Jeudi 7 décembre 2023
- Présidence de Mme Micheline Jacques -
Audition de Philippe Vigier, ministre délégué chargé des outre-mer
Mme Micheline Jacques, président. - Monsieur le Ministre, chers collègues, nous avons l'honneur et le plaisir de recevoir ce matin Philippe Vigier, ministre délégué chargé des outre-mer auprès du ministre de l'Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin.
Nous avions également convié celui-ci, mais l'actualité chargée que vous connaissez ne lui permet pas d'être parmi nous aujourd'hui.
Je vous remercie, Monsieur le Ministre, d'avoir répondu à notre invitation afin de faire un point sur votre feuille de route pour les outre-mer, juste avant l'examen des crédits de votre ministère dans l'hémicycle.
Nous attendons de votre part que vous nous éclairiez sur la vision et les engagements du Gouvernement.
Il y a quelques jours, les élus ont été reçus pour un bilan d'étape du Comité interministériel des outre-mer (CIOM). Nous souhaitons en particulier vous entendre sur les leçons que vous tirez de ces récents échanges.
Après votre propos liminaire, nos collègues pourront vous faire part de leurs remarques ou préoccupations. Étant une instance paritaire, avec autant d'ultramarins que de collègues hexagonaux, la délégation apporte un regard croisé sur nos territoires et les politiques qui y sont menées.
La présente audition s'inscrit par ailleurs dans la perspective des prochains travaux de la délégation que je laisserai aux rapporteurs désignés le soin d'évoquer.
Je vous cède la parole, Monsieur le Ministre.
M. Philippe Vigier, ministre délégué chargé des outre-mer. - Merci, Madame la présidente.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je suis très heureux d'être devant la délégation aux outre-mer ce matin. Cette audition me permet de présenter la feuille de route du ministère.
J'ai été nommé par le Président de la République et la Première ministre le 21 juillet dernier, trois jours après la réunion du Comité interministériel des outre-mer qui s'était engagé à réaliser 72 mesures. Celles-ci répondaient à l'appel de Fort-de-France, lancé plusieurs mois auparavant, et à la volonté du Président de la République de donner un nouvel élan aux territoires ultramarins.
Ma feuille de route passe d'abord par la rencontre avec tous les acteurs dans chacun des territoires.
Après mon projet de déplacement à Wallis-et-Futuna prévu en janvier 2024, je me serai rendu dans chaque territoire ultramarin. Je m'envole tout à l'heure pour Mayotte avec la Première ministre. Je m'y suis déjà rendu quatre fois, mais aussi trois fois à La Réunion, et bien sûr en Guadeloupe, à la Martinique, à Saint-Martin, à Saint-Barthélemy, ainsi qu'en Guyane. Je pars à Saint-Pierre-et-Miquelon dimanche après-midi. Chaque déplacement permet de rencontrer autour du préfet tous les acteurs, élus, responsables des structures professionnelles de toutes les activités et des unités du service militaire adapté (SMA), afin d'évoquer leurs attentes, leurs difficultés et leurs contraintes.
La deuxième exigence de cette feuille de route consiste à agir à tout moment de façon interministérielle. En effet, la politique ultramarine ne se limite pas au CIOM. Tous ministères confondus, elle mobilise 22 milliards d'euros. Tous les volets sont concernés : l'éducation, le logement, la santé... À titre d'exemple, une réunion avec Agnès Firmin-Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'Organisation territoriale et des Professions de santé, était consacrée hier à la prise en charge des cancers outre-mer, actuellement en retard par rapport aux pratiques hexagonales.
À cet égard, la Première ministre porte une exigence : l'arrêt d'une déclinaison ultramarine des politiques publiques à l'identique de l'Hexagone. Le projet des normes régions ultrapériphériques (RUP) et CE en constitue l'illustration. Ces normes RUP dérogeront aux normes européennes en mars 2024. Elles sont essentielles, car elles constituent l'un des moyens de lutte contre la vie chère. De même, nous réfléchissons avec les ministres de l'Économie, de l'Intérieur et des Comptes publics, Bruno Le Maire, Gérald Darmanin et Thomas Cazenave, à une politique budgétaire spécifique aux territoires ultramarins.
La politique ultramarine concerne également le logement, la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP)...
Le troisième objectif de la feuille de route vise à assurer un dialogue permanent, car certaines questions n'ont pas été suffisamment approfondies. En tout état de cause, ma méthode repose avant tout sur la concertation. Ainsi, je n'ai pas attendu un an pour effectuer un premier bilan du CIOM avec tous les parlementaires, les grands élus et les présidents d'associations des maires. Le secrétaire général pour l'investissement, chargé de France 2030 et le futur directeur général de France Travail sont également intervenus. La nouvelle économie était aussi représentée à travers Business France.
