- Mardi 19 décembre 2023
- Jeudi 21 décembre 2023
- Économie, finances et fiscalité - Révision du Pacte de stabilité et de croissance - Examen de la proposition de résolution européenne et de l'avis politique
- Institutions européennes - Conseil européen des 14 et 15 décembre 2023 - Audition de Mme Laurence Boone, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée de l'Europe
- Questions diverses - Désignations de rapporteurs
Mardi 19 décembre 2023
- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -
La réunion est ouverte à 16 h 35.
Agriculture et pêche - Actualité européenne en matière agricole - Audition de M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire
M. Jean-François Rapin, président. - Nous accueillons aujourd'hui Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire pour évoquer la riche actualité européenne en matière agricole.
Nous avions sollicité cette audition en novembre, à un moment délicat : la Commission européenne avait soumis aux États membres un projet renouvelant l'autorisation du glyphosate pour dix ans. Finalement, vous avez choisi l'abstention, monsieur le ministre, ce qui n'a pas permis aux États membres de dégager une majorité qualifiée sur cette proposition, si bien que la Commission a unilatéralement décidé d'autoriser ce renouvellement.
Nous souhaiterions vous entendre sur ce choix de l'abstention, qui nous semble révélateur de l'embarras du Gouvernement sur ce dossier, pris entre les associations de défense de l'environnement, qui vous rappellent à votre promesse de sortir du glyphosate, et les représentants du monde agricole, qui soulignent l'absence de solution de substitution.
Dans ce contexte, comptez-vous maintenir les restrictions actuellement en vigueur en France ? Le cas échéant, quels dispositifs mettrez-vous en oeuvre pour soutenir nos agriculteurs, qui risquent d'être confrontés à des distorsions de concurrence particulièrement pénalisantes ?
Nous avons des interrogations similaires concernant la proposition de règlement sur l'usage durable des pesticides (Sustainable Use Regulation, « SUR ») qui, a été rejetée par le Parlement européen à la fin du mois de novembre dernier. Vous semblez croire qu'il est possible de sauver ce texte : un compromis peut-il encore être trouvé, selon vous ? Dans le cas contraire, comptez-vous adapter en conséquence l'objectif national que vous aviez fixé d'une réduction de 50 % de l'usage des pesticides d'ici à 2030 ?
Il nous semble que nous arrivons à un moment d'inflexion où le principe de réalité s'impose enfin et freine le volontarisme de la Commission européenne en matière de transition verte, qui s'est décliné en matière agricole par de nombreuses initiatives législatives : nous les avions dénoncées en faisant valoir l'impératif de l'autonomie alimentaire européenne, et nous regrettons de ne pas avoir été entendus plus tôt. Je pense notamment aux textes sur la restauration de la nature ou sur les émissions industrielles, qui continuent d'inquiéter légitimement nos agriculteurs, soumis à la concurrence de pays tiers échappant, eux, à ces contraintes. Comment entendez-vous les en protéger ? Que peut-on attendre du dialogue stratégique sur le futur de l'agriculture que lance la Commission ? Dans quelle mesure accordera-t-il une place au défi supplémentaire que l'élargissement de l'Union représenterait pour nos agriculteurs ? La perspective d'une intégration du géant agricole qu'est l'Ukraine suscite des interrogations.
Nous souhaiterions enfin que vous nous rendiez compte du dernier Conseil des ministres de l'agriculture de l'Union auquel vous avez participé au nom de notre pays. Cette réunion était particulièrement attendue en ce qui concerne la négociation sur la proposition de législation relative aux nouvelles techniques génomiques, qui pourrait bien être le dernier grand texte agricole susceptible de faire l'objet d'un accord avant les élections européennes. C'est un sujet important à de nombreux égards, à la fois pour l'avenir de la recherche agronomique européenne, pour l'autonomie stratégique et pour la transition verte. Pouvez-vous nous dire s'il est réaliste d'espérer l'adoption de ce texte avant les élections européennes et dans quelle mesure vous avez pu obtenir des assurances utiles concernant la brevetabilité ou la traçabilité des variétés de végétaux issues de ces nouvelles techniques génomiques ?
M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. - Je suis très heureux d'être devant votre commission afin de vous éclairer sur les sujets agricoles et européens, qui sont étroitement imbriqués. J'ai coutume de rappeler que la politique agricole commune (PAC), dont nous avons fêté les 60 ans l'année dernière, est l'une des politiques les plus intégrées.
Je propose de vous présenter dans un premier temps l'actualité législative européenne sur les sujets agricoles, et de vous partager ensuite mon ressenti sur la manière dont ces sujets sont abordés à Bruxelles. Enfin, j'évoquerai les négociations avec l'Ukraine, dans la perspective de son adhésion.
Je commencerai par faire un point sur les textes législatifs européens.
En tant que Français, nous devons penser la relation avec nos autres partenaires européens comme une relation de compromis et de dialogue. Avoir raison seul quand on est vingt-sept ne sert pas à grand-chose. J'ai donc nourri des relations bilatérales avec mes collègues en Espagne, en Italie, en Allemagne, en Suède, sur un certain nombre de sujets, et je continuerai de le faire. Je verrai prochainement mon collègue polonais. C'est grâce à ce dialogue que nous obtenons parfois des compromis sur les lignes que nous défendons.
J'évoquerai tout d'abord la directive sur les émissions industrielles, dite directive IED, qui impose des normes de rejets aux élevages de porcs et de volailles. Il était question de l'étendre aux élevages bovins, d'une part, et de modifier les seuils d'effectifs pour les élevages de porcs et de volailles, d'autre part.
Les seuils que j'ai proposés visaient à ne pas modifier profondément les équilibres pour les élevages existants, tout en permettant d'étendre la directive aux élevages bovins - selon nos estimations, entre 100 et 300 élevages bovins en France auraient été concernés. Une telle stratégie permettait de démontrer que notre filière animale est moins industrielle que dans d'autres pays.
Malheureusement, les élevages bovins ont finalement été exclus du compromis du trilogue, à la demande d'une partie de la profession, et les seuils applicables aux élevages de volailles et de porcs ont été abaissés. Des contraintes supplémentaires pèseront donc sur ceux qui voudront agrandir leur élevage ou en créer un ex nihilo. Nous essaierons néanmoins de mettre en place une approche différenciée, selon la taille de l'élevage.
Si le trilogue a donc abouti, rien ne permet de prédire l'issue du vote qui doit désormais avoir lieu au Parlement européen. Nous sommes dans un moment européen que je n'ai pas besoin de vous décrire. Les positions diffèrent souvent en début et en fin de mandat, à l'approche des élections !
Le règlement sur la restauration de la nature a fait l'objet de débats très vifs. Pour ma part, je considère que restauration de la nature ne signifie pas retour à l'état de nature. Or certains estiment qu'il ne faut plus utiliser ni fertilisants, ni engrais, ni produits phytosanitaires dans certaines zones sensibles, ce qui reviendrait à mettre sous cloche une grande partie du territoire. In fine, c'est une version amoindrie du texte qui a été retenue à l'issue du trilogue, laquelle n'inquiète plus grand monde, je pense. Il faudra toutefois étudier dans le détail ses effets en fonction des territoires. L'idée sous-jacente de ce texte était tout de même de promouvoir une trajectoire décroissante. Or le Green Deal ne peut pas être, selon moi, un accord pour la décroissance. Le compromis auquel nous sommes parvenus n'est donc finalement pas aussi préjudiciable que nous le craignions, reconnaissons-le, mais il faudra être vigilant quant à sa mise en oeuvre.
J'en viens à la proposition législative sur les nouvelles techniques génomiques (NTG). Les parlementaires européens, le président de la commission de l'agriculture et celui de la commission de l'environnement avaient noué un accord : adopter concomitamment la réglementation SUR et celle sur les NTG, cette dernière prévoyant également des trajectoires de réduction de l'emploi de produits phytosanitaires. Or la proposition de règlement SUR a été rejetée par le Parlement européen.
L'intérêt de la proposition de règlement SUR résidait en premier lieu dans la mise en place d'une réglementation harmonisée sur les produits phytosanitaires, la France n'accusant pas de retard par rapport à d'autres États membres en la matière. Le règlement SUR présentait également l'avantage d'instaurer une réglementation plus européenne que nationale s'agissant des autorisations de mise sur le marché et des analyses des produits phytosanitaires. À défaut, chacun fait un peu ce qu'il veut.
Ce qui a en partie fait échouer l'accord, c'est que le projet prévoyait l'interdiction d'utiliser des produits phytosanitaires dans un certain nombre de zones sensibles, comme les zones Natura 2000. Une telle bascule était tout à fait impossible à mettre en oeuvre, ne serait-ce que parce que le règlement ne prévoyait aucun outil financier pour accompagner cette trajectoire. La France n'a pas intérêt à en rabattre sur la question des substituts aux produits phytosanitaires. Certains produits disparaissent parce que les firmes ne demandent pas de nouvelle autorisation de mise sur le marché. Ces entreprises trouvent le marché européen trop petit et les terrains d'expansion au Brésil, en Ukraine, en Russie et ailleurs beaucoup plus intéressants, avec des processus beaucoup plus simples. D'autres molécules sont retirées par l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), pour des raisons de santé publique ou pour des motifs que l'on n'identifie pas forcément aujourd'hui.
Nous avons de toute façon intérêt à trouver des substituts aux produits phytosanitaires les plus courants, qu'il s'agisse de produits phytosanitaires ayant moins d'effets sur l'environnement ou sur la santé, ou d'alternatives, comme des systèmes de biocontrôle. Les agriculteurs ont tout intérêt à s'y préparer et à se fixer une trajectoire de réduction des produits phytosanitaires. À cet égard, les nouvelles techniques génomiques présentent un intérêt certain.
Nous avons beaucoup poussé le texte sur ce sujet, de même que la présidence espagnole du Conseil de l'Union européenne, afin que ce texte soit adopté avant les élections européennes. Il existe encore cependant une minorité de blocage sur cette proposition législative, composée des Allemands pour des motifs liés à l'agriculture biologique, et des pays de l'Est, pour des raisons de brevetabilité ou d'étiquetage.
Deux catégories de NTG ont été créées. Les NTG de catégorie 1 sont considérées comme des variétés conventionnelles, tandis que les NTG de catégorie 2 continuent de relever de la réglementation relative aux OGM.
L'objectif est de parvenir à un accord dans les mois qui viennent. À cet effet, je me rendrai prochainement dans un certain nombre de pays européens dubitatifs pour leur présenter l'intérêt de ces techniques, qui peuvent permettre de réduire le recours aux produits phytosanitaires, mais aussi de lutter contre le dérèglement climatique. On ne peut pas se priver de ces nouvelles techniques alors que tous les pays du monde sont en train d'en développer et de s'en servir. Ces NTG sont très efficaces, car elles permettent d'accélérer des processus naturels de sélection, de plusieurs dizaines de milliers d'années selon certains.
J'ai bon espoir que nous parvenions à un accord. Il faut pour cela obtenir l'accord de deux ou trois pays supplémentaires afin de constituer une majorité.
Cela étant, certains parlementaires, n'ayant pas obtenu le règlement SUR, ne veulent pas de la réglementation sur les nouvelles techniques génomiques. C'est, selon moi, la stratégie du pire. Les plus extrêmes plaidaient pour un règlement SUR très ambitieux, les autres s'opposaient au principe même de ce règlement. Résultat de ces oppositions cumulées : nous n'avons pas de texte, et c'est à mon sens très regrettable.
J'en viens à présent à la question du glyphosate. Je ne suis pas mal à l'aise avec la position qui a été prise sur ce sujet. Nous n'étions pas radicalement opposés au texte, mais il ne permettait pas d'atteindre les objectifs que nous nous étions fixés en la matière. La France considère que lorsqu'il est possible de trouver des alternatives au glyphosate, il faut privilégier ces dernières. A l'inverse, lorsqu'il n'existe pas de solution de substitution, il faut utiliser le glyphosate. Nous avons ainsi besoin de cette substance pour l'agriculture de conservation des sols ou dans les territoires fortement escarpés, où le glyphosate est la seule solution pour désherber.
La position de la France n'a donc pas changé. J'ai proposé de réduire l'utilisation du glyphosate partout où cela est possible, sachant que des doutes subsistent sur ses effets, non pas sur la santé, mais sur la biodiversité. Je rappelle que l'EFSA, ainsi que l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), ont indiqué que rien ne permettait de conclure que ce produit présente des risques pour la santé. En revanche, des questions restent en suspens s'agissant de son impact sur la biodiversité. Par conséquent, réduisons l'usage du glyphosate partout où cela est possible, mais gardons-le dans les situations pour lesquelles nous en avons encore besoin. Telle est la solution pragmatique que nous avons proposée.
Qu'allons-nous faire désormais ? Nous allons nous en tenir à la position française. Certains considèrent que nous surtransposons les dispositions européennes sur ce sujet. Or je rappelle, parce que je suis soucieux des deniers publics, que nous avons octroyé deux ou trois fois 70 millions d'euros de crédits d'impôt pour accompagner ceux qui s'engageaient à moins, voire plus du tout recourir au glyphosate sur leur exploitation. Il serait regrettable de gaspiller 210 millions d'euros ! Il est vrai, je suis d'accord avec vous, que, sur bien des sujets, nous surtransposons et créons de la distorsion concurrentielle, mais en l'occurrence, les agriculteurs ont, me semble-t-il, trouvé une voie pour faire face aux difficultés qui sont les leurs en la matière.
J'évoquerai à présent la politique agricole commune. La première année de mise en oeuvre d'une nouvelle PAC est toujours un moment relativement complexe. Certains agriculteurs, mais aussi les services du ministère, se souviennent encore très douloureusement de la mise en oeuvre de la PAC en 2015 et des difficultés de paiement auxquelles ont alors été confrontés les agriculteurs. Cette année, nous avons procédé aux paiements dans de bonnes conditions, avec un calendrier resserré.
La PAC prévoit des nouveautés : les écorégimes et, à la demande des jeunes agriculteurs, une meilleure définition de l'agriculteur actif, afin que des subventions au titre de la PAC ne puissent pas être accordées à des agriculteurs qui ne sont pas réellement actifs.
Les écorégimes permettent des évolutions. Certains considèrent que la PAC n'est pas assez verte, qu'elle ne favorise pas assez les transitions. Or la conditionnalité, la rotation des cultures, les couverts d'interculture, les éléments fixes de biodiversité sont autant d'éléments qui permettent d'engager une réelle transition dans le secteur agricole.
