Mercredi 29 novembre 2023

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 9 h 00.

Proposition de loi visant à favoriser le réemploi des véhicules, au service des mobilités durables et solidaires sur les territoires - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, avant de commencer nos travaux, je vous prie de bien vouloir excuser l'absence de notre collègue Mme Jocelyne Antoine du fait du décès de son père.

Par ailleurs, je tiens à vous remercier pour le travail accompli dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2024. Il est difficile d'être toujours présent dans l'hémicycle, mais chacun d'entre vous a pris ses responsabilités au moment de défendre les amendements de notre commission, y compris quand il n'en partageait ni le fond ni les valeurs. L'intérêt de la commission a toujours prévalu, et je vous en remercie ; notre travail en commun est un bien précieux.

Nous sommes réunis ce matin pour examiner la proposition de loi visant à favoriser le réemploi des véhicules, au service des mobilités durables et solidaires sur les territoires, présentée par notre ancien collègue Joël Labbé, et notre collègue Guillaume Gontard et plusieurs de leurs collègues. Le 18 octobre dernier, Jacques Fernique a été désigné rapporteur sur cette proposition de loi, et je le remercie d'avoir conduit des travaux approfondis dans un délai limité.

La proposition de loi vise à autoriser les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) à réemployer les véhicules éligibles à la prime à la conversion (PAC) les moins polluants, afin qu'ils puissent être mis à disposition des ménages en situation de précarité, via des services de location à prix modiques. Les véhicules éligibles seraient remis à la collectivité territoriale volontaire, en lieu et place de leur mise au rebut dans le cadre de la PAC. Les collectivités pourraient alors développer des services de location, ou s'appuyer sur des acteurs associatifs, plus particulièrement sur des garages solidaires développant des services de location solidaire. L'éligibilité des véhicules serait définie après avis de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), en fonction de leur niveau de pollution et de leur état de fonctionnement.

En outre, le texte prévoit la remise d'un rapport du Gouvernement au Parlement. Celui-ci porte sur des mesures permettant le développement du rétrofit, afin de favoriser la mise en place de services de mobilité solidaire via l'intervention d'associations. Cette opération consiste à retirer le moteur thermique ainsi que le réservoir du véhicule, et à les remplacer par un moteur électrique.

La proposition de loi, inscrite à l'ordre du jour dans l'espace réservé au groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, sera examinée dans les conditions du gentleman's agreement, avec l'objectif de préserver l'initiative sénatoriale. Les groupes minoritaires ou d'opposition ont le droit à l'examen, jusqu'à leur terme, des textes dont ils sont les auteurs, inscrits dans leur espace réservé. Sauf accord du groupe auteur de la demande d'inscription, la commission ne peut donc modifier le texte de la proposition de loi ; à défaut, elle ne peut que le rejeter afin de permettre son examen, article par article, en séance publique. En outre, la commission et les sénateurs s'abstiennent de déposer des motions.

Le délai limite pour le dépôt des amendements de séance a été fixé par la Conférence des présidents au vendredi 8 décembre à 12 heures, et la commission se réunira pour examiner les amendements de séance dans la matinée du mercredi 13 décembre ; l'examen en séance publique aura lieu le même jour à partir de 16 heures 30.

L'auteur de cette proposition de loi, Joël Labbé, n'étant plus sénateur, je laisse le soin à notre collègue Ronan Dantec, cosignataire du texte, d'en évoquer les objectifs. Notre rapporteur, Jacques Fernique, pourra ensuite nous présenter les principaux axes de son rapport ainsi que ses amendements.

M. Ronan Dantec, cosignataire de la proposition de loi. - Cette proposition de loi est à la fois un outil de justice sociale, au service de la mobilité des ménages les plus défavorisés, notamment dans les zones rurales, et un ensemble de mesures au service du réemploi et de la dépollution du parc automobile français. En 2021, lors de l'examen de la loi Climat et résilience, Joël Labbé avait déposé un amendement, adopté en séance publique, insérant un article additionnel qui donnait la possibilité aux AOM de créer un service de location des véhicules les moins polluants issus de la PAC, au bénéfice de personnes socialement défavorisées. Malheureusement, l'article a été supprimé lors de l'examen du texte en commission mixte paritaire (CMP). Au vu de son intérêt pour favoriser la mobilité de millions de nos concitoyens, il nous a paru important de présenter de nouveau ce texte.

Deux articles constituent cette proposition de loi. L'article 1er tend à créer une nouvelle disposition afin d'autoriser les AOM à réemployer les véhicules éligibles à la prime à la conversion (PAC) les moins polluants. Ces derniers pourront bénéficier aux ménages défavorisés grâce à des systèmes de location à prix modiques. Il est prévu que les véhicules éligibles soient remis par les concessionnaires à la collectivité territoriale volontaire, en lieu et place de leur destruction dans le cadre de la PAC. Les collectivités pourront alors développer des services de location, ou s'appuyer sur des acteurs associatifs développant des systèmes de location solidaire.

Le texte prévoyait initialement que l'éligibilité des véhicules serait définie après avis de l'Ademe, mais le rapporteur proposera de clarifier ce point.

Ce dispositif vise à repousser de quelques années la destruction de véhicules. Pour tenir compte de l'impact environnemental et sanitaire des véhicules concernés, leur utilisation devra être limitée à une durée définie.

L'article 2 prévoit, quant à lui, la remise d'un rapport au Parlement, avec des mesures permettant le développement du rétrofit au sein des garages solidaires et associations de mobilité solidaire.

L'intérêt de cette proposition de loi tient d'abord à son caractère d'inclusion sociale, favorable à des millions de nos concitoyens entravés au quotidien dans leurs déplacements. Le baromètre des mobilités du quotidien de l'association Wimoov et de la Fondation pour la nature et l'homme (FNH) indique que 13 millions de Français se trouvent en situation de précarité mobilité, c'est-à-dire qu'elles pâtissent de fortes difficultés dans leur mobilité, et ce malgré le droit à la mobilité rappelé dans la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités (LOM).

En outre, 4 millions de Français ne disposent d'aucun accès à un mode de transport individuel ou collectif, et beaucoup dépendent de la voiture sans avoir les capacités de payer le carburant ou de financer le véhicule. L'étude rappelle que 28 % des demandeurs d'emploi ont renoncé au moins une fois à un emploi au cours des cinq dernières années, par manque de moyens pour se déplacer. Aussi, l'ambition première de ce texte est d'éviter l'exclusion par les difficultés de mobilité.

Cette proposition de loi répond à un problème d'ordre économique. Avec l'inflation, la demande de véhicules à prix modérés dépasse l'offre disponible dans les garages solidaires. Il convient donc de renforcer cette offre, tout en veillant à ce qu'elle gagne en qualité environnementale. Une étude de 2018, menée par le réseau Agil'ess avec le soutien de l'Ademe, a mis en évidence les difficultés rencontrées par les garages solidaires pour trouver des véhicules.

Parmi les 1,5 million de véhicules mis à la casse chaque année, certains sont en état de fonctionnement. En parallèle, les garages et les loueurs sociaux et solidaires sont freinés dans leur développement par la difficulté de recevoir des dons de véhicules. Aujourd'hui, les véhicules récupérés par les garages solidaires ont souvent plus de dix ans d'âge.

Du point de vue économique et environnemental, il s'agit donc d'accompagner les bénéficiaires de ces véhicules dans un parcours de mobilité adapté. Nous avons souhaité associer les réseaux d'associations de mobilité solidaire à ce dispositif afin que ceux-ci puissent assurer la mise à disposition des véhicules en lien avec les AOM.

Cette proposition de loi porte également un intérêt environnemental. En termes d'analyse du cycle de vie des voitures, il peut être plus intéressant de réemployer un véhicule ancien, dans la mesure où il présente une motorisation relativement récente, que de favoriser l'achat ou la location d'un véhicule neuf, a fortiori si celui-ci est produit à l'autre bout du monde.

Une étude de l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) montre que, en changeant souvent de véhicule, même en améliorant à chaque fois la motorisation, on annule le gain carbone par le coût de construction du véhicule.

Aujourd'hui, le parc de garages solidaires propose des véhicules très anciens et très polluants. La mise en place des zones à faibles émissions (ZFE) va également provoquer un afflux de véhicules éligibles vers la PAC ; ces derniers seront de moins en moins polluants et, pour un certain nombre, beaucoup moins polluants que les véhicules proposés actuellement par les garages solidaires. Dès lors, il semble intéressant qu'une partie de ces véhicules soit proposée à des ménages en situation précaire ; ainsi, soit ces personnes pourront disposer d'un véhicule, soit elles pourront en changer, en prenant un véhicule plus récent, donc moins polluant. Naturellement, il s'agit de bien encadrer cela, et le rapporteur doit s'exprimer en ce sens.

Enfin, ce dispositif est complémentaire du leasing social du Gouvernement qui concerne plutôt les ménages modestes susceptibles de s'engager dans une location de véhicule pendant trois ans auprès d'un loueur conventionné. Nos mesures, quant à elles, permettront à des personnes en situation de grande précarité de renouer avec la mobilité en faisant appel à des acteurs spécialisés dans l'accompagnement social. Cette proposition de loi peut avoir des impacts sociaux et environnementaux très bénéfiques, même si cela peut paraître contre-intuitif de voir un groupe écologiste proposer une loi allongeant la durée de vie de véhicules ; j'espère vous avoir convaincu qu'avec ce texte, nous étions bien en phase avec nos convictions.

M. Jacques Fernique, rapporteur. - La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui s'inspire d'un article additionnel inséré au Sénat sur l'initiative de notre ancien collègue M. Joël Labbé, et qui avait reçu un avis de sagesse de notre rapporteur, M. Philippe Tabarot, dans cadre de l'examen du projet de loi Climat et résilience. Cet article, malheureusement, n'a pas survécu au passage du texte en commission mixte paritaire.

Si le dispositif prévu par le texte a été légèrement retravaillé depuis lors, son objectif reste inchangé ; il vise à ce que certains véhicules aujourd'hui mis au rebut dans le cadre du dispositif de la PAC soient remis à titre gracieux aux AOM volontaires, afin que celles-ci puissent mettre en place des services de location solidaire au profit des ménages modestes, notamment ceux ayant difficilement accès à des solutions de mobilité alternatives à la voiture.

Avant de revenir plus précisément sur le contenu du texte, je souhaite partager avec vous deux observations.

Ma première observation concerne la PAC. Chaque année, celle-ci conduit à envoyer à la casse un nombre considérable de véhicules encore en état de fonctionner. La PAC a été créée dans le but de renouveler le parc automobile avec des véhicules plus récents et moins polluants. Au sein du secteur des transports, qui représente 30 % des émissions de gaz à effet de serre dans notre pays, une part prépondérante est imputable au transport routier, notamment aux véhicules particuliers. Le transport routier est, en outre, l'un des principaux émetteurs de polluants atmosphériques.

Dans ce contexte, afin de respecter nos objectifs de décarbonation, la PAC soutient les particuliers et les professionnels dans l'achat d'un véhicule neuf ou d'occasion, en contrepartie du retrait de la circulation d'un véhicule considéré comme obsolète. Les modalités actuelles du dispositif, qui font régulièrement l'objet d'évolutions réglementaires, permettent notamment aux particuliers de se voir verser une aide allant jusqu'à 9 000 euros pour acquérir un véhicule peu polluant - classé Crit'Air 0 ou 1 -, en échange de la mise au rebut d'un véhicule plus polluant - classé Crit'Air 3, 4, 5 ou non classé.