Au sein de cette feuille de route, plusieurs priorités sont identifiées, à commencer par la santé. Un tour d'horizon complet sera effectué lors du prochain déplacement à Mayotte. Par ailleurs, une première réponse a été apportée à La Réunion avec une hausse du coefficient géographique en 2024 (+ 1,5 point) puis en 2025. Les difficultés en Guadeloupe, notamment, sont également intégrées.
En matière de logement, se pose la question de l'évolution du foncier. En Guyane, la situation s'améliore : le conseil d'administration de la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) est en place et les financements sont en passe d'être définitivement validés. Environ 20 000 hectares devraient être transférés aux collectivités fin 2024. À cet égard, la progression se révèle considérable, même si elle demeure très loin de l'objectif de 240 000 hectares.
Nous aborderons probablement dans le débat les autres aspects du logement : ligne budgétaire unique (LBU), augmentation des taux d'intervention de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) dans les quartiers hors politique de la ville, évolution du périmètre des projets de ville.
La troisième priorité concerne l'eau et l'assainissement. L'État accompagne les collectivités, en particulier à Mayotte qui connaît des difficultés majeures. En Guadeloupe, un contrat de 320 millions d'euros a été récemment signé avec le Syndicat mixte de gestion de l'eau et de l'assainissement de Guadeloupe (SMGEAG) en partenariat avec la région et le département. Des réalisations concrètes sont attendues.
Dans le domaine économique, les engagements de co-construction seront tenus. Rien n'est écrit, rien n'est décidé, il n'existe pas de réforme cachée sur l'octroi de mer. Je sais combien pour les outre-mer c'est un sujet vital pour les communes et pour les régions concernées, combien il demeure incompris de nos compatriotes et combien la situation de certaines productions locales est anormale.
Une réforme est donc nécessaire. Comme défini lors du bilan d'étape du CIOM, la première étape sera territoriale. Elle associera les préfets, les présidents de collectivités, les parlementaires, les maires et les consommateurs, en présence du monde économique.
Enfin, des potentialités extraordinaires existent en matière de transition énergétique, de protection de l'environnement et d'énergies renouvelables. Elles ne sont pas toujours faciles à mettre en oeuvre, mais la situation est identique dans l'Hexagone. La biodiversité française se trouve à 80 % dans les territoires ultramarins, elle doit être plus que jamais protégée.
Dans le domaine de l'agriculture, qui est assez proche, les leviers de croissance sont importants. Au-delà du Programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI), nous prévoyons de porter le budget de l'aide nationale de 45 à 60 millions d'euros. Le travail de proximité avec les collectivités sera poursuivi.
En résumé, il convient de privilégier la proximité, de rendre des comptes et d'identifier des leviers d'efficacité en matière de logement, de pouvoir d'achat et de production locale pour conserver l'autonomie fiscale et l'autonomie énergétique des territoires.
Pour conclure, j'évoquerai les évolutions institutionnelles. Comme vous le savez, le Président de la République a réuni en octobre tous les parlementaires, les grands élus des collectivités, les présidents d'associations des maires, en présence de Gérald Darmanin et de moi-même. La méthode définie passera par la nomination de personnalités qualifiées. Celles-ci recueilleront les souhaits d'évolution des acteurs des différents territoires, avant d'envisager toute évolution législative ou réforme constitutionnelle. En tout état de cause, l'objectif consiste à faire émerger des propositions des territoires, de sorte que l'action ne descende pas verticalement de Paris.
Mme Micheline Jacques, président. - Merci, Monsieur le Ministre. Je cède la parole à Marie-Laure Phinera-Horth, Audrey Bélim et Saïd Omar Oili.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - Ma première observation concerne le dispositif « 100 % contrôle ». Comme vous le savez, la Guyane est la plaque tournante de l'acheminement de la drogue vers l'Europe. Les forces de l'ordre sont exténuées, car les mules continuent de tenter le passage. Un scanner permettrait d'identifier les objets ingérés, comme à Schiphol à l'aéroport d'Amsterdam. Le « 100 % contrôle » mobilise les forces de l'ordre à l'aéroport. De plus, les personnes refoulées repartent avec le produit. Les gardes à vue sont extrêmement limitées. La situation ne peut perdurer. Il est nécessaire de trouver une solution. Ce scanner peut en être une.
