Mardi 23 janvier 2024
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 14 h 15.
Proposition de loi visant la prise en charge par l'État de l'accompagnement humain des élèves en situation de handicap sur le temps méridien - Examen de l'amendement au texte de la commission
M. Laurent Lafon, président. - Nous examinons l'amendement de séance sur la proposition de loi de Cédric Vial visant la prise en charge par l'État de l'accompagnement humain des élèves en situation de handicap sur le temps méridien, dont nous débattrons en séance en fin d'après-midi.
EXAMEN DE L'AMENDEMENT AU TEXTE DE LA COMMISSION
Mme Anne Ventalon, rapporteure. - L'amendement n° 1 vise à garantir aux accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) un temps de pause adapté. Cependant, tel qu'il est rédigé, l'amendement ouvre un droit au repos pour tout AESH amené à travailler sur le temps méridien, y compris si son intervention se limite à cette seule période.
Le transfert à l'État de la compétence de l'accompagnement des élèves en situation de handicap sur le temps méridien est de nature à répondre à la demande de M. Fialaire. Le temps de pause est de droit dès que le temps de travail quotidien atteint six heures. Les AESH auront un contrat unique et un employeur unique sur l'ensemble de la journée. Le code du travail s'applique. En conséquence, j'émettrai un avis défavorable.
M. Bernard Fialaire. - Il s'agit d'un amendement d'appel. Aussi, je le retirerai sans doute en séance.
Mme Marie-Pierre Monier. - La loi prévoit une pause de vingt minutes après six heures de travail.
Mme Anne Ventalon, rapporteure. - La proposition de loi répond à cette problématique.
Mme Marie-Pierre Monier. - Il ressort de nos auditions que certains AESH n'auraient actuellement pas de temps de pause. D'où ce texte.
M. Cédric Vial. - Je rejoins les propos de Marie-Pierre Monier. L'objet de ce texte est de permettre à tous les agents d'avoir une pause rémunérée, ce qui n'est plus possible actuellement avec la séparation entre le temps scolaire et le temps méridien, la responsabilité étant partagée entre l'État et les collectivités. Avec un seul employeur, le temps de pause est de droit dès que le temps de travail atteint six heures.
M. Max Brisson. - Soyons rassurés, c'est la ministre du travail qui sera au banc du Gouvernement !
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1.
La commission émet l'avis suivant sur l'amendement de séance :
TABLEAU DES AVIS
La réunion est close à 14 h 25.
Mercredi 24 janvier 2024
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 09 h 10.
Audition de MM. Bruno Bonnell, secrétaire général pour l'investissement chargé de France 2030, Antoine Petit, président-directeur général du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et Didier Samuel, président-directeur général de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm)
M. Laurent Lafon, président. - Notre réunion de ce matin est la première de l'année consacrée au secteur de la recherche. Nous accueillons MM. Bruno Bonnell, secrétaire général pour l'investissement, chargé de France 2030, que nous recevons pour la première fois, Antoine Petit, président-directeur général du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), qui est un habitué de notre commission, et Didier Samuel, président-directeur général de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), que nous avons auditionné l'année dernière comme candidat à ce poste.
Messieurs, votre présence conjointe nous offre l'occasion d'aborder avec vous l'articulation de France 2030 avec la politique publique de recherche, en particulier le déploiement de la loi du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur (LPR), dont nous attendons la revoyure, et l'impact de ce plan pour les organismes nationaux de recherche, comme le CNRS et l'Inserm.
Monsieur Bonnell, pourriez-vous tout d'abord dresser un état des lieux de France 2030 ? Je rappelle que ce plan prévoit de mobiliser 54 milliards d'euros autour de trois axes, couvrant toutes les phases de l'innovation, de la recherche fondamentale à l'industrialisation : le premier, mieux produire, en faisant émerger de petits réacteurs nucléaires modulaires (SMR), en faisant de la France le leader de l'hydrogène vert, et en décarbonant son industrie ; le deuxième, mieux vivre, en favorisant une alimentation saine, durable et traçable, en produisant vingt biomédicaments, notamment contre les cancers et les maladies chroniques, et en créant les dispositifs médicaux de demain ; le troisième, mieux comprendre, en investissant dans la nouvelle aventure spatiale et dans le champ des fonds marins de grande profondeur.
Messieurs Petit et Samuel, pourriez-vous ensuite nous dire comment les organismes de recherche que vous dirigez sont impliqués dans la mise en oeuvre de ce plan et quelles en sont, pour eux, les premières répercussions ? Plus globalement, estimez-vous que la recherche française sortira renforcée de France 2030 ?
Après vos interventions respectives, notre rapporteure pour les crédits de la recherche, Laurence Garnier, vous posera une première série de questions, puis je donnerai la parole aux collègues qui le souhaiteront.
Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo, retransmise en direct sur le site internet du Sénat et consultable ensuite en vidéo à la demande.
M. Bruno Bonnell, secrétaire général pour l'investissement chargé de France 2030. - L'objectif du plan d'investissement France 2030 a été défini il y a deux ans par le Président de la République : il s'agit de répondre aux défis de notre siècle - énergétiques, climatiques et démographiques - au travers de l'innovation, et donc de la résilience, de l'intelligence et de l'imagination, - et non du « technosolutionnisme ». La solution à ces problèmes réside non pas dans l'obsession de la croissance pour la croissance, qui mènerait à une « société du plus », ou dans la résignation que traduit l'aspiration à la décroissance et à la « société du moins », mais dans la « société du mieux ».
Un cap tangible a été fixé, lequel comprend des objectifs très concrets : production d'ici à 2030 de 2 millions de véhicules électriques ; lancement d'une fusée dans l'espace ; fabrication de biomédicaments, etc.
Les moyens financiers considérables prévus dans France 2030, soit 54 milliards d'euros, ne sont pas jetés en pâture en fonction des aléas et des opportunités, mais s'inscrivent dans la construction d'un système de recherche, de développement, de recherche appliquée et de premières usines, en vue de faire passer la société française de l'état de « chenille fossile » à celui de « papillon électrique » en opérant une révolution à la fois énergétique et sociétale.
Dans ce contexte, l'État a un rôle de « dérisquage » et d'analyse du retour sur impact. Par exemple, le développement de la voiture électrique est une réalité : il atteste que l'ensemble de notre industrie automobile se convertira progressivement à cette nouvelle technologie. L'État doit donc accompagner les industries et leur permettre d'accélérer leur réflexion, en considérant l'évolution de la société dans sa globalité. D'ores et déjà, de nombreux systèmes s'enrichissent les uns les autres, ce que les Américains désignent par le mot serendipity. Par exemple, la recherche spatiale peut être utile au secteur des biomédicaments, lequel pourra faire évoluer les recherches en alimentation.
Dans le cadre de cet exercice systémique de transformation de la société, une réflexion s'est amorcée sur le nouveau rôle des organismes nationaux de recherche (ONR) en tant qu'agences de programmes de recherche. L'articulation de ces organismes avec France 2030 comporte trois phases.
Le premier étage est constitué par les programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR), des domaines prioritaires sélectionnés auxquels on accorde des moyens afin qu'ils se développent : 3,3 milliards d'euros, dont 2 milliards sont intégrés aux stratégies d'accélération pour l'innovation, et 1,3 milliard est dédié à des programmes exploratoires. Je précise à cet égard que nous sommes au coeur du déploiement du plan France 2030 puisque, sur les 54 milliards d'euros de l'enveloppe totale, 30 milliards ont été engagés ; nous entamons la « deuxième mi-temps ».
Le deuxième étage est subdivisé en trois actions simultanées de l'État, regroupées sous le terme « recherche à risque ».
Tout d'abord, à la suite des travaux de la mission visant à renforcer et à simplifier l'écosystème national de la recherche, confiée à Philippe Gillet par le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche (MESR), il a été décidé de créer des agences de programmes au sein de cinq organismes nationaux : le CNRS, le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) ; l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria), et l'Inserm. Ces futures agences devront aider à construire la vision prospective de l'État dans des domaines spécifiques.
