillé sur le sujet aux côtés de Louis-Jean de Nicolaÿ, rapporteur de la proposition de loi portant création d'une Agence nationale de la cohésion des territoires, je me souviens que l'ambition initiale était de simplifier la vie des élus locaux, en faisant de l'Agence un guichet unique d'entrée vers les différents dispositifs. J'avais à l'époque regretté le caractère restreint du périmètre retenu, puisque la fusion s'était limitée au CGET, à l'Agence du numérique et à l'Epareca, alors qu'il aurait été pertinent d'inclure le Cerema, outil très utile aux collectivités locales.
Le rapport de la Cour des comptes a identifié une série de points problématiques, qu'il s'agisse de gestion, d'absence de synergies, de faiblesse des crédits par département ou encore de problème d'identification. Selon le rapport du Sénat, plus de la moitié des élus n'ont jamais entendu parler de l'ANCT, tandis que l'avis de ceux qui la connaissent est plutôt négatif.
Dans les faits, il semble qu'on ait plutôt ajouté une structure que déployé un véritable outil de simplification. Lorsque j'entends Mme la directrice générale des collectivités locales évoquer la fin de pratiques descendantes et l'émergence de projets locaux grâce à l'ANCT, je ne peux m'empêcher de demander si nous vivons bien dans le même pays.
Je m'interroge, quelle que soit l'amitié que je porte au directeur général de l'ANCT, sur la valeur ajoutée et l'utilité de l'Agence. Les dispositifs qu'elle porte, s'ils sont connus et appréciés, pourraient très bien être pris en charge par les services de l'État ou par les agences qui existaient auparavant. Quand la directrice générale ou d'autres évoquent le déploiement du numérique, je ne peux que remarquer que l'Agence du numérique faisait très bien son travail et que la valeur ajoutée de son intégration à l'ANCT n'a pas été démontrée.
À l'heure où la simplification est à l'ordre du jour, la question de l'avenir de l'ANCT, dont j'étais à l'origine un partisan, doit être posée. Force est de constater que le périmètre choisi n'a pas permis d'aboutir à une solution optimale.
M. Bruno Belin. - Je souscris à cet objectif de simplification de la vie des élus. La directrice générale des collectivités locales comme le rapporteur spécial ont évoqué les fonds européens, difficiles d'accès et qui peinent à parvenir dans les territoires, ce dont les élus se plaignent. Pourquoi ne pas replacer la gestion de ces fonds sous l'égide des préfets ?
M. Michel Canévet. - La Cour des comptes a-t-elle estimé les gains économiques générés par la fusion des trois agences au sein de l'ANCT ? Si les moyens humains sont restés relativement stables en dehors d'une augmentation assez récente, il convient d'examiner les coûts dans le contexte des difficultés budgétaires qu'affronte l'État.
Par ailleurs, le rôle des préfets m'interroge, tout comme les moyens dont ils disposent pour mener à bien les missions de l'ANCT. Les outils d'ingénierie existant dans un certain nombre de départements sont-ils associés et mobilisés dans le cadre des politiques de l'Agence, ou un fonctionnement en silos prévaut-il ?
Sur un autre sujet, le rapport de la Cour des comptes révèle que l'information des délégués départementaux quant aux politiques mises en oeuvre fait parfois défaut : des progrès ont-ils été accomplis dans ce domaine ? Une connaissance de l'ensemble des programmes menés est en effet essentielle pour une politique d'aménagement du territoire efficace.
Enfin, la place des missions de l'ANCT au sein de l'action de l'État n'est pas tout à fait identifiée, alors même qu'elle regroupe 14 politiques publiques. Des avancées sont-elles envisageables ? Surtout, l'ANCT intègre-t-elle bien l'ensemble des politiques territoriales menées par l'État ? Une récente initiative de Bercy visant à soutenir le commerce et l'artisanat semblait ne pas tenir compte des actions déjà menées dans les territoires et coordonnées par l'ANCT : qu'en est-il ?
M. Éric Bocquet. - D'après le rapport de la Cour des comptes, la mise au point du projet de création de l'ANCT a été largement confiée à un cabinet de conseil. De quel cabinet s'agit-il ? Vous n'ignorez pas que le Sénat accorde une attention particulière au rôle de ces structures dans la conduite de l'action publique. Sur le même sujet, Libération avait publié un article en juillet 2022 indiquant que l'ANCT consacrait un tiers de son budget à la sollicitation des cabinets de conseil : confirmez-vous cette information ?
En ce qui concerne les ressources humaines, vous faites état de nombreux départs au sein de l'ANCT, ainsi que de difficultés de recrutement : comment l'expliquez-vous ?
Un autre rapport, rédigé par la délégation aux collectivités territoriales du Sénat un an plus tôt, avait dressé une série de constats similaires aux vôtres, dont une implication inégale des préfets, une approche trop descendante et une promesse de simplification non tenue. La délégation avait également formulé des recommandations très précises : ont-elles été mises en oeuvre ? Il était notamment question d'instaurer un dialogue direct avec les élus locaux ; d'utiliser les échanges au sein du conseil d'administration de l'ANCT afin d'élaborer une feuille de route pour la période 2023-2026 ; de doubler le nombre de référents territoriaux ; de renforcer le dialogue avec les conseils régionaux ; et, enfin, de privilégier une communication plus simple, plus sobre et déconcentrée.
M. Christian Bilhac. - Si je devais présenter la vidéo de cette audition aux élus de mon département, je l'intitulerais certainement « Voyage en terre inconnue ». En effet, les élus que je rencontre évoquent généralement des échanges avec les sous-préfets, le conseil départemental et parfois la région, mais très rarement avec l'ANCT. S'il faut se féliciter de la fusion de plusieurs agences en son sein, subsistent encore l'Ademe, l'Anru, l'Anah, le programme Action coeur de ville, etc. Quel est le coût cumulé de ces opérateurs pour les finances publiques ? Ne faudrait-il pas créer une Agence nationale de coordination et de supervision des agences ?
M. Stéphane Sautarel. - Je m'en tiendrai à une approche budgétaire en rappelant à quel point les finances publiques sont sous tension et ne laissent que peu de marges de manoeuvre. Dans ce contexte, le Sénat a plusieurs fois affirmé la nécessité de questionner le financement des agences. Quelles sont les pistes d'économies envisagées par l'ANCT à moyen terme, sur son propre budget ou sur les crédits des programmes qu'elle coordonne ? Ne pourrait-elle pas en revenir à un rôle plus simple, comme le suggérait Hervé Maurey ?
Pour ce qui est de l'aspect territorial, le dialogue avec les élus locaux doit à l'évidence être renforcé. J'insiste pour ma part sur le lien avec les agences départementales d'ingénierie, qui se sont développées par carence de l'État à la suite de l'arrêt de l'assistance technique fournie par l'État pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (Atesat). Si les relations entre l'ANCT et ces structures existent dans le Cantal, il n'est pas certain que ce soit le cas partout et que ces relations soient toujours équilibrées. Il existe là, sans doute, une piste d'économies et d'optimisation à explorer.
M. Grégory Blanc. - Je reste un peu sur ma faim sur un point fondamental, à savoir la transition écologique. Depuis vingt ans, le ministère correspondant se structure peu à peu, sans qu'aucun service public dédié à cette nouvelle problématique existe. Nous tâtonnons donc, en intégrant progressivement le logement, les transports, les collectivités territoriales et la politique de la ville, ce qui correspond peu ou prou au périmètre de l'ANCT.
Souhaitons-nous approfondir ce modèle des agences - à la fois souple et encouragé par la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) - dans lequel coexistent un ministère édictant des normes et une agence ? Je suis assez circonspect sur ce point : sur bien des pans de l'action publique, il me semble que nous avons besoin d'une administration relevant directement du ministère et permettant d'appliquer une politique recouvrant l'ensemble du périmètre de la transition écologique. Si l'on recherche l'efficacité, la structure hiérarchique devrait être plus ramassée.
Dans l'hypothèse où nous continuerions à développer le modèle de l'Agence, il faudrait intégrer dans sa feuille de route la double exigence de la déconcentration et d'un rapprochement avec le terrain.
M. Vincent Capo-Canellas. - Le rapport mentionne à plusieurs reprises le Cerema. Organisme doté de représentations territoriales, ce dernier a déjà eu à gérer la fusion d'une douzaine de structures tout en stabilisant sa gouvernance et ses missions, ce qui a été à l'origine de nombreuses crises qu'il a fallu surmonter. Le Sénat a apporté son écot en introduisant une disposition instaurant la quasi-régie conjointe, qui a permis au Cerema de travailler directement avec les collectivités. Dans le cadre des discussions autour du projet de loi de finances pour 2024, nous avons aussi rehaussé son plafond d'emplois à hauteur de 15 ETP, en sus des 10 ETP déjà inscrits, afin qu'il puisse aligner les ressources humaines nécessaires à l'accompagnement des contrats.
Conservons ce mode de gestion qui permet au Cerema et à l'ANCT de travailler ensemble, le premier apportant son savoir-faire.
M. Jean-Baptiste Blanc. - Je relaye tout d'abord une interrogation du rapporteur général relative aux programmes territorialisés dont l'Agence assure le suivi : il suggère d'évaluer objectivement les programmes avant d'en initier de nouveau. Il s'interroge sur leur pertinence et sur d'éventuels effets d'aubaine. Enfin, il s'interroge sur le risque d'accentuer la concurrence entre les territoires à travers ces différents programmes.
Pour ma part, à l'heure où nous reprenons la mission de suivi de la notion de « zéro artificialisation nette » (ZAN) et où des référents ZAN sont désignés dans chaque département, je souhaite savoir si l'Institut de la transition foncière est un sujet du point de vue de l'ANCT.
Enfin, si nous approuvons ici le principe de la territorialisation des politiques, n'oublions pas qu'une planification est à l'oeuvre via les COP régionales : n'est-ce pas antinomique ?