De manière plus concrète, et peut-être un peu schématique, un particulier souhaitant bénéficier de la PAC doit remettre le véhicule qu'il souhaite remplacer à un centre de traitement de véhicules hors d'usage (VHU) agréé - il en existe 1 600 sur le territoire. Le particulier peut le faire directement, ou par l'intermédiaire d'un concessionnaire automobile. Le centre VHU agréé réalise les opérations de dépollution du véhicule - démontage des pneumatiques, dépose de la batterie, récupération des huiles usagées et filtres, etc. -, puis le démontage de certaines pièces ou matières. La carcasse est ensuite transmise aux broyeurs, avant de procéder à la séparation des différentes matières restantes, avec l'objectif de les recycler et de les valoriser.

La PAC, quant à elle, est versée au particulier, soit par le biais du concessionnaire, soit directement par l'Agence de services et de paiement (ASP), et ce sur présentation d'un certificat pour cession de destruction, délivré par le centre VHU agréé. Il existe donc un lien automatique entre la destruction d'un véhicule et le versement de la PAC, sous réserve de l'éligibilité du véhicule mis au rebut et du nouveau véhicule acquis dans ce cadre.

Comme l'indique le bilan économique et environnemental dressé par le Commissariat général au développement durable (CGDD) en septembre 2022, la PAC a fait ses preuves. Sur l'année 2021, le CGDD estime que le bilan de la PAC est positif. À titre d'illustration, 45 tonnes d'émissions de particules fines et 160 000 tonnes de COont ainsi pu être évitées grâce au dispositif de la PAC, ce qui représente plusieurs dizaines de millions d'euros. Selon le CGDD, le bilan est également positif pour l'usager, grâce aux économies de carburant réalisées et à la réduction des frais d'entretien du véhicule.

Sans remettre en cause la logique vertueuse de la PAC, un certain nombre de véhicules mis à la casse de façon systématique dans le cadre de ce dispositif sont encore en bon état de fonctionnement. Certains d'entre eux, sous réserve de respecter des niveaux d'émissions de polluants, pourraient ainsi voir leur durée de vie prolongée. La destruction automatique de l'ensemble des véhicules faisant l'objet d'un remplacement par un nouveau véhicule ne va pas de soi.

Hors zone à faibles émissions mobilité (ZFE-m), dans lesquelles certaines catégories de véhicules ne peuvent ou ne pourront plus circuler, une part considérable des véhicules mis au rebut dans le cadre de la PAC s'avère aussi moins polluante qu'une partie du parc automobile roulant. Ainsi, 59 % des véhicules mis au rebut dans le cadre de la PAC pour l'année 2022 étaient classés Crit'Air 3 ; cette proportion est à mettre en regard de la composition du parc automobile national, qui comprend 32 % de voitures particulières classées Crit'Air 3, 4, 5 ou non classé.

Ma deuxième observation concerne les services de location solidaire ; ces derniers se développent mais pâtissent d'un cadre juridique lacunaire et de moyens souvent limités. En 2022, selon le baromètre des mobilités du quotidien de l'association Wimoov et de la FNH, plus de 13 millions de Français sont en situation de précarité mobilité, c'est-à-dire qu'ils rencontrent des difficultés d'accès à la mobilité. En outre, 4,3 millions de Français ne disposent d'aucun équipement individuel de mobilité ou abonnement de transport collectif.

Sans surprise, ces difficultés touchent en particulier les ménages les plus modestes, qui ont un taux de motorisation inférieur à la moyenne nationale, du fait principalement des coûts liés à l'acquisition d'un véhicule et à l'achat de carburant. Selon l'enquête dédiée à la mobilité des personnes sur la période 2018-2019, réalisée par le Service des données et études statistiques (Sdes), près de 40 % des ménages du premier quartile de revenus ne disposent pas d'un véhicule, contre environ 20 % dans la moyenne nationale. En outre, le parc des véhicules des ménages modestes - pour ceux qui disposent d'un véhicule - se distingue par une surreprésentation des véhicules d'occasion, roulant au diesel et plus âgés que le reste du parc.

Face à ces inégalités sociales, la LOM a renforcé le droit à la mobilité, en confiant aux AOM un rôle en matière d'organisation de services de mobilité solidaire. Certaines d'entre elles ont d'ores et déjà mis en place de tels services ; lors des auditions, j'ai notamment échangé avec des représentants d'une communauté de communes du département de la Manche, qui propose la location de véhicules à prix modiques à des personnes en situation d'insertion professionnelle.

Faute d'un cadre législatif précis auquel se référer, ces initiatives se déploient en ordre dispersé, selon une diversité de modalités et, naturellement, en tenant compte des besoins de chaque territoire.

Un réseau d'acteurs est au coeur de la plupart de ces dispositifs, celui des garages solidaires. Ces structures associatives proposent un panel de services afin de favoriser l'accès des publics les plus fragiles à la mobilité, comme la vente de véhicules d'occasion à prix modique, la location ou encore les réparations solidaires. J'ai rencontré des représentants des trois principaux réseaux de garages solidaires opérant dans notre pays : Agil'ess, Solidarauto et Mob'In. Le parc de véhicules de ces garages comporte une part importante de véhicules d'occasion, avec une assez forte représentation de véhicules diesel et anciens, classés Crit'Air 4 ou 5 ou non classés.

Compte tenu de la modicité des prix pratiqués par ces structures, leur activité repose sur un modèle économique fragile, qui dépend essentiellement des dons de véhicules. Je n'ai pu recueillir de données consolidées sur le parc de véhicules détenu par les garages, concernant la mise en oeuvre de services de location solidaire. Toutefois, si l'on additionne les parcs de location respectifs des réseaux Agil'ess et Solidarauto, on parvient aujourd'hui à un total d'un peu moins de 900 voitures et d'une centaine de scooters. Ces chiffres sont encourageants, mais sans commune mesure par rapport aux besoins.

Si les services de location solidaire mis en place par les garages solidaires disposent de marges de développement, ils n'ont pas vocation à absorber à eux seuls la demande des millions de Français en situation de précarité mobilité. Néanmoins, il me semble que ce texte permettrait, de manière opportune, d'élargir le gisement de véhicules disponibles pour ces garages au bénéfice des plus fragiles.

D'un côté, nous avons un dispositif de destruction systématique des véhicules, alors même que certains d'entre eux, sous plusieurs réserves, pourraient voir leur durée de vie rallongée ; et, de l'autre, un grand nombre de nos concitoyens se trouvent en situation de précarité mobilité et rencontrent des obstacles dans leurs déplacements. Le texte que nous examinons aujourd'hui entend lier ces deux sujets, en donnant la possibilité aux AOM volontaires de se voir remettre, à titre gratuit, des véhicules destinés à la destruction dans le cadre de la PAC, afin de déployer des services de location solidaire pour les personnes en situation de précarité, en interne - directement par les AOM - ou par l'intermédiaire d'associations. L'éligibilité des véhicules serait déterminée par voie réglementaire en fonction de critères de pollution et d'état de fonctionnement, définis après l'avis de l'Ademe.

Si ce texte permet de réels bénéfices sociaux, plusieurs acteurs interrogés dans le cadre de mes travaux préparatoires se sont inquiétés du fait que l'article 1er ouvre une possibilité assez large de récupération de véhicules, avec des risques pour l'environnement et la qualité de l'air. Je souhaite nuancer ces inquiétudes : d'une part, il existe un gisement important de véhicules classés Crit'Air 3 - à motorisation essence - qui sont les moins polluants des véhicules mis au rebut et qui, de façon pragmatique, semblent moins polluants que la plupart des véhicules utilisés actuellement par les garages solidaires et les ménages modestes ; d'autre part, ce dispositif permettrait d'éviter la mise à la casse systématique de véhicules en état de fonctionnement.

Cela étant dit, je suis conscient des limites de ce dispositif et des inquiétudes qu'il peut susciter. Afin de lui donner toute sa chance et de renforcer sa pertinence, je vous propose l'adoption de neuf amendements, suivant deux axes principaux.

D'une part, plusieurs amendements visent à mieux encadrer le mécanisme prévu par la proposition de loi, afin de tenir compte des impératifs de décarbonation et d'amélioration de la qualité de l'air. Un amendement permet notamment de restreindre le dispositif aux véhicules essence classés Crit'Air 3. Je vous propose également de mieux encadrer la durée de réutilisation des véhicules et d'assurer leur traçabilité, en cantonnant le dispositif à la location de ces véhicules et en garantissant que seules les AOM pourront en conserver la propriété.

D'autre part, des amendements tendent à renforcer le caractère opérationnel du texte. Dans ce cadre, un amendement précise que, pour la durée de l'utilisation des véhicules concernés dans le cadre de services de mobilité solidaire, ces derniers ne soient pas considérés comme des déchets ; cela entraînerait d'importantes difficultés de mise en oeuvre pour les AOM et serait susceptible d'entamer l'intérêt du dispositif. Un autre prévoit la conclusion, au niveau local, d'une convention associant tous les acteurs volontaires - AOM, départements, associations, centres VHU agréés, concessionnaires automobiles - afin de préciser les responsabilités entre les différentes parties prenantes du dispositif.

M. Stéphane Demilly. - Cette proposition de loi est vertueuse sur le plan de la solidarité. Plus de 13 millions de personnes sont actuellement en situation de précarité mobilité en France et, parmi elles, plus de la moitié vit dans les territoires périurbains, c'est-à-dire des zones particulièrement dépendantes de la voiture individuelle.

Concernant l'approche environnementale, Ronan Dantec a évoqué des véhicules anciens avec des motorisations récentes, ce qui me semble un oxymore. Quelle est la tarification envisagée pour ces locations low cost ?

Par ailleurs, les collectivités locales ont-elles été impliquées dans l'élaboration de cette proposition de loi ? Je pense, notamment, à l'Association des maires de France.

Mme Marta de Cidrac. - Ce texte tient-il compte des spécificités de nos territoires ultramarins ? On connaît la difficulté, pour les habitants de ces territoires, de renouveler leur véhicule, et même de se déplacer en voiture.

M. Didier Mandelli. - Il s'agit d'une proposition de loi de bon sens. La prime à la conversion, qui peut paraître une aberration pour certains véhicules, a également asséché le marché des véhicules d'occasion, notamment pour les jeunes. Les prix du marché d'occasion pour les premiers véhicules accessibles ont été multipliés par deux ou trois. Cette proposition de loi permettra de résoudre en partie cette difficulté d'accès à la mobilité pour un grand nombre de nos jeunes concitoyens qui vivent en milieu rural et n'ont pas d'autre moyen de transport que la voiture.

M. Alexandre Ouizille. - Le groupe socialiste soutient cette proposition de loi. Il s'agit d'optimiser la fin de vie du cycle des véhicules thermiques et de permettre que, dans le parc social, l'on remplace des voitures âgées et moins sûres par des voitures thermiques moins polluantes et moins anciennes. À changer trop fréquemment de voiture, on ne contribue pas à la baisse des émissions de CO2, dans la mesure où un tiers des émissions est liée à la production du véhicule.

Cette proposition de loi incarne une forme d'écologie populaire. Elle montre aux classes populaires de notre pays que la transition écologique n'est pas leur ennemi, mais que celle-ci contribue à l'amélioration de leurs conditions de vie.

Tout en soutenant ce texte, il convient d'être vigilant sur son articulation avec le dispositif gouvernemental de location de voitures électriques à bas prix.

