- Mercredi 13 décembre 2023
- Proposition de loi visant la prise en charge par l'État de l'accompagnement humain des élèves en situation de handicap sur le temps méridien - Désignation d'un rapporteur
- Audition de M. Roch-Olivier Maistre, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom)
- Mission conjointe de contrôle sur le signalement et le traitement des pressions, menaces et agressions dont les enseignants sont victimes - Audition de Mme Céline Berthon, directrice générale adjointe de la police nationale, et M. le général de corps d'armée André Petillot, major général de la gendarmerie nationale
Mercredi 13 décembre 2023
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 09 h 30.
Proposition de loi visant la prise en charge par l'État de l'accompagnement humain des élèves en situation de handicap sur le temps méridien - Désignation d'un rapporteur
La commission désigne Mme Anne Ventalon rapporteure de la proposition de loi visant la prise en charge par l'État de l'accompagnement humain des élèves en situation de handicap sur le temps méridien.
Audition de M. Roch-Olivier Maistre, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom)
M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir ce matin M. Roch-Olivier Maistre, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), que je remercie d'avoir accepté notre invitation. Monsieur le Président, cette audition est bien entendu l'occasion non seulement de revenir sur votre rapport d'activité, de faire un bilan des premières années d'existence de l'Arcom, mais surtout d'aborder avec vous les nombreux sujets d'actualité liés à l'audiovisuel et au numérique. Ces derniers concernent bien entendu l'audiovisuel public, auquel les membres de la commission demeurent particulièrement attachés, mais dont l'avenir suscite chez bon nombre d'entre nous des interrogations, pour ne pas dire des inquiétudes. Ces questionnements concernent d'abord la stratégie du gouvernement à l'égard des sociétés de l'audiovisuel public. Nous avons bien compris que la réforme du secteur de l'audiovisuel n'était pas la priorité de la ministre de la culture ! Pour autant, en décalant de mois en mois la présentation des nouveaux contrats d'objectifs et de moyens (COM), nous en venons à nous interroger sur la nature des objectifs que l'actionnaire public entend assigner aux entreprises de l'audiovisuel public pour la période 2024-2028, qui commence maintenant dans trois semaines.
Ces inquiétudes portent également sur les modalités de financement des sociétés de l'audiovisuel public. Alors que la poursuite du financement via une fraction de TVA est suspendue à une éventuelle réforme de la loi organique relative aux lois de finances, nous sommes là encore dans l'attente de précisions du gouvernement.
Je ne vous demanderai pas, Monsieur le Président, si vous partagez l'ensemble de ces interrogations qui ont malheureusement conduit le Sénat à rejeter les crédits de l'audiovisuel public, il y a une dizaine de jours. Si j'ai bien conscience qu'il ne nous appartient pas de commenter les choix du gouvernement - ou plutôt son absence de choix -, je ne peux résister à l'envie de connaître le sentiment du régulateur sur le climat d'incertitude qu'ils font peser.
Ces incertitudes sont d'autant plus regrettables que les acteurs de l'audiovisuel sont contraints de poursuivre leur mutation pour répondre à l'évolution des usages et des technologies. Parmi ces mutations, il en est une dont nous avons débattu ici même en janvier dernier, qui concernait la diffusion des services de radio sur le numérique terrestre. À l'occasion de cette table ronde, vous aviez annoncé votre intention, en présence de l'ensemble des acteurs du secteur, premièrement de donner un coup d'accélérateur au déploiement du DAB+ (Digital Audio Broadcasting) afin de trouver une solution à la saturation de la bande FM et, deuxièmement, de préparer un Livre Blanc sur l'avenir de la radio, à l'image de l'initiative prise en son temps par le régulateur britannique. Un an après ces annonces, pouvez-vous, Monsieur le Président, nous informer des progrès accomplis dans ces deux domaines ? L'ensemble des éditeurs vous ont-ils suivi sur un terrain qu'ils semblaient redouter, faute d'accompagnement financier suffisant de l'État ?
Monsieur le Président, je souhaiterais compléter ce propos introductif par quelques mots sur la lutte contre le piratage, à laquelle notre commission, comme l'Arcom, est particulièrement attachée. Nous avions organisé en octobre 2022, en présence de M. Denis Rapone, une table ronde sur la mise en oeuvre de l'article 3 de la loi du 25 octobre 2021, donnant à l'Arcom la possibilité de bloquer les sites miroirs retransmettant illégalement les événements sportifs. La question problématique du partage des coûts du blocage avait été évoquée, de même que la nécessité d'impliquer l'ensemble des intermédiaires de l'écosystème Internet pour rendre la procédure encore plus efficace. Où en sommes-nous aujourd'hui ? Comment réagir à la commercialisation florissante des boîtiers illégaux d'IPTV (« Internet Protocol Television »)?
Enfin, Monsieur le Président, nous sommes intéressés de vous entendre sur la façon dont les médias français couvrent le conflit au Moyen-Orient. Vous avez organisé il y a quelques jours une réunion avec les principaux acteurs. Pourriez-vous nous préciser si vous considérez que la couverture de ces événements par les médias français correspond aux exigences de l'Arcom ?
Je vais à présent, Monsieur le Président, vous laisser la parole, non sans avoir préalablement rappelé que cette audition est diffusée en direct sur le site Internet du Sénat.
M. Roch-Olivier Maistre, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). - Monsieur le président, Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, permettez-moi d'abord d'exprimer mes vives félicitations à toutes celles et tous ceux d'entre vous qui ont été élus ou réélus à l'occasion du récent renouvellement du Sénat. J'ai naturellement une pensée particulière pour vous, Monsieur le président, qui venez d'être reconduit à la tête de cette belle commission. Je salue également la désignation M. Cédric Vial comme rapporteur sur des sujets que nous aurons en partage. Je suis très heureux que nous puissions poursuivre nos échanges auxquels j'accorde, vous le savez, la plus grande importance. Nous avons eu la chance depuis cinq ans de toujours bénéficier à la fois de l'écoute de votre commission, mais surtout de son soutien. L'investissement et l'expertise de votre commission, reconnus de longue date dans le domaine audiovisuel, sont très précieux pour l'ensemble du secteur. Les défis auxquels sont confrontés les acteurs tant publics que privés de notre paysage audiovisuel, rendent en effet plus nécessaire que jamais l'attention des pouvoirs publics dans leur ensemble aux difficultés qu'ils rencontrent.
La présentation devant votre commission de notre premier rapport d'activité, puisque l'Arcom a vu le jour le 1er janvier 2022, va me permettre dans un premier temps, de revenir sur le bilan de l'Autorité, qui a été très profondément transformée sous l'impulsion du Parlement et tout particulièrement du Sénat. Elle est pleinement opérationnelle depuis sa création. Dans un deuxième temps, j'évoquerai les transformations qui sont à l'oeuvre dans le secteur et leurs implications pour les opérateurs, comme pour les pouvoirs publics. Mon dernier point, enfin, abordera les grands chantiers de l'Arcom pour l'année à venir, dernière année de mon mandat.
Comme en témoigne ce premier rapport d'activité, l'Arcom a été à pied d'oeuvre pour achever sa création et remplir ses différentes missions. Quelques chiffres parlent d'eux-mêmes. En 2022, le collège de l'Arcom s'est réuni 77 fois en formation plénière, a étudié près de 1 100 dossiers et a organisé plus de 38 auditions sur les questions du secteur.
S'agissant des échéances principales de cette première année d'exercice, l'organisation des élections présidentielles et législatives, a naturellement, très fortement mobilisé nos équipes en charge du contrôle du pluralisme, en lien étroit avec les médias audiovisuels, les plateformes numériques, les partis politiques, bien évidemment, et les équipes des différents candidats. Nous préparons d'ores et déjà très activement le scrutin européen de juin 2024 qui représente un enjeu majeur. L'année 2022 a été également marquée par d'importants projets de consolidation dans le secteur audiovisuel qui ont beaucoup mobilisé les services de l'Autorité. Je pense au projet de rapprochement entre TF1 et M6 qui n'a pu aboutir, mais aussi au projet d'offre publique d'achat, désormais autorisé, du groupe Vivendi sur le groupe Lagardère. Je mentionnerai également le processus de nomination que nous avons conduit l'année dernière, d'une part à la présidence de Radio France et, d'autre part, à la présidence de France Médias Monde. Une autre échéance majeure de cet exercice a été le renforcement de notre engagement européen et international, d'abord au sein du réseau européen des régulateurs, l'ERGA (European Regulators' Group for Audiovisual Media Services), où l'Arcom joue un rôle central, mais aussi au sein du Réseau Francophone des Régulateurs des Médias (REFRAM) qui rassemble tous les régulateurs qui ont notre langue en partage et dont nous avons pris la présidence en 2022, jusqu'en 2024.
Je citerai enfin, vous l'avez évoqué Monsieur le président dans votre propos liminaire, la lutte contre le piratage avec les nouveaux outils dont le Parlement a doté l'Arcom. Le Sénat a joué un rôle décisif en la matière. Pour la seule année 2022, c'est plus de 1 600 sites illicites que nous avons bloqués dans le seul domaine du sport. À la date d'aujourd'hui, on est au-delà de 2 500 sites. C'est un effort tout à fait spectaculaire. Il y a incontestablement un avant et un après. À cet égard, nous pensons d'expérience que le cadre juridique adopté en 2021 pourrait probablement être encore renforcé concernant le piratage culturel cette fois, en particulier dans le domaine du cinéma, par quelques ajustements du cadre juridique visant à accélérer les délais de traitement afin de limiter les phénomènes de contournement et d'étendre la portée du dispositif.
Au-delà de ces importants sujets qui ont marqué notre première année d'activité, nous avons traité d'autres dossiers très structurants pour une première année d'exercice. Nous avons lancé un observatoire des podcasts. Le déploiement de la radio numérique terrestre a été accéléré afin de couvrir dans quelques semaines plus de 60 % de la population métropolitaine. Je pense également à notre campagne « Enfants et écrans », au titre de nos activités de protection des plus jeunes, ou à la conclusion des « contrats-climat » qui marquent l'investissement de notre Autorité sur les sujets de protection de l'environnement.
En parallèle, il nous a fallu mener à bien la transformation de notre institution. De nombreux chantiers ont été menés de front. Notre collège a été élargi à neuf membres désignés par cinq autorités différentes. Nous avons adopté un plan stratégique pour l'Autorité qui couvre la période qui nous mènera jusqu'à 2025. Nous avons créé, au titre de nos nouvelles compétences, une direction de la création qui couvre l'ensemble de la protection du champ de la création, de la fixation des obligations en matière de financement de la production qui pèse sur nos acteurs jusqu'à la protection du droit d'auteur. Nous avons organisé la montée en puissance de notre nouvelle direction des plateformes en ligne pour mettre en oeuvre les nouvelles compétences qui sont les nôtres en matière de régulation des grands acteurs de l'Internet. Nous avons, conformément à la loi, organisé la fusion de nos instances sociales et de nos règlements de gestion. Nous avons regroupé nos locaux pour accueillir l'ensemble de nos collaborateurs à la suite de la fusion entre l'ancien Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et l'ancienne Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi). Nous allons d'ailleurs devoir chercher une nouvelle implantation puisque notre propriétaire nous a fait part de son intention d'effectuer des travaux de restructuration majeurs dans notre site historique, la Tour Mirabeau, que nous allons devoir quitter. Nous emménagerons dans de nouveaux locaux, au plus tard fin 2024. Ce mandat aura donc été particulièrement riche.
Un mot maintenant, si vous le voulez bien, sur les transformations de notre paysage audiovisuel, qui impliquent à nos yeux, et je sais que votre commission l'est également, d'être particulièrement à l'écoute et en appui de l'ensemble de nos opérateurs nationaux, publics ou privés, pour les accompagner dans leur indispensable réorientation stratégique. Ces transformations sont de trois ordres. Nous observons tout d'abord, vous le savez, une profonde transformation, voire une révolution des usages. On ne consomme plus les contenus audiovisuels comme on les consommait dans ma jeunesse, sur le canapé familial, en regardant l'écran de télévision au salon. Cette transformation des usages s'exprime notamment par la bascule de la consommation des contenus vers des consommations de plus en plus à la demande. La durée d'écoute individuelle, qui est l'instrument de mesure pour tous les opérateurs de télévision est en diminution structurelle. Elle s'est contractée de près de 20 % sur les trois dernières années. C'est impressionnant. Plus de 50 % des foyers français sont aujourd'hui abonnés à au moins un service de vidéos à la demande. L'âge moyen du téléspectateur de la télévision traditionnelle est aujourd'hui pratiquement de 58 ans. Il est proche de 65 ans pour le service public. Quant aux jeunes générations, elles privilégient naturellement d'autres vecteurs et d'autres contenus. J'illustrerai mon propos par deux exemples. Deux tiers des moins de 15 ans se rendent chaque jour sur Snapchat. Les réseaux sociaux constituent le premier mode d'accès à l'information pour 71 % des 15-34 ans. Nous assistons à une fracturation de la consommation des contenus qui est très frappante.
Cette transformation des habitudes est portée par de nouveaux équipements audiovisuels. Les écrans se multiplient. Leur nombre s'établit en moyenne aujourd'hui à 6 par foyer. 88 % des foyers français sont maintenant équipés d'un téléviseur connecté. Le téléviseur devient chaque jour un peu plus un « magasin d'applications », à l'instar de nos téléphones. L'usage « hors télévision » représente déjà entre un tiers et la moitié du temps qu'y consacrent les plus jeunes, de 4 à 34 ans.
