Mercredi 6 décembre 2023
- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -
La réunion est ouverte à 09 h 35.
Audition sur le logement
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Madame, Messieurs, mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui un panel d'acteurs particulièrement qualifiés du monde du logement et de la construction pour évoquer la crise du logement.
Sont présents autour de la table :
- M. Didier Bellier-Ganière, délégué général de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI) ;
- M. Loïc Chapeaux, directeur des affaires économiques de la Fédération française du bâtiment (FFB) ;
- M. Loïc Cantin, président de la Fédération nationale de l'immobilier (FNAIM) ;
- Mme Marianne Louis, directrice générale de l'Union sociale pour l'habitat (USH) ;
- M. Robin Rivaton, économiste ;
- M. Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre.
Tous, dans vos différentes fonctions, vous représentez un métier, une partie de la filière, un domaine d'expertise et un des aspects de la crise ou des crises du logement que nous traversons. C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité vous réunir pour que nous puissions en avoir une vision globale et non pas en silo comme c'est trop souvent le cas.
En effet, et à la différence sans doute de la crise de 1991-1992 provoquée par la 1ère guerre du Golfe ou de celle de 2008 à la suite de l'éclatement de la bulle des subprimes, c'est l'ensemble du secteur qui est touché en même temps, sans que l'un des acteurs puisse jouer un rôle contracyclique. Les acteurs économiques sont aux abois, mais le mal-logement est également au plus haut. Le parcours résidentiel est bloqué et ce sont les plus fragiles qui souffrent au bout de la chaîne.
Nous sommes aussi dans une crise de grande ampleur, puisque les chiffres de la construction, des ventes, de la production de crédit ou des attributions HLM nous ramènent très loin en arrière et, il faut le souligner, toujours plus bas que pendant la crise sanitaire où, pourtant, tout semblait arrêté.
Mais si la crise paraît éclater aujourd'hui, nous sommes tous conscients ici qu'elle couvait depuis plusieurs années avec des tensions, des alertes ou des signaux préoccupants : permis de construire, campements, besoins d'hébergement, spéculation et hausse des prix, etc.
Enfin, je crois que si l'on cherche à comprendre la crise que nous vivons en la comparant avec les crises immobilières précédentes, c'est bien le rôle de l'État qui interroge. En effet, je suis frappée par le fait que les mesures prises depuis 2017 amplifient les difficultés, notamment en empêchant les bailleurs sociaux de jouer un rôle contracyclique, car, avec l'instauration de la réduction du loyer de solidarité (RLS) et la hausse de la rémunération du livret A, ils n'en ont plus les moyens. Je suis encore plus frappée par le fait que le Gouvernement, au lieu de venir en soutien des difficultés du secteur comme en 1993 ou 2008, prend aujourd'hui des mesures aggravant la situation avec, par exemple, l'arrêt du Pinel et le recentrage du prêt à taux zéro (PTZ).
Il me semble qu'à trop vouloir économiser sur le logement, à trop compter sur un ajustement naturel par « la main invisible du marché » en attendant la baisse des prix, le Gouvernement prend le risque d'être non pas un pompier, mais un pyromane dans une crise qui, j'en ai la conviction profonde, est politique parce qu'avec le logement on touche à l'essentiel. C'est une crise économique, sociale, environnementale, voire malthusienne, avec des objectifs de construction inatteignables en raison des contraintes environnementales. C'est aussi une crise politique.
Le logement est aujourd'hui source de frustrations, de sentiment de déclassement, de relégation, d'assignation à résidence quand on ne peut plus habiter chez soi à cause des locations saisonnières, quand on ne peut pas accéder au logement social ou que l'on ne peut plus en sortir parce que le parcours résidentiel est complètement bloqué avec la suppression d'un certain nombre d'outils d'accession sociale à la propriété, ou, enfin, quand le rêve d'avoir un toit à soi devient inaccessible. Facteur d'injustices, le logement devient source de violence, car il s'agit profondément du contrat social et des solidarités essentielles. Le logement, c'est aussi l'avenir de notre pays. Sans logement, il n'y a pas de plein-emploi, pas de réindustrialisation.
C'est la raison pour laquelle notre commission, à la demande du Président Larcher, a décidé de lancer une mission d'information sur les causes, les conséquences et les solutions pour sortir de la crise du logement dans le court terme, mais aussi de manière plus structurelle sur le moyen et le long terme.
Le gouvernement annonce plusieurs projets de loi en 2024, sans calendrier très précis. L'Assemblée nationale devrait voter cette semaine une proposition de loi sur l'outil de régulation des locations saisonnières et des meublés de tourisme, et un projet de loi sur l'habitat indigne et les copropriétés dégradées est en préparation pour faire suite au rapport confié à Mathieu Hanotin et à Michèle Lutz, que nous auditionnerons la semaine prochaine. Le ministre ne cesse de nous parler d'un grand projet de loi logement qui serait présenté en avril 2024. L'un des volets de ce projet concernerait une nouvelle étape de décentralisation des politiques du logement. À chaque fois que nous échangeons avec lui, il nous renvoie vers ce futur grand projet de loi et nous ne savons pas si ce calendrier pourra être tenu.
Dans cet esprit, je propose que chacun d'entre vous, en cinq minutes, nous indique, si cela est possible, ce qui est pour lui le fait principal, la cause principale, la mesure conjoncturelle et la mesure structurante la plus importante.
J'inviterai ensuite les commissaires à s'exprimer en respectant un temps de parole de deux minutes pour que toutes les questions soient posées à nos invités.
Marianne Louis, je vous propose de débuter, je crois que la galanterie l'impose.
Mme Marianne Louis, directrice générale de l'Union sociale pour l'habitat (USH). - Je vous remercie Mme la Présidente. Nous sommes dans une crise très particulière, qui touche tous les segments, l'accession dans le neuf, l'accession dans l'ancien, la production pour les particuliers comme pour les investisseurs institutionnels, notamment les organismes HLM.
Mon intervention sera centrée sur le logement social, mais nous avons pleinement conscience que la crise que connaît le logement social ne peut pas se résoudre seule. Nous n'en sortirons que si tous les acteurs parviennent à s'en extraire.
Dans le logement social, la crise a démarré un peu plus tôt que pour les autres secteurs, dès l'été 2017 avec les annonces du gouvernement sur la réduction du loyer de solidarité (RLS) et la baisse des aides personnalisées au logement (APL). Ces annonces ont conduit les organismes HLM à adopter une posture prudente puisque l'État leur a demandé de compenser cette baisse des APL par une baisse de loyer. Cette baisse administrée s'est traduite par une baisse de 1,3 milliard d'euros de recettes sur les 20 milliards d'euros encaissés chaque année par les organismes. Elle a tétanisé le secteur, qui a craint que cette injonction se répète, et entraîné mécaniquement une baisse des mises en construction. La crise du logement s'est installée avec les problématiques liées au foncier et aux coûts de construction grevés par la hausse des prix des matériaux et par l'inflation des normes. Les acteurs ayant du mal à trouver des débouchés auprès des particuliers, ils n'arrivent pas à lancer leurs opérations. Vous avez également évoqué, Mme la Présidente, une forme de malthusianisme.
La programmation de logements sociaux s'effondre. Le dernier point haut remonte à 2016, avec la programmation d'environ 125 000 logements. En 2022, 95 000 logements ont été programmés. Cette année, nous nous réjouirons si nous parvenons à 85 000. Pour 2024, nous envisageons une hausse de 12 % nous permettant de revenir à 95 000 logements, mais c'est une très grosse ambition après le point bas que nous allons atteindre.
Parallèlement, nous faisons face à une très forte hausse de la demande qui s'explique par plusieurs facteurs :
- la baisse de la mobilité, les ménages ne pouvant plus quitter leur logement social en raison du rétrécissement de l'offre locative sur le parc privé et de la hausse des taux d'intérêt et des coûts de construction qui rend impossible l'accession sociale ;
- des ménages éligibles au logement social, mais qui trouvaient des solutions dans le parc privé en locatif ou en accession, n'en trouvent plus et font une demande de logement social.
Si les locataires HLM n'ont pas de solutions crédibles dans le parc privé, la mobilité ne pourra pas être augmentée.
En termes de mesures d'urgence, la revalorisation des APL pour les ménages les plus modestes me semble déterminante. Ces ménages sont les premières victimes de la crise du logement. Les prix du parc privé explosent et dans le parc social ils sont confrontés à la hausse des charges.
J'attire votre attention sur le chèque énergie qui est versé aux deux premiers déciles de la population qui correspondent, pour un célibataire, à un revenu annuel de 11 000 €. Une femme célibataire avec deux enfants touchant le SMIC bénéficie de 5 € par mois. On ne peut donc pas dire que ce chèque énergie règle le problème de la hausse du coût de l'énergie. Cependant, il doit être élargi aux ménages modestes au-delà de ces deux premiers déciles.
À plus long terme, il est essentiel de maîtriser les coûts de production, en jouant sur les prix du foncier, sur le coût des matériaux, sur lequel le ministre de l'Économie et des Finances s'est beaucoup engagé et sur les surcoûts normatifs. Par exemple, la RE2020 a généré des surcoûts importants ; il y a de vrais besoins, mais il me semble nécessaire de fixer des limites et de mettre en place un moratoire.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci beaucoup pour votre intervention précise et pragmatique. Je donne la parole à M. Didier Bellier-Ganière.
M. Didier Bellier-Ganière, délégué général de la Fédération des promoteurs immobiliers. - Je tiens à excuser l'absence de notre président Pascal Boulanger qui, compte tenu de la situation catastrophique de la promotion immobilière, doit s'occuper de son entreprise.
Dans la promotion immobilière, la crise a débuté en 2020 avec une crise de l'offre. Le mouvement de malthusianisme de nos concitoyens s'est répercuté sur les maires qui ont délivré moins de permis de construire. Elle s'est aggravée en 2022 avec la hausse des coûts de construction et des taux d'intérêt, qui a fortement réduit le pouvoir d'achat immobilier des ménages. À la crise de l'offre s'est ajoutée celle de la demande.
Aujourd'hui, la crise alimente la crise. Les ventes baissent en raison d'un problème de solvabilité des ménages. Leur taux d'effort est souvent supérieur à 35 % et de moins en moins de ménages ont la capacité d'acquérir un logement. La baisse des ventes s'accentue de trimestre en trimestre. Sur le dernier trimestre, la chute est de 30 %. Sur l'ensemble de l'année 2023, les ventes devraient s'élever à 80 000 ou 90 000 logements, soit pratiquement une baisse de moitié par rapport à une année normale où nous enregistrons 160 000 ventes.