Je vais à présent vous donner mon sentiment sur la façon dont fonctionne l'Union européenne, s'agissant des sujets agricoles. Je suis frappé de voir avec quelle lenteur les décisions sont prises dans l'espace européen. J'ai la conviction que les mécanismes de prise de décisions ont été prévus pour les temps de paix et de prospérité, beaucoup moins pour les temps de guerre et de désordre du monde. Or on ne peut pas attendre six, neuf ou douze mois pour changer un règlement, parce que les lois de la guerre, qu'elle soit économique ou alimentaire, sont ce qu'elles sont.
À cet égard, le Green Deal a été proposé à une époque différente de celle que nous connaissons aujourd'hui. Dans l'intervalle, nous avons été confrontés au covid, à la guerre en Ukraine ainsi qu'à un dérèglement des sujets alimentaires. Nous nous sommes également rendu compte que le dérèglement climatique allait produire des effets délétères sur l'équilibre et la sécurité alimentaires. L'Europe doit donc revoir, me semble-t-il, sa politique à l'aune de ces nouveaux déterminants. Or, je trouve qu'elle a du mal à le faire.
Certes, la présidente Ursula von der Leyen a pris des initiatives, avec le lancement par la Commission européenne du dialogue stratégique sur l'avenir de l'agriculture, mais je crains que nous n'ayons du mal à travailler sereinement sur ces sujets à six mois d'une échéance électorale. Si nous n'y prenons pas garde, si nous nous privons des moyens de produire, nous prendrons le même chemin sur les questions alimentaires qu'en matière énergétique. Alors que l'Europe a importé 20 millions de tonnes de céréales l'année dernière, elle en importera 40 millions cette année : c'est préoccupant.
La France a donc pris une initiative sur les jachères, car nous ne pouvons pas entretenir une forme d'utopie et continuer d'avoir 4 % de terres en jachère si nous ne sommes pas capables de couvrir nos propres besoins.
Par ailleurs, l'Europe ne se pense pas comme une puissance en matière de souveraineté alimentaire. Il nous faut non seulement nourrir notre propre population malgré les contraintes climatiques ou autres, mais également nous demander qui va nourrir les pays à nos frontières. Qui va nourrir le bassin méditerranéen ? Pour dire les choses plus clairement, que ce soit l'Union européenne ou la Russie n'est pas neutre.
J'en viens à mon dernier point : la question ukrainienne. Vous le savez, les négociations d'adhésion sont longues par nature, notamment pour intégrer l'acquis communautaire. Un pays n'appliquant pas l'acquis communautaire, notamment en matière agricole, ne peut pas adhérer à l'Union européenne. Les Ukrainiens le savent, je le leur ai dit il y a un mois et demi.
L'Ukraine est une immense puissance agricole. Allons-nous en faire un allié pour notre souveraineté alimentaire ou la laisser mettre à mal notre agriculture ? L'Ukraine va-t-elle conquérir avec nous des marchés sur lesquels sont aujourd'hui les Russes, les Brésiliens ou les Américains ? Ou va-t-elle nous concurrencer sur nos marchés ? Il faut travailler sur cette question avec les Ukrainiens, quelle que soit l'échéance de l'intégration de leur pays dans l'Union. C'est la première fois que nous allons faire entrer dans l'Union un pays plus productif et plus compétitif que nous en matière agricole. La structure des exploitations et la nature des sols font de l'Ukraine un eldorado.
En Ukraine, la politique agricole est très puissamment portée par des opérateurs privés, qui défendent leurs intérêts immédiats. Je pense que, pour notre part, nous devons essayer de penser à long terme avec les autorités ukrainiennes, l'Ukraine ayant des structures agricoles lui permettant de concurrencer les Brésiliens en Afrique et en Asie.
M. Jean-François Rapin, président. - Nous n'avons cessé de demander à la Commission des études d'impact du Green Deal sur l'agriculture européenne. Nous n'avons pu accéder qu'à une étude américaine, qui montrait que notre production baisserait de 10 % à 15 %. Pourquoi l'Union européenne n'a-t-elle pas affronté cette question, en produisant et publiant des études à ce sujet ? La France aurait dû l'y pousser. Cela aurait facilité le dialogue et la compréhension des mesures sur nos territoires...
M. Marc Fesneau. - Je me pose la même question !
M. Jean-François Rapin, président. - C'est donc grave.
M. Marc Fesneau. - Oui, et c'est pour cela que nous avons refusé plusieurs dispositions, faute d'un chiffrage crédible de leur impact sur notre production.
M. Jean-François Rapin, président. - Nous sommes tous d'accord sur les objectifs. Reste à s'entendre sur les moyens...
M. Marc Fesneau. - Nul n'est capable à ce jour de chiffrer l'impact du Green Deal sur la production agricole. Pourtant, la Commission européenne a de puissants moyens pour étudier ces questions. Cela nourrit la crainte qu'elle cache des éléments... Une de ses études montre que la réglementation SUR réduirait notre production viticole de 30 %, sans que nul ne s'en émeuve.
La planification nationale est importante pour accorder entre eux les différents types d'objectifs : environnementaux, de souveraineté, de production.... Sans cela, on n'arrive pas à produire. D'où l'importance des études d'impact, notamment pour expliquer nos choix aux agriculteurs.
M. Cyril Pellevat. - Ma question porte sur la proposition de directive relative à la surveillance des sols présentée par la Commission européenne en juillet dernier. Ce texte comporte des dispositions sur les principes de gestion durable des terres agricoles. La mise en oeuvre des mesures de gestion durable des sols pourrait représenter des coûts importants pour les agriculteurs comme pour l'État. Quelles sont les actions mises en oeuvre par le ministère de l'agriculture en la matière ? Dans quelle mesure les normes relatives aux bonnes conditions agricoles et environnementales ont-elles contribué à une amélioration des pratiques agricoles ? Faut-il renforcer leur niveau d'ambition pour atteindre les objectifs définis dans la nouvelle stratégie de l'Union européenne en matière de sols ?
M. Jacques Fernique. - J'aimerais d'abord revenir sur la déréglementation des NTG. La France soutient le compromis de Madrid sur le texte de la Commission, qui vise à assouplir les règles de mise sur le marché et de mise en culture pour certaines NTG. Ces nouveaux OGM, qui permettent de sélectionner les semences, étaient interdits dans l'Union européenne. Si ce compromis est accepté, les végétaux issus de certaines NTG seraient dispensés d'effectuer des contrôles de traçabilité et d'étiquetage parce qu'ils seraient considérés comme des plantes conventionnelles. La Commission a concédé la réalisation d'une étude d'impact sur le volet du texte relatif aux brevets, mais en 2025, après l'adoption de la nouvelle réglementation - or les brevets sont valables vingt ans. J'aurais voulu que le Gouvernement exprime une position ferme au Conseil contre tout affaiblissement de la réglementation des OGM. J'ai compris que ce n'était pas votre position.
Sur le Mercosur, nous sommes en phase avec la position du Gouvernement, qui freine l'adoption de l'accord. Juste avant la COP28, le Brésil a voté une loi qui facilite l'approbation de nouveaux pesticides. Conclure l'accord avec le Mercosur dans ces conditions, c'est mettre en péril notre agriculture... Le Président de la République a prévu de se rendre au Brésil en mars pour continuer les négociations. Nous espérons qu'il ne cédera pas.
L'accord avec la Nouvelle-Zélande adopté le 23 novembre par les députés européens aura un impact direct sur l'activité de nos éleveurs. Or les conditions d'élevage ne sont pas équivalentes, avec une hausse des coûts de production chez nous, imputable au plan contre les attaques de loups. On ne peut pas prôner la souveraineté alimentaire et envoyer paître nos éleveurs !
Mme Gisèle Jourda. - Cyril Pellevat et moi-même y avions travaillé pour la commission des affaires européennes et je suis très préoccupée par cette arlésienne dont on parle tant, qui devrait nous arriver d'ici à 2030 : une directive européenne sur la protection des sols. Par-delà les enjeux agricoles, il faut parler des aléas climatiques. Vous êtes venu dans mon département, monsieur le ministre, à une période dramatique pour nous, où les pollutions historiques à l'arsenic s'étaient réveillées, impactant des terres agricoles. Nous en sortons à peine. Quelle est la position du Gouvernement sur ce sujet ? S'active-t-il suffisamment pour faire adopter cette directive européenne ? Nous avons une loi sur l'air, une loi sur l'eau, mais toujours aucun texte sur les sols. Parmi les freins à une telle réglementation, figure, nous le savons, le fait que les sols relèvent de la propriété privée... Vous cherchez un juste équilibre entre les ambitions agricoles et environnementales. Mais j'insiste : vivre sur des sols sains est aussi important que l'air que nous respirons ou l'eau que nous buvons.
M. Marc Fesneau. - D'abord, je ne crois pas qu'il faille opposer la question de la santé des sols et celle de la production agricole. On sait qu'une partie de la baisse de production agricole est due à une dégradation de la santé des sols. Nous avons besoin de travailler sur la qualité des sols en matière organique. Parfois, nous oublions que ce sur quoi nous plantons compte beaucoup pour la capacité de production. À facteurs de production presque inchangés, la productivité agricole française a diminué, pour des raisons d'usure des sols, entre autres. La matière organique est moins présente, nous avons sans doute trop labouré, c'est pourquoi nous avons élaboré des techniques simplifiées, c'est pourquoi nous avons besoin de glyphosate, et ainsi de suite.
Mais qu'est-ce que la santé des sols ? S'agit-il de ce qui se trouve dans les sols, et qui pourrait être toxique, ou bien de la capacité fonctionnelle du sol ? Il nous faut déterminer si le sol a une fonction de purification ou de production. Nous veillerons à ce que les réglementations européennes ne nous conduisent pas à revenir en arrière. Nous luttons contre la rhétorique selon laquelle moins nous aurions d'activité agricole, mieux l'environnement se porterait. Pour autant, nous avons besoin de sols en bonne santé pour la production agricole. J'ajoute que l'intégration de matières organiques dans les sols est l'une des façons de stocker du carbone, comme le montre bien l'initiative « 4 pour 1 000 », prise par mon prédécesseur Stéphane Le Foll. Se préoccuper de la santé des sols ne doit pas nous amener à stériliser la capacité à produire.
Au contraire, il est nécessaire de restaurer une fonction de production dans les sols. Certaines pratiques agricoles requises pour cela sont également vertueuses du point de vue environnemental. Elles favorisent la présence de micro-organismes, stimulent la vie dans les sols, augmentent le stockage de carbone et améliorent la production.
Les NBT - new breeding techniques - et NTG ne sont pas des OGM selon la définition classique. C'est pourquoi il faut une réglementation spécifique. Il est essentiel de se référer à la science pour comprendre les enjeux : en réalité, il sera très difficile de distinguer un produit issu des NBT d'un produit conventionnel. Cela démontre à quel point nous ne nous éloignons pas d'un cycle naturel. Il est donc paradoxal de vouloir l'étiqueter alors que, dans la nature, nous ne saurions faire la distinction. Les NTG permettent, par exemple, de travailler sur le génome du blé pour lui conférer une résistance à certaines maladies. C'est toujours du blé, mais modifié à l'aide de son propre génome, contrairement à ce qui se faisait pour le maïs par exemple.
Quant aux OGM, leur échec est en grande partie dû au fait qu'ils encourageaient l'utilisation de produits phytosanitaires, étant résistants aux herbicides. Mais ce n'est pas du tout ce qui est envisagé dans le texte. La France a réussi à faire en sorte que la proposition de règlement précise que les NTG doivent servir la transition agroécologique, en contribuant à réduire l'utilisation de produits phytosanitaires ou à faire face aux changements climatiques à venir. C'est un point crucial à mes yeux.
La France se vit parfois comme si elle était une île déserte, certains ignorant qu'il existe des outils formidables pour lutter contre la baisse de production liée au dérèglement climatique, et que tout le monde en dispose sauf nous, alors même que personne ne prend de risques ! Ce débat est un débat de postures. Chacun, sommé d'être dans un camp ou dans l'autre, n'arrive pas à sortir de son dogme. Pour ma part, je pense que ce qui est sur la table est un compromis acceptable.
J'en viens aux accords commerciaux. Je l'ai déjà dit au Sénat, pour qu'il y ait souveraineté, il est impératif de pouvoir échanger. L'équilibre de nombre de nos filières agricoles dépend de notre capacité à exporter, qu'il s'agisse du lait, des céréales, du porc ou bien sûr de la viticulture. Nous avons besoin du commerce, surtout au vu de notre orientation vers une trajectoire décroissante en termes de production. Nous devons par conséquent trouver un équilibre entre nos besoins commerciaux et les impératifs environnementaux. Il est crucial que tout accord soit compatible avec les objectifs climatiques.
Bien sûr, les autres pays n'ont pas exactement la même agriculture : l'agriculture brésilienne n'a pas les mêmes contraintes et les mêmes caractéristiques que l'agriculture française ou européenne. Mais si nous refusons d'importer, d'autres refuseront qu'on exporte chez eux. Là encore, tout est question d'équilibre. C'est ce qui justifie notre position sur le Mercosur, ou notre position favorable à la Nouvelle-Zélande : le système néo-zélandais est hyperextensif, mais nous refusons celui du Brésil, qui est très intensif...
En ce qui concerne la France elle-même, le véritable enjeu de compétitivité réside dans la concurrence avec les autres pays européens. Les accords internationaux au coeur des discussions ne sont pas en vigueur. L'accord avec le Mercosur n'existe pas encore, l'accord avec la Nouvelle-Zélande vient juste d'être voté, celui avec l'Australie a été rejeté. Est seulement en vigueur l'Accord économique et commercial global (Ceta) avec le Canada, qui produit des effets positifs. Mon collègue belge pourrait vous dire qu'être engagé dans des accords internationaux, c'est souvent mieux que de ne pas l'être.
Enfin, je crois qu'il est crucial de convaincre la Commission européenne. Contrairement à la Direction générale de l'Agriculture, la Direction générale du Commerce a toujours eu une vision plus ouverte, favorable aux accords, sans stratégie marquée sur les questions agricoles. Je pense que la question de la sécurité alimentaire devrait être prioritaire dans l'élaboration des accords internationaux à venir.
M. Michaël Weber. - Je le reconnais, l'aspect dogmatique peut influencer nos positions respectives sur des sujets tels que les OGM et le glyphosate. Cela soulève l'importance d'une évolution mutuelle, mais ce serait un débat nécessitant bien plus de temps que celui que nous avons aujourd'hui.