La réalité des usages et des modes de réception entraîne une reconfiguration du marché. Les plateformes de streaming vidéo, telles que Netflix, Disney+, Amazon Prime, Apple, HBO Max, et Paramount+, constituent pour nos groupes nationaux une concurrence croissante qui pèse sur l'acquisition, les coûts, la diffusion de programmes inédits et l'accès aux talents. Notre paysage est également percuté par le poids croissant des acteurs du numérique, les fameux GAFAM, qui sont pour la plupart extra-européens. Ces derniers absorbent à eux seuls plus de la moitié des ressources publicitaires consacrées aux médias. Deux tiers des recettes de la publicité numérique en France ont été captées en 2022 par trois opérateurs, Google, Meta et Amazon. Ce constat n'est évidemment pas neutre pour TF1, M6 et l'ensemble de nos opérateurs nationaux.
Dans ce contexte, il importe de préserver le modèle économique et culturel de nos acteurs nationaux. Tous nos groupes audiovisuels sont engagés dorénavant dans des réorientations stratégiques. Celles-ci les amènent à consentir des investissements importants, technologiques ou dans les contenus. Ces réorientations stratégiques témoignent du dynamisme et de la résilience de nos entreprises, qu'il convient de saluer ici. On ne le fait peut-être pas suffisamment alors que nous pouvons être fiers de nos groupes audiovisuels et du dynamisme de leurs dirigeants. Nos groupes, qu'ils soient publics ou privés, sont aujourd'hui engagés dans un mouvement pour aller chercher les publics là où ils sont, notamment les publics les plus jeunes que j'ai évoqués, en renforçant leurs stratégies digitales, en ajustant leurs stratégies éditoriales et en diversifiant leurs modalités de distribution.
En ce qui concerne les acteurs privés, cette réorientation stratégique implique de dégager des marges de manoeuvre financières, en particulier pour faire face à la concurrence sur les revenus publicitaires. Ces derniers sont à la baisse pour le secteur de la radio. Ils sont à peu près stables pour la télévision, à un moment où les acteurs doivent s'engager dans des investissements. Alors que certains acteurs du numérique peuvent capter tranquillement cette ressource publicitaire, nos acteurs sont soumis à des contraintes réglementaires importantes. Face aux asymétries réglementaires, l'heure est probablement venue d'engager une réflexion sur des adaptations. Je pense en particulier à la question récurrente des secteurs interdits de publicité, et à celle, souvent évoquée dans cette enceinte, des mentions légales pour la radio.
S'agissant de l'audiovisuel public, il joue un rôle fondamental dans l'équilibre du paysage audiovisuel, puisqu'il représente 30 % des audiences, ainsi que dans le financement de la création et dans l'information de nos concitoyens. Son indépendance et ses modalités d'action devant être garanties, le gouvernement a fait connaître la trajectoire pluriannuelle de financement qu'il propose pour la période 2024-2028. L'Arcom a souvent eu l'occasion de le dire : un service public fort est non seulement un service public bien financé avec les garanties de financement qui s'y attachent, mais aussi un service public qui sait créer les conditions des synergies éditoriales et organisationnelles qui sont nécessaires pour remplir au mieux ses missions au service des Français. Ainsi que l'Arcom l'a régulièrement affirmé, rejoignant les préoccupations de votre commission, la réussite du rapprochement des réseaux régionaux de France Télévisions et de Radio France, tout comme le développement de France Info, exigeront vraisemblablement une réponse appropriée en termes de gouvernance pour piloter de manière efficace des projets structurants pour notre audiovisuel public.
Tous ces chantiers sont au coeur des priorités de l'Arcom pour l'année à venir, qui sera marquée par plusieurs échéances. L'Arcom va d'abord poursuivre son engagement dans la mise en oeuvre du règlement européen sur les services numériques. C'est la nouvelle frontière de la régulation. J'en avais fait personnellement la priorité de mon mandat, afin que cette Autorité épouse son temps et puisse s'investir pleinement dans ce nouveau champ de la régulation. Le règlement européen sur les services numériques, le DSA (Digital Services Act), bien connu du Sénat, est entré dans sa première phase d'application, pour les très grandes plateformes, le 25 août 2023. Il sera pleinement applicable pour l'ensemble des plateformes concernées par ce texte, le 17 février 2024. Il étend et renouvelle profondément les missions de l'Autorité en matière de supervision des plateformes en ligne. Il va renforcer très singulièrement notre positionnement auprès de la commission européenne puisque la gouvernance de ce règlement européen est centrée autour de la commission européenne, en associant des autorités nationales désignées par chaque pays membre de l'Union.
Le projet de loi porté par le ministre délégué chargé du numérique, M. Jean-Noël Barrot, déjà voté au Sénat et à l'Assemblée, qui doit être examiné en commission mixte paritaire au début de l'année prochaine, devrait désigner l'Arcom comme autorité nationale pour la France. Pour porter ces nouvelles missions très attendues, visant à garantir un Internet plus sûr, nos équipes sont en cours de consolidation grâce aux moyens qui nous ont été attribués en loi de finances pour 2023 et ceux qu'il est prévu de nous accorder dans le projet de loi de finances pour 2024. Une fois adopté, le projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique (SREN) devrait désigner l'Arcom comme coordinateur national pour la France de ce texte aux côtés de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. C'est une responsabilité à laquelle nous nous préparons activement.
Par ailleurs, plusieurs dossiers majeurs en télévision et en radio figurent à notre agenda pour les mois qui viennent. Tout d'abord, nous sommes engagés dans un moment inédit. Les autorisations de quinze services de la TNT nationale arriveront à échéance en 2025. C'est une première dans l'histoire de notre télévision. C'est bien évidemment un dossier à très fort enjeu pour le secteur. Nous sommes d'ores et déjà engagés dans ce processus. Conformément à la loi, nous avons déjà mené une consultation publique dont la synthèse sera publiée dans les prochains jours, et nous finalisons une étude d'impact qui vous fournira un grand nombre d'informations sur l'état de la télévision aujourd'hui en France. Celle-ci sera examinée très prochainement par le collège, puis rendue publique avant la fin de cette année. Puis nous lancerons, dans les premières semaines de 2024, un appel à candidature pour l'attribution des fréquences qui arrivent à échéance. J'ajoute que le gouvernement a souhaité que France Télévisions puisse déployer l'ultra haute définition (UHD), norme supérieure en termes de qualité, d'image et de son, à l'occasion des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, ce que l'Arcom a autorisé tout récemment.
Dans le secteur de la radio, nous poursuivons nos travaux pour étendre le DAB+. La rédaction du Livre Blanc sur l'avenir de ce média progresse à grand pas. Nous avons achevé le cycle d'auditions de l'ensemble des acteurs. Nous sommes dans la phase de rédaction. Les conclusions seront publiées dans le courant du premier trimestre 2024.
Enfin, un autre dossier d'ampleur, qui touche à notre souveraineté, est devant nous. Il s'agit des services d'intérêt général, qui visent à préserver la bonne exposition de nos acteurs nationaux et de leurs programmes dans le nouvel environnement des téléviseurs et des interfaces d'accès aux services audiovisuels. Nous serons amenés à statuer sur cette question dans les toutes prochaines semaines. La réflexion de l'Autorité, après consultation des acteurs, est d'ores et déjà très avancée.
Sur l'ensemble de ces sujets, les États généraux de l'information auxquels l'Arcom entend contribuer, vont permettre l'élaboration d'une réflexion transversale et approfondie pour préparer l'avenir d'un secteur qui est placé au coeur de notre démocratie et de la vie quotidienne de nos concitoyens. Les travaux menés à l'échelon européen, notamment en matière d'intelligence artificielle ou de liberté des médias, contribueront aussi à doter notre continent d'un cadre juridique adapté aux transformations du moment.
D'importants défis sont devant nous. Je n'en citerai que trois. Le premier est de permettre à nos médias nationaux de se doter d'un modèle économique résilient pour assurer leurs missions, notamment celle de nous informer, alors que la situation internationale et les défis que traversent nos sociétés nécessitent plus que jamais une information pluraliste, honnête, indépendante et rigoureuse, qui contribue pleinement à la formation des opinions publiques et au débat démocratique. Le deuxième défi consiste à lutter plus efficacement contre la désinformation, la haine en ligne, les ingérences étrangères et les actions déstabilisatrices qu'un bon auteur a prêtées aux « ingénieurs du chaos » qui ciblent parfois notre pays, notre continent et ses valeurs. Le troisième défi vise à protéger la liberté d'expression et le pluralisme des médias dans un climat de polarisation extrême du débat. Soyez assurés que l'Arcom est pleinement mobilisée à la place qui est la sienne sur l'ensemble de ces réflexions stratégiques.
M. Laurent Lafon, président. - Merci, Monsieur le Président, pour cette présentation très complète des actions de l'Arcom ainsi que des enjeux pour l'année à venir. Sans plus tarder, je donne la parole à mes collègues, en commençant par notre rapporteur, M. Cédric Vial.
M. Cédric Vial. - Merci pour vos propos exhaustifs et précis. Je souhaiterais vous poser trois questions assez ciblées. La première concerne les crédits de l'audiovisuel public que nous avons examinés la semaine dernière au Sénat. Le gouvernement envisage de faire bénéficier le secteur de l'audiovisuel public d'environ 200 millions d'euros entre 2024 et 2026 pour financer des projets, au titre de crédits de transformation, dans le cadre des COM. Ce versement de 200 millions d'euros pourrait être retiré si les résultats ne sont pas conformes aux objectifs de ces projets de transformation, qui n'ont pas encore été transmis au Parlement. Savez-vous comment seront évalués ces résultats ? Participerez-vous à leur évaluation ? Quel rôle jouera l'Arcom? L'Arcom formule habituellement des observations, en général assez mesurées, sur l'exécution des COM. Comment ces observations seront-elles traduites dans le nouveau cadre que le gouvernement souhaite poser ?
Ma deuxième question concerne les États généraux de l'information. Vous l'avez évoqué sur la fin de votre intervention. L'Arcom a lancé une étude sur l'avenir du marché publicitaire. Ce marché se déplace vers le numérique. Cette ressource se réoriente vers les moteurs de recherche et les réseaux sociaux au détriment des médias et du véritable travail journalistique. L'étude de l'Arcom pourrait-elle conduire à la formulation de recommandations d'ordre législatif ou réglementaire pour définir de nouveaux équilibres sur les marchés publicitaires alors que les nouveaux entrants ne sont pas soumis, vous l'avez dit, aux mêmes contraintes que les acteurs historiques du secteur?
Enfin, quel est votre regard sur la bataille informationnelle qui se joue dans le domaine de l'audiovisuel comme dans celui du numérique, alors que le contexte international est extrêmement tendu ? Le risque d'ingérence étrangère est particulièrement élevé. Dans la perspective des Jeux Olympiques, les médias sont des cibles potentielles de cyberattaques. Les fausses informations et les narratifs alternatifs, éventuellement propagés par des puissances étrangères, semblent de moins en moins maîtrisables. Comment pensez-vous pouvoir traiter cette question et disposez-vous de moyens suffisants ? Je n'ai pas cité l'intelligence artificielle, mais c'est aussi une source de préoccupations.
M. Roch-Olivier Maistre, président. - S'agissant de l'audiovisuel public, l'autorité formule ses observations avec conviction, même si elle le fait de façon « mesurée », pour reprendre votre expression. Nous avons, à plusieurs reprises, souligné les points qui nous semblaient importants, dans les avis que nous avons rendus sur l'exécution des contrats d'objectifs et de moyens des entreprises du service public et sur le respect de leurs cahiers des charges. Concernant l'échéance qui est devant nous, celle des COM en cours d'élaboration, nous sommes comme vous dans un climat d'incertitude, puisque nous n'en avons pas eu communication. L'Arcom rendra en temps et heure son avis sur ces projets.
Il existe aujourd'hui, comme pour les acteurs privés, des enjeux décisifs pour le service public. La question du rajeunissement de ses publics en est un. Je citais l'âge moyen du téléspectateur. Il n'est pas satisfaisant que le service public ne soit pas plus attractif pour les jeunes publics alors qu'il doit s'adresser à tous les Français. Au moment où les acteurs privés déploient des initiatives pour être plus présents dans les territoires, l'offre de proximité de l'audiovisuel public doit être, à l'évidence, rénovée, modernisée et concentrée, pour être plus efficace. La stratégie numérique des groupes du service public doit être unifiée. Rappelons que notre pays est singulier, étant pratiquement le seul en Europe où le service public est dispersé. Dans la grande majorité des pays de l'Union, notamment au Royaume-Uni ou en Italie, le service public est rassemblé. Cette idée du rassemblement des forces, qui existe dans le secteur privé, doit être considérée avec attention pour le service public.
De ce point de vue, l'Arcom formule deux observations. S'agissant du financement, nous sommes très attachés à l'existence d'un financement dédié au service public, ce que nous considérons comme une condition de son indépendance et du soutien nécessaire aux nombreuses missions particulières qui lui incombent. Une solution transitoire a été mise en oeuvre, consistant en un prélèvement d'une fraction de TVA pour se substituer à l'ancienne contribution à l'audiovisuel public. Je ne connais pas les modalités que le gouvernement retiendra dans ses propositions pour 2025. Toutefois, la pérennisation de cette option nous paraîtrait une solution de nature à répondre à ce besoin de garantie d'indépendance.