M. Olivier Paccaud. - Nous avons observé la naissance de l'ANCT avec beaucoup d'intérêt, car il était question de soutenir les « territoires », expression pudique utilisée pour désigner une ruralité qui n'a pas vocation à devenir une réserve d'indiens. Cet intérêt s'est accompagné d'une certaine perplexité face à une tendance à l'« agencification » de l'État, qui nous déplaît fortement.
Avec le recul, le bilan de l'ANCT interroge, notamment du point de vue de l'incarnation de ses missions. Les sous-préfets, souvent compétents, réussissent en peu de temps à se créer un ancrage territorial que le préfet ne peut généralement pas obtenir et sont peut-être davantage impliqués, dans certains départements, dans les problématiques portées par l'ANCT.
La précédente présidente de l'ANCT avait multiplié les slogans séduisants - Villages d'avenir, Petites villes de demain - si cela continue, nous aurons peut-être bientôt Hameaux du futur, mais nous en sommes restés aux effets d'annonce. Ne pourrions-nous pas mobiliser les sous-préfets pour incarner un dispositif qui soit plus efficace ?
M. Claude Raynal, président. - Le lien de l'ANCT avec les agences départementales d'ingénierie appelle des précisions, ces deux niveaux ayant vocation à échanger.
Par ailleurs, l'ANCT travaille avec de nombreux ministères : certains sont-ils en deçà des attendus en termes de coopération avec l'Agence ?
Mme Cécile Raquin. - S'agissant du rôle du préfet et des autres acteurs de l'ingénierie territoriale, l'Agence a été d'emblée pensée comme une structure dont les préfets de département seraient les délégués territoriaux. L'idée consistait bien à profiter du maillage territorial des préfets et à s'inscrire dans le cadre de la déconcentration, en évitant de créer des agences qui manqueraient d'ancrage local. Le préfet incarne l'Agence et décide au niveau local, il est donc parfaitement intégré dans l'organisation.
Si ce choix présente l'avantage pour les élus de disposer d'un interlocuteur unique - préfet ou sous-préfet -, il peut induire un handicap en termes de visibilité de l'Agence elle-même. En effet, le préfet, lorsqu'il mène une politique, intègre différents financements et ne mentionne pas nécessairement le fait qu'elle est conduite par l'ANCT. Il existe sur ce point un axe de progrès : la nouvelle feuille de route de l'Agence et les nouvelles instructions ministérielles adressées aux préfets mentionnent cette exigence d'une plus grande clarté de l'origine des politiques, des responsabilités et les rôles de chacun, tout en prévoyant de faire du préfet un porte-parole de l'ANCT sur le territoire.
La mise en place d'un guichet unique était en effet l'une des ambitions qui présidaient à la création de l'ANCT, qui ne devait pas être une structure supplémentaire à laquelle s'adresser. Une logique d'intégration devait prévaloir, afin que l'Agence puisse coordonner au niveau national l'ensemble des politiques d'ingénierie et d'action territoriale menées par les ministères et par les autres opérateurs, via les conventions avec les grands partenaires prévues par la loi créant l'ANCT. Au niveau local, le préfet joue ce rôle d'intégrateur avec un comité local de cohésion territoriale (CLCT) regroupant tous les acteurs de l'aménagement du territoire.
L'ambition des CLCT consistait à articuler l'ensemble des offres existant sur le territoire, qu'il s'agisse des opérateurs de l'État, des agences techniques départementales ou des intercommunalités très mobilisées sur les offres d'appui aux communes. Le bilan est sans doute inégal : certains comités locaux fonctionnent très bien, avec un niveau de subsidiarité adéquat, l'ANCT venant compléter des offres d'ingénierie existantes et non s'y substituer ; dans d'autres endroits, le fonctionnement doit être amélioré.
Vous avez également soulevé la question des moyens des préfets. Chacun d'entre eux est évidemment accompagné par une direction départementale des territoires (DDT), qui joue souvent le rôle de délégué territorial ou de délégué adjoint de l'Agence. Cette structuration a favorisé une forte intégration des services de l'État, démultipliant leurs forces pour conduire les politiques de l'ANCT.
Nous avons progressivement renforcé les moyens territoriaux : une hausse du nombre des référents territoriaux est ainsi prévue dans le budget pour 2024, afin qu'au moins un référent soit présent dans chaque région et fasse le lien entre le niveau national et le niveau local. De plus, le recrutement de 100 chefs de projets Villages d'avenir, souhaité par Dominique Faure dans le cadre du plan France Ruralités, est en cours. 80 chefs de projets ont déjà été recrutés et sont en train d'être formés. Ils viendront épauler les sous-préfets afin d'aller au contact des élus et de les aider à déployer les programmes de l'Agence.
M. Stanislas Bourron. - S'agissant des volets de l'ingénierie et de l'investissement, je rappelle que les dotations d'investissement ne sont pas du ressort de l'Agence, qui joue un rôle d'accompagnement d'ingénierie de manière pluriannuelle. Dans le cadre du programme Petites Villes de demain, l'engagement pris va ainsi jusqu'en 2026, avec un financement de 900 chefs de projets à hauteur de 75 % qui donne une visibilité aux acteurs locaux.
J'en viens au fait de savoir si les actions de l'Agence sont satisfaisantes. Je rappelle que le rapport du Sénat est basé sur les résultats d'une enquête réalisée au début de l'année 2022. L'efficacité de l'ANCT est mesurée par le biais de nombreux indicateurs de suivi : pour ce qui concerne le programme Action coeur de ville, nous devons ainsi suivre le taux de vacance et l'évolution de la situation du commerce. Les données du Sénat montrent que les acteurs impliqués dans nos programmes se déclarent satisfaits à hauteur de 91 %.
Pour autant, une partie des élus ne connaissent pas l'Agence, c'est un fait. La circulaire de décembre 2023 vise à créer un guichet unique, à déconcentrer les crédits et à systématiser la réunion des CLCT. Ces derniers représentent l'espace adéquat pour discuter des questions d'ingénierie en lien avec le président de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), le président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), les agences techniques départementales ou encore les agences d'urbanisme, afin d'apporter une offre de services structurée dans les territoires.
Le bilan est très contrasté d'un département à l'autre : si l'offre est bien structurée dans certains territoires, la situation est critique dans d'autres, une partie des projets n'y trouvant pas leur chemin. Dans le cadre de la circulaire précitée, l'Ademe et le Cerema s'engagent à apporter une réponse aux demandes qui émaneront de ce guichet départemental, toujours dans une logique de subsidiarité puisqu'il ne s'agit pas de déployer des personnels de l'ANCT partout : les sous-préfets, préfets et les DDT doivent se charger du travail d'identification et d'orientation, en lien avec les acteurs locaux.
Pour ce qui est des fonds européens, il a été décidé de transférer aux régions la gestion des fonds de cohésion. En tant qu'autorité de coordination, nous veillons à ce qu'ils soient activement consommés tant ils représentent un levier essentiel de développement des territoires.
Concernant le caractère interministériel de notre action, nous avons fortement progressé sur les questions de commerce, d'industrie et de développement des entreprises. Nous sommes ainsi l'opérateur, pour le ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, d'un fonds de restructuration des locaux d'activité, d'un fonds de soutien au commerce rural, ainsi que d'un récent fonds dédié aux zones commerciales d'entrée de villes, prolongement de l'action engagée en faveur des coeurs de ville. De la même manière, nous coopérons étroitement avec ce ministère dans le domaine du numérique, sans oublier un volet culturel. En matière de ruralité comme de politique de la ville, notre interconnexion avec l'ensemble des ministères est permanente et nous sommes reconnus, je crois, comme un opérateur utile, capable de porter des politiques publiques sur le territoire.
J'en viens aux recommandations de la délégation aux collectivités territoriales du Sénat : huit d'entre elles ont été mises en oeuvre complètement, tandis que quatre l'ont été partiellement. La circulaire relative au guichet unique et à l'organisation des CLCT a ainsi été diffusée, tandis que nous avons modifié le fonctionnement de notre conseil d'administration afin d'aborder en priorité les débats autour de nos programmes.
Pour ce qui est du recours aux cabinets de conseil, nous avons réduit le recours aux prestations intellectuelles hors crédits d'ingénierie, exclus de ce suivi pour des raisons évidentes : ces crédits sont en effet composés en partie de financements d'opérateurs publics tels que le Cerema ou l'Ademe, ainsi que d'un marché à bons de commande qui nous permet de projeter sur le territoire une expertise qui n'existe nulle part et qui est très bienvenue. Là aussi, le taux de satisfaction à l'égard de ces expertises menées par les cabinets privés dépasse 90 %.
En matière de ressources humaines, l'ANCT n'enregistre pas de flux de départs et d'arrivées sensiblement différents d'autres structures administratives, même si la présence de deux tiers de contractuels en notre sein représente une spécificité. Si nous ne rencontrons pas de difficultés particulières de recrutement, nous sommes cependant confrontés à une problématique de rémunérations.
J'en viens au ZAN et à la transition écologique, à la fois un axe fort de notre feuille de route et une exigence que les élus locaux ont complètement intégrée. Pour reprendre l'exemple du programme Action coeur de ville, il s'agit bien de renforcer la centralité afin d'éviter l'extension urbaine, au bénéfice d'une redensification du commerce et de l'habitat, ce qui permet d'apporter des réponses aux problématiques de transition, de mobilités et de non-artificialisation. Nous sommes à la disposition des élus pour partager nos expériences en matière de sobriété foncière, certaines d'entre elles ayant permis d'identifier des leviers de développement des territoires évitant l'artificialisation en périphérie.
En conclusion, j'insiste sur le fait que l'ANCT intervient dans une logique de subsidiarité en application de la loi, au niveau national comme au niveau local. Face à des demandes de plus en plus complexes, chacun des acteurs doit coopérer avec les élus locaux et certainement pas entrer en concurrence avec eux.