M. Marc Fesneau. - C'est tout l'art du compromis...
M. Michaël Weber. - C'est en effet tout un art que celui du compromis, et malheureusement, nous n'en sommes pas encore là.
Revenons au pacte vert pour l'Europe et à la stratégie « De la ferme à la table » pour une alimentation plus saine et durable. Vous avez mentionné des revers tels que l'abandon du règlement sur l'utilisation durable des pesticides et une moindre ambition pour la restauration des systèmes agricoles. Face à ces défis, comment les objectifs du pacte vert pourront-ils être atteints ? La France aspire à être un exemple en matière de transition agroécologique. Dès lors, comment entendez-vous maintenir les efforts pour atteindre les objectifs du Pacte vert pour l'Europe ?
Avec seulement 10 % de surfaces en agriculture biologique, nous sommes bien loin des objectifs fixés par le plan d'action pour la production biologique dans l'Union, qui visait à consacrer 25 % des terres agricoles à l'agriculture biologique. Dans le cadre de la loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Égalim), l'objectif était de parvenir à 20 % de produits bio en restauration collective, et nous sommes actuellement à 6 %. Comment envisagez-vous d'atteindre ces objectifs ? Quels moyens seront déployés à cet effet ? Ces moyens s'inscrivent-ils dans une stratégie européenne, ou la démarche haute valeur environnementale (HVE) risque-t-elle de prendre le dessus sur la démarche bio, alors qu'elle n'est pas aussi exemplaire ?
Mme Florence Blatrix Contat. - En 2021, la Cour des comptes européenne avait relevé que la PAC 2014-2020 ne respectait pas les engagements européens en matière d'utilisation durable de l'eau, notamment les recommandations de la directive-cadre sur l'eau (DCE). Comment la PAC 2023-2027 remédie-t-elle à ces lacunes ? Encourage-t-elle une utilisation plus rationnelle de l'eau, notamment par le biais des paiements directs aux agriculteurs et des critères de conditionnalité ?
En ce qui concerne la qualité, la DCE vise à prévenir et à réduire les pollutions, avec pour objectif un bon état écologique de l'eau. La directive de 2020 relative à l'accès et à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine redéfinit les normes essentielles de qualité de l'eau et les règles de transparence pour les consommateurs. On le voit bien, la protection des captages d'eau est essentielle. Nous avons organisé 80 auditions au Sénat dans le cadre d'une mission d'information qui a produit un rapport intitulé : « Gestion durable de l'eau : l'urgence d'agir pour nos usages, nos territoires et notre environnement ». Même la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) nous a dit que l'objectif de protéger les captages d'eau, c'est-à-dire aujourd'hui environ 3 % des surfaces agricoles, était essentiel. Quelles mesures comptez-vous prendre pour atteindre cet objectif ? À quelle échéance ?
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Je me fais l'écho de ce que vous avez dit sur l'Ukraine. Un grand industriel de l'ouest de la Sarthe vient d'annoncer la fermeture de 200 poulaillers à cause d'importations de volailles des autres pays de l'Est, qui risquent de compliquer fortement la donne, ce qui inquiète beaucoup le milieu agricole.
Par ailleurs, l'agrivoltaïsme me préoccupe. Les cartes communales présentées sur les énergies renouvelables (EnR) montrent une propension à l'accélération de leur déploiement qui concerne des terres agricoles. Des agriculteurs qui arrivent à l'âge de 50 ou 55 ans, plutôt que de transmettre leur exploitation, songent à installer de l'agrivoltaïsme et à toucher les 2 000 ou 3 000 euros par hectare correspondants - comme une retraite. Ce sujet est peut-être en marge des discussions européennes, mais il concerne toute l'Europe.
M. Marc Fesneau. - Sur le glyphosate, plutôt que d'être dogmatiques, nous essayons de réduire l'usage partout où c'est possible. C'est une façon de sortir de ce débat clivant, où le glyphosate est devenu un totem de combat. Cette capacité à éviter le piège des extrêmes nous permettra de progresser.
Vous évoquez les questions d'eau. On ne se demande jamais, quand on pose ces questions, si nous sommes capables de produire. La baisse constante de la production agricole européenne sur une décennie est alarmante, surtout vu l'importation massive de céréales en Europe, qui atteint cette année 40 millions de tonnes. Comme le disait Charles Péguy du kantisme, « ils ont les mains pures, mais ils n'ont pas de mains » ! Cette dépendance accrue vis-à-vis des importations soulève des questions cruciales sur notre capacité à maintenir une sécurité alimentaire robuste, surtout dans un espace géographique limité comme celui de l'Union européenne, d'autant que nous avons besoin de plus de biomasse, pour les biomatériaux, les biocombustibles, les bioénergies... Il faut un Green Deal, certes, mais pas aux dépens de notre sécurité alimentaire. Nous avons donc besoin d'outils et de systèmes plus productifs. Les Américains ou les Brésiliens peuvent avoir une production à faible rendement, puisqu'ils ont des surfaces immenses. Les Ukrainiens jouissent de terres d'une grande qualité, leur assurant de forts rendements. Puisque qu'en Europe, nous avons des espaces contraints, il nous faut parvenir à une productivité très forte. Sinon, la production est amenée à baisser, ce qui accroît notre dépendance.
Vous avez également abordé la question du bio. Cette production doit surtout susciter la demande des consommateurs, plutôt que de dépendre uniquement des politiques publiques. Près de 800 millions d'euros sont dépensés dans le cadre de la PAC et des dispositifs nationaux pour favoriser le maintien ou la transition vers l'agriculture biologique. Nous avons évidemment besoin de la production biologique. Néanmoins, passer entièrement au bio pourrait soulever des défis de production et d'importation encore plus importants.
Concernant l'eau, la couverture permanente, qui assure l'occupation continue des sols par les cultures, permet de mieux stocker, et d'éviter que s'échappent les nitrates, entre autres. Nous devons favoriser l'agroécologie, car la rotation des cultures permet de mieux fixer l'azote, et réduit le recours aux engrais et donc aux produits phytosanitaires. Dans la PAC, les écorégimes viennent conforter une stratégie d'évolution des assolements et de réduction des produits phytosanitaires. Là encore, il faut trouver un équilibre pour ne pas pénaliser excessivement les producteurs.
En ce qui concerne l'agrivoltaïsme, une réflexion sur la répartition de la valeur générée par ces innovations paraît nécessaire, afin de ne pas favoriser une partie au détriment d'une autre et d'éviter les opportunismes. Nous devons aussi limiter la baisse de production induite par ces projets. Sur tout cela, nous devons travailler avec le monde agricole.
Vous m'interrogez enfin sur l'importation de volaille ukrainienne et ses conséquences sur le marché européen. La réévaluation régulière de cette ouverture aux importations ukrainiennes est essentielle pour assurer la stabilité des marchés agricoles européens. Il faudra donc documenter les choses, comme nous le disions tout à l'heure. On me dit que l'impact est marginal, mais je vois des importations françaises importantes. Les Ukrainiens ont bénéficié de la baisse de notre production, liée notamment à la grippe aviaire. J'irai en Ukraine souligner que, si nous parlons d'adhésion, nous ne pouvons pas ainsi nous faire tailler des croupières... C'est au Gouvernement ukrainien de prendre ses dispositions pour que ses céréales soient exportées hors de l'Europe, afin que les marchés y trouvent leur équilibre.
M. Louis Vogel. - Monsieur le ministre, qui dit nouvelle PAC - nous sommes dans la première année de mise en oeuvre de cette dernière - dit nouvelle gouvernance, nouvelle répartition des pouvoirs entre l'État et les régions et transfert de tâches sans précédent vers ces dernières.
Dans certaines régions, le volume des dossiers engagés et effectivement transférés au 1er janvier 2023 est égal, voire supérieur, à celui des dossiers traités entre 2014 et 2019. La gestion de tels stocks entraîne inévitablement des retards de paiement, qui sont à l'origine d'un grand mécontentement chez nos agriculteurs. Que comptez-vous faire pour y remédier ?
M. Alain Cadec. - Une fois n'est pas coutume, je remercie M. le ministre d'avoir trouvé 180 millions d'euros pour les mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec).
M. Marc Fesneau. - Ce n'est hélas que 150, mais c'est déjà ça !
M. Alain Cadec. - Quoi qu'il en soit, ceux qui les attendaient avec impatience vous félicitent et vous remercient.
Vous avez évoqué l'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne, en essayant de nous expliquer que ses effets sur le marché seraient mineurs. Quid de la PAC et du marché unique ? L'Ukraine est un grand pays agricole et son adhésion représenterait nécessairement un défi. Qu'en pensez-vous ? Le processus d'adhésion prendra certes des années, mais nous devrons être très vigilants.
Mme Karine Daniel. - Avec mes collègues Daniel Gremillet et Jean-Michel Arnaud, j'ai le plaisir d'être co-rapporteure de notre commission sur la proposition de règlement relative aux nouvelles technologies génomiques. Plus nous menons d'auditions, plus nous mettons en lumière des controverses économiques et, étonnamment, scientifiques. Or votre position me paraît, monsieur le ministre, en décalage avec ces enjeux.
Par ailleurs, Ursula von der Leyen a annoncé voilà quelques mois un dialogue stratégique sur l'avenir de l'agriculture. Comment avance-t-il ? Quel est le positionnement de la France, dans le contexte des prochaines élections européennes ? Quelle forme prendra ce dialogue et comment le Parlement y sera-t-il associé ?
En ce qui concerne les exportations de la Russie sur le continent africain, plusieurs organisations professionnelles françaises s'inquiètent du non-respect des règles commerciales et des flux parfois étonnants qui sont constatés. Avez-vous des informations à ce sujet ?
Enfin, je souhaitais relayer l'inquiétude des chercheurs, directeurs de recherche et enseignants-chercheurs des écoles d'agriculture et d'agronomie, qui découle de nos discussions sur l'asile et l'immigration. Beaucoup d'étudiants étrangers viennent faire leur thèse en France. Quel signal enverrons-nous aux étudiants et aux enseignants de nos écoles et universités ?
Mme Marta de Cidrac. - L'additif E250 ou nitrite de sodium sera, semble-t-il, interdit en Europe pour l'alimentation des animaux domestiques, notamment dans les croquettes pour chiens et chats. Il resterait pourtant autorisé pour l'alimentation humaine, notamment dans les charcuteries. Quelle est la position de la France sur ce sujet de santé publique ?
M. Marc Fesneau. - Il n'existe pas d'interdiction européenne des nitrites dans l'alimentation des chats et des chiens. Pour une raison que j'ignore encore, les entreprises du secteur ont décidé d'elles-mêmes de retirer les nitrites de leurs produits. Vous savez, par ailleurs, que l'on peut parfois donner à nos animaux des aliments que nous n'imaginerions pas consommer nous-mêmes. Du fait de leur biologie, ils sont en effet moins sujets au risque de botulisme par exemple, qui justifie l'utilisation des nitrites.
Les décisions relatives aux nitrites dans les charcuteries ont été éclairées par l'Anses. Nous appliquons ses recommandations et tâchons de réduire l'utilisation des nitrites tout en conservant le souci de la santé publique. Il faut savoir qu'un accident mortel est survenu récemment à la suite de l'ingestion d'un jambon artisanal qui n'avait pas été traité aux nitrites.
Je ne défends ici aucun lobby. Nous avons pris nos décisions en conscience sur le fondement de l'avis de l'Anses. Permettez-moi également de signaler que les grandes firmes ne seraient pas spécialement gênées par l'interdiction des nitrites. Elles savent faire en masse. Ce n'est donc pas principalement une question de lobbies.
Monsieur Vogel, vous m'interrogez sur la mise en oeuvre de la PAC. Un certain nombre de prérogatives en matière de politique agricole commune ont en effet été confiées aux régions.
Étant un pur produit de la démocratie locale, je suis plutôt décentralisateur dans l'âme. Et pourtant, partout où je me rends, dès que l'on aborde le sujet de la dotation jeunes agriculteurs (DJA), on me demande de la recentraliser. Tel agriculteur considère comme plus attractif le dispositif mis en oeuvre dans la région voisine, tel autre juge les conditions d'éligibilité trop strictes dans sa région... C'est toute la question de la différenciation et de la décentralisation. Comment mener une politique agricole commune nationale ? La question se pose. Il est étonnant de voir qu'on peut aujourd'hui nous reprocher d'être allés trop loin dans la décentralisation.
En ce qui concerne le transfert des effectifs et des dossiers DJA, les régions m'avaient demandé, dès mon arrivée au ministère, de m'assurer que les effectifs transférés seraient suffisants. On peut toujours en débattre, mais Régions de France reconnaîtrait volontiers que nous avons fait un effort. Il a été proposé à des fonctionnaires des directions départementales des territoires (DDT) d'aller travailler en région, selon les modalités offertes par les régions. Tous ne l'ont pas fait. Il a donc été nécessaire, parfois, pour instruire les dossiers, de recruter ex nihilo des personnes qui n'avaient pas cette expérience. Dans d'autres régions, les choses se sont bien passées. Voilà qui explique certaines différences et des retards plus importants par endroits.
En Bourgogne-Franche-Comté en particulier, les tensions étaient telles entre les jeunes agriculteurs et la région que nous avons pris l'engagement de reprendre 200 dossiers, puis 250 supplémentaires en instruction, afin d'écouler les stocks. En bonne intelligence avec la présidente de région, l'État a donc mis les moyens pour permettre l'instruction des dossiers.
Monsieur Cadec, je suis sensible à vos remerciements pour les mesures agroenvironnementales. Elles couvrent, selon moi, les besoins, en particulier ceux de la Bretagne.
Vous avez raison par ailleurs, l'intégration de l'Ukraine changerait bien entendu la donne. Mon propos était de dire que, avec ou sans adhésion, la présence de cette puissance agricole à nos frontières produit déjà - et depuis plusieurs années - ses effets sur le marché.
Même si la question se pose non pas pour la PAC 2027, mais pour la suivante, nous devons réfléchir à une évolution de la PAC. Le dérèglement climatique, les bouleversements géopolitiques incessants, les crises économiques et l'arythmie des revenus qui en découlent doivent être pris en compte. Une exploitation de 40 000 hectares doit-elle bénéficier du même soutien qu'une exploitation de 100 hectares ? Poser la question, c'est déjà y répondre.
