Mardi 19 décembre 2023
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 9 h 00.
Projet de loi de finances pour 2024 (nouvelle lecture) - Examen du rapport
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons le rapport en nouvelle lecture sur le projet de loi de finances pour 2024.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous entamons cette nouvelle lecture après l'usage, une nouvelle fois, de la procédure de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution à l'Assemblée nationale. La commission mixte paritaire n'a pas abouti ; au-delà de nos divergences sur de nombreux articles du texte, c'est, selon moi, notre divergence sur la volonté ou non d'engager le redressement des finances de notre pays qui a rendu impossible tout accord.
Malheureusement, le texte considéré comme adopté par l'Assemblée nationale ne fait qu'aggraver la situation : les dépenses nettes du budget général sont en hausse de 700 millions d'euros par rapport au texte initial présenté en septembre dernier. Il est difficile de voir où le Gouvernement a fait les économies pour un montant d'un milliard d'euros annoncé par Bruno Le Maire. Les ressources nettes du budget général sont, pour leur part, en baisse de 1,1 milliard d'euros, ce qui correspond à la réévaluation à la baisse des recettes en première lecture au Sénat.
Au total, le déficit est de 146,9 milliards d'euros, soit 2,4 milliards d'euros de plus que dans le texte initialement déposé, alors que pas un centime des 7 milliards d'euros d'économies votées par le Sénat n'a été repris par le Gouvernement. La baisse d'impôt sur les tarifs de l'électricité reste non ciblée, elle bénéficiera donc prioritairement à ceux qui en ont le moins besoin. Les aides à l'apprentissage sont conservées, y compris les aides exceptionnelles pour les grandes entreprises embauchant des apprentis hautement diplômés. Aucun effort n'est fait sur l'audiovisuel public, alors même que le ministre des comptes publics annonçait en novembre dans La Tribune que ce secteur devrait faire des efforts. Toutes les surbudgétisations supprimées par le Sénat ont été réintégrées, au risque de créer des poches de crédits reportés sans cesse et qui finiront par dégrader le solde.
Ce gouvernement n'a de cesse de demander au Parlement de proposer des économies, mais quand ce dernier les vote, il refuse de les reprendre. Ce jeu de dupes n'a que deux effets : discréditer la parole politique et donc la démocratie et nuire aux finances publiques de notre pays.
Le ministre nous présentera sans doute tout à l'heure une liste de tout ce que le Gouvernement affirmera avoir repris du texte du Sénat, pour nous inciter à voir « le verre à moitié plein ». Peut-être commencera-t-il par la taxe streaming, qui figure en effet dans le texte considéré comme adopté par l'Assemblée nationale ? Pour autant, pourquoi le Gouvernement n'a-t-il pas repris le dispositif prévu par les quatre amendements identiques de la commission des finances, de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, du groupe SER et du groupe GEST ? Il a en effet choisi l'amendement du groupe CRCE-K, adopté plus tard et contre l'avis de la commission, en ajoutant trois pages pour le corriger intégralement. Peut-être le Gouvernement citera-t-il la prorogation de deux ans de la bonification de 18 % à 25 % du taux du dispositif dit Madelin ou réduction de l'impôt sur le revenu pour la souscription au capital des petites et moyennes entreprises (IR-PME) ? Le texte reprend pourtant cette mesure pour les seules entreprises solidaires d'utilité sociale (Esus) et pas du tout dans le périmètre souhaité par la commission. Peut-être le Gouvernement soulignera-t-il, pour faire valoir les apports du Sénat, l'un des quelques amendements qu'il a transmis aux sénateurs pour les faire adopter avec son avis favorable, voire l'un de ses propres amendements, ce qui ne refléterait aucunement les cent cinquante heures de débat sérieux, constructif et apaisé que nous avons connu ?
Dans le texte final, l'essentiel de ce qui reste des apports du Sénat ne relève pourtant même pas de la compétence du ministre de l'économie et des finances et de la souveraineté industrielle et numérique - il sera sans doute absent en séance -, mais bien de celui des collectivités territoriales et de la ruralité.
Il s'agit des aménagements au dispositif des zones France ruralités revitalisation (FRR), prévu à l'article 7 du projet de loi, un sujet qui était piloté par la ministre Mme Dominique Faure.
Deux autres apports importants issus des votes de notre assemblée demeurent, mais sous la forme d'erreurs du Gouvernement.
