Jeudi 18 janvier 2024

- Présidence de Mme Dominique Vérien, présidente -

Audition de la Fédération syndicale des familles monoparentales (FSFM) et du fond Femmes et Avenir

Mme Dominique Vérien, présidente. - Nous poursuivons ce matin nos travaux sur les familles monoparentales. Je suis accompagnée des deux rapporteures de notre « mission flash », Colombe Brossel et Béatrice Gosselin. Nous avons décidé de nous pencher sur ce sujet car aujourd'hui, en France, une famille sur quatre est une famille monoparentale, avec une femme à sa tête dans 82 % des cas.

Les mères isolées font face à des problématiques spécifiques : coûts monétaires, temporels et psychologiques de la charge éducative qu'elles assument de manière prépondérante, risque accru de pauvreté, de précarité et de « mal logement », conciliation plus complexe entre activité professionnelle et vie familiale, isolement social...

Le niveau de vie des familles monoparentales est nettement inférieur à celui des autres familles. 41 % des enfants en famille monoparentale vivent sous le seuil de pauvreté, contre 16 % des enfants dont les parents sont en couple.

L'objectif de la délégation aux droits des femmes est donc d'étudier comment mieux les soutenir et les accompagner face à ces problématiques. Si les constats sont désormais connus, nous nous intéressons aux solutions et aux préconisations. Nous devrions aboutir à l'adoption d'un rapport à la fin du mois de février 2024.

Nous auditionnons ce matin des représentantes de deux structures qui accompagnent les familles monoparentales. Tout d'abord, Véronique Obé, administratrice de la Fédération syndicale des familles monoparentales (FSFM), et Victoria Barreau, par ailleurs fondatrice de l'association Moi & mes enfants. Ce mouvement, membre de l'Unaf (Union nationale des associations familiales), porte la voix des familles monoparentales auprès des pouvoirs publics depuis plus de 50 ans, avec une vision sur le temps long de l'évolution des profils et des problématiques des familles monoparentales. À travers un réseau d'associations sur le terrain, la FSFM propose également des activités et services à destination des parents et enfants de familles monoparentales.

La deuxième structure que nous accueillons ce matin est le Fonds de dotation Femmes et avenir, une structure plus récente lancée en 2021. Ce fonds est dédié à la lutte contre le risque de précarisation des familles monoparentales, et cherche à sensibiliser et fédérer les employeurs. Cette action nous semble particulièrement importante tant on connaît les difficultés spécifiques que rencontrent les mères isolées pour concilier vie professionnelle et vie privée.

Nous recevons Angélique Gasmi, fondatrice et présidente exécutive, ainsi que Julie Caputo, membre « grand mécène » du fonds, directrice marketing et petite enfance du groupe de crèches La Maison bleue.

Bienvenue à vous. Merci de votre présence.

Je l'ai dit, nous connaissons les constats. Nous souhaitons donc connaître vos préconisations.

Nous savons que le fonds Femmes et Avenir recommande la création d'un statut juridique de « parent assurant seul les responsabilités parentales », destiné à faciliter l'activité professionnelle et l'aménagement des horaires de ces parents. La FSFM soutient-elle cette proposition ? Vous nous direz précisément quels pourraient être les contours d'un tel statut et les avantages qui y seraient associés. Vous proposez des déductions de charges pour les entreprises qui embauchent des parents isolés, mais ce statut est mouvant ; comment l'envisagez-vous concrètement ?

Avez-vous également des préconisations concernant les prestations familiales et sociales ? De précédents interlocuteurs ont évoqué une déconjugalisation de l'allocation de soutien familial, qu'en pensez-vous ?

Enfin, vous nous ferez part de vos préconisations pour faciliter l'accès des familles monoparentales au logement, aux services publics et aux solutions de garde d'enfant.

J'ajouterai une dernière question, qui me vient à l'esprit à la suite de nos précédentes auditions : que pensez-vous du barème de fixation du montant des pensions alimentaires ? Leur moyenne s'établit à 170 euros par mois, ce qui ne représente pas la moitié de ce que coûte un enfant en réalité. Une évolution vous semble-t-elle nécessaire, notamment pour mettre fin aux disparités jurisprudentielles en la matière ?

Je laisse sans plus tarder la parole à Véronique Obé et Victoria Barreau, de la Fédération syndicale des familles monoparentales.

Mme Véronique Obé, administratrice à la Fédération syndicale des familles monoparentales (FSFM). - La fédération porte depuis quelque temps une réflexion sur l'instauration d'un statut juridique. Certains parlementaires y pensent également. Nous avons d'ailleurs été interrogés à ce sujet lors de la conférence inversée du 7 mars 2019 dédiée aux mères isolées, avant la crise covid. Nous sommes favorables à ce statut, qui permettrait une prise en compte globale des situations spécifiques des familles monoparentales. Il se traduirait notamment par la création d'une carte « famille monoparentale » réclamée lors de cette fameuse conférence inversée.

Hormis quelques mesures, telles que la prise en compte par les impôts et le versement de l'allocation de soutien familial, la situation des parents solos relève, dans l'ensemble, du droit commun. Pourtant, des besoins sont spécifiques au fait d'être seul à assumer tous les aspects de la vie de famille quotidienne. Les parents seuls élèvent les citoyens de demain. Ils ont besoin de disponibilité, qu'elle soit physique ou organisationnelle. Elle génère du lien, de la sécurité, éléments qui construisent l'enfant et le préparent pour sa vie future.

Jongler entre son parcours d'adulte, la reconstruction personnelle et familiale après une séparation, son parcours emploi subi ou choisi, la perte d'emploi ou la reconversion professionnelle, est fastidieux. Le parent solo doit gérer toute la pression des administrations quand il ne figure pas dans la bonne case. Or, parfois, le chômage ou une situation d'aidant familial - lorsqu'un enfant est en situation de handicap par exemple - n'est pas un choix. C'est la seule solution possible. Les politiques publiques ont tout intérêt à se saisir de ce sujet.

Vous nous interrogiez quant aux éventuels contours d'un tel statut et aux avantages associés. Nous demandons un cadre qui impose la reconnaissance de ce statut familial. Celui-ci occasionne des contraintes tant financières qu'organisationnelles. Il doit également viser une amélioration du quotidien de ces familles, qui passera par de nombreux éléments : la reconnaissance du temps d'éducation accordé à l'enfant, la réponse aux besoins de répit parental, l'accompagnement dans la fonction parentale, l'amélioration de la santé mentale du parent qui peut se consacrer à son rôle s'il le souhaite, l'ouverture des droits facilitant le retour à l'emploi ou à la formation, et la prise en compte dans le calcul des retraites des parents. Finalement, ces préoccupations sont celles de tous les parents, qu'ils soient solos ou non. Nous nous inquiétons d'ailleurs de la disparition du mot « famille » dans les nouveaux ministères.