Les Ukrainiens, d'ailleurs, ne cherchent pas spécialement à bénéficier des crédits de la PAC. Ils n'en ont pas besoin pour être compétitifs. Il ne faudrait pas que nous nous liions les mains et que nous ne parvenions plus à produire suffisamment de céréales. Le besoin serait alors couvert par l'Ukraine.
Dans le processus d'adhésion qui sera long et dont nous ne connaissons pas l'issue, il nous faut donc entrer dans un dialogue et considérer l'Ukraine non pas comme un concurrent, mais comme un partenaire. Nous avons besoin de construire avec les Ukrainiens une stratégie européenne non pas nécessairement dans le cadre de l'« Union », mais du « continent », sur la question agricole.
M. Jean-François Rapin, président. - Nous avons vécu récemment ce que pourrait être l'arrivée des céréales ukrainiennes sur le marché européen, avec l'épisode des céréales qui étaient destinées à l'Afrique et qui ont transité par l'Union européenne. Les États membres avaient dû fermer leurs frontières, car les prix avaient été complètement cassés. Beaucoup d'exploitations agricoles avaient été brutalement mises en faillite et le prix du blé avait chuté de moitié, voire avait été divisé par trois.
Je rejoins Alain Cadec : comment intégrer le géant ukrainien tout en évitant la baisse des prix ? Une grande exploitation peut baisser ses prix bien plus facilement qu'une petite.
M. Marc Fesneau. - C'est tout l'enjeu, en effet. La question est de savoir ce que nous faisons avec ce géant qui grandit à nos frontières.
La France est une puissance céréalière exportatrice. Avec les Ukrainiens, nous pouvons construire une puissance agricole européenne. Sans eux, la question ne se pose pas dans les mêmes termes.
Sur la question des NTG, les scientifiques s'accordent à dire que les risques sont marginaux, voire inexistants.
Nous vivons dans un monde de controverses. D'aucuns ne nous ont-ils pas expliqué qu'on pouvait guérir du covid en avalant de l'eau de javel quand d'autres nous ont déconseillé de nous vacciner ? Dans le monde tel qu'il est aujourd'hui, il n'existe plus de faits scientifiques avérés : vous trouverez toujours quelqu'un pour brandir une étude complémentaire contredisant les conclusions de la majorité des scientifiques. Pour ma part, j'ai tendance à me fier à la majorité des scientifiques.
Je le répète, se priver de ces techniques, c'est, à terme, se livrer à d'autres. C'est aussi simple que cela. Tout le monde utilise désormais ce levier puissant de transformation du modèle agricole. Si nous refusons les produits phytosanitaires, si nous refusons les NTG et si nous ne voulons pas non plus travailler la question de l'eau, je ne sais pas comment nous produirons demain.
L'Europe importe ses céréales et la France est le seul pays excédentaire en la matière. Les Russes sont en train de saturer le marché grâce à des prix très bas et une qualité médiocre, y compris en matière d'alimentation humaine. C'est, pour nous, certes, un avantage comparatif : nous pouvons encore intervenir sur ces marchés, puisque les céréales françaises sont réputées pour leur qualité. Il n'en reste pas moins que les Russes organisent ni plus ni moins la dépendance des pays africains. Pour y répondre, nous devons être un acteur du jeu. Il nous faut donc être en capacité de fournir et de produire. À défaut, nous regarderons M. Poutine placer ses pions et jouer aux dominos.
L'Europe a par conséquent rendez-vous avec sa stratégie de souveraineté. Le commissaire européen à l'Agriculture me disait que le marché des céréales avait produit autant cette année que les autres années, mais les disparités sont fortes selon les zones ! Si l'on étend le raisonnement, on peut considérer que l'énergie - gaz et pétrole - est en quantité suffisante, mais qui la détient ? Nous avons fait preuve d'aveuglement sur la question du gaz : il y en avait, mais il était chez les Russes, autrement dit nos adversaires d'aujourd'hui !
La question de savoir qui nourrit les Français, les Européens et nos voisins immédiats est centrale. Si nous voulons assumer ce rôle, il nous faudra nous doter des outils adéquats. Si une trajectoire de réduction des produits phytosanitaires paraît nécessaire, il me semble également que les NTG ou encore l'adoption de nouvelles pratiques agricoles sont utiles. À défaut, nous serons rapidement dans l'impasse. Nous le sommes d'ailleurs déjà en partie. Sur ces marchés, nous n'imposerons pas nos règles au reste du monde. C'est la nécessité de nourrir qui impose ses règles.
En début d'année, nous avons ainsi débattu de l'utilisation de la phosphine, un produit insecticide, dans les céréales. J'ai beaucoup oeuvré pour une libéralisation, car nous aurions pu, du fait d'une décision domestique, nous retrouver dans une situation nous empêchant d'exporter des céréales vers des pays demandeurs. Nous aurions alors ouvert les ports aux tankers de M. Poutine.
Nous n'avons pas à dicter nos volontés à nos partenaires commerciaux. Nous ne voulons pas de veau aux hormones, c'est très bien et c'est tant mieux ! Pour autant, nous n'empêcherons pas les autres d'en consommer. De même, on parle souvent de bien-être animal. La question n'est pas d'imposer à l'Algérie, au Maroc ou à la Tunisie le transport d'animaux non-vivants : ces pays veulent transporter des animaux vivants !
En résumé, si ce n'est pas nous, d'autres occuperont la place. On peut toujours améliorer les choses chez nous, mais gardons en tête que la puissance agricole européenne est en danger.
M. Jean-François Rapin, président. - Merci, monsieur le ministre. Nous aurons l'occasion de nous revoir, car l'actualité européenne continuera d'être marquée par les enjeux agricoles, notamment celui de la souveraineté alimentaire.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 h 50.
Jeudi 21 décembre 2023
- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -
La réunion est ouverte à 9 h 05.
Économie, finances et fiscalité - Révision du Pacte de stabilité et de croissance - Examen de la proposition de résolution européenne et de l'avis politique
M. Jean-François Rapin, président. - Nous revenons ce matin sur un sujet stratégique pour notre pays : la révision du Pacte de stabilité et de croissance, c'est-à-dire du cadre de gouvernance budgétaire dans l'Union européenne. Je vous rappelle que nous avons auditionné il y a une semaine le ministre de l'économie et des finances, Bruno Le Maire, en présence du Président de la commission des finances et du Rapporteur général - j'observe au passage que notre commission a entendu trois ministres en neuf jours, ce qui constitue un indicateur du sérieux de nos travaux. Le ministre nous avait indiqué avoir quasiment scellé un accord avec son homologue allemand sur le contenu de la réforme et espérait y rallier les autres partenaires européens rapidement. Il avait été très clair sur le calendrier, je le cite : « ou bien nous parvenons à un accord avant la fin de l'année, ou bien il n'y a pas d'accord du tout. Il me semble impossible de repartir pour une négociation avec une nouvelle présidence de l'Union européenne, après la négociation que nous venons de mener, qui a été âpre et longue. Par conséquent, et comme je l'ai toujours indiqué, nous devons conclure avant la fin de l'année 2023. J'estime que l'état d'esprit porté sur le compromis dont ont fait preuve l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne et la France, devrait inspirer l'ensemble des autres États membres, sans quoi nous reviendrions aux anciennes règles, inapplicables et témoignant d'une faiblesse politique européenne. En cas d'accord, le trilogue devrait se tenir en février 2024 au plus tard. L'année 2024 serait une période de transition et les nouvelles règles s'appliqueraient en 2025. »
C'est pourquoi nous avons jugé préférable pour le Sénat de ne pas tarder à prendre une position politique sur ce sujet important pour notre pays, notamment au vu de la situation de ses finances publiques. Nous avons proposé à la commission des finances, compétente au fond, de nous concerter à l'occasion d'une réunion commune sur la position à tenir, mais cette réunion n'a malheureusement pas pu s'organiser pour des raisons de calendrier surchargé. Aussi j'ai invité nos rapporteures à nous présenter sans délai une proposition de résolution européenne, qui sera renvoyée, dès que nous l'aurons adoptée, à la commission des finances, laquelle pourra toujours s'en saisir si elle le souhaite à la reprise des travaux du Sénat mi-janvier. Je craignais toutefois qu'un accord politique au Conseil de l'Union intervienne d'ici là et que les trilogues avec le Parlement européen débutent dès janvier sur cette base : de fait, les dés semblent largement jetés puisque le Conseil ECOFIN réuni hier en visioconférence a été conclusif. Le COREPER se réunit encore ce matin et sera invité à approuver le mandat de négociation avec le Parlement européen à ce sujet.
Je laisse notre rapporteure Florence Blatrix Contat nous présenter le fruit du travail qu'elle a mené conjointement avec Christine Lavarde : celle-ci est retenue en province et a demandé que Florence Blatrix Contat puisse vous présenter l'ensemble de leur analyse.
Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Monsieur le Président, mes chers collègues, avec Christine Lavarde, nous avons travaillé depuis un mois sur ce sujet et je vais vous exposer notre position commune.
Il y a près de quatre ans, en février 2020, la Commission européenne présentait une communication sur le réexamen de la gouvernance économique de l'UE, qui devait permettre de lancer un débat public sur l'avenir du Pacte de stabilité et de croissance (PSC). Elle y rappelait les progrès enregistrés grâce aux réformes du début des années 2010. Mais elle insistait surtout sur trois défauts majeurs des règles en vigueur : leur caractère pro-cyclique, leur complexité et leur inadaptation pour soutenir les investissements publics. La crise du Covid-19 a suspendu ce réexamen. Face au choc économique, la clause dérogatoire générale, qui permet la suspension temporaire des règles du PSC, a été activée en mars 2020 puis prolongée jusqu'au 31 décembre 2023. Déjà mis en lumière avant la pandémie et la guerre en Ukraine, les défauts des règles du PSC paraissent aujourd'hui encore plus criants. D'abord, compte tenu des niveaux très dégradés de leurs finances publiques, la réintroduction des règles mettrait en difficulté de nombreux États membres. À titre d'illustration, au deuxième semestre 2023, six pays de l'Union européenne, dont la France, ont une dette supérieure à 100 % de leur PIB. Ensuite, la prise de conscience du « mur d'investissements » à réaliser en matière de défense et de transition numérique et climatique rend inadapté le cadre actuel. Je rappelle à cet égard que la Commission européenne estime que 520 milliards d'euros par an d'investissements, publics et privés, seront notamment nécessaires dans l'Union pour répondre aux besoins en matière de transition écologique d'ici 2030.
Je rappellerai dans un premier temps les objectifs et les grandes lignes du paquet législatif proposé par la Commission en avril 2023. Dans un second temps, je vous présenterai notre position sur cette réforme, compte tenu notamment des dernières propositions de compromis de la présidence espagnole et de l'accord obtenu hier soir.
En avril 2023, la Commission européenne a donc présenté un paquet législatif de deux propositions de règlement et une proposition de directive pour une réforme d'ampleur du cadre de gouvernance budgétaire. Il faut noter, avant toute chose, que la Commission propose de conserver les seuils de 3 % du PIB pour le déficit et de 60 % du PIB pour la dette. Ces seuils sont fixés par les traités. De ce fait, les modifier supposerait l'unanimité des États membres. La Commission européenne considère - et nous partageons cet avis - que cela est hors d'atteinte, compte tenu des équilibres politiques européens. Pour parvenir à ce que les États membres se conforment à ces seuils de 3 % et de 60 %, la Commission propose de mettre en place une différenciation de leurs trajectoires budgétaires. Pour ce faire, elle prévoit l'élaboration de plans budgétaires et structurels nationaux à moyen terme qui constituent la pierre angulaire de la réforme. Ces plans seraient élaborés par les États eux-mêmes, permettant une véritable appropriation par ceux-ci des efforts à fournir. Les plans définiraient les cibles d'ajustement et les réformes et investissements prioritaires sur une période de 4 ans. La trajectoire serait ensuite analysée sur 10 ans, période durant laquelle le déficit public devrait être maintenu sous la valeur de référence de 3 % du PIB. Les plans nationaux seraient évalués par la Commission selon la méthode de l'analyse de la soutenabilité de la dette (ASD) et approuvés par le Conseil sur la base de critères communs pour l'Union. Pour inciter aux investissements publics, la trajectoire d'ajustement pourrait être allongée de 4 à 7 ans en cas de réformes et d'investissements répondant aux priorités communes de l'Union. Les investissements ouvrant droit à une prolongation devraient relever du Pacte vert pour l'Europe, du Socle européen des droits sociaux, du Programme d'action pour la décennie numérique, ou de la Boussole stratégique en matière de sécurité et de défense.
Pour assurer une véritable différenciation, la Commission proposait initialement, dans ses orientations de novembre 2022, d'abandonner tout critère numérique uniforme. La règle du 1/20ème pour la diminution de la dette est ainsi supprimée dans la proposition d'avril 2023. Cette règle, introduite par le Six Pack, obligeait les États membres affichant une dette publique excédant 60 % du PIB à réduire annuellement d'1/20ème l'écart entre leur niveau d'endettement observé en moyenne sur les trois dernières années et le seuil de référence des 60 %. L'application de cette règle conduirait de fait la France à un ajustement de 2,5 points de PIB par un et des pays comme l'Italie ou la Grèce à réduire leur dette de 4 à 5 points par an, ce qui paraît irréaliste. Si la règle du 1/20ème est supprimée, la Commission a cependant finalement intégré dans son texte un critère quantitatif qui porte sur le déficit. Les pays dont le déficit excède 3 % du PIB doivent réduire de 0,5 point par an ce ratio, au minimum, tant qu'il reste supérieur à 3 % du PIB. Cet ajout contrevient pourtant à l'esprit de la réforme, qui visait bien à ne pas appliquer à des situations différentes des critères numériques uniformes.
L'autre point majeur de cette réforme est la mise en place d'indicateurs véritablement mesurables. En remplacement de l'indicateur du solde structurel, qui n'est pas observable et qui résulte d'estimations, doit être introduit un indicateur des dépenses publiques nettes. Cet agrégat est dit « net » car les dépenses publiques sont corrigées en leur soustrayant : les intérêts payés au titre de l'endettement (c'est-à-dire la charge de la dette), la part cyclique des dépenses de prestations chômage (ce qui suppose de parvenir à isoler la part des prestations chômage due aux fluctuations du cycle économique) et les mesures de recettes discrétionnaires (c'est-à-dire l'impact des changements de la fiscalité, qui augmentent ou diminuent les recettes publiques). Autrement dit, l'agrégat de dépenses retenu ne tient pas compte des dépenses financées par de nouvelles recettes.