Ma deuxième question porte sur la cherté du transport aérien : que comptez-vous faire, Monsieur le Ministre, pour permettre à nos compatriotes de voyager à un prix au kilomètre acceptable ? Un billet depuis la Guyane pour venir à Paris est à 1 200 euros , c'est très cher. Que comptez-vous faire, surtout pour les déplacements pour raison médicale ?
Mme Audrey Bélim. - Je souhaiterais évoquer la difficulté récurrente de notre tissu économique, notamment celle de nos TPE et PME. Elles sont en manque de trésorerie et entravées par les délais de paiement ou le manque de diversification de capitaux. Le monopole des grands groupes présents sur le territoire tue la concurrence. Cela concourt à la fragilité de notre tissu économique.
À titre d'exemple, je mentionnerai l'entreprise SIVA Industrie que nous avons rencontrée la semaine dernière. Elle risque de disparaître à défaut d'être réellement considérée malgré les récompenses et la qualité de son procédé de sécurisation phytosanitaire de certains fruits. En effet, certaines mesures prises depuis fin 2019 entravent l'exportation des fruits.
Lever ces freins permettrait le développement de nombreuses TPE-PME, de favoriser la création d'emplois et peut-être l'exportation de biens ou services dans les pays de la zone, participant ainsi au rayonnement de la France dans notre bassin régional. Aussi, je souhaiterais savoir si la mission annoncée a bien été lancée et connaître les échéances prévues pour la publication des conclusions. Finalement, comment comptez-vous agir pour nous aider à solidifier notre tissu économique ?
M. Saïd Omar Oili. - Ma première question porte sur les statistiques de l'Insee. En raison du fort accroissement de la population de Mayotte, beaucoup de communes demandent à l'État d'assurer leur compétence scolaire. En effet, les budgets de fonctionnement des établissements reposent sur des données obsolètes datant de 2017 et mettent les communes en difficulté.
Ma seconde demande concerne l'ajout d'un suivi des répercussions budgétaires des mesures prises dans le cadre du CIOM. La situation serait ainsi plus claire.
M. Philippe Vigier. - Je répondrai d'abord sur les contrôles en Guyane. Les saisies de cocaïne à l'aéroport de Cayenne - près d'une tonne - sont sans précédent. J'entends que ce qui est demandé aux forces de l'ordre est difficile, mais alléger le dispositif reviendrait à ne plus rien maîtriser. Nous essayons de resserrer les accords de coopération avec certains États, comme le Brésil, qui sont des pays de passage. Cet exercice est indispensable. Le scanner est une très bonne idée, de même que le recours aux chiens suggéré par la présidente de la délégation. J'en parlerai avec Gérald Darmanin.
En l'état actuel, il est indispensable de poursuivre et d'élargir le dispositif. Une initiative devra être prise dans les prochaines semaines concernant les grands ports hexagonaux, où le trafic augmente très sensiblement. Les mesures très restrictives prises en Belgique et aux Pays-Bas ont permis de resserrer les maillages, mais elles déplacent la pression des trafics vers les ports français. Nous mènerons donc un combat total.
J'ai bien noté le point relatif aux suites judiciaires et à la politique carcérale. Un suivi pourra être réalisé avec le ministère de la Justice. J'en parlerai avec le Garde des Sceaux.
Je porte moi aussi une grande attention à la situation des entreprises et à l'accélération de la production locale pour réduire les importations. La Réunion est désormais la seizième Capitale French Tech de France, avec de très belles startups. Je suis conscient des difficultés de trésorerie et des délais de paiement, liés notamment aux retards des collectivités, comme à ceux de l'État concernant les hôpitaux. À cet égard, la situation est identique dans l'Hexagone. Nous recherchons donc un maillon intermédiaire pour accompagner les entreprises au-delà de la startup. Concernant la trésorerie, il convient aussi de discuter avec les régions qui disposent d'une compétence économique. Elles disposent d'outils d'aide au financement complémentaires à ceux de l'État. En tout état de cause, l'éclosion des startups et les petites entreprises constituent un sujet essentiel. Nous reviendrons vers vous sur ce sujet.
Concernant Mayotte, j'ai demandé des éléments au directeur général de l'Insee. Je devrais en disposer dans les jours qui viennent et vous les communiquerai. En effet, il m'a été dit que la population de référence pour le calcul de la dotation financière était de 260 000 habitants, mais l'Insee et Bercy affirment que ces chiffres sont erronés. J'ai donc demandé un écrit pour vérifier le décompte. Nous avons défini plusieurs règles avec l'Insee pour mieux appréhender la situation. À cet égard, l'aide de personnels municipaux sera nécessaire, car les agents ne peuvent entrer dans certains quartiers sans être accompagnés.