La seconde observation de l'Arcom concerne deux dossiers emblématiques : Franceinfo et le rapprochement de France 3 et de France Bleu. Le succès de ces rapprochements ne pourra pas être laissé à la seule bonne volonté des parties. Il convient de définir une forme de gouvernance qui permette de porter et de piloter ces deux projets très structurants. De ce point de vue, le gouvernement a mis en place une dotation spécifique pour accompagner les projets de transformation. Vous avez évoqué cette dotation, dont le montant est de 200 millions d'euros, qui serait libérée par tranches en fonction des résultats atteints, au regard d'objectifs qui seraient fixés dans le COM. Une mission a été confiée à l'Inspection générale des finances, dont les conclusions seront, semble-t-il, connues au début de l'année prochaine. Elle vise à identifier précisément d'une part, les objectifs, et d'autre part, les indicateurs de mesure qui permettront d'apprécier, année après année, l'atteinte de ces résultats. Dans le cadre des avis annuels qu'elle rend sur l'exécution des COM, l'Arcom est bien évidemment prête à jouer son rôle dans l'examen des indicateurs annuels qui conditionneront la libération de la tranche annuelle de soutien. Cela suppose de disposer d'indicateurs précis des objectifs attendus chaque année, en particulier dans ces projets de rapprochement.
En ce qui concerne les États généraux de l'information, l'Arcom va y participer. Je serai auditionné par le comité de pilotage des États généraux, en début d'année prochaine. Au titre de notre contribution, nous avons lancé deux études importantes. L'une d'entre elles porte sur les Français et l'information. Elle devrait être très riche d'enseignements même s'il existe un certain nombre de travaux en la matière. Cette étude sera très complète avec un panel extrêmement large, qui permettra d'avoir un regard très précis sur la façon dont les Français expriment leurs attentes en matière d'information. L'autre étude, axée sur la publicité, que vous avez évoquée, devrait être publiée dans le courant du mois de janvier. Elle est menée conjointement avec les services du ministère de la culture. Elle devrait permettre d'objectiver les tendances de fond de ce marché et les enjeux qui en résultent pour chacune des familles de médias. L'objet de cette étude est de nourrir la réflexion pour soutenir le modèle économique de nos médias, qui est au coeur des États généraux de l'information. La question fondamentale est en effet d'assurer le modèle économique de l'ensemble de nos médias pour les prochaines années, en matière de presse écrite, de radio et de télévision. Il faudra probablement faire évoluer la réglementation sur certains points, compte tenu des asymétries entre les acteurs du numérique et les acteurs traditionnels. L'objet de cette étude est donc de procurer une base commune de réflexion ainsi qu'un constat objectif pour que chacun puisse ensuite formuler les recommandations, les propositions et les décisions qui s'imposent.
Vous m'avez questionné sur la bataille informationnelle, qui représente un enjeu central aujourd'hui. Les ingérences étrangères exigent, en particulier pour l'année 2024, une vigilance extrême. Le contexte géopolitique du continent risque d'inciter certains acteurs à vouloir peser sur le bon déroulement des élections européennes. En conséquence, la France s'est dotée d'un service à compétence nationale, le Service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (VIGINUM), placé auprès du Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). L'Arcom est associée à la gouvernance de VIGINUM à double titre, en raison de ses compétences en matière de lutte contre la manipulation de l'information et de sa fonction de régulateur du numérique. Avec le SGDSN, nous nous préparons d'ores et déjà à l'organisation de ce scrutin.
Je voudrais souligner qu'en 2022, nous avions réuni l'ensemble des plateformes numériques dès le mois de janvier, dans la perspective des scrutins présidentiel et législatif. Nous avions échangé avec elles très régulièrement pendant toute la phase électorale et avions établi une collaboration très positive sur ces sujets de manipulation de l'information. Ces plateformes sont maintenant rompues à ces processus électoraux avec l'expérience des scrutins américains et des élections générales qui se sont déroulées dans de nombreux pays. Elles mettent en place, au moment des élections, des cellules spécifiques pour suivre ces sujets. Nous serons donc bien évidemment très attentifs.
De façon plus générale, je l'évoquais dans mon propos introductif, il est très important d'accompagner nos acteurs traditionnels et de veiller à la soutenabilité de leur modèle financier parce que l'information professionnelle vérifiée génère des coûts très importants. Assurer aux Français une information indépendante, pluraliste, rigoureuse et honnête suppose d'avoir des médias pluralistes et correctement financés. Il convient d'être très attentif à leur modèle économique. Cela vaut pour le service public comme pour les médias privés.
Vous m'avez interrogé, Monsieur le Président, sur le conflit au Proche-Orient. J'ai eu l'occasion de réunir l'ensemble des rédactions des médias publics et privés de notre pays qui nous ont fait part des difficultés qu'elles rencontraient dans la couverture de ces événements. Il s'agit tout d'abord de difficultés d'accès à l'information. La présence de correspondants sur certains territoires est problématique. Ceux-ci sont confrontés à la difficulté de vérifier les informations avant leur diffusion. Nous avons observé, ici ou là, quelques dérapages qui ont conduit le régulateur à intervenir. Toutefois, c'est sur les réseaux sociaux que les défis sont les plus grands. M. Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur, s'est exprimé à plusieurs reprises sur ce sujet. La Commission européenne, au titre du règlement sur les services numériques (DSA), a engagé les premières actions, à l'égard notamment de X, successeur de Twitter, pour une éventuelle non-conformité au règlement, en raison de la nature de certains contenus diffusés de façon virale sur cette plateforme.
M. Max Brisson. - Monsieur le Président, je vous remercie de votre tableau très précis, très didactique et du rappel de la triple révolution qui menace la télévision traditionnelle. Il y a un an, lors de l'installation de l'Arcom, et depuis de manière récurrente, vous rappelez qu'une des ambitions de l'Arcom est de favoriser le dynamisme de nos acteurs nationaux face à la concurrence mondiale. Au-delà d'éditeurs comme TF1 ou M6, il s'agit de défendre l'ensemble de l'écosystème audiovisuel français, au sein duquel les distributeurs, comme les fournisseurs d'accès à Internet ou Canal+, jouent un rôle central.
Or, si on comprend aisément en quoi soutenir la transformation des producteurs, des chaînes de télévision, et de l'audiovisuel public est essentiel, tant ils concourent à notre souveraineté économique et culturelle, un angle mort demeure qui restreint notre compréhension de l'écosystème. Je fais référence au rôle des distributeurs de services de télévision déclarés auprès de l'Arcom, dans la valorisation et la diffusion de programmes originaux, face aux télévisions connectées. Ceux-ci sont également déstabilisés par ces nouveaux acteurs et subissent de manière drastique ces mutations. Pourtant, à travers leur partenariat avec les éditeurs, ces opérateurs protègent l'accès et la visibilité des chaînes françaises face à la concurrence internationale. Si nous souhaitons que le public continue à bénéficier d'une offre diversifiée, les distributeurs nationaux doivent être favorisés au même titre que les services de la TNT. C'est un enjeu de souveraineté culturelle.
Conformément à la mission qui lui a été confiée par la loi, l'Arcom travaille actuellement sur la visibilité des services dits d'intérêt général, le législateur n'ayant traité que du service public. Dans votre réflexion, qui semble sur le point d'aboutir, avez-vous pris en compte le rôle central des distributeurs nationaux dans l'accessibilité du public aux services français ? Face à la concurrence des opérateurs étrangers, qui n'y seront pas soumis, une régulation supplémentaire ne risque-t-elle pas d'affaiblir une nouvelle fois les distributeurs nationaux et donc de porter atteinte à notre souveraineté culturelle ? Ne faudrait-il pas que la France fasse évoluer la législation pour imposer à des services identiques les mêmes obligations que celles qui incombent aux distributeurs nationaux ? Ne faudrait-il pas, enfin, pousser dans le sens d'une évolution du droit communautaire, pour reconnaître les acteurs connectés comme des distributeurs à part entière ?
Mme Sylvie Robert. - Monsieur le Président, vous l'avez mentionné, l'Arcom va lancer en 2024, un appel à candidatures pour le renouvellement de 15 fréquences qui arriveront à terme en 2025. Dans le contexte que nous connaissons, marqué par la très forte concurrence entre les groupes audiovisuels, par les stratégies de consolidation, mais aussi par l'intérêt croissant des plateformes numériques pour le canal TV, cette procédure d'autorisation revêt un enjeu considérable. J'ajouterai, vous l'avez aussi souligné, que celle-ci ne s'est jamais déroulée dans un climat politique et informationnel aussi polarisé, aussi détérioré et peut-être même, source de tensions et de polémiques. Pour le dire simplement, votre mission s'annonce très délicate.
En matière d'information, vous avez constaté à plusieurs reprises, Monsieur le Président, des manquements graves et répétés au pluralisme et aux obligations déontologiques qui figurent dans les conventions que vous signez avec les chaînes autorisées à diffuser. Je cite un alinéa que j'ai extrait d'une convention qui stipule le respect « des différentes sensibilités politiques, culturelles et religieuses du public », et qui requiert de « promouvoir les valeurs d'intégration et de solidarité qui sont celles de la République » et de « lutter contre les discriminations ». Dans certains cas emblématiques, alors que la convention précise que le service est consacré à l'information, nous avons constaté une longue glissade vers la diffusion d'opinions, toujours identiques, allant à l'encontre du principe de pluralisme et du traitement déontologique de l'information. Monsieur le Président, confirmez-vous cette tendance ? Dans le cadre de la future procédure de renouvellement des fréquences, envisagez-vous de renforcer les stipulations des conventions, signées avec les chaînes d'information afin d'éviter que ces dernières ne se transforment en médias d'opinion ?
Ma dernière question porte sur le déploiement du DAB+ dans les territoires. J'illustrerai mon propos par la Bretagne. Seules 25 radios associatives sur 32 vont basculer en DAB+. En d'autres termes, les auditeurs bretons, et notamment ceux des zones rurales, vont être confrontés à une diminution de l'offre. La stratégie de l'Arcom vise-t-elle réellement à essayer de déployer de façon équilibrée le DAB+ dans les territoires, voire à élargir l'offre, puisque il existe une demande d'obtention de fréquences pour une radio en langue régionale ? Est-il prévu de renforcer l'accompagnement des radios associatives qui diffusent en FM et en DAB+ afin de prendre en compte les coûts induits par cette double diffusion ? Enfin, si les télévisions se « plateformisent », les plateformes se « télévisent », si je puis m'exprimer ainsi, à la fois sur le plan des contenus mais aussi en captant de la publicité. C'est une tendance assez forte qui va probablement représenter pour vous un laboratoire d'observations. Quel est votre avis sur cette tendance ?
M. Laurent Lafon, président. - Madame Catherine Morin-Desailly, je rappelle que vous présidez la commission spéciale sur le projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique (SREN).
Mme Catherine Morin-Desailly. - Merci Monsieur le Président. Tout d'abord, je voudrais interroger le Président Roch-Olivier Maistre sur la multiplication des missions conférées à l'Arcom, à la suite de la fusion du CSA et de la Hadopi, de l'application du règlement sur les services numériques et de la loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information. Disposez-vous de compétences et de moyens suffisants ? Est-il facile de recruter aujourd'hui les compétences dont vous avez besoin ?
Ma deuxième question s'inscrit dans le prolongement de celle de notre rapporteur pour avis, M. Cédric Vial. Monsieur le Président, dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, des États généraux se sont tenus avec l'ensemble des acteurs audiovisuels publics européens. Vous vous étiez alors exprimé sur la nécessaire non-budgétisation, c'est-à-dire l'indépendance des médias à travers une ressource affectée. Pouvez-vous préciser votre propos de l'époque?
Concernant le problème des écrans, vous avez réalisé, avec Mme Carole Bienaimé Besse, qui a quitté le CSA, un travail sur l'exposition des très jeunes enfants aux écrans. Une proposition de loi issue de notre commission a été votée à l'unanimité, il y a quelques années, visant à lutter contre l'exposition précoce des enfants de moins de trois ans aux écrans. Un texte similaire sur la prévention de l'exposition excessive des enfants aux écrans a été déposé à l'initiative de notre collègue députée, Mme Caroline Janvier, en janvier 2023, à l'Assemblée nationale puis adopté. Pouvez-vous nous décrire vos actions concrètes en matière de protection de ces tout-petits face aux écrans ainsi que les problèmes que vous rencontrez, dans l'attente d'une législation ?
S'agissant de l'application du DSA sur lequel nous travaillons en effet au sein de la commission spéciale « Sécuriser et réguler l'espace numérique » dont plusieurs commissaires sont également membres, nous sommes préoccupés par plusieurs points. Le texte est en cours de navette, en attente des notifications de Bruxelles. Nous avons été très attentifs à l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 9 novembre 2023 qui semble gravement mettre en cause toute possibilité d'imposer au niveau national des obligations aux plateformes. Quelle est votre analyse de cet arrêt et quelles en sont les conséquences pour votre autorité de régulation, sachant que les textes déjà adoptés, tels que la loi visant à lutter contre la manipulation de l'information, celui visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne, ou encore d'autres textes à venir, en particulier le SREN, sont au coeur de la régulation nationale ?
Quant à l'examen du projet de loi SREN, l'Assemblée nationale a choisi de revenir au texte initial pour les articles 1er et 2 qui instaurent un contrôle de l'accès aux sites pornographiques. Cela se traduit par une absence de coordination entre le contrôle du respect du référentiel établi par l'Arcom, à l'article 1er, et les sanctions pénales de l'article 2. Pardonnez-moi, chers collègues, de ces questions un peu techniques, mais elles sont essentielles. Que pensez-vous de cette évolution ? Y voyez-vous un risque de fragilisation du dispositif à venir ? Enfin, comment concevez-vous votre rôle de coordinateur des services numériques qui est prévu à l'article 25 dudit projet de loi ?
