Jeudi 14 décembre 2023
- Présidence de M. Olivier Rietmann, président -
La réunion est ouverte à 8 heures.
Table ronde : « Responsabilité sociale des entreprises : arnaque ou atout ? »
M. Olivier Rietmann, président. - Notre délégation a confié à nos deux collègues Anne-Sophie Romagny et Marion Canalès une « mission flash » sur la mise en oeuvre de la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) qui vise à mieux encadrer les rapports extra-financiers des entreprises. Alors qu'aujourd'hui, en Europe, seules 11 600 sociétés sont tenues de présenter un tel rapport, 50 000 entreprises seront à terme concernées. Il était important pour nous d'apprécier l'impact de ces nouvelles obligations sur les entreprises, un an jour pour jour après la publication de cette directive dont on entend beaucoup parler dans nos territoires.
C'est la raison pour laquelle nous organisons ce matin deux tables rondes, en complément des travaux menés par les rapporteurs et des documents de travail que tous les sénateurs pourront retrouver sur l'application DEMETER.
La première table ronde porte un titre volontairement provocateur pour lancer le débat : « Responsabilité sociale des entreprises : arnaque ou atout ? ». En effet, comme l'avaient mis en évidence les travaux de la délégation sur le sujet, la directive CSRD s'inscrit dans la thématique plus générale de la responsabilité sociale des entreprises (RSE), dont il convient de préciser la portée et les enjeux. Nous entendrons ce matin, dans l'ordre suivant :
• Mme Julie Ansidéi, responsable de l'engagement externe en Europe au sein du fonds d'investissement BlackRock Sustainable and Transition Solutions. Il s'agit de la plus grande société d'investissement et de gestion d'actifs au monde, qui gère près de 10 000 milliards de dollars d'actifs. Vous pourrez réagir, Madame, sur les critiques de ceux qui, comme aux États-Unis, dénoncent le capitalisme « woke ». Les performances mesurées selon les critères ESG (environnement, social, gouvernance), évaluent-elle l'impact positif des entreprises sur la planète ? Ou bien ces indicateurs servent-ils simplement à mesurer un risque financier ?
• puis nous entendrons Mme Michèle Pappalardo, présidente du comité de réforme du label ISR (Investissement socialement responsable), créé en 2016 et actuellement attribué à 1 200 fonds gérant plus de 750 milliards d'euros d'actifs. Madame, vous pourrez exposer les grandes lignes de la réforme d'un label qui avait « perdu en exigence et en crédibilité » selon les termes du rapport de l'Inspection Générale des Finances (IGF) ;
• enfin interviendra M. Pierre Victoria, président de la Plateforme RSE de France Stratégie, qui réunit toutes les parties prenantes de la RSE. Monsieur, vous pourrez décrire l'impact des actions des acteurs publics sur les pratiques de RSE, le développement de la commande publique responsable, et la mise en oeuvre des politiques publiques en accord avec des objectifs de développement durable.
Je vous remercie tous trois de votre présence.
Mme Julie Ansidéi, responsable de l'engagement externe en Europe au sein du fonds d'investissement BlackRock Sustainable and Transition Solutions. - Merci pour cette invitation. Je travaille dans une équipe globale d'environ 40 personnes en charge de définir la stratégie de BlackRock sur les enjeux de durabilité et de mettre en oeuvre cette stratégie avec d'autres équipes, notamment nos investisseurs. Environ 500 personnes travaillent sur ces sujets de durabilité et de climat, y compris des scientifiques et des experts sectoriels.
BlackRock possède un peu plus de 9 000 milliards de dollars d'actifs sous gestion investis sur toutes les classes d'actifs. Nous avons des bureaux dans une trentaine de pays et nous servons des clients de toute nature, ayant des objectifs et des horizons d'investissement différents. Nous sommes gérants pour compte de tiers : l'argent que nous gérons n'est pas le nôtre, mais celui de nos clients. Beaucoup de ces clients prennent leurs propres décisions en matière d'allocation d'actifs et de construction de portefeuilles. Notre rôle est de rechercher les meilleures performances possibles en fonction des choix d'investissement et des préférences des clients, en gérant le mieux possible les risques.
En France, BlackRock emploie plus de 200 personnes et gère 45 milliards d'euros d'actifs sous gestion pour des clients français. 200 milliards d'euros sont investis dans l'économie française pour le compte de clients globaux.
La prise en compte des enjeux de durabilité et de responsabilité sociale et environnementale des entreprises n'est pas une mode ou une contrainte réglementaire, mais une tendance de fond qui reflète à la fois une évolution des préférences des clients et des investisseurs, en particulier en Europe, et des transformations en profondeur des modes de production et de consommation. Notre rôle, en tant qu'investisseur, consiste à évaluer les implications que ces transformations peuvent avoir au niveau macro-économique, des portefeuilles et de chacune des entreprises dans lesquelles nous investissons. Il ne nous appartient pas de définir de quelle manière les entreprises doivent appréhender leur responsabilité sociale, mais nous attendons qu'elles expliquent comment elles prennent en compte les risques et les opportunités dans les domaines environnementaux et sociaux, comment elles les intègrent dans leur stratégie et leurs opérations, comment elles gèrent et répondent aux impacts négatifs qu'elles peuvent générer et comment elles gèrent, sur le long terme, leurs relations avec leurs parties prenantes. Nous soutenons les efforts de transparence depuis plusieurs années, à la fois des entreprises pour les encourager à rendre public un certain nombre d'informations lorsque le cadre juridique n'était pas en place, mais aussi des régulateurs pour introduire cela dans les obligations qui s'imposent aux entreprises.
Notre approche de la durabilité est ancrée autour de trois piliers indissociables. Le premier consiste à développer une gamme de stratégies et de produits d'investissement qui réponde au mieux aux besoins et aux préférences des clients, notamment sur les enjeux environnementaux et sociaux. Les préférences de nos clients peuvent aller de la limitation de l'exposition à certains secteurs à l'investissement à impact positif. Le deuxième pilier de notre approche vise, dans le cadre des objectifs d'investissement que les clients définissent, à rechercher les meilleurs résultats à la fois en termes de rendement, de risque et d'objectif extra-financier. Enfin, le troisième pilier vise à fonder notre approche d'investissement sur la recherche et l'analyse des données.
La plateforme d'investissement durable représente 700 milliards de dollars d'actifs sous gestion en 2023, à travers 500 produits environ. En 2020, elle représentait 100 milliards de dollars. Cette croissance extrêmement rapide reflète ce que nous avons vu dans l'industrie. Nous continuons à étoffer cette gamme chaque année pour répondre aux besoins de nos clients, à de nouvelles méthodes et aux nouvelles données disponibles. En 2023, dans des conditions de marché difficiles, ces produits d'investissement, surtout en Europe, ont continué à attirer les investisseurs et à générer des flux d'investissement positifs, ce qui est vraiment le signe d'une tendance de long terme.
Le climat a beaucoup concentré notre attention et celle des entreprises. De nombreux clients institutionnels ont pris des engagements en la matière, que ce soit au travers de coalitions d'investisseurs ou de manière indépendante. Ces clients cherchent à comprendre comment mettre en oeuvre ces engagements, par exemple par des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre liées à leur portefeuille d'investissement. Ils se demandent également comment investir dans la transition. Cet été, nous avons mené une enquête auprès des 200 investisseurs institutionnels les plus importants dans le monde entier. Cette demande très forte d'accroître l'exposition à la transition s'exprime dans toutes les régions. Les investisseurs d'Amérique du Nord sont sur-représentés. L'ensemble de ces 200 investisseurs institutionnels considèrent la transition comme une priorité, y compris du point de vue de la gestion des risques ou de la recherche d'opportunités.