Mme Catherine Démier. - Monsieur Bocquet, le cabinet de conseil Ernst & Young est intervenu lors de la création de l'ANCT, entraînant une dépense de plus de 2,5 millions d'euros. Nous avons d'ailleurs pris connaissance de ce montant dans le rapport de la commission d'enquête sénatoriale consacrée à l'influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques.
Je me satisfais des propos de Mme Raquin et de M. Bourron relatifs à la poursuite de la mise en oeuvre de nos recommandations, jugées utiles. Sur le point concernant une meilleure lisibilité des crédits alloués à la cohésion des territoires, je tiens à préciser que la Cour des comptes n'a jamais recommandé l'internalisation de l'ensemble des crédits au sein de l'ANCT, mais qu'elle plaide en faveur d'une transparence accrue permettant à la représentation nationale d'évaluer leur utilisation.
Enfin, si nous avons pu, dans certains cas, donner le sentiment d'être favorables à une augmentation des crédits de l'ANCT, il ne nous appartient pas de nous prononcer sur les moyens que l'État doit allouer à l'aménagement du territoire. La Cour des comptes peut néanmoins relever d'éventuelles discordances entre les ambitions affichées, les missions confiées et les moyens dédiés.
M. Bernard Delcros, rapporteur spécial. - Le sujet de fond reste celui de l'avenir de l'ANCT. J'estime qu'il convient de passer d'une somme d'actions concrètes - appréciées par les élus, même s'ils ne les relient pas toujours à l'Agence - à une politique globale mieux identifiée. La politique d'aménagement du territoire, par définition transversale et interministérielle, doit être mieux définie. Au milieu du gué, nous avons le choix entre un retour au point de départ et une deuxième étape qui consisterait à faire de l'Agence un acteur central de la politique d'aménagement du territoire.
M. Claude Raynal, président. - Pour reprendre l'image employée précédemment, dire que nous sommes au milieu du gué doit nous amener à déterminer si nous sommes capables d'atteindre la rive. La distance parcourue devra être appréciée d'ici deux à trois ans.
Merci à l'ensemble des intervenants de s'être prêtés à cet exercice devant la commission des finances.
La commission autorise la publication de l'enquête de la Cour des comptes, ainsi que du compte rendu de la présente réunion en annexe à un rapport d'information de M. Bernard Delcros.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 h 45.
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Réforme de l'octroi de mer - Audition de Mme Marie-Luce Penchard, vice-présidente du conseil régional de Guadeloupe, MM. Enfanne Haffidhou, directeur général adjoint des finances et vie institutionnelle du conseil départemental de Mayotte, Lucien Alexander, conseiller territorial délégué à la fiscalité et à la performance budgétaire de la collectivité territoriale de Guyane, Patrick Lebreton, premier vice-président du conseil régional de la Réunion, et Arnaud René-Corail, conseiller exécutif en charge des finances de la collectivité territoriale de Martinique
M. Claude Raynal, président. - La commission des finances est aujourd'hui réunie pour une table ronde sur la réforme de l'octroi de mer, à laquelle la délégation sénatoriale aux outre-mer a été conviée.
L'octroi de mer est régi par la loi du 2 juillet 2004, plusieurs fois modifiée. Ce régime fiscal très ancien comprend deux taxes : d'une part, l'octroi de mer, dont le produit est affecté aux budgets des communes et, pour partie, aux budgets de la collectivité territoriale de Guyane et du département de Mayotte ; d'autre part, l'octroi de mer régional, dont le produit est affecté aux budgets du conseil régional de Guadeloupe, de l'assemblée de Guyane, de l'assemblée de Martinique, du conseil départemental de Mayotte et du conseil régional de La Réunion.
L'octroi de mer, qui représente près de 1,5 milliard d'euros, est devenu une recette fiscale indispensable pour ces collectivités territoriales. Ainsi, en 2019, il comptait pour 37 % des recettes fiscales des communes de La Réunion, 43 % de celles de Guyane, 45 % de celles de Guadeloupe, 47 % de celles de Martinique et plus de 76 % de celles de Mayotte.
Cependant, l'octroi de mer est critiqué, pour plusieurs raisons. Premièrement, il s'agirait d'une fiscalité très complexe, qu'une réglementation foisonnante rend peu lisible et transparente. Deuxièmement, l'octroi de mer est accusé de contribuer au renchérissement des produits importés dans les territoires d'outre-mer. En effet, il vise utilement à protéger les productions locales en rendant les importations moins compétitives et en incitant ainsi le consommateur à acheter local. Mais l'impact sur le coût des produits importés s'applique même en l'absence de production locale équivalente.
Cette fiscalité présente aussi des objectifs sinon contradictoires, du moins pas toujours compatibles. D'un côté, l'octroi de mer apparaît comme un impôt de rendement permettant aux collectivités locales de développer leurs activités et leurs services publics ; de l'autre, il vise à protéger et à développer la production locale.
Dans un contexte d'inflation, l'octroi de mer est également accusé de participer à la baisse du pouvoir d'achat en outre-mer, alors que le taux de pauvreté y est structurellement plus important que dans l'Hexagone.
Enfin, le maintien et les évolutions de l'octroi de mer nécessitent une décision de l'Union européenne. Par une décision du 29 juin 2021, le Conseil a approuvé le renouvellement de ce régime jusqu'en 2027, la question pourrait donc se reposer.
Compte tenu de tous ces éléments, le Gouvernement a annoncé, l'année dernière, une réforme de l'octroi de mer, qui fait d'ailleurs partie des soixante-douze mesures présentées par le comité interministériel des outre-mer (Ciom) de juillet dernier.
L'objectif affiché de cette réforme est une baisse des prix des produits de grande consommation. Les ministres chargés de l'économie, des comptes publics, des collectivités locales et des outre-mer doivent engager une concertation avec les collectivités territoriales et les acteurs socio-économiques pour en déterminer les modalités de mise en oeuvre, lesquelles devraient être inscrites dans le projet de loi de finances pour 2025. L'application définitive de la réforme est, quant à elle, fixée à 2027 au plus tard.
C'est dans ce cadre que la commission des finances a décidé d'organiser la présente table ronde. Étant donné l'importance du sujet pour les économies et les collectivités ultramarines, cette audition est ouverte aux membres de la délégation sénatoriale aux outre-mer, dont je salue la présidente, Micheline Jacques.
Nous accueillons en visioconférence des élus des exécutifs des cinq départements et régions d'outre-mer (Drom) concernés par l'octroi de mer. Nous entendrons ainsi Mme Marie-Luce Penchard, vice-présidente du conseil régional de Guadeloupe, et MM. Enfanne Haffidhou, directeur général adjoint des finances et vie institutionnelle du conseil départemental de Mayotte, en remplacement de M. Ben Issa Ousseni, président du conseil départemental de Mayotte, Patrick Lebreton, premier vice-président du conseil régional de La Réunion, Lucien Alexander, conseiller délégué à la fiscalité et à la performance budgétaire de la collectivité territoriale de Guyane, et Arnaud René-Corail, conseiller chargé des finances au sein du conseil exécutif de Martinique.
Nous vous invitons, madame, messieurs, à nous présenter brièvement les difficultés éventuelles posées par l'octroi de mer dans vos territoires et à nous dire si une réforme de cette fiscalité vous paraît nécessaire, et selon quelles modalités.
Avant de vous céder la parole, je vous informe que notre audition fait l'objet d'une captation vidéo, retransmise en direct sur le site du Sénat.
Mme Marie-Luce Penchard, vice-présidente du conseil régional de Guadeloupe. - Je comprends que la commission des finances ait souhaité connaître les attentes de la région Guadeloupe pour apprécier les éléments qui devraient présider à la réforme de l'octroi de mer. Cependant, il est difficile de se prononcer sur une réforme dont nous ne connaissons pas le contenu, les travaux de concertation n'ayant toujours pas été engagés.
Depuis 2019, l'État a conduit seul une série de travaux assez critiques vis-à-vis de l'octroi de mer, à la suite de l'envoi d'une lettre de mission des ministres Le Maire, Darmanin, et Girardin à l'inspection générale des finances. Cela révèle la volonté de l'État de récupérer la gestion de l'octroi de mer, dans une démarche de recentralisation.
Les rapports produits depuis cette date, dont celui de la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (Ferdi), tendent à démontrer l'illisibilité, la mauvaise gestion et l'inefficience de l'octroi de mer. On lui reproche notamment d'être responsable du renchérissement de la vie en outre-mer.
Nous ne partageons pas ce bilan très critique, qui dénonce la supposée complexité et opacité de l'octroi de mer et lui préfère la TVA, jugée plus performante. Ce dispositif ne saurait être qualifié d'« opaque » par les acteurs économiques, que nous avons tenu à associer à nos travaux. Nous avons ainsi réuni de nombreux professionnels au sein d'une commission ad hoc : acteurs consulaires et transitaires, services déconcentrés de l'État et représentants de l'Association des moyennes et petites industries (AMPI), de l'Association de défense, d'éducation et d'information du consommateur de Guadeloupe (Adeic), de l'Association des maires de Guadeloupe (AMG) et de l'Union des entreprises - Medef (UDE-Medef).
Les taux d'octroi de mer ainsi que les exonérations font l'objet de délibérations publiées par la région. Mais il est vrai que le consommateur ne s'y retrouve pas, le taux ne figurant pas sur la facture finale.
On prétend que l'octroi de mer serait une taxe complexe en raison de ses trop nombreux taux. Or la région Guadeloupe a mené un travail important précisément pour porter le nombre de taux pratiqués de vingt à treize. Si les taux sont élevés, c'est parce que nous tenons à ce qu'ils soient justes et qu'ils tiennent compte des surcoûts réels, des parts de marché et de l'impact sur les prix. Seuls quatre taux sont principalement utilisés : ils concernent 91 % des importations.
Nous sommes bien sûr ouverts à une discussion sur l'encadrement du nombre de taux, afin d'éviter les confusions.