L'origine du blocage du parcours résidentiel se trouve aussi dans cette disparation de logements. Des ménages qui auraient pu acquérir un logement il y a quelques années se tournent vers le logement social.
Nous observons également un impact sur les mises en vente. Pour lancer la construction d'un programme, un promoteur doit atteindre un taux de commercialisation. Celui-ci est passé de 30 % à 50 % en raison de l'exigence renforcée des banques pour accorder les prêts et la garantie financière d'achèvement (GFA). Le taux de commercialisation est de plus en plus difficile à atteindre et les ménages qui avaient réservé un logement se désistent quand ils constatent que les travaux ne démarrent pas dans les délais prévus. En 2021, le taux de désistement était de 13 %. Il est passé à 26 % en 2022 pour atteindre cette année 50 %. Face à cette situation, les promoteurs renoncent à lancer de nouveaux programmes. Les mises en vente sont donc en recul de 60 %, ce qui fabrique la crise de demain, car ce sont autant de logements qui ne seront pas construits. Nous sommes passés d'une crise de l'offre à une crise de la demande qui accentue la crise de l'offre.
Pour l'instant, il ne se passe rien du côté du gouvernement. Il semble vouloir amortir le choc en mettant en place un appel à manifestation d'intérêt pour l'achat de 30 000 logements par Action Logement et 17 000 par la Caisse des dépôts. Ces mesures ne sont pas à la hauteur de la crise. Il attend également une baisse des prix qui permettrait de réenclencher le mécanisme. Je pense qu'il y a une erreur fondamentale dans ce raisonnement. En effet, le logement neuf n'obéit pas à la même logique que le logement ancien. Ce dernier obéit au jeu de l'offre et de la demande. Si la demande diminue, les prix de l'offre baissent. Dans le logement neuf, seul le prix du foncier peut baisser. C'est donc une très mauvaise stratégie.
Pour arrêter ce cycle infernal, une mesure conjoncturelle serait de faire revenir dans l'accession des populations qui en sont absentes. C'est la raison pour laquelle nous avons proposé d'augmenter les plafonds d'exonération des droits de mutation à titre gratuit en cas d'acquisition d'un bien pour en faire sa résidence principale. Au moment du décès de l'acheteur, chacun de ses héritiers bénéficierait d'une exonération de droits jusqu'à 150 000 €. Cette mesure a été adoptée par le Sénat dans le cadre de l'examen du PLF 2024.
Sur le plan structurel, la disparition du Pinel est une catastrophe puisqu'elle fait disparaître chaque année 60 000 logements du marché. Une de nos propositions est de permettre aux investisseurs particuliers de bénéficier des mêmes conditions que les investisseurs institutionnels dans le logement locatif intermédiaire, c'est-à-dire une TVA à 10 % et l'exonération ou la compensation de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB). Nous ne comprenons pas pourquoi seuls les investisseurs institutionnels, qui se font de plus en plus rares, sont les seuls à bénéficier de la TVA à 10 %.
M. Loïc Chapeaux, directeur des affaires économiques de la Fédération française du bâtiment (FFB). - Je vous prie de bien vouloir excuser le président Olivier Salleron, qui aurait aimé être à ma place, mais qui devait lui aussi s'occuper de son entreprise.
Vous connaissez les chiffres de la construction. La FFB présentera la semaine prochaine ses prévisions pour 2024. Je peux d'ores et déjà vous dire que la récession sera très lourde, avec son cortège de pertes d'emplois. Aujourd'hui, nous essayons de sauver 2025 !
Cette situation a des conséquences sur :
- les entreprises et l'emploi dans le secteur ;
- le logement des ménages et la capacité à faire jouer le lien emploi/logement pour accompagner la réindustrialisation ;
- la situation macroéconomique. Je vous renvoie à la présentation du directeur général de l'INSEE lors de l'ouverture de la conférence sociale il y a un mois. Depuis mi-2022, un seul agrégat plombe le PIB, l'investissement des ménages. Cet agrégat est composé à 80 % de dépenses en construction, qu'ils s'agissent de constructions neuves ou de gros travaux de rénovation. Entre le 2e trimestre 2022 et le 3e trimestre 2023, le PIB a progressé de 1 %. S'il n'avait pas été plombé par l'investissement des ménages, donc par les dépenses en bâtiment, il aurait augmenté de 1,4 ou de 1,5 % ;
- la capacité de la nation à intervenir sur différents secteurs. Je rappelle que les prélèvements sur le logement excèdent de plus de 55 milliards d'euros les dépenses au titre des aides au logement. Ce qui fait la différence ce n'est pas le financement des dépenses courantes, ce n'est pas la rénovation énergétique qui coûte deux fois plus qu'elle ne rapporte avec une TVA à 5,5 % et des aides qui se massifient, ce sont les prélèvements sur les flux d'investissements, comme la TVA à 20 % sur le neuf ou les droits de mutation à titre onéreux, qui alimentent les collectivités locales. Comment pourrons-nous continuer à financer la rénovation énergétique si les prélèvements issus des flux d'investissements se réduisent fortement ? Il faudra sans doute prélever dans d'autres secteurs.
En termes de mesures conjoncturelles, nous proposons de revenir sur l'amputation du PTZ qui correspond à l'abandon de 93 % des territoires et sur les 7 % restant à l'abandon de la maison individuelle. En 2022, ce dispositif a coûté 700 millions d'euros à l'État et il coûtera probablement deux fois plus en 2023, mais à côté des 40 Mds€ d'aides, ce n'est pas cette amputation qui permettra de réaliser de réelles économies. En revanche, elle aura des conséquences immédiates sur un certain nombre de ménages qui n'auront plus les moyens de se loger alors que le marché locatif privé est en train de s'atrophier, notamment avec la disparition du Pinel. Il convient de réfléchir à un nouveau dispositif et je partage l'avis de M. Bellier-Ganière, l'appel aux investisseurs institutionnels, qui représentent 5 % du marché contre 15 à 20 % il y a 20 ans, n'est pas raisonnable.
En termes de mesures structurelles, il faudrait arrêter d'imposer de nouvelles normes au secteur comme l'a réclamé Mme Louis. La RE2020 va provoquer une hausse des coûts tous les trois ans et le ZAN celle du foncier. Ces deux normes vont à elles seules alimenter la machine infernale. Par ailleurs, nous proposons que l'État assouplisse la réglementation du crédit en prenant en compte la baisse du risque supposé corollaire de l'assouplissement des taux.
M. Loïc Cantin, président de la Fédération nationale de l'immobilier. - Nous sommes très certainement à un moment historique. Nous allons être confrontés à la plus grave crise du logement depuis l'après-guerre. Les taux peuvent rester stables, ce que je souhaite, mais nous ne pouvons pas écarter une nouvelle hausse.
Le détonateur de la situation a été l'augmentation subite et très rapide des taux. Elle a largement obéré la capacité de remboursement des ménages et stoppé à la fois l'investissement dans le neuf et le parcours résidentiel des Français. Tous les secteurs du logement sont touchés. Je pense qu'il ne faut pas se contenter de mesures cosmétiques et ponctuelles.
Pour moi, les origines de cette crise remontent à plusieurs dizaines d'années. Depuis 40 ans, nous avons connu une succession de lois qui avaient pour objectif de mieux loger les Français, mieux les accompagner et construire moins cher. Toutes ces lois ont amené une surcouche de réglementations équivalant parfois à un pansement sur une jambe de bois. La politique du logement est-elle une préoccupation de nos prétendants politiques ? Pendant les dernières campagnes présidentielles, le logement n'a jamais été au coeur des préoccupations des candidats.
Pourtant, le mal-logement explose et le parcours résidentiel est rompu. C'est donc un exercice collectif qu'il faut mener. Je ne suis pas favorable aux mesures ponctuelles. Je ne partage pas les oppositions des uns et des autres ni la position du président de la République quand il affirme que la politique du logement est de la surdépense publique pour de l'inefficacité collective. C'est faire insulte à ce secteur. Je ne partage pas non plus la position de Patrice Vergriete qui dit dans Le Point qu'il faut sevrer l'immobilier de la drogue fiscale. Cette drogue fiscale a pourtant permis de produire 50 % de logements sociaux et de soutenir le bâtiment. On ne dit pas qu'on va supprimer le Pinel sans prévoir un autre dispositif. Depuis 38 ans, le marché est effectivement sous perfusion. Depuis 38 ans on donne un avantage fiscal à des propriétaires pour leur permettre de soutenir l'activité du bâtiment puisque, selon le vieil adage, « quand le bâtiment va, tout va ». Cependant, la primo accession a été oubliée ! Dans ce marché, il est désormais impossible de devenir primo-accédant. On a mis en place tous les paramètres d'un marché d'exception qui conduit à l'exclusion des plus faibles. Un pays qui n'arrive pas à loger sa population ne peut pas être un pays en paix avec lui-même.
Je pense qu'il faut revoir le paradigme de la politique du logement de sa globalité et ne pas se contenter de mesures ponctuelles. La crise à laquelle nous faisons face est aussi une opportunité que nous devons saisir. Nous ne pouvons pas continuer à dire que le logement, qui est le premier poste de dépenses des Français, coûte de plus en plus cher. Je suis contre l'augmentation du taux d'endettement à 37 %. Il faut en revanche donner une plus grande liberté aux banquiers qui savent comment prendre un risque.
Comment revoir la politique du logement dans sa globalité ? Je me rappelle que, dans cette enceinte, nous avions tenu des conférences de consensus sur le logement et qu'un accord avait été trouvé entre Emmanuel Macron et Gérard Larcher. Nous avions vécu un grand moment de démocratie, beaucoup d'acteurs présents aujourd'hui y ont participé. Je pense qu'il n'est pas trop tard pour y revenir. Même si le Conseil national de la refondation (CNR) a échoué dans ce domaine, nous pouvons restaurer ce type de concertation. Ce serait une belle initiative que tous les acteurs réunis parlent franchement pour trouver des orientations. Dans notre pays, nous avons tout pour offrir des logements à coûts maîtrisés, un foncier, même s'il est rendu de plus en plus rare, ce que nous ne comprenons pas, une réglementation à notre portée, le pouvoir d'intervenir sur le droit des sols, la fiscalité, les entreprises, etc. Or, nous ne savons même pas permettre aux Français d'avoir un logement abordable.