Mme Monique de Marco. - Monsieur le Président, j'ai pris connaissance cette semaine d'un rapport de la Fédération internationale des industries phonographiques qui souligne que 27 % de personnes interrogées utilisent une méthode illégale ou sans licence pour écouter ou télécharger de la musique. L'Arcom ne doit-elle pas renforcer sa surveillance? Quel pourrait être son rôle face à cette recrudescence de téléchargements illégaux ?
Mes deux autres questions sont d'ordre national et européen. Comment anticipez-vous l'utilisation de l'intelligence artificielle au sein des rédactions audiovisuelles ? Comment envisagez-vous votre nomination dans le Groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (ERGA) comme régulateur sur la liberté de la presse en France, alors que cela semble être en contradiction avec son histoire ?
M. Pierre Ouzoulias. - Merci, Monsieur le Président, pour la qualité de votre propos et ce bilan tout à fait intéressant. Après tant de questions, j'aimerais revenir à celle de l'intelligence artificielle qui me semble fondamentale. Le Parlement européen a défini quelques grands objectifs pour une future législation dont on ignore aujourd'hui le périmètre précis. Il est à noter que le gouvernement français, de façon assez singulière, s'est opposé à une législation dans le domaine de l'intelligence artificielle. Un ancien ministre, M. Cédric O, a entrepris une campagne très active pour expliquer qu'il serait contraire aux intérêts de la France de réglementer l'intelligence artificielle. Pour autant, vous jouez déjà un rôle important en matière d'algorithmes, dans le cadre de la lutte contre la manipulation de l'information.
La Commission d'enquête du Sénat a montré combien, s'agissant du cas particulier de TikTok, ces algorithmes pouvaient être « toxiques ». On peut craindre, si vous associez ces algorithmes à de l'intelligence artificielle, qu'il en résulte une absence de contrôle humain dans la production de ce qui est essentiel aujourd'hui pour l'information, c'est-à-dire l'image. Dans un conflit comme celui que nous vivons aujourd'hui, il est facile d'imaginer ce que pourrait être l'impact d'images construites par l'intelligence artificielle. J'aimerais donc vous interroger pour recueillir vos réflexions sur ce sujet. Je formulerai également une demande très technique. Pourriez-vous nous préciser le calendrier exact du renouvellement des chaînes de la TNT ?
Mme Annick Billon. - Merci, Monsieur le Président. Je voudrais évoquer le rapport de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, sur l'industrie de la pornographie. Ma collègue, co-rapporteure, reviendra également sur le sujet. On le sait, un tiers des enfants de moins de 12 ans et deux tiers des enfants de moins de 15 ans ont accès à des images pornographiques.
La pornographie est définie comme l'exploitation commerciale de la représentation explicite et filmée de pratiques sexuelles non simulées. Je souhaiterais donc, dans ce cadre, souligner que les contenus de l'émission Frenchie Shore tombent largement sous le coup de cette définition. Le président du Sénat, M. Gérard Larcher, ainsi que notre président de commission, M. Laurent Lafon, ont été sensibilisés à ce sujet. Nous avons constaté les difficultés à appliquer la loi pour interdire l'accès des mineurs à ces contenus. Pour ceux qui ne connaissent pas cette télé-réalité qui a été lancée en France en novembre 2023, les contenus de Frenchie Shore sont diffusés avec un accès payant sur les plateformes MTV et Paramount, mais sont en réalité, accessibles à tous car largement relayés sur les réseaux sociaux. Il y est question d'actes sexuels, voire d'agressions sexuelles.
En conséquence, la ministre de la culture a jugé ces contenus pornographiques. Souhaitant que l'Arcom prenne des mesures, elle vous a demandé de réguler cette télé-réalité. L'Arcom a répondu qu'elle n'était pas compétente puisque l'émission était diffusée sur des chaines échappant à la législation française. La compétence appartient normalement au régulateur du pays d'implantation de ces chaines. L'Arcom ne peut intervenir sur les contenus de services de streaming internationaux. Dans le cas de MTV France et de Paramount+, qui diffusent l'émission, l'éditeur de la première est basé à Prague tandis que celui de la seconde est à Berlin. En conséquence, seuls les régulateurs tchèque et allemand peuvent intervenir. Vous avez alerté vos homologues sur les vives réactions qu'ont suscitées ces contenus dans l'hexagone. Vous avez également souligné les dangers au regard des objectifs de protection de la dignité humaine et de protection des mineurs.
Nous avons donc, d'un côté, la ministre de la culture qui assure que vous êtes compétent, et de l'autre, l'Arcom qui affirme le contraire. Ma question est simple, Monsieur le Président : que faut-il pour que vous soyez compétent afin de réguler ces contenus ?
Mme Marie-Pierre Monier. - Je m'associe aux questions de l'ensemble de mes collègues, s'agissant en particulier des moyens dont vous allez disposer au regard des nombreuses missions supplémentaires que vous allez exercer.
En tant que membre de la délégation des droits des femmes, je m'associe également aux remarques de ma collègue, Mme Annick Billon, à la suite du rapport sur la pornographie qui a connu un grand retentissement.
Concernant le projet de loi « Sécuriser et réguler l'espace numérique », la version issue de l'Assemblée nationale prévoit que l'Arcom disposera de deux mois pour élaborer un référentiel général fixant les exigences techniques auxquelles devront se conformer les systèmes de vérification d'âge des sites pornographiques prévus par le texte. Que pensez-vous de ce délai ? Est-il suffisant ?
Mme Alexandra Borchio Fontimp. - Monsieur le Président, je voudrais vous interroger sur l'expérimentation qui est actuellement menée sur les sites pornographiques. Elle est censée suivre l'une des recommandations de notre rapport publié il y a maintenant 18 mois, « Porno, l'enfer du décor », co-rédigé notamment avec ma collègue Annick Billon. En mars dernier, un avis de l'Arcom a défini le principe du double anonymat comme le système le plus robuste, non seulement pour résoudre une bonne fois pour toute la question de la vérification d'âge mais éventuellement pour effectuer à l'avenir d'autres vérifications d'âge. Or, nous sommes tous ici conscients que ce système de vérification demeure malheureusement vain et sans véritable effet dans la pratique.
Lors du même mois de mars, le ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications, M. Jean-Noël Barrot, a indiqué aux députés de la délégation aux droits des enfants que le site Dorcel devait réaliser une telle expérimentation afin de protéger nos mineurs de ces contenus inappropriés. En l'absence d'information sur ce sujet, disposez-vous d'éléments relatifs aux résultats de ces premières expérimentations ? Qu'en est-il de celle menée récemment par Docaposte, filiale numérique du groupe La Poste, qui a annoncé, le 10 novembre dernier, l'expérimentation d'une solution garantissant enfin véritablement l'anonymat des internautes et protégeant les mineurs ?
M. Pierre-Antoine Levi. - Monsieur le Président, je vous remercie pour vos propos détaillés. Plusieurs de mes questions ont déjà été posées notamment par ma collègue Annick Billon. S'agissant des émissions controversées telles que Frenchie Shore, quelles sont les limites des compétences de l'Arcom dans la régulation de ce type de contenu ? Pourriez-vous également nous préciser comment l'Arcom équilibre le respect de la liberté d'expression avec la nécessité de modérer des contenus potentiellement offensants ou discriminatoires ? Je pense en particulier au sketch de M. Guillaume Meurice sur Radio France, sur lequel vous avez émis des remarques.
Concernant l'annonce par la chaine TF1 du lancement le 8 janvier d'une émission matinale qui viendra concurrencer les différentes matinales existantes, alors que l'offre est déjà très importante, étiez-vous informé de cette annonce lorsque vous avez renouvelé la licence de TF1 ? Quel est votre avis, en tant que régulateur, sur le lancement prochain de cette matinale ?
Mme Laurence Garnier. - Vous avez rappelé, Monsieur le Président, à plusieurs reprises, la nécessité d'accès à des médias honnêtes, pluralistes et indépendants, dans un monde où la désinformation circule parfois plus vite que l'information elle-même. Je crois beaucoup au rôle de nos médias pour aider nos concitoyens à forger une pensée complexe, dans un environnement diffusant trop souvent des propos simples, voire simplistes.
Dans ce contexte, l'Arcom joue pleinement son rôle afin de canaliser ce paysage médiatique complexe, tant au niveau national, on le mesure actuellement dans le cadre des débats liés à la loi sur l'immigration, qu'au niveau international, avec le conflit israélo-palestinien. Je crois avoir lu, Monsieur le Président, que l'Arcom avait été saisie de nombreuses fois depuis le début de ce conflit, vous conduisant à prendre un certain un certain nombre de décisions, allant de la mise en garde à l'engagement d'une procédure en vue d'éventuelles sanctions. Les décisions que vous prenez peuvent parfois créer des incompréhensions chez nos concitoyens, comme l'a souligné mon collègue, M. Pierre-Antoine Levi, sur ce qui relève de la liberté d'expression et d'opinion, qui peut naturellement ne pas plaire à tout le monde, et ce qui relève de l'analyse, d'un propos choquant ou humoristique, et se revendiquant comme tel. Pourriez-vous, Monsieur le Président, nous préciser la hiérarchie des sanctions que l'Arcom peut être amenée à prononcer ainsi que les critères qui président à vos prises de décision ?
M. Laurent Lafon, président. - Je vais rajouter une question à la liste de celles déjà posées concernant le renouvellement des autorisations. Comment, si tel est le cas, prendrez-vous en compte les sanctions qu'a pu prononcer l'Arcom ces dernières années, contre des bénéficiaires actuels d'autorisations, dans le cadre des prochains renouvellements ?
M. Roch-Olivier Maistre, président. - Mesdames les sénatrices et Messieurs les sénateurs, je vais m'efforcer de répondre à l'ensemble de vos questions. Je commencerai par celle sur l'équilibre que l'Autorité doit assurer entre la liberté de communication et la protection des publics ainsi que sur les modalités de son intervention auprès des éditeurs quand cela est nécessaire. Je rappellerai tout d'abord que le champ dans lequel elle intervient, est celui d'une liberté publique fondamentale, la communication et l'expression. C'est un principe de nature constitutionnelle dans notre pays. Il est consubstantiel à notre démocratie. Il renvoie très directement à l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui le qualifie comme « un des droits les plus précieux de l'homme ». Cette liberté fondamentale est bien évidemment extrêmement protégée dans notre droit, notamment par la Constitution, par nos lois et par nos juridictions européennes et nationales.
La loi que nous mettons en oeuvre à l'Arcom, il faut toujours le répéter, est d'abord une loi de liberté. Elle est intitulée « loi relative à la liberté de communication ». Elle représente le pendant, pour le champ audiovisuel, de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Son article 1 dispose que « la communication est libre ». C'est donc par exception à ce principe horizontal fondamental que le législateur, puisqu'il est le seul habilité le faire, a posé un certain nombre de limites que les éditeurs de programmes de télévision ou de radio sont tenus de respecter. Il s'agit d'obligations qui s'imposent à eux, par la loi, le règlement ou par les conventions que nous sommes amenés à conclure avec eux, au moment de la délivrance des autorisations.
Cela veut dire que l'Autorité n'intervient jamais, bien évidemment, a priori, sur des programmes de télévision ou de radio. C'est une évidence qu'il convient de rappeler car l'Arcom n'est pas une autorité de censure. Elle n'assure pas une police de la pensée. Les programmes sont diffusés librement, sous la responsabilité des éditeurs. Cependant ces derniers engagent le cas échéant leur responsabilité si les contenus qu'ils diffusent sont en infraction avec la loi, les textes conventionnels ou les délibérations que l'Arcom peut être amenée à prendre.
Adresser à l'Arcom une alerte est simple. On trouve sur son site un bouton qui permet de la saisir très rapidement sur un programme qui heurte ou « qui choque », pour reprendre votre expression, Madame la sénatrice. L'Arcom conduit alors une instruction approfondie. Il convient toujours de reprendre la séquence dans son ensemble pour s'assurer de ce qui a été dit ou montré exactement. En effet, à l'heure des réseaux sociaux, l'expérience montre que bien souvent, nous sommes saisis sur des extraits tronqués d'une séquence. Remis en perspective, ils prennent un sens différent. Nous menons également une analyse juridique très approfondie, forte d'une jurisprudence de 40 années de régulation audiovisuelle. Le Conseil d'État a très souvent statué sur les décisions de l'ancien CSA et de l'Arcom.
Notre ligne d'intervention est donc très encadrée à la fois par la loi, mais aussi par le juge, puisque toutes nos décisions sont susceptibles de recours contentieux et d'annulation par le Conseil d'État. C'est la raison pour laquelle elles sont, sans exception, des décisions collégiales. Nous comptons parmi les membres du collège plusieurs magistrats, un membre du Conseil d'État, une magistrate de la Cour de cassation et quelques juristes émérites, au-delà de la grande compétence des services en la matière. Lors de chaque réunion du collège, le mercredi, sont examinées un certain nombre de saisines que nous avons reçues au cours des semaines écoulées. Nous sommes conscients de la délicate ligne de crête qu'il faut respecter. Est-on dans le champ de la liberté, ce qui justifie que le régulateur n'intervienne pas, ou en tout cas ne mette pas en oeuvre une procédure de sanction, de nature coercitive, ou est-on dans le champ d'une infraction au regard des dispositions fixées par la loi ?