Je ne pense pas que l'objectif principal des collectivités soit d'assurer, au moyen de l'octroi de mer, un rendement fiscal. Nous avons bien vu les efforts accomplis par la région pour mettre en place le bouclier qualité prix (BQP), qui n'est autre qu'un accord commercial entre distributeurs.
Nous partageons d'autant moins les critiques sur l'octroi de mer que le rapport de la Ferdi, sur lequel l'État s'appuie, comporte des erreurs sur la base taxable. En l'occurrence, il s'agit non pas de la valeur mise à la consommation finale, mais de la valeur coût, assurance, fret (CAF). De même, le rapport précise que les intrants importés servant à la production locale ne sont pas exonérés, alors qu'ils le sont quasi systématiquement, ce qui entraîne d'ailleurs un manque à gagner de 36 millions d'euros pour la collectivité.
Je ne saurais trop insister sur la nécessité d'avoir un bilan partagé. À la suite de la crise sociale qui a frappé les Antilles et La Réunion en 2009, les rapports sur la vie chère ont montré que l'octroi de mer n'avait eu qu'un impact limité sur la formation des prix à la vente, laquelle était surtout liée à la marge des intermédiaires.
D'ailleurs, le ministre de l'intérieur et des outre-mer, Gérald Darmanin, a récemment déclaré qu'une poignée d'investisseurs privés locaux monopolisaient certains secteurs, favorisant ainsi l'augmentation du coût de la vie. Mais il n'a jamais remis en cause l'octroi de mer.
Dans tous les cas, remplacer l'octroi de mer par la TVA reviendrait à insécuriser le budget des communes. Cela aurait un effet inflationniste supplémentaire, puisque la TVA s'appliquerait aux services, et viendrait abonder le budget national. L'autonomie fiscale de la Guadeloupe s'en trouverait réduite, alors même que le chef de l'État a formé le souhait de mettre en oeuvre des politiques publiques plus efficientes pour régler les problèmes qui se posent dans nos territoires. Une telle réforme serait donc contraire à la démarche d'autonomie des outre-mer que semble soutenir le Gouvernement.
La réforme envisagée nous conduirait à renforcer la dépendance de nos territoires par un retour à une économie de comptoir - et je pèse mes mots -, faisant la part belle à l'importation. Pourtant, depuis plus de dix ans, nous avons mesuré toute l'importance d'assurer un développement autogène en soutenant la production locale, afin de passer d'une économie de consommation à une économie de production. Le Parlement a d'ailleurs voté un certain nombre de textes en ce sens : je pense notamment à la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer.
La réforme, s'il fallait l'engager, devrait au moins tenir compte de la réalité du territoire et du dispositif actuel. On n'évoque pas suffisamment l'avantage de l'octroi de mer. Celui-ci permet, par son caractère de proximité, d'assurer l'adaptation et la cohérence des actions menées par le conseil régional, puisqu'il est intégré dans notre schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII), voté le 29 décembre 2023.
En outre, l'octroi de mer contribue à garantir l'autonomie fiscale de la Guadeloupe. Il ne coûte rien à l'État puisque ce sont les Guadeloupéens eux-mêmes qui contribuent directement au développement de leur territoire, grâce à la recette de 45 % dont bénéficient les communes via l'octroi de mer qui permet à ces collectivités de développer des services publics à destination des populations.
Par ailleurs, l'octroi de mer s'inscrit dans les principes des traités de l'Union européenne. Cette dernière ne semble pas remettre en cause la différenciation fiscale qui a cours dans notre territoire puisqu'elle reconnaît le caractère singulier de notre économie.
Cela étant dit, nous pouvons toujours rechercher des axes d'optimisation. Nous avons d'ailleurs formulé, à plusieurs reprises, un certain nombre de propositions.
L'article 45 de la loi de 2004, qui prévoit que l'octroi de mer n'est pas compris dans la base d'imposition de la taxe sur la valeur ajoutée, demeure inappliqué ce qui contribue à l'augmentation des prix à la consommation. Nous demandons ainsi que l'État prenne des mesures pour éviter cet effet démultiplicateur et applique la loi.
De même, nous avons sollicité plusieurs fois le renforcement des capacités d'évaluation de notre politique fiscale. Cette demande est formulée par la Commission européenne elle-même, qui accepte le caractère dérogatoire de notre fiscalité. Or les statistiques transmises par la douane ne permettent pas d'établir de données sur l'octroi de mer par secteur d'activités, mais seulement par catégorie de produits. Du reste, on ne peut pas nous opposer le secret fiscal indéfiniment.
Bref, il faut trouver les moyens de respecter les engagements que nous avons pris et qui sont réclamés par la Commission européenne.
J'insiste : l'octroi de mer fait l'objet d'une attaque sans précédent. Les Drom et les collectivités d'outre-mer (COM) ont unanimement rejeté toute réforme qui limiterait leur autonomie fiscale et décisionnelle en matière de ressources financières. Les Drom ont demandé qu'une éventuelle réforme ne conduise pas à dégrader la protection des entreprises de production locale, aujourd'hui comme à l'avenir, et des finances des collectivités. N'oubliez pas que ce sont les collectivités qui soutiennent l'économie de la Guadeloupe au travers de la commande publique. Si celle-ci venait à cesser, beaucoup d'entreprises, et avec elles des milliers d'emplois, risqueraient de disparaître.
Je ferai miens les propos qu'a prononcés Emmanuel Macron lors des Assises des outre-mer, le 28 juin 2018 : « Je crois que toute politique qui est conçue, pensée, vécue comme mettant nos concitoyens ultramarins en situation de minorité ou d'irresponsabilité est vouée à l'échec. Je considère donc que la responsabilité partagée doit être la clé de notre succès. »
Il est impératif que la réforme annoncée soit stable et qu'elle associe les collectivités, en particulier la région, chargée du développement économique.
Johnny Hajjar, député de la Martinique, a raison de dire que, avant de bouleverser un système stable, fixe et robuste, il convient de rechercher les voies et les moyens d'appliquer les dispositifs restés lettre morte, comme l'article 45 de la loi 2004, et de revoir les statistiques qui nous sont fournies par la douane.
Comme l'a dit le président de la région, Ary Chalus, il peut être intéressant d'engager une réforme, mais pas à n'importe quel prix. Il faut surtout se départir de toute arrière-pensée, vu le contexte difficile d'élaboration du budget national et sachant que la croissance ne sera pas au rendez-vous.
Cette réforme devrait être conduite en toute transparence et en étroite concertation avec les collectivités. Je conclurai par cet adage : « un vieil impôt est un bon impôt. »
M. Enfanne Haffidhou, directeur général adjoint des finances et vie institutionnelle du conseil départemental de Mayotte. - Je vous prie de bien vouloir excuser M. Ben Issa Ousseni, président du conseil départemental de Mayotte, pour son absence. Il est actuellement retenu par des réunions urgentes, dans le contexte difficile que connaît notre territoire.
L'octroi de mer est un dispositif assez jeune à Mayotte. Il a été mis en place en 2014 pour faire suite à un transfert de compétences et de ressources. À l'heure actuelle, il représente 37 % de nos recettes fiscales. Il apparaît ainsi comme notre seule ressource dynamique, car l'augmentation importante de la population a pour effet d'accentuer la consommation, alors que les autres ressources sont plafonnées.
À cet égard, l'octroi de mer permet d'engendrer 10 % de ressources nouvelles chaque année. Il représente par ailleurs 60 % des recettes fiscales des collectivités à Mayotte. Cela pose la question de la dépendance des collectivités à cette ressource pour réaliser leurs missions.
Quelle ressource de substitution choisira-t-on dans le cadre de cette réforme ? Nous considérons que la TVA est inadaptée : la substituer à l'octroi de mer risquerait de rompre la dynamique et le volume de ressources.
La TVA s'appuie sur une exigence de comptabilité des entreprises, or le tissu économique mahorais a la particularité d'être composé à 80 % de très petites entreprises (TPE). Or la moitié d'entre elles n'ont pas de comptabilité, ni même de gestion, et ne procèdent pas à l'enregistrement des factures. La TVA risque ainsi de ne pas assurer un niveau de ressources à la hauteur de celles que nous percevons grâce à l'octroi de mer. Le département devra donc fournir un effort supplémentaire pour accompagner l'ensemble de ces entreprises et les mettre à niveau.
Par ailleurs, l'inflation à Mayotte n'a pas eu beaucoup d'impact sur les produits de première nécessité, grâce au bouclier qualité prix « BQP+ » que nous avons mis en place sur onze d'entre eux depuis deux ans. Nous ne voyons donc pas en quoi le remplacement de l'octroi de mer par la TVA agirait sur l'inflation.
Notre plus grande préoccupation reste la protection de la production et de l'économie locales. Le département de Mayotte, depuis le transfert de compétences, n'a pas bénéficié des dotations de l'État en matière économique et de formation au niveau annoncé. L'octroi de mer est donc le seul levier dont nous disposons, grâce aux exonérations, lesquelles représentent 27 millions d'euros chaque année. Le dispositif a donc un effet direct sur les entreprises locales. Quant au différentiel de taxation, il protège quarante produits locaux.
L'octroi de mer est bel et bien le seul levier permettant de déployer et de soutenir l'économie locale : ne laissons pas le département perdre son pouvoir d'action économique en le remplaçant par la TVA.
Dans le cadre de la réforme, les communes seront-elles compensées à la hauteur de leurs missions ? C'est une question légitime, d'autant qu'à Mayotte les taxes foncières et les taxes d'habitation n'engendrent pas de ressources substantielles dans la mesure où le territoire connait d'importants problèmes de recouvrement et d'identification des propriétés.
Je précise, pour conclure, que le département de Mayotte est opposé à cette réforme - même s'il faut davantage de transparence -, sachant que les entreprises sont accoutumées à l'octroi de mer et ne s'en plaignent pas. En outre, je rappelle que la TVA n'est pas applicable à Mayotte, ainsi qu'en Guyane. Si toutefois elle devait se substituer à l'octroi de mer, nous devrions veiller à ce que les communes voient leur perte de ressources compensée ; c'est essentiel.