M. Éric Gold. - Le groupe « Rassemblement Démocratique et Social Européen » (RDSE) soutient cette proposition de loi transversale, qui favorise l'insertion des plus fragiles sans négliger l'environnement, tout en prévoyant une offre de déplacement dans les territoires isolés.

M. Philippe Tabarot. - La mise en place, à marche forcée, des ZFE-m entraîne des difficultés sociales. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé au Gouvernement de desserrer le calendrier de mise en oeuvre et de développer des mesures d'accompagnement pour les usagers. Sachant, par ailleurs, la lenteur de la mise en place du fameux leasing social, des mesures doivent aider nos compatriotes les plus défavorisés, afin qu'ils puissent bénéficier d'une offre de mobilité individuelle quand les transports en commun ne sont pas disponibles.

Il s'agit d'une proposition de loi pragmatique. Celle-ci répond à des attentes sociales mais semble en-deçà, au niveau environnemental, des habituelles propositions du groupe écologiste. En cohérence avec mon avis de sagesse formulé lors de la loi « Climat et résilience », je soutiens ce texte.

M. Olivier Jacquin. - En travaillant sur la proposition de loi de notre ancien collègue Joël Labbé, j'ai entendu une chronique assez géniale sur France Culture concernant le fameux spot publicitaire de l'Ademe sur les « dévendeurs », qui avait entraîné une polémique au moment du Black Friday. À l'heure des ZFE-m et de la mise en place, très lente, du leasing social avec une promesse de véhicule à 100 euros par mois, cette proposition de loi de Joël Labbé est très intéressante. Je salue le travail du rapporteur, car les amendements proposés enrichissent le texte initial de manière pragmatique et pertinente.

M. Clément Pernot. - Je souhaite avoir des précisions sur le modèle économique de ce dispositif. J'ai compris que vous souhaitiez impliquer les collectivités locales et territoriales. Étant encore président d'un département, je me méfie toujours quand arrivent des nouveaux dispositifs sociaux ; les financements, en général peu assurés, finissent à la charge des départements. Les expériences de garages solidaires, notamment dans les territoires ruraux, ne sont pas particulièrement concluantes. Des acteurs sont prêts à s'investir dans les territoires, mais sous réserve de disposer d'un modèle économique cohérent et visible.

M. Cédric Chevalier. - Je m'interroge sur la capacité des acteurs à faire vivre un tel dispositif, notamment dans les territoires ruraux où les difficultés liées à la mobilité sont prégnantes et où les acteurs susceptibles de le mettre en oeuvre peuvent manquer.

M. Jacques Fernique, rapporteur. - Pour la location des garages solidaires, la tarification correspond à quelques dizaines d'euros. Le dispositif s'adresse à des publics précaires ; d'autres dispositifs existent pour aider ces publics, notamment le microcrédit ou le prêt à taux zéro pour l'acquisition de véhicule léger peu polluant dans les agglomérations ayant mis en place des ZFE-m. Or, le plus souvent, ces publics font face à des besoins urgents, comme par exemple le démarrage d'un intérim ; les garages solidaires ont une souplesse de traitement adaptée à ces publics.

Au-delà de réparer les véhicules et de signer des contrats de location ou de mise à disposition, les garages solidaires effectuent un travail d'accompagnement, en lien avec les prescripteurs sociaux. Pour ce qui concerne l'éligibilité, on ne peut donc pas se contenter de définir un seuil de revenus ; un travail d'accompagnement des bénéficiaires est nécessaire d'où l'importance des dispositifs associatifs.

On sait que les difficultés de mobilité, sans offre alternative à la voiture, concernent surtout les zones rurales. Les garages solidaires actuels sont principalement implantés en zones rurales ; on en trouve au moins un dans chaque département. Cette proposition de loi offre un cadre sécurisant à ces garages solidaires et leur permettrait de se développer.

La filière à responsabilité élargie des producteurs (REP) impose des contraintes. Pour les véhicules qui arrivent en centres VHU agréés, le dispositif de récupération, de recyclage et de traitement des déchets fonctionne bien. Mais un nombre important de véhicules - 500 000 au total - continuent à alimenter la filière illégale chaque année ; en outre-mer notamment, les véhicules abandonnés sont un vrai problème.

Dans les territoires ultramarins, il existe déjà des garages solidaires, comme à Saint-Martin et en Martinique. Avec cette proposition de loi, nous laissons beaucoup de choses à la main des AOM volontaires, afin que celles-ci puissent adapter le dispositif aux spécificités des territoires. Un amendement prévoit notamment un système de convention permettant de régler certains détails, par exemple le traitement des contraventions.

Nous avons auditionné les collectivités territoriales par l'intermédiaire du Groupement des autorités responsables de transport (Gart), porte-voix des AOM, tout à fait favorable au dispositif.

Vous avez évoqué l'articulation entre les mesures de la proposition de loi et le leasing social. Ce dernier doit encore se mettre en place ; le ministère évoque entre 15 000 et 20 000 ménages bénéficiaires cette année. Selon l'Ademe, le dispositif vise principalement les personnes ayant un emploi, et plutôt les déciles de 3 à 5 concernant les revenus. Cette proposition de loi, mieux adaptée aux publics précaires, s'avère donc complémentaire. Certaines plateformes de mobilité solidaire indiquent confier des véhicules pour de courtes durées, correspondant à des parcours professionnels compliqués.

Pour répondre à Philippe Tabarot, il est possible d'envisager une écologie populaire pragmatique. Cette proposition de loi montre que l'on peut sortir du discours doctrinal sur le sujet.

Quel est le modèle économique actuel des garages solidaires ? Il repose sur la participation, même modique, des bénéficiaires, sur les aides à l'insertion concernant les équivalents temps plein (ETP), et enfin sur les dons de véhicules. Ces derniers s'assèchent, notamment car il est plus pratique et intéressant pour nos concitoyens de se débarrasser de leur véhicule par le biais de la prime à la conversion. Par ailleurs, les collectivités publiques et les parcs d'entreprise préfèrent aujourd'hui développer la location plutôt que donner à des garages solidaires. Cette proposition de loi s'avère donc une manière de sécuriser un modèle économique qui fonctionne déjà.

Concernant le périmètre du texte en application de l'article 45 de la Constitution, je propose de retenir les dispositions relatives à la mise en place de services de mobilité solidaire, aux compétences des AOM en matière de mobilité solidaire, aux conditions de réemploi de véhicules destinés à être retirés de la circulation aux fins de favoriser le droit à la mobilité, et aux modalités de soutien du rétrofit en faveur du déploiement de services de mobilité solidaire.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

M. Jacques Fernique, rapporteur. - L'amendement COM-1 a pour objet de déplacer les dispositions introduites par l'article 1er de la proposition de loi du code de la route au code des transports, et plus particulièrement au sein du chapitre sur le droit à la mobilité. Cela semble plus pertinent au regard de l'objectif du texte : la création de services de mobilité solidaire au bénéfice des ménages modestes.

L'amendement COM-1 est adopté.

M. Jacques Fernique, rapporteur. - L'amendement COM-2 précise que, durant leur période d'utilisation dans le cadre de services de mobilité solidaire, les véhicules ne sont pas assimilés à des déchets. D'un point de vue opérationnel, il s'agit d'une problématique centrale. En effet, lorsqu'un véhicule acquiert le statut de déchet, il est difficile de l'en faire sortir pour le remettre en circulation ; cela pourrait donc dissuader un certain nombre d'AOM de s'engager dans ces démarches. Je propose donc de créer, durant la période de location, un régime transitoire pour ces véhicules.

L'amendement COM-2 est adopté.

M. Jacques Fernique, rapporteur. - L'amendement COM-3 vise à restreindre les types de véhicules éligibles au dispositif prévu par la proposition de loi aux véhicules à essence classés au moins Crit'Air 3, sachant les risques pour l'environnement et la qualité de l'air que pourrait entraîner l'allongement de la durée de vie des véhicules classés Crit'Air 4, 5 ou non classés.

Compte tenu de l'impossibilité technique pour l'Ademe de définir précisément des niveaux de pollution et d'état de fonctionnement qui permettraient de faire le tri entre les véhicules, cette limitation aux seuls véhicules à essence classés Crit'Air 3 constitue un premier garde-fou. En outre, l'amendement prévoit une consultation de l'Ademe dans le cadre du projet de décret qui précisera les conditions d'éligibilité.

L'amendement COM-3 est adopté.

M. Jacques Fernique, rapporteur. - Dans un souci de lisibilité, l'amendement COM-4 simplifie les références aux différents types d'AOM. En outre, il supprime l'alinéa 7 de la proposition de loi, satisfait par le reste du texte.

L'amendement COM-4 est adopté.

M. Jacques Fernique, rapporteur. - L'amendement COM-5 prévoit d'inscrire dans les plans de mobilité mis en place par la LOM les modalités d'action et de coordination encadrant les services de mobilité solidaire. Le cas échéant, il permet de les préciser dans le cadre des plans d'action communs en matière de mobilité solidaire.

L'amendement COM-5 est adopté.

M. Jacques Fernique, rapporteur. - L'amendement COM-6 précise le champ des services mis en oeuvre en application de la proposition de loi : il le limite à la location, de manière à exclure toute possibilité d'achat de ces véhicules. Cette précision est nécessaire pour encadrer l'utilisation des véhicules mis à disposition des bénéficiaires et assurer leur traçabilité.

En outre, l'amendement procède à une harmonisation terminologique par rapport au code des transports, afin que les services de location solidaire visent « les personnes en situation de vulnérabilité économique ou sociale ».

L'amendement COM-6 est adopté.

M. Jacques Fernique, rapporteur. - L'amendement COM-7 clarifie la répartition des responsabilités entre l'AOM volontaire et les autres parties prenantes. Il prévoit la conclusion d'une convention, au niveau local, entre l'AOM, le ou les départements, les associations concernées, les concessionnaires automobiles volontaires et, le cas échéant, les centres VHU volontaires. Cette convention permettra notamment de préciser les modalités de collecte et de remise des véhicules, ainsi que leurs conditions de retrait de la circulation et de destruction.

L'amendement COM-7 est adopté.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article 1er

M. Jacques Fernique, rapporteur. - L'amendement COM-9 prévoit une évaluation du dispositif après trois ans de mise en oeuvre, afin d'en évaluer l'impact sanitaire et environnemental, et d'en revoir, le cas échéant, les critères d'éligibilité et les modalités de mise en oeuvre.

L'amendement COM-9 est adopté.

Article 2

M. Jacques Fernique, rapporteur. - L'amendement rédactionnel COM-8 reformule le contenu de la demande de rapport prévu à l'article 2. Le rapport déterminera les mesures permettant de soutenir le développement du rétrofit en faveur de dispositifs de location solidaire, par le biais d'associations reconnues d'utilité publique et non pas, comme dans le texte initial, au bénéfice de ces associations ; en effet, la rédaction prêtait à confusion quant à l'objectif du dispositif.