Nos outils sont simples et répondent à une gradation. La loi impose une proportionnalité dans les interventions de l'Arcom. La nature des signalements sont très variables et ne présentent pas la même gravité. C'est une chose d'être saisi sur l'utilisation d'un mot de franglais par un animateur qui est prohibé puisque l'Arcom est censé défendre la langue française et y veille. Il en va différemment d'une incitation explicite à la haine, une expression raciste, antisémite ou un appel à la violence.
C'est pourquoi, les interventions doivent être graduelles. Le premier degré consiste en une simple mise en garde ou alerte adressée à l'éditeur, faisant valoir qu'en dépit de l'absence de manquement, le contenu diffusé a ému l'opinion publique. L'étape normale de l'intervention de l'Arcom est la mise en demeure, dès constatation d'un manquement ainsi que la loi l'impose dans un premier temps. En effet, l'Arcom ne peut pas sanctionner directement un média, sans l'avoir préalablement mis en demeure sur un motif précis. Outre cette dernière, une procédure de sanction ne peut être déclenchée que si le manquement a été réitéré. Cette procédure fait alors intervenir un rapporteur indépendant, un membre du Conseil d'État, à qui le dossier est transmis, qui décide lui-même s'il engage des poursuites, comme le ferait un procureur. Il instruit ensuite l'affaire de manière contradictoire avec l'éditeur. Son rapport est transmis au collège de l'Arcom qui convoque l'éditeur, afin d'auditionner ce dernier, assisté de son (ses) conseil(s). Le collège prononce, le cas échéant, une sanction.
La gradation des sanctions commence avec l'obligation de publier un communiqué, dont l'Arcom rédige le texte. C'est une formule que nous n'utilisons plus depuis déjà de nombreuses années, au contraire de la sanction de nature financière, qui est celle que nous prononçons le plus fréquemment, qui peut aller jusqu'à 4 % du chiffre d'affaires de la société concernée et 5 % en cas de récidive. La sanction ultime est le retrait de l'autorisation de l'éditeur, dans des cas très graves. Elle n'a été prononcée qu'une seule fois, sous le mandat de mon prédécesseur, et a été annulée par le Conseil d'État. J'insiste sur le fait que l'Arcom n'hésite pas à sanctionner un manquement caractérisé quand il est constaté, mais encore faut-il qu'il soit caractérisé précisément et qu'il ait une assise juridique solide, au regard du droit et des jurisprudences en vigueur. La main de l'Arcom ne tremble pas. L'Autorité a prononcé cette année les sanctions les plus élevées de toute l'histoire de la régulation, avec une amende de 3,5 millions d'euros à l'encontre d'un éditeur, représentant un peu plus de 4 % de son chiffre d'affaires. Sous ma présidence, l'Arcom a sanctionné pour la première fois une chaîne d'information d'une amende significative.
Le régulateur, je le répète, n'hésite pas à utiliser les outils qui sont les siens chaque fois qu'un manquement est constaté et caractérisé, car notre droit, une fois encore, est très protecteur de la liberté. La Cour européenne des droits de l'homme se prononce également en ce sens. L'essence de la liberté d'expression est de permettre aussi des contenus qui heurtent et qui choquent, mais qui peuvent aussi faire évoluer notre analyse et le débat démocratique. Cette enceinte parlementaire le vit au quotidien, dans l'opposition de vos points de vue, parfois très vifs, pour que le consensus finalement se dégage. C'est l'essence de la liberté d'expression et de la démocratie.
En réponse à votre question, Monsieur le Président, le manquement répété d'un éditeur à ses obligations, alors qu'il candidaterait de nouveau à ses fréquences, pourrait naturellement être pris en compte par le régulateur. Ce ne serait pas le seul paramètre. La loi précise les critères que nous devons appliquer pour attribuer les fréquences. Il s'agit tout d'abord du pluralisme et de l'intérêt du téléspectateur. Le non-respect par un éditeur de ses obligations représente un facteur que le régulateur peut tout à fait prendre en compte dans son processus de décision.
S'agissant du prochain appel à candidature, la décision qui sera prise le sera en toute indépendance, impartialité, collégialité et en transparence absolue. Toutes les étapes de cette procédure sont publiques en commençant par la consultation dont nous allons rendre la synthèse dans quelques jours, l'étude d'impact qui sera publiée avant la fin de l'année, l'appel à candidatures qui interviendra en début d'année prochaine et fera l'objet d'une publication, l'audition des candidats, la publication de la liste des candidats présélectionnés au terme de l'instruction de leur dossier de candidature et des auditions, et enfin, bien évidemment, les décisions d'autorisation et les conventions que l'Arcom conclut, qui sont rendues publiques. Cette procédure devrait être finalisée à l'automne 2024, le temps de lancer l'appel à candidatures début 2024, de constituer et remettre les dossiers pour les candidats, de procéder aux auditions publiques, d'analyser les dossiers, de choisir les candidats, d'attribuer les fréquences, de négocier les conventions, de délivrer les autorisations et de signer les conventions.
En réponse à vos questions, cet appel à candidatures constitue une étape importante car il permet de repartir d'une feuille blanche. En effet, à cette occasion, l'Arcom revoit les stipulations des conventions de ceux qui seraient de nouveau choisis. Un appel à candidatures sur 15 fréquences sera lancé. Les candidats présenteront un dossier, en toute liberté, car l'Arcom ne fixe pas de cahier des charges. La liberté de communication, la liberté éditoriale et la liberté du commerce et de l'industrie priment. En revanche, l'Arcom a recours aux critères imposés par la loi pour choisir les attributaires, avec au premier chef, le pluralisme, l'intérêt du téléspectateur et l'équilibre économique du projet. Pour répondre très précisément à votre question, les conventions de TF1 et de M6 ont été ainsi révisées. Nous avons agréé tout récemment le changement de contrôle d'Europe 1 au profit d'une société en commandite par actions, contrôlée exclusivement par M. Arnaud Lagardère. À cette occasion, l'Arcom a revu les termes de la convention sur de nombreux points afin de prendre en compte l'évolution du paysage médiatique et celle du cadre législatif ainsi que l'ensemble des observations émises au cours des années écoulées, en tant que régulateur.
Monsieur le sénateur Max Brisson, vous m'avez interrogé sur les services d'intérêt général, dossier bien évidemment très important et très attendu par le secteur. Pourquoi ? Ainsi que je l'ai mentionné, l'écran de votre téléviseur, généralement fabriqué en Asie par un constructeur qui a lui-même conclu des accords avec des fournisseurs de contenus, fait apparaitre en priorité des applications qui correspondent à des services payants, tels que Netflix, Amazon, Disney. Cependant, vous ne verrez pas apparaître TF1, France 2, France 3, France 5 etc. Vous y accéderez, bien évidemment, après une petite manipulation sur votre téléviseur. Or, statistiquement, le téléspectateur moyen est moins jeune qu'il ne l'était autrefois. Si on n'y prend pas garde, le risque est que nos opérateurs traditionnels soient moins bien exposés que d'autres acteurs. D'où cette notion de services d'intérêt général, prévus par une directive européenne transposée dans le droit français, qui permet d'imposer à ces acteurs une exposition privilégiée du service public, mais également d'autres acteurs issus du secteur privé. La loi le dit clairement. Il revient au régulateur d'arrêter la liste de ces services d'intérêt général et de fixer les modalités d'accès à ces contenus.
Vous avez souligné à raison que cette évolution du paysage bouscule les fournisseurs d'accès et les distributeurs. Le développement des téléviseurs connectés conduit à une évolution du modèle de la box qui est très présent en France. Néanmoins, l'accès direct via Internet, sans passer par la médiation d'une box, se développe de plus en plus. En conséquence, le modèle économique des distributeurs est potentiellement remis en cause. Nous échangeons sur ce point dans le cadre d'un dialogue étroit avec l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) avec laquelle nous entretenons une relation de confiance. En effet, lorsque j'ai été nommé président de l'Arcom, nous avons signé une convention avec l'Arcep et avons créé un service commun. Nous réunissons régulièrement nos deux collèges et nous nous entretenons sur ces sujets afin de déterminer des points d'équilibre. La question que vous avez posée fait partie de nos paramètres de réflexion.
En réponse à la question de Mme la sénatrice Sylvie Robert sur DAB+, je souhaiterais insister sur l'attention particulière que nous portons à l'équilibre de notre paysage audiovisuel. Nous avons la chance, en France, de bénéficier d'un paysage extrêmement dense, composé de plus de 1 000 radios, ce qui est considérable. Ce sont des radios nationales ou locales, publiques ou privées, associatives, généralistes ou musicales. Nous sommes donc attentifs à reproduire la richesse et la diversité de notre paysage sur le DAB+. Les radios associatives auront bien évidemment une place au même titre que sur la bande FM. Nous y sommes très vigilants dans nos décisions ainsi que dans tous les appels à candidatures que nous lançons. Toutefois, je réaffirme devant vous l'importance d'accompagner ces acteurs dans cette phase de déploiement du DAB+, et en particulier ceux associatifs qui supportent effectivement un coût de double diffusion, qui s'avère très lourd pour ces petites radios qui disposent de peu de ressources, notamment publicitaires, en raison de l'encadrement juridique qui leur est appliqué. Le Fonds de soutien à l'expression radiophonique prévoit depuis cette année un bonus au bénéfice de ces radios pour la double diffusion. Nous sommes favorables à ce que cet accompagnement de l'État, qui n'est pas de nature à creuser considérablement le déficit des finances publiques, soit encouragé.
S'agissant de Frenchie Shore, rappelons que c'est un programme qui est diffusé depuis 15 ans, sous une appellation autrefois différente (Jersey Shore), par des services de médias à la demande (SMAD). C'est effectivement un programme qui est porté par un service hors du territoire français, qui relève de la compétence du régulateur tchèque pour l'un et du régulateur berlinois pour l'autre. Dès que l'Arcom en a été alertée, j'ai saisi mes homologues des deux pays qui mènent chacun une enquête sur les deux services MTV et Paramount+. L'instruction en cours vise à s'assurer de leur conformité à la réglementation telle qu'elle est en vigueur, notamment la directive européenne sur les services de médias audiovisuels. Le problème réside dans la viralisation des contenus sur tous les réseaux sociaux alors que ces contenus sont interdits aux moins de seize ans ou aux moins de dix-huit ans, selon le pays concerné. En conséquence, nous sommes intervenus auprès des plateformes, aussi bien TikTok que X et Meta, pour accélérer la modération de ces contenus. Le cadre de la régulation des réseaux sociaux est donc au coeur du débat ainsi que la question du déploiement du règlement DSA qui permettra de mieux répondre à cette question.
Concernant les sites pornographiques, je rappellerai que l'Arcom est activement intervenue dans le cadre de l'application de la loi de 2020 sur les violences conjugales, notamment en prononçant des mises en demeure sur les sites et en saisissant le tribunal judiciaire de Paris pour demander le blocage des principaux sites que nous avons ciblés. Or nous sommes toujours en attente d'une décision du juge, trois ans après. L'Arcom a donc rempli son office. Le nouveau texte porté par le gouvernement, en cours de discussion, prévoit effectivement l'élaboration d'un référentiel. L'Arcom a élaboré ce dernier, en anticipation du vote de la loi et en collaboration avec la CNIL, conformément aux dispositions du texte.
Le récent arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne, évoqué par Mme Catherine Morin-Desailly, représente un coup de tonnerre dans notre ciel, y compris pour les législateurs nationaux que vous êtes. Cet arrêt, qui est en cours d'expertise et d'analyse, semble limiter les capacités d'intervention d'un État à l'égard d'acteurs situés dans un autre État membre, puisque le principe fondamental du droit de l'Union est celui du pays d'origine. Ce sujet est en cours d'expertise mais il est probable, sans préjuger de la lecture qu'en fera le Sénat, que le texte du projet de loi SREN devra s'adapter. La Commission européenne a déjà formulé des observations à l'égard de la France sur plusieurs de ces initiatives législatives. Cet arrêt a une portée extrêmement forte et devrait emporter de lourdes conséquences pour les années à venir.
Vous avez évoqué l'intelligence artificielle qui est un sujet que nous suivons de près. Nous l'étudions, en premier lieu, pour nous-mêmes. Nous sommes en cours d'examen de voies et moyens d'utilisation de l'intelligence artificielle dans l'exercice de nos missions puisqu`un certain nombre de nos procédures font appel à des traitements de données. Nous avons bien identifié l'utilité de ces outils au service de la régulation. En second lieu, nous examinons l'évolution du secteur sur deux points qui méritent à l'évidence une attention particulière : la protection du droit d'auteur et la question de l'information.
En effet, tout d'abord, l'intelligence artificielle utilise des données de masse dont un grand nombre est protégé par le droit d'auteur. Comment le droit des auteurs et les droits voisins sont-ils protégés dans ce cadre ? Cette question mérite une très grande attention. S'agissant ensuite de la question de l'information, des outils d'intelligence artificielle peuvent être utilisés pour vérifier la véracité de certaines données. Une image produite par de l'intelligence artificielle est-elle ou non une infox? L'IA offre des opportunités mais elle produit aussi des capacités phénoménales de création de fausses informations, de manipulation et d'ingérence. De ce point de vue, Monsieur le sénateur Pierre Ouzoulias, la régulation européenne constitue une étape nécessaire, un filet de sécurité minimum, qui ne bride pas l'innovation européenne. Il sera toujours temps de l'adapter à l'évolution de la situation.