Ensuite, les PEPR sont répartis entre les différents ONR de façon thématique, dans une logique de « pilote unique » : la santé pour l'Inserm ; l'agriculture, l'alimentation durable, la forêt et les ressources naturelles associées pour l'Inrae ; le climat, la biodiversité et les sociétés durables pour le CNRS ; l'énergie décarbonée et les infrastructures numériques pour le CEA ; le numérique et les logiciels pour l'Inria. On peut y ajouter le Centre national d'études spatiales (Cnes), auquel revient la réflexion sur le domaine spatial. Ces thématiques précises sont suffisamment larges pour que les briques technologiques y afférentes soient relativement ouvertes.
Enfin, France 2030 finance la recherche à risque à hauteur de 500 millions d'euros. Nous avons envoyé aux différents organismes une lettre de cadrage les encourageant à faire preuve d'audace et à explorer de nouvelles voies. Il s'agit de soutenir de façon volontariste, déterminée et rapide des innovations véritablement transformatrices.
Troisième étage du dispositif : France 2030 est pilotée par un comité exécutif interministériel qui s'est réuni pour la première fois le 28 novembre 2023.
La phase d'expérimentation de ce dispositif, qui couvre une année de mise en oeuvre, est dotée de 150 millions d'euros. Si ce sujet est d'une actualité brûlante, il en est aux prémices ; nous ferons un point d'étape à la fin de 2024.
La dynamique de France 2030 est interministérielle, et l'interface des ONR avec l'État évoluera probablement encore davantage en ce sens. Le débat en est enrichi d'autant. La pluralité des points de vue permet en effet d'éviter le dogmatisme, la rigidité et les approches hors-sol, de renforcer l'agilité et l'efficacité du dispositif, et d'envisager plusieurs axes de réflexion.
M. Didier Samuel, président-directeur général de l'Inserm. - France 2030, investissement majeur qui comprend un volet santé identifié, permet à l'Inserm de stimuler la recherche en santé, ce qui est positif. Nous copilotons ainsi huit PEPR. La méthode de travail, que les chercheurs et l'Institut doivent s'approprier, diffère de celle induite par les habituels appels d'offres : l'approche est davantage descendante - top down. Le taux de programmes fléchés avoisine les 50 %, avec une mise en commun de consortiums scientifiques autour de projets ciblés par un collège d'experts. Les PEPR, ainsi que diverses actions financées par France 2030 permettent de définir des stratégies.
Sur ces huit programmes, à l'exclusion de certains PEPR exploratoires qui n'ont pas encore été choisis, certains concernent des sujets majeurs et d'actualité, tels que la biothérapie, la bioproduction, le numérique en santé, la santé des femmes. L'un de ces programmes, doté de 30 millions d'euros, recouvre les infertilités et l'endométriose ; un autre les maladies infectieuses émergentes ; un autre encore traite du lien entre alimentation, microbiote et santé.
Seul bémol : la mise en route des PEPR n'a pas été assez rapide. Aussi conviendrait-il, dans une deuxième phase de la réflexion, de simplifier les procédures et d'alléger certains « allers-retours » entre les différents partenaires - ONR, Agence nationale de la recherche (ANR), secrétariat général pour l'investissement (SGPI) -, afin de raccourcir les délais entre prise de décision et engagement du programme.
Autre point positif, l'Inserm coordonne le programme relatif aux biobanques et cohortes françaises, qui bénéficie d'un soutien dans le cadre de France 2030. Les biobanques sont absolument indispensables pour la recherche en santé, et nous souhaitons que cette aide soit renforcée.
L'Inserm devrait recevoir 30 millions d'euros au titre du programme « recherche à risque », qui va démarrer en 2024. Il s'agit notamment de tirer les conclusions de la crise du covid. Il est probable, par exemple, que la France n'était pas complètement au point sur le sujet des ARN messagers. Qui aurait pu prévoir il y a vingt ans que cette technologie dépasserait le cadre de la thérapie génique ? Aujourd'hui, il existe des médicaments à base d'ARN « interférants » ; l'ARN messager a été utilisé pour produire des vaccins ; il pourrait servir - des travaux sont en cours - pour produire des vaccins anti-cancer, etc.
La recherche à risque est au croisement de l'amélioration des technologies - je pense à la méthode des ciseaux moléculaires -, des découvertes scientifiques et de l'expérience. Nous espérons que nous pourrons proposer d'autres programmes, via l'agence de programmes de recherche en santé, et que l'État confiera à l'Inserm le très important programme France vaccins, qui implique de coordonner l'ensemble des acteurs concernés.
Nous nous félicitions de la labellisation récente, permise par France 2030, de douze nouveaux instituts hospitalo-universitaires (IHU), dans laquelle l'Inserm est totalement impliqué et qui sont des pôles d'excellence, ainsi que de l'ouverture de cinq bioclusters. Le premier est le Paris-Saclay cancer cluster (PSCC), qui associe l'Institut Gustave-Roussy, le groupe Sanofi, l'Institut polytechnique de Paris, l'université Paris-Saclay et l'Inserm. Quatre autres bioclusters sont en cours de mise en place : l'un sur l'immunologie, à Marseille ; l'un sur l'infectiologie, à Lyon ; les deux suivants sont localisés à Paris - Genother, dédié à la thérapie génique, et Brain & Mind, pour la recherche en neurosciences.
Ces bioclusters, interfaces entre le secteur de la santé et l'industrie, visent à pallier le manque de valorisation de la recherche académique française, qui est pourtant de qualité, et dans certains domaines, compétitive au niveau international. Ils permettront aussi de renforcer le partenariat et les relations entre le monde académique et les industriels. En effet, dans le domaine de la santé, la recherche seule ne suffit pas : la fabrication de médicaments n'est pas le métier des chercheurs. Il leur faut donc travailler avec l'industrie pharmaceutique, en respectant les règles.
Le volet santé de France 2030 a pour vertu de replacer la recherche biomédicale au coeur du paysage de la recherche en santé. C'est pour la France, dans le contexte post-covid, un enjeu de souveraineté nationale, ainsi que de qualité de la médecine.
Je me félicite que l'agence de programmes de recherche en santé soit confiée à l'Inserm, car cela clarifiera les choses, sans remettre en cause son activité d'opérateur de recherche qu'il convient de développer, via les unités mixtes de recherche (UMR) avec les universités, pour être plus visible aux plans national et international ; nous devons également améliorer notre stratégie en termes de choix de domaines.
L'Inserm sera donc le coordonnateur de cette agence de programmes pluripartenariale - centres hospitaliers universitaires (CHU), centres de lutte contre le cancer, universités, Inserm, etc. - qui englobera l'ensemble du bloc de la recherche en santé, ce qui est nouveau. Les différents partenaires pourront ainsi se parler de façon multilatérale. La gouvernance devra être partagée mais aussi efficiente. Il conviendra de rassurer les uns et les autres en leur expliquant que les programmes et le financement seront partagés. L'agence devrait tenir sa première réunion à la mi-février.
L'agence de programmes confiera le pilotage de certains programmes au CNRS, au CEA, à un collectif de CHU ou d'universités. J'aurai donc un rôle de coordination et d'organisation. Il me reviendra notamment de dialoguer avec l'État afin de lui faire part de nos objectifs de priorisation.
M. Antoine Petit, président-directeur général du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). - France 2030 a ceci de formidable qu'il permettra d'injecter de l'argent dans le système. Selon les dernières études du MESR, notre effort intérieur de recherche et développement (R&D) va descendre sous les 2,2 %, c'est-à-dire au même niveau qu'en 1995, quand l'effort allemand, qui s'élevait à 2,1 % en 1995, est désormais de 3 %, avec l'objectif de le porter à 3,5 %, et que celui de la Chine s'établissait à 0,6 % en 1995, contre un peu plus de 2,2 % aujourd'hui.