Vous notiez ensuite que nous proposons des déductions de charges pour les entreprises qui embauchent des parents isolés, mais que ce statut est mouvant. La fédération n'a aucun pouvoir en la matière. Nous savons cependant qu'il existe plusieurs formes d'encouragement aux embauches, selon différents profils. Elles peuvent être liées à l'âge ou au lieu d'habitation, qui sont également mouvants. Elles sont limitées dans le temps. Nous y consacrons des réflexions collectives qui pourraient être un des chantiers de la mise en place du statut juridique. Nous encourageons les entreprises, les structures, les mutuelles à repenser leurs accords, leurs conventions, leurs contrats. Nous les invitons à mettre en place des mesures favorisant la conciliation des temps de vie : horaires souples ; temps aménagés ; temps partiel ; télétravail ; jour enfant malade supplémentaire ; tarifs préférentiels ou comités d'entreprise spécifiques ; mise à disposition du droit individuel de formation pour des formations de soutien à la parenthèse ; accompagnement à la carrière...

Venons-en aux préconisations sur les prestations familiales et sociales. La FSFM est favorable à la déconjugalisation de l'allocation de soutien familial (ASF). Nous avons été entendus à ce sujet par le cabinet du député de Haute-Garonne Hadrien Clouet en novembre 2023. Si toutes les catégories socioprofessionnelles sont concernées, la peine maximale revient aux familles les plus précaires. Se remettre en couple quand on est bénéficiaire du RSA et de l'ASF revient à se mettre en totale dépendance du ou de la conjointe déjà probablement soumis à des pensions alimentaires, quand il ou elle les assume. Nous savons que les femmes sont majoritairement concernées. Les prestations sociales et familiales tiennent compte de la présence d'enfants, que l'on soit en couple ou non. Seuls l'ASF et le RSA parent isolé tiennent compte de ce statut de famille monoparentale. Ce dernier constitue un différentiel qui déduit toute prestation ou pension alimentaire du socle de base. À ce propos, la FSFM revendique la non-prise en compte des pensions alimentaires, contributions à l'éducation de l'enfant, dans le calcul des minima sociaux.

Par ailleurs, les allocations familiales sont désormais soumises à des conditions de ressources pour prétendre à un versement de taux plein. Nous réclamons le retour à l'universalité des allocations familiales, et le versement du premier au dernier enfant.

Enfin, il est urgent de redonner du pouvoir d'achat aux familles par la revalorisation des différentes prestations familiales qui, aujourd'hui, ne suivent pas la progression des salaires.

Au nom de la FSFM, nous avons aussi souligné l'image erronée véhiculée par les médias des parents qui assouvissent leurs besoins propres au détriment de leurs enfants. La plupart d'entre eux ont le souci de la garde, de la sécurité, du confort, des besoins, de la réussite des études, de l'intégration sociale par le sport, le vêtement ou les activités lorsque c'est possible.

Au-delà de cette réalité économique s'est posée la question philosophique de la condition d'attribution de l'ASF. En priver l'enfant le prive également de son histoire au profit du nouveau foyer. C'est une aide visant à assurer ses besoins. L'enfant qui en est privé est alors totalement dépendant de son nouveau foyer. Le parent isolé demeure seul responsable parental, mais il est amputé du soutien financier de l'allocation. La réduire à une question de finances sans tenir compte de l'impact relationnel, organisationnel, émotionnel, revient à assurer des tensions entre les membres du nouveau foyer.

J'en viens désormais à nos préconisations pour faciliter l'accès des familles monoparentales au logement, aux services publics et aux solutions de garde. Dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, nous soutenons la proposition d'allonger l'aide à la garde d'enfants pour une reprise d'emploi ou de formation jusqu'aux 12 ans de l'enfant. Les associations adhérentes réalisent un formidable travail de terrain auprès des familles. Yachad assure un gros travail de solidarité, de terrain et de quotidien dans les démarches. À Marseille, l'association Asap propose une capsule, une structure d'accueil et de répit pour les familles monoparentales. L'association de Colmar propose de la médiation familiale, un service d'accompagnement d'aide aux victimes de violences intrafamiliales, de soutien à la parentalité. Dans les Landes, les actions seront plutôt tournées vers du bien-être. À Paris, l'association Moi & mes enfants ouvre un deuxième tiers-lieu. Les adhérents de la FSFM peuvent également bénéficier des services d'accès ou de maintien au logement grâce à leur adhésion à la Confédération syndicale des familles (CSF) à laquelle elle est affiliée.

Je laisse la parole à ma collègue Olivia Barreau concernant les questions du logement, étant donné qu'elle met en place des actions innovantes.

Mme Olivia Barreau. - En effet, l'association Moi & mes enfants travaille sur un nouveau concept, intitulé « Toit et tes enfants ». Elle se concentre sur plusieurs actions, à commencer par l'accompagnement des parents vers un habitat digne, vers la construction d'un projet d'habitat, de logement. Elle vise également à les accompagner juridiquement sur ces questions, dans leurs démarches de sécurisation du foyer ou d'accession à la propriété. Dans un troisième temps, elle a pour objet de construire de nouveaux modes d'habitat partagés qui facilitent à la fois le quotidien de ces familles, et qui proposent toutes les actions que nous mettons en place dans nos tiers-lieux. Je pourrai y revenir lors de nos échanges.

Il nous faut nous interroger sur ce qu'est l'habitat aujourd'hui. De quoi avons-nous besoin en tant que parent, en tant que famille ? Avons-nous besoin de plus de grands espaces, ou plutôt de plus d'espace disposant des commodités, de facilitations, proposant de la solidarité, de l'entraide ? C'est ce que prévoient ces nouveaux modes d'habitats. Nous ne sommes pas les premiers à nous positionner sur cette offre. Il est dans l'air du temps de rassembler les gens, comme cela a pu être proposé à d'autres époques. Aujourd'hui, nous n'avons plus vraiment envie d'être isolés, chacun dans son logement. Différentes solutions sont mises en place, notamment en partenariat avec la Fondation de France.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci beaucoup. Je donne maintenant la parole à Angélique Gasmi et Julie Caputo pour le fonds Femmes et Avenir.

Mme Angélique Gasmi, fondatrice et présidente exécutive du fonds Femmes et Avenir. - Nous sommes très heureux d'être parmi vous afin de traiter collectivement ce sujet essentiel, social et sociétal. Nous le savons, monoparentalité rime avec précarité. Elle ne concerne pas une minorité. Aujourd'hui, près de 30 % des foyers français sont monoparentaux. Ils sont 40 % dans certaines régions et pourraient représenter 50 % du total des foyers dans les années à venir, selon nos projections.