L'amendement rédactionnel COM-8 est adopté.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

La proposition de loi est adoptée à l'unanimité dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Article 1er

Auteur

N° 

Objet

Sort de l'amendement

M. FERNIQUE, rapporteur

1

Changement du point d'impact des nouvelles dispositions introduites

Adopté

M. FERNIQUE, rapporteur

2

Précision sur le statut juridique des véhicules éligibles au dispositif

Adopté

M. FERNIQUE, rapporteur

3

Clarification des modalités de mise en oeuvre du dispositif

Adopté

M. FERNIQUE, rapporteur

4

Clarification et simplification rédactionnelle

Adopté

M. FERNIQUE, rapporteur

5

Inscription des services de mobilité solidaire dans les plans de mobilité et les plans d'action communs en matière de mobilité solidaire

Adopté

M. FERNIQUE, rapporteur

6

Clarification de la destination des véhicules utilisés dans le cadre de services de mobilité solidaire en application du dispositif

Adopté

M. FERNIQUE, rapporteur

7

Élaboration de conventions locales pour clarifier la répartition des responsabilités dans la mise en oeuvre de services de location solidaire

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article 1er

M. FERNIQUE, rapporteur

9

Institution d'une évaluation du dispositif après trois ans de mise en oeuvre

Adopté

Article 2

M. FERNIQUE, rapporteur

8

Amendement de précision rédactionnelle

Adopté

Projet de loi de finances pour 2024 - Crédits relatifs à la prévention des risques - Examen du rapport pour avis

M. Jean-François Longeot, président. - Nous examinons à présent le rapport de Pascal Martin sur les crédits relatifs à la prévention des risques inscrits au projet de loi de finances pour 2024.

M. Pascal Martin, rapporteur pour avis. - Je vous présente, comme chaque année, mon rapport sur les crédits dédiés à la prévention des risques naturels, technologiques et nucléaires. Ces moyens sont rassemblés dans la mission « Écologie, développement et mobilité durables », au sein du programme 181, du programme 190 qui finance plusieurs opérateurs de la prévention des risques technologiques, et du programme 217, ce dernier portant sur les crédits de personnel. J'évoquerai d'abord l'évolution générale des crédits et des effectifs, avant de vous partager trois observations thématiques puis de vous présenter un amendement, sachant que nous avons déjà présenté la semaine dernière un autre amendement visant à rehausser le plafond du crédit d'impôt relatif aux travaux des plans de prévention des risques technologiques, adopté en séance publique, ce dont je me réjouis.

Un mot tout d'abord de l'évolution générale des crédits et des effectifs. Pour 2024, les crédits du programme 181 représentent environ 1,3 milliard d'euros, soit une augmentation de 16 % en autorisations d'engagement (AE) et en crédits de paiement (CP). Il s'agit surtout d'absorber la hausse du Fonds Chaleur porté par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), évoquée par notre collègue Fabien Genet la semaine dernière, qui passe de 520 millions d'euros à 820 millions d'euros.

Je relève également une hausse nécessaire de la subvention accordée à l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS) à hauteur de 6,7 %, après près d'une décennie de stagnation, ainsi qu'une augmentation de la subvention de l'ASN à hauteur de 5,0 %, indispensable dans le contexte de relance du nucléaire, j'y reviendrai.

S'agissant des effectifs financés par le programme 217, on assiste à une augmentation bienvenue à hauteur de 311 équivalents temps plein travaillés (ETPT) sur le pôle ministériel de la transition écologique et de la cohésion des territoires ainsi que du secrétariat d'État à la mer, alors que la loi de finances pour 2023 prévoyait une stabilisation, dans la lignée des années précédentes. En conséquence, le programme connaît une hausse d'environ 105 millions d'euros.

Pour les effectifs de l'ADEME, financés par le programme 181, on note une progression de 99 ETPT en 2024, après une progression de 90 ETPT en 2023. C'est une augmentation justifiée, qui accompagne la rapide montée en puissance de cet opérateur clé dans la transition écologique en cours. À noter cependant que, dans la pratique, et sur un plan plus qualitatif, cette ouverture de poste se traduit plus par la titularisation d'intérimaires que par des recrutements externes.

Si on peut se féliciter de ces créations de postes, je souhaite appeler votre attention sur un problème majeur pour les effectifs du pôle ministériel de la transition écologique : l'attractivité des postes. Ce sujet a été évoqué à de nombreuses reprises durant les auditions préparatoires : comment recruter des ingénieurs dans des secteurs particulièrement compétitifs ?

Le problème est particulièrement marqué pour l'inspection des Installations classées protection de l'environnement (ICPE). Dans le cadre du rapport « droit de suite des recommandations de la commission d'enquête Lubrizol », publié en 2022, notre commission préconisait de dépasser 30 000 contrôles annuels des ICPE en 2023. Nous en sommes loin aujourd'hui, avec 22 800 contrôles en 2022... Cinquante postes ont été ouverts depuis 2020 au sein de l'inspection, mais ils ne sont pas pourvus ! Le PLF 2024 prévoit 100 nouvelles créations de postes, mais il y a fort à parier que nous rencontrions le même problème... En début de carrière, un ingénieur du secteur privé a un salaire supérieur de 42 % à un inspecteur ICPE à poste équivalent. En fin de carrière, cet écart atteint 220 % !

Dans le secteur du nucléaire, l'ASN comme l'IRSN rencontrent les mêmes problèmes d'attractivité : la relance du nucléaire crée une pénurie de compétences dans le secteur, rendant le recrutement d'ingénieurs spécialisés difficile. Ainsi, en 2023, 91 postes sont vacants au sein de l'IRSN.

Il n'existe pas de réponse facile à ce problème d'attractivité des postes. Des pistes de solutions peuvent être esquissées pour attirer les ingénieurs, en revoyant notamment le cadre de rémunération, le parcours de carrière ou l'offre de formation. C'est dans tous les cas un point d'attention majeur, sur lequel nous devons rester attentifs.

J'en viens à mes trois remarques thématiques. S'agissant des plans de prévention des risques technologiques (PPRT), le temps est venu, vingt ans après leur création, de réfléchir à l'avenir de ce dispositif. Pour rappel, les PPRT ont été créés par la loi du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages, à la suite de l'explosion de l'usine AZF. En septembre dernier, l'Association nationale des collectivités pour la maîtrise des risques technologiques majeurs (Amaris) a dressé un bilan mitigé du dispositif : faute de financements adéquats et par manque d'information, 75 % des logements privés exposés n'ont fait l'objet d'aucun travaux de mise en sécurité et seulement 62 % des mesures foncières « logement » (expropriation ou délaissement) ont été réalisées. Je constate en effet un résultat hétérogène selon les territoires, qui dépend du volontarisme des services déconcentrés de l'État et des collectivités territoriales. Dans le cadre de ces PPRT, les travaux prescrits sont cofinancés par l'État (40 %), par la collectivité (25 %) et par l'industriel à l'origine du risque (25 %). 10 % du coût des travaux reste donc à charge du propriétaire. Alors qu'il devait initialement s'éteindre fin 2023, le Gouvernement a accepté de prolonger le dispositif jusqu'à septembre 2026, je m'en félicite.

Ces trois années supplémentaires doivent être l'occasion d'engager une réflexion sur la prochaine étape de la prévention des risques technologiques. La commission devra prendre toute sa part dans ce débat. J'ai déposé au nom de la commission un amendement, adopté vendredi dernier en séance publique, qui propose de relever le plafond du crédit d'impôt cofinançant les travaux prescrits par les PPRT, afin de suivre l'évolution des prix du bâtiment.

Je continue avec un point sur la sûreté nucléaire et les moyens de l'ASN. L'année 2024 sera une année charnière pour la relance du nucléaire en France. Ce sera donc naturellement aussi une année cruciale pour les deux acteurs de la sûreté nucléaire, l'ASN et l'IRSN : ces opérateurs devront mener de front l'examen d'une éventuelle exploitation jusqu'à 60 ans des réacteurs de 900 MWe, la recherche de solutions au problème de corrosion sous contrainte, la conduite de l'étude d'impact du projet EPR 2 de Penly, la poursuite de l'examen de la demande d'autorisation de l'installation Cigeo... Cette liste est loin d'être exhaustive ! En parallèle, l'ASN et l'IRSN devront éventuellement s'adapter au projet de réorganisation du Gouvernement...

Dans notre avis sur le projet de loi « Installations nucléaires » adopté l'année dernière en commission, nous avions insisté sur la nécessité que la relance s'accompagne d'un renforcement des moyens attribués à la sûreté nucléaire. Force est de constater que nous n'avons pas été totalement entendus : en mai 2023, le rapport d'information de notre collègue Jean-François Rapin, au nom de la commission des finances, proposait une augmentation des moyens de l'IRSN à hauteur de 20 millions d'euros. L'augmentation prévue dans ce PLF est de 10 millions d'euros, soit moitié moins.

De même, l'ASN demandait, pour 2024, la création de douze postes supplémentaires. Dix postes lui ont été accordés. Ce choix pourrait conduire l'ASN à remettre en question ses projets les plus innovants, à un moment où nous en avons besoin...

Les choix de modération budgétaire du Gouvernement apparaissent surprenants alors que, dans le même temps, la relance du nucléaire mobilise des fonds sans commune mesure... C'est pourquoi je vous proposerai, par un amendement, d'augmenter les effectifs de l'ASN à hauteur de deux équivalents temps plein, afin de combler l'écart entre les besoins identifiés et les moyens alloués.

Je termine avec un mot sur la prévention du risque inondation, sujet malheureusement au coeur de l'actualité. L'année dernière, dans le cadre de mon avis, j'avais insisté sur la nécessité, dans le contexte du dérèglement climatique, de donner une priorité aux mesures de prévention du risque inondation. J'avais ainsi proposé, par amendement, de sécuriser l'attribution de 15 millions d'euros dédiés au renforcement de l'accompagnement des collectivités territoriales dans les actions de prévention, proposition qui n'avait malheureusement pas été retenue dans le texte définitif. Après la tempête Alex en 2020, le risque inondation est de nouveau sur le devant de la scène aujourd'hui, avec les événements dramatiques dans le département du Pas-de-Calais. Le déplacement de la commission prévu pour exprimer la solidarité du Sénat avec ce territoire a été reporté, il sera cependant nécessaire de l'organiser, afin d'identifier les leçons à tirer de cette crise météorologique.

Dans ce projet de loi de finances, à l'issue de la première lecture à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a retenu un amendement sur le risque inondation qui prolonge pour deux ans supplémentaires l'expérimentation « Mieux reconstruire après inondation » et a abondé le fonds Barnier de 20 millions d'euros supplémentaires. Je m'en félicite.

Au-delà de la réponse budgétaire, la prévention du risque inondation devrait évoluer compte tenu des événements actuels. Je pense notamment aux plans de prévention des risques naturels d'inondation (PPRi) ou à la simplification de la demande de reconnaissance de catastrophe naturelle. Une réflexion doit être engagée, à laquelle la commission prendra toute sa part.

Vous l'avez compris, le budget 2024 s'inscrit, comme les précédents, dans une trajectoire d'augmentation qui vise à accompagner la montée en puissance de la transition écologique et à permettre à l'administration de faire face à des défis toujours plus nombreux et sensibles pour la prévention des risques naturels comme technologiques. En conséquence et en cohérence avec les quatre avis favorables émis les années précédentes, je vous propose un avis favorable sur le vote des crédits des programmes 181, 190 et 217 relatifs à la prévention des risques, sous réserve de l'adoption de l'amendement que je vous ai présenté.

M. Ronan Dantec. - Je salue la grande qualité et l'expertise de ce rapport.

Je souhaite tout d'abord évoquer la nécessité de faire converger l'ensemble des dispositifs en matière de risques liés au dérèglement climatique, et en particulier aux inondations, afin de garantir leur cohérence. Dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2024, nous proposons d'augmenter le montant prévu pour les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET) à hauteur de 200 millions d'euros. Cette hausse permettra également de financer les diagnostics de vulnérabilité. Les territoires doivent pouvoir réaliser ces diagnostics avec des moyens suffisants, notamment dans le cadre des PPRT et des PPRi. Nous sommes aujourd'hui arrivés à mi-chemin s'agissant de la culture du risque. Certes des progrès ont été réalisés, en particulier lors de la tempête Ciarán, mais force est de constater que nous peinons toujours à anticiper les catastrophes.