Sur ce dernier point, la Commission européenne étant en fin de mandat, je souhaiterais saluer ses initiatives pour les secteurs qui nous intéressent, telles que la directive sur les services de médias audiovisuels, la directive sur les droits d'auteur, le règlement sur les services numériques, le règlement DMA (Digital Markets Act) et le texte qui sera adopté avant la fin du présent mandat sur la liberté des médias en Europe. Nous n'étions pas habitués à une telle activité normative dans le champ audiovisuel et culturel. L'Europe semble avoir pris conscience qu'elle a des intérêts à protéger et à défendre. Notre exception culturelle européenne mérite d'être protégée. J'espère que ce point sera pris en compte dans les débats et échéances à venir.
Concernant la matinale de TF1, ce projet n'était pas présent en tant que tel dans le dossier de candidature du groupe TF1. En effet, un tel dossier présente une maquette et un format général de chaîne, et non pas une grille minute par minute de ce qui va se dérouler pendant les 10 ans de l'autorisation. L'éditeur prend un engagement vis à vis de du régulateur, dont résulte une série d'obligations. Bien évidemment, un ajustement de grille est toujours possible, comme en témoignent les ajustements effectués par France Télévisions. Des programmes apparaissent, tandis que d'autres disparaissent. Le changement de grilles n'est pas soumis en tant que tel à l'approbation du régulateur. En revanche, sont soumis à notre contrôle les engagements et les obligations de TF1, en l'espèce, en matière de programmes pour la jeunesse, dont une partie est diffusée le matin. En conséquence, le régulateur a fait savoir à TF1, que nous avons auditionné la semaine dernière, qu'il serait très attentif au respect de cette obligation, prévue dans sa convention qui vient d'être signée. Cela étant dit, une offre d'information supplémentaire le matin participe aussi au pluralisme et au débat.
S'agissant du service public, nous attendons les conclusions de la mission d'inspection qui devra définir les objectifs attendus et les indicateurs permettant de mesurer les progrès. L'Arcom est prête, au titre des avis qu'elle rend chaque année sur les contrats d'objectifs et de moyens, à examiner si les objectifs attendus et les indicateurs sont satisfaits. Encore faut-il que ces indicateurs soient suffisamment clairs et précis.
Vous m'avez interrogé sur le double anonymat qui répond à une exigence de la CNIL au titre de la protection des données. Des expérimentations, conduites par le gouvernement, sont en cours. Cette procédure représente le dispositif le plus sûr de protection des données et des personnes. D'autres solutions pourront être envisagées, que le référentiel mentionnera, comme l'utilisation de la carte bancaire, autre option d'accès avec une transaction à 0 euro, à court terme, en attendant que le marché produise une technologie permettant de reconnaître l'âge de la personne qui se connecte, sans avoir accès aux données. Notre référentiel mentionnera le principe du double anonymat mais ouvrira l'option, au moins de façon transitoire et à court terme, de la carte de crédit.
Madame la sénatrice Morin-Desailly, je vous remercie de votre soutien à l'appui de nos demandes de moyens. Mes successeurs viendront plaider leur cause devant le parlement en temps et heure. Nous avons obtenu des emplois supplémentaires en 2023 et 2024 qui nous permettent de monter en puissance et de recruter de nouveaux profils. Nous réfléchissons également à la modernisation de nos outils. J'évoquais l'intelligence artificielle qui, probablement, sur certains métiers, peut nous permettre de dégager des marges de manoeuvre pour redéployer nos ressources. Nous devrons y être attentifs dans les prochaines années puisque nos missions, grâce à votre confiance, se sont considérablement élargies.
M. Laurent Lafon, président. - Merci, Monsieur le Président, de ces réponses très précises et complètes. Nous sommes heureux d'avoir eu cet échange serein et constructif, comme nous l'avons toujours eu ici avec vous.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 h 15.
- Présidence de M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, et de M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Mission conjointe de contrôle sur le signalement et le traitement des pressions, menaces et agressions dont les enseignants sont victimes - Audition de Mme Céline Berthon, directrice générale adjointe de la police nationale, et M. le général de corps d'armée André Petillot, major général de la gendarmerie nationale
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, rapporteur. - La commission des lois et la commission de la culture vous entendent aujourd'hui dans le cadre de leur mission conjointe de contrôle sur le signalement et le traitement des pressions, menaces et agressions dont les enseignants sont victimes.
Je vous prie d'excuser le président Buffet qui est contraint d'assister à une autre réunion.
Si cette mission d'information ne peut se pencher sur les faits qui font l'objet d'une enquête en cours, son objectif est de s'intéresser aux modalités de prévention, d'évaluation et de traitement des menaces exercées à l'encontre des enseignants et, au-delà, de l'ensemble des membres de la communauté éducative.
Notre premier axe d'interrogation porte sur les modalités de dépôt de plaintes et de mains courantes de la part des enseignants victimes d'agressions, ainsi que leur traitement. Disposez-vous en particulier d'éléments relatifs au délai moyen de traitement de ces plaintes ? Comment les agents concernés sont-ils informés de leur stade d'avancement ?
En second lieu, nous souhaiterions avoir des précisions quant aux suites policières qui sont données à ces plaintes. Dans quelle mesure celles-ci donnent-elles lieu à des arrestations ? En outre, dans quels cas l'agent enseignant ou administratif menacé peut-il bénéficier d'une mesure de protection policière ?
Une autre forme de pression que subissent les enseignants retient également notre attention dans le cadre de nos travaux : celle que constituent les plaintes déposées à l'encontre des enseignants par les parents d'élèves. Disposez-vous d'éléments à ce sujet ?
Enfin, nous serions intéressés par toute précision que vous pourriez apporter concernant les partenariats qui existent entre les préfectures, les services de police et de gendarmerie, les parquets et les rectorats : comment les services de police et de gendarmerie et le ministère de l'éducation nationale coordonnent-ils leur action pour agir contre les menaces et agressions à l'encontre des enseignants ?
Je vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse et diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Nos travaux ayant par ailleurs obtenu du Sénat l'obtention des prérogatives des commissions d'enquête, je vous rappelle qu'un faux témoignage serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Céline Berthon et M. André Petillot prêtent serment.
Mme Céline Berthon, directrice générale adjointe de la police nationale. - Je suis accompagnée de Virginie Brunner, directrice nationale de la sécurité publique et, à ce titre, responsable de la totalité des commissariats de police hors compétence territoriale de la préfecture de police.
Les missions de la police nationale consistent à engager les mesures de prévention, d'identification des auteurs d'infraction et de poursuites des enquêtes judiciaires aux fins de présenter les auteurs devant la justice. Cela nous conduit à interagir avec le milieu enseignant et plus largement avec la communauté éducative, dans le cadre d'un partenariat qui s'est renforcé au fil du temps, des crises et des drames pour prendre en compte de la manière la plus adaptée possible les enjeux de sécurité rencontrés dans ce milieu.
Plusieurs volets traduisent ce partenariat.
Le premier porte sur la prévention, qui s'appuie sur l'instauration d'une relation de confiance et s'exprime dans le cadre d'une coordination avec les établissements et les services départementaux de l'éducation nationale. La mise en place d'un écosystème pluridisciplinaire est nécessaire pour prendre en compte les problématiques rencontrées par la communauté enseignante et la communauté éducative, et pour y apporter des solutions. Cela se fait sous l'autorité du préfet et du rectorat, suivant plusieurs axes de travail, souvent via une convention partenariale afin de permettre l'échange d'informations très concrètes sur un certain nombre de situations.
Un de nos premiers axes est la prise en compte des risques et des menaces auxquels sont confrontés les établissements. Nous travaillons dans ce cadre avec l'autorité préfectorale, le rectorat et les services de renseignement. Nous coopérons également avec les parquets, qui sont régulièrement sollicités, par exemple pour émettre des réquisitions nous autorisant à mener des contrôles aux abords des établissements scolaires. Ce partenariat s'étend aux municipalités qui disposent évidemment de pouvoirs d'intervention et peuvent aussi mobiliser leurs propres services.
Nous avons des correspondants spécialisés et identifiés dans la totalité des circonscriptions. Ce sont des interlocuteurs privilégiés pour les chefs d'établissement, avec lesquels ils ont des contacts réguliers. En dehors des crises, la préparation des rentrées scolaires nous donne l'occasion de faire avec l'établissement un point d'ensemble sur les perspectives et sur la nature des difficultés rencontrées, et d'aménager si nécessaire des mesures de sécurisation passive des établissements. On y associe bien souvent d'ailleurs les services municipaux afin de réfléchir aussi à des enjeux d'urbanisme extérieur.
Ce volet préventif permet le développement d'un réseau de proximité dense qui facilite l'action opérationnelle quand elle est malheureusement nécessaire.
L'action opérationnelle est un volet ancien qui s'est évidemment renforcé au regard des menaces à l'encontre de la communauté enseignante, après l'assassinat de Samuel Paty, l'attentat d'Arras ou la situation à Rennes évoquée par la presse depuis le milieu de la matinée.
Un autre axe majeur est le traitement prioritaire des appels police secours qui parviennent sur le 17 pour intervenir le plus vite possible. Mme Brunner dispose d'informations, si vous souhaitez, sur les délais d'intervention à Arras et aujourd'hui à Rennes, qui témoignent de la réactivité des services. Cette réactivité repose notamment sur le déplacement systématique des équipes, en prenant en compte à chaque fois les appels avec le même sérieux et la même diligence, car ils peuvent être parfois bruyants ou imprécis.
Nous avons également renforcé la coordination afin de préparer les modalités d'intervention dans les établissements scolaires, qui ont la spécificité d'abriter de nombreux enfants. L'objectif est évidemment d'intervenir vite et bien. Dans le cadre de la menace terroriste qu'a connue notre pays ces dernières années, nombre de plans d'exercice ont été menés dans les établissements, souvent avec les policiers municipaux et les services de la police nationale. Nous avons recueilli les plans des établissements, de manière à pouvoir intervenir en cas de crise ou les mettre à disposition des services primo-intervenants, comme les unités spécialisées d'intervention.
Après le temps de l'intervention, ou en parallèle, selon la gravité des faits, vient la prise de plainte. Elle est déterminante en ce qu'elle ouvre un champ judiciaire qui rend possible un levier d'action plus large. Depuis plusieurs années, nous sommes engagés dans une démarche d'accompagnement qualitatif pour faciliter la prise de plainte des personnes victimes d'infraction, par exemple en fixant un rendez-vous, voire en délocalisant la prise de plainte. Nous pouvons solliciter des services d'accompagnement des victimes et le soutien d'associations qui peuvent être nécessaires pour les enseignants.
Nous essayons aussi d'associer tant que possible la communauté éducative dans le travail que l'on mène de manière très concrète sur des problématiques identifiées à l'échelle territoriale : je voudrais évoquer ici l'initiative développée par la sécurité publique des groupes de partenariat opérationnel (GPO). Ce sont des réunions pluridisciplinaires de tous les acteurs ayant vocation à conduire une action sur une problématique concrète autour des établissements scolaires. Elles peuvent concerner des squats aux abords d'établissements scolaires ou la circulation. Cela peut sembler marginal par rapport à la sécurité de la communauté éducative ; cependant, les chefs d'établissement sont préoccupés par tout ce qui se passe devant leurs établissements.
L'intensification du partenariat et des modalités de notre réaction aux phénomènes dont sont victimes les enseignants répond à l'accentuation et à la diversification des menaces. Nous vous fournirons les données du service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) qui indiquent une augmentation des violences physiques, mais également des atteintes à la dignité et à la personnalité de la communauté enseignante. Sur les trois dernières années, 2021 a vu une hausse importante de ces problèmes, probablement en lien avec l'assassinat de Samuel Paty, avec à la fois des incidents et des signalements plus nombreux. L'année 2022 marque un léger recul par rapport à 2021, mais indique néanmoins une progression par rapport à 2020. Nous observons donc un phénomène qui s'installe et qu'il nous faut, évidemment, prendre en compte.
Ce phénomène est de plus en plus protéiforme. Nous avons tous fréquenté des établissements scolaires où les enseignants pouvaient être victimes de violence ou d'insultes. Mais l'assassinat de Samuel Paty a mis en exergue une nouveauté : la dimension numérique ou virtuelle des menaces avec les réseaux sociaux, qui sont un facteur de propagation de fausses informations et de menaces, visant des personnalités individuelles ou des établissements. Nous avons eu à connaître, notamment depuis l'attentat d'Arras, une multiplication des phénomènes de menaces parfois virtuelles et d'alertes à la bombe, qui ont conduit à un nombre significatif d'évacuations d'établissements. Ces menaces, combinées au rôle des réseaux sociaux, peuvent aboutir au pire.
Il faut, à cet égard, souligner la mobilisation de la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos). Elle est animée par la direction nationale de la police judiciaire (DNPJ). Cet outil nous permet de mieux détecter et de judiciariser les violences et les menaces dans l'espace numérique. Pharos exploite les signalements relatifs aux contenus illicites diffusés en ligne, qui incluent un certain nombre de menaces et d'apologies du terrorisme.
En recoupant et en analysant les signalements, nous conduisons deux types d'actions.
La première action, à dimension administrative, vise à permettre la suppression ou le déréférencement des contenus illicites qui sont identifiés. C'est important car un contenu retiré se diffuse moins, ce qui peut nous laisser espérer qu'il produira moins de dégâts en viralité ou influence sur des publics fragiles.
L'autre action se situe sur le terrain judiciaire : il s'agit d'identifier les auteurs des infractions et de rechercher les preuves pour conduire les intéressés devant la justice. Je souligne d'ailleurs qu'après l'attentat commis au lycée Gambetta d'Arras, nous avons connu une augmentation du nombre de signalements à traiter, mais aussi des interpellations que nous avons pu réaliser.