Nous sommes en train de prendre du retard, alors même que la stratégie de Lisbonne fixait l'objectif d'un effort intérieur de recherche de 3 %, dont 1 % financé par le public et 2 % financés par le privé. Il s'agit du reste d'un constat transpolitique puisque depuis 1995 de nombreux partis ont été au pouvoir.
France 2030 permet donc d'injecter de l'argent dans le système, certes pas assez, mais c'est tout de même positif.
Le CNRS est fier de piloter ou de copiloter quasiment les trois quarts de la cinquantaine de PEPR qui ont été lancés, soit la totalité des PEPR exploratoires, les autres PEPR s'inscrivant dans des stratégies d'accélération des filières industrielles. Dans les faits, si pour des raisons bureaucratiques il ne peut y avoir qu'un pilote, de nombreux sujets se prêtent davantage à un copilotage. Nous copilotons par exemple avec le CEA les projets relatifs à l'hydrogène. En France comme ailleurs, la recherche est loin de ressembler à un jardin à la française, et je crois qu'il faut l'accepter, car c'est ainsi que cela fonctionne !
Le fait de considérer les organismes de recherche comme des institutions compétentes pour sélectionner les meilleurs chercheurs me paraît une avancée importante. Lorsque Didier Deschamps sélectionne l'équipe de France de football, il ne fait pas un appel à candidatures pour trouver les meilleurs joueurs : il les connaît déjà. C'est pareil pour nous ! Il est illusoire d'imaginer qu'un appel à candidatures nous amènerait à découvrir un chercheur totalement méconnu des organismes de recherche. Une partie des financements des PEPR est donc allouée dans une approche top down ; c'est un véritable progrès, car cela nous permet de gagner du temps.
Sur de nombreux sujets, le travail inter-PEPR, ou même le développement de relations internationales doivent être encouragés. Dans le domaine quantique, le PEPR que nous copilotons avec le CEA et l'Inria a été l'occasion de monter un réseau avec le Canada, qui est en pointe sur ces sujets.
Le PEPR est donc un très bon outil. Le seul reproche que l'on pourrait lui faire est que certaines thématiques ne sont pas couvertes, par exemple dans le domaine des sciences humaines et sociales. C'est en partie notre faute, car nous aurions dû faire des propositions plus cohérentes ; peut-être faudrait-il aussi que dans ce domaine l'État se charge de commander des PEPR sur les sujets qui le méritent.
S'il est très positif que 40 millions d'euros soient alloués à la recherche à risque, je tiens toutefois à vous rassurer : les 3 milliards d'euros de la subvention pour charge de service public du CNRS nous permettent déjà de financer des recherches à risque. Nous ne faisons pas que de la recherche « pépère », tant s'en faut ! Cette enveloppe est une bonne nouvelle, mais au regard du montant de notre subvention, cela ne bouleversera pas la donne.
Nous avons fait le choix de financer une quinzaine de gros projets dont le coût est de l'ordre de 2,5 à 3 millions d'euros, avec une notion de risque qui reste à définir, mais qui peut être de nature scientifique, technologique ou même sociale. Encore une fois, le CNRS comptant 11 000 chercheurs, nous procéderons selon une démarche top down en assumant nos responsabilités, sans ouvrir d'appel à projets.
J'en viens enfin aux agences. Le CNRS est fier de s'être vu confier la responsabilité de l'agence Climat, biodiversité et société durables, dont le périmètre est loin de correspondre à celui du CNRS. À nos missions premières - être employeur de 32 000 personnes, piloter ou copiloter plus de 1 000 laboratoires et piloter ou copiloter plus de 85 % des infrastructures de recherche de la feuille de route nationale - s'ajoute cette quatrième et importante mission.
Comme Didier Samuel l'a indiqué, elle consiste d'abord à coordonner les acteurs concernés par les questions relatives à un climat, une biodiversité et une société durables - de nombreuses universités et écoles, le CEA, l'Inserm, l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes), l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) et bien d'autres. Toute réflexion impliquera également les acteurs industriels, les collectivités territoriales et plusieurs ministères. Il faut donc être conscient que cela ne contribuera pas à ajouter quelques couches de simplification !
J'estime donc qu'une fois que nous aurons reçu nos lettres de mission, il faudra nous fixer une feuille de route relativement humble pour les premières années, en nous gardant de l'idée selon laquelle nous parviendrons à instaurer un point d'entrée unique qui permettra de tout résoudre. Encore une fois, la recherche n'est pas un jardin à la française ! Si l'idée est donc intéressante, la mise en oeuvre sera nécessairement source de complexité. Il n'y a d'ailleurs quasiment aucun PEPR qui recouvre le champ de compétence d'une seule agence.
En tout état de cause, je ne doute pas de notre capacité à mettre en place ces agences.
Mme Laurence Garnier, rapporteure des crédits de la « recherche » de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport. - Les annonces du Président de la République étant récentes, puisqu'elles datent de début décembre, il nous faut attendre d'y voir un peu plus clair quant à la manière dont elles se mettront en musique.
Le budget global de la recherche française, après avoir accusé un recul entre 2021 et 2022, s'établit cette année à 2,2 % du PIB, quand nos voisins allemands se sont fixé comme objectif d'atteindre les 3,5 %, les États-Unis se situant à près de 3 %.
Si de l'argent est injecté dans le système, nous sommes donc encore loin du compte, du fait notamment du manque d'investissements privés. Comment pourrions-nous, selon vous, lever les points de blocage, monsieur Petit ?
J'en viens à la structuration de la recherche, même si, en la matière, nous sommes un peu contraints au wait and see, dans l'attente d'une clarification des annonces qui ont été faites. Les PEPR et les appels à projets permettent différents niveaux de fléchage, auxquels s'ajoute la recherche à risque. Quelque 500 millions d'euros, soit environ 1 % des crédits de France 2030, sont alloués à cette dernière. Ce premier pas vous paraît-il suffisant ? Quels sont les curseurs pertinents pour faire en sorte que ces modes de recherche soient efficaces ?
Vous avez évoqué votre crainte d'une complexification, monsieur Petit. Si la complexité permet l'efficacité, cela ne pose pas de difficulté. Mais est-ce bien le cas ?
L'intelligence artificielle (IA), qui est par essence transversale, est-elle néanmoins fléchée au sein d'une agence en particulier ? Quels sont selon vous les perspectives et les points de blocage en la matière ? L'IA est-elle prise en compte à la hauteur des enjeux qui nous attendent dans les années à venir ?
Ces derniers jours, la presse s'est enfin largement fait l'écho d'un coronavirus potentiellement mortel qui arriverait de Chine. Un certain nombre de chercheurs, notamment du CNRS, ont pointé que le bénéfice-risque de ce type de recherche était très largement défavorable. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
M. Bruno Bonnell. - Dans le cadre de la mission qui m'est confiée, je suis bluffé par la diversité et la qualité, notamment des industriels implantés dans tous les territoires, hexagonaux comme ultramarins.
Le sous-investissement du secteur privé s'explique à mon avis par la prise de conscience tardive du bouleversement systémique de notre société auquel nous assistons et de la recherche de profits à court terme, pour des raisons que l'on peut du reste comprendre. De fait, s'il n'y a pas de présent, il n'y a pas de futur.
Les petites et moyennes entreprises (PME-PMI) n'ont pas été très allantes lorsqu'elles ont dû intégrer l'informatique dans leurs procédures de gestion et partant, transformer leurs méthodes. Les bouleversements que nous connaissons aujourd'hui sont un peu plus profonds. Les industries pharmaceutiques sont, par exemple, en train de basculer leurs procédés de fabrication, qui étaient intégralement fondés sur la chimie, vers des procédés utilisant la fermentation ou la biologie.
Cette prise de conscience doit être collective, d'autant que nécessité fait loi : certaines entreprises doivent se remettre en selle, sous peine de voir leurs parts de marché grignotées par des concurrents plus innovants.