Ainsi, à l'article 5 duodecies, qui contient la mesure relative à la dépense fiscale dite « Airbnb », le Gouvernement a intégré au texte considéré comme adopté par l'Assemblée nationale le vote de plusieurs amendements identiques réduisant à 30 % l'abattement fiscal pour les locaux meublés de tourisme, sous un plafond de revenus de 15 000 euros. À l'article 15, qui crée la taxe additionnelle sur les autoroutes et les aéroports, le texte conserve également l'amendement de la commission prélevant 100 millions d'euros sur les 600 millions d'euros de produit attendu, pour les affecter pour moitié aux communes et pour moitié aux départements. Concernant le premier cas, une source à Bercy semble avoir déjà déclaré à des journalistes que le dispositif prévu dans le texte issu du 49 alinéa 3 « n'avait pas vocation à s'appliquer » ; le second apparaît également comme un oubli.
Quelle est cette pratique selon laquelle le Gouvernement choisit seul de ce qu'il inclut dans le texte, avant de décider, toujours seul, de ce qui, dans ce texte, a vocation à s'appliquer ou non ?
Vous l'aurez compris, à mon sens, ces pseudo-accords sont des écrans de fumée qui masquent le fait que l'exécutif a choisi de se passer de toute validation parlementaire : à l'Assemblée nationale, le 49.3 a été utilisé sans aucun débat en séance publique, ce qui tranche avec la pratique historique de ce dispositif et les cent cinquante heures de débats constructifs du Sénat n'ont absolument pas été prises en compte.
Ainsi, aucun des principaux votes du Sénat n'est retenu : aucun dispositif fiscal en faveur de la transmission de patrimoine et du logement ; pas de maintien du prêt à taux zéro (PTZ) ; pas de ciblage des aides pour l'électricité ; pas de fonds d'urgence climatique pour les collectivités territoriales ; pas de prise en compte des demandes du Sénat sur les dotations aux collectivités. La hausse de la dotation globale de fonctionnement (DGF) reste à 100 millions d'euros et l'aide d'urgence aux départements, quant à elle, n'atteindra pas ce montant, alors que nous l'avions voté. Pas un centime de quota carbone ne sera mis au service des autorités organisatrices de la mobilité (AOM) en province.
Le Gouvernement aura du mal à nous expliquer que c'est par souci d'équilibre budgétaire qu'il ne reprend pas nos mesures, puisque son texte sort dégradé de l'utilisation du 49.3 et qu'il n'a repris aucune de nos propositions d'économies, non plus que les recettes fiscales supplémentaires votées par le Sénat, même si c'était parfois contre l'avis de la commission des finances. On décèle même, en examinant précisément le texte considéré comme adopté par l'Assemblée nationale, une volonté du Gouvernement de ne pas être constructif : tous les amendements rédactionnels ou de sécurisation juridique sont ainsi effacés sans justification.
Pire, le Gouvernement renie ses propres engagements. La commission des finances, et le Sénat à sa suite, ont appliqué la loi de programmation des finances publiques (LPFP) tout juste votée pour borner à trois ans - soit jusqu'en 2026 - les nouvelles dépenses fiscales, souvent avec l'avis favorable du Gouvernement. Pourtant, ce dernier revient sur la majorité de ces bornages, qui correspondent pourtant à des engagements qu'il a lui-même pris dans un autre texte adopté grâce au 49.3 : la LPFP. C'est à n'y plus rien comprendre ! Le non-respect de ses engagements est encore plus flagrant s'agissant de la trajectoire d'emplois du projet de loi de finances, laquelle piétine l'objectif de stabilité de la LPFP, notamment en renonçant aux amendements du Sénat visant à imposer un effort concernant les emplois des opérateurs.
Enfin, le texte issu du 49.3 me semble poser d'importants problèmes constitutionnels, dans la mesure où le Gouvernement y a introduit des dispositions entières dépourvues de lien direct avec celles qui sont encore en discussion et qui n'auront donc été examinées par aucune des assemblées.
Ainsi, à l'article 5 quindecies, on trouve une réécriture globale du dispositif « Madelin » pour tenir compte de l'évolution du cadre européen en matière d'aides d'État, qui n'a pas de lien direct avec l'objet initial de l'article. À l'article 16 quater A, qui ne traitait que de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) en outre-mer, on découvre une réforme de la TGAP d'une grande technicité, portant majoration des tarifs sur les déchets non dangereux et délégation au pouvoir réglementaire de la fixation d'une majoration de tarif pour les déchets admis dans les installations de stockage de déchets non dangereux. Tout cela n'a jamais été examiné par le Parlement, mais touche potentiellement un nombre important de redevables. À l'article 25 bis, le texte prévoit une réforme de la compensation des compétences exercées par les régions en matière de formation professionnelle continue, un dispositif qui n'a, une fois encore, jamais été discuté, dans aucune des deux assemblées.