Deux initiatives relatives à la transition ont focalisé nos efforts cette année. En matière de recherche, nous avons publié un scénario de transition qui présente le rythme et la forme que peut prendre la transition dans les années à venir, en tenant compte des politiques publiques, des avancements technologiques et des préférences des investisseurs. Par ailleurs, nous avons défini une plateforme d'investissement pour la transition. Cette plateforme représente environ 110 milliards de dollars d'actifs sous gestion. Elle n'est pas complètement imbriquée dans la plateforme d'investissements durables car les produits d'investissement dans la transition peuvent ne pas passer la barre des critères que nous avons définis pour les produits d'investissement durable.
Les défis sont nombreux, notamment la polarisation que nous voyons sur ces sujets aux États-Unis.
De plus, au-delà de la transition climatique, d'autres transitions restent incertaines et complexes. C'est dans ce contexte que nous nous situons.
Mme Michèle Pappalardo, présidente du comité de réforme du label Investissement Socialement Responsable (ISR). - Merci de me donner l'occasion de présenter le résultat de la refonte du label. Le texte a été publié cette semaine.
Le label date de 2016, soit une année après la COP 21. Il était innovant à l'époque. Il reposait beaucoup sur des pratiques de transparence, dans l'idée d'accompagner les entreprises dans leurs démarchée de RSE et la mise en public de tout ce qu'elles essayaient de faire. En 2020, le ministre chargé des finances a demandé un rapport à l'Inspection générale des finances. Celui-ci a conclu que le label était devenu moins innovant et pas suffisamment exigeant. Il a donc été demandé au comité du label ISR de procéder à la refonte du référentiel.
Il s'agit d'un label généraliste, pas d'un label vert. Le label ESG vise à soutenir les entreprises qui mènent des démarches générales, lesquelles peuvent être vertes, mais également sociales. Il y a souvent un malentendu sur ce point. Le fondement du label n'est pas d'être vert, mais d'être généraliste.
Nous travaillons sur l'évolution du label depuis deux ans. Nous nous sommes efforcés de le rendre plus exigeant et de passer d'objectifs de transparence à des objectifs de résultat. Ces évolutions portent sur trois points particuliers.
En premier lieu, le label se veut plus sélectif. Jusqu'à présent, les fonds labellisés devaient exclure les 20 % d'entreprises les moins bien notées. Désormais, il s'agira des 30 % d'entreprises les moins bien notées. D'une manière générale, nous avons précisé beaucoup d'éléments qui, dans le label précédent, étaient évoqués, mais pas précisés, si bien que les certificateurs ne pouvaient pas s'appuyer sur ces éléments. Par exemple, le référentiel disait simplement qu'il fallait voter aux assemblées générales. Désormais, il dit qu'il faut voter dans au moins 90 % des assemblées générales des entreprises françaises et dans au moins 70 % des assemblées générales des entreprises étrangères.
Par ailleurs, nous avons intégré la double matérialité. Ce sujet n'existait pas en 2015-2016. D'une manière générale, nous avons essayé d'utiliser le plus possible les textes européens. La double matérialité signifie que nous demandons aux fonds d'expliciter les incidences négatives des entreprises qui sont dans le fonds. À mesure que les entreprises exprimeront leurs indicateurs d'incidence négative (PAI), les fonds les rendront publics. Il s'agit d'un premier pas. Dans un second temps, nous mettrons des obligations et des exigences en matière de résultat. Les fonds labellisés doivent déjà désigner deux indicateurs, dont l'un d'incidence négative, sur lesquels ils doivent être meilleurs que leur univers de départ.
Enfin, nous avons fait du climat un élément incontournable d'une démarche ESG, sans en être l'objectif principal. Les entreprises et les fonds doivent se préoccuper de la dimension climat et dire ce qu'ils font en la matière. Cela nous a conduits à procéder à des exclusions, ce qui n'avait pas été le cas avec le référentiel précédent. Ces exclusions portent sur les trois domaines (E, S et G). Les exclusions sur le S et le G sont assez classiques et ne provoqueront pas beaucoup d'évolution. Les exclusions dans le domaine de l'énergie ont davantage fait parler. Nous avons exclu le charbon, les énergies fossiles non-conventionnelles et les nouveaux projets d'hydrocarbures (qu'ils soient conventionnels ou non). Cela n'aura pas un impact extrêmement important sur la labellisation car seul 1 % de la capitalisation de nos fonds porte sur les énergies fossiles.
Les plans de transition sont un autre élément important qui n'existait pas en 2016. Nous sommes encore balbutiants sur le sujet. Un plan de transition comprend un ensemble de cibles, des moyens et une gouvernance. Ils doivent évidemment être compatibles avec l'Accord de Paris de 2015. Nous avons une démarche en deux temps. Nous demanderons d'abord aux fonds de demander à leurs entreprises ce qu'elles font en matière de transition. À partir du 1er janvier 2026, nous demanderons qu'au moins 15 % des entreprises des secteurs à fort enjeu en matière de changement climatique, lesquels représentent environ la moitié de l'économie, montrent qu'ils ont un plan de transition compatible avec l'Accord de Paris. 20 % supplémentaires devront s'engager à avoir un plan de transition dans les 3 ans. C'est un début. Nous serons certainement plus exigeants à mesure que les entreprises se seront emparées du sujet des plans de transition.
Voilà pour les grands axes de la refonte du label. L'intérêt du label étant de labelliser des fonds, il a aussi un impact sur les entreprises.
M. Pierre Victoria, président de la Plateforme RSE de France Stratégie - Merci pour votre invitation. Je suis le président de la Plateforme RSE, qui a été créée il y a 10 ans par le gouvernement français après l'effondrement d'un immeuble au Bangladesh qui avait fait 1 300 morts et avait interrogé sur la nécessité d'allonger la responsabilité des entreprises vis-à-vis de leurs chaînes de sous-traitance. L'idée de cette plateforme était de réunir des acteurs qui ne se parlaient pas, ou mal, (entreprises, syndicats, organisations de la société civile, chercheurs, institutions publiques) pour les faire travailler ensemble sur les questions liées à la responsabilité sociale des entreprises. 50 organisations ont été nommées par le gouvernement. Cette plateforme est directement rattachée à la Première ministre. Nous sommes hébergés par France Stratégie, qui nous apporte des moyens humains et financiers. Nous menons un travail d'expertise, de concertation et de propositions.
Nous sommes organisés en 5 collèges : acteurs économiques, syndicats, organisations de la société civile, chercheurs/développeurs et institutions publiques. Je suis moi-même issu du pôle des chercheurs et développeurs. J'ai été directeur du développement durable de Veolia pendant 15 ans. J'ai également été administrateur salarié au sein de cette entreprise.
Depuis 10 ans, nous avons émis 30 rapports : la moitié à la demande du gouvernement et l'autre moitié en auto-saisine, à partir de feuilles de route de 3 ou 4 ans que nous avons-nous-mêmes élaborées. Nous travaillons actuellement à l'élaboration de la feuille de route 2024-2027. Les sujets de RSE évoluent de manière considérable. Nous essayons de percevoir la nature de ces tendances. Nous produisons environ 4 rapports par an.