Nous savons très bien que les finances de l'État sont exsangues et qu'il faut composer avec peu. Pour le marché ancien, je suis un défenseur de la portabilité de la transférabilité des prêts bancaires. C'est une pratique que nous avons largement utilisée depuis 40 ans et dans des périodes antérieures pour transmettre les prêts immobiliers conventionnés, les prêts pour l'Accession à la Propriété (PAP) ou les prêts du Crédit foncier à des ménages qui pouvaient en disposer. Quand un particulier vend sa maison ou son appartement parce qu'il est muté dans une autre ville et qu'il a emprunté à 1 %, il doit pouvoir porter son emprunt sur une autre acquisition et éviter ainsi un nouvel emprunt à 4,5 %. De même, un ménage qui vend un bien sans réutiliser le produit de cette vente, il doit pouvoir transférer son crédit à un autre emprunteur, sous réserve d'éligibilité. C'est une mesure simple, qui donnerait un peu d'oxygène au marché et qui ne coûte rien à l'État ni aux banques. Ce serait aussi une mesure de solidarité pour les ménages fragilisés. L'État est venu au secours des banques après la crise des subprimes, elles peuvent aujourd'hui faire un effort citoyen et républicain.
M. Robin Rivaton, économiste. - Les prix de l'immobilier sont le thermomètre de la crise. En Île-de-France, au cours des 30 dernières années, ils ont augmenté deux fois plus vite que la création de richesse. Ce n'est pas tenable. Le logement, qui devrait être accessible à tous les ménages, est devenu un produit de luxe. Aujourd'hui, nous avons le même taux de propriétaires qu'en 2006. Pourtant, nous avons connu une période où les taux d'intérêt étaient les plus bas de l'économie moderne à 1 %. Cette situation n'a pas permis à plus de ménages de devenir propriétaires.
Cette hausse des prix s'explique par un déséquilibre entre l'offre et la demande. Il est possible de tuer la demande pour les faire baisser, mais, en même temps, toute une économie est tuée. Il est aussi possible d'augmenter l'offre pour que le stock de logements soit en adéquation avec les besoins de la population.
La population française est dynamique et continue de croître, malgré la récente baisse de la natalité, notamment avec l'immigration. Elle fait également le choix de décohabiter. Par conséquent, nous avons besoin d'ajouter des logements au stock. Or, tous les jours, on interdit des logements à la location, on interdit la construction dans certaines zones, on met en place des normes de plus en plus dures et le logement, qui devrait être accessible à tous, devient un produit de luxe. Nous acceptons pourtant que tous les automobilistes ne roulent pas en Rolls-Royce et que des Dacia parcourent nos routes. Nous ne sommes pas obligés de construire des logements parfaits.
Sur le plan structurel, nous ne produisons pas assez de logements, que ce soit avec des constructions neuves, des transformations de bureaux en logements ou des réhabilitations. La microdémocratie donne aujourd'hui d'importants pouvoirs aux individus pour contester les décisions d'intérêt général. Si demain on construisait un immeuble de 10 étages en face de chez moi, je serais sans doute le premier à mettre une banderole sur ma propriété. N'importe quel individu a la capacité d'aller en justice et de créer une association par les réseaux sociaux pour s'opposer aux constructions, que ce soient des logements, des bassines, des routes ou des Centers Parcs.
Sur le plan structurel, il faut que le représentant de l'intérêt général, c'est-à-dire le maire ou le président de l'intercommunalité, puisse faire face aux oppositions naturelles et légitimes. Pour cela, je propose que les communes qui accueillent ces constructions puissent capter une partie de la marge réalisée. Il n'est pas normal qu'une opération qui génère des recettes importantes ne bénéficie pas aux territoires et aux résidents qui l'accueillent. C'est l'un facteurs principaux du blocage du marché. Si nous ne sommes pas capables de résoudre ce sujet, il n'y aura pas de constructions nouvelles en France, il n'y aura pas de transformation de bureaux en logements. Dans la première couronne francilienne, plus d'un million de m2 de bureaux sont vides. Ils génèrent de la taxe sur les bureaux et aucun élu n'a la volonté de transformer un bâtiment qui rapporte en un bâtiment qui va coûter des services publics.
Sur le plan conjoncturel, nous l'avons tous dit, la réglementation du secteur du logement est trop lourde. Aujourd'hui, toutes les lois, dans tous les secteurs, renforcent les mesures réglementaires. Or, tout ajout de norme se répercute sur le coût des logements et les ménages ne peuvent plus y accéder.
M. Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre. - Je n'aurais jamais imaginé être un jour au Sénat, entouré de tous les acteurs du logement parlant de catastrophe, de récession, de responsabilité politique majeure, de cycle infernal et de moment historique. Ce que nous sommes en train de nous dire est proprement hallucinant, comme nous l'avons déjà constaté dans le cadre du CNR que j'ai eu la chance de co-animer. Tous les acteurs du logement ont dit que nous étions dans le mur et que nous nous enfoncions dans le mur.
Madame la présidente, vous avez ouvert cette table ronde avec des mots très forts. Nous nous connaissons depuis longtemps et je n'ai pas souvent entendu ces mots dans votre bouche. Loïc Cantin proposait de remettre l'ouvrage sur le métier collectivement et en toute transparence, mais cela a déjà été fait. Refaisons-le tant qu'il faut !
En 2017, les deux leviers de la protection sociale, c'est-à-dire la production de logements sociaux aidés et les APL, ont été fragilisés comme jamais depuis la réforme Barre de 1977. La taxe d'habitation a été supprimée, pas seulement pour 80 % des ménages les plus modestes, mais aussi pour les 20 % des ménages les plus aisés qui n'avaient rien demandé. Je sais que la Constitution prévoit l'égalité devant l'impôt, mais on peut toujours trouver des moyens de compenser une mesure par une autre.
Après avoir constaté que le secteur allait dans le mur, le gouvernement a décidé d'organiser un CNR sur le logement. Cela ne l'a pas empêché de faire de nouvelles économies de façon aveugle en recentrant le PTZ et en supprimant le Pinel. Je ne dis pas que ces dispositifs fonctionnaient bien. Nous n'avons jamais dit au président de la République, aux ministres du logement successifs ou à la Première ministre qu'ils allaient dans le bon sens. La Fondation Abbé Pierre n'a jamais compris ce qui était en train de se passer, la raison de ces économies, l'orientation du gouvernement, etc.
C'est pourtant un sujet majeur. Les demandes de HLM n'ont jamais été aussi élevées, la production de logements sociaux ou de logements en général jamais aussi basse, comme l'accession. Les ménages n'ont plus le choix, il n'y a plus de mobilité, il n'est plus possible de favoriser des conditions de vie familiale et sociale satisfaisantes. Au bout de la chaîne, ceux qui ont encore moins de chance que les autres souffrent, s'enfoncent et n'ont pas de perspectives.
Depuis 10 ans, faute de trouver des solutions de logement durable, y compris dans le logement social ou dans le logement privé à vocation sociale, on répond à des besoins d'urgence en rallongeant avec des milliards d'euros le programme budgétaire 177, alors que ce n'est satisfaisant ni pour les ménages ni pour les finances publiques.
Le 2e plan logement a été lancé, mais il n'est pas en suspens dans l'air. Il doit monter en puissance pour que le changement culturel s'opère. La Fondation Abbé Pierre, qui a vocation à s'occuper des plus défavorisés est extrêmement inquiète quand l'accession sociale ou l'accession à la propriété sont à l'arrêt, quand la production n'est pas au rendez-vous. Il y a beaucoup d'inquiétudes, beaucoup de colère, beaucoup d'incompréhensions, et beaucoup d'envies de faire autre chose. Il faut faire feu de tout bois. Le CNR logement a rassemblé tous les acteurs, qui se sont un peu oubliés dans leurs identités et dans leurs revendications pour réfléchir à la manière d'améliorer le sort de nos concitoyens en termes de logement, qui est un puissant facteur l'exclusion et d'inégalité.
Vous l'avez voté récemment, nous n'avons jamais été fans de l'augmentation des places d'hébergement d'urgence. Nous pensons que ce n'est pas le moyen de l'émancipation, mais il faut pourtant encore les augmenter. Chaque soir, 3 000 enfants et leurs familles appellent le 115 et restent à la rue. Ce n'est pas possible en France en 2023 ! Tant que nous ne serons pas capables d'inverser les logiques structurelles, nous aurons besoin de mesures d'urgence. Il faut donc prolonger la capacité de répondre en urgence aux difficultés.
Nous devons également nous fixer des objectifs de production, en précisant les moyens mobilisés et les contreparties sociales et écologiques aux aides de l'État. Loïc Chapeaux l'a dit, le Pinel n'avait pas que des avantages, mais il fallait le réformer au regard des enjeux sociaux, territoriaux et écologiques, trouver le bon équilibre entre l'incitation, qui permettrait de relancer la production, et nos besoins collectifs. Je partage aussi les propos de Marianne Louis sur les APL. C'est un levier qui permettrait de répondre assez rapidement aux difficultés, en les élargissant et en leur redonnant leur capacité après les amputations, les gels, le changement de mode de calcul, qui n'était pas mauvais en soi, mais le milliard d'euros économisé n'a pas été réinjecté pour mieux solvabiliser les ménages.
Enfin, je partage votre point de vue, non pas sur la réglementation, mais sur l'encouragement des maires bâtisseurs. C'était un des points forts de sortie du CNR avec le consensus des différents acteurs sur la nécessité d'engager une réflexion sur la régulation économique du foncier. Je ne comprends pas que le gouvernement n'ait pas saisi cette opportunité pour que nous puissions ensemble penser la ville, définir des priorités de construction, pour quelles populations, etc. Je pense qu'il faut là encore remettre l'ouvrage sur le métier.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci Monsieur le délégué général. Je donne la parole aux sénateurs auxquels je demande de ne pas dépasser 2 minutes d'intervention pour poser leurs questions.
Mme Amel Gacquerre. - Merci à tous pour vos propos qui ne sont pas rassurants, mais réalistes. Vos propositions sont très concrètes, mais j'ai l'impression que c'est l'inverse qui est en train de se produire.
Vous avez été nombreux à le dire, cette crise du logement, des logements, ne peut se résoudre sans un engagement fort de l'État. Or, le ministre du logement a récemment déclaré qu'il voulait « sevrer l'immobilier de la drogue fiscale » en dénonçant une dépendance du secteur de la construction aux incitations fiscales. C'est très grave dans le contexte actuel. Les politiques du logement ont démontré que quand l'État est absent, ce sont les investisseurs particuliers qui prennent le relais.