M. Patrick Lebreton, premier vice-président du conseil régional de La Réunion. - J'abonde dans le sens des propos qu'ont tenus les orateurs précédents : tout le monde s'accorde à dire que l'octroi de mer est un outil essentiel. Le président du Medef Réunion, Didier Fauchard, a récemment affirmé que l'octroi de mer visait, par essence, à recueillir des recettes et à protéger la production locale, et qu'il permettait aussi de faire baisser le coût de la vie. Dans cette perspective, nous devons poursuivre le travail entrepris par un certain nombre de nos collègues, dont le sénateur Victorin Lurel, pour faire diminuer les prix à la consommation. Reste que nous attendons toujours les marges réalisées par les grands groupes pour faire avancer le dossier.
Il est impératif de tordre le cou à une critique facile, celle qui consiste à dire que l'octroi de mer est responsable de l'augmentation du coût de la vie. C'est faux, même si nous devons trouver les moyens d'améliorer le dispositif à l'avenir.
Les différents territoires d'outre-mer n'ont pas suffisamment communiqué sur la nécessité impérieuse que représente l'octroi de mer. Si nous engagions cette réforme demain, par quoi remplacerions-nous les 384 millions d'euros perçus par les vingt-quatre communes de La Réunion en 2022 grâce à l'octroi de mer ? Dans certaines communes, comme les Trois-Bassins, l'octroi de mer représente 47 % du budget de fonctionnement.
Dans un article publié le 6 septembre 2023, Michel Dijoux, président de l'Association pour le développement industriel de La Réunion (Adir), a déclaré que la suppression de l'octroi de mer serait un échec. Il sait de quoi il parle, car le modèle d'import-substitution, défini dans les années 1960 et 1970, qui a structuré l'économie de La Réunion, a été calé sur la politique de l'octroi de mer. Quant à Didier Fauchard, il avertit que la réforme ne saurait conduire à « jeter le bébé avec l'eau du bain ».
Au-delà des collectivités, les acteurs économiques en outre-mer sont défavorables à une remise en cause de cet outil d'autonomie fiscale qu'est l'octroi de mer. C'est le dernier levier d'équilibre qui nous reste.
Comme l'on dit les intervenants précédents, on reproche à l'octroi de mer d'entraîner une hausse du coût de la vie. Or, à La Réunion, 75 % des produits importés en valeur sont taxés entre 0 % et 6,5 % au titre de l'octroi de mer et de l'octroi de mer régional. En cumulant le taux d'octroi de mer - 7,52 % en moyenne en 2022 - et celui de TVA - 8,5 % -, on parvient à 16 %, soit un taux de fiscalité inférieur à celui de l'Hexagone, de l'ordre de 20 %.
Le BQP est également représentatif de la modération fiscale en outre-mer : grâce à l'application de l'octroi de mer, 90 % des produits du panier sont soumis à une taxation comprise entre 0 % et 6,5 %. À La Réunion, 100 % des produits locaux du panier BQP sont taxés à 0 % au titre de l'octroi de mer interne et de l'octroi de mer régional interne.
Vous le voyez, la pression fiscale moyenne de l'octroi de mer est bien inférieure à celle de la TVA. Aussi, je m'étonne que ces éléments objectifs ne figurent pas dans les récentes études nationales.
Pourquoi cette précipitation à vouloir engager une réforme de l'octroi de mer en projet de loi de finances pour 2025 ? Cette question me taraude, d'autant que le Conseil européen, dans sa décision du 7 juin 2021, a demandé aux collectivités régionales d'outre-mer d'évaluer ce dispositif pour que, à la mi-2025, nous puissions l'améliorer et consolider son impact sur le développement économique. L'annexe du texte européen, qui constitue le cahier des charges de cette étude d'amélioration, précise la nature des informations et des analyses attendues pour évaluer l'efficience des différentiels de taxation. Le conseil régional de La Réunion, en décembre 2023, a voté les crédits nécessaires pour conduire cette étude, dans le cadre d'une assistance à maîtrise d'ouvrage.
Je le répète, au nom de quelle urgence devrait-on conduire une réforme de l'octroi de mer en 2025, alors que celle-ci pourrait être utilement alimentée, au préalable, par les conclusions de l'évaluation mentionnée ?
Eu égard au temps restreint qui doit être consacré à ce projet de réforme, j'ai de vives inquiétudes quant au risque d'une concertation bâclée avec les acteurs locaux, en particulier les régions et les collectivités d'outre-mer.
Les élus de la région, sous la coupe d'Huguette Bello, n'accepteront pas que cette réforme s'écrive sans qu'ils aient été préalablement consultés. Le cas échéant, elle s'avérerait contre-productive.
La démarche adoptée récemment par la Cour des comptes ne nous a pas rassurés, tant s'en faut. On s'écrie : « Haro sur l'octroi de mer ! ». Mais le risque est grand de remplacer ce dispositif par la TVA, soit une recette nationale, dont les produits reviennent d'abord à Bercy.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne pense pas que vous voyiez d'un bon oeil le fait de remplacer un outil qui assure notre autonomie fiscale et décisionnelle par des dotations de l'État, surtout que l'octroi de mer a commencé à faire ses preuves. Cela risquerait de nous conduire aux mêmes difficultés de trésorerie que celles qui frappent les régions de l'Hexagone.
M. Lucien Alexander, conseiller territorial délégué à la fiscalité et à la performance budgétaire de la collectivité territoriale de Guyane. - Je remercie le président Larcher d'avoir souhaité qu'un travail sur la réforme de l'octroi de mer soit lancé. Cela permettra au Sénat de se prononcer sur le projet du Gouvernement et de défendre au mieux les intérêts des territoires concernés.
Aujourd'hui, l'octroi de mer joue un rôle essentiel dans le fonctionnement de nos collectivités locales et dans le financement des services publics et des infrastructures. Il remplit ainsi son objectif premier, celui de permettre aux collectivités bénéficiaires de son produit de dégager certaines marges financières, en dépit de la faiblesse de leur base fiscale.
La réforme envisagée nous conduit à nous nous interroger sur la meilleure fiscalité possible pour nos territoires. Je tiens à parler de « territoires » au pluriel, car les dynamiques économiques et démographiques divergent au sein même de ce que la République appelle les outre-mer. À titre d'exemple, je rappelle que la TVA ne s'applique pas en Guyane et à Mayotte.
Toute réflexion sur la fiscalité devrait, pour pleinement aboutir à des progrès, être associée à une réflexion sur le tissu économique et social, ainsi que sur le modèle de développement économique recherché. Or nous observons une déconnexion importante entre ces deux réflexions, comme si de simples ajustements fiscaux étaient capables d'enclencher un cercle vertueux, indépendamment du modèle et des performances économiques d'un territoire. Surtout, la Guyane paye cher les conséquences d'un développement économique atone. C'est donc l'une de nos grandes priorités.
À cet égard, la loi du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu'à l'exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l'énergie et à l'environnement, dite loi Hulot, ne permet pas l'exploitation du sous-sol guyanais. Comment justifier auprès de notre population l'interdiction qui nous est faite, alors que TotalEnergies, grande entreprise française, investit des sommes considérables au Brésil et au Surinam et que le Guyana connaît une croissance à deux chiffres, tirée par les hydrocarbures ? Cette stratégie autorisée pour le groupe TotalEnergies semble payante puisqu'il vient de distribuer des dividendes records à ses actionnaires.
Il m'est difficile de parler de la réforme de l'octroi de mer tant l'incertitude qui entoure son état d'esprit et ses objectifs reste grande. Publiquement, le Gouvernement a fait connaître son intention de provoquer une baisse des prix sur nos territoires, avançant des arguments de simplification et de transparence, sans apporter davantage de précisions.
Dans le pilotage de notre fiscalité, il nous est difficile de porter un jugement scientifique et partagé sur l'octroi de mer en raison de l'absence d'outils d'évaluation disponibles. La donnée économique essentielle pour éclairer l'action publique en matière de taux et d'exonérations ne nous remonte pas. On nous oppose le secret statistique, fiscal ou professionnel : la douane, qui assure la collecte et les contrôles, ne nous transmet pas une information nous permettant au minimum de reconstituer notre assiette de taxation, en toute transparence. Ainsi, nous ne pouvons pas anticiper les conséquences de possibles évolutions. Au titre de ses frais de gestion, la douane bénéficie pourtant de 1,5 % de recettes totales pour un service qu'il est impossible de qualifier ; la plupart des données collectées et des actions menées restent inconnues.
L'effet de l'octroi de mer sur les prix semble être le principal angle de critique du Gouvernement. L'octroi de mer est une taxe sur la consommation dont la nature régressive pèse plus durement sur nos concitoyens les plus pauvres, à l'instar de la TVA. Bien entendu, la collectivité territoriale de Guyane prend ce paramètre en compte dans sa gestion tarifaire : elle a ainsi voté de nombreux taux d'octroi de mer nuls sur des produits essentiels, tels que le lait, la farine, les livres, ou sur du matériel médical, comme les fauteuils roulants.
Nous connaissons la situation d'urgence sociale qui frappe une part importante de nos populations et nous pensons que nous sommes les mieux placés pour y répondre.
En faisant de l'octroi de mer le principal fautif de la vie chère, on empêche d'avoir un vrai débat sur le niveau des prix pratiqués. Plusieurs rapports, dont celui de l'Autorité de la concurrence en 2019, ont bien montré qu'il n'y avait pas lieu de faire le lien entre l'octroi de mer et l'inflation. Cela laisserait penser qu'une diminution du taux d'octroi de mer aurait un effet déflationniste significatif et durable sur l'ensemble des prix à la consommation. Or la cherté de la vie en outre-mer dépasse largement le cadre de la consommation des biens et marchandises sur lesquels l'octroi de mer est assis. Le coût des transports et de l'énergie et surtout l'accès au logement jouent également un rôle très important. En outre, rien ne permet d'assurer que les baisses de fiscalité se refléteraient dans les prix.