La monoparentalité concerne tout le monde, pas uniquement les femmes pauvres en bas de l'échelle des revenus ou vivant dans des quartiers défavorisés. Elle touche les cadres, les cadres dirigeants, les femmes ayant suivi des études supérieures, celles qui ont appris que les lois du pays leur garantissaient d'être égales aux hommes. Elles ne les sont pas lorsqu'elles sont confrontées au décès de leur conjoint ou à son départ. Elles sont alors amenées à assumer une responsabilité familiale importante, lourde pour elles, mais aussi pour la société.

Aujourd'hui, ce sujet concerne aussi les hommes. Je ne reviendrai pas sur les chiffres, dont vous avez connaissance. Nous vous communiquerons un document les reprenant en détail. Dans l'imaginaire collectif, dans l'opinion professionnelle et publique, nous ne sommes pas suffisamment sensibilisés aux enjeux de la monoparentalité. On pense qu'elle ne concerne que les pauvres. Ce n'est pas le cas.

La monoparentalité touche tout le monde, partout, dans les villes, les villages.

4,7 millions d'enfants sont concernés par la monoparentalité, qu'ils viennent de familles aisées ou non. Ils n'y sont pas préparés. Nous, parents, ne sommes pas non plus armés pour affronter un tel choc. Même si le divorce ou la séparation se déroulent dans de bonnes conditions, l'enfant n'y est pas préparé. Nous devons accompagner les parents, et notamment les femmes - car elles représentent 85 % des familles monoparentales -, qu'elles le veuillent ou que ce rôle leur soit rappelé par l'institution.

Étant donné que tout le monde est concerné par la monoparentalité, celle-ci doit nous fédérer, non nous diviser. Toutes les structures d'aide en place ont à l'époque été conçues pour les gens pauvres, pas pour les actifs. Tout est mis en place pour tirer les femmes vers le bas.

C'est un sujet d'inégalité entre les hommes et les femmes. Les chiffres illustrent parfaitement ce constat. Si à 35, 40 ou 45 ans, nous sommes exposées à un départ, quelle qu'en soit la raison, si nous nous retrouvons avec un ou plusieurs enfants à charge, et si nous voulons conserver un poste suffisamment rémunéré pour subvenir à leurs besoins, nous sommes exposées à un parcours compliqué. Il est similaire, que l'on soit pauvre ou riche.

Qu'une femme vive dans une maison, dans un appartement, on lui demandera de quitter son foyer, en raison de violences psychologiques, économiques, ou autres. Si nous voulons arrêter cette violence, il faut que les femmes soient autonomes financièrement. En aidant ces femmes, on aide les enfants. Ils sont aujourd'hui cinq millions. Demain, leur nombre aura doublé.

Femmes et Avenir a été créé sur la base de ce constat, par un groupe d'entreprises. Lorsque j'ai dressé les constats que je vous ai présentés, j'ai réalisé un état des lieux pour comprendre la raison de cette détresse en France. L'institution nous renvoie à notre rôle de mère. L'employeur n'est pas informé pour agir et éviter le décrochage de ces mères et pères. La maison, elle aussi, nous renvoie à notre rôle.

Pour cette raison, j'ai réuni un collectif de patrons. À l'époque, ils étaient disponibles. Lorsqu'ils ont découvert ces chiffres, ils ont osé s'exprimer. En effet, plus on monte dans l'échelle sociale, moins on ose s'exprimer, parce qu'on pense que ce sujet concerne les pauvres. Ce n'est pas le cas. J'ai vu des hommes puissants, ceux qu'on ne voit pas, parce qu'ils sont toujours dans un avion, me dire qu'ils ont vécu dans la monoparentalité, que leur mère était femme au foyer. Il était impressionnant de voir 10, 20, 50, 100 puis 200 petites et moyennes entreprises (PME) ou entreprises de taille intermédiaire (ETI) adhérer immédiatement au projet. Ces patrons l'ont fait parce que nombre d'entre eux, hommes et femmes, étaient concernés. Ils sont sortis de l'isolement, ont exprimé le fait qu'ils disposaient désormais de moyens, et qu'ils pouvaient ainsi aider cette oeuvre philanthropique. Celle-ci vit des donations. Elle a la particularité d'être animée par des chefs d'entreprise, que je qualifierai même de décideurs.

Nous avons organisé des consultations larges, au sein des villages, des villes, auprès des actifs. Des associations sont implantées depuis vingt ans. Elles accompagnent beaucoup de mères issues de quartiers défavorisés. Ce n'est pas notre cas.

Nous proposons d'agir collectivement : les pouvoirs publics, les employeurs et les citoyens. Nous devons proposer à l'employeur un statut pour qu'il puisse identifier ces familles monoparentales, sans quoi il ne pourra pas agir. Sans actionner ces trois leviers, nous ne pourrons changer cette réalité.

Concrètement, agir collectivement vise à construire un cadre juridique protecteur pour faire évoluer les mentalités, pour sensibiliser et agir, pour aider le parent. On ne parle pas de mère ou de père isolé, car employer ce terme les isole encore davantage. Nous devrions les qualifier de parents assurant seuls la responsabilité familiale.

Vous l'avez compris, nous agissons sur trois axes, à commencer par l'éclairage et la sensibilisation des pouvoirs publics, pour créer un premier cadre juridique. Ensuite, nous menons des actions à destination des employeurs en sensibilisant les managers, parce que l'entreprise précarise inconsciemment les salariés séparés de leur conjoint, estimant qu'ils seront moins disponibles.

La création du statut permettra aux entreprises de prendre conscience des spécificités de la monoparentalité.

Nous soulignons l'urgence de créer un statut de parent assurant seul la responsabilité familiale. Seul et non de façon exclusive. En effet, si nous voulons corriger les inégalités, si nous voulons que les hommes s'impliquent dans la garde partagée, ce statut doit prévoir la garde partielle ou totale. Dans le premier cas, une organisation particulière doit être mise en place pour que le parent puisse continuer à occuper un poste à responsabilité ou à temps complet, de manière à éviter la précarisation.

Il est urgent de créer ce statut, parce que nous savons que le sujet de la monoparentalité ne pourra pas être traité tant que ces femmes, ces hommes et ces enfants seront invisibles. D'ailleurs, les employeurs sont intéressés par ce statut, car ils nous indiquent aujourd'hui qu'ils ne sont pas autorisés à identifier les chefs de familles monoparentales parmi leurs salariés. Aucun diagnostic n'a été mené. Nous ne connaissons pas leur nombre exact au sein des entreprises. Créer un statut permettra de les identifier.

Ainsi, le statut visibiliserait ces parents, sensibiliserait leurs employeurs, et leur donnerait les moyens d'agir. Cet indicateur serait intégré en entreprise, mais aussi dans toutes les organisations, dans l'aide au logement, l'attribution de places en crèches...