J'ai entendu que vous appeliez à repenser la politique du logement dans sa globalité, mais, en urgence, quel dispositif pouvons-nous mettre en place pour remplacer le Pinel ?
Par ailleurs, le diagnostic de performance énergétique (DPE) n'est pas un sujet uniquement technique, c'est aussi un sujet politique. Il conditionne en effet la valeur des biens sur le marché. Pourtant, sa fiabilité est remise en question. Une mission a été portée par notre Présidente pour faire des propositions sur le DPE qui souffre d'évaluations différentes en fonction des diagnostiqueurs et d'un manque de formation de ces diagnostiqueurs. Le gouvernement a évoqué quelques pistes d'amélioration. Qu'en pensez-vous ? L'agenda prévu pour lutter contre les passoires énergétiques est-il tenable ? Comment éviter qu'il aggrave la situation actuelle ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous invite, si vous le pouvez, à identifier l'invité auquel vous posez plus spécifiquement vos questions.
M. Olivier Rietmann. - Ma question portait sur le DPE et ma collègue l'a posée.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je donne la parole à nos invités.
M. Loïc Cantin. - Un Français sur deux connaît le DPE ou y est confronté au moment de la vente ou de la location d'un bien. Il relève d'un algorithme qui a été travaillé onze fois avec les services de l'État et les diagnostiqueurs. Ce n'est pas le DPE lui-même qui est un problème, il peut être amélioré pour les petites surfaces, notamment pour une meilleure prise en compte de la production d'eau chaude ou pour revoir la pondération de l'énergie primaire qui ne favorise pas l'électricité avec un coefficient de 2,3 contre 1 pour le gaz, alors que l'électricité est l'énergie la plus décarbonée.
La vraie problématique du DPE est son aspect sanction et de non-incitation en frappant d'indécence des logements au 1er janvier 2025. Ce calendrier affole de nombreux propriétaires. Je disais encore hier à Patrice Vergriete que 17 % des propriétaires ont plus de 80 ans et qu'à cet âge on n'engageait pas de travaux de rénovation énergétique.
Le calendrier n'est pas soutenable. Tout d'abord, il n'y a pas suffisamment d'entreprises pour réaliser les travaux. Les ventes de logements classés G ont augmenté de 7 % en un mois et ce phénomène devrait s'accélérer en 2024.
Je ne cesse de marteler qu'il faut prendre des mesures et de rappeler qu'il y a une insécurité juridique totale issue des dispositifs de la loi « Climat et résilience ». La loi est rédigée de telle façon que sont frappés d'indécence tous les logements loués au 1er janvier 2025. La FNAIM demande que la loi soit modifiée pour que la disposition porte sur les logements loués à compter du 1er janvier 2025 pour éviter que les bailleurs soient mis en cause par leurs locataires pour leur avoir loué des logements indécents en méconnaissant les dispositions de la loi au moment de la conclusion du bail. On ne peut pas laisser les Français face à une telle insécurité juridique et encore moins les professionnels. Cela relève de notre responsabilité.
M. Didier Bellier-Ganière. - Je voudrais apporter deux éléments de contexte sur la drogue fiscale. Tout d'abord, quand un acquéreur réceptionne les clés d'un logement neuf, il a dépensé environ 28 % du prix de ce logement en taxes (TVA, taxe d'aménagement, etc.), qui grèvent le processus de construction et de vente des logements. C'est l'un des taux les plus élevés d'Europe. En Allemagne, il est divisé par deux. Par ailleurs, je n'ai jamais compris pourquoi, par exemple sur le Pinel, l'administration regarde les dépenses, mais pas les recettes. Pour 1 euro de dépenses, un logement Pinel génère 1,60 euro de recettes. Le débat est donc biaisé et le propos de Patrice Vergriete est faux. On ne peut pas parler de drogue fiscale. C'est un fait déclencheur, mais le Pinel a un intérêt pour la collectivité. Il permet de fluidifier le parcours résidentiel, d'offrir par ricochet plus de logements sociaux, et rapporte beaucoup de ressources à l'État.
Les dispositifs d'investissements locatifs existent depuis très longtemps avec le Méhaignerie, le Scellier, etc. À chaque nouveau dispositif, les dysfonctionnements ont été corrigés avec la mise en place de zonages, de plafonds de ressources, de plafonds de loyers, etc.
Si le Pinel est abandonné, je suggère de permettre aux particuliers de bénéficier du dispositif en vigueur pour les investisseurs institutionnels dans le logement locatif intermédiaire.
M. Loïc Chapeaux. - Le Conseil national de l'habitat (CNH) publiera prochainement un rapport sur cette question. Le vrai sujet sur l'investissement locatif privé, ce n'est pas la drogue fiscale, mais la politique de gribouille du gouvernement. L'acquisition d'un logement locatif est massivement taxée, mais l'État crée des dispositifs dérogatoires. Un investissement sur les marchés financiers est taxé via un prélèvement forfaitaire unique (PFU) qui plafonne la taxation. Ce n'est pas le cas dans le logement. L'incitation fiscale ne vient qu'en contrepartie d'un prélèvement. Sans cette incitation, le logement locatif ne serait pas intéressant pour les épargnants.
Il faut construire un système qui permet de sortir de cette logique de gribouille, qui donne de la visibilité aux investisseurs et qui rétablisse un équilibre entre les différentes formes d'investissements, voire qui favorise l'investissement locatif sur l'ensemble du territoire. En effet, contrairement aux investisseurs institutionnels, les investisseurs privés sont présents sur tous les territoires.
Je ne suis pas opposé à une réforme du DPE, mais je rappelle que ce dispositif a été déjà été réformé l'année dernière et qu'à chaque réforme il faut refaire les diagnostics.
M. Robin Rivaton. - Le DPE est un excellent outil, mais la réglementation qui en a été tirée est très mauvaise. On n'a jamais créé autant d'instabilité juridique dans ce pays. Les tribunaux vont être encombrés de litiges entre locataires et propriétaires pour que le juge estime la surconsommation liée à l'indécence énergétique du logement.
Il y aurait pourtant une solution beaucoup plus simple en prévoyant, dans les territoires en zone tendue où les loyers sont plafonnés, une accélération du plafonnement. Les logements ne seraient pas sortis du marché locatif, mais les efforts des locataires en situation de précarité énergétique seraient compensés. Ainsi, même si le propriétaire ne peut pas réaliser les travaux d'isolation, le locataire ne serait pas pénalisé. C'est une mesure extrêmement simple qui permettrait de sortir de cette ornière.
Enfin, le logement ne représente que 6 % de l'empreinte carbone de la France. La réglementation a été conçue au niveau européen avec des pays dans lesquels le logement représente entre 15 % et 20 % de leur empreinte carbone, notamment les pays qui ne sont pas chauffés avec de l'électricité d'origine nucléaire.
M. Denis Bouad. - 15 milliards d'euros ont été économisés ces 5 dernières années sur le logement social. Ce n'est pas neutre quand on sait que, dans le même temps, il y a 4 millions de personnes en situation de mal-logement.
Dans cette commission, nous avons souvent alerté sur la problématique du logement social et vous avez été, Mme la Présidente, la première à le faire.
Le coût de la réduction de loyer de solidarité (RLS) pour les bailleurs sociaux, la hausse du taux du livret A et l'augmentation des coûts de construction et du foncier font que les bailleurs sociaux ne sont plus en mesure de produire du logement social. Le ministre que nous avons auditionné il y a quelques semaines ne nous a pas rassurés. Aujourd'hui, moins de 400 000 logements sont autorisés par an, c'est une baisse de 14 %. 300 000 emplois sont menacés d'ici 2025 dans le bâtiment.
Je vous remercie, Mme la présidente, d'avoir organisé cette table ronde qui nous permet d'avoir une analyse complète des différents acteurs sur le logement social. Ma question s'adresse à M. Rivaton. Quel regard portez-vous sur l'impact économique des économies budgétaires sur le dos des politiques du logement ? Une vision trop comptable, trop court-termiste, fait parfois oublier qu'il y a des dépenses qui rapportent et des économies qui coûtent cher. Disposez-vous d'outils permettant d'affiner le coût économique et budgétaire de ces économies purement comptables ?
M. Yannick Jadot. - Certains candidats à l'élection présidentielle ont travaillé sur le logement. La FFB, la Capeb ou la Fondation Abbé Pierre peuvent en témoigner. D'autres candidats ont refusé tout débat sur cette question. Le gouvernement parle de drogue fiscale, or c'est lui qui est dépendant des recettes liées au logement. Enfin, je suis très inquiet à l'idée de mettre en concurrence le confort et la quantité. Si l'idée est de construire une Dacia dont le coût d'entretien serait celui d'une Rolls-Royce, ce n'est pas la peine. On ne peut pas construire des logements isolés comme des Méharis et des 2 CV, remettant en cause la santé, l'accessibilité et le confort au niveau du bruit. Il faut avancer sur tous les fronts pour éviter de mettre en place des boucliers tarifaires ou des boucliers énergétiques coûtant 40 milliards d'euros.
Ma question s'adresse à Christophe Robert qui a parlé du foncier. Peut-il remettre dans la discussion les propositions autres que les baux réels solidaires (BRS) ?
M. Rémi Cardon. - Plusieurs voix s'élèvent ce matin pour faire du logement une grande cause nationale. L'accès au logement est devenu un facteur d'inégalité menaçant la cohésion de notre pays. Il y a un problème quand 3,5 % des ménages les plus aisés détiennent 50 % des biens mis en location. En 60 ans, le coût du logement est passé de 9,5 % à 32 % des dépenses des foyers.
J'ai écouté attentivement le ministre du logement qui a dit qu'il était favorable à conditionner l'encadrement des loyers à un engagement de production des collectivités, sans prévoir d'aide aux maires bâtisseurs, sans fonds d'accompagnement à la mise en oeuvre du ZAN, sans plan pour le logement étudiant, tout en resserrant, en même temps, le PTZ, en fracturant tous les avantages fiscaux sur le logement. Quel est votre avis sur la position du ministre qui équivaut à attaquer les Français les plus mal logés dans les communes où la production de logement serait faible, et qui seraient condamnés à payer des loyers exorbitants ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - J'invite Robin Rivaton à répondre à la première question, Christophe Robert à la deuxième et Marianne Louis à la dernière.
M. Robin Rivaton. - Je n'ai pas d'outil permettant de calculer le coût économique et budgétaire des économies purement comptables.