L'État exerce déjà implicitement la compétence scolaire : 130 millions d'euros sont alloués chaque année aux Contrats de convergence et de transformation (CCT). 863 millions d'euros leur seront consacrés dans les années 2024-2027. Nous avons réussi à préserver le financement des activités périscolaires, à hauteur de 5 millions d'euros, et nous pourrons échanger sur les questions qui ne seraient pas résolues.
Suivre le coût des mesures du CIOM me paraît une bonne idée. Je la porterai.
Enfin, je rappelle que le dispositif de la continuité territoriale permet de prendre en charge une partie des billets d'avion. En 2024, la dotation passera de 70 à 93 millions d'euros. De plus, le quotient familial de référence est porté à 18 000 euros, contre 12 000 auparavant. Par conséquent, 77 % de la population ultramarine est désormais éligible à cette aide.
Par ailleurs, tous les étudiants de première année pourront rentrer pour Noël. Nous avons même anticipé la mise en place de la mesure, puisque treize personnes supplémentaires vont renforcer les personnels de LADOM.
Concernant le soutien à la continuité territoriale, de façon globale, en intégrant les 4 milliards d'aides fiscales, la situation nette par habitant des populations ultramarines s'avère plutôt plus favorable que celle de la Corse.
Pour autant, le prix des billets demeure très élevé, faute de concurrence. Avec le ministre délégué auprès du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires chargé des Transports, Clément Beaune, nous avons décidé de lancer une étude multicentrique afin d'examiner comment générer une telle concurrence et développer un modèle vertueux. Pour mémoire, le Gouvernement a consacré depuis trois ans 250 millions d'euros pour aider deux compagnies aériennes.
Pour conclure, le dispositif de continuité territoriale a été élargi pour les sportifs de haut niveau, les intervenants du monde culturel et certaines situations familiales (maladies, décès...). Je vous invite à nous alerter sur certains cas très particuliers.
Mme Micheline Jacques, président. - Merci, Monsieur le Ministre. Nous poursuivons avec trois nouvelles interventions.
M. Georges Naturel. - Ma première question est d'ordre général. Compte tenu de leurs statuts particuliers, comment la Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna et la Polynésie française échangent-ils avec le Gouvernement ? En effet, l'argument des compétences transférées est souvent opposé. Nous demeurons cependant des citoyens français. Dans ces conditions, devons-nous continuer à nous adresser au ministère des outre-mer, sachant que vous évoquiez un travail interministériel ? L'idée d'un interlocuteur dédié à notre territoire, préconisée par mon prédécesseur, me semble intéressante.
Je souhaite soulever trois autres points.
Tout d'abord, la modification de la procédure applicable aux contrats de développement, avec la généralisation des appels à projets, risque de mettre en difficulté les petites collectivités. Il conviendra d'être vigilant dans la mise en oeuvre des contrats de développement, afin que les crédits alloués soient réellement utilisés.
En deuxième lieu, comment la Nouvelle-Calédonie peut-elle être accompagnée dans le traitement des dossiers liés au sujet essentiel du changement climatique ?
Enfin, les déplacements aériens entre îles sont également coûteux. Comment la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française peuvent-elles être accompagnées à cet égard ?
M. Dominique Théophile. - Je souhaiterais évoquer les prochains Jeux olympiques (JO). Le ministère des outre-mer est assez silencieux sur le sujet, alors que les outre-mer jouent un rôle important dans le sport national. J'aimerais donc savoir si vous avez travaillé sur un plan avec la ministre des Sports Mme Amélie Oudéa-Castéra. Celle-ci devrait se déplacer aux Antilles en janvier. Participerez-vous à ce voyage ?
De plus, les territoires ultramarins connaissent de gros problèmes d'équipement. Une aide exceptionnelle de votre ministère aux équipements sportifs et aux associations est-elle envisageable ?
Mme Evelyne Corbière Naminzo. - J'aimerais revenir sur la cherté de la vie. Comme vous l'avez indiqué, les solutions doivent être multiples. En effet, le sujet ne concerne pas seulement les prix à la consommation, mais aussi le logement. Or, le coût de la construction de logements est exorbitant outre-mer.
Les normes RUP et CE constituent une avancée, mais nous ne pouvons en rester là. Le Gouvernement doit accompagner les territoires ultramarins pour mettre en place des coopérations régionales. Ainsi, la création d'une compagnie régionale maritime permettrait d'en finir avec le transit via l'Hexagone pour la transformation de produits, notamment alimentaires.