Nous ne sommes pas en avance, mais au vu des 3 500 lauréats de France 2030 et des 10 000 dossiers analysés à ce jour j'estime que le processus est en route.
L'enveloppe allouée à la recherche à risque - 500 millions d'euros - est-elle suffisante au regard de l'enveloppe totale de 54 milliards d'euros ? Notre rôle est d'avoir une gestion de bon père de famille. Les quarante ans de déni de la transformation de la société, qui nous ont collectivement amenés à penser qu'une France sans industrie pouvait être viable, ne vont pas se résoudre en cinq ans. J'estime qu'une enveloppe de 500 millions est suffisante pour enclencher le réflexe de penser plus loin que la prochaine échéance électorale. Nous devons nous projeter dans la France de 2050, ce qui est d'autant moins évident que la recherche fondamentale est souvent soumise à la pression d'être applicable tout de suite. Le temps de la recherche n'est pas forcément le temps politique, et il n'est certainement pas de l'ordre de l'immédiateté.
Je pense, pour ma part, que seule la complexité peut être efficace, madame la sénatrice ! La recherche est faite de tâtonnements et de coïncidences. Cette année d'expérimentation nous permettra d'ajuster les curseurs de manière à trouver un équilibre entre souplesse et rigidité.
L'IA est au coeur de notre réflexion. Nous allons vers un homo numeris, un homme augmenté. N'en ayons pas peur ! Dans quelques années, nous nous demanderons comment nous faisions sans l'IA, comme nous pouvons déjà nous demander, aujourd'hui, comment nous faisions avant les télécommunications mobiles. Si nous ne parlons pas spécifiquement de l'IA, c'est parce qu'elle diffuse dans tous les secteurs, ce qui n'empêche pas que l'Inria, le CNRS et le CEA, entre autres, mènent des recherches pointues sur l'IA.
M. Didier Samuel. - L'industrie pharmaceutique a longtemps été vue comme le diable, alors même que l'on encourageait la constitution de projets public-privé. C'est en train de changer, et c'est très important, car seule l'industrie pharmaceutique sait faire du médicament.
Par ailleurs, le développement de produits issus de la recherche en santé a longtemps été considéré par de nombreux investisseurs comme à risque, ce qui n'a pas contribué à créer un écosystème favorable - contrairement aux États-Unis, par exemple. Cela commence à changer lentement. Même après Choose France, certaines grosses industries pharmaceutiques hésitent encore à s'installer et à investir en France, alors même qu'elles constatent que l'écosystème est plus favorable. Un véritable travail doit être mené pour accélérer ces investissements.
En ce qui concerne la structuration de la recherche, le maître-mot est celui de co-construction. Il faut mettre tout le monde dans le même bateau et réussir à travailler ensemble. J'estime que nous pouvons y arriver.
Le Président de la République a évoqué la simplification du quotidien des chercheurs. C'est un point important, en particulier pour ce qui concerne les relations entre les différents sites.
La simplification doit aussi concerner les procédures de l'État, aussi bien pour les contrats des ONR ou les contrats européens que pour l'évaluation des unités de recherche. Par exemple, le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres), l'Inserm et le CNRS doivent mieux coordonner leurs procédures d'évaluation.
Quant aux PEPR, ils restent complexes à monter, de sorte que dans la phase 2 qui commence, il faudrait privilégier un mécanisme plus fluide qui reposerait sur des règles plus simples.
Enfin, l'IA est partout et le secteur de la santé n'y échappe pas. En effet, la recherche biomédicale est de plus en plus interdisciplinaire et, depuis la crise covid, les ingénieurs, les mathématiciens ou les biostatisticiens s'intéressent de plus en plus à ce domaine. On constate aussi que les acteurs de la santé ont davantage recours au numérique, comme les chirurgiens pour la programmation ou la simulation d'une chirurgie à l'avance.
Il est essentiel que nous favorisions cet objectif de transversalité et de transdisciplinarité. Cela pourra se faire, par exemple, dans le cadre du PEPR sur le numérique en santé que nous développons avec l'Inria.
Lorsque vous mentionnez un risque lié à la recherche sur les coronavirus, il me semble que vous faites référence à la manipulation génétique de ces virus. Les travaux de certains chercheurs ont en effet consisté à faciliter l'entrée des coronavirus dans les cellules humaines de manière à mieux cerner les moyens de les bloquer. Ce type de recherche présente un risque et nécessite d'être surveillé et contrôlé. Toutefois, c'est cette méthode qui a permis de mettre au point les vaccins contre le covid, en bloquant la protéine Spike grâce à laquelle le virus entre dans les cellules humaines.
Une dérégulation totale de la recherche n'est pas pour autant souhaitable. Le récent film Oppenheimer montre bien comment les travaux de certains chercheurs peuvent aboutir à des découvertes dangereuses, en l'occurrence la bombe atomique. Cela vaut aussi dans le domaine de la santé lorsqu'il s'agit d'amplifier la pathogénicité des virus. Il revient à l'Inserm, en particulier à l'ANRS qui en dépend, d'exercer une veille sanitaire efficace en la matière. En outre, des comités de déontologie sont chargés d'encadrer les programmes de recherche en veillant à ce qu'ils soient éthiques.
Il n'est pas possible d'envisager une dérégulation complète de la recherche dans un contexte où l'on a les connaissances techniques suffisantes pour manipuler les gènes et l'ARN.
M. Stéphane Piednoir. - Je me félicite que le budget de la recherche bénéficie d'une enveloppe de 54 milliards d'euros. En effet, avec ma collègue Laure Darcos, lorsque nous avions travaillé sur la dernière loi de programmation de la recherche, nous avions mis en évidence l'importance des besoins. Toutefois, alors qu'il était question, lors des auditions, d'envisager un financement récurrent, hors appels à projets, le discours que vous tenez semble désormais légèrement différent. Le confirmez-vous ?
En outre, si le paysage de la recherche ne doit pas ressembler à un jardin à la française il ne peut pas non plus être une jungle dans laquelle on se perd au premier pas. Les chercheurs n'en peuvent plus de la succession, de l'accumulation ou de la superposition des appels à projets en tout genre. Vous mentionnez les nouvelles agences de programmes : à chaque fois que l'on envisage de lancer un grand plan sur la recherche, il semble que l'on ne fasse qu'ajouter une couche supplémentaire au dispositif existant. On est loin de la simplification. La complexité efficace que nous appelons de nos voeux en matière de recherche exige que l'on revoie notamment le fonctionnement des unités mixtes de recherche, notamment le nombre de tutelles existantes.
Il faut aussi, comme vous l'avez dit, développer une stratégie interministérielle. Or, nous n'avons plus de ministre de l'énergie alors qu'il s'agit d'un pan essentiel de notre industrie à venir.
Cette stratégie devra s'inscrire dans le long terme, mais le Gouvernement a pris, il y a moins de cinq ans, des mesures contraires aux objectifs qu'il se fixe désormais. J'en veux pour preuve l'arrêt du programme Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration (Astrid) sur les réacteurs nucléaires de quatrième génération. Vous savez combien il est difficile, voire impossible, de rattraper tout retard dans le domaine de la recherche.
Cette stratégie pourrait se développer à l'échelle européenne. Les partenariats que vous avez avec les différents organismes de recherche européens permettent-ils de l'envisager ?
Enfin, j'aimerais que vous nous éclairiez sur le mécanisme de sélection des 3 500 lauréats parmi les 10 000 dossiers de candidature présentés.
M. David Ros. - Vos interventions, qui se complètent tant sur le fond que sur la forme, sont à l'image de la richesse de notre recherche, et je vous en remercie.
Dans la période actuelle, la tendance est à la simplification et à la rapidité. Or, même si la complexité du système peut parfois nous laisser perplexes, la simplification et la rapidité ne sont pas toujours synonymes d'efficacité. Il me semble que l'essentiel réside dans le pilotage clair appelé de ses voeux par le Président de la République.