Ce phénomène nous conduit à ne pas négliger la dimension dangereuse que peut prendre une menace et à développer un travail d'évaluation. Nous mobilisons pour cela l'unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat), qui dépend de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Une fois les menaces évaluées, nous pouvons être conduits à mettre en oeuvre des mesures de protection de deux types.
D'une part, des mesures de protection rapprochée par le service de la protection (SDLP) peuvent être mises en oeuvre au bénéfice principalement de personnalités ou de membres du Gouvernement et, plus rarement, d'enseignants comme cela fut le cas en 2021, après des dépôts de plainte et l'évaluation par l'Uclat des menaces pesant sur trois membres du personnel de l'éducation nationale. En 2022 à l'inverse, cinq personnes issues de la communauté éducative et ayant déposé plainte ont fait l'objet d'évaluations qui n'ont pas conduit à ce que des mesures de protection rapprochée soient mises en oeuvre.
D'autre part, les mesures de protection peuvent être territoriales, c'est-à-dire qu'elles reposent sur des patrouilles plus régulières aux abords des établissements scolaires et sur des présences fixes aux heures sensibles comme les heures d'arrivée et de départ d'un personnel menacé. Nous pouvons décliner ces mesures de vigilance aux abords du domicile, et nous collaborons souvent avec nos camarades de la gendarmerie nationale en fonction des lieux de résidence ou d'emploi des personnes menacées.
Dans la mesure du possible, nous recueillons les coordonnées des personnes ayant manifesté des inquiétudes dans nos centres d'information et de commandement, de manière à ce que, en cas d'appel d'urgence, leur numéro puisse être immédiatement identifié. Cela nous permet de déterminer tout de suite le niveau de la menace et d'intervenir aussitôt.
Depuis l'attentat commis à Arras qui a conduit à la mort de Dominique Bernard, dans le cadre du plan Vigipirate « urgence attentat », nous avons organisé des réunions avec les établissements scolaires afin de refaire un point sur leurs attentes particulières et d'être en mesure d'y répondre, si besoin en réactivant des dispositifs spécifiques. Le conflit israélo-palestinien nous a également conduits à identifier de nouveaux points de vigilance, la communauté éducative pouvant être particulièrement ciblée. Toutes ces mesures s'inscrivent, une fois encore, dans une logique d'accompagnement qualitatif que nous souhaitons développer.
M. le général de corps d'armée André Petillot, major général de la gendarmerie nationale. - J'essayerai de compléter sans redite le propos de Mme Berthon, puisque tout ce qu'elle a évoqué se décline de manière très similaire pour la gendarmerie nationale.
La question de la sécurité dans l'espace scolaire a émergé il y a presque trente ans. Les premiers dispositifs ont été mis en place en 1996. Il s'agissait d'un premier rapprochement entre les forces de sécurité et le milieu éducatif, centré principalement sur la question de l'usage des stupéfiants qui posait problème au sein des établissements, mais qui a aussi permis de développer la connaissance mutuelle de ces deux mondes et des actions de prévention.
L'année 2009 a ensuite été une étape importante, car la question des violences dans les établissements scolaires, ou autour de ces derniers, a pris une dimension beaucoup plus vaste que la simple question des stupéfiants. Les violences contre les enseignants et autour des établissements scolaires existaient déjà. On a donc créé un référent scolaire dans chaque brigade de gendarmerie. Ce dispositif existe toujours. Ces référents jouent le rôle de point de contact pour l'ensemble des établissements implantés sur la circonscription de la brigade et sont des interlocuteurs parfaitement identifiés par les enseignants et les chefs d'établissement, avec lesquels ils doivent entretenir des relations régulières. Ils effectuent ainsi des visites d'établissement et, en cas de difficulté, peuvent conseiller ou orienter vers les référents chargés de la prévention technique de la malveillance, par exemple s'il y a des diagnostics à faire.
Les années 2015-2016, marquée par des attentats terroristes, constituent l'étape suivante : on s'est beaucoup penché sur la sécurisation de l'espace scolaire en lui-même, afin d'empêcher des actions comme les tueries de masse. L'effort s'est porté sur la sécurisation passive des établissements, le rehaussement des contrôles d'accès... Nous appuyons les communautés éducatives et les collectivités territoriales responsables des travaux de ces établissements scolaires par la mise en place de procédures avec les chefs d'établissement sur les modalités de confinement des élèves et comment nous intervenons dans ce cadre.
L'assassinat de Samuel Paty a constitué un tournant : désormais, la menace à l'encontre des enseignants n'est plus circonscrite à l'enceinte du lycée, du collège ou de l'école. Deux thématiques coexistent : la violence contre les enseignants, liée à des comportements individuels ; et une dimension idéologique liée au séparatisme, qui est, je suppose, au coeur de vos travaux. La nouveauté aujourd'hui, c'est qu'on ne doit plus s'intéresser seulement à l'établissement lui-même, à sa sécurisation, au lien avec la communauté éducative, mais également à la sécurité d'un enseignant, y compris dans sa vie personnelle. Mme Berthon a rappelé les dispositifs en place, qui sont suivis avec une très grande vigilance pour assurer la protection des enseignants.
Quelques éléments chiffrés : 56 % des écoles sont en zone gendarmerie, ce qui représente 23 800 écoles ; de même pour le second degré, nous gérons 7 700 établissements, soit 43 % de l'ensemble ; et 2 144 établissements du supérieur, soit 19 % de l'ensemble de ceux-ci. Les enseignants et membres de la communauté éducative représentent quant à eux plus d'un million de personnes. Le volume est extrêmement important, et il est évidemment partagé avec la police nationale.
Le nombre d'agressions et de menaces à l'encontre du monde éducatif est clairement en hausse, comme les violences en général. Nous ne voyons pas de singularité dans l'évolution du nombre d'agressions contre les enseignants ou contre les représentants de l'autorité au sens large.
Les départements les plus concernés sont, pour la gendarmerie, ceux à très forte population : la Gironde, la Haute-Garonne, l'Isère, le Nord, l'Oise, l'Hérault et le Pas-de-Calais. Il n'y a pas de déterminisme géographique.
S'agissant des auteurs, 45 % d'entre eux sont mineurs, ce qui veut dire que 55 % sont majeurs. Hormis certains qui ont peut-être un parcours scolaire un peu retardé, il ne s'agit donc pas d'élèves. Ce sont des parents, des frères et soeurs, ou encore des tiers. Une part importante des auteurs sont extérieurs à l'établissement scolaire et n'ont donc pas vocation à y pénétrer, sauf les parents quand ils sont invités à des réunions. Cela aussi a une incidence sur la réponse pénale à apporter.
Les infractions consistent principalement en des outrages, des menaces, des menaces de mort, des insultes et des injures - la part des violences étant heureusement très minoritaire. Pour autant, quand on menace aujourd'hui un enseignant de mort, c'est loin d'être anodin. C'est une épée de Damoclès parce qu'on sait très bien que cela peut se traduire par un acte réel.
On élucide les affaires à 40 %, ce qui peut sembler relativement faible. Mais il faut savoir qu'un certain nombre de faits sont des insultes, des tags, des dégradations. Quand on crève les pneus du véhicule de l'enseignant sur le parking devant l'école, quand on écrit « M. Machin est ceci ou cela », c'est très compliqué à élucider. En revanche, quand il s'agit d'atteintes physiques ou de violences, les auteurs sont beaucoup plus simples à identifier.
Le texte de référence en matière de prise en compte de ce phénomène est l'instruction interministérielle du 27 octobre 2020 relative à la sécurisation de l'espace scolaire et aux mesures d'accompagnement du corps enseignant. Ce texte, postérieur à l'attentat qui a visé Samuel Paty, met en place un accompagnement des enseignants avec une incitation forte au dépôt de plainte. Nous avons observé que, contrairement à ce qui a été mis en place pour la lutte contre les violences intrafamiliales, l'enquête judiciaire n'est pas systématique. En cas de violence intrafamiliale, qu'il y ait plainte ou pas, à partir du moment où l'enquêteur a connaissance de faits susceptibles d'une qualification pénale, il doit ouvrir une enquête judiciaire et en aviser le parquet. Ce n'est pas aussi clair pour les atteintes aux enseignants. On peut le comprendre car une partie importante des auteurs sont des mineurs : il appartient souvent au parquet de privilégier des traitements administratifs tels que le travail disciplinaire propre à établissement. Par ailleurs, une enquête judiciaire n'est pas toujours indispensable ou même opportune.
Mais il y a peut-être une réflexion à avoir sur un éventuel angle mort ; lorsqu'un enseignant signale des faits mais ne souhaite pas déposer plainte, l'incident peut passer sous les radars, même si, en principe, quand les faits sont d'une nature grave, l'enquêteur doit en rendre compte au parquet.
Néanmoins, de leur côté, les chefs d'établissement sont censés faire un signalement suivant l'article 40 du code de procédure pénale pour tous les faits de nature susceptibles de recevoir une qualification pénale. Il ne s'agit pas de paralyser le système judiciaire avec des faits de nature anecdotique, mais si l'on veut vraiment sécuriser les choses et s'assurer qu'il n'y ait pas de faille dans le dispositif, il faut être le plus précis possible dans les actions mises en oeuvre.
L'attention particulière portée à ces faits se traduit également dans les modalités de dépôt de plainte et de traitement : le reporting est systématique et national. Toute atteinte à un enseignant ou un membre de la communauté éducative fait l'objet d'une remontée d'information au niveau central, priorisée. La hiérarchie des unités est chargée de vérifier qu'à chaque fois les plaintes sont prises et les investigations menées, sous l'autorité des magistrats.
Les délais de traitement sont variables selon la complexité des investigations. Si vous avez l'auteur sous la main et que les faits sont caractérisés, ils peuvent être extrêmement rapides. Quand il s'agit de menaces en ligne, un signalement à Pharos peut prendre des semaines, voire parfois des mois, pour identifier l'auteur, quand il n'a pas été suffisamment prudent pour masquer son identité. Il y a toujours des difficultés, mais dans l'ensemble, c'est une véritable priorité pour tout le monde, enquêteurs comme magistrats. Les délais sont donc les plus courts possible, de manière à ce que la réponse soit la plus rapide possible.
Je ne reviens pas sur les mesures de protection, que Mme Berthon a largement développées.
On peut aussi noter que notre arsenal juridique est assez robuste. Pour toutes les infractions commises à l'encontre d'un enseignant, les circonstances aggravantes sont retenues. Des mesures judiciaires comme l'exclusion d'établissement scolaire peuvent être prises. La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, a également créé une infraction peut-être insuffisamment connue, mais répondant aux menaces qui défrayent la chronique actuellement : l'article 433-3-1 du code pénal a trait à la répression des menaces, violences et actes d'intimidation à l'égard « de toute personne participant à l'exécution de la mission de service public, afin d'obtenir pour soi-même ou pour autrui une exemption totale ou partielle ou une application différenciée des règles qui régissent le fonctionnement dudit service ». Cela concerne principalement les hôpitaux, mais peut s'appliquer assez précisément à un certain nombre de situations dans des établissements scolaires. Il faut sans doute mieux faire connaître et mieux déployer cet outil juridique.
Nous répondrons de manière très précise et détaillée aux questions qui nous ont été adressées sur les chiffres et les différents dispositifs. J'ai fait imprimer l'ensemble des faits qui ont émaillé l'année 2023 pour vous donner quelques exemples de ce à quoi sont confrontés aujourd'hui nos enseignants. Les cas sont extrêmement variés et nombre d'entre eux n'ont rien à voir avec ce qui est rapporté dans les médias.
Par exemple, pendant un cours d'espagnol, un élève tire sur la professeure à l'aide d'un pistolet à eau. La professeure demande à l'élève de lui remettre le pistolet à eau. L'élève refuse à plusieurs reprises avant de finir par le poser sur la table. La professeure le confisque. Un deuxième élève intervient, lui dit que le pistolet à eau lui appartient et qu'elle n'a pas le droit de le lui prendre. Les deux jeunes filles continuent à réclamer et à ordonner que la professeure leur rende le pistolet à eau. L'affaire se termine par des intimidations à l'encontre de la professeure et du conseiller principal d'éducation (CPE).
Un autre exemple : l'auteur des faits se trouve en salle de classe, prend une photographie de sa professeure alors qu'elle donne son cours et diffuse la photo sur le réseau social Snapchat en écrivant « grosse pute » sur l'image. Les élèves constatent la publication, en informent la professeure. Celle-ci demande à l'auteur de lui montrer son téléphone. L'élève refuse de le donner et refuse la confiscation du téléphone.
Dernier exemple : le mis en cause insulte sa professeure en cours d'histoire-géographie, lui disant qu'elle l'emmerde et la traitant de « pétasse » à la fin du cours. À la suite de ces faits, le mineur fait l'objet d'une exclusion du collège. Le soir même, le mineur envoie un message à sa CPE pour l'informer qu'il avait dit à Mme Untel qu'elle allait mourir.
Voilà le quotidien de nos enseignants.
Comme pour les violences intrafamiliales, nous incitons les enseignants à déposer systématiquement plainte. Dans ces deux cas de figure, la victime a tendance à relativiser les faits ; or le système ne peut se mettre efficacement en place et apporter une réponse exemplaire sans dépôt de plainte.
Mme Marie-Pierre Monier. - Dans quels cas les protections sont-elles mises en place ? Nous avons des exemples d'enseignants menacés qui n'ont pas bénéficié de protection.