Les crises récentes (Covid, guerre en Ukraine...) nous conduisent en effet à considérer que la solution réside dans l'économie circulaire. Nous devons parvenir à produire et à consommer dans un bassin de vie. De plus, les effets du transit par l'Hexagone sont négatifs en matière d'empreinte carbone.
Dans ce contexte, comment vous situez-vous par rapport à la création d'une compagnie maritime régionale ? Est-il prévu d'accompagner les territoires dans ces démarches de coopération ?
De plus, La Réunion a aujourd'hui besoin d'un accompagnement pour un projet de déplacement par rail. Qu'en est-il de la dotation ferroviaire pour l'île ? Disposez-vous d'un calendrier à nous communiquer ?
M. Philippe Vigier. - Nous n'oublions pas la Nouvelle-Calédonie. Je m'y suis moi-même rendu et Gérald Darmanin a assuré rencontres et concertations pendant plus de douze mois. J'ai pris part à certaines d'entre elles, à Nouméa comme à Paris. L'évolution du corps électoral constituait l'objectif initial. À ma connaissance, le Conseil d'État se penche actuellement sur la question, mais une réforme plus large implique que toutes les parties se réunissent, ce qui n'est pas encore le cas.
Indépendamment de la réforme institutionnelle, d'autres questions sont prégnantes. Or, le CIOM ne concerne pas la Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna et la Polynésie française. Je réfléchis donc à un temps spécifique qui serait consacré à ces trois territoires.
En matière de rayonnement régional, nous devons nous attacher aux Antilles et à l'environnement, raison pour laquelle j'ai lancé à la COP 28 à Dubaï une initiative concernant les sargasses. Le sujet concerne aussi l'océan Indien, où nous devons discuter avec l'île Maurice, Madagascar...
Pour revenir à la Nouvelle-Calédonie et au changement climatique, je rappelle que j'ai retenu un amendement dans le texte soumis au 49-3 à l'Assemblée nationale, après avoir été sollicité par le député Philippe Dunoyer.
En termes de continuité territoriale, les collectivités ont la capacité d'effectuer des choix politiques.
Pour autant, la Nouvelle-Calédonie n'est pas oubliée. 37 millions d'euros ont été attribués en deux fois au président du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie Louis Mapou pour conduire certaines réformes. Concernant le nickel, le Gouvernement ne peut se substituer aux entreprises. De plus, le gouvernement calédonien refuse l'exportation, ce qui empêche toute transformation dans les pays de la zone (Australie, Nouvelle--Zélande, voire Inde). Nous restons attentifs à ces questions.
Concernant le sport, les contrats de convergence et de transformation (CCT) allouent 56 millions d'euros aux équipements sportifs. S'ils constituent un cadre dans lequel certaines dépenses sont fléchées, les financements peuvent également provenir des collectivités. Afin de permettre à celles-ci de consommer les crédits, les moyens consacrés au soutien en ingénierie sont portés de 10 à 20 millions d'euros en 2024. Les préfets pourront aller plus loin.
Par ailleurs, nous avons travaillé avec la ministre Mme Amélie Oudéa-Castera sur l'épreuve olympique qui doit avoir lieu en Polynésie française, mais aussi sur l'organisation d'événements permettant de faire vivre le sport au travers des Jeux olympiques. Je me joindrai à son déplacement de janvier si nos agendas sont compatibles.
L'Agence nationale du sport (ANS) sera mobilisée. Nous pourrons également opérer des choix stratégiques dans le cadre du Fonds européen d'investissement (FEI). Pour mémoire, celui-ci est porté à 120 millions d'euros en 2024 en crédits de paiements (contre 40 millions en 2017) et augmenté de 50 millions d'euros en autorisations d'engagement. De plus, les élus ont la capacité de prioriser les investissements. Enfin, le dispositif « Cadres d'avenir », qui permet à des jeunes de se former dans l'Hexagone avant de revenir outre-mer, sera ouvert au sport.
En matière de vie chère, de logement et d'économie circulaire, la diplomatie et le développement régionaux font partie des urgences.
La norme RUP constitue un premier élément. En outre, la Première ministre m'a demandé d'identifier les normes complexes et renchérissant le coût de la vie quotidienne. Il faudra ensuite passer par une loi d'habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance. Cette mission fait partie de mes perspectives pour le début de l'année prochaine.
La ligne budgétaire unique (LBU), augmentée de 50 millions d'euros, devrait favoriser la consommation des crédits en matière de logement. Les collectivités territoriales peuvent aussi abonder les dispositifs de l'ANAH. Les compétences d'Action logement ont été accrues sur certains territoires qui en avaient fait la demande.