Par ailleurs, le Gouvernement se laisse de plus en plus de marges fiscales en dehors du regard du Parlement, en violation de la compétence fiscale de ce dernier, comme le Sénat l'avait déjà relevé.
À l'article 11, concernant les accises sur le gaz, le texte rétablit la possibilité pour l'exécutif de doubler ces impôts, ce qui correspond à 1,9 milliard d'euros d'impôts en plus pour les ménages français, sans validation du Parlement. À l'article 16 sexies, sur les tarifs de sûreté et de sécurité de la taxe sur le transport aérien de passagers, le Gouvernement supprime tout plafond avec le même objectif : se laisser toutes les marges de manoeuvre.
Enfin, ainsi que je l'ai déjà évoqué lors de l'examen des articles non rattachés, l'utilisation du 49.3 a permis de réintroduire l'article 44 sur les reports de crédits, lequel supprime, sans justification, tout plafond de report de crédits non pas pour douze programmes, comme dans le texte initial, non plus que pour trente-sept, comme dans le premier texte adopté grâce au 49.3, mais pour quarante-trois programmes budgétaires distincts. Or je rappelle que la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) impose pour ces reports un plafond - et non un déplafonnement total ! - ainsi qu'une justification précise. C'est le principe même d'annualité budgétaire, et donc de l'autorisation parlementaire, qui est piétiné ici. Si le Gouvernement avait voulu un tant soit peu prendre en compte le vote du Sénat, il n'aurait pas ajouté six programmes à cette dérogation injustifiée.
Je ne peux pas finir ma présentation de ce texte en nouvelle lecture sans évoquer la caricature que constitue l'article visant les fédérations internationales olympiques, condensé de tous les défauts que je viens d'évoquer. Le Gouvernement a réintroduit dans le texte issu du 49.3 le paradis fiscal offert à la Fédération internationale de football association (Fifa) : pas d'impôt sur les sociétés, pas de cotisation foncière des entreprises, pas d'impôt sur le revenu pour ses salariés, le tout, au profit d'une organisation privée qui brasse des milliards d'euros par an. Cette disposition n'a été votée à l'Assemblée nationale ni en première ni en nouvelle lecture et a été supprimée à l'unanimité au Sénat. Sa réintroduction par le Gouvernement va au-delà d'un déficit de prise en compte du Parlement, il s'agit d'une véritable provocation.
Ma conclusion, pour l'ensemble des raisons évoquées, ne vous étonnera pas : je vous propose de rejeter ce texte en adoptant la motion n° I-1 tendant à opposer la question préalable.
Mme Nathalie Goulet. - Concernant la Fifa, l'exonération d'impôt de ses salariés est une rupture d'égalité qui me semble inconstitutionnelle et devra faire partie des mesures qui feront l'objet d'un éventuel recours devant le Conseil constitutionnel. L'ensemble des salariés de ce pays, y compris les moins favorisés, devraient donc payer des impôts, alors que ceux de la Fifa, autrement privilégiés, en seraient exonérés ?
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Je partage l'analyse du rapporteur général. Toutefois, concernant la rédaction d'un considérant de la motion, ne devrions-nous pas écrire que le dispositif Airbnb pourrait être amélioré ? La rédaction actuelle me fait craindre un effet boomerang.
Concernant la fiscalité du gaz et de l'électricité, peut-être faudrait-il également préciser la rédaction de la motion pour y faire figurer les éléments que vous venez de présenter oralement.
M. Vincent Capo-Canellas. - Il me semble que la Banque de France a donné ce matin des prévisions de croissance à 0,9 %. Pourriez-vous nous le confirmer ? Il me semble que ce point doit être pris en compte.
Ensuite, comment peut-on expliquer les deux erreurs du Gouvernement sur le « dispositif Airbnb » et l'article 15 ? Le Gouvernement peut-il encore intervenir sur un texte qu'il a déjà soumis au 49.3 ? Le Conseil constitutionnel peut-il prendre en compte ces péripéties, notamment en ce qui concerne sa lecture de l'article 15 ? Cette situation est inédite, à mon sens.
M. Marc Laménie. - Malgré notre travail collectif, le dépôt d'une motion tendant à opposer une question préalable est classique à ce stade. Un ou deux points ont tout de même été retenus. Sur les collectivités territoriales, il me semble que nos échanges ont été constructifs. Qu'en est-il de l'aide d'urgence aux départements ?
Vous indiquez que le déficit est de nouveau creusé : quel montant atteindra-t-il ?