Mon deuxième point concerne l'IRSN. Je partage les craintes du rapporteur. Je relève toutefois qu'il n'a pas mentionné l'arrivée des petits réacteurs modulaires dont on ne connaît pas encore l'encadrement et qui constitue un enjeu considérable en termes de sûreté nucléaire. Nous n'avons pas forcément pris toute la mesure du risque créé par le déploiement de ces petits réacteurs sur l'ensemble du territoire. En les ajoutant à la liste déjà bien fournie du rapporteur, la gestion des risques me paraît assez problématique. Je ne suis pas certain que l'on dispose aujourd'hui des moyens pour assurer une gestion efficiente de ces risques.

M. Pascal Martin, rapporteur pour avis. - Je souhaite nuancer le constat de notre collègue Ronan Dantec, qui évoque une cruelle absence de culture du risque dans notre pays, en me référant à la gestion des risques technologiques dans le département de la Seine-Maritime. Le Havre a manifestement appréhendé depuis des années cette culture du risque notamment par des exercices récurrents, tandis que de Rouen ne semble pas avoir pris conscience du risque existant sur son territoire, comme en témoigne l'incendie de l'usine Lubrizol.

Nous devons renforcer notre culture du risque. La création d'une journée nationale de la résilience face au risque, le 13 octobre, illustre cette prise de conscience.

Ronan Dantec a également évoqué l'absence de cohérence globale des dispositifs de prévention des risques. Je partage son constat sur les PPRT et les PPRI. Un effort particulier doit être fourni en matière de prévention, sans oublier la prévision. La prévention du risque consiste à faire en sorte de prendre des mesures pour éviter que le risque ne survienne tandis que la prévision vise à se préparer notamment par des exercices, partant du constat que la prévention totale n'existe pas. Je suis un adepte inconditionnel des exercices de préparation auprès des populations. Force est toutefois de constater que de tels exercices sont plus simples à organiser en matière de risques industriels que de risques naturels. Un exercice de prévention des inondations est plus complexe à mettre en oeuvre qu'en cas de nuage toxique.

S'agissant de l'IRSN et de l'ASN, j'ai précisé que la liste était non-exhaustive, les petits réacteurs modulaires sont naturellement à prendre en compte. Ils vont arriver dans les toutes prochaines années.

M. Jean-François Longeot, président - Mes chers collègues, s'il n'y a plus de demande de prise de parole, je vais demander au rapporteur de présenter son amendement.

M. Pascal Martin, rapporteur pour avis. - L'amendement n°  II-635 tend à prévoir la création de 2 ETP supplémentaires pour l'ASN en 2024, en plus des 10 ETP déjà attribués, conformément à la demande de l'ASN qui prévoyait un besoin de 12 ETP. En conséquence, l'amendement augmente de 200 000 euros les crédits de l'action 09 « Contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection » du programme 181 « Prévention des risques » au sein de la mission « Écologie, développement et mobilités durables » du projet de loi de finances.

L'amendement n° II-635 est adopté.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs à la prévention des risques de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » sous réserve de l'adoption de son amendement.

Projet de loi de finances pour 2024 - Crédits relatifs aux transports routiers - Examen du rapport pour avis

M. Jean-François Longeot, président. - Nous abordons à présent le rapport sur les crédits relatifs aux transports routiers de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » présenté par le rapporteur Hervé Gillé.

M. Hervé Gillé, rapporteur pour avis. - Mes chers collègues, il me revient à présent de vous faire part du résultat de mes travaux sur les crédits alloués par le projet de loi de finances pour 2024 aux transports routiers.

Avant toute chose, je souhaitais partager avec vous l'état d'esprit qui a guidé ma démarche. Philippe Tabarot l'a bien dit, le Gouvernement a formulé un certain nombre d'annonces, dont certaines affectent plus spécifiquement le secteur du transport routier. Je pense notamment à la mise en place du leasing social, qui devrait finalement intervenir au 1er janvier 2024, à la reconduction de l'appel à projets « Écosystèmes de véhicules lourds électriques » et, surtout, à la création d'une nouvelle taxe sur les infrastructures de transport de longue distance, à propos de laquelle nous avons déjà eu l'occasion d'échanger la semaine dernière. Quoiqu'il en soit, tout montre que nous nous trouvons actuellement à un point nodal pour le secteur des transports, et notamment pour les transports routiers.

D'une part, la pression inflationniste contraint fortement les capacités de financement des nouvelles offres de mobilité sur nos territoires, mais aussi d'entretien du patrimoine routier existant. En parallèle, les départements sont pénalisés par l'effondrement des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) lié à la crise immobilière : ils atteignent - 21 % dans l'Aisne et - 30 % en Essonne. Cette situation risque de se traduire par un ralentissement de leurs investissements, au premier rang desquels ceux concernant la voirie. Je rappelle à cet égard que les départements ne gèrent pas moins de 380 000 kilomètres de routes.

D'autre part, la demande concernant les transports collectifs y compris routiers va nécessairement croître de manière considérable dans les prochaines années, sous l'effet notamment du déploiement des zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m). De même, la mise en oeuvre des ZFE-m et la perspective de l'interdiction à la vente des véhicules thermique d'ici 2035, vont nécessiter un verdissement rapide du parc automobile, des particuliers comme des professionnels. Cet enjeu touche également de plein fouet les AOM, qui sont d'ores et déjà soumises à des obligations de renouvellement de leurs flottes d'autobus et d'autocars, qui devraient être renforcées par l'Union européenne dans les prochaines années. Ces constats étant posés, j'en viens à présent à la présentation des quatre axes de mon rapport.

Le premier axe concerne les enjeux globaux du financement des infrastructures et de la régulation du secteur du transport, qui me semble à un moment particulièrement charnière.

Premièrement, s'agissant du modèle de financement de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France) : les ajouts proposés par le PLF pour 2024 ne suffisent pas à calmer nos inquiétudes. Certes, une hausse non négligeable des recettes de l'agence est prévue pour 2024 : si je salue cette évolution nécessaire, je m'inquiète des éventuelles fragilités juridiques de la taxe instituée à l'article 15 du PLF sur l'exploitation d'infrastructures de transport de longue distance, dont doivent provenir 600 des 863 millions d'euros supplémentaires qui doivent être alloués à l'agence. À ce sujet, comme vous le savez, Philippe Tabarot et moi-même avons déposé un amendement pour tirer les conséquences de l'amendement de la commission des finances visant à allouer 1/6ème du produit de la future taxe aux communes et départements. Afin de compenser cette baisse de ressources et d'assurer à l'Afit France 600 millions d'euros de recettes supplémentaires, notre amendement propose de relever de 100 millions d'euros la fraction de TICPE affectée à l'agence en 2024. Concernant la pérennité des autres recettes de l'Afit France, les incertitudes demeurent intactes, puisque l'agence subit un manque à gagner de 60 millions d'euros par an depuis que les sociétés concessionnaires d'autoroute (SCA) ont suspendu le paiement de la contribution volontaire exceptionnelle en 2021. S'agissant de la TICPE, qui constitue la principale ressource affectée de l'agence, elle va inévitablement se réduire dans les prochaines années du fait du verdissement progressif du secteur des transports, que nous appelons de nos voeux. En résumé, le PLF pour 2024 ne me semble toujours pas permettre de sécuriser le financement des infrastructures de transport dans notre pays, comme nous le réclamons pourtant depuis des années.

Deuxièmement, s'agissant de la régulation du secteur du transport, nous vous avons proposé, avec Philippe Tabarot, un amendement visant à renforcer les moyens de l'Autorité de régulation des transports (ART). Depuis 2015, l'ART a vu ses missions s'étendre pour devenir un véritable régulateur multimodal agissant désormais sur six secteurs. Pour autant, cette extension de son champ d'intervention ne s'est pas traduite par une hausse, à due concurrence, de ses moyens financiers, alors même que les effectifs de l'ART ont connu une évolution dynamique. Ainsi, entre 2015 et 2023, ses emplois à équivalents temps plein travaillé (ETPT) ont connu une hausse de 63 %, tandis que ses ressources affectées n'ont crû que de 27 %. Cela se traduit par deux phénomènes : d'une part, les ressources du régulateur par ETPT ont fortement diminué et, d'autre part, elle est régulièrement contrainte de prélever des moyens sur son fonds de roulement, ce qui limite de fait sa capacité à investir et aller au contentieux. Dans ce contexte, le PLF pour 2024 propose de relever de 14 millions à 15 millions d'euros la subvention pour charges de service public de l'ART. J'approuve pleinement cette évolution et vous ai proposé, avec Philippe Tabarot, d'aller encore plus loin en fixant à 16 millions d'euros le montant de la subvention pour charges de service public de l'ART pour 2024. Cela me semble nécessaire pour permettre, a minima, au régulateur d'assurer l'étendue de ses missions en toute indépendance.

Le deuxième axe de mon rapport concerne les moyens alloués à l'entretien de nos infrastructures routières.

Le PLF pour 2024 prévoit de consacrer un peu plus d'un milliard d'euros à l'entretien du réseau routier national non concédé (RRNNC), un montant en hausse de 50 millions d'euros par rapport à l'année précédente. Si je me félicite de cette trajectoire ascendante, il est fort probable que cette enveloppe ne soit pas suffisante pour compenser les effets de l'inflation sur le coût des opérations de régénération des voies. En outre, et malgré la hausse tendancielle des moyens consacrés à l'entretien du réseau routier ces dernières années, il apparaît que les routes du RRNNC continuent de se dégrader. Ainsi, alors qu'en 2019, 46 % des chaussées nécessitaient un entretien de surface et de structure, cette proportion s'établit aujourd'hui à 50 %, dont 20 % nécessitant un entretien structurel. Cette situation est d'autant plus inquiétante dans la perspective des transferts de voirie de l'État aux collectivités territoriales volontaires, en application de la loi dite « 3DS ». Aussi, et pour inverser la tendance, je vous proposerai un amendement visant à allouer 20 millions d'euros supplémentaires à l'entretien des routes du RRNNC. Il me semble en effet qu'un euro dépensé aujourd'hui pour l'entretien préventif des routes est mieux employé qu'un euro dépensé dans quelques années pour un entretien curatif. S'agissant plus spécifiquement des ouvrages d'art, sur lesquels notre commission a beaucoup travaillé, je salue les suites données au Programme national ponts en faveur des collectivités territoriales. La loi de finances rectificative pour 2022 avait en effet affecté 50 millions d'euros supplémentaires en faveur de l'entretien des ponts. Le ministre de l'écologie a récemment annoncé que 35 de ces 50 millions d'euros seraient alloués à la réparation des ouvrages d'art des communes ayant pris part au Programme national ponts, par le biais de subventions pouvant aller jusqu'à 60 % du coût des travaux. Alors que le Programme national ponts se concentrait jusqu'à présent sur des opérations de recensement et d'évaluation, qui sont évidemment nécessaires, l'élargissement de l'accompagnement proposé aux collectivités territoriales à la réparation des ouvrages d'art les plus dégradés est bienvenu. Elle constituait la dernière pièce du puzzle.