En 2005, un rapport a montré qu'un tiers de l'écart du déficit budgétaire par rapport au PIB de la France par rapport à l'Allemagne était lié aux politiques du logement. À cette époque, l'Allemagne perdait 200 000 habitants par an. Elle gagnait donc environ 100 000 logements et n'avait pas besoin de construire. Depuis que l'Allemagne a repris une trajectoire démographique forte, elle dépense plus que la France pour le logement en pourcentage du PIB. Une grande partie de la politique de restrictions budgétaires est construite sur ce mythe de 2005, basé sur la politique de l'Allemagne à cette époque. Dans un pays démographiquement dynamique, on a besoin d'une politique de soutien au logement. Nous constatons que la France ne dépense pas plus que ses voisins pour soutenir le logement.
M. Christophe Robert. - Le poids des dépenses de logement de la nation n'a jamais été aussi bas. Il est passé de 2,2 % du PIB il y a quelques années à 1,5 % aujourd'hui.
Sur l'interdiction des passoires thermiques, il ne faut perdre de vue l'ambition au regard des 14 millions de précaires énergétique et du retard que nous avons pris sur ce sujet. Le sénateur Jadot évoquait le bouclier, il faut en effet prendre en compte les questions de santé, d'isolement social, etc. Il faut trouver les bons équilibres et les bonnes aides. Je note que le PLF 2024 prévoit une augmentation des aides pour les rénovations performantes entreprises par les ménages modestes.
La Fondation contribue aux côtés de l'ANAH et des collectivités locales à la rénovation de logements de ménages modestes. Ces rénovations sont formidables en termes en bien-être et de retour sur investissement, elles permettent de réduire considérablement la facture des ménages. Je souhaite que nous conservions l'ambition, avec des aménagements ou des dérogations.
Le CNR n'a pas proposé le BRS comme seule solution. Ce dispositif me paraît être une bonne idée. Nous pourrions le massifier comme le font d'autres pays. Nous pourrions aussi envisager qu'une partie des logements, dont les propriétaires ne peuvent pas réaliser les travaux soit captée pour faire du BRS, c'est-à-dire dissocier le foncier et le bâti et ainsi faire baisser la facture pour les ménages en accession à la propriété. Ce n'est pas la seule réponse à la crise du logement, mais dans certains pays les BRS jouent un rôle important.
Nous constatons que les autorisations de construction sont plus restrictives que de nombreux plans locaux d'urbanisme (PLU). Plusieurs pistes ont été avancées, comme l'obligation se mettre au niveau des PLU.
Enfin, je n'oublie pas le foncier public. Différents acteurs ont proposé d'autres pistes dans le cadre du CNR, mais nous ne les avons pas expertisées donc je ne veux pas m'avancer. Je suis favorable à la création d'une mission sur le sujet.
Mme Marianne Louis. - Nous avons tous constaté le dysfonctionnement de l'outil DPE dans ses paramètres réglementaires, c'est par exemple une catastrophe pour les petites surfaces. La profession avait pourtant alerté le gouvernement avant l'adoption de la réglementation.
Il y a quelques années, les ménages s'interrogeaient sur leur logement au regard de la distance par rapport à leur travail et du prix de l'essence et des transports. Ces interrogations se sont traduites par d'importants mouvements sociaux. Aujourd'hui, des ménages modestes, pas uniquement dans les zones tendues, s'interrogent sur leur logement à cause de leurs charges de chauffage. Par ailleurs, les zones tendues ne sont pas uniquement celles où les loyers sont encadrés. Emmanuelle Cosse participe aujourd'hui à un colloque sur les petites villes avec l'Association des petites villes de France (APVF) dans la banlieue de Rouen, qui est une zone tendue. Les charges d'énergie deviennent déterminantes pour certains ménages dans le choix du logement. On ne peut pas se contenter de dire que s'ils vivent dans une zone détendue ils auront le choix. S'ils ont le choix entre deux passoires thermiques et s'ils doivent payer 200 ou 300 euros par mois, ils ne vont pas s'en sortir. Ce ne sont pas non plus les 5 euros du chèque énergie qui vont beaucoup les aider. Il faut vraiment être attentif à ce facteur de l'énergie comme l'a été celui de l'essence il y a quelques années.
Le BRS ne fait pas baisser le prix, il le lisse et pourrait même, dans certaines situations, contribuer à le faire augmenter. Il doit être bien cadré et il n'a de sens qu'avec un office à vocation social. En effet, s'il y a une hyper-captation du foncier par des OFL et si la population ne devient jamais propriétaire de son foncier, on atteindrait le summum de la rente immobilière. Je m'étonne également que l'État ait imposé au secteur de réduire le nombre d'offices HLM qui sont passés de 700 à 500 alors qu'aujourd'hui, chaque semaine, des organismes de foncier solidaire (OFS) sont créés et agréés par l'État. Je pense que ce mouvement appellera une nouvelle régulation.
Il est important d'optimiser le foncier puisque le foncier constructible va devenir rare. Pour l'optimiser, il faut travailler sur des formes de densité acceptable. Tout le monde ne rêve pas d'un pavillon sur 1 000 m2 de terrain.
L'USH défend un encadrement des valeurs foncières et des droits à construire. En effet, avec le ZAN, nous sommes peut-être au début de l'explosion des prix du foncier constructible.
Enfin, quand nous parlons du foncier public, nous ne parlons pas uniquement du foncier de l'État, mais de l'ensemble du foncier sous maîtrise publique, c'est-à-dire du foncier des zones d'aménagement concerté (ZAC), des établissements publics fonciers (EPF), etc. Or, ce foncier a été valorisé à un certain niveau dans des opérations d'aménagement pour permettre le financement d'équipements. La baisse de la valorisation de ce foncier pourrait mettre en difficulté les aménageurs. C'est donc un sujet à manipuler avec précaution, mais il me semble essentiel d'éviter une nouvelle étape de spéculation sur le foncier.
M. Loïc Chapeaux. - Nous avons réalisé une étude sur les prêts à taux zéro et nous avons constaté que le rendement moyen net pour la nation d'une opération à taux zéro était de 24 000 euros, en tenant compte du crédit d'impôts accordés aux banques, de la TVA sur le logement, des taxes foncières, etc.
J'ajoute qu'aucun acteur n'a demandé à revenir sur la RE2020 quand nous avons appelé à mettre un terme à l'inflation des normes. Il n'est pas question de remettre sur le marché des logements mal isolés, nous nous préparons à franchir les différentes marches prévues par cette réglementation.
Mme Viviane Artigalas. - Vos propos montrent que nous sommes dans une crise grave et multifactorielle. Notre commission et sa présidente alertent sur l'aggravation de cette crise qui mettra beaucoup de temps à être surmontée si l'État ne prend pas des mesures fortes. Comme l'a dit le ministre Christophe Béchu, il faut un choc de décentralisation et transférer des droits, des devoirs et des financements. Le ministre du logement prévoit également un volet décentralisation dans sa prochaine loi sur le logement.
Vous avez évoqué les maires bâtisseurs, la maîtrise du foncier, etc. Quelles mesures de décentralisation préconisez-vous ?
Par ailleurs, la crise du logement est particulièrement aiguë dans les outre-mer. Le Sénat a mené des missions sur le logement à Mayotte et en Guyane et sur le vieillissement de la population en Martinique. Ma question s'adresse plus particulièrement à Marianne Louis. Quelles seraient les mesures spécifiques à mettre en oeuvre pour les outre-mer ?
M. Serge Mérillou. - Je remercie les différents intervenants pour la qualité de leurs interventions. Nous pouvons nous réjouir des mesures du PLF 2024 sur le PTZ, notamment sa prolongation pendant quatre ans. Cependant, ce dispositif est limité à la construction neuve collective en zones tendues et à la rénovation énergétique en zones détendues. Je m'inquiète pour l'attractivité des zones rurales qui ne sont pas considérées comme des zones tendues. Or, il y a aussi des difficultés d'accès au logement dans les zones rurales. La hausse des taux d'intérêt rend l'acquisition d'une résidence principale plus compliquée pour les jeunes ménages. Quelle est votre opinion sur la réforme du prêt à taux zéro et sur l'attractivité des zones rurales ?
Par ailleurs, quel est le surcoût des constructions dans les zones sensibles au retrait d'argile et comment prenez-vous en compte cet élément ?
M. Bernard Buis. - Selon une étude de l'Atelier parisien d'urbanisme (APUR) publiée hier, plus d'un cinquième des logements serait inoccupé dans Paris. Quelles sont les causes de ce phénomène ? Alors que les étudiants et les saisonniers peinent à trouver des logements, que faire face à ce phénomène qui touche Paris, mais qui doit sans aucun doute concerner d'autres communes de France.
Mme Marianne Louis. - En outre-mer, la crise du logement est en effet extrêmement dure. Ses causes et les pistes d'amélioration sont différentes en fonction des territoires. Néanmoins, sur tous les territoires, nous avons un problème d'accès à un foncier viabilisé avec suffisamment d'eau potable et d'électricité pour envisager d'y construire des logements. Il y a des difficultés à Mayotte, mais les opérateurs nous signalent aussi à La Réunion ou en Guadeloupe qu'ils se sont positionnés sur des fonciers qui n'ont jamais été équipés. Il existe des financements, notamment autour des Fonds régionaux d'aménagement foncier et urbain (FRAFU), mais qui sont insuffisants. Il faudrait une intervention plus forte de l'État auprès des opérateurs locaux pour la viabilisation des terrains.
À Mayotte, à ce problème de viabilisation s'ajoute un problème de domanialité et d'identification des propriétés foncières liées au système des cadis de l'ancien droit successoral mahorais. C'est un chantier de longue haleine.
Les opérateurs sont également confrontés à la question des normes. Au-delà des normes de sécurité sismiques ou cycloniques qui engendrent des surcoûts, il existe des normes pour les matériaux. Les constructions sur les territoires français doivent être réalisées avec des matériaux bénéficiant du label CE. La Guyane, qui est très proche du Brésil, ne peut pas utiliser de matériaux brésiliens et doit les importer d'Europe. En effet, les producteurs de matériaux brésiliens ne prennent pas la peine de faire certifier leurs matériaux CE. Les constructions sont grevées d'un surcoût, mais c'est aussi une aberration écologique de transporter des matériaux en Guyane. Il serait intéressant de chercher des équivalences de normes sur les matériaux avec les pays voisins des outre-mer, c'est un gros travail qui suppose également que la France accepte de ne pas détenir le monopole du bien-savoir et que les organismes certificateurs acceptent de travailler avec des organismes partenaires.