En Guyane, le contrôle des prix, pourtant prévu par la loi, est presque inexistant. L'observatoire des prix, des marges et des revenus (OPMR) de Guyane n'a rien publié sur son site internet depuis 2014. Ce manque de données ne nous permet pas de faire un lien précis entre l'octroi de mer, dont la pression fiscale en Guyane demeure inchangée depuis plusieurs années, et les prix à la consommation des produits, notamment en raison d'évolutions des marges privées. Cela permettrait pourtant une meilleure régulation des comportements abusifs.
Enfin, en période inflationniste, la fiscalité n'est qu'un fusil à un coup, dont la portée sur les prix est faible.
Seul le développement économique, associé à plus de contrôles et à une meilleure régulation des pratiques tarifaires, améliorera de façon significative et pérenne le pouvoir d'achat en Guyane.
Sur la forme, au-delà de l'absence de réelle concertation, je crains les velléités de recentralisation. Car, en la matière, le précédent existe : de nombreuses fiscalités locales - parfois à pouvoir de taux, parfois à caractère économique - ont été supprimées par les gouvernements successifs.
La démarche et le calendrier voulus par le Gouvernement empêchent les régions d'être à l'initiative des évolutions à venir, alors qu'elles sont concernées au premier chef, étant responsables du dispositif. Elles seront ainsi traitées comme des interlocuteurs parmi d'autres.
Comment améliorer cette fiscalité ? Nous sommes d'abord favorables au maintien d'une fiscalité locale dynamique et à la préservation d'une autonomie fiscale vis-à-vis de l'État. De cette façon, l'octroi de mer pourra rester un outil de démocratie locale sur lequel la collectivité territoriale de Guyane exerce un pouvoir de taux et d'assiette.
Nous demandons ensuite le maintien d'un dispositif de compensation des handicaps structurels de la production locale, qui continue d'accompagner le développement du tissu industriel de notre territoire face à une concurrence mondialisée, et l'extension de l'assiette de taxation aux services.
Les transpositions législatives récentes n'ont pas appréhendé cette évolution de l'économie de nos territoires et ont manqué d'adapter l'assiette de taxation. En Guyane, les services marchands représentent presque 40 % de la valeur ajoutée totale. Le premier enjeu de la réforme de l'octroi de mer devrait donc être l'adaptation de l'assiette de taxation et son extension aux services.
Nous souhaitons donc un renforcement du fonctionnement et de l'efficacité de notre fiscalité locale, afin qu'elle continue d'assurer pleinement son rôle budgétaire, en lien avec la stratégie de développement économique et le processus d'évolution statutaire sur lesquels l'ensemble des élus de Guyane se sont prononcés favorablement.
M. Claude Raynal, président. - Si les façons de l'exprimer divergent légèrement, nous sentons déjà, à l'écoute de ces premières interventions, qu'une position claire et unanime se dégage.
- Présidence de M. Stéphane Sautarel, vice-président -
Arnaud René-Corail, conseiller exécutif en charge des finances de la collectivité territoriale de Martinique. - Je salue les collègues des différents départements et régions d'outre-mer. Le travail de concertation qui a débuté avec les annonces du Gouvernement nous a permis de nous rencontrer et d'échanger sur la question de l'octroi de mer et de l'économie de nos régions respectives.
Les communes de Martinique tirent en moyenne 47 % de leurs recettes de l'octroi de mer. Nous défendons cette autonomie fiscale. L'octroi de mer est un vieil impôt, certes, mais il permet le développement économique de notre territoire.
Le terme « octroi de mer » est lui-même problématique : il s'applique jusqu'à l'eau du robinet, ce qui n'est pas évident à comprendre pour tout un chacun. L'actuelle communication à outrance dont fait l'objet cette taxe a au moins permis de la démythifier. Certes, elle renchérit, de fait, le prix des marchandises, mais le travail commun que nous menons permet néanmoins de confirmer que la plupart des produits de première nécessité bénéficient d'une exonération ou font l'objet de taux très faibles.
Nous ne sommes pas opposés à l'idée d'une refonte. Au contraire, nous nous plaçons dans une démarche constructive, sous réserve que notre autonomie fiscale soit préservée et que la production locale et le développement économique de nos régions soient favorisés.
Je rejoins les orateurs précédents : l'administration douanière, qui conserve 1,5 % des sommes prélevées, doit nous fournir des éléments plus circonstanciés afin de nous permettre de mieux analyser l'incidence de l'octroi de mer sur la production locale comme sur les produits en général.
Nous ne cessons de dire que les marges opérées par les distributeurs ont une incidence. Les connaissons-nous seulement ? Seul l'État peut contrôler les marges qui sont appliquées sur les marchandises. Une péréquation entre les produits - hypothèse à laquelle nous réfléchissons - permettrait de diminuer les taux sur les produits de première nécessité, tout en tenant compte de la production locale. De fait, la production locale ne permet pas de satisfaire la totalité des besoins de la région. Il est donc nécessaire d'adapter les taux.
On nous parle d'une multitude de taux. C'est faux ! En réalité, les quatre taux le plus souvent utilisés couvrent 80 % des importations. Contrairement à ce que l'on peut entendre, nos opérateurs économiques connaissent très bien le fonctionnement de l'octroi de mer. On dit beaucoup que cette taxe renchérit la marchandise, mais il faut expliquer à nos populations qu'elle contribue au développement économique de nos régions. L'appeler « taxe pour le développement » permettrait à nos compatriotes de mieux comprendre son bien-fondé. Selon des études menées par l'université des Antilles, l'octroi de mer représenterait 4 % à 6 % de surcoût. Les investisseurs savent très bien qu'il permet aussi le développement de nos entreprises.
Je rappelle que nous appliquons cette taxe à l'issue d'une concertation avec le Medef notamment, sur le niveau des taux ou des exonérations. Il n'y a pas une assemblée plénière qui ne débouche sur des exonérations pour tel ou tel intrant, matière première ou équipement. En sus des dispositifs de défiscalisation et des fonds européens, l'octroi de mer représente un montant très important pour les investisseurs. Il les incite à moderniser leurs équipements de production ou à en construire de nouveaux pour réaliser des rendements d'échelle. In fine, tout cela contribue à réduire le coût des marchandises.
Le bilan transmis par l'État en préambule à la concertation est contestable. La collectivité territoriale de Martinique y a décelé nombre d'erreurs ; elle regrette surtout l'évidente partialité du document. À l'issue de ce travail de concertation, nous nous prononcerons bien entendu sur une éventuelle évolution du dispositif. Le principe incontournable reste celui de l'autonomie fiscale. Le produit de la taxe payée par les Martiniquais doit rester en Martinique. Nous recherchons des pistes d'optimisation correspondant à ces objectifs.
Nous sommes disposés à poursuivre ce travail et nous allons dans le même sens que nos collègues ultramarins, même si la Guyane dispose, dans son sous-sol, de ressources dont nous sommes dépourvus. Pour assurer notre développement, pour compenser le surcoût de masse salariale dans les collectivités, l'octroi de mer est essentiel. Nous, Martiniquais et Guadeloupéens en particulier, devons pouvoir dire qu'il n'est pas un gaspillage des fonds publics.
Au regard des dispositifs existants - octroi de mer garanti ou encore fonds d'aide au développement des communes (FADM), qui est fléché vers la section investissement des communes -, pourquoi ne pas reverser une partie de la TVA aux collectivités ? Les communes et les collectivités contribuent ardemment au développement de nos territoires par l'utilisation de ces fonds, qui permettent la création d'emplois ou le maintien de l'emploi, dans le bâtiment ou dans les services par exemple.
En résumé, nous sommes disposés à réformer l'octroi de mer - nous avons écarté l'hypothèse de l'étendre aux services - et à revoir la communication qui en est faite. Nous devons rassurer la population : cette taxe n'est pas à l'origine du renchérissement des marchandises. D'autres éléments interviennent, comme les marges de la distribution, que nous ne connaissons pas, faute de disposer des éléments chiffrés que nous réclamons.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le Gouvernement envisagerait de réformer l'octroi de mer dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025. Pensez-vous que ce vecteur législatif, qui contraint fortement les délais et donne des prérogatives importantes au Gouvernement, en particulier un recours facilité à l'article 49.3, soit le plus adapté ? Un projet de loi spécifique permettant d'embrasser la totalité de la question ne vous paraît-il pas préférable ?
L'octroi de mer produit des effets contradictoires : il fournit des recettes aux collectivités, mais contribue aussi à renchérir le prix des produits en outre-mer, tout en ayant pour objectif de protéger les productions locales. Quel doit être selon vous l'effet à privilégier ou l'objectif principal de cette réforme ?
Par ailleurs, si la réforme devait aboutir à une baisse des recettes des collectivités ultramarines, quel type de compensation vous paraîtrait la plus pertinente ? Dotation budgétaire, fraction de fiscalité nationale affectée aux collectivités locales, nouvel impôt local... ? J'ai entendu parler de fiscalité locale dynamique, de fonds de développement ou encore d'un élargissement de l'assiette. Il serait intéressant de définir une ou deux voies prioritaires.
Enfin, une consultation locale des maires ou des acteurs économiques vous paraît-elle possible et de nature à faire émerger des propositions intéressantes ? Je constate que le sujet, qui revient de façon récurrente à l'occasion du projet de loi de finances, suscite toujours autant de discussions.
Mme Micheline Jacques, présidente de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - L'octroi de mer est un sujet majeur et complexe, qui fait en effet l'objet de nombreux questionnements lors de l'examen du projet de loi de finances. L'annonce de sa refonte en profondeur nous invite à une vigilance d'autant plus forte que l'on connaît le poids de cette recette dans le budget des collectivités d'outre-mer. Nous avons tous conscience des conséquences éventuelles de la réforme de ce dispositif, qui constitue un outil important pour l'accompagnement de la production locale.