Je vous suis sur l'économie circulaire. Je salue les initiatives de valorisation des déchets conduites à La Réunion. Le Gouvernement est présent concernant la gestion des déchets, l'eau et l'assainissement. Ainsi, il finance onze équivalents temps plein (ETP) au SMGEAG de Guadeloupe. Par ailleurs, le hub maritime Guadeloupe-Martinique sera équipé de bateaux « propres ». Cette voie verte évitera aux bateaux de parcourir 20 000 kilomètres jusqu'à Panama. Les deux régions participeront avec l'État au financement de ce projet qui représente 300 millions d'euros. Enfin, j'essaie de lutter contre l'augmentation de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP).
M. Victorin Lurel. - Nous avons voté différents amendements relatifs à la défiscalisation, au logement, à la TGAP... Comptez-vous les conserver dans la navette ?
Par ailleurs, quelles sont les missions et les imputations des 320 millions d'euros que vous avez annoncés concernant l'eau en Guadeloupe ?
M. Philippe Vigier. - Je ne prends pas d'engagements que je ne tiens pas.
Le travail conséquent réalisé avec le fonds d'investissement des départements des outre-mer (Fidom) en matière de défiscalisation permet un atterrissage intelligent pour chacun. Les mesures concernant les chauffe-eau et les véhicules des entreprises sont maintenues. Nous serons aussi présents sur le tourisme, y compris les gîtes, à l'issue d'un débat complexe avec Bercy. En tout état de cause, les niches fiscales doivent s'avérer efficientes et préserver l'emploi.
Nous recherchons une solution interministérielle d'accompagnement face à l'envolée de la TGAP. Cela étant, sa suppression ouvrirait une nouvelle niche fiscale et ne serait pas raisonnable.
La création d'une compagnie régionale relève d'une compétence pleine et entière de la région. La loi l'autorise.
Pour mémoire également, l'État a financé 85 % de la route nationale du littoral à La Réunion, qui a coûté 1,350 milliard d'euros. La présidente de la Région Mme Huguette Bello m'a informé d'une étude relative aux modalités d'un passage des transports en commun en site propre. Je n'imagine pas que l'État soit absent lorsque le projet sera stabilisé. Toutefois, la décision appartient aux élus locaux.
Enfin, La Réunion a été le premier territoire à s'engager en matière d'énergies renouvelables. Les territoires ultramarins sont d'ailleurs en avance sur l'Hexagone sur le sujet. Cependant, l'innovation est indispensable face à des concurrents, chinois notamment, qui prennent des parts de marché dans le domaine des éoliennes, après l'avoir fait en photovoltaïque. Ne lâchez pas vos ambitions, je crois que nous en avons beaucoup en partage !
Mme Evelyne Corbière Naminzo. - Si je comprends bien, vous nous dites donc qu'une région doit rivaliser avec des États, comme la Chine ou l'Inde, dont la présence est importante dans l'océan Indien.
Mme Micheline Jacques, président. - Nous poursuivons avec trois nouvelles interventions.
Mme Viviane Malet. - Monsieur le Ministre, vous avez parlé d'énergies renouvelables, notamment de la production d'énergie solaire. Je souhaiterais vous saisir des installations de 100 kWc à 500 kWc. Ces dossiers ne passent pas par la commission de régulation de l'énergie (CRE), mais par un tarif de rachat par EDF qui, à ma connaissance, n'est pas fixé à ce jour. La filière est donc en attente de la publication de l'arrêté S22 pour revaloriser le tarif de rachat et élever le seuil des projets à 500 kWc. Beaucoup de réalisations sont en attente, notamment à La Réunion, sur les sites publics, les grandes toitures, comme les écoles, les collèges... Pourriez-vous nous assurer de la mise en oeuvre rapide de cet arrêté ?
Par ailleurs, je vous remercie de vous être préoccupé du dossier de la TGAP qui me tient à coeur. Je pense qu'il est nécessaire de la réformer pour les outre-mer.
M. Thani Mohamed Soilihi. - En complément des propos de Saïd Omar Oili, je souhaiterais revenir sur trois points.
J'insisterai d'abord sur le travail interministériel. Tous les sujets se recoupent et sont interdépendants, même ceux relatifs à l'étranger concernant Mayotte. De plus, 90 % des crédits pour les outre-mer sont gérés par les autres ministères. Dès lors, y aurait-il un moyen d'écouter le point de vue des parlementaires avant les arbitrages ? Cette étape pourrait-elle être prévue à l'échelon du ministère des outre-mer ?