M. Michel Canévet. - La motion tendant à opposer la question préalable est certes confortable, mais n'aurait-il pas été plus opportun de donner de manière détaillée notre opinion sur le texte et de souligner que nous aurions pu améliorer la situation budgétaire de notre pays ? Nous manquons peut-être de courage ; allons plutôt à l'affrontement !
M. Pascal Savoldelli. - Je ne participerai pas au vote de la motion car, à mon sens, il s'agit d'un jeu de postures. Nous avions présenté au début de l'examen du texte une motion tendant à opposer la question préalable, que vous aviez refusée. Nous verrons quel sera notre vote cet après-midi en fonction de la discussion que nous aurons au sein de notre groupe.
M. Christian Bilhac. - La tradition du RDSE est de voter contre les motions tendant à opposer la question préalable, par principe, car nous sommes attachés au débat, même s'il y a peu de chances d'aboutir. Nous aurions préféré que la commission des finances privilégie quatre ou cinq amendements forts, pour mettre le Gouvernement face à ses responsabilités, avant de rejeter le texte.
Pour autant, mon analyse personnelle est proche de celle du rapporteur général.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je suis en colère depuis le retour du texte, car j'avais expliqué en détail la responsabilité politique du Parlement, et du Sénat en particulier. Je suis inquiet au vu de l'état d'esprit qui règne dans le pays, et les derniers jours renforcent mes craintes.
L'Assemblée nationale n'a pas examiné ce texte en séance publique - il s'agit d'un déni démocratique qui nous alerte. Aussi, le Sénat a tout de même pu débattre avec sérénité - j'ai connu des examens de PLF autrement plus vifs ! -, malgré un agenda très tendu, mais je ne comprends pas l'aveuglement et la surdité dont fait preuve le Gouvernement. Sur ce sujet, sa responsabilité me semble plus importante encore que sur le texte qui suscite aujourd'hui une actualité bouillonnante.
Monsieur Canévet, il est vrai que nous pourrions discuter plus avant, mais, à mon sens, la plaisanterie a assez duré. Nous avons échangé avec le ministre qui a participé à l'examen de l'ensemble du texte, mais sa propre parole a été balayée par le 49.3.
Madame Goulet, le dossier Fifa pose en effet probablement un problème de constitutionnalité. Le plus inquiétant, à mes yeux, est que cette exonération ne s'appliquerait qu'aux fédérations sportives internationales reconnues par le Comité international olympique (CIO), ce qui reviendrait à lui déléguer de manière excessive la compétence fiscale du Parlement français.
Madame Carrère-Gée, en effet, retirons l'exemple concernant la fiscalité des meublés touristiques du texte de la motion. Cela n'enlève rien à l'intention générale du texte.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Le Gouvernement a donné un avis favorable à des amendements qui n'ont pas été repris, nous devrions sans doute le signaler.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous serons nombreux à le rappeler oralement.
Sur les prévisions de croissance, le Gouvernement annonce 1,4 %, tandis que la Banque de France indiquait 0,9 % ce matin et le consensus des économistes s'est fixé en décembre sur 0,7 %. Ces estimations vont donc du simple au double. Nous saurons bien assez tôt quelle est la bonne, mais la situation est inquiétante : l'histoire ne s'écrira pas de la même manière selon le taux que nous atteindrons vraiment.
Le Gouvernement n'a pas retenu les 100 millions d'euros pour les départements, il en aurait annoncé 53 millions en dehors du débat parlementaire sur le budget. Les départements nous ont informés que ce qui leur a été offert ne leur convenait pas, mais je n'en sais pas plus : cela s'est fait en dehors des débats parlementaires, ce qui ne me surprend même plus...
Monsieur Canévet, vous étiez peut-être provocateur. Pour autant, nous devons nous préparer à faire preuve d'un tel courage, car une dérive de 5 milliards d'euros des dépenses publiques en dehors de l'extinction progressive des dispositifs d'urgence, alors que la croissance ralentit, annonce des années difficiles. Nous serons face à une mission impossible, ou à une potion très amère. En matière de dépenses publiques, nous avons un devoir de vérité, ce qui n'est jamais agréable, d'autant que le Gouvernement a tourné le dos à toutes ses déclarations, y compris à celle du ministre de l'économie et des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
La motion n° I-1 est adoptée.
En conséquence, la commission décide de soumettre au Sénat la motion n° I-1 tendant à opposer la question préalable au projet de loi de finances pour 2024.
Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement (deuxième lecture) - Désignation d'un rapporteur
La commission désigne Mme Christine Lavarde rapporteur sur la proposition de loi n° 579 (2022-2023) visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement.
La réunion est close à 9 h 40.