Je rappelle que le Sénat a toujours été présent sur ce dossier, comme le montrent les travaux de la commission des finances, mais aussi de la délégation, qui a publié en 2020 sur le sujet un rapport des sénateurs Dominique Théophile, Vivette Lopez et Gilbert Roger. Nous ne doutons pas que le relais sera également assuré par nos éminents référents, Victorin Lurel et Antoine Lefèvre, au sein de la commission des finances.
Vous avez évoqué le coût de la vie et indiqué que l'octroi de mer n'avait pas d'incidence notable sur l'augmentation des prix. Le ministre Jean-François Carenco avait signé une convention avec la CMA CGM, laquelle avait accepté de réduire de moitié le coût du fret vers les territoires ultramarins. Il s'avère que ce dispositif n'a pas eu d'impact significatif sur les prix. Quelle est votre analyse sur ce sujet ?
M. Jean-Gérard Paumier. - Je retiens des témoignages de nos collègues élus locaux des outre-mer leur attachement unanime, profond et argumenté, à l'autonomie fiscale que représente la ressource dynamique de l'octroi de mer pour le développement de leur territoire.
En métropole, dès 2017, les gouvernements successifs n'ont eu de cesse de rogner l'autonomie fiscale des régions et des communes, et d'enlever toute fiscalité directe aux départements. À la place, l'État a prévu des dotations, qui se révèlent peu évolutives et qui sont loin de compenser les dépenses liées aux compétences transférées. Cela peut légitimement inquiéter nos collègues. Le projet gouvernemental de réforme de l'octroi de mer semble procéder, pour les outre-mer, de la même volonté recentralisatrice en termes de financement que pour les collectivités locales de l'Hexagone. En conclusion, je retiendrai le mot de Mme Marie-Luce Penchard : « Un vieil impôt est souvent un bon impôt. »
M. Victorin Lurel. - Je souscris totalement aux propos des intervenants précédents. Au-delà des contradictions pointées par M. le rapporteur général, nous avons tous compris combien ce dispositif était absolument indispensable au développement de nos territoires.
Notre préférence entre, d'un côté, le projet de loi de finances sur lequel sera appliquée la procédure de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution et, de l'autre, un projet de loi spécifique, ne se discute pas. Il nous faut une loi spécifique, comme cela s'est toujours fait, mais il nous faut aussi éviter le recours aux ordonnances, trop fréquent en ce qui concerne les outre-mer. C'est en effet une manière d'exclure les parlementaires et les élus locaux de la fabrication de la loi. Or si l'on en juge notamment par le nombre d'articles de la loi qu'il faudrait revoir, le diable se cache souvent dans les détails.
Faut-il ensuite, demande M. le rapporteur général, privilégier la préservation des ressources des collectivités locales, le pouvoir d'achat des consommateurs ou la protection des productions ? Depuis quelques années, l'Europe et les gouvernements successifs tentent de réduire l'octroi de mer à un facteur de vie chère. Il s'agirait d'un outil fiscal dont la seule conséquence serait l'augmentation des prix. On oublie que l'octroi de mer est aussi une ressource pour les collectivités.
Pourquoi vouloir hiérarchiser les priorités ? C'est là le piège ! Pourquoi vouloir réformer ce vieil impôt, créé par Colbert en 1670 ? Marie-Luce Penchard a raison : un vieil impôt est souvent un bon impôt. S'agit-il de s'inscrire dans le marché unique décidé par l'Europe en 1992 ? Pour éviter les droits de douane ou des taxes équivalentes et prioriser la concurrence libre et non faussée, les productions internes ont été imposées, et les différences de taux autorisées. Améliorons cette tarification, mais conservons cette logique.
Nous avons d'autres soucis. D'aucuns y verront des théories tiers-mondistes. Ils diront que nous faisons de l'import-substitution, que nous voulons protéger nos productions locales ou encore favoriser le développement endogène. Eh bien oui, nous assumons ces objectifs !
Je rappelle que, en 2017, près de 5 milliards d'euros de recettes fiscales étaient perçus dans les cinq départements et régions d'outre-mer, la TVA représentant pratiquement 1 milliard d'euros et l'impôt sur le revenu 877 millions d'euros. L'octroi de mer représente aussi un montant considérable. Je vois mal comment une taxe locale sur la valeur ajoutée pourrait générer les 1 milliard à 1,4 milliard d'euros nécessaires pour maintenir le niveau de financement des collectivités. Comment trouver ces ressources sans augmenter le coût de la vie ? C'est impossible, alors que justement, la mécanique de l'octroi de mer est bien huilée. Depuis toujours, les collectivités fixent les taux et le différentiel de taux au plus près des professionnels, des filières et des industries naissantes. Cela fonctionne.
M. le rapporteur général pose ensuite la question de la compensation. Il est piégeux d'entrer dans cette philosophie consistant à dire que tout est opaque, que cela fonctionne mal ou que les rapports des régions sont incomplets. Que propose donc l'État ? Une TVA régionale ? J'ai moi-même exploré cette piste en tant que ministre. Les simulations avaient alors abouti à des résultats décevants et nous avions reculé. Nous avions mené deux réformes à l'époque, l'une portant augmentation du taux de l'octroi de mer, l'autre permettant une augmentation supplémentaire de 2,5 %.
Je rappelle que l'octroi de mer finance la section de fonctionnement du budget des communes. Seul le fonds régional pour le développement et l'emploi (FRDE) finance la partie investissement. Il fallait donc donner les moyens aux communes d'investir dans les infrastructures, dans les routes ou encore les écoles. C'est aujourd'hui possible, même si aucune collectivité ne l'a fait jusqu'ici. Il faut donc préserver cette possibilité.
L'État prétend qu'il peut atteindre le même objectif par le versement d'une dotation ou d'une fraction de TVA. Certaines accises peu élevées, sur le tabac par exemple, pourraient être augmentées. Il suffirait enfin de créer un impôt local. Je vous assure que lorsque vous avez les moyens de faire des simulations, vous aboutissez à des résultats catastrophiques. C'est une très mauvaise idée.
La consultation des maires est nécessaire. Lorsque les professionnels ou les entreprises demandent des exonérations, ils le font à l'insu des maires et les communes sont en général perdantes. Par souci de transparence, lorsque j'étais en responsabilité, je réunissais l'association des maires pour l'informer.
Trois niveaux de réforme s'imposent selon moi. À l'échelle européenne, il faut une programmation non plus sur cinq ans, mais sur dix, voire quinze ans, pour une plus grande stabilité fiscale. Il faut aussi modifier les régimes d'imputation et de déduction sur la durée d'investissement.
À l'échelle nationale, il y a beaucoup à faire, à commencer par corriger certains détails dans les sept premiers articles de la loi de 2004. L'article 45 - Marie-Luce Penchard l'a dit - pose par ailleurs un sérieux problème d'interprétation. La doctrine administrative, particulièrement douanière, est très mauvaise. Il faut modifier ces dispositions - dans la loi plutôt que dans le règlement -, afin d'éviter la libre interprétation par l'administration fiscale.
Il est également souhaitable - les collectivités en sont conscientes - de revoir la fiscalisation des produits de première nécessité ou de large consommation et le barème qui leur est appliqué. Mais il faudrait le faire également pour la TVA ! Depuis longtemps, l'État nous oppose que l'Europe ne le permet pas. C'est faux ! L'article 295 du code général des impôts le permet parfaitement. L'État ne veut pas le faire pour les produits essentiels. Tous les groupes politiques ont déposé récemment des amendements en ce sens, qui ont été refusés.
Il faut ensuite revoir les articles 19, 24, 31 et 51, de même que la loi de 1951 sur le secret statistique. La responsabilité pénale du président de région est engagée lorsque les exonérations dépassent 500 000 euros par an. C'est le cas en Guadeloupe pour plusieurs entreprises.
Enfin, où sont les consommateurs dans l'affaire ? Certes, ils sont représentés via des associations dans des commissions ad hoc, mais ce n'est pas suffisant. Il faut aller plus loin et voter une loi spécifique. Le sujet est trop important. Trop de réformes sont à mener, trop d'articles sont à revoir. Contrairement à ce que l'on croit, le calendrier n'est pas très bon : l'échéance paraît lointaine, mais elle arrivera vite. Micheline Jacques et moi avions plaidé pour que le Sénat prenne en main ce sujet et que nous ne subissions pas l'expertise de Bercy. Or cela risque d'arriver.
M. Stéphane Sautarel, président. - L'initiative d'aujourd'hui vise précisément à éviter cette situation.
Mme Audrey Bélim. - Plusieurs principes devraient servir de garde-fou à cette réforme, qui ne saurait être, pour les collectivités territoriales, le bis repetita, de la réforme des aides économiques de 2019.
Le premier garde-fou serait que les collectivités des outre-mer bénéficient à tout le moins d'un niveau de recettes identiques : en ces temps d'économie budgétaire, l'État ne doit pas saisir cette occasion pour récupérer une manne financière. Deuxième garde-fou : cette réforme ne devrait pas se faire au détriment d'une catégorie de collectivité. Elle doit servir à protéger la production locale, synonyme d'emplois pour nos concitoyens ultramarins. Il faudrait encore que cette réforme soit menée dans une concertation véritable. Pour l'instant, force est de constater que ce n'est pas le cas. Au-delà des parlementaires, je souhaite que la concertation associe les élus locaux, les acteurs économiques, mais aussi les associations de consommateurs. Dans le cadre des questions au Gouvernement, j'avais fait cette demande au ministre délégué Philippe Vigier, qui l'avait acceptée. Il serait regrettable que le Gouvernement ne tienne pas cet engagement.