Cela étant dit, les montants engagés sont bien en deçà des besoins, que le rapport de notre commission de 2019 chiffrait à 130 millions d'euros par an. Deux amendements, adoptés par notre commission la semaine dernière et présentés par notre collègue Louis-Jean de Nicolaÿ, ont d'ailleurs visé à augmenter les moyens consacrés à l'évaluation et à la réparation des ouvrages d'art des collectivités. S'agissant des ouvrages d'art relevant de l'État, ils poursuivent eux aussi leur lente dégradation. D'après le ministère des transports, 39,2 % des ponts du RRNNC nécessitent un entretien spécialisé d'une manière assez urgente pour prévenir un développement de désordres de la structure. C'est pourquoi je vous proposerai, avec M. de Nicolaÿ, d'adopter un amendement visant à renforcer les concours à destination de l'entretien des ouvrages d'art de l'État.

Après avoir évoqué les infrastructures, j'en viens à présent à mon troisième axe, qui concerne les moyens donnés aux autorités organisatrices de la mobilité pour conduire leurs missions.

Comme je l'ai évoqué précédemment, les AOM sont confrontées à de multiples défis, qui supposent des financements à la hauteur. Augmentation de la demande, mise en oeuvre des ZFE-m, inflation, décarbonation de leurs flottes : les AOM, ne sauraient, à moyens constants, répondre à l'ensemble des besoins. Aussi, et pour leur permettre de faire face à leurs obligations tout en permettant l'émergence de nouvelles offres de mobilité, notre commission a adopté la semaine dernière deux amendements à la première partie du PLF. Le premier, cosigné avec Philippe Tabarot, vise à abaisser à 5,5 % le taux de TVA applicable aux transports collectifs du quotidien, afin de donner de l'oxygène aux AOM. Cet amendement a été adopté hier en séance publique. Le second, également cosigné avec Philippe Tabarot, tend à augmenter de 0,1 point le taux de versement mobilité dans les quatre agglomérations (hors Paris) devant mettre en place une ZFE-m avec des restrictions de circulation portant sur les véhicules classés Crit'air 3 d'ici le 1er janvier 2025. Ces ZFE-m seront, de fait, celles dans lesquelles la demande d'alternatives à la voiture sera la plus pressante. Cet amendement, examiné hier soir en séance publique, n'a pas été adopté.

M. Olivier Jacquin. -- Les avis du rapporteur général et du Gouvernement sur cet amendement ont été exprimés de manière succincte : « demande de Retrait » et « avis défavorable ».

M. Hervé Gillé, rapporteur pour avis. - La position du rapporteur général me semble mériter un débat : il accepte de réaliser une affectation de fractions du produit issu des mises aux enchères des quotas carbone aux AOM, mais il refuse toute évolution du versement mobilité. Ne pas faire évoluer le versement mobilité, notamment pour les petites collectivités territoriales, me semble problématique compte tenu de l'ampleur des besoins dans les territoires.

Je vous proposerai enfin d'adopter deux amendements supplémentaires, afin de sécuriser l'action des AOM. D'une part, il s'agira de renforcer le soutien aux AOM dans le développement d'infrastructures et de services de transports publics, qu'ils soient urbains ou périurbains. Je vous proposerai ainsi d'allouer 100 millions d'euros supplémentaires aux transports collectifs. D'autre part, et partant du constat qu'une « bonne » offre de transport repose sur une bonne articulation des différentes parties prenantes, mais aussi et surtout une véritable interopérabilité entre les réseaux et entre les modes, je vous soumettrai un amendement visant à attribuer un soutien supplémentaire de l'ordre de 5 millions d'euros aux collectivités territoriales dans leur démarche de renforcement de l'intermodalité et de l'interopérabilité. Cela pourra notamment se traduire par la réalisation d'études de mobilité ou d'expérimentations, la mise en place d'outils d'ingénierie territoriale et d'instances de concertation, au service de la définition d'objectifs partagés en matière de mobilité.

Mon quatrième et dernier axe concerne la nécessaire accélération du verdissement du parc de véhicules.

Premièrement, alors que le coût d'acquisition des véhicules électriques demeure prohibitif, il me semble nécessaire de proposer un accompagnement plus volontariste aux ménages dans le renouvellement de leurs véhicules. Je propose ici deux amendements :

- d'une part, un amendement que Philippe Tabarot et moi-même vous avons soumis la semaine dernière, qui vise à élargir le champ du prêt à taux zéro pour l'acquisition d'un véhicule léger peu polluant institué par la loi « Climat et résilience » d'août 2021 pour qu'il s'applique sur l'ensemble du territoire. Le champ du dispositif actuel est en effet trop réduit, puisqu'il ne vise que les personnes physiques ou morales domiciliées ou travaillant dans l'une des ZFE-m en dépassement des seuils de qualité de l'air. Notre amendement a été adopté en séance publique ce week-end avec un double avis de sagesse du Gouvernement et de la commission des finances, ce dont nous pouvons nous féliciter.

- d'autre part, je vous proposerai un amendement concernant le dispositif de « leasing social » dont le Gouvernement a annoncé le lancement au 1er janvier prochain. Si les aides à l'acquisition d'un véhicule propre sont essentielles, elles ne sauraient être l'« alpha et l'omega » de l'accès des ménages aux véhicules peu polluants. Aussi, je vous proposerai d'abonder de 20 millions d'euros supplémentaires le programme 174 qui porte les crédits relatifs au leasing social, afin d'élargir les critères d'éligibilité du futur dispositif. Il appartient au pouvoir réglementaire de fixer ces critères, mais il me semble nécessaire d'aller au-delà des ménages du 5décile qui est le seuil aujourd'hui retenu par le Gouvernement s'agissant des bénéficiaires. Nous pourrions par exemple cibler les ménages disposant d'un revenu allant jusqu'à 1,5 SMIC.

Deuxièmement, il va falloir redoubler d'efforts pour assurer la transition écologique du parc de véhicules lourds. Dans la mesure où 90 % du transport intérieur de marchandises se fait par la route, la décarbonation du fret passe nécessairement par un verdissement de la flotte des transporteurs routiers qui, je le rappelle, roule encore à 98 % au diesel.

Or, le prix d'un poids lourd électrique est 3 à 4 fois plus élevé que celui de son homologue thermique. Face à ces enjeux, nous vous avons proposé la semaine dernière, avec mon collègue Philippe Tabarot, un amendement visant à instituer un prêt à taux zéro pour les véhicules lourds de plus de 2,6 tonnes. Cet amendement a été adopté en séance publique ce week-end.

En parallèle, comme je l'ai dit en introduction, il me semble essentiel d'apporter un soutien aux AOM qui font face à une double injonction : d'une part, accroître leur offre de transports collectifs, dans le contexte de déploiement rapide des ZFE-m et, d'autre part, renouveler leurs flottes d'autobus et autocars pour se conformer aux exigences nationales et européennes en la matière. Là encore, le coût des véhicules est un obstacle majeur au verdissement, alors que les AOM sont déjà contraintes financièrement dans le contexte actuel d'inflation. Selon Régions de France, l'investissement nécessaire au verdissement des autobus et autocars s'élèverait à 1,8 milliard d'euros d'ici 2029, rien que pour la région Île-de-France.

Le Gouvernement a annoncé la reconduction en 2024 de l'appel à projets « Écosystèmes de véhicules lourds », qui permet de bénéficier d'une subvention de l'État à l'achat d'un camion ou d'un autocar électrique. C'est une bonne nouvelle, mais je déplore que le PLF pour 2024 ne nous donne aucune visibilité concernant le montant de l'enveloppe qui sera allouée au dispositif l'année prochaine. Je rappelle qu'elle était de 60 millions d'euros en 2023. Je vous proposerai un amendement visant à allouer 40 millions d'euros supplémentaires au programme 174 qui porte les crédits relatifs à cet appel à projets, avec la ventilation suivante : 20 millions d'euros pour les camions et les autocars électriques (qui, je l'espère, s'ajouteront aux 60 millions d'euros qui pourraient être prévus en 2024 si le Gouvernement reconduit l'enveloppe de l'année passée), auxquels s'ajouteraient 20 millions d'euros supplémentaires dédiés à l'acquisition de bus électriques, qui n'ont pas bénéficié du dispositif en 2023. Dans le même ordre d'idée, les AOM pourront bénéficier du prêt à taux zéro pour l'acquisition d'un véhicule lourd moins polluant, puisque l'amendement de notre commission qui a été adopté en séance publique inclut les autobus électriques. Pour terminer, et sous réserve de l'adoption des amendements que je vous soumettrai dans un instant, je vous proposerai d'émettre un avis favorable sur les crédits relatifs aux transports routiers dans le PLF pour 2024.

M. Jean-François Longeot, président. - Merci pour le travail en commun mené par les deux rapporteurs pour avis, Hervé Gillé et Philippe Tabarot. Cette capacité à travailler ensemble constitue une force pour la commission dans l'examen des sujets qui sont au coeur de ses compétences.

M. Hervé Maurey, rapporteur spécial de la commission des finances. - En matière de loi de finances, nous butons parfois sur des contradictions : nous considérons qu'il faut veiller avec attention au renforcement de l'équilibre du budget, et nous déposons en même temps des amendements qui peuvent parfois fragiliser cet équilibre. C'est une remarque générale, qui ne vise pas spécifiquement les sujets que nous abordons aujourd'hui. Je suis d'ailleurs convaincu qu'il faut donner plus de moyens pour les mobilités. Il revient cependant à la commission des finances de « serrer les boulons ». C'est un peu comme dans une municipalité : l'adjoint aux finances a, pour ainsi dire, le mauvais rôle. Certains amendements justifiés sur le fond ne peuvent donc pas être adoptés en séance publique. Je ne parle pas de l'examen du texte à l'Assemblée nationale, qui - personne ne l'ignore - sera malheureusement conclu par un recours à l'article 49.3 de la Constitution. Par conséquent, et je le déplore, le travail que nous menons actuellement verra ses effets amoindris.

Le Sénat, et notamment cette commission, a alerté dès 2017, dans un rapport d'information consacré aux infrastructures routières et autoroutières, sur la dégradation prévisible de l'état des routes et la nécessité de mieux les entretenir. Comme le rapporteur l'a souligné, un euro qui manque pour assurer l'entretien des routes mène in fine à en payer dix pour leur réparation. Nous n'avons pas été assez entendus sur ce sujet. Un représentant de l'administration centrale que j'ai rencontré lors des travaux préparatoires au rapport spécial consacré aux crédits relatifs aux transports du projet de loi de finances a indiqué estimer que les crédits destinés au réseau routier national non concédé étaient insuffisants. Il faudrait en effet 1,2 milliard d'euros pour entretenir les routes nationales alors qu'environ 1 milliard d'euros seulement devraient être consacrés à cet objectif. La situation des routes départementales est loin d'être plus favorable. L'amendement du rapporteur général affectant au réseau routier départemental et communal une partie des ressources générées par la taxe sur les infrastructures de transport de longue distance prévue à l'article 15 du projet de loi de finances me semble donc tout à fait fondé.

La situation de l'Afit France me semble moins mauvaise qu'auparavant. Les ressources sont plus stables que par le passé, car leur dépendance au produit des amendes de circulation routière, très fluctuant, a été réduite. Je m'interroge sur l'opportunité d'ouvrir des crédits supplémentaires au bénéfice de l'Afit France, car elle a régulièrement sous-consommé ceux qui lui avaient été accordés, notamment parce que certains appels à projets sont très longs à mener. Il faut donc veiller à ce que les crédits prévus soient bien consommés.

L'attitude des sociétés d'autoroute est scandaleuse, vis-à-vis de la contribution volontaire qu'ils refusent de verser. La mise en oeuvre de l'article 15 du projet de loi de finances s'annonce difficile.