En deuxième lieu, il est indispensable d'assurer un contrôle suffisant des dispositifs votés. Seule la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) peut intervenir en matière de coût de la vie, de tarif des billets d'avion... Même les matériaux produits localement voient leurs prix s'envoler.
Enfin, la violence à Mayotte constitue une priorité. Ces violences sont commises par des bandes de jeunes, face auxquelles le seul recours aux forces de l'ordre est insuffisant. Je plaide pour un changement de doctrine.
En effet, des milliers de jeunes Mahorais sont passés sous les radars de la formation et de l'encadrement pendant de nombreuses années. 5 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire sans réelle perspective. Contrairement aux idées reçues, beaucoup de ces jeunes sont de nationalité française. Comment rattraper aujourd'hui tout ce qui n'a pas été fait ? Le ministre de l'Intérieur avait évoqué un encadrement inspiré du service militaire adapté (SMA). Mon propos constitue une invitation à en discuter, même si la situation est compliquée.
Dans l'immédiat, il conviendrait aussi de changer la politique pénale. Les familles de ces jeunes ne sont pas poursuivies pour complicité alors qu'elles leur fournissent aide et assistance. Une modification législative du Code de procédure pénale n'est pas nécessaire, mais les magistrats devraient changer leurs pratiques. La menace d'un retrait de la carte de séjour se révèle généralement efficace.
M. Mikaele Kulimoetoke. - Je souhaiterais d'abord évoquer les tensions provoquées par les agissements de la Banque de Wallis-et-Futuna (BWF), qui conduisent à un blocage. Les entrepreneurs, les commerçants comme les particuliers sont victimes de la clôture abusive de certains comptes. Par conséquent, je sollicite l'intervention ferme et conséquente de l'État auprès de BNP Paribas, dont la BWF est filiale, afin de trouver une solution.
Par ailleurs, je rejoins les propos précédents concernant le coût de la vie. En raison de son éloignement, Wallis-et-Futuna est certainement le plus mal placé quant au coût des dessertes aériennes et maritimes. Les situations monopolistiques dans l'énergie (EEWF), les dessertes aériennes (Aircalin) et maritimes (Southern Pearl) ou le secteur bancaire (BWF) aggravent la cherté de la vie. Je réitère donc ma demande, déjà exprimée dans l'hémicycle, d'élargissement de la loi de l'aide au fret jusqu'à Wallis-et-Futuna. En outre, je désire insister sur la mise en place d'un vrai service d'État de contrôle des prix, car seul un observatoire des prix est actuellement présent sur le territoire.
Je finirai par l'évolution institutionnelle. Notre collectivité est la seule dont l'exécutif demeure entre les mains du préfet, représentant de l'État. Je souhaiterais m'appuyer sur la délégation aux outre-mer pour mettre en place un groupe de travail sur ce dossier, afin que l'Assemblée territoriale récupère cette compétence.
Mme Micheline Jacques, président. - Cette audition arrivant presque à son terme, je cède la parole à Jean-Gérard Paumier et Catherine Conconne. J'interviendrai ensuite.
M. Jean-Gérard Paumier. - J'ai perçu avec satisfaction, Monsieur le Ministre, que vous n'avez pas oublié l'élu local que vous avez été, en mettant l'accent sur la proximité, l'écoute et l'action concrète. En effet, les attentes de moindre verticalité et de co-construction accrue avec les élus sont très fortes, outre-mer comme ailleurs.
Siégeant depuis un mois au sein de la délégation aux outre-mer, je mesure ma méconnaissance d'élu hexagonal des questions ultramarines et de leur importance stratégique pour notre pays. Par conséquent, quelles actions envisagez-vous pour sensibiliser davantage nos collectivités locales et nos concitoyens de l'Hexagone aux questions des outre-mer ?
Mme Catherine Conconne. - Je me situe pour ma part toujours dans un esprit de co-construction. À cet égard, je salue les efforts du Gouvernement en matière de continuité territoriale, sur la base du rapport très dense établi par la délégation aux outremer du Sénat. Même s'il reste des marges de progression en matière budgétaire, je me félicite de la prise en compte de nos préconisations.
Par ailleurs, ma question porte sur le renforcement des moyens de l'Insee. Nos territoires sont fragiles et affectés par des changements permanents. L'Insee devrait disposer de moyens supplémentaires afin de déclencher rapidement des études et de les actualiser dans des délais raisonnables. Des chiffres à jour permettraient d'orienter correctement une politique publique ou de visualiser une tendance.