Ce sont vraiment les pôles qui structurent le fonctionnement de la plateforme. Chaque pôle désigne des représentants. Nous faisons des expertises et des recommandations. L'organe de décision est le bureau. Il veille à ce que le périmètre des études soit conforme à la feuille de route. Les 50 membres se retrouvent en assemblée plénière 3 fois par an pour valider les recommandations que nous faisons dans les rapports.
Nos deux derniers rapports ont porté sur l'impact et la responsabilité des performances plurielles pour l'un et sur le rôle des acteurs publics en matière de RSE pour l'autre. Dans le premier, nous nous sommes demandé si le concept d'impact était la nouvelle frontière de la RSE. Dans le second, nous nous sommes interrogés sur la manière dont les fonctions publiques peuvent être des acteurs de la transition et intégrer des questions de RSE dans leurs appels d'offres. Nous avons également travaillé sur la conditionnalité des aides et le rôle de l'État actionnaire.
Nous finissons actuellement un rapport sur les Objectifs du développement durable (ODD) et la RSE. Il paraîtra en début d'année 2024. À la demande de la délégation interministérielle aux réfugiés, nous débutons un travail sur les questions d'intégration des réfugiés dans le tissu économique français.
Nos propositions doivent être consensuelles et conjointes aux 5 pôles structurants de la plateforme. Nous recherchons vraiment le dialogue et la concertation entre des acteurs qui ne sont pas toujours tendres les uns avec les autres. Il s'agit d'un atout qui n'est pas suffisamment reconnu. Nous souffrons d'un manque de connaissance de la réalité de notre travail. Pourtant, nos travaux figurent dans le domaine public. Certaines de nos propositions, par exemple sur les salariés aidants, ont déjà été reprises par le gouvernement dans un projet de loi. Toutefois, nous n'avons aucun retour sur la réalité des propositions que nous sommes amenés à faire, alors que nos recommandations ne s'adressent pas qu'au secteur public.
Nous nous sommes beaucoup demandé si le terme RSE était encore le plus pertinent dans le monde de la durabilité qui s'ouvre devant nous, notamment au regard de la construction européenne de la durabilité des entreprises. Ce terme ne répond pas forcément à la question de l'utilité sociétale de l'entreprise. D'aucuns disent qu'il ne faut plus parler de responsabilité, mais d'utilité. Il existe également un fort mouvement autour de l'impact. L'impact est-il la nouvelle frontière ? Nous ne le pensons pas. La mesure de l'impact est un outil énorme, qu'il faut remettre dans le cadre de la directive CSRD et de la double matérialité. Le sujet de la responsabilité de l'entreprise reste questionné par l'ensemble de la société. La mesure de l'impact est une manière d'évaluer la réalité du travail effectué. Le terme de responsabilité ne peut pas être complètement fondu dans l'impact ou la durabilité. La responsabilité reste extrêmement pertinente dans le monde d'aujourd'hui, face aux différentes crises auxquelles nous sommes confrontés. D'ailleurs, nous avons fait un texte sur la géopolitique et la RSE. Il s'adressait notamment, mais pas uniquement, aux entreprises qui étaient présentes en Russie lors de l'invasion de l'Ukraine.
Notre vision de l'entreprise englobe l'ensemble des entreprises. Nous ne travaillons pas seulement pour les 300 grandes entreprises françaises, pour les plus de 5 000 entreprises de taille intermédiaire ou pour les 138 000 petites et moyennes entreprises (PME). Nous ne travaillons pas qu'avec les entreprises les plus engagées. Nous nous adressons à tous les secteurs économiques et aux liens qui les unissent afin que la question sociale et environnementale soit prise en compte par l'ensemble du tissu économique. Les relations entre les grandes entreprises, les entreprises de tailles intermédiaires (ETI) et les PME doivent être revues et améliorées.
M. Olivier Rietmann, président. - Merci pour vos propos liminaires. Je cède la parole à nos deux rapporteurs.
Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteure. - J'ai d'abord quelques questions pour Madame Ansidéi. En 2020, vous vous étiez engagé à respecter les critères ESG dans vos investissements. En 2023, vous semblez avoir renoncé à cette exigence. Pourquoi une telle évolution ? Par ailleurs, comment considérez-vous la double matérialité ? En dehors de l'Europe, la matérialité simple, financière, domine. La directive CSRD constitue-t-elle un atout ou un handicap pour les entreprises européennes ?
Mme Marion Canalès, rapporteure. - J'ajoute une question. Pouvez-vous investir en Europe en prenant en considération les critères ESG, ce que vous ne pourriez pas faire dans un État comme le Texas, qui proscrit le capitalisme « woke » ?
Mme Julie Ansidéi. - Les débats sont très polarisés aux États-Unis. Ces dernières années, BlackRock s'est attaché à clarifier son approche de la durabilité et à la replacer dans la responsabilité que nous avons vis-à-vis de nos clients. Notre approche de la durabilité n'a pas pour autant changé. Il en va de la responsabilité des investisseurs de considérer les facteurs environnementaux et sociaux. Ce sont des éléments que nous considérons lorsque nous interagissons avec nos clients et que nous considérons leurs préférences vis-à-vis de ces sujets.
Les initiatives qui ont été prises au Texas et dans d'autres États américains ont fait que BlackRock s'est retrouvé sur des listes de boycott, mais cela n'affecte pas notre approche de la durabilité, la manière dont nous considérons les entreprises et la manière dont nous développons la recherche et nos produits d'investissement. D'ailleurs, l'intégration des considérations ESG est une obligation en Europe. Un document public détaille la manière dont nous intégrons ces considérations dans notre stratégie d'investissement. La considération des facteurs E, S et G varie en fonction des stratégies d'investissement et de chaque objectif des fonds.
Cela fait plusieurs années que les thématiques environnementales, nature, droits humaines et droits sociaux font partie des thèmes avec lesquels nous engageons les entreprises et pour lesquels nous sommes amenés à nous positionner dans les assemblées générales des sociétés.
En France, les obligations qui s'imposent aux entreprises cotées sont antérieures à ce que connaissent d'autres pays européens. Il s'agit d'un atout par rapport à d'autres entreprises dans le monde, qui arriveront plus tard dans ce processus de reporting obligatoire. Le mouvement de transparence des entreprises sur la manière dont elles répondent aux enjeux climat augmente. Il est donc important que les entreprises puissent se préparer au plus tôt.
La directive CSRD est un élément d'un cadre beaucoup plus large et ambitieux en Europe, qui touche à la fois le secteur financier et les entreprises. Les investisseurs sont également soumis à des obligations de reporting sur les impacts de leurs investissements. Nous nous inscrivons dans ce mouvement en considérant les préférences des clients. Ces préoccupations sont exprimées à des degrés divers. Les investisseurs qui recherchent des impacts positifs à travers les investissements représentent encore une partie assez faible du portefeuille. Nous avons-nous - mêmes une plateforme d'investissement à impact.
Mme Marion Canalès, rapporteure - Nous avons maintenant des questions pour Madame Pappalardo. Quel est le lien entre le règlement SFDR qui s'adresse aux investisseurs financiers et la directive CSRD ? Comment les fonds ont-ils réagi à l'exclusion des énergies fossiles ?
Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteure - Pourquoi les énergies fossiles ont-elles été exclues ? Que pensez-vous des critiques portées sur la double matérialité par Emmanuel Faber au nom de l'ISSB (International Sustainability Standards Board) ?
Enfin, pour Monsieur Victoria, l'Europe est la seule à assumer la voie d'une économie responsable. Est-ce l'unique manière de conjuguer compétitivité et durabilité ? Comment rester compétitif ? Est-il possible d'avoir une vue exhaustive de l'ensemble des impacts d'une entreprise sur l'environnement ?
Mme Marion Canalès, rapporteure. - D'une manière générale, quelles difficultés rencontrent les TPE et les PME dans la mesure des impacts d'une entreprise sur l'environnement ?
Mme Michèle Pappalardo. - Concernant les directives SFDR et CSRD, il était évident que nous devions intégrer les réglementations européennes dans la nouvelle version du référentiel. Nous avons commencé à travailler lorsque la directive SFDR a été publiée. Nous avons des réglementations qui sont en évolution, ce qui est normal. Je reconnais que c'est extrêmement compliqué pour les sociétés de gestion et les entreprises. Nous essayons d'avancer le plus vite possible car nous avons pris du retard. Nous avons intégré le plus possible les définitions dans le nouveau référentiel, sans rien inventer. Nous adapterons ce référentiel au fur et à mesure que les choses changeront dans les textes européens. L'idée n'est pas d'attendre 9 ans pour y revenir, mais plutôt 2 ans ou 2 ans et demi. C'est comme cela que les choses doivent se faire. Cela met un peu d'instabilité dans le paysage, mais c'est la conséquence du fait que nous essayons d'avancer plus vite.
Nous sommes très contents d'avoir ces deux textes, notamment la directive CSRD. C'est parce qu'elle existe que nous pouvons demander aux fonds de demander un certain nombre d'informations aux entreprises. Le label incite les entreprises à aller un peu plus vite que simplement respecter les textes, ce qui est normal pour un label.
Pourquoi l'exclusion des fossiles ? Nous y avons beaucoup réfléchi. Je n'étais pas absolument convaincue qu'il fallait procéder à des exclusions. Toutefois, il est apparu assez clairement qu'un épargnant qui a une démarche de durabilité a forcément la dimension climat en tête. Cette dimension est incontournable. Il n'est pas possible de faire de la RSE sans se préoccuper de la dimension climat. Nous n'avons pas exclu toutes les énergies fossiles. Ainsi, le conventionnel en stock n'est pas exclu. Toutefois, il doit exister un plan de transition. Nous accompagnons cette démarche. Même sans exclusion dans le référentiel précédent, les fonds allaient d'eux-mêmes vers les entreprises qui n'étaient pas dans les énergies fossiles. L'objectif du label est d'encourager les fonds et les entreprises à avoir une démarche ESG.
Je n'entrerai pas dans un débat avec Monsieur Faber. Un épargnant qui va dans un fonds ESG ne se pose pas la question de la double matérialité. Je ne conçois pas que cet épargnant aille dans ces fonds en ayant en tête que nous ne tenons pas compte de l'impact des entreprises qui sont dans ces fonds sur l'environnement, le social ou la gouvernance. C'est forcément cela qu'il attend. Il n'attend pas de savoir si, dans les fonds, on a bien tenu compte de la conséquence financière de l'environnement, du social ou de la gouvernance. C'est important, mais un épargnant qui investit avec la volonté de soutenir la démarche ESG s'intéresse à l'autre matérialité. Il est donc évident que le label doit aller dans cette direction.
M. Pierre Victoria. - Il y a 3 ans, la plateforme a produit un rapport sur la manière de se positionner par rapport aux dynamiques européennes structurantes. La réponse a été unanime. Nous nous sommes inscrits totalement dans la vision d'une entreprise qui doit assurer une plus grande utilité sociétale. C'est cela le modèle européen d'entreprise. Il intègre les questions de la société. Nous avons très clairement pris position en faveur de la politique européenne et des travaux de l'European Financial Reporting Advisory Group (EFRAG). Nous sommes persuadés qu'il s'agit du sens de l'histoire. Aucune activité économique ne peut perdurer si elle ne répond pas aux attentes de son époque. La politique européenne nous semble aller dans ce sens.
Nous sommes toujours un peu interrogatifs, au sein de la plateforme, sur l'évaluation de la loi PACTE française. Cette évaluation n'est pas à la hauteur des espérances, notamment s'agissant de l'article 1833 du Code civil. Quand on parle de la loi PACTE, on parle de la raison d'être et des sociétés à mission, mais pas de l'obligation qui est faite aux entreprises d'être gérées en prenant en considération les enjeux environnementaux et sociaux. Notre adhésion aux problématiques européennes est une manière de faire porter l'attention du législateur sur cette modification de l'article 1833 du Code civil. C'est aussi pour cela que nous sommes favorables au concept de double matérialité.
La question des PME est cruciale. Les PME sont sans doute l'acteur le plus dynamique au sein de la plateforme RSE. Il faut aller vers des labels sectoriels pour les PME. C'est un élément clé de la reconnaissance de celles qui font des efforts en matière environnemental et social.
Nous sommes très attentifs à ce que l'application de la directive CSRD aux entreprises de moins de 250 salariés se fasse dans les meilleures conditions possibles. Il ne faudrait pas qu'un excès de demande d'informations puisse casser les dynamiques en cours, ou les marginaliser. Le risque est que les entreprises fassent du reporting sans l'intégrer à la stratégie des entreprises. C'est pour cela que le chapeau de la loi PACTE est important : il porte une vision de la relation entre les entreprises et la société. Il faut aider les PME afin que les normes qui leur sont appliquées soient simples, compréhensibles et n'exigent pas des moyens humains et financiers démesurés.
M. Olivier Rietmann, président. - J'espère que l'on n'oubliera pas que la priorité des entreprises reste de produire de la richesse, de l'emploi et de la valeur. La parole est aux sénateurs.
M. Michel Canévet. - L'article 1833 me semble assez clair. Pensez-vous qu'il faille aller encore plus loin ?
Notre préoccupation est de faire en sorte que la charge administrative qui incombe aux entreprises ne les pénalise pas dans l'exercice de leur activité, en particulier pour ce qui concerne les entreprises de taille modeste. Comment éviter que les objectifs de responsabilité sociétale et environnementale ne se traduisent par un carcan administratif qui découragerait l'entreprenariat dans notre pays ?
M. Pierre Victoria. - Je n'ai pas dit qu'il fallait modifier l'article 1833 du Code civil. J'ai dit qu'il fallait évaluer la manière dont il s'est mis en place. L'évaluation de la loi PACTE ne porte que sur la raison d'être et les sociétés à mission. Elle ne dit pas en quoi l'ensemble du tissu économique a pris en compte les sujets environnementaux et sociaux. Nous sommes trop focalisés sur ce qui est le plus facile à quantifier. La double matérialité pouvait peut-être permettre cela.
Nous pensons qu'il faut peu d'indicateurs, et des indicateurs assez larges. Le sujet du climat est prioritaire et important, mais la RSE n'est pas que cela. La solidarité territoriale entre les acteurs est un autre sujet majeur, de même que l'inclusion sociale dans les territoires ou l'économie circulaire. Il faut faire simple dans les indicateurs et embrasser un champ qui ne se réduise pas uniquement au climat.