Si nous voulons atteindre une égalité entre les femmes et les hommes, nous pouvons intégrer parmi les critères de l'index Pénicaud les actions mises en place envers les collaborateurs en situation de monoparentalité : le nombre de parents en situation de monoparentalité recrutés ou pérennisés, la formation sur les enjeux de la monoparentalité destinée aux managers sur ce sujet... En effet, si ces derniers ne sont pas sensibilisés, rien ne changera. Ils continueront à licencier, à exercer des discriminations.

Par ailleurs, arrêtons de dire que nous ne devons nous occuper que des familles monoparentales pauvres et de celles qui ne travaillent pas. Que faisons-nous de la classe moyenne ? Si le parent en situation de monoparentalité gagne 2 000 ou 3 000 euros et qu'il se retrouve seul avec une pension de 170 euros - la moyenne en France --, comment peut-il élever son enfant ? D'autant plus qu'il deviendrait dans la plupart des cas locataire. Il aurait un avocat à payer pour qu'il défende ses droits. Les procédures durent ... C'est un facteur d'appauvrissement et de précarisation. L'opinion publique n'en a pas conscience. Pour ces raisons, arrêtons de segmenter ces familles. Nous avons pour rôle de traiter la question de la monoparentalité dans son ensemble. Toutes les familles sont concernées. 85 % de ces foyers sont tenus par des femmes. Nous savons pertinemment qu'elles ne sont pas riches car elles subissent des inégalités de genre qui perdurent.

Tous ces éléments justifient la mise en place d'un statut, qui doit concerner tous les parents de familles monoparentales. Il doit s'accompagner d'un cadre juridique protecteur, de mesures financières, fiscales, sociales, d'aide aux parents. Femmes et Avenir travaille avec des employeurs. Je laisse la parole à Julie Caputo pour vous présenter les mesures concrètes à mettre en place.

Mme Julie Caputo, directrice marketing et petite enfance du groupe de crèches La Maison bleue. - Je représente une entreprise de 4 500 salariés en France et 6 000 en Europe, dont 97 % de femmes. Nous faisons partie des sociétés dites du care, du soin, assimilées à la santé. La proportion de femmes y travaillant est souvent conséquente.

En tant qu'employeur, nous endossons une double responsabilité. Puisque nous gérons des crèches, nous accompagnons d'abord les parents que nous accueillons quotidiennement. Nous endossons également une responsabilité en tant qu'employeur vis-à-vis de nos salariés. Nous sommes devenus partie prenante du fonds Femmes et avenir en février 2023, parce qu'il nous est apparu naturel de prendre en compte les situations de monoparentalité.

Nous avons en premier lieu organisé une conférence en interne afin de sensibiliser tous les salariés à ces problématiques. Cet évènement s'est très bien déroulé, mais il n'a été suivi d'aucun effet. Pour certains salariés, il est difficile d'annoncer qu'ils sont en situation monoparentale. Cette annonce reviendrait à exposer une partie personnelle de leur vie. Que suis-je en droit, ou qu'ai-je envie de partager avec mon employeur ? Pour cette raison, nous avons créé une adresse mail, monoparentalite@lammaisonbleue.fr pour leur offrir un anonymat dans leurs déclarations. Cette mesure n'a pas provoqué de vague interne particulière.

Nous avons ensuite décidé de sensibiliser les managers qui sont en charge des équipes. Nous avons animé un atelier de formation, de façon à réfléchir à des solutions pratiques. Nous nous sommes rapidement heurtés à la notion de statut et de discrimination. Aujourd'hui, il existe des droits pour les familles en entreprise. La Maison bleue octroie des droits pour enfants malades par exemple. Dans ce contexte, je pensais naturellement, et peut-être naïvement, que les familles monoparentales pourraient avoir besoin de plus de jours enfants malades, puisqu'elles ne peuvent pas partager cette charge. Très vite, nous avons réalisé que proposer cette mesure constituerait une discrimination. Nous avons besoin d'un cadre pour faire exister cette catégorie, comme il existe un statut de famille nombreuse. Les personnes concernées pourraient se déclarer en tant que famille monoparentale. L'employeur pourrait alors proposer des actions ciblées sur ces personnes.

Au sein de notre entreprise, nous avons mis en place un réseau de psychologues, une écoute pour que ceux qui en ont besoin puissent s'exprimer, faire part de leurs problèmes. En effet, les familles monoparentales sont souvent confrontées à des problématiques d'écoute, parce qu'étant seules, elles terminent leur « deuxième journée » tard le soir. À 23 heures, lorsqu'elles ont enfin une heure pour elles, personne n'est plus là pour les écouter. Nous avons donc développé des solutions pour qu'elles puissent s'exprimer quand elles en ont besoin.

Il existe ensuite des solutions à déployer autour de la flexibilité du temps de travail. Nous pouvons accompagner des salariés pour leur permettre de concilier vie professionnelle et vie personnelle. La semaine de quatre jours peut constituer une alternative intéressante. Un panel de solutions s'offre à nous. L'entreprise peut également proposer des parcours de carrière, de formation, d'accompagnement spécifique pour un salarié. Le statut permettrait d'individualiser la relation entre l'employeur et le salarié.

Nous pouvons également imaginer des mesures autour du suivi médical, de l'accompagnement. L'accès à l'information est parfois compliqué. À quelles aides ai-je droit ? Le système français est plutôt complexe. Ce statut nous permettrait également de travailler avec la médecine du travail, avec lesquelles nous pourrions approfondir ces sujets.

Évidemment, la question du logement est cruciale. Lorsque vous vous séparez, la priorité consiste à trouver un toit, ce qui demande de l'argent. Je ne vous ferai pas l'affront de vous expliquer la situation du logement aujourd'hui en France. Nous en manquons. L'accès aux familles monoparentales est très compliqué.

Nous sommes également très bien placés pour évoquer le mode de garde. Nous devons accompagner les enfants pour qu'ils en bénéficient. Nous promouvons ce sujet par le biais des réservataires, demandés par le système français pour disposer d'une place en crèche. Nous faisons entrer la monoparentalité dans les critères d'éligibilité pour que ces parents soient prioritaires dans leur attribution. Un statut permettrait d'ancrer cette mesure.

Aujourd'hui, 18 % des familles accueillies dans nos crèches se situent sous le seuil de pauvreté. Nous pourrions faire progresser ce pourcentage grâce au statut, qui permettrait de prioriser certaines actions.

Nous devons également accompagner les enfants, victimes de ces situations. En plus de modes de garde, ils doivent bénéficier de soutien scolaire. C'est un réel sujet, bien qu'il touche moins les crèches, où nous les accueillons lorsqu'ils ont moins de 3 ans. Nous leur proposons tout de même de l'éveil culturel et artistique. Ils doivent ensuite être accompagnés durant toute leur scolarité. L'égalité des chances passe peut-être par ce statut.