La Martinique est un département difficile pour les organismes HLM, car c'est un territoire confronté à une décroissance démographique. Ils doivent trouver un modèle économique adapté à la démographie, avec de plus en plus de logements vacants l'absence de production de logements neufs et adapter leur offre au vieillissement de la population.
En outre-mer, la situation de chaque territoire est différente et nécessite des réponses particulières.
Je suis étonnée que personne n'ait évoqué la décentralisation avant Mme Viviane Artigalas.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Le Sénat a organisé un colloque sur la décentralisation avec les Offices publics de l'habitat.
Mme Marianne Louis. - Le ministre nous demande souvent quelle est la position du mouvement HLM sur la décentralisation, mais nous ne pouvons pas nous positionner simplement sur ce sujet. La décentralisation peut porter sur la politique d'attribution ou sur celle des loyers pour le logement social, elle peut aussi concerner les aides à la pierre, mais se posera alors la question de la ressource attribuée aux collectivités locales, ou sur l'hébergement, les normes, la fiscalité du logement.
La décentralisation de la politique du logement couvre tellement de champs que nous refusons de nous positionner tant que le sujet n'est pas clarifié.
M. Christophe Robert. - L'étude de l'APUR sur les logements vides est très intéressante. La vacance s'explique par plusieurs phénomènes : les locations touristiques, les résidences secondaires, les transmissions patrimoniales ou la nécessité de travaux. Les chiffres présentés sont inquiétants puisque ces logements sortent du marché des locations à l'année pour les Parisiens. Plusieurs leviers peuvent être utilisés comme l'accroissement de la fiscalité sur les logements vacants ou la maîtrise des locations touristiques.
Sur la décentralisation, je partage l'avis de Marianne Louis, une clarification est nécessaire. Est-ce qu'il s'agit pour le gouvernement de se débarrasser du problème ou d'adapter la politique à la réalité des territoires ? Nous sommes convaincus que l'impulsion de l'État reste nécessaire et qu'il faut prévoir des mécanismes de solidarité territoriale. Nous observons également que les collectivités qui ont saisi les compétences dont elles disposent et qui se sont mobilisées, dotées d'équipes d'urbanisme et d'aménagement, ont besoin de plus de liberté pour adapter leurs politiques à la réalité de leur territoire.
L'encadrement des loyers est aujourd'hui optionnel et est soumis à l'accord de l'État. Par ailleurs, la seule possibilité d'encadrement est le loyer médian plus 20 %, ce qui n'est pas adapté à tous les territoires. De même, l'application de la loi SRU dans la production de logements sociaux pourrait être modulée en fonction des collectivités et le taux de 25 % s'appliquer à l'échelle des arrondissements d'une ville. Nous constatons aussi que la prise en main par les intercommunalités et les métropoles de la question du logement est extrêmement positive et doit être encouragée.
Enfin, je pense que l'État n'ira jamais jusqu'à une décentralisation totale de la politique du logement parce qu'il y a derrière la question migratoire.
M. Robin Rivaton. - Attention au mythe de la vacance qui permettrait de répondre aux problèmes du logement en France. L'argument brandi par certains ministères qui affirment qu'il suffirait que les 2 millions de logements vacants soient occupés pour résoudre la crise du logement est faux. Il faut nous y opposer avec force. L'étude de l'APUR est extrêmement intéressante puisqu'elle montre l'accroissement de la résidence occasionnelle, de plus en plus de ménages ayant choisi de déclarer leur résidence parisienne comme résidence secondaire. Elle est basée sur le recensement de 2020. Il y a eu depuis des augmentations substantielles de la fiscalité des résidences secondaires et je pense que ces mêmes ménages vont à nouveau déclarer leur résidence parisienne comme résidence principale, ce qui n'aura aucun effet sur la crise du logement.
M. Loïc Cantin. - Il y a aujourd'hui 2,9 millions de logements vacants en France, soit 1 million de plus en 11 ans, et il est important d'analyser les causes de ces vacances.
Une partie de ces logements est dans la diagonale du vide, c'est-à-dire dans les départements abandonnés, où l'habitat n'est plus entretenu. La politique de soutien à la rénovation de l'ANAH n'existe plus. Ces maisons ou ces petits immeubles de 4 logements sont généralement classés G ou G+ dans le DPE et écartés de la rénovation énergétique, car les propriétaires n'ont pas les moyens de réaliser des travaux estimés à plusieurs dizaines de milliers d'euros, alors que leur valeur vénale est très faible. Il y aura donc de plus en plus de logements vacants en France à cause des rénovations imposées par la loi Climat et Résilience. Pour sauver ce patrimoine, il faudra dégager des moyens afin d'aider les propriétaires.
La décentralisation n'est pas nouvelle. Il y a tout juste 40 ans, François Mitterrand mettait en oeuvre une loi de décentralisation donnant plus de pouvoirs aux maires, notamment celui d'instruire les demandes de permis de construire. Nous nous rendons compte aujourd'hui que nous n'avons pas les maires bâtisseurs que nous aurions souhaités.
J'espère que l'État ne veut pas se décharger d'un fardeau trop lourd. Il faut que nous soyons attentifs au contenu d'une nouvelle étape de décentralisation et l'État doit rester le garant d'une politique du logement équilibré. Je crains également que des compétences soient exercées de façon excessive par les élus, comme sur les permis de louer. Il y a dans certaines villes des périmètres entiers soumis aux permis de louer qui ne font que gêner les démarches des propriétaires bailleurs.
Nous ne sommes pas contre la rénovation énergétique. 92 % des copropriétés sont administrées par des syndics professionnels qui sont engagés dans la rénovation énergétique. Ils disposent d'un calendrier très précis fixé par la loi Climat et Résilience, avec la tenue d'assemblées générales à des dates précises en fonction de la taille des immeubles. Ils ont la charge d'établir des plans pluriannuels de travaux et de les faire voter. En revanche, ils n'acceptent pas la juxtaposition d'un calendrier de l'indécence qui envoie un mauvais signal et qui n'incite pas à l'engagement des travaux.
La FNAIM a formé 4 000 professionnels à la rénovation énergétique. Nous sommes prêts, mais l'appareil productif ne l'est pas et le processus de décision est un peu long.
Enfin, sur le foncier, je me souviens du très beau rapport de Thierry Repentin publié en 1992. 30 ans plus tard, nous n'avons pas beaucoup avancé. La loi ZAN va rendre le foncier de plus en plus cher. Depuis la loi SRU, aucun foncier n'a été ouvert. En 20 ans, la charge foncière dans les bilans de promotion a augmenté de 1200 %. Aujourd'hui, nous constatons qu'une maison vaut plus cher quand elle est démolie que quand elle est debout. La question foncière est fondamentale pour offrir des logements plus accessibles aux Français.
Je suis d'accord sur le ZAN à condition que l'offre foncière soit à la hauteur des enjeux à satisfaire, c'est-à-dire des logements pour tous les Français. Je suis capable d'identifier 2 000 hectares autour de Nantes et il est possible d'envisager un pacte foncier entre la ville et le propriétaire, un partage de la valeur pour faire baisser la charge foncière de manière très importante.
La loi SRU voulait éviter l'étalement urbain, mais elle a produit l'effet inverse en le densifiant. Aujourd'hui on le reconnaît, mais en adoptant ses dispositions, je ne sais pas où et comment nous allons demain loger les Français.
M. Loïc Chapeaux. - Toutes les autorités organisatrices de l'habitat (AOH) n'ont pas même capacité à gérer la décentralisation. Nos fédérations locales nous disent que les maires sont perdus. En dehors des grandes villes, les élus ne sont plus en capacité, face à l'accumulation de règles, de comprendre ce qu'ils doivent faire.
Sur la vacance, il y aurait 3,1 millions de logements vacants en France. Si on enlève les territoires sur lesquels la population baisse depuis 15 ans et où les logements sont à l'abandon, on arrive à 400 000 logements vacants. Ce n'est même pas une année moyenne de production. Les logements vacants ne sont donc pas une réponse à la crise.
Toutes les constructions prennent maintenant en compte le gonflement des argiles. Cette réglementation représente un surcoût de 3 à 4 % pour une maison individuelle.
Sur le PTZ, je me suis exprimé, les évolutions sont une catastrophe.
Enfin, il y a des besoins sur l'ensemble du territoire. Par exemple, Aurillac n'est pas considérée comme une ville tendue, mais un laboratoire s'y est installé et a embauché 300 personnes. Il prévoit de doubler ce nombre au cours des trois prochaines années, mais sa croissance est bloquée, car il ne sait pas comment loger ses futurs salariés.
Mme Antoinette Guhl. - Je suis triste de constater que vous êtes tous d'accord sur la situation du logement. C'est inédit puisque nous avions l'habitude de divergence entre les différents acteurs. C'est donc que la situation est vraiment catastrophique. J'espère que nous parviendrons ensemble à trouver des solutions.
L'Oxfam a publié il y a quelques jours un rapport qui s'intitule « Logement : inégalités à tous les étages » et qui montre les difficultés d'accès au logement, notamment pour les plus fragiles.
Mon intervention porte sur les étudiants. J'ai visité hier un CROUS et la situation des étudiants par rapport au logement est catastrophique. Seuls 7 % des étudiants bénéficient d'un logement en CROUS ou d'un logement social. Les autres doivent trouver une solution dans le parc privé. Le nombre de résidences privées a augmenté de 13 % entre 2021 et 2022, mais leurs prix sont inabordables pour la plupart des étudiants. Certains consacrent jusqu'à 60 % de leur budget au logement et ont un reste à vivre de 100 euros par mois. Or, personne n'est capable de se nourrir et de vivre avec 3 euros par jour. Pour cette tranche d'âge de la population, qui est la plus fragile et dont nous devrions prendre soin puisqu'elle est l'avenir de notre société, nous n'apportons aucune réponse et nous la laissons dans une grande précarité. Quelles sont vos pistes d'action sur ce sujet ?
Mme Martine Berthet. - La disponibilité du foncier sera de plus en plus prégnante avec le ZAN. Au-delà du coût, la rapidité du déblocage du foncier est importante. Représente-t-elle un problème pour vous et quelles mesures proposez-vous pour accélérer la disponibilité du foncier ?