Mme Michèle Pappalardo. - Nous sommes conscients de ce sujet de la charge administrative. Les évolutions de la CSRD, avec l'idée de centrer le reporting sur les points qui ont une vraie matérialité pour les entreprises, vont dans ce sens. L'inconvénient est que nous perdrons en informations et en visibilité globale. Il ne faut pas non plus être trop réducteur. Le reporting est une charge administrative. Il faut qu'il ait un sens pour l'entreprise, qu'il corresponde à sa démarche et à sa stratégie et que nous en fassions quelque chose.
Mme Julie Ansidéi. - À charge pour nous de nous organiser pour utiliser ce reporting, sous une forme qui reste à voir. Il y a beaucoup de qualitatif dans ces rapports, qui sont indispensables. Nous avons longtemps milité pour quelques indicateurs sectoriels sur des sujets variés de la RSE, mais l'information qualitative est importante pour comprendre comment une entreprise s'empare des indicateurs et comment l'investisseur peut en tirer des conséquences.
Nous sommes vigilants à l'interopérabilité. Les entreprises doivent pouvoir utiliser dans d'autres régions ce qu'elles font en Europe. Il reste beaucoup d'indicateurs dont les méthodologies sont difficiles. Je pense notamment à la nature. Les entreprises et les investisseurs ne savent pas encore bien mesurer ces questions. Nous devons progresser collectivement dans les outils de mesure.
Enfin, il faut laisser un peu de temps aux PME. Ce n'est pas que la contrainte réglementaire qui les forcera à s'adapter. Ce sont également leur chaîne de valeur et les investisseurs. Nous menons une réflexion sur les stratégies d'investissement dans le non coté. Les investisseurs peuvent accompagner les premiers pas des entreprises dans la définition d'une stratégie sur les sujets climat.
M. Yves Bleunven. - Il y a une vingtaine d'années, nous avons vu arriver les normes ISO dans nos entreprises. Nous étions enthousiastes, mais au final, nous avons eu l'impression de courir avec un boulet au pied. N'avez-vous pas l'impression que nous pourrions faire porter sur les contrôles l'énergie que nous déployons dans les labels et la certification des entreprises ? Quels moyens mettons-nous en oeuvre à l'échelle de l'Europe pour faire en sorte que nous courions tous dans les mêmes conditions, avec les mêmes contraintes ? L'inflation que nous connaissons depuis 2 ans montre que le consommateur arbitre essentiellement sur des notions de prix. Les labels de qualité sont en chute vertigineuse.
Mme Michèle Pappalardo. - Je suis une grande fervente de l'idée de contrôle. Si nous nous fixons des objectifs de résultat, nous avons besoin de moyens de contrôle. Le label ISR s'applique aux entreprises françaises comme étrangères, qu'elles soient européennes ou non. Nous avons une pression pour que toutes les entreprises aillent vers des investissements dans des labels ISR, quelle que soit leur origine. Il existe un contrôle puisqu'il y a une certification tous les 3 ans, renouvelée chaque année, pour vérifier qu'il n'y a pas d'écart entre la stratégie de la labellisation et la réalité des faits. Nous sommes bien dans un processus de certification par un tiers.
M. Olivier Rietmann, président. - Merci pour votre participation à ce débat. Vos analyses seront précieuses pour le travail de nos rapporteurs.
Table ronde : « Directive « CSRD » : reporter la complexité ?»
M. Olivier Rietmann, président. - La deuxième table ronde de la matinée met en évidence, sous forme d'interrogation, l'angoisse de nombreux chefs d'entreprise face à la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). La complexité administrative, normative, est au coeur de leurs préoccupations et explique que le sujet soit si important pour la délégation aux Entreprises.
Pour répondre à cette question, interviendront ce matin dans l'ordre suivant :
• Patrick de Cambourg, président du Sustainability Reporting Board de l'EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group), tenant du concept de la double matérialité, retenue par l'Union européenne. Monsieur, vous pourrez présenter ce concept et nous expliquer pourquoi il est important à vos yeux.
• Nous entendrons ensuite Thierry Philipponnat, chef économiste à Finance Watch, organisation non-gouvernementale européenne dont la vocation est de favoriser une industrie financière responsable et durable. Le dernier rapport, publié mardi 31 octobre par votre organisation (« La finance dans un monde brûlant »), considère qu'en sous-estimant les répercussions financières du changement climatique, les économistes encouragent les politiques à l'inaction, et que les banques financent encore trop largement les énergies fossiles. Comment appréhendez-vous, dans ce contexte, la directive CSRD ?
• Enfin, en visioconférence interviendra Emmanuel Faber, Président de l'ISSB (International Sustainability Standards Board), qui a publié le 26 juin 2023 ses normes extra-financières. La position de l'ISSB, peu favorable au concept européen de double matérialité, ne vous a pas empêché de publier lundi dernier une tribune plutôt nuancée sur le sujet, prônant une collaboration au niveau mondial. Peut-on échapper à une bataille des normes avec les États-Unis ?
Nous vous remercions tous trois de votre présence pour un débat qui peut paraître à la fois très technique et difficile à appréhender, mais qui est fondamental pour la compétitivité de nos entreprises.
M. Patrick de Cambourg. - À l'issue d'un effort politique de l'Union Européenne qui a démarré en 2020, voire avant, la question de la qualité de la donnée en matière de durabilité connaît une phase majeure de progrès. La situation ex-ante était extrêmement dangereuse. Elle conduisait à des risques de green washing. Il n'y avait pas de normes, mais des initiatives multiples. La donnée n'était pas vérifiée et ne répondait pas aux objectifs de qualité qui sont nécessaires à un travail sérieux. En effet, il n'y a pas de politique publique ou de stratégie privée sans donnée fiable. C'était un problème fondamental.
La nouvelle Commission européenne, mise en place en décembre 2019, avait été sensibilisée par de multiples acteurs. Elle a entrepris de résoudre le problème de la qualité de la donnée dès janvier 2020. Au terme de multiples efforts techniques et débats politiques, nous sommes arrivés à l'adoption, puis à la publication de la directive CSRD, qui a fait l'objet d'une transposition en France par une ordonnance du 6 décembre 2023.
Les normes représentent le second volet de ce dispositif. La pratique de l'information requiert des normes détaillées d'établissement. L'objectif est de créer un deuxième pilier, celui de la durabilité, qui soit en connexion avec le pilier financier, qui est stabilisé et bien connu. Le pilier financier a pour défaut de se limiter à des points qui ne sont pas des points de vision d'avenir.
Les standards européens (European Sustainability Reporting Standards, ESRS) ont été publiés le 31 juillet dernier. Ils ont ensuite fait l'objet d'un examen par le Parlement européen et le Conseil. Aujourd'hui, ces standards sont dans le système juridique européen applicable aux 27 pays de l'Union. Le conseil que j'ai l'honneur de présider est heureux de ce dénouement. Nous aurions même dû commencer plus tôt. Nous avons créé des obligations de comportement et de reporting alors que même la donnée n'existait pas. Il était donc absolument essentiel de résoudre cette question de la donnée.
Je voudrais insister sur deux points importants. Le premier tient à la double matérialité. Le débat sur le sujet est tout à fait exagéré, et caricatural dans une large mesure. Une entreprise a des impacts (sur l'environnement d'une manière générale et son environnement social), ainsi que des risques et opportunités sous l'angle de sa performance financière. On a tendance à opposer les deux notions. Or ces deux réalités sont très largement imbriquées. En effet, quels sont les impacts d'une entreprise sur son environnement et les personnes qui n'auraient pas de conséquence financière ? Il faut donc prendre en compte les deux dimensions.