J'oublie de nombreux sujets, mais nous pourrons revenir sur les indemnités, l'accompagnement ou les indicateurs permettant de mesurer les actions lors d'échanges, tout à l'heure.

Mme Angélique Gasmi. - Dans notre relation avec l'employeur, nous avons mis en place une méthode de travail. Sans ce statut, nous sommes bloqués. Nous ne pouvons pas assurer la prévention dans les entreprises. Nous leur proposons de signer une charte de la monoparentalité Femmes et Avenir, adossée à l'article 27 de la Charte sociale européenne. Cette dernière prévoit déjà un cadre juridique protecteur, mais il n'est pas appliqué. Il n'est d'ailleurs même pas connu. Nous proposons un cadre de travail partagé par tous les employeurs. Lorsque nous les rencontrons, ils sont volontaires, mais nous disent être confrontés à cette problématique du statut. Sans ce dernier, ils ne peuvent aller plus loin.

Ce statut nous permet également de freiner l'inégalité professionnelle. Aujourd'hui, la monoparentalité constitue un risque supplémentaire pour les femmes. Elles y sont majoritairement confrontées à 40 ou 45 ans. Elles peuvent quitter leur emploi. Nous relevons en effet un risque de décrochage conséquent. Nous observons un phénomène inquiétant : de nombreuses femmes âgées de 40 ans quittent l'entreprise et vont créer leur propre entreprise de coaching, parce qu'elles deviennent expertes de la monoparentalité. Combien de femmes ai-je vues toucher le chômage pendant deux ans, parce qu'elles ne sont pas entrepreneures, se réveiller dans la précarité en touchant le RSA ? C'est un vrai sujet. Si nous n'agissons pas dans l'entreprise, toutes ces personnes vont penser que l'entrepreneuriat résoudra leurs problèmes. Ce n'est pas le cas. Elles vont travailler à 200 %, tout en s'occupant seule de leurs enfants.

Il nous semble primordial d'engager des réflexions sur l'allocation chômage. De nombreuses femmes qui étaient cadres, dirigeantes, se retrouvent sans emploi alors qu'elles n'étaient pas informées de la perte de revenus qu'occasionne la réforme. Leur durée d'indemnisation est réduite et le montant de leurs revenus est limité. Elles sont choquées, touchées par une précarité psychologique. Leur situation et celle de leurs enfants se dégradent.

S'agissant des aides, nous préconisons un retour aux allocations familiales universelles. Si nous voulons maintenir la classe moyenne dans l'emploi, nous devons l'aider. Celles qui gagnent plus de 1 600 euros, je crois, n'ont droit à rien. Il en va de même pour celles qui n'ont qu'un enfant. Elles ont pourtant besoin d'aide.

Nous recommandons également un élargissement du crédit d'impôt pour l'aide scolaire à domicile. On fabrique le décrochage scolaire des enfants. 41 % d'entre eux vivent sous le seuil de pauvreté. Nombre d'entre eux sont déstabilisés. Dans ce contexte, ils décrochent à l'école. Pendant ce temps, les femmes doivent travailler pour subvenir à leurs besoins. En France, il existe un crédit d'impôt bien organisé, à hauteur de 50 % des heures de soutien scolaire. Il est accessible à toutes les familles.

Ces enfants ont besoin d'être aidés en mathématiques et en français, deux heures par semaine. Pour cette raison, nous préconisons un crédit d'impôt à hauteur de 75 %. La création du statut permettrait de faire évoluer les mesures existantes.

Enfin, le logement est un vrai sujet. De nombreuses femmes deviennent locataires après une séparation. Nous devons aider ces parents, hommes ou femmes, à accéder à la propriété. Nous avons travaillé sur la création d'une caution solidaire pour aider ces parents à accéder à la propriété. L'État interviendrait en caution. Les banques pourraient elles aussi agir, en proposant un crédit sans apport, par exemple. Cette option est déjà ouverte aux entreprises. Pourquoi ne pas l'ouvrir aux familles monoparentales ?

Mme Dominique Vérien, présidente. - Je laisse la parole à mes collègues, à commencer par nos deux rapporteures.

Mme Colombe Brossel, co-rapporteure. - Merci beaucoup à vous quatre. Au fur et à mesure de nos auditions, nous engrangeons beaucoup d'informations, mais observons tout de même une vraie forme de cohérence entre vos propositions, notamment sur la question du statut. Vous avez évoqué à plusieurs reprises un cadre juridique protecteur, tant pour les individus que pour les institutions publiques et les employeurs. Votre façon de développer ce point est très intéressante.

J'aimerais vous poser deux questions qui nous animent depuis quelques semaines. D'abord, nous observons une forme de paradoxe entre la volonté de ne pas stigmatiser les familles monoparentales et la création d'un statut. Il est compliqué d'exposer dans le cadre professionnel le fait que l'on est un parent solo. Comment résoudre cette contradiction ? L'une d'entre vous établissait un parallèle avec la carte « famille nombreuse ». Elle constitue un statut, et ouvre des droits, mais ceux qui ne veulent pas être identifiés comme une famille nombreuse peuvent décider de ne pas entrer dans ce statut. Dans ce cas, ils ne bénéficient pas des avantages associés. Il leur est laissé une liberté de choix. Cette solution pourrait-elle être appliquée pour les familles monoparentales ?

Ensuite, nous avons beaucoup parlé de logement lors de nos précédentes auditions, notamment sur le volet des contraintes rencontrées par les chefs de familles monoparentales : surface, coût... Madame Barreau, vous avez abordé ce point sous un angle différent, en proposant de repenser les besoins de logements pour une famille en termes de services partagés, de coopération. Pourrez-vous nous donner quelques exemples de l'accompagnement que vous proposez aux familles ?

Mme Béatrice Gosselin, co-rapporteure. - Merci pour vos interventions. J'avais la même question s'agissant du logement. Je n'y reviendrai pas.

Vous avez évoqué la protection de la vie privée lorsqu'il s'agit de reconnaître que l'on est une famille monoparentale. Je peux comprendre que ce soit compliqué. Un système similaire à la carte « famille nombreuse » pourrait résoudre cette difficulté. Vous n'avez toutefois pas parlé de fiscalité. Pensez-vous que la pension alimentaire pourrait être prélevée à la source, au regard des difficultés qui se posent parfois, lorsqu'un conjoint ne la verse pas ? Par ailleurs, un enfant coûte environ 750 euros par mois. Pensez-vous que le montant de l'allocation de soutien familial mais aussi le montant moyen des pensions devraient être relevés à hauteur de 300 ou 350 euros pour représenter la moitié de cette somme ?

Mme Dominique Vérien, présidente. - Comment le montant de la pension alimentaire est-il défini, selon votre expérience ? Il se calcule selon le revenu du conjoint et non sur le coût de l'enfant. Le reste à charge est parfois très important pour le second parent, quand bien même il gagnerait moins que son ex-conjoint.