Enfin, et dernier point clé de la proposition de la Commission, le montant des sanctions est abaissé pour rendre celles-ci plus crédibles. Dans les règles actuelles, en cas de dépassement du seuil des 3 %, les États membres s'exposent à une sanction prenant la forme d'une amende pouvant, selon les règles en vigueur, aller de 0,2 % à 0,5 % du PIB. De telles sanctions reviendraient donc à alourdir le déficit de l'État en question, ce qui ne ferait qu'accroître ses difficultés. Elles n'ont de fait jamais été appliquées. Jamais mises en oeuvre, ces sanctions sont ainsi peu crédibles et n'incitent donc pas à respecter les règles. La Commission propose qu'en cas de déficit excessif, le montant de l'amende s'élève à 0,05 % du PIB - soit dix fois moins qu'auparavant - pour une période de six mois et qu'elle soit versée chaque semestre jusqu'à ce que le Conseil estime que l'État membre a engagé une action suivie d'effets. Le montant cumulé des amendes n'excéderait pas 0,5 % du PIB.
J'en viens maintenant à notre position sur cette réforme. Pour la préparer, nous avons entendu des responsables nationaux comme européens : le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique Bruno Le Maire, la direction générale du Trésor, chargée de la préparation des positions françaises sur ce sujet, le cabinet de Paolo Gentiloni, commissaire européen aux affaires économiques et monétaires, à la fiscalité et à l'Union douanière, la Cour des comptes européenne - qui a récemment publié un document d'analyse assez critique sur les propositions de la Commission sur la réforme des règles budgétaires - et enfin un chercheur en politique économique européenne, rattaché à l'Institut Jacques Delors - Notre Europe, M. Andreas Eisl.
Avant d'en venir au détail de notre position, je voudrais vous préciser le calendrier de cette réforme. Comme l'a rappelé le Président Rapin, un accord a été obtenu hier soir au Conseil ECOFIN sur la réforme du PSC. Cela ne signifie pas pour autant que cette réforme soit finalisée. En effet, le mandat de négociation du Conseil doit encore être approuvé dans le détail aujourd'hui par le COREPER qui réunit les 27 ambassadeurs assurant à Bruxelles la représentation permanente de leur pays. Une négociation doit s'ouvrir ensuite avec le Parlement européen, qui est co-législateur s'agissant du volet préventif. Sa commission des affaires économiques et monétaires (ECON), saisie au fond, a présenté sa position le 11 décembre dernier. La plénière du Parlement européen doit encore se tenir pour arrêter le mandat de négociation côté Parlement européen. Les négociations interinstitutionnelles ou "trilogue" entre Commission, Parlement et Conseil, ne commenceront qu'une fois ce mandat adopté, c'est-à-dire au premier semestre 2024. Une étape importante a donc été franchie mais ce n'est pas la dernière. L'objectif qui importe est aujourd'hui de faire en sorte que la réforme soit définitivement finalisée avant avril 2024 et la suspension des travaux du Parlement européen du fait des élections européennes de juin.
Cela m'amène à la première observation de notre proposition de résolution. Nous appelons à un accord rapide, pas seulement au Conseil, mais aussi lors des trilogues, pour que les règles obsolètes du PSC ne s'appliquent pas en 2025. Ce risque demeure : il est déjà certain que 2024 sera une année de transition où les anciennes règles, pourtant reconnues comme obsolètes, seront appliquées. En l'absence d'accord définitif avant les élections européennes de juin 2024, le calendrier conduirait à faire de 2025 une deuxième année de transition et à repousser encore l'application de la réforme. Compte tenu des nombreux défauts des règles, sur lesquels un consensus a fini par émerger, cette situation ne serait pas acceptable. Ce risque impose donc d'aboutir vite à une adoption définitive rapide. Je vous précise d'ailleurs que nous vous soumettons à la fois une proposition de résolution européenne (PPRE) et une proposition d'avis politique, la première étant destinée au Gouvernement et la seconde à la Commission européenne, acteur central des trilogues.
Ensuite, je voudrais insister sur la deuxième observation majeure de notre proposition : elle concerne l'introduction de clauses de sauvegarde. Je rappelle que les orientations présentées par la Commission en novembre 2022 ne prévoyaient pas d'introduire de critères numériques communs uniformes de gouvernance budgétaire. Nous regrettons que les propositions d'avril 2023 de la Commission aient finalement introduit un critère quantitatif commun en prévoyant une clause de sauvegarde pour le déficit obligeant à le réduire d'au moins 0,5 point de PIB par an, tant qu'il reste supérieur à 3 % du PIB, et cela que le pays concerné fasse ou non l'objet d'une procédure pour déficit public excessif (PDE).
Par la suite, de nouvelles mesures de sauvegarde - les fameux benchmarks - ont été intégrées dans les propositions de compromis soumises par la présidence espagnole. Là encore, ces ajouts sont bien éloignés de l'esprit initial de la réforme, qui, je le rappelle, visait précisément à ne pas appliquer à des situations nationales différentes des règles numériques uniformes. Tout l'enjeu des négociations des dernières semaines au Conseil a donc porté sur le calibrage de ces mesures de sauvegarde pour préserver un équilibre entre demande de garanties communes et préservation de l'objectif de différenciation. Trois mécanismes ont été proposés avec, en premier lieu, une clause de sauvegarde pour la réduction de la dette. Pour les pays dont la dette dépasse 90 % du PIB, la réduction du ratio dette/PIB devrait être de 1 point en moyenne par an sur la durée de la période d'ajustement (avec un plan de 4 ans par défaut). Pour les pays dont la dette est comprise entre 60 % et 90 % du PIB, cet objectif de réduction de la dette serait fixé à 0,5 point. Ensuite, une clause de sauvegarde pour le déficit sous forme de « marge de résilience » de 1,5 % du PIB serait introduite. Elle viserait à garantir que, dans des circonstances économiques normales, le déficit public soit réduit à un niveau suffisamment inférieur au seuil de 3 % du PIB en fixant un objectif de 1,5 % du PIB. Pour l'atteindre, serait exigé un ajustement d'au moins 0,4 point de PIB par an, qui peut être réduit à 0,25 point en cas de réformes et d'investissements. Enfin, dans le bras correctif, un ajustement annuel de 0,5 point de PIB serait attendu des États membres faisant l'objet d'une procédure pour déficit public excessif.
Pour garantir l'objectif de différenciation et pour permettre d'encourager l'investissement public, nous proposons de ne pas reprendre toutes ces clauses de sauvegarde. Nous faisons également observer que ces dernières réintroduisent une complexité excessive dans cette réforme qui incorporait un objectif de simplification.
S'agissant du bras préventif, nous rappelons que l'objectif de la réforme était de se concentrer sur le niveau de dette et sur sa réduction graduelle à moyen terme. Nous proposons de ne pas retenir la « clause de sécurité » sur le déficit, et donc de ne pas préconiser de règle chiffrée commune de réduction du déficit public sous 3 % du PIB. Cette disposition nous ferait retomber dans les travers de la pro-cyclicité ; or nous avons besoin de disposer de politiques contra-cycliques et donc d'une latitude budgétaire suffisante pour apporter un soutien budgétaire en période de ralentissement économique et pour constituer des réserves en période de conjoncture favorable. Notre position rejoint celle de la commission ECON du Parlement européen qui semble équilibrée : pas de mesure de sécurité sur le déficit, mais une mesure de sauvegarde sur la dette.
S'agissant du bras non plus préventif mais correctif, nous soutenons le principe d'un ajustement annuel de 0,5 point de PIB quand le déficit est supérieur à 3 %. Néanmoins, nous demandons de la flexibilité, en excluant du calcul non seulement l'augmentation des dépenses d'intérêt de la dette mais aussi des investissements verts du calcul. Sur ce dernier point, l'accord obtenu hier soir pourrait ne pas avoir donné satisfaction et un flou persiste sur la prise en compte de la charge de la dette.
Enfin, outre la question du calibrage des clauses de sauvegarde et de la nécessaire flexibilité pour soutenir les investissements, nous appelons également à être vigilants sur la méthode d'analyse de la soutenabilité de la dette (ASD). Celle-ci jouera un rôle central dans la conception des trajectoires techniques pour les dépenses publiques nettes présentées par la Commission afin de fournir des orientations aux États membres. La méthodologie de l'ASD retenue par la Commission européenne est comparable à celle utilisée par les organismes internationaux comme le FMI ou l'OCDE et s'appuie sur un large jeu d'hypothèses dont le taux d'intérêt, le niveau du déficit, la croissance potentielle ou encore les projections de vieillissement. Nous déplorons néanmoins que la Commission propose d'appliquer cette analyse à un horizon de long terme, de 14 à 17 ans. Il est en effet impossible de réaliser des prévisions économiques sérieuses à une échéance si lointaine, comme le souligne la Cour des comptes européenne pour qui de telles projections relèvent de la « boule de cristal ». Nous appelons donc à la constitution d'un groupe de travail, rassemblant des experts de la Commission mais aussi des représentants d'États membres, pour assurer la transparence de l'ASD ainsi qu'une mise en oeuvre cohérente du cadre dans tous les États membres.
Enfin, nous nous interrogeons également sur l'articulation des plans avec les échéances électorales et sur l'association des parlements nationaux. La Commission prévoit certes la possibilité pour un nouveau gouvernement de présenter un plan budgétaire et structurel national révisé à l'issue d'une élection nationale. Néanmoins, dans ce cas, la Commission proposerait « une nouvelle trajectoire technique (...) qui ne permet pas de repousser l'effort d'ajustement budgétaire en fin de période et ne conduit pas à un moindre effort d'ajustement budgétaire ». Quelles seraient dans ces conditions les marges de manoeuvre laissées à un gouvernement nouvellement élu ?
Nous regrettons également que les parlements nationaux ne soient que très brièvement mentionnés dans les propositions de la Commission. Pourtant, les futures règles européennes encadreront de fait les budgets qu'il leur incombe d'adopter. Les parlements nationaux devraient être mieux associés à la mise en oeuvre du cadre réformé de gouvernance budgétaire européenne. Devraient notamment être communiqués en amont à chaque parlement national tous les éléments utiles pour évaluer les trajectoires conçues par les États, ainsi que le détail de l'analyse de la soutenabilité de la dette (ASD).
M. Jean-François Rapin, président. - Je vous remercie pour ce travail auquel, avec Christine Lavarde, vous avez consacré beaucoup d'énergie. Je vous livrerai deux réflexions rapides : la première concerne la sollicitation des parlements nationaux sur ces trajectoires économique et financière ; je rappelle ici que le Parlement se prononce, lors de chacun des débats consacrés aux projets de loi de finances, sur l'article qui détermine le solde budgétaire ainsi que sur le prélèvement sur recettes au bénéfice de l'Union européenne. En second lieu, nos travaux sur le PSC devraient assez rapidement - se prolonger avec l'examen de la révision à mi-parcours du cadre financier pluriannuel (CFP) sur laquelle le Sénat doit s'impliquer. D'après nos informations, une réunion extraordinaire du Conseil de l'Union européenne devrait se tenir début février 2024 sur ce thème ; je rappelle qu'un accord n'a toujours pas pu intervenir à ce jour, le président Orbán ayant opposé un véto à cette révision du cadre financier pluriannuel en refusant l'octroi de 50 milliards d'aide à l'Ukraine.
Merci en tout cas pour votre travail que nous allons, s'il est adopté, renvoyer à la commission des finances.
M. André Reichardt. - À mon tour de remercier nos rapporteures qui ont traité ce sujet crucial. Ma première interrogation porte sur le calendrier de cette réforme. Je suis perplexe quant à la nécessité de la faire aboutir à marche forcée avant les élections européennes. Je doute que ce soit véritablement efficace dans la mesure où nous savons bien qu'en fonction des résultats de ces prochaines élections, le dispositif proposé pourrait être considérablement modifié, voire balayé d'un revers de manche - c'est ainsi que les partis qui ne sont pas franchement pro-européens seront tentés de procéder. Cette observation peut s'étendre à d'autres sujets et j'ai noté qu'hier est intervenu, semble-t-il, un accord sur le Pacte asile et migration : je n'ai pas non plus le sentiment que ce soit la bonne méthode de vouloir aboutir absolument à un accord dont on sait très bien qu'un certain nombre de pays ne l'appliqueront pas.
Ma deuxième observation porte sur la recherche d'individualisation et surtout de flexibilité à outrance dans l'application des règles de rééquilibrage financier existantes. On voit bien qu'il est difficile d'aboutir à un nouveau Pacte de stabilité et de croissance compte tenu de la diversité des situations financières des États membres. J'ai le sentiment qu'il a fallu, ici encore, tenir compte de la situation individuelle de chacun ou presque et faire en sorte que des règles soient calibrées pour permettre à chaque État membre de sortir - peu importe à quel horizon- de l'impasse financière dans laquelle il est entré. J'ai vraiment l'impression qu'on « s'accroche aux branches » et j'utilise cette expression à dessein : en s'évertuant à trouver un accord, on finit par prévoir une flexibilité telle que chaque État membre puisse s'accommoder du nouveau mécanisme.
Ce n'est pas de cette façon que j'avais conçu l'Europe. Tout d'abord les ratios de 3% et 60 % n'ont pas été inscrits par hasard : on voulait éviter les dérives constatées à l'heure actuelle. Certes, la crise sanitaire a constitué un événement exceptionnel, mais il y a quand même un moment où il faut revenir aux principes de base et, au cas présent, il me semble qu'on ne s'engage pas sur le bon chemin. En effet, on risque d'avoir demain une Europe à géométrie variable et sur le plan financier, c'est détestable : la dette publique dépasse 3000 milliards d'euros pour la seule France et je me demande quand nous pourrons rentrer dans le rang. Si nous ne sommes pas capables de le faire nous-mêmes, il faut peut-être une obligation supranationale pour nous y astreindre.