Pour éviter les rapports multiples, l'Europe s'est efforcée d'intégrer les avancées qui étaient en cours à l'ISSB. Nous avons le sentiment que les entreprises européennes qui prépareront des rapports en application des ESRS incorporeront la quasi-totalité des informations qui seraient requises au plan international. La perspective de l'ISSB est donc intégrée dans la perspective européenne. Par ailleurs, nous avons travaillé main dans la main avec la global reporting initiative (GRI), qui a une antériorité assez grande en matière de reporting d'impact.
En résumé, il s'agit donc d'une étape importante en matière d'information sur la durabilité. L'organisation que j'anime se tourne aujourd'hui sur le support à la mise en oeuvre. Nous sommes très engagés dans la relation avec les entreprises.
M. Thierry Philipponnat. - Il est très important de mettre la directive CSRD en perspective car il y a souvent des malentendus. Quels sont les enjeux ? D'abord, nous nous inscrivons dans la dynamique de réglementation de la finance durable au niveau européen. La dynamique générale de l'agenda finance durable de l'Union Européenne repose sur l'information. Il s'agit de donner une meilleure information, en quantité et en qualité, à tous les acteurs afin que leur travail puisse aboutir à ce que les flux financiers aillent vers la transformation de nos économies. Nous avons déjà un certain nombre de réglementations dans l'Union Européenne qui créent des obligations de reporting pour les institutions financières. Il faut bien que ces institutions aient l'information dont elles ont besoin. La directive CSRD consiste à apporter de la rigueur dans ce que les entreprises doivent dire aux financiers pour que ceux-ci puissent effectuer leur travail d'allocation du capital dans la direction de la durabilité.
Il existe deux manières d'aborder la directive CSRD. La première consiste à la voir comme une carte routière, non coercitive. D'autres réglementations créent des obligations. Ce n'est pas le cas de la directive CSRD, qui ne créée qu'une obligation de dire. Par ailleurs, il est essentiel de nourrir les obligations de reporting qui existent dans la loi européenne.
L'information prévue par la directive est une condition nécessaire, mais non suffisante, de la transition de nos économies vers la durabilité. Les flux financiers n'iront pas instantanément vers la durabilité. Il faudra que des politiques publiques concrétisent ces décisions difficiles. Pour autant, l'information est indispensable.
La durabilité est une condition du développement de l'activité économique et de la prospérité. Certains débats me laissent pantois, quand j'entends opposer durabilité et compétitivité. La compétitivité des entreprises ne sera pas extraordinaire si les prédictions du GIEC se réalisent.
La double matérialité figure dans la loi européenne. Nous devons donc l'appliquer.
J'ai entendu des voix s'élever pour dire que la matérialité d'impact était naïve et simpliste. Permettez-moi de partager quelques réflexions sur le sujet. Tout le monde est d'accord pour dire que la matérialité est financière. C'est même reconnu par la loi européenne et les standards de reporting de durabilité. Par ailleurs, le niveau de convergence est très élevé, sur le segment matérialité financière pour les questions climatiques, entre les normes de l'EFRAG et celles de l'ISSB. On ne peut que s'en féliciter. Ce n'est pas le fruit du hasard, mais du travail acharné des deux institutions. Enfin, la matérialité d'impact n'est pas plus ou moins simpliste et naïve que la matérialité financière. Ces deux matérialités sont comparables dans la manière dont elles impactent le monde. Les informations qu'elles contiennent ne sont pas suffisantes par elles-mêmes pour avoir un impact. Prenez les actifs d'énergie fossile échoués. À terme, ces réserves perdront toute leur valeur. Ce n'est pas neutre sur le plan financier. Ce fait technique est reconnu par les spécialistes. Or la comptabilité financière valorise ces réserves à la hausse car elle se base sur leur valeur de marché. La matérialité financière, en reporting de durabilité, n'a pas plus d'impact sur les marchés financiers aujourd'hui que la matérialité d'impact ne peut en avoir.
Le reporting de durabilité est donc indispensable et il n'y a aucune raison d'opposer la double matérialité de la CSRD et la matérialité financière. Il serait naïf de croire que la seule information sera suffisante. Pour la dimension financière, nous devons réconcilier les horizons de temps. Pour la dimension de la matérialité d'impact, nous avons besoin de politiques publiques adéquates. La plus grande erreur serait d'opposer l'économie et la durabilité, alors qu'il s'agit du même sujet.
Nous avons publié un rapport il y a un mois et demi disant que si nous sous-estimions le coût économique du changement climatique, alors les responsables politiques n'auraient pas les informations nécessaires pour prendre les bonnes décisions. La bonne information est absolument essentielle.
M. Emmanuel Faber. - Je suis français, européen convaincu et engagé sur les questions de transition depuis 30 ans. J'anime l'ISSB dans l'objectif de porter la création d'une infrastructure de marché en matière de transparence sur les questions de durabilité à l'échelle systémique pour une raison fondamentale : la transition ne repose que sur deux très grands piliers.
En premier lieu, rien ne remplacera des politiques publiques engagées, qui constituent le premier pilier. Il ne s'agit nullement de remettre en question la matérialité d'impact, dont je suis intimement persuadé de l'importance, et le reporting à toutes les parties prenantes. Il s'agit de les remettre en perspective. Les politiques publiques ne sont pas, aujourd'hui, à la hauteur de ce que nous dit la science. Chaque institution a ses consensus et ses marges de manoeuvre. Il faut espérer que graduellement, nous parviendrons à nous mettre en marche collectivement.
Le second pilier est celui de marchés de capitaux bien informés. De ce point de vue, la directive CSRD est un très grand pas en avant. Il faut être extrêmement clair sur un point : ce ne sont pas les gouvernements qui financeront la transition, mais les marchés financiers. Imaginez qu'il a fallu trois conférences des parties (COP) pour réunir 100 milliards d'euros à l'échelle de la planète pour les pays les plus atteints, alors que ce sont entre 2 et 4 trilliards d'euros annuels qu'il faut allouer à la transition. La capitalisation boursière mondiale de tous les instruments financiers de capital et de dette cotée est de 400 trilliards d'euros. Si les marchés financiers s'appuient sur des politiques publiques qui créent des risques de transition et d'information leur permettant de les intégrer dans leurs calculs de risques et d'opportunités, alors il suffira de ne faire bouger chaque année que 1 % de la capitalisation mondiale. Le sujet est important. C'est pourquoi j'ai choisi d'y consacrer un peu de mon temps dans les quelques années qui viennent.
La directive CSRD comprend cette double entrée, avec des objectifs de politique publique d'un côté et des objectifs de politique économique de l'autre.
Il est extrêmement important de simplifier la vie des entreprises. Ce sera même l'un des enjeux principaux de la mise en place de la directive CSRD. Où sont les risques et les opportunités ? Dans le système comptable actuel, nous ne dénombrons pas tout ce qui compte, et pas dans les bons horizons. Le projet, en matérialité économique, de l'ISSB consiste à éclairer les informations sur la totalité des chaînes de valeur à court, moyen et long terme. Les actifs échoués apparaîtront car nous demandons, comme le fait la directive CSRD, que les impacts de ces éléments sur les comptes financiers d'aujourd'hui et de demain soient clarifiés. Les intangibles représentent la plus grande partie des bilans des grandes entreprises, notamment cotées, à commencer par les survaleurs des acquisitions, sur lesquelles les entreprises font des paris à très long terme. Les entreprises ne sont donc pas incapables de regarder le long terme ; elles sont incapables d'intégrer les scénarios climat dans un dispositif stratégique qui les amènerait à réviser la valeur des actifs qu'elles ont comptabilisés.