Enfin, si elle doit avoir lieu, cette réforme doit être l'occasion de simplifier l'octroi de mer et de le rendre plus transparent. Le dispositif est complexe et difficile à comprendre. Il est aujourd'hui présenté de telle manière que la population y voit un facteur de vie chère.
Si ces conditions ne sont pas respectées, cette réforme sera vaine, voire dangereuse pour nos territoires. Ma question porte donc sur votre évaluation des menaces et des opportunités de cette réforme. Avez-vous envisagé différents scénarios et, surtout, des propositions concrètes ont-elles déjà été formulées auprès du Gouvernement ?
M. Thani Mohamed Soilihi. - Tout ou presque a été dit, avec une grande clarté. Je voudrais m'adresser aux intervenants de Mayotte : nous vous avons entendus. Avec les rapporteurs, nous ferons en sorte que le meilleur sorte de nos travaux.
Arnaud René-Corail. - Le sénateur Lurel a bien détaillé les difficultés que pose la révision de l'octroi de mer. Une loi spécifique - évitons le 49.3 sur le projet de loi de finances ou les ordonnances - serait préférable. Elle permettrait une communication totale envers notre population.
En ce qui concerne l'Europe, les investisseurs nous le disent : il faut porter la visibilité à dix ans, voire à quinze ans. En Martinique, l'octroi de mer produit 320 millions d'euros de recettes, mais selon les statistiques à notre disposition, les exonérations s'élèvent à 150 millions d'euros.
En Martinique, l'octroi de mer sert au développement : en 2022, nous avons accordé 150 millions d'euros d'exonérations d'octroi de mer à nos investisseurs. Il faut maintenir l'octroi de mer, même si une refonte du système est nécessaire. Le sénateur Lurel l'a indiqué : nous devons apporter des informations au Gouvernement, qui doit déposer un projet de loi spécifique. Il est nécessaire de rencontrer les représentants des collectivités, les maires ainsi que les consommateurs afin de bien comprendre les règles complexes de l'octroi de mer. Il est primordial que les collectivités conservent leur autonomie financière, et que des taux différentiels soient garantis pour permettre le développement de produits subsidiaires : c'est important pour le développement économique et le maintien de l'emploi. Il faut maintenir une compensation aux communes, et un paiement du surcoût salarial qui existe dans toutes les collectivités d'outre-mer.
M. Patrick Lebreton. - J'ai attentivement écouté les positions des uns et des autres. Je ne suis pas surpris, et nos analyses se rejoignent. Il faut se mettre à la place des régions, qui ne comprennent pas les raisons d'une réforme. L'octroi de mer présente la vertu de concilier la protection de la production locale et les recettes des collectivités. Nos taux d'octroi de mer sont articulés autour d'un taux réduit de TVA, inférieur au taux national. Pourquoi remettre en cause l'octroi de mer aujourd'hui ?
Nous ne souhaitons pas nous braquer sur ce sujet, mais nous aurions préféré que le Gouvernement ne développe pas un projet de réforme en missouk, comme on dit en créole réunionnais, c'est-à-dire en catimini. La Cour des comptes ne s'autosaisit pas de ces sujets par pure coïncidence. Le sujet est celui des recettes des collectivités et de l'équilibre des prix. Nous aimerions que l'avis des outre-mer soit considéré, à tout le moins.
Il faut faire preuve d'unité pour refuser la perspective d'une réforme qui passerait dans le projet de loi de finances pour 2025 au moyen d'un 49.3. Réunir tous les outre-mer pour dire qu'il est impossible de faire une telle réforme sans nous. Il s'agit d'un élément fondamental des recettes des outre-mer, qui sont en train d'être recentralisées. Le mal a déjà été entrepris à l'échelle nationale, et les trésoreries des collectivités courent un risque. Il s'agit de refuser toute réforme en l'état.
Marie-Luce Penchard disait qu'un vieil impôt est un bon impôt. La position des outre-mer est ferme. Les élus d'outre-mer aimeraient être soutenus, notamment au Sénat, chambre des collectivités : nous ne voyons pas pourquoi changer ce qui fonctionne.
Un rapport d'évaluation de l'octroi de mer est attendu. Entre un texte qui fait l'objet d'une procédure 49.3 et un projet de loi négocié avec les collectivités concernées, il y a une différence. Le débat doit être mené dans l'assemblée des collectivités, afin de nous aider à préserver notre autonomie fiscale. En l'état actuel, nous ne percevons pas la nécessité d'une réforme, car le dispositif est souple, et les régions peuvent en commun l'améliorer. L'initiative de cette table ronde est de bon augure pour que l'on se mobilise autour de ce sujet. Un fort danger existe. Dans sa décision de 2021, le Conseil européen prévoit que la France livre un rapport d'évaluation en septembre 2025. Je ne vois pas pourquoi aller plus vite.
Nous ne pouvons pas tenir un discours face à notre population et à nos entreprises tout en étant en déconnexion avec ces propos à l'échelon national. Nous devons relayer ce que la population demande, sans quoi nous prévariquerions et manquerions à notre devoir.
M. Lucien Alexander. - Ainsi que M. Lebreton l'a rappelé, le calendrier retenu est contradictoire avec celui de l'Union européenne, qui prévoit une évaluation de l'octroi de mer en 2025. Le projet de loi de finances pour 2026 semble ouvrir une première fenêtre plus raisonnable à cette réforme. De surcroit, une réelle concertation avec les communes et les professionnels devrait conduire à retarder d'au moins un an l'échéance annoncée.
Pour la Guyane, le calendrier de l'évolution statutaire est transitoire. La discussion est ouverte avec le Gouvernement. Quel doit être le principal dispositif relatif aux prix et au rendement ? L'octroi de mer n'a jamais été un outil destiné à lutter contre la vie chère. Pour cela, nous disposons des observatoires des prix et des revenus ou de l'action des services de la répression des fraudes et de contrôle des prix. Il y a également le BQP ainsi que les négociations avec les transporteurs maritimes.
L'octroi de mer a comme vocation de doter les collectivités de ressources stables et dynamiques. Il sert à accompagner le développement de la production locale, soumis à des handicaps structurels. Aucune de ces missions ne peut être facilement remplie par la TVA. Nous devons nous inscrire dans une logique d'amélioration générale du régime existant.
Nous sommes attachés à ce que la réforme se fasse en concertation avec les acteurs économiques et avec les représentants des collectivités communales. Comme M. Lurel l'a rappelé, les choix politiques faits à l'échelle régionale s'appliquent aux communes, dont les recettes peuvent être affectées sans que ces dernières l'aient décidé. C'est en particulier le cas en matière d'exonération. Nous devons réfléchir à une meilleure association des maires à ces décisions.
La plupart des collectivités ont mis en place des commissions ad hoc regroupant les acteurs économiques et les représentants des consommateurs. Leur influence mérite d'être soulignée, et le dialogue avec le Gouvernement devrait être institutionnalisé. Les rapports sur lesquels les ministères s'appuient doivent donner lieu à un échange approfondi.
Quelles compensations seraient les plus pertinentes, en cas de suppression ? La Guyane est dans une position particulière : la TVA n'étant pas applicable localement, les services échappent entièrement à la taxation, comme à Mayotte. La question principale n'est donc pas celle des modalités de compensation que celle de la nécessité d'avoir des recettes complémentaires en lien avec l'économie locale visant à répondre aux besoins de développement. L'objectif fixé au Ciom est non de réformer l'octroi de mer, mais bien de lever les freins et les blocages qui nous empêchent de profiter des avantages naturels des outre-mer pour développer notre économie.
Il faut un texte de loi spécifique, certainement pas un article du projet de loi de finances examiné à la va-vite.
Mme Marie-Luce Penchard. - Une réforme de l'octroi de mer ne peut pas être envisagée dans le cadre du prochain projet de loi de finances. Il faut une loi spécifique pour préciser le dispositif et l'améliorer précisément. En tout état de cause, comme la Commission européenne a accepté cette taxe dérogatoire, celle-ci doit rester un outil économique permettant de développer et de protéger la production locale. Il faut arrêter d'opposer deux aspects de l'octroi de mer, l'outil au service du développement économique et les recettes pour les communes, comme si les maires voulaient bénéficier d'un rendement fiscal leur permettant de renflouer les caisses ! Les exonérations prouvent que les questions économiques prévalent, et que nous n'avons pas hésité lorsque l'intérêt pour le consommateur ou pour l'économie était essentiel.
Enfin, il me semble malsain de laisser penser aux Guadeloupéens que les élus, par les décisions qu'ils prennent relativement à l'octroi de mer, seraient responsables de la vie chère. Cela contribue à opposer les élus et la population. Il faudrait au contraire favoriser des relations de confiance. Lorsqu'il y a des difficultés dans les territoires, c'est bien aux élus que l'on demande de régler les problèmes.
Le rapporteur général a posé la question de la compensation, sujet que je ne souhaite pas aborder. Je reste dans la lignée des présidents des régions et des territoires d'outre-mer : la suppression de l'octroi de mer n'est pas envisageable. Une réforme est possible, mais elle doit être faite de manière concertée, constructive et transparente. Nous sommes ouverts à une large concertation, mais aucune décision ne doit être prise dans la précipitation. Nous sentons que l'État, qui cherche plus de 12 milliards d'euros de recettes, car la croissance n'est pas au rendez-vous, a comme arrière-pensée de mettre la main sur une manne financière. Faisons cette réforme, mais de manière intelligente.
M. Stéphane Sautarel, président. - Nous n'avons pu retrouver la connexion avec le représentant de Mayotte pour finir cette audition en téléconférence, mais comme vous, il pourra s'il le souhaite, préciser et compléter, dans une contribution écrite, les éléments développés dans le cadre de la table ronde.
Je vous remercie de votre disponibilité. Je remercie également les membres de la délégation sénatoriale aux outre-mer. Le Sénat, par le biais de la commission des finances et de la délégation aux outre-mer, poursuivra ses travaux. Nous restons l'assemblée des collectivités territoriales.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 40.