Je voudrais que nous évitions de retomber dans les erreurs du passé. Je rappelle ici que le président Hollande avait annoncé pour son quinquennat une série de réformes destinées à améliorer la situation, ce qui nous a notamment valu la création des grandes régions. Pardonnez-moi de dire les choses aussi franchement, mais je voudrais bien savoir en quoi ces grandes régions, par exemple, ont permis de réduire la dépense publique française. Je suis de ceux qui pensent que c'est juste l'inverse. Peut-être est-ce parce qu'on n'a pas été jusqu'au bout de la logique en supprimant les départements, mais il fallait être bien naïf pour penser que cela était possible. Cela m'amène à me demander qui va juger au niveau européen de la pertinence des investissements et surtout des réformes nationales destinées à améliorer notre fonctionnement. Vous avez compris que si Bruxelles s'en charge, je crains que les erreurs du passé se reproduisent avec des réformes qui, sans produire d'effets positifs, ont au contraire - et je pèse mes mots - dégradé les soldes budgétaires en augmentant encore la dépense publique.
Au-delà de ces observations, je m'empresse naturellement de vous dire que je peux tout à fait rejoindre les propositions faites par nos rapporteures ; permettez-moi cependant de penser que cet éventuel accord « à l'arrache » ne préjuge pas d'une amélioration sérieuse du fonctionnement de l'Europe sur le plan financier.
M. Jacques Fernique.- Je vous remercie pour votre présentation. Je constate que le dispositif présenté est particulièrement complexe et il est difficile de visualiser l'ensemble des adaptations et différenciations qu'il comporte.
Pour l'essentiel, je crois effectivement que les élections européennes offriront un terrain de jeu idéal aux anti-européens pour dénoncer, comme à leur habitude, le carcan européen et marquer leur préférence pour la souveraineté nationale versus l'intégration ou la cohésion européenne. Ils tiendront ce discours quoi qu'il arrive mais il est souhaitable que nous parvenions, avant l'échéance électorale, à caler quelques éléments qui ne leur faciliteraient pas la tâche en montrant qu'une voix commune assez réaliste s'est exprimée pour ne pas se contenter de la simple continuation des règles financières devenues obsolètes ou de la situation transitoire actuelle.
Je suis donc en phase avec les préconisations de nos rapporteures. En effet, la difficulté est qu'on ne peut pas se contenter de dire qu'il faut stabiliser la situation et éviter de donner libre cours à ce que André Reichardt appelle les errements du passé. Encore faut-il montrer que si on ne réalise pas ces fameux investissements verts et si on bride l'investissement public, on s'expose à des coûts considérables et à des catastrophes. De ce point de vue, nos rapporteures formulent des propositions, des remarques et des critiques très intéressantes.
Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Merci mes chers collègues pour vos remarques.
S'agissant du calendrier, je pense qu'il nous faut aujourd'hui saisir l'occasion de perfectionner des règles qui sont devenues inapplicables et obsolètes. On voit combien il est difficile de négocier et, dans ces conditions, une reconstruction intégrale du PSC modifiant son socle conduirait à un report des travaux en cours bien au-delà des élections européennes, ce qui aurait pour conséquence de laisser perdurer une situation d'insécurité financière et budgétaire pour les États-membres, ce qui à mon avis n'est pas souhaitable. Cela nous ramène donc à la recherche d'un accord offrant une certaine flexibilité. Je comprends que cette thématique suscite de vraies interrogations sur le degré d'assouplissement budgétaire acceptable et le calibrage des clauses de sauvegarde ; ces questions ont d'ailleurs été au coeur du débat entre les États dits « frugaux » et les autres. Il est utile de rappeler que, dès la création de l'euro, on savait que le principal écueil serait celui auquel nous sommes confrontés aujourd'hui, à savoir les différences de situations entre les pays membres. On s'était alors inspiré de la fameuse théorie de Mundell qui souligne les bénéfices qu'on peut attendre d'une zone monétaire optimale et préconise d'en limiter les inconvénients de deux façons différentes : soit en utilisant le budget de l'entité commune - qui serait en l'occurrence celui de l'UE -, soit en adoptant les règles de régulation budgétaire au niveau de chaque État membre et c'est de ce dernier outil que nous parlons aujourd'hui.
Au total, cette révision du PSC est conçue pour proposer d'emmener l'ensemble des États membres sur une trajectoire de stabilisation commune. Comme l'a indiqué Bruno Le Maire la semaine dernière, dans l'hypothèse où les investissements absolument indispensables - notamment dans la transition écologique - ne pourraient pas être réalisés grâce aux allocations prévues par les budgets nationaux soumis à des restrictions, il faudra que des programmes européens soient mis en place pour les financer. Cela oblige par ailleurs, comme vient de le faire observer notre Président, à réfléchir de façon complémentaire à l'évolution du cadre financier pluriannuel afin de dégager de nouvelles ressources. Je pense donc que les 27 États sont parvenus à trouver un équilibre qui garantit la nécessaire flexibilité budgétaire différenciée et l'appropriation par chaque État membre de sa trajectoire de réduction de dette. Aujourd'hui six pays - dont la France - ont encore une dette publique dont le montant dépasse 90 % de leur PIB et, en 2026, nous pourrions rester le seul pays dont le déficit budgétaire serait supérieur à 3 % du PIB. Sans qu'on puisse parler d'homogénéité, les pays de l'UE sont ainsi appelés à aller dans le même sens et la France, à son rythme, peut suivre la trajectoire commune.
Enfin, la création des grandes régions relève essentiellement du niveau de décision nationale sans lien évident avec les réformes imposées par l'Union européenne. À mon avis, ce choix, qui correspond peut-être à une perspective stratégique plus vaste inspirée des Länder allemands, a été appliqué sans y consacrer les moyens adéquats et on se retrouve à présent dans un entre-deux qui aura rétrospectivement manqué d'efficacité.
M. Jean-François Rapin, président. - Je consulte la commission sur le texte et l'avis politique.
La commission adopte la proposition de résolution européenne disponible en ligne sur le site du Sénat, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.
Institutions européennes - Conseil européen des 14 et 15 décembre 2023 - Audition de Mme Laurence Boone, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée de l'Europe
M. Jean-François Rapin, président. - Nous recevons Laurence Boone, pour qu'elle rende compte à notre commission de la dernière réunion du Conseil européen des 14 et 15 décembre 2023.
Madame la Ministre, nous avions eu l'occasion de débattre, le 13 décembre, dans l'hémicycle, en amont de cette réunion lourde d'enjeux. Je vous avais notamment interpelléesur deux sujets majeurs de son ordre du jour : l'aide à l'Ukraine et l'élargissement. L'abstention du Premier ministre hongrois a finalement permis d'ouvrir les négociations avec l'Ukraine et la Moldavie et de reconnaître à la Géorgie le statut de candidat. C'est une décision très engageante à tous points de vue, puisque, à terme, elle mettra l'Union au contact direct de la Russie et pourrait donc affecter directement sa sécurité ; elle soulève aussi des enjeux économiques majeurs. Notre commission auditionnait avant-hier Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, qui soulignait notamment le défi que représente pour l'Union la puissance agricole de l'Ukraine. Les impératifs géopolitiques du moment laissent de nombreuses questions dans l'ombre et il est de notre responsabilité de les mettre sur la table, surtout au vu de la récente étude du European Council on Foreign Relations (EFCR) qui atteste que seuls 29 % des Français sont favorables à l'intégration de l'Ukraine dans l'Union.
Concernant l'aide à l'Ukraine, l'unité se fissure ostensiblement entre États membres : la Hongrie a opposé son veto à l'enveloppe budgétaire envisagée pour pérenniser ce soutien et empêcher une défaite, qui serait aussi la nôtre. Visiblement, la promesse de déblocage de 10 milliards d'euros au titre de la facilité pour la reprise et la résilience n'aura pas suffi à acheter le soutien hongrois. Ces marchandages en coulisses sont paradoxaux : pour assurer la défense de ses valeurs bafouées à ses frontières extérieures, l'Union se retrouve à transiger de manière douteuse sur l'État de droit en son sein... Comment éviter ce piège ?
Comment aussi éviter que le douzième paquet de sanctions adopté par le Conseil européen soit contourné par la Russie, comme Vladimir Poutine l'a aussitôt annoncé de manière provocatrice ? Là aussi, la crédibilité de l'Union est en jeu : sa politique de sanctions doit porter des fruits, sans quoi les peuples européens ne voudront plus en payer le prix.
Enfin, quelles perspectives se dessinent concernant la révision du cadre financier pluriannuel, sur laquelle aucun accord n'a pu être trouvé ? Une issue serait espérée pour tout début février : sur quelles bases ? La France a-t-elle identifié de possibles redéploiements budgétaires que la Commission n'avait pas proposés ? Ou faudra-t-il raboter les lignes budgétaires de certaines politiques européennes ? Si oui, lesquelles sont dans le viseur ?
Enfin, je relève que le Conseil européen a confirmé la forte dynamique impulsée par la Commission européenne en matière de défense. Le rythme des initiatives en la matière est soutenu : la Commission annonce qu'elle présentera sa stratégie industrielle pour l'Europe de la défense (Edis) dès février 2024, ainsi qu'une nouvelle proposition pour un programme d'investissement dans l'Europe de la défense (Edip), alors que les derniers règlements pour renforcer l'industrie européenne de défense par des achats conjoints (Edirpa) et pour soutenir la production de munitions (Asap) viennent d'être adoptés et vont être mis en oeuvre en 2024. Comment se positionne la France devant cette accélération en matière de défense européenne ?
Sur ces sujets, certains larges, d'autres pointus, il est important de disposer d'une vision claire pour aborder les six mois à venir.
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée de l'Europe. - Nous avions en effet déjà discuté de l'importance des sujets à l'ordre du jour de ce Conseil européen : le soutien à l'Ukraine et l'élargissement, la révision à mi-parcours du cadre financier pluriannuel (CFP), le conflit au Proche-Orient, les questions de sécurité et de défense, les migrations, la COP28, la lutte contre les discours de haine...
Sur l'élargissement, le Conseil européen a pris la décision d'ouvrir les négociations d'adhésion avec l'Ukraine et la Moldavie. La Hongrie s'est abstenue, ce qui permet de préserver l'unité des Européens, puisque le résultat du Conseil européen l'engage : c'est une abstention constructive. Il s'agit d'un message politique fort adressé à Moscou, et d'un rappel que l'Union européenne dispose désormais d'une vision géostratégique de l'élargissement, telle qu'elle a été défendue par le Président de la République à Bratislava fin mai ; il s'agit également d'un message d'espoir pour les autorités et le peuple ukrainiens, qui luttent au quotidien contre l'agresseur russe. C'est le symbole du soutien sans faille que l'Union européenne apporte à l'Ukraine depuis le début de la guerre. Au-delà de l'ouverture des négociations, l'Union a réaffirmé qu'elle serait aux côtés de l'Ukraine pour répondre à ses besoins militaires, tenir les engagements européens de sécurité, travailler sur les avoirs gelés - en complément de l'aide bilatérale apportée par les États membres.
L'octroi du statut de pays candidat à la Géorgie est conditionné à la mise en oeuvre des nécessaires réformes en matière d'État de droit. On l'a vu, les négociations d'adhésion avec la Macédoine du Nord, ouvertes depuis plus de vingt ans, patinent, car celle-ci ne met pas en oeuvre une des réformes clés qu'est son accord avec la Bulgarie. Les progrès en matière d'État de droit sont déterminants - c'était la condition pour ouvrir les négociations d'adhésion avec l'Ukraine et la Moldavie. Le Conseil européen a également envoyé un signal clair à la Bosnie-Herzégovine en rappelant que les négociations d'adhésion seraient ouvertes lorsque les réformes nécessaires auraient été mises en oeuvre.
Vous organisiez, le 30 novembre dernier, une table ronde sur l'élargissement de l'Union et les réformes institutionnelles nécessaires pour éviter les blocages. Nous pourrons y revenir. La France a plaidé auprès de ses partenaires, et les a convaincus, que l'élargissement doit s'accompagner d'une révision de nos politiques communes, du financement, de la gouvernance, et du fonctionnement institutionnel de l'Union. On commence à en chiffrer le coût, en matière de politique agricole ou de cohésion. Cette Union élargie n'aura pas les mêmes priorités, et nous préserverons bien entendu les intérêts français dans les négociations. Pour ce faire, le Conseil européen a demandé à la présidence belge d'élaborer une feuille de route sur la réforme de l'Union européenne d'ici à l'été 2024. Cela peut paraître technocratique, mais il s'agit d'ancrer politiquement la nécessité de revoir les politiques européennes, leur budget et leur gouvernance, plutôt que d'élargir précipitamment.
D'ici à l'été sera également adopté l'agenda stratégique pour la nouvelle Commission européenne, qui amplifiera les orientations prises jusqu'ici : plan de relance européen, mutualisation d'achats de vaccins, financement d'armes pour l'Ukraine et, surtout, affirmation d'une Europe souveraine, dans le prolongement de l'agenda de Versailles, adopté après l'invasion de l'Ukraine par la Russie.
Pour tout cela, nous avons besoin de moyens financiers. Sur la révision du cadre financier pluriannuel (CFP), nous avons abouti à un équilibre qui a été gelé pour discussion jusqu'à la prochaine réunion du Conseil européen, le 1er février 2024. Pour la France, il s'agissait de limiter la facture pour les États membres, tout en assurant la pérennité du financement des priorités essentielles que sont le soutien à l'Ukraine, les politiques migratoires et la souveraineté technologique. Le fonds de souveraineté défendu par la France restera dans le CFP. Les positions se sont rapprochées, nous étions très proches d'un accord : c'est pourquoi le Conseil européen se réunira à nouveau le 1er février, en espérant conclure - quitte à y passer quatre jours, comme en juillet 2020 !
La défense nous tient à coeur. Sous la présidence française, nous avons lancé un effort industriel pour renforcer nos capacités de production et notre maîtrise des technologies de défense sur toute la chaîne d'approvisionnement des armées. Nous disposons donc déjà d'une stratégie industrielle de défense. Le Conseil européen a demandé à la Commission européenne de présenter en février un instrument pour favoriser à la fois les investissements et les acquisitions conjointes. Le Président de la République a insisté : il ne s'agit pas de créer un marché unique de la défense, mais un marché intégré, qui permette aux États de bénéficier d'une meilleure défense à un coût moindre. Cela nous permet aussi de conserver notre souveraineté en matière d'exportations.