Mme Micheline Jacques, président. - L'article 253 de la loi dite « 3DS » prévoit la remise au Parlement d'un rapport sur l'organisation de la santé et de la sécurité sociale à Saint-Barthélemy. Ce rapport aurait dû être rendu depuis juillet 2022. Je ne cesse de le réclamer. Sa publication a été annoncée à plusieurs reprises et vos services m'assurent qu'il est prêt. Je souhaiterais donc connaître sa date de transmission au Parlement.
Concernant plus largement la délégation, serait-il possible de nous préciser le calendrier des travaux des deux experts chargés d'émettre des propositions sur le projet d'évolution institutionnelle ?
M. Philippe Vigier. - Merci pour la richesse des questions et la qualité de cette audition.
Concernant la TGAP, je m'efforcerai de faire oeuvre de conviction, car il n'y a pas de modèle économique viable.
Mon équipe a noté la question du tarif de rachat EDF et nous reviendrons vers vous.
À Mayotte, l'effectif de DGCCRF sera augmenté de dix personnes en 2024. Cela reste insuffisant, mais représente le début d'un chemin. Je serai avec vous pour demander encore des moyens complémentaires contre l'économie souterraine et les monopoles.
Le contrôle qualité/prix est essentiel. Je demanderai au préfet d'élargir son assiette.
Nous aurons l'occasion de reparler de la doctrine face aux violences. Leur niveau est extrêmement important. Une réponse a été apportée dans l'urgence la semaine dernière avec l'envoi à Mayotte d'un septième escadron de gendarmerie mobile, arrivé hier. Je ne peux pas laisser les forces de l'ordre blessées, les soignants caillassés et l'accès aux services publics entravé.
Se posent ensuite les questions des familles et l'illettrisme, car la violence débute dès quatre ou cinq ans. Pour bâtir du nouveau, l'assistance des élus locaux et du milieu associatif de proximité sera nécessaire. Le service militaire adapté (SMA) est un bel outil, qui concerne plus de 600 jeunes. Des formations complémentaires seront apportées. Nous sommes proches de constituer avec la Croix-Rouge une nouvelle école d'infirmiers et d'aides-soignants à Mayotte en sortie du SMA. La Première ministre annoncera demain des mesures pour répondre à la carence sanitaire et au manque de soins.
Je connais le contexte institutionnel de Wallis-et-Futuna. La situation bancaire est scandaleuse. Je me saisis du dossier. Je rencontrerai la présidente de l'Association française des banques. Je sais que des contacts ont été pris ce matin entre le directeur de la banque à Nouméa, le préfet et les entrepreneurs. Comme je vous l'ai indiqué, je me rendrai en janvier à Wallis-et-Futuna, mais je m'occuperai du sujet la semaine prochaine à mon retour de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Il convient de développer une intelligence collective et une connaissance des enjeux des outre-mer. Je vous ai entendus concernant les évolutions institutionnelles. Les personnalités qualifiées rencontreront tous les élus sur chaque territoire. Nous pourrions imaginer quelques leviers avec les délégations aux outre-mer du Sénat et de l'Assemblée nationale en matière d'écologie, de rayonnement économique avec les pays voisins, etc. Nous apprenons de nos expérimentations.
Concernant l'Insee, je rappelle que les crédits de la « Mission outre-mer » financent 400 000 euros d'études par an. Nous pouvons toutefois examiner avec le Directeur général de l'Insee comment augmenter leur efficacité. En tout état de cause, je m'efforcerai de vous communiquer en toute transparence les éléments que vous me demanderez.
Je suis surpris que le rapport prévu dans la loi « 3DS » n'ait pas été transmis. La Direction générale des outre-mer (DGOM) a transmis sa contribution au ministère de la Santé. En tout état de cause, je m'engage à accélérer le processus.
Pour conclure, je n'ai pas complètement la main sur le calendrier de l'évolution institutionnelle. La nomination des experts devrait intervenir dans les prochains jours. Je pense que nous connaîtrons une avancée significative dans la première partie de 2024. En tout état de cause, les parlementaires seront auditionnés. La méthode retenue me paraît assez pertinente, car elle permettra de se mettre à l'écoute des territoires, sachant que certaines attentes relèvent du domaine constitutionnel, d'autres du domaine législatif ou règlementaire. Je vous invite à profiter de vos échanges avec les personnalités qualifiées pour livrer pleinement votre vision.
Je reste à votre disposition si vous souhaitez me revoir sur tel ou tel sujet, ici ou au ministère.
Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie Monsieur le Ministre ainsi que tous les collègues présents.
La séance est levée à 10 heures.