Concernant les ponts, un sujet qui m'est cher, les crédits prévus sont insuffisants. Je pense que les travaux menés dans cette commission ont cependant permis une prise de conscience sur ce sujet, notamment de la part des collectivités locales. Les ponts ont par ailleurs bénéficié de crédits supplémentaires en loi de finances rectificative pour 2022 et pour 2023. En juillet dernier, Stéphane Sautarel et moi avons remis un rapport au nom de la commission des finances consacré aux modes de financement des autorités organisatrices de la mobilité, dont certaines des propositions sont reprises dans le projet de loi de finances pour 2024. C'est le cas de la mise en place d'une contribution carbone, qui prendra la forme d'un prélèvement sur recettes affecté aux autorités organisatrices de la mobilité, y compris celles qui ne lèvent pas de versement mobilité. Le Sénat n'avait d'ailleurs pas voté la loi d'orientation des mobilités précisément parce que le Gouvernement et l'Assemblée nationale n'avaient pas retenu la possibilité de donner des ressources propres aux autorités organisatrices de mobilité. Aujourd'hui, on constate que nombreuses sont les autorités bridées dans leur action à cause de ce manque de moyens. Dans notre rapport d'information, nous étions partisans, avec mon collègue rapporteur Stéphane Sautarel, d'ouvrir la possibilité aux collectivités territoriales d'augmenter le versement mobilité. Le projet de loi de finances n'ouvre cette possibilité que pour l'Île-de-France, elle pourrait opportunément être étendue. La commission des finances a en outre ouvert la possibilité d'utiliser une partie du Fonds vert pour soutenir l'acquisition de véhicules propres, alors que, jusqu'à présent, ce dispositif ne prenait pas en compte les enjeux relatifs aux mobilités.

M. Stéphane Demilly. - La taxe créée à l'article 15 du projet de loi de finances présente un risque de contentieux. Les concessions autoroutières ont déjà annoncé qu'elles contesteraient la légalité de cette taxe par tous les moyens sur le terrain de la justice administrative, de la justice constitutionnelle et, le cas échéant, de la justice européenne. Lors de mes travaux préparatoires à l'avis relatif aux crédits consacrés au transport aérien du projet de loi de finances, j'ai entendu l'Union des aéroports français qui a également déclaré envisager de mener un recours contentieux contre cet article. A-t-on réellement tous les éléments nécessaires pour s'assurer de la solidité juridique de ce dispositif ? Monsieur le rapporteur, quelle est votre analyse sur ce sujet litigieux ?

M. Hervé Gillé, rapporteur pour avis. - Il est difficile de répondre à cette question ; nous suivrons en tout cas ce sujet avec attention. Nous avons d'ailleurs eu un dialogue nourri à ce propos. Le Gouvernement semble très confiant et il a dû mener des analyses poussées sur ce dispositif. Je ne sais pas quelle sera, in fine, l'issue de ce débat et d'un éventuel contentieux. Quoi qu'il en soit, il me semble que ce sujet est l'occasion d'ouvrir un débat politique, et même citoyen, sur les sociétés concessionnaires d'autoroute.

M. Franck Dhersin. - À ce propos, mon expérience passée à la direction des affaires publiques du groupe Vinci m'a permis d'observer les débats liés aux concessions autoroutières. Il a toujours existé une volonté de récupérer cette manne financière, et les sociétés concessionnaires d'autoroute font systématiquement monter la pression et menacent les pouvoirs publics. Ces acteurs vont monter au créneau, c'est inévitable, mais ils sont tout à fait conscients qu'ils peuvent perdre la partie au niveau citoyen, dans la presse, mais également économiquement lors du renouvellement des concessions qui arrive à grands pas. En 2031, certaines concessions de la Sanef seront concernées, en 2033 ce sera le tour de Vinci. N'ayons donc pas peur de leur position ferme, ils ont beaucoup plus à perdre qu'à gagner. Les sociétés concessionnaires d'autoroute haussent le menton pour montrer qu'elles ne céderont pas et elles sont conseillées par d'excellents juristes. Néanmoins, nous devons aller au bout de ce sujet et c'est un ancien de Vinci qui vous le dit.

M. Didier Mandelli. - Je ne remets pas en question le bien-fondé de ce débat, mais je regrette qu'il n'ait pas eu lieu avant le vote de l'article 15 en séance publique. Il me paraît irréaliste que nous réalisions cet exercice après : le débat et les décisions doivent avoir lieu avant le vote, et je regrette que nous n'ayons pas eu des échanges préalables avec la commission des finances.

M. Jacques Fernique. - Je suis tout à fait en phase avec ce qui vient d'être dit. Nous avons été surpris de découvrir en direct le rapport de la commission des finances sur le financement des autorités organisatrices de la mobilité, très intéressant par ailleurs, qui proposait 6 axes et 20 recommandations. L'idée de financer les transports écologiques du quotidien par une mise aux enchères des quotas carbone était très intéressante, mais je regrette cette organisation en silos au sein de notre institution. Il serait bon à l'avenir que nous ayons davantage d'échanges en amont et de synergies dans nos travaux, afin que nous puissions trancher en connaissance de cause.

M. Olivier Jacquin. - J'appuie également les propos de Didier Mandelli et de Jacques Fernique, il y a un manque de coordination dans le travail entre les commissions. Avoir un débat après le vote de l'article 15, et devoir batailler pour obtenir des explications étayées sur les raisons du sort réservé à nos amendements n'est pas satisfaisant. Pourtant, certaines propositions de la commission des finances étaient tout à fait intéressantes, notamment celle à l'article 15 prévoyant un fléchage d'une partie du produit de la future taxe vers les conseils départementaux et les communes, et celle prévoyant un fléchage d'une fraction du produit des mises aux enchères des quotas carbones au profit des autorités organisatrices de mobilité. Ces propositions auraient toutefois mérité un débat entre nous. Je me félicite cependant que les difficultés financières que rencontrent les petites autorités organisatrices de mobilité en raison de l'absence de base fiscale de versement mobilité aient été prises en compte. Il est presque certain que cette mesure sera supprimée lors de l'application de l'article 49.3 de la Constitution à l'Assemblée nationale puisque le Gouvernement a émis un avis défavorable à son encontre, mais je pense que nous avons tout de même marqué des points sur cette question.

En revanche, il n'est pas acceptable que la commission des finances rejette toute velléité d'augmentation du versement mobilité compte tenu de la proposition qu'elle a portée dans le cadre du PLF sur les quotas carbone ; ce seul argument a conduit à formuler des demandes de retrait sur nos amendements évoquant pourtant les besoins de financement liés notamment aux Serm et à la mise en oeuvre des ZFE-m.

Notre commission et la commission des finances gagneraient à examiner en profondeur la question du financement des mobilités de manière générale. Il me semble que Philippe Tabarot présentera tout à l'heure un amendement allant dans ce sens.

Par ailleurs, il importe de se pencher sur les assises des autoroutes, qui ont été annoncées au mois de juillet et qui devraient avoir lieu au premier trimestre. De même, il serait temps de faire un bilan des transferts de voirie liés à la loi « 3DS » du 21 février 2022 pour avoir une vision consolidée de l'effritement du réseau routier national non concédé.

M. Hervé Gillé, rapporteur pour avis. - Je pense que le problème de la sous-consommation des crédits de l'Afit France doit être analysé en profondeur. Cette sous-consommation est-elle due à un manque de capacité à faire, ou à un modèle économique qui n'arrive pas à trouver une base stable pour avancer dans de bonnes conditions ? Pour assurer le meilleur fonctionnement possible pour le financement des infrastructures de transport, il faut que cet ensemble de problèmes soit résolu.

Concernant le Fonds vert, je souhaiterais également que les services préfectoraux mobilisent ce dispositif avec plus de transparence et en associant davantage les élus. Il est anormal que nous découvrions l'usage des crédits issus du Fonds vert en aval, à travers des reporting manquant considérablement de précision. Nous devons mener un combat commun sur ce sujet au niveau parlementaire.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Article 35 

M. Hervé Gillé, rapporteur pour avis. - L'amendement n°  II-693 que je vous soumets a deux objectifs. D'une part, 20 millions d'euros supplémentaires sont prévus pour l'acquisition de camions et autocars électriques, pour renforcer les efforts en faveur du verdissement du parc de ces deux catégories de véhicules. D'autre part, il prévoit d'allouer 20 millions d'euros aux autobus électriques qui n'avaient pas bénéficié du dispositif en 2023, afin de soutenir les AOM dans le verdissement de leurs flottes d'autobus.

L'amendement n°  II-693 est adopté.

M. Hervé Gillé, rapporteur pour avis. - L'amendement n°  II-694, que je porte avec mon collègue Louis-Jean de Nicolaÿ, vise à allouer 30 millions d'euros supplémentaires à l'entretien et à la réparation des ouvrages d'art de l'État du réseau routier national non concédé (RRNNC).

L'amendement n°  II-694 est adopté.

M. Hervé Gillé, rapporteur pour avis. - L'amendement n°  II-695 propose de rehausser de 20 millions d'euros les crédits relatifs à l'entretien des routes du réseau routier national non concédé (RRNNC).

L'amendement n°  II-695 est adopté.

M. Hervé Gillé, rapporteur pour avis. - L'amendement n°  II-696 vise à abonder de 100 millions d'euros supplémentaires l'action du PLF consacrée aux « transports collectifs », afin de soutenir les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) dans le développement d'infrastructures et de systèmes de transport public, urbain et périurbain. Le déploiement des ZFE-m et la décarbonation du secteur vont conduire à une hausse de la demande de transports collectifs ; il s'agit de soutenir les AOM dans cette transition qui nécessite des investissements considérables de leur part.

L'amendement n°  II-696 est adopté.

M. Hervé Gillé, rapporteur pour avis. - Cet amendement n°  II-697 vise à affecter 5 millions d'euros à l'action « Fonctions support » du programme 203 « Infrastructures et services de transport ». La loi d'orientation des mobilités de 2019 avait rendu obligatoire l'élaboration par la région d'un contrat opérationnel de mobilité pour définir les modalités de l'action commune des AOM. Quatre ans plus tard, ce dispositif peine toujours à être mis en oeuvre. Or, le développement de l'intermodalité nécessite de renforcer l'interopérabilité des réseaux locaux de transport et la coordination entre les différentes AOM intervenant sur ces réseaux. Concrètement, cet amendement permettra de soutenir les collectivités dans cet objectif, à travers le financement d'études de mobilité, d'expérimentations et celui d'autres outils destinés à favoriser la définition d'objectifs partagés en matière de mobilité.

L'amendement n°  II-697 est adopté.

M. Hervé Gillé, rapporteur pour avis. - Pour finir, cet amendement n°  II-698 vise à allouer 20 millions d'euros supplémentaires au dispositif de leasing social, dont l'entrée en vigueur est prévue dès 2024. Si plusieurs des paramètres sont encore inconnus à ce jour, le Gouvernement a annoncé que seraient uniquement éligibles les ménages disposant d'un revenu fiscal de référence allant jusqu'à environ 14 000 euros. Or, compte tenu du coût encore prohibitif des véhicules électriques, il apparaît nécessaire de renforcer l'accessibilité du leasing social.

L'amendement n°  II-698 est adopté.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs aux transports routiers de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », sous réserve de l'adoption de ses amendements.

Projet de loi de finances pour 2024 - Crédits relatifs aux transports ferroviaires, fluviaux et maritimes - Examen du rapport pour avis

M. Jean-François Longeot, président. - Monsieur le rapporteur pour avis, Philippe Tabarot va nous présenter son rapport sur les crédits relatifs aux transports ferroviaires, fluviaux et maritimes de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ».