Mme Véronique Obé. - J'ai exercé des fonctions dans plusieurs domaines et je suis moi-même une famille monoparentale. Nous nous accordons tous sur l'humilité et la peur que peut générer le fait de parler de sa situation. Dans le cadre de l'accompagnement de parents, la confidence se fait entre quatre murs. Dans la mise en place d'actions collectives, les parents ne veulent pas s'afficher. Ainsi, j'ai d'abord eu une réaction de rejet face à l'idée de créer une carte « famille monoparentale » et un statut. Je ne voulais pas qu'on me colle une étiquette de plus. J'estimais que je souffrais déjà assez de la situation.

Vous l'avez dit, les parents ne disent pas souvent qu'ils sont monoparentaux, parce qu'ils subissent déjà des discriminations dans l'emploi, dans les entreprises. Ils ne peuvent pas toujours gérer des cas d'enfant malade. Je connais très bien cette situation, étant passée de l'ASS (Allocation de solidarité spécifique) à un poste de cadre, et inversement. Le passage de l'un à l'autre est infernal, y compris psychologiquement.

Par ailleurs, le statut juridique touche également à l'organisation entre parents. Le droit de visite et d'hébergement du parent non gardien est un droit, et non une obligation. Je pensais que nous pouvions expliquer la désertion des pères parce qu'on les autorise implicitement à ne pas s'occuper de leurs enfants. Une femme qui ne présente pas son enfant au père est pénalisée. Un père qui ne se présente pas ne l'est pas. Une réflexion me semble nécessaire sur ce point. Nous en sommes arrivés à la situation actuelle en raison de cette défaillance juridique, entre autres.

Ensuite, la mise en place de l'aide à la garde d'enfants pour parent isolé (Agepi) et le recouvrement des pensions par la CAF fonctionnent plutôt bien. Quand le parent ne verse pas la pension alimentaire, les réactions interviennent dans les deux mois qui suivent. Je l'ai testé pour vous. En revanche, l'allocation de soutien familial désigne à la fois l'allocation versée en remplacement d'une pension alimentaire qui n'est pas versée et celle qui est versée à un enfant privé de parents. Dans le cadre d'une recomposition familiale, un enfant continue à bénéficier de la pension alimentaire de l'autre parent, mais celui qui la perçoit sous forme d'une allocation de soutien familial (ASF) en sera privé. Avant de repenser les montants, nous pourrions ainsi repenser ce système.

Les montants des pensions sont en effet calculés sur la situation du parent non gardien, pas sur le coût de l'enfant. Simplement, le salaire d'un Français moyen n'est pas extrêmement élevé. Comment faire pour demander une pension de 300 euros à un père qui en gagne 1 200 ? Certains pères ayant déserté le foyer quittent leur travail pour être insolvables et ne pas s'acquitter de cette pension alimentaire.

Des stratégies sont mises en place pour ne pas verser la pension, quitte à reconstruire une vie familiale ailleurs. Nous en arrivons à des abandons d'enfants dramatiques. Dans ce contexte, comment maintenir le rôle parental ? Le statut juridique ne se baserait-il pas sur une obligation morale plutôt que fonctionnelle et organisationnelle ? Un parent l'est à vie, y compris après une séparation. Il ne peut dire qu'il a fondé une famille et eu des enfants, mais qu'il ne veut plus s'en occuper, et que celui qui peut s'en charger - généralement une femme - n'a qu'à se débrouiller. J'y vois une question d'éthique sociologique. La monoparentalité n'est pas l'affaire de la France, elle est planétaire.

Madame Gasmi, vous indiquiez venir d'un milieu aisé. Je suis une Française moyenne. Je pensais que je me débrouillais mal. En me cultivant, en ayant accès à différentes informations, traitant notamment des inégalités entre les femmes et les hommes, je me suis finalement aperçue que je n'avais pas de chance en étant femme et mère. Nous sommes aujourd'hui réunies pour en discuter. Ces données sont effrayantes. Nous pouvons comprendre que certaines personnes en situation de monoparentalité n'ont pas envie de s'y confronter. Par ailleurs, lorsque vous faites part de ces difficultés à des professionnels, on vous répond que vous êtes fatiguée et que vous devriez prendre du repos. Comment pouvez-vous me dire cela, alors que j'ai perdu mon travail, que personne ne m'aide pour m'occuper de mes enfants, que le père est absent ? La séparation occasionne un bouleversement.

Enfin, s'agissant du statut, j'aime la notion de cadre juridique protecteur. Pour autant, il ne doit pas être infantilisant ou avilissant.

Mme Angélique Gasmi. - Je pense qu'il n'est plus, aujourd'hui, question de stigmatisation. 30 % des familles sont concernées. Elles constituent un groupe vulnérable. La monoparentalité rime avec précarité, nous le disions. C'est ce qui justifie notre intervention et notre demande de statut. Les employeurs le demandent parce qu'ils veulent que cette problématique soit traitée. Ce statut ne vise pas à désigner la personne, mais à apporter des réponses concrètes, durables, structurelles.

Nous insistons sur notre demande de cadre juridique protecteur. Aujourd'hui, les gens s'expriment, ils se tournent vers leur employeur pour demander des aménagements. Ce statut permet une coparentalité responsable. En effet, il concerne la garde partielle et la garde totale. Derrière ce statut, c'est tout un cadre qui est nécessaire pour l'emploi, pour l'accès au logement.

Ensuite, nous sommes favorables au prélèvement à la source de la pension alimentaire. Les femmes qui travaillent et élèvent seules leurs enfants n'ont pas le temps d'effectuer toutes les démarches administratives. Nous avons d'un cadre pour les protéger. Aujourd'hui, elles sont majoritairement exposées à la pauvreté.

Nous évoquions le coût qui requiert un enfant pour être élevé. Un montant de 350 euros nous semble être un minimum.

Mme Julie Caputo. - Le fait de disposer d'un statut permettrait à l'employeur de présenter le panel de solutions RH à la disposition du salarié. Ce dernier pourrait alors répondre à une opportunité offerte. Cette possibilité modifierait légèrement l'équilibre et le dialogue dans l'entreprise. Si celle-ci fait savoir qu'elle propose des dispositifs pour les familles monoparentales, ces dernières pourraient s'en saisir.

Mme Béatrice Gosselin, co-rapporteure. - Allez-vous jusqu'à demander des exonérations fiscales pour les entreprises dans le cadre de situations impliquant des familles monoparentales ?

Mme Julie Caputo. - Si possible, oui.

Mme Angélique Gasmi. - Les exonérations fiscales pourraient constituer un coup de pouce en incitant les employeurs à proposer des mesures, à recruter et à maintenir en emploi des parents solos.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Madame Obé, vous signaliez qu'une pension de 350 euros représentait une part importante d'un salaire de 1 200 euros, mais la mère touche peut-être elle aussi 1 200 euros. Pourtant, son reste à charge est plus élevé.