Il y a eu une discussion sur la réforme du Pacte sur la migration et l'asile. Le Parlement européen est arrivé à un compromis. Cet accord nous permettra de mieux maîtriser les flux migratoires aux frontières extérieures tout en accueillant les demandeurs d'asile avec humanité. Renforcer les frontières, c'est préserver la liberté de circulation au sein de l'Union. Notre politique d'asile et d'immigration sera plus juste, plus humaine, plus efficace. Les contrôles aux frontières extérieures seront renforcés, avec un système d'enregistrement systématique et sécurisé ; les demandes seront traitées plus rapidement, ce qui est gage d'un accueil digne ; les États membres seront solidaires, puisque chacun accueillera des demandeurs d'asile ; les migrants économiques, qui n'ont pas vocation à bénéficier de l'asile, quitteront le territoire plus rapidement. En parallèle, nous continuons à travailler avec les pays de départ et de transit.
Sur le Proche-Orient, il y a convergence des objectifs, mais pas forcément des positions. La sécurité d'Israël, la paix et la sécurité de la région, la résolution de la crise humanitaire à Gaza, la défense du droit international humanitaire font consensus. La France a rappelé la priorité : la libération inconditionnelle des otages détenus par le Hamas. À ce titre, je présente mes condoléances à la famille d'Elia Toledano. Sur le volet humanitaire, la convergence est plus grande. Le Conseil européen a invité à coordonner les initiatives humanitaires pour qu'elles soient plus efficaces et plus rapides. Sur le volet sécuritaire, le Président a proposé une coordination renforcée en matière de sécurité maritime, alors que nos navires ont détourné des drones qui ciblaient un bateau norvégien. Au-delà des missions Atalante et Agénor, il s'agit de se coordonner pour lutter contre le terrorisme. Enfin, et cela a été répété, tous les États membres plaident pour une solution à deux États.
Deux mots sur la COP. Nous avons enclenché un mouvement global de transition hors des énergies fossiles et fixé un objectif de triplement de la production d'énergies renouvelables d'ici 2030. La position de l'Union européenne vient en soutien des solutions financières pour l'atténuation du réchauffement climatique, l'adaptation et son financement.
M. Jean-François Rapin, président. - Je vous avais fait part, avant la réunion du Conseil européen, de mes inquiétudes sur le budget de l'Union ; celles-ci demeurent, malgré vos explications. Nous manquons d'éléments probants sur les recettes et sur les ressources propres, alors que se profilent des dépenses importantes. Vous avez dit qu'il était hors de question que les États membres augmentent leur contribution ; je suis d'accord. Reste que les dépenses sont devant nous, à commencer par les 50 milliards d'euros pour l'Ukraine, qui ne me semblent pas être assortis de garanties à ce stade. Je reste dubitatif sur la façon dont l'Union relèvera ces défis budgétaires. Quand j'ai pris la présidence de notre commission, on ne se posait pas la question ; aujourd'hui, le manque de ressources est une vraie inquiétude.
Merci d'avoir fait un point sur le Proche-Orient.
Vous avez évoqué la libre circulation au sein de l'Union, ce qui me conduit à vous interroger sur l'avancée des discussions avec la Roumanie, qui demande à intégrer l'espace Schengen. Il faudrait avoir de la visibilité à ce sujet, d'autant que la Moldavie frappe à la porte, et que 80 % des Moldaves détiennent un passeport roumain. C'est un point de vigilance.
M. Dominique de Legge. - Sur la question de la souveraineté européenne en matière de défense, il va falloir sortir des ambiguïtés, car nous n'y comprenons plus rien. On joue sur les mots : entre politique industrielle et coopération en la matière, où se situe la frontière entre compétence nationale et compétence européenne ? En matière d'industrie de défense, pourquoi l'OTAN n'est-elle pas associée au débat ? On voit bien que, dans la pratique, nos partenaires européens sont tentés d'acheter du matériel et des équipements non européens... Il va falloir ouvrir les yeux, et dire clairement qui fait quoi et quelle alliance prime.
M. Jean-François Rapin, président. - Je rappelle que M. Dominique de Legge est rapporteur spécial de la commission des finances pour le budget de la défense.
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. - Le budget européen a été bouleversé tant par la guerre en Ukraine que par l'inflation, d'où la révision à mi-parcours du CFP. La Commission européenne a demandé une augmentation de ce budget, mais la plupart des États membres ont jugé que la somme demandée était beaucoup trop élevée. Nous avons demandé des redéploiements et une modération des dépenses de fonctionnement, des salaires des fonctionnaires, de leur nombre, à l'heure où les États membres ajustent leurs propres finances publiques.
Aujourd'hui, il y a une révision à la baisse de la demande initiale de la Commission européenne, et une discussion sur le financement de l'aide à l'Ukraine sur la durée. Les positions sont gelées et la négociation reprendra lors du Conseil du 1er février, sur les autres volets, et non seulement celui des 50 milliards d'euros pour l'Ukraine. Nous devrions aboutir. En arrivant au Conseil européen, la Hongrie disait non à tout ; elle a cédé sur l'ouverture des négociations d'adhésion avec l'Ukraine, ce qui était le plus important. Il aurait été difficile d'en obtenir plus d'elle, alors qu'elle s'était déjà partiellement dédite.
M. Jean-François Rapin, président. - Les mauvaises langues disent que cela aura coûté 10 milliards d'euros à l'Union...
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. - Cela est dû à une maladresse : la Hongrie a remis sa réforme de la justice en avril 2023 ; la Commission avait 90 jours pour l'examiner et libérer l'argent retenu dans l'attente de cette réforme. Il est regrettable qu'elle n'ait pas été plus rapide, car la concomitance avec le Conseil européen fait mauvais effet, c'est certain.
Sur les 50 milliards d'euros sur quatre ans prévus pour l'Ukraine, la négociation sera beaucoup plus difficile - toujours à cause de la Hongrie. Je pense que nous parviendrons à un compromis en nous engageant sur un an, ce qui sera déjà bien. Je rappelle qu'aux États-Unis, le blocage reste entier concernant le financement de l'aide à l'Ukraine.
Deux pays s'opposent à l'ouverture de Schengen à la Roumanie, largement pour des raisons électoralistes - une chose impensable chez nous ! Les Néerlandais sont revenus sur leur véto ; ils vont mettre du temps à former un gouvernement, ce qui n'est pas forcément une mauvaise chose... L'Autriche a demandé des données statistiques que la Roumanie a fournies : les choses devraient donc se débloquer petit à petit. Nous poussons en ce sens. La Bulgarie argue qu'il vaut mieux placer les agents de contrôle aux frontières extérieures de l'Union plutôt qu'à l'intérieur. Nous avançons doucement.
Sur la défense, tout d'abord, à l'évidence, les vingt-sept États membres de l'Union ne font pas assez en la matière. La guerre en Ukraine l'a cruellement montré : les dividendes de la paix que nous avons touchés se sont traduits, en Europe, par un recul des capacités de production industrielle, que nous devons désormais reconstruire.
Ensuite, en effet, l'idée est non pas de s'affranchir de l'OTAN, mais d'en constituer un pilier et de renforcer nos capacités de production, pour que nous soyons plus forts ensemble. Toutefois, si la prochaine élection présidentielle américaine se soldait par la victoire d'un candidat qui n'a jamais caché son mépris pour l'OTAN, voire son intention de s'en détourner, nous pourrions alors nous sentir un peu seuls.
Cette reconstruction de nos capacités industrielles pose plusieurs questions. La première porte sur la capacité d'investissement des pays européens et sur les moyens mis en commun. Ainsi, la France demande que les munitions soient produites en Europe, ce qui ne met pas en danger notre souveraineté. L'argent des contribuables européens doit servir à la fabrication de matériels européens et à la construction d'une capacité de production européenne. La seconde question a trait aux achats de matériel militaire américain, comme les avions F-35, par nombre de pays européens. En effet, ce matériel est doté d'une carte américaine qui permet de contrôler quand et comment il est utilisé, ce qui pose un véritable problème de souveraineté. C'est pourquoi nous encourageons le développement de solutions de substitution européennes. En outre, dans le cadre de la stratégie de défense définie par la Commission européenne, nous veillerons à la préservation de notre souveraineté et de nos capacités d'action.
Enfin, nous voulons rester une puissance souveraine. Nous sommes la seule puissance nucléaire de l'Union européenne, dotée d'un siège au Conseil de sécurité de l'ONU, ce qui n'est absolument pas remis en cause. Nous voulons aussi décider souverainement de nos exportations de matériel militaire. Les exportations sont nécessaires à la croissance de l'industrie, aussi ne souhaitons-nous pas qu'elles soient empêchées au motif que d'autres pays s'y opposeraient ; de même, nous refusons de nous voir imposer un mode de production particulier en la matière.
M. Jacques Fernique. - Pour ce qui concerne la situation au Proche-Orient, les États membres soutiennent une solution à deux États, qui est une position de principe historique depuis l'adoption de la résolution de l'ONU. Toutefois, la stratégie pour y parvenir n'est pas très visible. Aussi quelles initiatives l'Union européenne pourrait-elle prendre pour avancer dans ce sens ?
À propos de l'Ukraine et de la Moldavie, l'ouverture des négociations pour leur adhésion est un signal très positif envoyé à ces deux pays, mais également un signal envoyé à la Russie. Il semble qu'Olaf Scholz ait convaincu Victor Orban de quitter la salle afin de permettre aux vingt-six dirigeants européens de voter à l'unanimité l'ouverture des négociations d'adhésion. Je m'interroge toutefois sur le rôle joué par la France en la matière.
Au sujet du soutien financier accordé à l'Ukraine, la France figure en treizième position derrière l'Allemagne, les États-Unis, le Royaume-Uni et la Pologne. Nous pourrions certainement faire mieux politiquement et économiquement. Vous avez évoqué la large unanimité des Européens s'agissant de l'aide financière accordée à l'Ukraine dans le cadre financier pluriannuel, le véto de la Hongrie restant bloquant. Comment le Conseil européen compte-t-il surmonter cela ?
Enfin, sur la proposition de directive sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, nous sommes décontenancés de voir la France s'associer à la Pologne et à la Hongrie pour exclure le viol de son champ. Les négociations n'ont pas abouti et sont désormais repoussées. La France persistera-t-elle à défendre cette position si contestée ?
Mme Florence Blatrix Contat. - Ma première question a trait au Pacte de stabilité et de croissance. Avec Christine Lavarde, nous avons présenté ce matin une proposition de résolution européenne sur la réforme de ce Pacte soutenant la position française. Nous y insistons sur la nécessité de voir aboutir la réforme avant la tenue des élections européennes.
Nous saluons les avancées contenues dans l'accord conclu hier à ce sujet. Je forme le voeu que celui-ci plaide pour un calendrier en ce sens. Nous apportons tout notre soutien aux principes de différenciation et d'appropriation que nous avait exposés le ministre Bruno Le Maire, même si nous regrettons que les clauses de sauvegarde concédées aux pays dits frugaux amoindrissent la portée de ces deux principes. La clause de sauvegarde du volet correctif a été maintenue à 0,5 point du PIB par an, lorsque le déficit public dépasse les 3 % du PIB. Nous regrettons cependant que la proposition exclue les investissements « verts » de ce calcul.
À la suite de cet accord, la France estime qu'elle a été entendue au travers de la prise en compte de l'augmentation de la charge de la dette pour les années 2025, 2026 et 2027. Néanmoins, le terme « prise en compte » nous paraît relativement flou. Pouvez-vous nous en préciser les contours ?
Ma seconde question porte sur la révision du cadre financier pluriannuel, à propos duquel vous nous avez indiqué que nous étions très proches d'un accord. Je souscris aux préoccupations du président Jean-François Rapin. Là encore, nous regrettons la baisse du niveau d'ambition au regard de la proposition de la Commission européenne, qui était de 66 milliards d'euros.
Le montant « beaucoup trop » élevé que vous avez précédemment évoqué n'est-il pas nécessaire, néanmoins, pour répondre aux nouveaux défis auxquels nous devons faire face ? Les réflexions sur les pistes de nouvelles ressources propres avancent-elles réellement ? Plus précisément, cette baisse d'ambition impliquera des redéploiements des crédits de certaines politiques européennes. Pouvez-vous nous indiquer si la France sera concernée, et, le cas échéant, dans quel domaine ?
Mme Amel Gacquerre. - Tout d'abord, je salue la décision de l'Union européenne relative à l'ouverture des négociations d'adhésion avec l'Ukraine, qui était attendue de tous et qui rappelle notre soutien sans ambiguïté à l'Ukraine.
Toutefois, je souhaite évoquer les conséquences que l'adhésion de l'Ukraine pourrait emporter, notamment sur notre souveraineté agricole et alimentaire et, précisément sur l'agriculture française et européenne. L'Ukraine deviendrait le plus gros producteur agricole de l'Union ; cela renforcerait nos capacités exportatrices en la matière, ce qui serait une bonne chose. En revanche, les effets sur les aides de la politique agricole commune (PAC) en faveur de nos agriculteurs et sur les politiques agricoles des États membres seraient loin d'être négligeables. La PAC devra donc être repensée pour pallier les distorsions de concurrence entre États membres. Quel est l'état de vos réflexions sur ce sujet ?
Ensuite, je rebondis sur vos propos sur les investissements importants qui nous attendent en matière de transition écologique. Le président Rapin et moi-même sommes sénateurs du Pas-de-Calais. Qu'en est-il du soutien de l'Union européenne aux territoires - en France, dans les Hauts-de-France et le Pas-de-Calais, comme au sein de l'Union européenne - qui font face aux conséquences des catastrophes climatiques qu'ils ont subies ?
Mme Mathilde Ollivier. - Ma question porte sur le Pacte européen sur la migration et l'asile. Un certain nombre de mesures ont été adoptées, notamment le filtrage des personnes à l'arrivée, en fonction de la nationalité et du pays d'arrivée - qui pourrait s'apparenter à un triage -, la privation de liberté des personnes qui demandent l'asile, mais aussi le fichage dès l'enfance, puisqu'il pourra débuter à l'âge de six ans par la prise d'empreintes digitales. Or certaines de ces mesures contreviennent aux principes fondamentaux du droit d'asile, notamment à l'appréciation individuelle des situations des personnes qui déposent une demande d'asile. Quelle a été la position de la France lors de ces négociations ? Quelle est votre analyse sur ce texte européen ?
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. - Pour ce qui concerne la solution à deux États au Proche-Orient, la France a toujours soutenu que la seule façon d'aboutir à la paix dans la région était d'assurer à Israël son droit à la sécurité et aux Palestiniens leur droit à un État. À mon sens, il convient d'amener Israël à comprendre qu'un État palestinien sera un facteur de sécurité. Tel était le sens de l'entretien de la ministre Catherine Colonna, publié dans La Tribune Dimanche, le 22 octobre dernier. C'est pourquoi nous essayons de déterminer le moment le plus propice à la relance de ce processus.