Malgré l'augmentation du budget prévue dans la LPR, nous restons très en retard pour la mise en oeuvre de l'objectif défini dans le traité de Lisbonne, notamment en ce qui concerne la part du PIB consacrée à la recherche. Cela s'explique non seulement par l'inflation et par l'augmentation des coûts de l'énergie, mais sans doute aussi par un manque d'investissement du secteur privé. Le Président de la République a fait un certain nombre d'annonces, notamment à Toulouse, mais il me semble que nous manquons d'informations sur les moyens supplémentaires venus du secteur privé qui pourront servir de leviers pour développer la recherche dans les entreprises. Les domaines sont nombreux, qu'il s'agisse de l'IA, du numérique, de la santé ou bien encore des transports pour favoriser la décarbonation. Envisage-t-on une planification autour d'objectifs précis ? Comment se fera le lien entre le secteur privé et les laboratoires de recherche des différentes universités ? Le maillage territorial sera-t-il pris en compte ?
La métaphore sportive était bien choisie pour rendre compte de la situation des ONR. Il faut en effet prendre en considération non seulement le recrutement, la formation et le pilotage de ces organismes, mais aussi les moyens dont ils disposent. À la suite des annonces du Président de la République, en début d'année, avez-vous planifié les travaux à mener avec la ministre sur le lien entre les universités, les ONR et l'ANR, sur le statut des chercheurs et des enseignants-chercheurs, ou encore sur l'évaluation a posteriori, qui relève d'une méthode assez innovante et pour le moins risquée ? À notre rapporteur qui disait « Wait and see ! », j'ai envie de répondre « Just do it ! ».
Mme Sonia de La Provôté. - En matière de partenariat entre le public et le privé pour la recherche, il y a quelques lacunes dans les règles. Par exemple, le crédit d'impôt recherche (CIR) ne dépend ni des organismes de recherche, ni du SGPI, et il n'est pas pris en compte dans le plan France 2030. Cela pose un problème de lisibilité dans la coordination entre le privé et le public en matière d'innovation et de recherche. Peut-être faudrait-il envisager des règles écrites, qui permettraient en outre de traiter certaines questions éthiques ?
Le système américain n'est pas réputé pour sa transparence, mais le fonctionnement de la Biomedical Advanced Research and Development Authority (Barda) est clairement défini autour des trois étapes que sont l'objectif, le financement et l'évaluation. Peut-être faudrait-il veiller à être plus opérationnels et ne pas hésiter à prévoir des conditionnalités dans le cas où l'accompagnement se ferait du public vers le privé ?
En matière de pilotage, une clarification est bien évidemment nécessaire. La multiplication des agences et des structures ne favorise pas un usage efficace des fonds publics, de sorte que l'on peut légitimement s'interroger sur la part des moyens qui sont finalement alloués à la recherche.
La territorialisation est un enjeu essentiel : il faut se libérer du raisonnement « Hors du plateau de Saclay, point de salut ! » Certes, il ne s'agit pas de verser dans l'excès, mais la concentration ou la surconcentration des équipes favorise une conception selon laquelle l'excellence et l'innovation seraient toujours au même endroit et toujours gérées par les mêmes personnes. Or la France des territoires existe bel et bien et la recherche dans les territoires aussi. Par conséquent, la sélection doit aussi être naturelle et pas seulement imposée.
Enfin, pour ce qui est de la distinction entre les appels à projets et les stratégies pilotées, il me semble qu'il existe un hiatus entre les deux. En effet, les appels à projets apportent de la confusion dans le pilotage des stratégies et ne sont pas toujours eux-mêmes pilotés.
Mme Laure Darcos. - Je ne peux que me féliciter des deux bioclusters qui se trouvent dans notre département de l'Essonne.
Je suis également très satisfaite que nous soyons parvenus collectivement à faire reculer le rapporteur général lors de l'examen du dernier projet de loi de finances, alors qu'il envisageait de réduire le budget du CNRS de 100 millions d'euros supplémentaires. Un organisme de cette nature doit pouvoir bénéficier de fonds de réserve, dès lors que les appels à projets se font sur le long terme.
Comme mes collègues, j'ai quelques inquiétudes sur l'orchestration entre les nouvelles agences de programmes et les PEPR. Pourriez-vous revenir sur ce point ?
Je me réjouis que la recherche française se mobilise en biosanté après des années de déclassement. Toutefois, malgré des améliorations, l'attractivité française continue de souffrir de délais trop longs, d'une part, dans la mise en place des essais cliniques, d'autre part, dans la transformation en innovation. Avec le député Philippe Berta, nous avons travaillé sur une note de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) relative aux avancées thérapeutiques en oncologie, et il est apparu qu'il était très compliqué en France de pouvoir transformer l'essai.
Enfin, quid de la coopération européenne ? Nous aimerions vous entendre sur ce sujet, alors que les élections européennes auront lieu dans cinq mois.
M. Pierre Ouzoulias. - Vous portez un projet de programmation de la recherche. Cela me convient parfaitement, car je suis un nostalgique du plan gaullien de la recherche. Toutefois, j'aurais aimé que dans le cadre de l'examen de la LPR, nous eussions parlé non pas seulement de budget, mais aussi de programmation. En effet, toute la Nation doit être associée à la programmation scientifique et il faudrait un grand débat sur la science. Je regrette que nous n'ayons pas pu l'avoir dans le cadre de l'examen de la LPR.
Une enveloppe de 500 millions d'euros a été allouée à la recherche fondamentale. Il me semble qu'il y a une forme de contradiction entre le caractère exploratoire de ce type de recherche qui justifie que les chercheurs puissent bénéficier pour leurs projets d'un temps long allant de vingt à trente ans, et le principe de l'appel à projets, qui repose sur un temps beaucoup plus restreint. Je rappelle que les travaux sur l'ARN messager ont nécessité trente ans de recherche.
Quant au mode de sélection des projets, vous nous avez dit qu'il faudrait choisir entre 10 000 dossiers. Comment se fera la sélection et qui seront les experts sollicités ? Vous envisagez de recourir à l'IA. On peut imaginer qu'un certain nombre de dossiers auront été conçus grâce à elle. Il ne faudrait pas que l'on aboutisse à ce que des machines jugent des machines.
Par ailleurs, la Première ministre, en mars 2023, m'avait indiqué que vous utilisiez pour la sélection des dossiers des facteurs d'impact et de la bibliométrie. Avec Laure Darcos, nous avions commis un rapport sur l'intégrité scientifique où nous demandions l'abandon total des techniques de bibliométrie. Vous l'avez fait et je crois que c'est un exemple à suivre.
Enfin, vous parlez de révolution sociétale dans les sciences humaines, mais il faut absolument l'accompagner. On constate, en ce moment, un problème d'acceptabilité sociale du progrès dans les domaines de l'alimentation et de l'agriculture. Si l'on n'investit pas dans les sciences humaines et dans la compréhension de ce qui bloque certains dans la possibilité d'intégrer le progrès, le problème restera.
Mme Mathilde Ollivier. - Dans ses annonces, le Président de la République a déploré le morcellement administratif qui affaiblirait la position mondiale des chercheurs français. En effet, la France serait passée du sixième au neuvième rang du classement entre 2005 et 2017, que le critère considéré soit le volume des publications ou leur qualité. Il s'agit donc de réformer et de transformer le rôle et les missions des grands ONR, dont le CNRS et l'Inserm. Quel regard portez-vous sur ces annonces du Président de la République et sur la planification qu'il envisage ? Quel sera votre rôle dans cette planification ?
La création d'un Conseil présidentiel de la science a également été annoncée, qui serait chargé d'éclairer l'exécutif sur les enjeux scientifiques d'avenir. Il s'agit là de donner suite au rapport Gillet de juin 2023 qui recommandait de renforcer le rôle de la France comme leader du paysage international de la recherche et de l'innovation. Comment évaluez-vous la mise en oeuvre de cette recommandation ? Quel serait votre rôle au sein de ce conseil et quels liens permettrait-il de développer entre les domaines politique et scientifique ?