Mme Véronique Obé. - C'est vrai. Ce sujet rejoint celui du coût de la vie, trop élevé au regard des niveaux de salaires. Par ailleurs, une vraie réflexion est à mener s'agissant de la frontière entre l'attribution des aides sociales et les salaires bas.

Ce matin, je demandais mon chemin pour vous rejoindre, et j'ai indiqué que je me rendais au Sénat pour y parler des familles monoparentales. À ce moment-là, une dame a mentionné la récente intervention du Président de la République à leur sujet. J'aimerais rebondir sur ce qu'il a dit et sur ce qui s'est passé cet été. Un changement de discours me paraît nécessaire. Au sein de la fédération, nous indiquons que la responsabilité des parents correspond à l'habilité à répondre aux besoins du quotidien. Arrêtons de parler des parents solos comme des parents défaillants.

Mme Olivia Barreau. - En tant que parent solo, nous sommes confrontés à une charge très importante et à une culpabilité incroyable. Vous êtes-vous déjà retrouvées dans une situation où vous vous êtes senties en tort, mais où vous n'aviez pas du tout envie de vous excuser ? C'est ce qui m'est arrivé ce matin, lorsque je suis arrivée au Sénat. Je savais que j'étais en retard, mais je me suis demandé pourquoi nous avions rendez-vous si tôt alors que cette consultation concernait les familles monoparentales. J'ai déposé mon fils à l'école à 8 heures 20. J'ai fait mon maximum, mais il m'était impossible d'arriver plus tôt. J'étais dans une position qui ne me convenait pas. On peut évidemment s'organiser, mais comment, ne serait-ce qu'en termes financiers ? Nous avons déjà beaucoup à gérer. C'est là que les solutions de logement que nous proposons interviennent.

Nous pouvons penser le logement comme une maison, un village, un foyer au sens noble du terme. En tant que femme, que mère, j'ai des responsabilités, et j'ai besoin de sentir un épanouissement, une émulation sociale, intellectuelle, professionnelle. Je sais que je suis restreinte à certains niveaux, parce que les changements qui interviennent dans la société ne donneront pas leurs fruits du jour au lendemain. Si j'ai un rendez-vous demain, comment vais-je m'organiser ? Si je vis dans un habitat partagé, innovant, pensé avec les familles, j'ai besoin de savoir que je peux déposer mes enfants dans un endroit sécurisé et sécurisant avant de me rendre au travail. Cet accès m'est permis par la solidarité créée à l'intérieur même des logements, parce que les familles se connaissent, s'entraident, et peuvent s'apprécier. J'ai aussi accès à des tiers-lieux mis en place chez Moi & mes enfants, autour desquels est construit l'habitat. Ils peuvent être implantés en pied d'immeubles ou au centre des îlots d'habitation. Ils me permettent de déposer mon enfant, même s'il est 7 h 30 le matin. Celui-ci sera pris en charge par une personne travaillant dans cette espace, ou par un roulement de parents responsables. Les enfants peuvent être emmenés à l'école tous ensemble. La même organisation peut être mise en place le soir, lorsque l'on rentre du travail. Nous n'avons pas à culpabiliser d'être une mère qui travaille, qui a envie de sortir, de se reconstruire sur le plan affectif. Nous n'avons pas à nous justifier sans cesse. Nous pouvons avoir besoin de faire garder nos enfants pour nous rendre à un rendez-vous amoureux. Cela fait partie de la mise en place du reste de la vie, car celle-ci ne s'arrête pas lors de la séparation. Le parcours des femmes est très dense, celui des hommes aussi. Nous en comptons beaucoup dans l'association, mais leur parcours est différent.

Nous menons aujourd'hui une étude de faisabilité des différents modèles envisagés. Elle est financée par la Fondation de France.

Nous avons demandé à nos adhérents et à notre communauté de nous lister leurs besoins, mais aussi d'identifier ce qui leur semblait moins important. Ils ont cité les surfaces. Elles n'ont pas à être très importantes si de grands espaces leur sont mis à disposition par ailleurs, si des tiers-lieux existent et si des mutualisations leur sont proposées : buanderie, jardin, terrasse partagée. Nous pouvons, pourquoi pas, proposer des chambres d'amis partagées, de grands espaces de cuisine pour se rassembler ou pour recevoir des proches. Dans les tiers-lieux, nos bénéficiaires, qui vivent dans de petits espaces, se retrouvent dans ce qu'elles appellent leur « maison sur le boulevard » avec leurs enfants. Elles y reçoivent parfois leur famille, parce qu'elles savent que les enfants pourront y jouer dans des espaces de jeu. Elles prennent possession de la cuisine. Elles peuvent également y rencontrer d'autres personnes. Ces tiers-lieux créent de l'entrée, de la vie. Les bénéficiaires ne sont plus seuls. Évidemment, j'aimerais vivre dans un grand appartement, mais si j'y suis seule, si je n'y ai pas de lien, si personne ne peut garder mon enfant alors que je suis convoquée pour un entretien très important, à quoi me servira ce logement ? Si nous voulons être à l'écoute des familles, des parents seuls avec leurs enfants, nous devons leur offrir la possibilité de recréer un réseau, un cocon social, de travailler, de se former, d'avoir du temps pour elles. Dans les tiers-lieux, nous prenons en charge des enfants en leur proposant des activités pendant que leur mère a accès à des soins d'ostéopathie ou de réflexologie, à un coaching parental ou un soutien juridique... Elle peut en profiter car elle sait que son enfant est pris en charge dans un endroit sécurisé, qu'il s'épanouit et qu'il retrouve d'autres enfants qu'il connaît. Il sort lui aussi de sa solitude. À chaque évènement, de nouvelles familles nous rejoignent. Elles nous disent toujours que les enfants ne veulent plus partir, parce que ces moments leur permettent de voir du monde. C'est ce dont ils ont besoin.

Je pourrai vous partager les avancées de nos travaux. Nous voulons mettre en place ces espaces pour 2025. Il est impératif de rendre ces services accessibles aux différents niveaux socioprofessionnels.

Mme Angélique Gasmi. - Pour répondre aux différentes questions qu'engendre l'habitat, nous devons sensibiliser les acteurs privés. Le statut est important en ce sens, parce qu'il permettra à ce secteur de prendre conscience de cette problématique, de ce marché. Il permettra également d'engager des réflexions sur l'habitat partagé.