Le risque principal est que la directive CSRD soit mise en oeuvre par les entreprises dans un objectif de conformité. Cette dernière ne fait pas bouger les allocations de capital. Sans politiques publiques fortes, pouvant aller jusqu'aux sanctions, on ne fera pas évoluer les attitudes des entreprises. Or, l'enjeu principal est vraiment d'engager les entreprises dans une stratégie de transition.
Aujourd'hui, on travaille sur la base de comptabilités avec une vision de très court terme. Ce que nous apportons en matérialité financière, c'est une ouverture des horizons dans le temps et dans l'espace. La manière dont les entreprises sont organisées ne permet pas cela. Si l'on en reste à de la conformité, le sujet sera traité par des équipes complètement déconnectées de la prise de décision stratégique. Les schémas organisationnels des entreprises en matière de durabilité restent très séparés des organisations qui définissent la stratégie et les budgets. Souvent, la durabilité est encore dans les affaires publiques ou dans les organisations de communication, voire dans les directions marketing. Elle n'est pas dans les comités exécutifs. Les choses évoluent depuis plusieurs années, et il est fondamental qu'elles continuent à évoluer. C'est à l'intérieur de chaque pays européen que se joue l'accompagnement stratégique. Aucun pays n'a la même organisation en matière de gouvernance des entreprises et c'est au sein de chacun d'eux qu'il faut créer l'écosystème qui permettra d'intégrer pleinement les dispositifs de durabilité dans les procédures de décision budgétaire et stratégique des entreprises.
Au-delà des entreprises, je pense qu'il y a un travail à faire avec les organisations professionnelles, pas uniquement patronales, l'Autorité des marchés financiers (AMF) et les professions d'audit. L'importance de la matière économique est tellement fondamentale qu'il me semble capital qu'au moins un auditeur, dans les grandes entreprises, des sujets de durabilité certifie également les comptes. La connexion avec les états financiers est fondamentale si l'on veut que le dialogue s'établisse avec les investisseurs. Les entreprises tirent de leur investissement dans le reporting de la CSRD un avantage sur leur coût du capital. Nous l'avons fait chez Danone pour un prêt de 3 milliards d'euros. C'est la preuve que ça marche.
Mme Marion Canalès, rapporteure. - Au regard des divergences fondamentales que nous avons pu observer entre l'Europe et les États-Unis sur la RSE, un accord entre ISSB et EFRAG vous paraît-il envisageable ? Si oui, à quelles conditions ?
La cotation climat préparée par la Banque de France ne pourrait-elle pas s'apparenter à un reporting extrafinancier supplémentaire ?
Que pensez-vous des risques de sur-transposition ?
À force de devoir répondre à des standards exigeants, les entreprises européennes ne risquent-elles pas, à terme, d'être les plus vertueuses, mais les moins compétitives ?
Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteur. - Depuis le début de nos auditions, nous parlons de 1 178 indicateurs à traiter par l'EFRAG. Nous avons été récemment interpelées par Middlenext PME, qui nous parle de 2 217 points de vigilance. Comment expliquez-vous cette différence ? Quel est le nombre de points à traiter ? Ce nombre ne vous semble-t-il pas excessif pour les PME ?
Malgré un allègement, la CPME estime que les normes proposées le 29 novembre sont encore trop lourdes, notamment concernant le scope 3. Avez-vous procédé à des tests opérationnels avec des vraies PME ?
Toutes les PME ne sont pas éligibles à la CSRD. Certaines le feront de manière volontaire. Comment fera une entreprise lorsqu'elle devra demander au maillon final de sa chaîne d'approvisionnement de s'expliquer sur ses orientations en matière de responsabilité environnementale et de matérialité d'impact ?
Avez-vous mesuré l'impact financier sur les entreprises ? Nous avons entendu parler d'un coût de 150 000 à 1 million d'euros pour la seule étude de la double matérialité. Ce coût n'est pas négligeable, même si la philosophie est bonne. Comment engager les PME à avoir cette réflexion, alors que la double matérialité est encore peu connue ? Comment accompagner ces entreprises ? Je rappelle tout de même que le but premier des PME est de produire de la valeur.
M. Patrick de Cambourg. - Je ferai attention à ne pas assimiler la position nord-américaine et l'ISSB. Sur le fond, je suis très optimiste sur l'existence de l'interopérabilité. La directive CSRD nous a conduits à élaborer des standards que la Commission a adoptés par acte délégué. Nous sommes interopérables en quasi-totalité. Celui qui fait un rapport ESRS répond aux exigences de l'ISSB. Je n'ai pas d'inquiétude là-dessus. Nous sommes dans une optique de simplification et de consolidation des efforts.
Je souhaite vivement que la Banque de France, si elle fait quelque chose dans le cadre du fichier bancaire des entreprises (FIBEN), prenne pour base ce que nous demandons aux PME au niveau européen. Il faut éviter la fragmentation.
De ce que j'ai vu de l'ordonnance du 6 décembre 2023, je n'ai pas constaté de sur-transposition de la directive du 14 décembre 2022, si ce n'est deux ou trois points très spécifiques à la France qui ont été ajoutés au dispositif d'indicateurs.
Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteure. - Pouvez-vous nous préciser ces points ?
M. Patrick de Cambourg. - Je ne suis pas un expert de la transposition française à ce stade, mais j'ai en tête la relation entre l'entreprise et le service de réserve opérationnelle militaire.
Les questions sur le risque de compétitivité sont très importantes. Nous ne sommes pas là pour faire du papier. Nous sommes là pour introduire la perspective de durabilité, dans toutes ses dimensions, dans l'évolution et la stratégie de l'entreprise. Il existe une véritable prise de conscience dans le monde des entreprises en Europe, notamment les grandes. Je ne suis donc pas inquiet. J'ai vécu un épisode similaire au début des années 2000 avec le passage aux normes de l'International financial reporting standards (IFRS) : ça s'est bien passé, même si tout le monde craignait une application difficile. On parle de coûts, mais il est un coût que l'on ignore. Nous avons réalisé une analyse coûts/bénéfices à l'EFRAG. Aujourd'hui, les entreprises sont soumises à une rafale de questionnaires qui viennent des ONG, des investisseurs... Le but de la normalisation est de créer une plateforme reconnue par tout le monde. Cela diminuera le risque de questionnaires partant dans tous les sens.
Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteure. - Cela nécessite que chaque partie prenante s'investisse.
M. Patrick de Cambourg. - Seules les PME cotées se trouvent obligatoirement dans le champ, d'où la préoccupation de Middlenext. Nous finalisons actuellement l'exposé de la consultation relative aux PME cotées. Le volume que vous avez évoqué mériterait beaucoup de discussions. Il faut savoir comment l'on compte. Je suis à votre disposition pour vous expliquer. Il existe un très bon document, « la liste des points d'information », qui a été approuvé le mois dernier et qui permet de relativiser les choses. Tout cela est soumis à matérialité. Pour les PME cotées, on réduit de 40 % par rapport au compte que vous avez évoqué. Je mets en cause le chiffre de 2 000 indicateurs avancé par Middlenext. C'est une manière caricaturale de compter.