Le rapport d'évaluation du Hcéres mentionne le fort niveau du CNRS à l'échelle mondiale, mais pointe des failles, parmi lesquelles une pression administrative importante, un manque de ressources et la complexité des procédures pour les chercheurs. Il signale aussi un manque de clarté dans les prises de décision du conseil d'administration. Qu'avez-vous à répondre sur ce rapport et quelles mesures comptez-vous prendre pour mettre en oeuvre les recommandations qui ont été faites ?
L'Inserm a lancé un plan sur les fake news. La crise covid, notamment, a montré combien l'enjeu était important, en l'occurrence dans le domaine de la santé. De quels leviers disposez-vous pour encourager les chercheurs à se lancer dans la voie de la science participative ? Comment faire pour inclure les citoyens dans la recherche scientifique et pour renforcer le lien entre les scientifiques et la société civile ?
Enfin, la France a été, en 2023, le deuxième récipiendaire du programme Horizon Europe. Comment se positionnent le CNRS et l'Inserm sur ces financements ? La phase de réflexion sur le prochain projet, après 2027, doit s'ouvrir. Quelles sont les grandes lignes que vous souhaitez voir apparaître dans ce programme européen, très important pour le financement de la recherche française ?
M. Bernard Fialaire. - J'ai les mêmes origines corréziennes que M. Ouzoulias, mais pas forcément les mêmes références gaullistes. En matière de plan, mon inspiration est davantage du côté de Jean-Pierre Chevènement.
D'un côté, vous mentionnez l'agilité et l'efficacité, de l'autre, de nouvelles strates administratives voient le jour. Comment cela pourrait-il fonctionner ? Si la complexité est gage d'efficacité, de quelles améliorations le nouveau Conseil présidentiel de la science sera-t-il porteur ?
De quel gain effectif de temps bénéficieront les chercheurs dans le cadre du plan France 2030 compte tenu de l'épuisement dans lequel ils nous disent déjà se trouver à force de mettre en place des appels à projets ?
Enfin, le retard de la France vient en partie du manque d'investissement du privé dans la recherche. Certes, un chef d'entreprise doit veiller à l'équilibre de son budget et prendre en compte les charges liées au coût de l'énergie. Cependant, les dividendes sont redistribués. Dans quelle mesure peut-on envisager d'orienter une partie de ces gains vers l'investissement dans la recherche ?
M. Jacques Grosperrin. - Comme mon collègue Pierre Ouzoulias, je considère que la démarche actuelle est très gaullienne et je m'en félicite.
Avez-vous développé des outils pour contrôler l'efficacité ou, du moins, le bien-fondé des investissements dans les projets de recherche ? En effet, il est probable que la Cour des comptes interviendra pour contrôler les financements qui sont d'ores et déjà engagés.
En ce qui concerne la grande fabrique de l'image qui doit permettre à la France de devenir le leader des tournages et de la production numérique, j'aimerais savoir où en est le projet.
Mme Monique de Marco. - Ma question s'adresse en particulier au secrétaire général à l'investissement. Vous avez précisé que près de la moitié des 54 milliards d'euros prévus pour les aides était déjà été utilisée. Or, l'on a beaucoup reproché au plan France 2030 de partir dans tous les sens et de saupoudrer les aides. En décembre dernier, le Président de la République a dressé un bilan d'étape. Le nucléaire a été mis en avant parmi les axes prioritaires. Avez-vous prévu de recadrer le plan France 2030 pour étendre les investissements en donnant la priorité à la recherche sur la fusion nucléaire, au détriment d'autres secteurs de recherche comme la santé ou l'agriculture ? Quels seront donc les critères et le mode de sélection des futurs projets ?
M. Bruno Bonnell. - Je ne voudrais pas que l'on mélange les 500 millions d'euros qui ont été évoqués avec la réalité de notre soutien à l'enseignement supérieur et à la recherche, qui s'élève à plus de 10 milliards sur 54 milliards d'euros. Il comprend à la fois les PEPR, mais également les 2 milliards d'euros investis dans la formation et 1 milliard d'euros investis dans les initiatives d'excellence (Idex). Il y a donc un effort considérable de France 2030 sur les problématiques d'enseignement supérieur et de recherche.
En ce qui concerne la sélection, vous avez souligné qu'il existe un « flou » autour des appels à projets, qui visent à tenir nos objectifs. Quand on dit que l'on veut fabriquer 2 millions de véhicules électriques à l'horizon de 2030, cela signifie qu'il faudra satisfaire une chaîne complexe de « briques technologiques ». L'objectif des appels à projets est ainsi de répondre aux problématiques sur les batteries, sur les composantes des moteurs électriques ou sur les matériaux permettant d'alléger les structures.
Cette méthodologie d'appels à projets est finalement la plus équilibrée pour donner une chance à tous les territoires de pouvoir proposer des solutions. Je suis d'ailleurs fier de vous annoncer que 60 % des 3 500 lauréats de France 2030 sont situés hors Île-de-France. Il s'agit principalement de très petites entreprises (TPE), de PME et d'entreprises de taille intermédiaire (ETI). Il n'y a que 20 % de grands groupes, le reste étant constitué d'institutionnels et de centres de recherches. Nous avons donc véritablement enclenché sur nos territoires une dynamique de confiance, qu'il s'agisse des chercheurs ou des entrepreneurs. Je ne suis pas un pourfendeur des appels à projets. Le processus est probablement améliorable. Depuis que je suis en fonction, nous sommes passés de 14 mois à 7 mois entre le dépôt des dossiers et la mise en route des projets. Mais n'oublions pas qu'il s'agit d'argent public : 7 mois pour débloquer des millions d'euros de fonds publics, ce n'est pas un délai déraisonnable selon moi. Pour rebondir sur la question des partenariats, il existe notamment une phase assez longue de conventionnement entre le privé et l'État : chaque subvention fait l'objet d'un contrat, que nous validons au travers d'une procédure de suivi. Le SGPI compte une équipe d'évaluation interne composée de six personnes, qui suit les dossiers.
Plusieurs questions portaient sur la gouvernance. Il existe plusieurs niveaux de gouvernance au sein du SGPI. Il y a d'abord un comité de surveillance des investissements d'avenir, composé de six parlementaires et de personnalités qualifiées. La présidente de ce comité, Patricia Barbizet, ayant pris des fonctions en conflit avec ses responsabilités et ayant démissionné, un nouveau président sera nommé dans les tout prochains jours. Il y a ensuite la gouvernance interministérielle. Je préside ce comité exécutif (Comex) où nous écoutons les avis des différents ministères. Ce n'est en rien complexe : nous soumettons au Comex des décisions comme nous le ferions pour un conseil d'administration interne. En clair, lorsqu'on dépasse les 15 millions d'euros d'investissements, il faut obtenir l'accord d'un ensemble de représentants de l'administration. Il existe bien sûr des débats à l'intérieur du Comex sur les priorités d'affectation. Je rappelle que 50 % des budgets de France 2030 doivent contribuer à diminuer l'empreinte carbone et que 100 % de ces crédits ne doivent pas la dégrader. Vous évoquiez la fusion nucléaire par rapport à d'autres types de recherche : dans les annonces du Président de la République, aucune priorité n'a été donnée à un domaine au détriment d'un autre. L'affectation budgétaire globale n'a pas changé au niveau de France 2030.