Mme Dominique Vérien, présidente. - En cas de violences intrafamiliales, la règle a changé en France. Aujourd'hui, c'est l'homme qui quitte le foyer, où restent la femme et les enfants. Une règle selon laquelle le parent qui garde l'enfant conserve la maison, lorsqu'il y a propriété, serait-elle envisageable au regard de ces difficultés de logement ? Nous voyons bien qu'en règle générale, en cas de séparation, c'est la mère qui part avec ses enfants. Elle doit retrouver un logement, payer un loyer. La situation diffère entre les pères et les mères.

Mme Olivia Barreau. - Dans mon entourage, je vois des amies en couple préparer leur précarité de demain, si elles venaient à se séparer. Elles laissent toujours la priorité à leur conjoint, qui gagne mieux sa vie, parce qu'il est mis en avant. Si un enfant est malade, c'est la mère qui prend un jour enfant malade.

Mon association compte dix salariés, dont neuf femmes - ce n'est pas un choix, mais j'ai le sentiment que le secteur n'attire que peu d'hommes. Ce sont toujours elles qui prennent en charge les enfants lorsqu'ils sont malades, pendant que leurs maris peuvent privilégier leur carrière, et gagner davantage. Nous devons éveiller les consciences sur ce sujet.

Mme Angélique Gasmi. - Vous évoquez une question essentielle, celle de la sensibilisation des professionnels de la justice aux enjeux de la monoparentalité. Ils ne sont pas conscients que le fait de sortir la femme de son logement revient à la précariser. Même si le juge est informé des difficultés des femmes, il va ordonner à celles qui subissent des violences de quitter leur domicile, pour les protéger. Ainsi, on demande aux femmes victimes de violences de tout quitter. La justice n'est pas consciente des difficultés, parce qu'elle n'y est pas formée. Je pense que la création d'un statut permettra de sensibiliser les professionnels.

Mme Béatrice Gosselin, co-rapporteure. - Madame Barreau, vous présentiez un projet d'habitat partagé. En cas de remise en couple, pouvez-vous garder le logement ? Nous serions intéressés par vos exemples.

Mme Olivia Barreau. - Je pourrais répondre à cette question après l'étude de faisabilité, dans six mois. Ce sujet fait l'objet de réflexions. Pour l'heure, nous envisageons l'accès à ces logements sur des temporalités données, de vingt-quatre mois, par exemple, permettant aux familles de redéfinir leur foyer, avant de partir ailleurs. Mais nous ne comptons pas les contraindre à nous quitter. Il est encore un peu tôt pour vous répondre.

Mme Annick Billon. - Merci pour la qualité de cette audition.

Nous avons compris que monoparentalité rimait avec précarité. Je comptais revenir sur les propos profondément choquants du Président de la République concernant les émeutes. Il indiquait que les jeunes délinquants étaient essentiellement issus de familles monoparentales. Je ne sais pas si c'est la réalité.

En vous entendant, je réalise que l'État n'a pas pris conscience de la montée du poids de ces familles. Il subsiste un angle mort dans les politiques publiques. Il est nécessaire d'apporter des réponses sur ces points. Elles sont multiples, vos propos le démontrent. Elles peuvent être abordées sous l'angle du logement, de la justice, de la prise en charge et de la facilitation des modes de garde.

À la base de toutes vos interventions, je note la précarité et le déficit d'autonomisation des femmes. En effet, c'est un parcours qui a mené ces femmes à la précarité : des temps partiels, souvent subis, des inégalités salariales, des difficultés d'accès aux modes de garde, des arrêts de travail... Il ne revient pas forcément aux entreprises de prendre tout le poids de cette monoparentalité. D'ailleurs, quand j'étais moi-même en entreprise, je ne me souviens avoir été témoin de stigmatisation.

Il est temps que nous mettions en oeuvre de vraies politiques publiques. Quid du rôle des collectivités ? Sont-elles aidantes ? Disposons-nous de données chiffrées au sujet de la précarité des familles monoparentales, en termes géographiques et de bassins d'emploi ? Quel rôle attendez-vous des collectivités ? Quel rôle joueront-elles à l'avenir ?

Mme Angélique Gasmi. - J'ai échangé avec plusieurs collectivités. Ils n'ont pas pris conscience des enjeux de cette question, qu'ils jugent comme relevant de la famille et pas de l'égalité hommes-femmes ou de l'enfance. Nous avons besoin d'une vision globale de ce sujet qui se situe à la croisée de plusieurs politiques. Il n'existe pas de crédit, de conventionnement avec des associations pour traiter ce sujet. Nous plaidons pour la création d'un fonds de solidarité pour les familles monoparentales. Aucun budget n'est dédié à la lutte contre leur précarité de ces familles. Nous avons besoin d'une vraie politique. Tant que nous n'aurons pas pris conscience de cette problématique, tout le monde se renverra la balle.

Je viens du monde des collectivités. J'ai échangé avec plusieurs de leurs représentants. Ils n'ont pas pris conscience du sujet, qu'ils jugent comme relevant de la famille et pas de l'égalité hommes-femmes ou de l'enfance. Nous avons besoin d'une vision globale de ce sujet qui se situe à la croisée de plusieurs politiques. Il n'existe pas de crédit, de conventionnement avec des associations pour traiter ce sujet. Nous plaidons pour la création d'un fonds de solidarité pour les familles monoparentales. Aucun budget n'est dédié à la lutte contre leur précarité. Nous avons besoin d'une vraie politique. Tant que nous n'aurons pas pris conscience de cette problématique, tout le monde se renverra la balle.

Mme Véronique Obé. - Il existe quelques initiatives, mais elles ne sont que des pansements sur une jambe de bois. Elles peuvent par ailleurs creuser d'autres inégalités.

De plus, j'écoutais avec beaucoup d'envie et d'admiration les projets de colocation évoqués, mais nous restons dans une société capitaliste. Finalement, ces propositions ne font que répondre à des besoins de subsistance, de logement, à des besoins primaires.

Aujourd'hui, nous avons évoqué la monoparentalité sous l'angle du travail, des finances, de l'organisation. N'oublions pas son impact sur la santé mentale. Nous nous reverrons peut-être pour en discuter.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Nous sommes suivis par la chercheuse Andreea Vintila, qui a travaillé sur le contrôle coercitif. Son livre sur le sujet a alimenté nos réflexions dans le cadre du plan Rouge vif contre les violences intrafamiliales. Elle m'a fait part d'une étude menée par Anne Summers, en Australie. selon laquelle 60 % des mères à la tête d'une famille monoparentale ont été victimes de violences conjugales. C'est un vrai sujet. Après la séparation, elles ont perdu 34 % de leurs ressources sans jamais les retrouver. Les hommes, quant à eux, se sont enrichis. J'en reviens donc à ma proposition de modification du barème de calcul de la pension alimentaire, qui pourrait par ailleurs être prélevée à la source.

Merci pour cette audition passionnante. Elle était filmée et retransmise sur le site du Sénat. Nous sommes donc suivis par des sénateurs n'ayant pu être présents ce matin.