M. Frédéric Buval. - Ma question s'adresse à M. Christophe Robert. En 2022, dans son 27e rapport sur le mal-logement en France, la Fondation Abbé Pierre accordait une large place aux Outre-mer et soulignait les insuffisances de la politique du logement en Outre-mer. Elle déplorait une insuffisance du financement du logement dans des territoires où le taux de pauvreté est de 2 à 5 fois plus élevé qu'en France hexagonale. En outre, l'habitat insalubre concernerait plus de 110 000 logements sur un parc de près de 900 000, soit 12 %. L'une de vos préconisations portait sur la mise en place d'une loi de programmation pluriannuelle de relance de la production HLM, avec un objectif de 15 000 nouveaux logements sociaux par an, dont au moins un tiers de très sociaux, en augmentant la ligne budgétaire unique (LBU). Cette demande devrait être en partie satisfaite dans le prochain PLF qui prévoit, après des années de baisse, une augmentation de la LBU de 49 millions d'euros.
Comme l'a souligné l'excellent rapport de la Délégation sénatoriale aux outre-mer sur le logement, la LBU fait l'objet d'une sous-exécution récurrente, avec un taux d'exécution inférieur à 90 % entre 2017 et 2019, qui est aussi la conséquence du manque d'ingénierie des acteurs, de l'insuffisance du foncier disponible et de normes fiscales et techniques inadaptées aux spécificités des territoires ultramarins.
Quels sont les premiers freins réglementaires à lever pour lutter contre la persistance de la crise du logement en outre-mer ?
M. Christophe Robert. - Je ne peux pas vous répondre précisément, mais je vous invite à lire un rapport que nous avons publié sur ce sujet. Je ne savais pas que la LBU avait augmenté dans le PLF 2024 et je ne mesure pas ce qu'elle pourra permettre de réaliser.
Je rejoins ce que disait Marianne Louis sur l'identification des propriétaires du foncier, notamment à La Réunion. Je ne sais pas s'il y a d'autres problèmes spécifiques aux outre-mer.
En revanche, les collectivités ont besoin d'ingénierie tant les procédures sont devenues complexes. Toujours à La Réunion, il manque des acteurs avec lesquels travailler pour penser la ville et les adaptations.
Enfin, sur le logement étudiant, la petite relance doit nous permettre de rattraper les objectifs non atteints.
Mme Marianne Louis. - Si la LBU a augmenté, elle est régulièrement sous-consommée. Cette enveloppe globale votée par le Parlement est déclinée en montant moyen de subvention (MMS) par logement, qui est trop faible pour permettre une véritable rénovation. C'est la raison pour laquelle l'enveloppe n'est pas entièrement consommée.
Par ailleurs, on ne produit pas suffisamment de logements locatifs très sociaux (LLTS) en outre-mer, qui sont les équivalents des prêts locatifs aidés d'intégration (PLAI) en métropole. Il y a trop de produits intermédiaires ou PLUS (prêt locatif à usage social), les LLTS ayant besoin de plus de subventions au départ pour que les loyers soient plus faibles.
Les équipes des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) qui instruisent les dossiers sont sous-dotées. Les bailleurs nous disent qu'ils ne peuvent déposer des dossiers que d'avril à juin. La capacité de l'État à instruire les dossiers est donc insuffisante.
Enfin, la problématique du désamiantage à l'occasion des rénovations n'est pas bien appréhendée en outre-mer. Le désamiantage génère des surcoûts, notamment parce que les déchets doivent être traités en métropole.
M. Loïc Cantin. - Les élus disposent aujourd'hui de tous les outils pour piloter le logement, notamment avec le Plan local d'urbanisme (PLU) et le programme local de l'habitat (PLH). Cependant, ces politiques ne sont jamais évaluées. Dans le cadre du CNR, la FNAIM a proposé d'évaluer les politiques locales une fois par an en concertation avec l'écosystème (bailleurs sociaux, promoteurs, notaires, agents immobiliers, syndics de copropriété, banques, assurances, etc.). Pour prendre le pouls d'un marché, il faut écouter les acteurs qui sentent les tendances, fixer des objectifs et corriger les actions s'ils ne sont pas atteints.
Un nouveau modèle, lié notamment au vieillissement, va émerger sur le marché immobilier. Les inactifs ne se positionnent plus aujourd'hui sur les mêmes territoires, ce qui va amener d'importantes transformations. Nous le ressentons déjà sur certains marchés où il n'y a pas assez de logements alors qu'il y en a trop sur d'autres marchés.
M. Philippe Grosvalet. - La ville de Saint-Nazaire est dans une situation de quasi-plein emploi. Sauf dans les années soixante, jamais nos industries, qui participent largement à la balance commerciale de la France, n'ont rencontré autant de difficultés pour recruter, autrement que pour des questions de qualification. Aujourd'hui, le frein principal du recrutement est le logement. Dans le même temps, je n'ai jamais vu autant de personnes à la rue dans ma ville. Il y a un écart énorme entre ce que j'entends partout et ce que j'entends ici de la part du gouvernement. La solution ne sera pas une addition de mesures, elle est purement politique. Tant que les plus hautes autorités de la nation n'auront pas pris conscience de la gravité de la crise, tant que le logement ne sera pas une cause nationale majeure, nous ne trouverons pas les solutions. La grande loi qui est annoncée ne résoudra pas les problèmes.
Qu'est-ce qui peut aujourd'hui faire bouger les lignes, après que tous les acteurs associatifs ont alerté le président de la République ? Comment convaincre les plus hautes autorités de l'État de faire du logement une cause nationale ?
Mme Sophie Primas. - Je tiens à rendre hommage à ceux qui alertent, depuis des années, sur les conséquences des décisions qui sont prises en silos dans différents ministères, notamment notre présidente, Philippe Dallier, Viviane Artigalas ou Marie-Noëlle Lienemann.
La LRS et la baisse des APL ont constitué un choc et les lois sur le ZAN, le PTZ, la fiscalité, etc. concourent à la situation dramatique dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui.
Parmi les solutions, j'ai la conviction que nous devons travailler en profondeur sur la fiscalité du logement et du bâtiment, en repensant l'impôt sur la fortune immobilière (IFI), la taxe d'habitation, les moyens donnés aux acteurs locaux. La prime aux maires bâtisseurs qui a été évoquée n'interviendrait que dans le cadre de l'investissement. Or la difficulté des maires est liée au fonctionnement. Une fois qu'une école a été construite, il faut la chauffer, l'entretenir, etc.
Le Parlement vote beaucoup de lois d'exception depuis 5 ou 6 ans, pour la reconstruction de Notre-Dame, pour les Jeux olympiques, pour accélérer la construction de centrales nucléaires, pour les énergies vertes, etc. Nous votons ces lois d'exception, car nos lois ne sont plus adaptées à la réalité.
Pouvez-vous nous aider à écrire une loi de simplification, avec des mesures concrètes pour aller plus vite et plus loin dans la simplification et ainsi corriger la complexité qui est une des causes de la crise du logement ?
Par ailleurs, j'habite dans la vallée de la Seine, dans les Yvelines, et nous sommes inondés d'appels, à manifestation d'intérêt pour des logements locatifs intermédiaires (LLI). Quelle est votre position sur les LLI ?
Enfin, que pensez-vous du projet de loi à venir sur les copropriétés dégradées ?
Mme Marianne Margaté. - Le projet de loi sur les copropriétés dégradées arrive dans le pire contexte possible, car la crise du logement contribue à la dégradation des copropriétés et à la hausse des habitats indignes. Les marchands de sommeil ont devant eux un marché extraordinaire.
Le regroupement des bailleurs amorcé il y a quelques années a-t-il eu un effet amortisseur dans cette crise du logement ?
Les bailleurs me disent que les contrôles de l'Agence nationale de contrôle du logement social (ANCOLS) sont de plus en plus pointilleux. Est-ce qu'ils contribuent à compliquer la situation ?
Enfin, le ministre a annoncé une enveloppe de 1,2 milliard d'euros sur 3 ans pour la rénovation dans le logement social. Comment évaluez-vous ce chiffre ? Quel serait le montant nécessaire pour répondre aux besoins et éviter la dégradation des bâtiments et la paupérisation de leurs habitants ?
M. Christian Redon-Sarrazy. - Le Sénat a beaucoup travaillé sur le ZAN et je constate qu'il n'y a pas de remise en question de l'objectif. Le chantier est devant et nous comptons travailler sur l'accompagnement d'un certain nombre d'opérations.
Quelles sont les possibilités de reconversion de surfaces de bureaux en logements ? La mise en chantier actuelle de bureaux correspond-elle à la demande ou est-elle surdimensionnée ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - J'invite Robin Rivaton à répondre à cette dernière question avant de laisser la parole à nos autres invités.
M. Robin Rivaton. - La demande pour les bureaux est en forte baisse. La réduction des surfaces privatives est un phénomène ancien qui a été accéléré par le télétravail. C'est un phénomène structurel. Il y a aujourd'hui des millions de m2 de bureaux qui ne seront plus utilisés. C'est un gisement de foncier extrêmement important, identifié dès 2018 par la loi ELAN, qui prévoyait de faciliter leur transformation en logements, notamment en accordant des bonus de constructibilité. Cette transformation obéit à des contraintes extrêmement fortes. Les bâtiments sont souvent trop larges pour que les appartements bénéficient de suffisamment de lumière naturelle, il y a peu d'arrivées d'eau, etc. Le bonus de constructibilité est indispensable à l'équilibre économique de ces opérations.
Depuis le vote de la loi ELAN, il n'y a pas eu d'opérations majeures de transformation et nous avons aujourd'hui un stock de friches bureaux très important.
Les élus locaux se satisfont d'immeubles de bureaux vacants, car les collectivités touchent la taxe sur les bureaux en Île-de-France et dans la région SUD, les immeubles sont souvent gardiennés et difficilement squattables. C'est pourquoi la conversion n'est pas prioritaire.
Il faut accepter que ces transformations prennent des chemins différents. S'il est toujours possible de reprendre le bâti, de creuser des puits de lumière, d'installer un réseau d'alimentation en eau, la destruction des bâtiments peut aussi faire sens pour reconstruire des immeubles résidentiels avec un bilan carbone favorable si les déchets sont triés.
Pour encourager ces opérations, il faut mettre en place une incitation pour les maires en les faisant participer à la valeur via la taxe d'aménagement et la taxe d'aménagement majorée.
Mme Marianne Louis. - Nous avons plutôt bien accueilli le texte sur les copropriétés. Même s'il ne concerne pas directement, les bailleurs HLM sont parfois copropriétaires minoritaires. Les mesures d'accélération et de simplification de la rénovation énergétique nous ont semblé intéressantes.