Ce n'était pas une boutade d'envisager d'utiliser l'IA : tout outil permettant d'améliorer la prise de décision paraît absolument utile. Nous utilisons bien les ordinateurs et nous nous servons déjà des statistiques ! Nous sommes une administration de 70 personnes, nous devons traiter énormément de dossiers, nous travaillons avec quatre opérateurs - Bpifrance, la Caisse des dépôts et consignations (CDC), l'ANR et l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) -, qui nous relaient pour l'exécution. Pour parler précisément de la mécanique interne, ce sont nos opérateurs qui sont chargés de la diffusion des appels à projets, du recueil des dossiers, de la constitution des jurys et de la sélection des dossiers. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'il y a une responsabilité de l'État à déléguer cette sélection aux structures qui en ont l'expertise : Bpifrance pour les entreprises, l'Ademe pour l'environnement, etc. Voilà comment se fait la répartition des appels à projets. Si l'IA est un moyen d'accélérer les réponses, notamment en termes d'éligibilité, pourquoi pas ?
En ce qui concerne les relations avec l'Europe, certains PEPR sont mis en oeuvre au niveau européen. Par ailleurs, 100 millions d'euros sont consacrés aux sciences humaines et sociales (SHS). Ce n'est peut-être pas assez, mais c'est un bon début. Vous avez raison : l'acceptabilité est une des clés de la réussite globale du plan France 2030, mais aussi de notre pays. Nous le voyons bien, nous n'avons pas fait assez de pédagogie et nous n'avons pas été assez à l'écoute. Les agriculteurs manifestent aujourd'hui et contestent des réglementations probablement très bonnes sur le long terme pour notre pays et la santé des Français, car la recherche est en décalage pour proposer des produits phytosanitaires de substitution. Nous y consacrons pourtant plus de 150 millions d'euros, mais le temps de la recherche est un temps long. Interdire certains produits nocifs sans pouvoir proposer de solutions alternatives crée des tensions au niveau de l'acceptabilité. Cela a un impact global pouvant conduire à des interrogations sur la science. Nous suivons d'ailleurs ces questionnements de très près. Les sciences sont de plus en plus complexes, mais à force de raccourcis pour hypersimplifier leur compréhension auprès du public, avec des présentateurs de télévision alternativement spécialistes du coronavirus, des phytosanitaires et du spatial, nous avons tous le sentiment d'être des Pic de la Mirandole ! C'est comme cela que la population finit par ne plus croire en la science, ce qui est regrettable.
Nous finançons 2 milliards de formations nouvelles dans d'hydrogène, le nucléaire, l'environnement, les technologies spatiales, mais nous ne parvenons à remplir qu'à hauteur de 40 % nos écoles flambant neuves, avec du matériel de pointe et des professeurs motivés. Là aussi, il y a des questions à se poser sur le message que l'on veut transmettre pour la science. Nous devons réagir et en finir avec cette idée que la science c'est mal, que la science dégrade le futur.
Vous m'avez interrogé sur les dividendes versus R&D. Les gains de productivité de la science grâce au numérique, à des marchés qui se développent à l'exportation, à la qualité de nos innovations, seront considérables. Je pense, notamment, à l'impact de l'IA dans beaucoup de domaines et à l'automatisation. Il faudra s'interroger sur le partage de ces gains de productivité. Cette décision n'incombera pas à l'entrepreneur, au SGPI ou aux organismes de recherche, mais au politique. C'est lui qui devra régler cette question de la transformation sociétale, tout comme il l'a fait en établissant de nouvelles règles lorsque nous sommes passés à l'époque industrielle. Si l'on compte sur le secteur privé pour faire ces arbitrages, il y aura autant de décisions que d'entrepreneurs et l'on ne parviendra pas à résoudre l'équation.
M. Antoine Petit. - Mme Ollivier a rappelé que le CNRS a été évalué par le Hcéres, par un jury exclusivement international, présidé par Martin Vetterli, président de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). Il a écrit : « Le comité d'évaluation est heureux de saluer la reconnaissance au plus haut niveau mondial de la production. » J'ai envie de dire, what else ?
Nous passons beaucoup de temps à courir comme des canards sans tête pendant que les Chinois et les Allemands travaillent. Quel est notre objectif ? Que voulons-nous de plus ? Je veux bien que l'on dise qu'il y a trop de tutelles dans les UMR, mais qu'est-ce que cela changera dans la production de la recherche française si demain il n'y en a plus qu'une ? La réponse est : rien ! Si le gain est d'avoir un jardin à la française, c'est formidable, mais la production scientifique ne s'en trouvera pas améliorée...
Le sujet sur la table aujourd'hui est celui de l'attractivité, vis-à-vis des jeunes, de l'étranger et du privé. Tout le reste est sans importance. La recherche est internationale. La territorialisation de la recherche, c'est bien joli, mais ce qui compte c'est d'avoir du poids au niveau international.
Le rapport public-privé est un vrai enjeu. Je regrette qu'il soit impossible dans ce pays d'avoir un débat serein sur le CIR. Certains de mes chercheurs me disent que cela représente un manque à gagner de 6 milliards. Mais si l'État récupère 6 milliards de plus, va-t-il nous les donner ? On ne peut pas non plus avoir ce dialogue avec Bercy. Ne pourrions-nous pas ouvrir enfin de vraies discussions ? On ne peut pas obliger un patron à investir davantage dans la R&D. Il faut donc essayer de comprendre pourquoi il n'investit pas plus afin d'apporter des solutions. Nous avons fait une proposition pour cofinancer les laboratoires communs entre le public et le privé. Il ne s'agit certes pas d'une solution miracle, mais il convient de trouver des dispositifs avec les acteurs du privé.
Oui, monsieur le sénateur Piednoir, l'équilibre n'est pas bon aujourd'hui entre le soutien financier de base et les appels à projets. Le soutien de base attribué aux laboratoires se fait sur le fondement des évaluations scientifiques ; il ne s'agit pas d'un report automatique des aides obtenues les années précédentes. Tous les grands pays scientifiques ont des agences de financement. Il ne s'agit pas de supprimer l'ANR, mais nous devons aussi avoir une capacité à financer une partie des recherches en top down. Un équilibre était prévu avec les différents préciputs, qu'il s'agisse de France 2030 ou de l'ANR. Or aujourd'hui il n'existe pas. Peut-être faudrait-il être plus explicite, car ces préciputs sont encore perçus par les chercheurs comme des moyens de « piquer » de l'argent alors qu'il s'agit plutôt d'une façon de le répartir.
Nous souffrons de notre incapacité à nous donner des objectifs. Les agences de programmes, c'est très bien, mais quel est l'objectif ? Qu'est-ce qui fera qu'à terme nous serons contents parce que nous aurons avancé ? Par exemple, qui est contre la simplification ? Personne, motion adoptée à l'unanimité ! Mais que fait-on ensuite ? Ne pouvons-nous pas nous donner un certain nombre d'indicateurs, comme le temps que l'on va mettre pour recruter un contrat à durée déterminée (CDD), payer un fournisseur, rembourser une mission ? Cela fait vingt ans que l'on nous parle des relations entre les universités et les organismes de recherche : pendant ce temps, les Allemands et les Chinois, eux, travaillent !
M. Didier Samuel. - France 2030 ne doit pas exclure le financement long. Les organismes de recherche doivent disposer d'une marge de manoeuvre pour définir une stratégie : tout l'argent ne doit pas être consacré aux salaires et à l'immobilier. Il est extrêmement important de renforcer la réflexion. La LPR est un début, mais il faut aussi mettre l'accent sur l'attractivité des carrières. Si la recherche française a baissé ces dernières années, c'est aussi parce qu'on a sous-investi tant au niveau des moyens que de la valorisation des carrières. Si l'on veut les meilleurs, il faut les payer, c'est essentiel. Si on veut faire revenir et garder les jeunes, il faut que le métier de la recherche soit attractif. Il en va de même dans les hôpitaux. On ne peut pas fonctionner uniquement par à-coups, il faut aussi une stratégie d'investissement.
Il est important pour les politiques de comprendre que la recherche se fait sur un temps long. Le retour sur investissement n'est pas immédiat, contrairement à l'innovation. On l'a dit tout à l'heure pour l'ARN messager, la recherche a mis vingt à trente ans à porter ses fruits. Si l'on veut revenir dans la cour des grands, il faut y mettre les moyens.