À la suite de la mort de Dominique Bernard, il était question de généraliser dans les écoles un bouton d'alerte pour prévenir directement les commissariats et les gendarmeries. Cela existe déjà dans certains établissements scolaires. Quels sont les retours ? De manière générale, que préconisez-vous en matière de sécurisation des établissements ?
Pouvez-vous nous apporter des précisions sur les référents que vous avez évoqués ? Est-ce qu'une gendarmerie est chargée de tous les établissements d'un secteur ?
Y a-t-il une approche spécifique à la police et à la gendarmerie ?
Enfin, dans le cadre des travaux ayant conduit au rapport Bilan des mesures éducatives du quinquennat que nous avons publié en juillet 2023, les enseignants nous ont exprimé le sentiment d'une moindre prise en compte de leurs plaintes, comparé à celles d'autres représentants du service public. Comme pour les violences faites aux femmes, un travail de sensibilisation est-il mené auprès de vos forces de police ? Les dépôts de plaintes sont-ils toujours enregistrés ? Une enseignante nous signalait récemment que sa plainte ne l'avait pas été. Des critères précis ont-ils été fixés ? Les agissements verbaux que vous avez cités sont-ils pris en compte, et de quelles façons ?
M. André Petillot. - Concernant la gendarmerie, un référent est nommé par brigade territoriale. Il est chargé de l'ensemble des établissements scolaires implantés sur la circonscription de la brigade.
Ces référents scolaires relèvent du dispositif mis en place en 2009, appelé « sanctuarisation globale de l'espace scolaire » (Sages). Il vise à rassurer la communauté scolaire, à entraver l'action des fauteurs de troubles et à interpeller les auteurs pour les traduire en justice.
Un autre dispositif appelé « sécurisation des interventions et de protection » (SIP) vise à inscrire les enseignants dans notre base de données. En cas d'agression ou de menace, leur appel est ainsi priorisé par le centre opérationnel et permet d'intervenir très rapidement si la menace est caractérisée. Tout enseignant victime se voit proposer ce dispositif. Il peut s'inscrire s'il le souhaite, mais nous ne l'imposons pas. Ce dispositif intègre également les domiciles des enseignants inscrits dans les programmes de patrouilles des unités, de manière à détecter et dissuader les individus suspects.
Des points d'écoute de gendarmes existent dans les établissements les plus exposés. À l'origine, ils ont vocation à lutter contre le harcèlement scolaire, mais peuvent tout à fait servir aux enseignants qui souhaiteraient se confier là plutôt qu'à la brigade.
L'Uclat évalue le dispositif de protection pour les faits les plus graves, mais les autorités préfectorales peuvent aussi prescrire des mesures de protection. Elles ne sont pas aussi musclées que celles de l'Uclat mais peuvent concerner des passages réguliers à proximité du domicile, voire du statique si des menaces sont avérées. Nous faisons tout notre possible pour renforcer la protection des enseignants ou d'établissements scolaires sujets aux menaces.
S'agissant du dépôt de plainte, nous ne sommes pas à l'abri d'un raté, mais les consignes sont claires : les plaintes doivent être systématiquement enregistrées. Les cas évoqués sont des outrages, qui relèvent du délit. On peut considérer que ce sont des faits banals, mais s'ils ne sont pas recadrés, ils se répéteront et l'impunité s'instaurera.
Mme Céline Berthon. - Même chose pour la police : un fait pénal qui nous est déclaré est suivi d'un dépôt de plainte automatique. Il peut y avoir des enjeux d'appréciation lorsque les faits relèvent de l'infra-pénal. Si les faits sont mal qualifiés, confus ou mal caractérisés par l'agent, cela peut éventuellement conduire à un accueil inapproprié.
Le délai de traitement pourra être variable selon la nature des faits. On ne traitera peut-être pas avec la même diligence une insulte qu'un fait de violence ou une menace. Le contexte des faits, la personnalité de l'auteur ou encore le profil social de l'établissement est aussi à prendre en compte. Bien souvent, les chefs d'établissement confrontés à ce type de situation incitent à déposer plainte, mais peine à convaincre. Certains faits récents, largement couverts par la presse, ne sont par exemple pas suivis d'une plainte.
Le gage de notre efficacité réside dans la complémentarité entre les mesures disciplinaires prises par l'établissement et l'action étatique, notamment enclenchée par la plainte. D'où l'importance de référents à même de conseiller la meilleure approche à adopter.
On distingue deux catégories de protection : la protection rapprochée, avec des agents au contact permanent d'une personne. Elle est très coûteuse et n'est donc appliquée qu'en cas de menace avérée. C'est à l'Uclat, qui dépend de la DGSI, qu'il revient de déterminer si une menace relève de cette dimension. Je ne suis pas en mesure de vous détailler ce qui conduit précisément à la mise en oeuvre de cette mesure exceptionnelle et exorbitante : cela peut par exemple tenir à la personnalité de l'auteur de la menace. Dans d'autres cas, une autre forme de protection individualisée peut rassurer un enseignant inquiet pour sa sécurité. Nous l'avons mise en place à chaque fois que cela était nécessaire.
Enfin, le bouton d'alerte supposerait à la fois un raccordement direct entre un établissement scolaire et un commissariat ou une gendarmerie, et une intervention immédiate à son déclenchement. On sait par habitude qu'une alarme peut se déclencher de manière inopportune, aussi le dispositif ne semble-t-il pas tout à fait judicieux.
En revanche, nous disposons dans nos centres de l'alarme Ramses (réception des alarmes et des messages des sites et établissements sensibles), qui identifie des correspondants privilégiés. C'est par ce dispositif, par exemple, que nous prenons en compte les alertes émanant des téléphones dit « grave danger ». Il consiste en un abonnement à un service raccordé. Ce n'est pas à proprement parler un bouton d'alarme.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, rapporteur. - Madame Brunner, je vous demande à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Virginie Brunner prête serment.
Mme Virginie Brunner, directrice nationale de la sécurité publique. - Il existe quatre correspondants spécifiques : le correspondant « police sécurité », en lien avec tous les chefs d'établissement d'une circonscription, à l'échelon local ; le référent départemental « police-éducation nationale » travaille sur l'ensemble du département ; le chef de circonscription est en lien avec les équipes de direction du monde enseignant ; enfin, le directeur départemental de la sécurité publique (DDSP) travaille plutôt avec le directeur académique des services de l'éducation nationale (Dasen) ou le rectorat.
D'autres référents peuvent être affiliés à des thématiques spécifiques, comme les référents « sureté », chargés d'analyser la menace extérieure et de développer la culture de la sûreté au sein des établissements. Ils sont accompagnés du correspondant « sureté », dont le rôle est décliné au niveau local, mais aussi de policiers formateurs antidrogue (PFAD).
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, rapporteur. - Combien d'établissements sont abonnés au dispositif Ramses ?
Mme Céline Berthon. - Actuellement, aucun. Il s'agit d'un dispositif de gestion des alarmes « agression ». Il suppose un raccordement et entraîne par conséquent un coût d'installation et d'abonnement.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, rapporteur. - Est-ce la police qui le propose, ou bien les établissements qui en font la demande ?
Mme Céline Berthon. - À ce jour, nous ne le proposons pas aux établissements scolaires. Il cible plutôt des bâtiments publics qui nécessitent des mesures de réaction particulière en cas d'agression, tels que la Banque de France.
M. Jean-Michel Arnaud. - Certains témoignages passent en effet au travers des mailles du filet. Je vous transmets celui d'un professeur d'histoire-géographie de mon département : « Au mois de juin, j'ai déposé une plainte contre un de mes élèves qui avait posté une photo de moi en cours sur un réseau social. Pas bien méchant certes, mais le même s'est révélé harceleur de camarade. Conseil de discipline, élève exclu définitivement et menace de la part de parents me rendant responsable de son exclusion. Nouvelle plainte contre les propos des parents et puis plus rien. Plus de nouvelles de mes plaintes... »
Dans ces situations, vous préconisez une réponse disciplinaire en interne : or les exclusions qui découlent d'un conseil de discipline peuvent avoir un impact extérieur, avec des parents qui sont menaçants sur les réseaux sociaux, voire physiquement. Pourquoi la plainte de cet enseignant n'a-t-elle pas eu de suite, alors que chaque établissement est doté de référents censés accompagner un enseignant en danger, ou qui se sent en danger ? Les forces de police étant extérieures à l'établissement et la direction extérieure à la classe, l'enseignant semble plus en mesure de jauger la gravité de la situation. Sinon comment juger si celle-ci plutôt qu'une autre relève du cas d'alerte ? Comment être sûr de ne pas passer à côté d'un cas grave, comme c'est souvent le cas lorsqu'un drame survient ?
Les collectivités locales n'ont pas été citées, alors qu'il s'agit du réseau de proximité principal en cas d'emprise scolaire, familiale ou de comportement séparatiste dans les clubs de sport. Dans les établissements du premier et du second degrés, ce sont notamment les communes, les départements et les régions qui ont la main sur la vidéosurveillance, la sécurisation des entrées au moyen de portiques et sur la police de proximité - complémentaire à la vôtre. Les conseils municipaux ont même leurs propres référents « sécurité ». Comment cette architecture globale se met-elle en mouvement pour limiter le risque ?
Mme Colombe Brossel. - Faut-il élargir aux deux zones de police et de gendarmerie les conventions signées avec les rectorats, ou sont-elles déjà généralisées ?
L'une des difficultés est d'arriver à convaincre de l'utilité du dépôt de plainte. Les services de gendarmerie sont-ils sollicités pour en parler aux futurs enseignants ou sont-ils proactifs ? Ces sujets sont-ils abordés au cours de la formation des professeurs ?
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, rapporteur. - Existe-t-il des procédures spécifiques lorsqu'un élève ou un parent est fiché S ?
M. André Petillot. - La gendarmerie a signé une convention nationale avec l'éducation nationale, qui arrive par ailleurs à échéance. Nous intégrerons de nouveaux compléments au vu de l'évolution de la menace qui frappe le monde éducatif. La prochaine échéance est celle de 2024-2027. Elle sera déclinée dans les territoires, sous l'autorité des préfets départementaux.
Nous n'intervenons pas sur la formation des enseignants, mais ce pourrait être intéressant de démontrer, dans ce cadre, l'importance de déposer plainte. Un autre axe de progression serait même de nous permettre d'investiguer sans qu'une plainte soit forcément déposée. C'est aujourd'hui le cas pour les violences intrafamiliales pour lesquelles, même sans plainte, une enquête est lancée quand la situation l'impose.
Pour autant, il faut faire attention à ce que l'enquête ne soit pas contre-productive, dans le cas, par exemple, d'un jeune dont le comportement problématique relève de simples mesures disciplinaires. Si la police a un doute sur la nature des faits, c'est au magistrat qu'il revient d'évaluer ce qui relève d'une infraction pénale ou non. Si l'infraction pénale n'est pas qualifiée, il n'y a pas lieu de poursuivre l'enquête. Si tout le monde fait son travail, il ne devrait pas y avoir d'angle mort.
Les collectivités locales sont bien évidemment concernées et associées au conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD), dans le cadre de son volet « établissements scolaires ». L'éducation nationale peut être associée aux états-majors de sécurité dans le cadre de travaux spécifiques au monde éducatif, mais cela concerne davantage les directeurs départementaux des services de l'éducation nationale que les collectivités territoriales.
Mme Céline Berthon. - Dans le témoignage évoqué, l'enseignant ne dit pas que le suivi est inexistant, mais qu'il n'en a pas connaissance, ce qui n'est pas nécessairement la même chose. Pour autant, un meilleur partage d'informations entre les services de police et de gendarmerie et ceux de l'autorité judiciaire paraît nécessaire. Il faut rassurer le plaignant sur le fait que sa plainte a bien été traitée avec la célérité nécessaire et qu'elle a reçu une réponse, quelle qu'elle soit. Mais dès lors qu'il s'agit de faits commis pour la plupart par des mineurs, dont, pour certains, le casier judiciaire est vierge, le niveau de réponse pénale doit être adapté.
Les conventions de partenariat mentionnées sont les conventions « éducation nationale-justice », qui ont vocation à traiter des signalements réalisés au titre de l'article 40 du code de procédure pénale sur la survenance d'une infraction. Elles visent à favoriser l'articulation entre la réponse judiciaire et disciplinaire. Ces outils sont éventuellement intéressants pour informer les victimes. Compte tenu du nombre massif de ces faits, il n'y a pas de suivi systématique.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, rapporteur. - Ces conventions ne sont donc pas systématiques ?
Mme Céline Berthon. - Elles ne le sont manifestement pas, mais je compléterai mes éléments de réponse par écrit sur ce sujet.
Enfin, la fiche S couvre des situations extrêmement variables, dont la radicalisation. Nous n'avons pas vocation à indiquer ces éléments aux établissements scolaires. En revanche, il existe dans tous les départements des cellules de prévention de la radicalisation et d'accompagnement des familles (CPRAF), qui prennent en compte le cas de mineurs radicalisés, ou en voie de radicalisation. Elles réunissent, sous l'autorité du préfet, les acteurs dans ce domaine, y compris les correspondants de l'éducation nationale, membres de ces CPRAF.
À la suite de l'assassinat de Dominique Bernard, les ministres de l'intérieur et de l'éducation nationale ont demandé à réunir les CPRAF ; à cette occasion, des informations protégées ont pu être partagées.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, rapporteur. - Nous vous remercions pour les réponses précises que vous avez apportées et que vous vous êtes engagés à compléter plus précisément par écrit.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 h 40.