Sur l'Ukraine et la Moldavie et le rôle d'Olaf Scholz, en cas de blocage lors des Conseils européens, des réunions en cercle restreint se tiennent à la marge, afin de lever les difficultés, notamment entre la présidente de la Commission européenne, le président du Conseil européen, les représentants de l'Allemagne, de la France, de l'Italie, parfois des Pays-Bas et, en l'occurrence, la Hongrie. Nombre de réunions préparatoires ont également eu lieu avant la tenue du Conseil européen. Il était important que Viktor Orban comprenne qu'il ne pouvait s'opposer seul à cette décision. La France, dès le déclenchement de la guerre, a évoqué la perspective européenne de l'Ukraine, a facilité l'octroi à l'Ukraine du statut de pays candidat lors de sa présidence du Conseil de l'Union européenne et participe désormais à l'ouverture des négociations d'adhésion.
Pour ce qui concerne l'aide financière à l'Ukraine, nous n'avons pas à nourrir de complexe en la matière. En effet, nous sommes le deuxième pays contributeur au budget de la facilité européenne pour la paix, qui fournit des armements à Kiev à hauteur de 1,2 milliard d'euros, soit plus du 18 % du budget total de 6,5 milliards d'euros. Nous formons 5 000 soldats ukrainiens sur les 30 000 soldats formés en Europe. Enfin - nous l'évoquions avec le sénateur de Legge -, la France a lancé la création d'instruments européens pour renforcer les industries de défense et pour aider les Ukrainiens dans la durée.
Au sujet de l'exclusion du viol de la proposition de directive européenne, le périmètre de ce texte est bien plus large, puisqu'il a trait aux violences faites aux femmes, et nous souhaitons enpréserver des dispositions, notamment celles qui visent à lutter contre la mutilation des organes génitaux féminins. Toutefois, en l'espèce, le blocage n'est pas lié à la France, mais à la Bulgarie, à la Hongrie, à la Lituanie, à la République tchèque et à la Slovaquie, des pays qui n'ont pas signé la convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, dite convention d'Istanbul, contrairement à la France et à l'Union européenne. Cette convention renvoie à la notion de consentement. Par conséquent, nous encourageons ces cinq pays à se rapprocher de ces dispositions ; je rappelle que l'Allemagne a adopté notre position.
S'agissant du Pacte de stabilité et de croissance (PSC), l'accord est de mon point de vue tout à fait honorable, d'abord parce qu'il concilie des positions éloignées les unes des autres, mais surtout parce qu'il reprend les piliers sur lesquels nous entendions insister. Il reprend, d'abord, le principe d'appropriation, qui est très important pour nous, car il permet de tenir compte de la situation spécifique de chaque État. Il reconnaît, ensuite, l'importance d'un véritable soutien aux investissements, lesquels seront facilités à la fois dans les domaines de l'environnement, du numérique et de la défense. Nous avons également négocié la possibilité d'un ajustement de l'effort de réduction du déficit des États à 0,2 ou 0,3 point de PIB par an, pour faire en sorte que ces États ne soient pas soumis à des règles et à des conditions d'emprunt excessivement restrictives. Ce point était crucial, même si, aujourd'hui, la plupart des économistes misent sur une baisse plutôt que sur une hausse des taux d'intérêt. Vous avez observé à juste titre qu'un certain nombre de lignes de crédit, notamment celles qui n'ont pas été consommées ou qui ont été sous-employées, sont redéployées. La France a réussi à préserver ses priorités : les migrations, l'Ukraine et la création d'un fonds de souveraineté européen, laquelle nous paraît essentielle si nous entendons continuer à recréer des emplois dans tous les territoires.
J'entends vos interrogations sur les conséquences d'un élargissement de l'Union européenne. Nous devons travailler ensemble à expliquer ce qui se passe en pratique. La durée moyenne pour qu'un nouvel État accède à l'Union européenne est de huit à quinze ans - cette durée a pu même aller jusqu'à vingt-quatre ans, dans le cas de la Macédoine. Il s'agit donc d'un processus qui se déploie dans un temps long. Il est dans notre intérêt de garder ces pays candidats dans notre giron et d'éviter qu'ils dérivent vers la sphère d'influence de la Russie, de la Chine ou d'autres pays peu amènes. J'y insiste d'autant plus que l'on assiste à de nombreuses tentatives de déstabilisation, notamment dans les Balkans occidentaux. En outre, ces pays sont appelés à se réformer pour atteindre nos standards en matière d'État de droit, comme dans les domaines économique, social ou environnemental, ce qui prendra naturellement du temps. Nous n'en sommes donc qu'à la première phase ; la prochaine étape sera celle de l'établissement du cadre des négociations, qui devrait finalement se dérouler à la fin du premier semestre 2024. C'est à ce moment-là que nous définirons nos exigences à l'égard des candidats à l'adhésion en matière agricole, économique, sociale ou environnementale. Ensuite seulement débutera le processus d'ouverture des négociations sous la forme d'une conférence intergouvernementale, un processus qui, je le répète, peut durer cinq, dix, voire vingt ans.
Dans le même temps, nous devons réformer nos politiques. Nous venons de parler de défense européenne comme nous n'en avons jamais parlé depuis trois ans. Nous devons faire en sorte que cette réforme respecte nos souverainetés respectives, qu'elle bénéficie de financements suffisants et d'une gouvernance adéquate, ce qui prendra également beaucoup de temps - les négociations ne devraient démarrer qu'en 2025.
À ce titre, vos suggestions, comme tous les travaux que vous serez amenés à réaliser, seront évidemment très utiles. À mon sens, il y a un changement de logiciel à opérer : nous nous orientons vers une structuration de la défense européenne autour de cercles concentriques - ce n'est pas un tabou : nous le faisons avec l'euro.
À propos de la politique agricole, je prendrais l'exemple de l'Espagne à qui l'on a demandé, il y a quelques années, après son adhésion à l'Union, une période de transition de dix ans pour l'intégration de ses produits agricoles dans le marché européen, afin de protéger notre agriculture. Aujourd'hui, les points de vue divergent sur les risques que ferait peser l'adhésion de l'Ukraine sur nos agricultures. Certains pays la craignent, quand d'autres sont persuadés que, compte tenu de la grande taille des exploitations agricoles ukrainiennes, elles n'auront droit à aucune aide dans le système futur. Prenons le temps d'y réfléchir.
S'agissant du Fonds de solidarité de l'Union européenne (FSUE), sachez que nous avons prévenu la Commission européenne que la France souhaitait y avoir recours à la suite des inondations dans les Hauts-de-France. Nous disposons de dix semaines pour déposer notre dossier, et sommes en train de faire le nécessaire auprès des services déconcentrés pour être en mesure de respecter ce délai - toute aide de votre part à cet égard sera évidemment la bienvenue. Sur le plus long terme, la question de l'évolution et de l'adaptation du FSUE pour une meilleure prise en charge des catastrophes naturelles est en cours de réflexion.
M. Jean-François Rapin, président. - Madame la ministre, les aides du FSUE ne peuvent être débloquées qu'une fois le montant des dégâts définitivement arrêté. C'est un vrai problème ! Prenons l'exemple spécifique des inondations en France : certains territoires sont encore sous l'eau, si bien que le montant des travaux à réaliser ne peut toujours pas être estimé et que le délai de dix semaines, que vous venez d'évoquer, ne suffira pas. Que faire face à la réalité du terrain, en particulier dans le Pas-de-Calais, un territoire que je connais bien ? Ce mécanisme de solidarité est certes intéressant, mais sa mise en oeuvre pratique est beaucoup trop complexe.
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. - D'autres États membres rencontrent le même type de problèmes. C'est, du reste, la raison pour laquelle nous avons engagé cette réflexion sur le FSUE. Si vous souhaitez aborder les difficultés propres aux Hauts-de-France, monsieur le président, je me tiens évidemment à votre disposition pour que l'on tente de trouver une solution.
J'en reviens aux questions que l'on m'a posées concernant le Pacte sur la migration et l'asile.
Il me semble que, au vu des divergences entre États membres, nous avons trouvé un compromis acceptable, dont chacun devrait se réjouir. Cela fait dix ans que l'on patauge dans ce domaine, car nous faisons face à un petit groupe de pays très hostiles à tout flux migratoire - je me souviens de cinq ou six pays, que je ne citerai pas, qui souhaitaient construire des murs, mettre en place des barbelés, etc. Nous avions, à l'époque, résumé notre position par le slogan : « pas de briques, pas de mortier et, donc, pas de mur ».
Madame Ollivier, vous avez parlé d'un « filtrage » des migrants. En réalité, au moins deux catégories de personnes demandent à entrer sur le territoire de l'Union : d'un côté, il y a les demandeurs d'asile qui viennent de pays où ils sont menacés pour des motifs divers - persécution religieuse, guerre, etc. - ; de l'autre, il y a des individus qui se présentent aux frontières de l'Union, simplement parce qu'il s'agit pour eux d'une voie de passage, en vue d'une migration économique. Ces derniers, contrairement aux demandeurs d'asile, se font immanquablement refouler et doivent alors retourner dans leur pays : il ne s'agit donc pas d'un filtrage selon la nationalité des migrants, mais de procédures de retour normales pour faire face à la hausse de cette migration de nature économique. Celles-ci sont, certes, souvent accélérées, mais c'est parce que notre priorité est de désengorger les services qui traitent les demandes d'asile.
Vous avez également parlé d'un « fichage » : il est normal que les personnes qui se présentent aux frontières de l'Union soient enregistrées, qu'on leur fasse passer des tests sanitaires - beaucoup d'entre elles sont malades -, ou sécuritaires. Cette procédure nous permet de traiter les demandes plus rapidement que par le passé, ce qui, d'une certaine manière, contribue à un traitement plus humain des situations. J'ajoute que ce « fichage » ne concerne que les familles : les mineurs non accompagnés en ont été exclus. C'est la preuve que nous veillons à un certain équilibre en la matière. Enfin, il ne faut pas oublier les quelques avancées que nous avons obtenues : gratuité du conseil juridique aux migrants, meilleur accompagnement des demandeurs, et attention particulière aux solutions d'hébergement pour les familles qui ont déposé une demande d'asile. À mon sens, une véritable solidarité s'est manifestée entre les Vingt-Sept en matière d'asile et de migration alors que, comme vous le savez, c'était loin d'être évident, en raison notamment du blocage de la Hongrie et de la Pologne.
M. Jean-François Rapin, président. - Je vous remercie, madame la Ministre.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Questions diverses - Désignations de rapporteurs
M. Jean-François Rapin, président. - Il nous revient de procéder à quelques nominations de rapporteurs.
D'abord, le groupe Union centriste nous a informés souhaiter finalement désigner M. François Bonneau pour siéger au sein du groupe de suivi "accords commerciaux de l'Union européenne" au titre de notre commission, en lieu et place de Mme Amel Gacquerre. Mme Gacquerre siégera finalement dans ce groupe de travail au titre de la commission des affaires économiques (en lieu et place de M. Franck Menonville).
En outre, le groupe de suivi Espace, créé en commun par la commission des affaires économiques, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, la commission des finances et notre commission, est en cours de reconstitution. Christine Lavarde et moi-même y participions et je propose de nous reconduire dans ce groupe. Un troisième représentant de notre commission doit être nommé en remplacement de notre ancien collègue André Gattolin ; j'avais naturellement pensé à Georges Patient, membre lui aussi du grope RDPI et intéressé notamment au titre du Centre spatial guiyanais qui relève de sa circonscription, mais il est déjà nommé dans le groupe Espace au titre de la commission des finances. Je vous propose donc la nomination d'un représentant membre d'un autre groupe d'opposition : Didier Marie (SER)
Je voudrais aussi vous proposer la nomination de rapporteurs sur plusieurs sujets que le bureau de notre commission envisagés au titre de notre mission de contrôle : d'une part, dans la perspective de la possible création d'un diplôme européen qu'envisage la Commission européenne, l'occasion devrait être saisie de tirer un bilan des universités européennes, ces réseaux stratégiques entre établissements d'enseignement supérieur européens créés depuis 2019. Je propose d'en confier le soin à nos collègues Ronan Le Gleut et Karine Daniel.
Nous sommes convenus en Bureau de nous pencher sur la tension entre bureaucratie européenne et diversité nationale. C'est un sujet que nous envisagions déjà de creuser, et la sortie italienne à la COSAC de Madrid sur la préférence de la Commission pour les règlements plutôt que les directives nous y encourage. Nous pourrions y aborder aussi le manque d'études d'impact, le recul du plurilinguisme, l'abus d'actes délégués et d'exécution, l'interprétation extensive que fait la Commission des bases juridiques invoquées pour justifier ses initiatives et la procédure de notification préalable qui se concilie mal avec la procédure parlementaire nationale. Je me propose de mener ce travail avec deux ci-rapporteurs, qui pourraient être Didier Marie qui suit les sujets institutionnels et Catherine Morin-Desailly.
Je voudrais également vous proposer la nomination de rapporteurs sur deux sujets que le bureau de notre commission a envisagés au titre de notre mission de contrôle : d'une part, dans la perspective de la possible création d'un diplôme européen qu'envisage la Commission européenne, l'occasion devrait être saisie de tirer un bilan des universités européennes, ces réseaux stratégiques entre établissements d'enseignement supérieur européens créés depuis 2019. Je propose d'en confier le soin à nos collègues Ronan Le Gleut et Karine Daniel.
Enfin, nous sommes convenus en Bureau de nous pencher sur la tension entre technocratie européenne et diversité nationale. C'est un sujet que nous envisagions déjà de creuser, et nous y avons été encouragés encore par la sortie italienne à la COSAC de Madrid dénonçant le fait que la Commission choisit de plus en plus de recourir à l'outil des règlements, qui sont directement applicables, plutôt qu'aux directives qui doivent être transposées dans chaque Etat membre pour y être applicables. Nous pourrions y aborder aussi le manque d'études d'impact, le recul du plurilinguisme, l'abus d'actes délégués et d'exécution, l'interprétation extensive que fait la Commission des bases juridiques invoquées pour justifier ses initiatives et la procédure de notification préalable qui se concilie mal avec la procédure parlementaire nationale. Je me propose de mener ce travail avec deux co-rapporteurs, qui pourraient être Didier Marie et Catherine Morin-Desailly.
Il en est ainsi décidé.
La réunion est close à 11 h 05.