L'évaluation ne me fait pas peur. Elle est même absolument nécessaire : il faut se remettre en question et redéfinir des stratégies. Mais nous ne devons pas non plus procéder à des évaluations toutes les cinq minutes. Il importe donc de respecter un temps d'évaluation entre les actions, excepté pour les agences qui viennent d'être mises en place pour lesquelles un point d'étape au bout d'un an peut s'avérer utile. La problématique majeure pour le Gouvernement et les politiques est celle de la compétitivité internationale. Veut-on une recherche de qualité ? Quelle est la place de la recherche dans la société ? Veut-on attirer de nouveau les meilleurs chercheurs ? Est-on capable de faire revenir des chercheurs français ? Est-on capable d'attirer des chercheurs étrangers ? Nous avons aussi besoin de stabilité pour mener à bien les projets.
Comme vous l'avez rappelé, le PSCC est le premier biocluster du plan France 2030. Mais ce sont eux qui ont choisi d'investir dans cet axe. À l'époque, j'étais doyen de faculté et Gustave-Roussy était dans mon secteur. J'avais souligné qu'il ne fallait pas que cela soit bloquant pour d'autres industriels. La réflexion que nous devons avoir sur les bioclusters doit permettre une ouverture et ne doit en effet pas concerner un seul industriel. Quoi qu'il en soit, nous avons clairement besoin de davantage d'investissements privés dans le domaine de la recherche, en particulier dans le secteur de la santé.
Les territoires sont importants, nous travaillons d'ailleurs avec les universités en région. Mais il convient aussi de définir les axes forts : certains CHU, certaines UMR ou certaines universités ne peuvent pas tout faire. On doit aussi soutenir les axes et les chercheurs émergents. Il est de notre responsabilité, où qu'ils soient, de pouvoir les accompagner.
Quid des délais de mise en place des essais cliniques ? Clairement, les essais cliniques à promotion industrielle vont très vite. Il est important d'avoir des Key Opinion Leaders, mais se pose aussi la question des essais cliniques à promotion académique. On doit clairement améliorer le fonctionnement du programme hospitalier de recherche clinique (PHRC), raccourcir les délais, mettre davantage l'accent sur les techniciens d'études cliniques et les chefs de projet, afin que les essais à promotion académique soient efficaces. La stratégie n'est pas d'être compétitif au niveau local, mais au niveau international. C'est dans les meilleures revues de sa discipline qu'il faut publier ou dans les meilleures revues générales, comme The New England Journal of Medicine (NEJM) ou The Lancet.
En ce qui concerne l'Europe, nous devons être présents pour influer sur les programmes que l'on souhaite soutenir. Il faut que la France puisse faire entendre sa voix et fasse du lobbying pour soutenir les axes qui nous paraissent prioritaires. Le CNRS, l'Inserm, les universités, voire les CHU, doivent aussi réunir leurs forces pour aller à l'international. Je pense à l'appel à projets « Accélération des stratégies de développement des établissements d'enseignement supérieur et de recherche » (ASDESR) ou aux Pôles pour l'Europe. Il faut repérer les chercheurs qui ont une capacité à aller à la compétition sur Horizon Europe, sur des projets du Conseil européen de la recherche (ERC) ou sur des actions Marie Skodowska-Curie, mais il faut aussi les accompagner pour monter les projets et ensuite pour les gérer. On dit que les procédures en France sont complexes, mais la gestion des projets européens nécessite une aide logistique importante.
Depuis que je suis à l'Inserm, j'ai rencontré mes homologues en Allemagne, en Autriche ou en Espagne. On doit renouer et renforcer les liens entre les agences et les différentes universités européennes. Le covid a aussi engendré une coupure très néfaste pendant deux ans. Je m'attache, à mon niveau, à relancer ces coopérations, car j'ai toujours cru dans l'Europe.
En ce qui concerne le Conseil présidentiel de la science, il convient de rappeler au Président de la République - mais il le sait - l'importance de la recherche et d'insister sur le temps long. L'investissement est également essentiel, quels que soient les axes stratégiques retenus. J'espère que ce nouveau conseil contribuera à ces différentes prises de conscience.
Pour finir, les fake news dans le domaine de la santé sont un vrai sujet de préoccupation. L'Inserm s'est saisi de cette question bien avant mon arrivée. Nous avons également lancé une série destinée à valoriser la parole scientifique : Canal Détox. Nous avons mobilisé à cette fin une centaine de chercheurs capables de répondre à de fausses informations. De manière plus générale, nous devons mieux communiquer auprès du public et faire davantage comprendre aux Français l'importance de la science et de la recherche. Nous devons aussi combattre les chercheurs ou les pseudo-chercheurs qui répandent des fake news ou des théories complotistes. Nous devons être prêts à répondre, mais aussi réussir à faire comprendre au public que la science est vecteur de progrès, notamment dans le domaine de la santé. Les médicaments qui arrivent sur le marché sont le fruit de recherches en amont. Il est important que les jeunes, notamment, comprennent l'importance de la recherche. C'est un point sur lequel nous pourrions mettre l'accent durant le cursus scolaire.
M. Antoine Petit. - Les algorithmes de deep learning, l'apprentissage profond, qui sont à la base de tous les progrès de l'IA aujourd'hui, datent de la fin des années quatre-vingt. Vous les avez découverts probablement il y a six mois ou trois ans, mais ils datent de trente-cinq ans. L'IA est un domaine dans lequel la compétition internationale fait rage pour attirer une fois de plus les meilleurs talents. La France ne sera pas un grand pays de l'IA, mais nous pouvons être bons dans les domaines applicatifs de l'IA, qu'il s'agisse de la santé, de l'environnement, de l'énergie. Un grand nombre des start-up issues du CNRS associent d'ailleurs des compétences en IA et des compétences dans un autre domaine applicatif.
Pour répondre à Mme Ollivier, les deux organismes les plus bénéficiaires des programmes-cadres européens sont de très loin le CNRS avec 1,2 milliard d'euros, le CEA, avec 700 millions d'euros, l'Institut Fraunhofer, avec 680 millions d'euros, et l'Institut Max-Planck, avec 640 millions d'euros. Ce résultat n'est pas uniquement lié à notre taille. La France a, en Europe, des résultats très hétérogènes. Peut-être faut-il veiller à ce que les acteurs les moins performants le soient davantage, mais il n'y a pas d'avenir pour la recherche en dehors de l'Europe. C'est la raison pour laquelle nous plaiderons en faveur d'une augmentation significative du prochain programme-cadre européen. Si l'on veut être champion de troisième division, faisons de la recherche dans tous les territoires et restons franco-français. Mais si notre ambition est de compter au niveau international, l'Europe est un échelon absolument indispensable !
M. Bruno Bonnell. - J'espère vous avoir convaincu de l'importance de la participation de l'État à cette transformation sociétale. Nous avons abordé la recherche, mais nous pourrions également parler du domaine industriel. Sans cette accélération apportée par les moyens de l'État, nous n'irions pas à la bonne vitesse. Non pas que nous ayons pris du retard, mais le processus s'accélère. Au-delà de France 2030, il faudra avoir une réflexion pour poursuivre cet effort. Le plus grave, à mon avis, serait de faire du stop-and-go. Ce sont des efforts d'investissement, ce ne sont pas des efforts de dépense : les différents rapports attestent que les retombées pour l'État sont plutôt positives.
M. Laurent Lafon, président. - Je vous remercie de ces réponses très précises. La recherche n'est malheureusement pas un élément central du débat public. Nous avons à coeur, au sein de notre commission, de suivre attentivement ce secteur pour bien comprendre comment son écosystème, complexe, mais efficace, fonctionne et quels sont les enjeux auxquels il est confronté. Il nous importe aussi d'accompagner ses acteurs utilement.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 h 15.