Concernant les PME non cotées, nous sommes dans un régime volontaire. Nous l'avons fait parce que nous pensons que les PME ne doivent pas être exclues du dispositif. Elles doivent introduire la durabilité dans leur raisonnement avec des mesures simples, pouvoir parler à leurs financiers de façon simple et s'inscrire dans les chaînes de valeur. Notre objectif est une plateforme. Nous veillons à l'acceptation de ce que nous faisons par les différentes parties prenantes. J'ai moi-même fait le parcours avec le président de la CPME. Je dois encore discuter avec la Commission sur la manière d'aider les PME, par la mise en place d'un logiciel, à répondre aux questions.
M. Thierry Philipponnat. - Je précise que les PME cotées représentent 0,004 % des PME européennes. 99,996 % d'entre elles ne sont donc pas concernées. Je ne dis pas que ce n'est pas une vraie question, mais il est important d'avoir ce chiffre en tête.
La question de la compétitivité des entreprises européennes est fondamentale et complexe. Elle renvoie à l'énorme problème d'action collective qu'a l'humanité. Comment faire travailler tout le monde ensemble ? Si vous avez la solution, n'hésitez pas à m'appeler. Le terme vertueux n'est pas le bon. Ce n'est pas une question de vertu. Les rapports du GIEC ont été filtrés par tous les gouvernements du monde. Malgré cela, on se dit que le réchauffement climatique va impacter terriblement l'économie. C'est une question pragmatique et concrète : si tout cela se produit, aucune entreprise ne sera compétitive demain. Si les entreprises européennes s'embarquent dans ce chemin de plus grande prise en compte de la durabilité, elles en seront peut-être très heureuses dans 10 ou 15 ans. Je ne dis pas qu'il n'y a pas de vraies questions à court terme. En comptabilité financière, une entreprise a-t-elle le choix de déterminer comment elle calcule son profit ? Non. C'est donc de la conformité. Simplement, la conformité seule n'est pas suffisante. Elle est une pièce d'un puzzle beaucoup plus large.
Je m'arrêterai là car Patrick de Cambourg a traité beaucoup de sujets. Je voulais juste mettre en exergue cette opposition vertu/compétitivité. Je ne pense pas que ce soit une question de vertu, et je ne pense pas que la compétitivité puisse exister sans durabilité. J'ai envie d'encourager le débat public à dépasser cette fausse dichotomie, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de vraies questions.
M. Michel Canévet succède à M. Olivier Rietmann pour présider la réunion.
- Présidence de M. Michel Canévet, vice-président -
M. Michel Canévet. - Effectivement, seules les entreprises avec un chiffre d'affaires et un niveau d'activité important sont visées directement, mais il faut aussi évaluer celles qui sont concernées par l'ensemble de la sous-traitance.
M. Emmanuel Faber. - Je n'ai aucune compétence en matière de sur-transposition. D'expérience, je pense simplement que le pragmatisme serait une très bonne idée.
Je prends le sujet de la cotation climat de la Banque de France à un niveau plus global. La supervision bancaire est en marche sur les questions climatiques, voire de liens avec la biodiversité, au point que le comité de Bâle a confirmé l'utilisation des normes climatiques que nous avons développées pour ses travaux futurs sur les ratios de solvabilité bancaire en matière de risque climatique. Il y aura donc une supervision active des compagnies d'assurance, des banques et des gestionnaires d'actifs. L'an dernier, la Banque centrale européenne a demandé à 150 banques de faire tourner des « scénarios climat ». En octobre 2022, elle a tenu à envoyer un signal au marché en évoquant le fait qu'elle appliquerait aux quelques banques qui n'avaient pas passé le test des éléments de capital tenant compte du risque qu'elle estimait.
La compétitivité climatique des banques au travers du système de supervision n'est même plus un sujet. Je vous invite vraiment à ne pas laisser cela dans un angle mort. Si la supervision bancaire commence, à l'échelle mondiale, à établir que selon la température des portefeuilles, les banques ont des profils de risque différents, c'est bien la question de la compétitivité bancaire qui se pose. Il s'agit d'un énorme facteur de changement.
Le sujet de la compétitivité est fondamental. Non seulement la compétitivité écologique et sociale est possible, mais elle est nécessaire et urgente. Aujourd'hui, nous sommes sur des mécanismes de valorisation de la compétitivité à très court terme. Sur le site du ministère des finances, les coûts sont l'indicateur de compétitivité. Or les coûts ne retracent pas tout, et notamment pas tous les risques de durabilité. Nous sommes en train « d'embarquer » à l'échelle mondiale autre chose que la comptabilité d'aujourd'hui. Nous lui accolons un système qui peut transformer l'économie. C'est donc une question de transition vers un tel modèle. Je pense que c'est possible. Cela nécessite des choix qui ne sont pas seulement globaux. On peut construire une compétitivité à l'échelle d'un pays ou d'une région autour d'un système, à condition qu'il soit cohérent et très fortement focalisé sur la mise en oeuvre de l'allocation du capital, c'est-à-dire l'information pour les investisseurs et les banquiers au travers des stratégies développées par les équipes de management.
Le Brésil a déjà annoncé qu'en 2026, il rendrait obligatoire l'utilisation de nos normes. Le soja exporté du Brésil vers l'Europe sera soumis, au travers des entreprises brésiliennes, à la même mesure de ses émissions de gaz à effet de serre que ce que l'on demande en Europe. Le Japon a annoncé des normes intégrant les nôtres en 2025. La Turquie l'a annoncé à la COP 28 pour 2024. L'Angleterre est sur ce chemin. Plus nous établirons, à l'échelle internationale, des normes de climat aussi exigeantes que celles construites par l'EFRAG et plus nous viendrons nous assurer, sur le climat dans un premier temps, que nous avons bien un niveau de compétitivité qui ne se compare pas sur les éléments de transparence. C'est en cela que notre travail est complémentaire de celui de juridictions comme l'Europe. In fine, le besoin des investisseurs est d'avoir un langage comptable unique. 30 % des investisseurs du CAC 40 sont américains. Les entreprises européennes mieux préparées pourront bénéficier d'avantages concurrentiels en capital.
Si l'on en reste à la conformité, c'est un coût. Si l'on passe à une question de stratégie et de décision de management, alors c'est un investissement. Cet investissement est nécessaire. On n'en aura un retour que si le système extraie des informations qui permettront aux entreprises de prendre des décisions et d'obtenir les capitaux dont elles ont besoin. Chez Danone, nous avons reporté 80 % du périmètre 3 dans l'agriculture. Nous n'avons jamais demandé à un éleveur avec lequel nous travaillons de nous produire du reporting sur ses émissions. Nous avons développé un système qui nous permet de mesurer nos émissions à 5 ou 10 % près. Il est vraiment très important de laisser les chaînes de valeur s'organiser elles-mêmes. Il faut réfléchir en termes de filières. Les associations professionnelles seront un partenaire important dans la construction d'un système dans lequel nous laisserons autant que possible les mécanismes de marché s'installer. Nous ne les corrigerons par des mécanismes réglementaires que lorsque ce sera nécessaire.
M. Michel Canévet. - Merci. Puisse la manière de faire de Danone prospérer. Nous vous remercions tous les trois pour votre participation à cette table ronde très intéressante.
La réunion est close à 10 h 40