Nous travaillons depuis plusieurs années à la mise en place de l'observatoire du regroupement des bailleurs. En termes de capacités d'investissement et de mobilisation de fonds propres, les regroupements ont mécaniquement produit un effet positif. En revanche, ils ont créé des éloignements du terrain avec la fermeture d'agences, des directions des achats regroupés qui ne font plus travailler les régies de quartier, et donc le sentiment d'une moins bonne qualité de service.
Nous ne nous mêlons pas des contrôles de l'ANCOLS et j'estime qu'il est normal qu'un contrôle soit dur. Je suis parfois surprise que les agences qui disposent de leur propre corps de contrôle prennent des positions très politiques. L'USH s'interroge sur ces pratiques, les corps de contrôle ne sont pas des corps de conseil politique et il est étonnant de mélanger les deux fonctions.
Le ministre s'est en effet engagé pendant le Congrès HLM à mobiliser 1,2 milliard d'euros sur 3 ans pour accompagner les bailleurs dans la rénovation énergétique. C'est une aide bienvenue qui prend le relais d'enveloppes que nous avions obtenues dans le cadre du plan de relance ou des primes à l'amélioration des logements à usage locatif et à occupation sociale (PALULOS).
L'USH demande que les logements E, F et G soient éligibles à ces rénovations énergétiques. En effet, commencer par les logements G a pour effet de pousser le problème. Dans le parc social, il reste moins de 100 000 logements G, mais près d'1 million de logements E.
Si la production reprend en 2025, les bailleurs HLM devront sans doute arbitrer entre la production et la rénovation. Pour qu'ils tiennent les objectifs de rénovation énergétique, leur capacité à produire sera réduite, à conditions égales, à 70 000 logements par an. C'est la raison pour laquelle nous demandons que des mesures soient prises pour encourager la production et assouplir les contraintes pesant sur la rénovation énergétique et ainsi revenir à un volume de production de 100 000 logements par an.
Nous considérons que certains territoires ont besoin de logements intermédiaires en raison de l'écart de loyer entre le parc social et le parc privé, en veillant à préserver un espace pour l'accession. En revanche, on ne peut pas régler la question du logement social par le logement intermédiaire. Seuls 3 % des demandeurs, au maximum, ont des revenus compatibles avec les loyers des logements intermédiaires.
Nous sommes bien sûr prêts à travailler sur une grande loi de simplification, mais nous nous faisons peu d'illusions. Il n'est pas question de supprimer les normes environnementales et il n'est pas facile pour un parlementaire d'alléger une norme de sécurité ou une norme incendie. Les normes d'accessibilités ont été prises en compte et tous les logements sont désormais équipés de douches à l'italienne, ce qui a généré 4 000 euros de surcoûts. Je sais aussi que les familles réclament des baignoires, mais je ne sais pas qui assumera de revenir sur les douches à l'italienne. Comme il est très difficile de revenir sur une norme, ne perdons pas 6 mois ou un an à travailler sur la simplification. Ce n'est pas ce qui résoudra la crise du logement.
Enfin, je ne sais pas comment faire prendre conscience de la situation aux plus hautes autorités de l'État. Nous sommes dans la situation de l'hôpital public il y a 5 ans. Tout le monde savait que l'hôpital public allait mal, mais le gouvernement était convaincu que la situation pouvait tenir encore un peu. Tant qu'il n'y a pas eu de morts dans les couloirs des services d'urgence, il n'y a pas eu de sursaut. Pour l'instant, nous n'avons pas encore été confrontés au drame d'une recrudescence de morts dans la rue.
M. Loïc Cantin. - Il faut convaincre le premier personnage de l'État de l'urgence de la situation. Car la maison brûle, mais le gouvernement regarde ailleurs. Nous sommes prêts à nous investir pour obtenir une trajectoire lisible de la politique du logement et une vision à 20 ou 25 ans en fonction des trajectoires démographiques et économiques.
Le Conseil national de la transaction et de la gestion immobilières (CNTGI) a émis des remarques sur le projet de loi sur la copropriété, qui porte principalement sur les copropriétés dégradées et propose des instruments d'exécution plus rapide et des mesures de sanction et de préemption éventuelles. C'est un bon dispositif. J'ai néanmoins fait observer au rapporteur que la méthode de quantification des copropriétés dégradées basée sur les créances restant à recouvrer au 31 décembre. C'est une méthode qui tronque l'analyse puisqu'un copropriétaire peut être débiteur le 31 décembre et à jour de ses charges le 2 janvier. J'ai suggéré au cabinet du ministre de prendre un intervalle de temps beaucoup plus large, avec un taux d'impayés d'au moins 15 % sur une durée de 3 à 6 mois pour classer une copropriété en difficulté.
En 1995, il y avait à Paris 4,8 millions de m2 de bureaux, ce qui a entraîné une grande crise financière. Les bureaux ont fini par être occupés. Aujourd'hui, on ne peut pas être optimistes sur ce marché, notamment en raison du développement du télétravail. Il faut donc reconvertir des immeubles de bureaux, mais il est compliqué de changer la destination de ces ensembles immobiliers et les transformations sont complexes. Le plus simple est de démolir pour reconstruire. Je constate également que les bureaux reviennent dans les centres-villes alors qu'ils ont été déplacés en périphérie pendant de nombreuses années.
Enfin, j'aurais aimé un peu d'équité fiscale et que la dotation de 1,2 milliard d'euros pour la rénovation énergétique des logements sociaux annoncée par le ministre soit accompagnée d'une enveloppe équivalente pour les primo-accédants.
Depuis 20 ans, l'avantage fiscal dont bénéficient les investisseurs privés dans le logement locatif a permis aux promoteurs de vendre plus cher ces logements alors qu'ils étaient contraints de vendre des immeubles à des prix inférieurs aux prix de revient aux bailleurs sociaux. Je ne suis pas contre l'aide aux bailleurs sociaux, mais c'est une fonction régalienne. Je suis favorable à l'interdiction de cette pratique, ce qui permettrait de baisser le prix des appartements destinés à la gestion locative. On ne peut pas autoriser dans notre pays des ventes à perte !
Pour conclure, je rappelle que les principaux acteurs (FFB, USH, FNAIM, FPI, Pôle Habitat, FFB, Procivis, UNIS, UNNE, UNSFA et UNTEC) sont réunis dans une Alliance pour le logement et pleinement mobilisés pour sortir de cette crise et répondre aux besoins de logement des Français.
M. Loïc Chapeaux. - Nous sommes prêts à accompagner toute démarche de simplification. Il y a 6 mois, nous avons transmis une série de propositions en matière d'urbanisme aux équipes de Bruno Lemaire dans le cadre des Assises du BTP. C'est un travail que nous avions déjà réalisé dans le cadre de la commission Rebsamen.
De nombreux pays sont confrontés à la problématique de la transformation des bureaux vacants en logement. C'est devenu un problème crucial aux États-Unis, notamment parce que les bureaux sont souvent au coeur des villes. New York, San Francisco et Boston ont demandé à McKinsey de réaliser une étude qui a montré que seuls 3 % des surfaces pouvaient être transformées en logements. Même si on ne peut inférer mécaniquement ce chiffre à la France, il donne un ordre de grandeur.
Enfin, la réforme de MaPrimeRenov' nous inquiète. La rénovation énergétique est le seul marché qui se porte bien dans le secteur du logement. Il faut veiller à ce que la réforme ne conduise pas au crash de ce marché.
M. Didier Bellier-Ganière. - Malheureusement, les autorités n'ont toujours pas pris conscience de la gravité de la situation. Nous avons créé l'Alliance pour le logement qui regroupe une dizaine de fédérations ou unions représentant 3 millions d'emplois. Les présidents de ces structures ont demandé un entretien à la Première ministre pour échanger sur la crise du logement, mais son cabinet a répondu que le rendez-vous serait programmé en février 2024 quand le gouvernement aura des mesures structurelles à proposer.
Par ailleurs, le logement est un domaine très résilient. Aujourd'hui, des couples divorcent, mais continuent à vivre sous le même toit, des étudiants renoncent à leurs études ou trouvent des solutions de logement dans des campings. Pour toutes ces raisons, la crise ne se voit pas encore, mais on sent que la marmite va exploser. Ceux qui ont un logement ne déménagent plus et les outsiders ne peuvent plus rentrer sur le marché. 13 % des étudiants ont renoncé à leurs études pour des questions de logement. Je crains des situations dramatiques cet hiver.
Il y a beaucoup d'offres dans le logement locatif intermédiaire (LLI), car c'est la seule réponse apportée par l'État à la crise qui demande à Action Logement et à CDC Habitat d'acheter des LLI. La situation est tellement dramatique que tous les promoteurs se sont engouffrés dans le LLI. Alors que le programme d'achat d'Action Logement porte sur 30 000 logements locatifs intermédiaires, les promoteurs en ont proposé 100 000. Le secteur a besoin de plusieurs solutions, bien articulées les unes par rapport aux autres.
Enfin, la France est un pays sur-réglementé, ce qui conduit le gouvernement à proposer des lois d'exception. Il faudra beaucoup de courage pour détricoter un certain nombre de lois et de règlements.
Il faut aussi penser à l'avenir. Nous sommes dans une société de défiance qui, pour éviter des situations très hypothétiques, ajoute des règles et des normes en permanence. Le gouvernement a annoncé un choc foncier accompagné d'abattements sur plus-values immobilières quand du foncier sera vendu pour construire des logements. Cette mesure semble simple, mais elle est assortie de critères de densité, de plafonds de loyers, de sectorisation, etc. In fine, cette mesure n'est plus opérationnelle puisque trop restrictive. Pour simplifier, fixons un objectif clair et évitons de mettre trop de garde-fous qui vident les mesures de leur substance.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie pour ces échanges passionnants et constructifs. Vous avez compris, au travers des nombreuses questions qui vous ont été posées, combien le Sénat était sensibilisé et mobilisé contre cette crise du logement qui risque de s'aggraver.
Nous allons mettre rapidement en place une mission d'information sur les causes et les conséquences de cette crise et surtout sur les solutions qui peuvent être proposées, que ce soient des solutions d'urgence ou des solutions structurelles. Cette mission devrait s'achever mi-mars pour que nous disposions d'éléments dans la perspective de la grande loi annoncée par le ministre.
J'espère que nous pourrons obtenir du gouvernement une révolution de la politique du logement.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 20.