M. Philippe Tabarot, rapporteur pour avis. - Mes chers collègues, je suis heureux de vous présenter ce matin mon avis sur les crédits alloués par le projet de loi de finances pour 2024 aux transports ferroviaires, fluviaux et maritimes, pour lequel je vous remercie de m'avoir confié le rôle de rapporteur. Avant d'en venir aux principaux axes de mon rapport, je souhaiterais formuler trois remarques d'ordre général.

Tout d'abord, beaucoup d'annonces ont été faites ces derniers mois par le Gouvernement, parmi lesquelles, pour n'en citer que deux, l'annonce, par le Président de la République, du déploiement de dix services express régionaux métropolitains (Serm) d'ici dix ans, prolongée quelques mois plus tard par la présentation d'un plan d'avenir pour les transports, pour réussir une « Nouvelle donne ferroviaire », de l'ordre de 100 milliards d'euros d'ici 2040. Ces annonces constituent des signaux positifs en faveur du développement du transport ferroviaire dans nos territoires. Pour autant, et nous avons eu l'occasion de le vérifier récemment lors de l'examen de la proposition de loi relative aux services express régionaux métropolitains (Serm), les modalités de financement de ces annonces ne sont, pour l'heure, pas définies. S'agissant des Serm, le ministre a renvoyé à la négociation en cours des contrats de plan État-Région (CPER), dans le cadre desquels 765 millions d'euros seront déployés. Or, ces montants ne seront a priori affectés qu'à la réalisation d'études des premiers projets. Compte tenu des montants en jeu, il est urgent de définir des modèles de financement précis et aboutis. La question se pose d'autant plus concernant les 100 milliards d'euros d'ici 2040 pour le transport ferroviaire. À l'heure où nous parlons, nous ignorons tout des ressources qui seront mobilisées pour financer cette enveloppe, nous ne connaissons pas la part que l'État entend engager et aucun des acteurs que j'ai eu l'occasion d'interroger dans le cadre de mes auditions n'a connaissance de la ventilation des montants. J'y reviendrai plus tard dans mon propos : tout laisse à penser que l'État compte s'appuyer sur la SNCF elle-même pour financer une partie des investissements...

Le deuxième constat, que je souhaiterais partager avec vous est, cette fois, un motif de satisfaction : les crédits alloués aux transports, tous modes confondus, par le projet de loi de finances (PLF) pour 2024 sont en augmentation. Je tiens ici à saluer les trajectoires positives, ces dernières années, d'évolution des fonds consacrés en particulier à la régénération des réseaux, notamment ferroviaire et fluvial. Le PLF pour 2024 prévoit ainsi une enveloppe de 4,3 milliards d'euros de crédits de paiement pour le programme 203 « Infrastructures et services de transports » et 4,05 milliards d'euros de fonds de concours.

Cela étant dit, le déficit d'investissement cumulé sur l'ensemble des réseaux de transports est tel que les augmentations prévues ne parviennent malheureusement pas, année après année, à enrayer la spirale de dégradation qui les affecte.

Mon troisième constat est le suivant : les secteurs du transport ferroviaire, fluvial et maritime sont à une période charnière. Après avoir été durement frappés par la crise liée à la Covid-19, qui a entraîné un fort ralentissement de l'activité, ces secteurs font à présent face à une forte pression inflationniste qui les affecte à deux titres. Côté offre, l'inflation - à commencer par la hausse des coûts de l'énergie - contraint fortement les marges de manoeuvre de l'ensemble des opérateurs. Côté demande, l'inflation conduit à un ralentissement sur les marchés du fret. Bien sûr, outre la pression inflationniste qui concerne tout le monde du transport, le fret a rencontré en 2023 des difficultés sectorielles. Le fret ferroviaire a ainsi été touché par des facteurs exogènes comme les grèves liées au projet de loi sur les retraites et l'accident survenu cet été dans la Maurienne, qui risque de bloquer l'accès ferroviaire à l'Italie pour un an. S'agissant du fluvial, l'activité de fret a été ralentie cette année par une conjoncture défavorable dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) et un recul des campagnes céréalières. Enfin, le fret maritime est actuellement pénalisé par l'atonie de la croissance mondiale et les incertitudes géopolitiques.

Or, ces trois secteurs doivent relever le défi de la décarbonation qui, comme vous le savez, va impliquer des investissements considérables dans les prochaines années. Bien que le report modal de la route vers les modes massifiés constitue en lui-même un levier de décarbonation, les transports ferroviaires et fluviaux doivent eux aussi engager d'importants efforts de verdissement de leurs flottes. Le transport maritime, qui représente 3 % des émissions mondiales de CO2, est également concerné au premier plan par les exigences de verdissement.

Nous aurons l'occasion d'y revenir, mais le soutien du Gouvernement en faveur de la décarbonation des transports est loin d'être à la hauteur, alors que les obligations au niveau national et européen ne font que se renforcer et que la mise en oeuvre des zones à faibles émissions mobilité (ZFE m) conduira, de fait, à un accroissement de la demande vis-à-vis des modes massifiés et des transports collectifs.

J'en viens à présent aux trois principaux axes de mon rapport. Le premier axe porte sur le financement des infrastructures de transport. D'année en année, le constat est malheureusement le même : le financement des infrastructures de transport dans notre pays repose sur un modèle incertain. À première vue, le PLF pour 2024 semble assainir la situation puisqu'il prévoit une hausse des recettes de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France) à hauteur de 863 millions d'euros. Pourtant, à y regarder de plus près, les motifs d'inquiétude demeurent. D'une part, les recettes « traditionnelles » de l'agence restent marquées par une certaine incertitude, à commencer par le produit des « amendes radars », dont le montant est difficilement prévisible en année N-1, et la contribution volontaire exceptionnelle dont les sociétés concessionnaires d'autoroute (SCA) refusent de s'acquitter depuis 2021, ce qui génère un manque à gagner annuel de 60 millions d'euros pour l'Afit France. Surtout, l'essentiel des nouvelles recettes prévues pour l'Afit France provient de la future taxe sur l'exploitation des infrastructures de transport de longue distance instituée à l'article 15 du PLF. À cet égard, on ne peut que s'inquiéter des risques contentieux qui pèsent sur ce dispositif. Aussi, la possible fragilité juridique de cette taxe ne permet toujours pas d'assurer une trajectoire de recettes pérenne pour l'Afit France.

J'ai pris acte de l'amendement de la commission des finances qui vise à allouer un sixième du produit de la future taxe aux communes et départements, plutôt qu'à l'Afit France. Pour compenser les conséquences de cette nouvelle affectation et assurer à l'Afit France les 600 millions d'euros de recettes supplémentaires qui lui sont promis, nous vous avons proposé la semaine dernière, avec mon collègue Hervé Gillé, un amendement visant à relever de 100 millions d'euros la fraction de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) affectée à l'agence en 2024. J'espère qu'il connaîtra un sort favorable en séance publique.

Mon deuxième axe porte sur le transport ferroviaire, qui connaît lui aussi une augmentation des moyens qui lui sont alloués. 3,1 milliards d'euros sont ainsi prévus par le budget de SNCF Réseau pour le renouvellement du réseau ferroviaire. Cette enveloppe comprend 300 millions d'euros supplémentaires par rapport à la trajectoire prévue par le dernier contrat de performance entre SNCF Réseau et l'État. Cette augmentation s'inscrit dans la perspective, fixée par la Première ministre, de consacrer annuellement, d'ici la fin du quinquennat, 1,5 milliard d'euros supplémentaires au réseau ferroviaire, dont 1 milliard d'euros pour la régénération et 500 millions d'euros pour la modernisation.

Si la hausse observée cette année doit être saluée, elle reste cependant bien en deçà des besoins, compte tenu d'une part du renchérissement des coûts d'entretien et d'exploitation sous l'effet de l'inflation, et, d'autre part, du retard pris par la France dans la régénération de son réseau, qui poursuit sa lente dégradation, mais aussi en matière de modernisation (je parle ici des projets de déploiement du système de gestion du trafic européen et de la commande centralisée du réseau). À terme, le risque de décrochage par rapport aux autres pays européens est réel. Si nous poursuivons la trajectoire actuelle, la France risque de devenir, d'ici 2040, le mauvais élève de l'Union européenne, aux côtés de la Lituanie. Je vous proposerai dans quelques instants d'adopter un amendement visant à allouer davantage de moyens à la modernisation du réseau.

En outre, le Gouvernement prévoit de faire peser l'essentiel des nouveaux investissements sur les bénéfices réalisés par SNCF Voyageurs. À terme, cette situation pose non seulement question quant à l'indépendance de SNCF Réseau, mais aussi quant à la capacité de la SNCF d'absorber ces nouvelles dépenses compte tenu de ses propres contraintes financières.

En définitive, l'année 2024 sera une année décisive pour le réseau ferroviaire. Trois conditions, que j'appelle de mes voeux, doivent être réunies pour rompre avec la spirale de la paupérisation du réseau, à savoir :

- définir une trajectoire claire de financement de long terme. Je vous soumettrai à cet égard un amendement prévoyant la remise d'un rapport par le Gouvernement au Parlement sur les modalités de financement des 100 milliards d'euros annoncés ;

- réviser le contrat de performance entre SNCF Réseau et l'État. Je ne détaillerai pas plus ce point, sur lequel nous en avons déjà beaucoup dit ;

- donner au régulateur les moyens d'exercer ses missions. Pour la quatrième année successive, et en espérant que cette année soit la bonne, je vous proposerai d'adopter un amendement visant à accroître ses moyens.

Après avoir évoqué la question du réseau ferroviaire, je souhaitais également vous faire état d'un bref point de situation concernant les services de transport ferroviaires. S'agissant du transport ferroviaire de voyageurs, l'année devrait être marquée par une nouvelle augmentation des péages, qui ne devraient cependant compenser que partiellement les coûts de l'inflation pour SNCF Réseau. Il me semble bienvenu de remettre à plat la question du financement de l'infrastructure ferroviaire. Sans attendre les conclusions de la mission confiée à l'Inspection générale des finances (IGF) et l'inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD), notre commission a d'ailleurs prévu d'appliquer une tarification spécifique aux trafics réalisés dans le cadre des Serm. En outre, et afin de stimuler les investissements en matière de matériels ferroviaires, je vous ai proposé un amendement la semaine dernière visant à créer un suramortissement ferroviaire, qui a été adopté en séance publique.

Pour ce qui concerne le fret ferroviaire, le secteur, qui renouait tout juste avec une dynamique positive, risque d'être fragilisé, compte tenu de l'ouverture par la Commission européenne d'une procédure formelle sur les conditions de financement de Fret SNCF sur la période 2007-2019. Aussi, pour soutenir ce secteur dans une période de bouleversements à venir, je vous soumettrai un amendement visant à allouer 30 millions d'euros supplémentaires au développement de services de wagons isolés.

Mon troisième et dernier axe concerne le défi de la décarbonation du transport fluvial et maritime, qu'il faut relever tout en préservant la compétitivité de ces secteurs. S'agissant du transport fluvial, je veux d'abord exprimer un motif de satisfaction : après quatre années de diminution consécutives, le PLF pour 2024 prévoit enfin la stabilisation du plafond d'emplois de Voies navigables de France (VNF). Notre commission n'a eu de cesse d'alerter le Gouvernement sur la non-soutenabilité de la trajectoire d'emplois qui était imposée à VNF et je me réjouis que la « raison sénatoriale » ait été entendue sur ce point. Cela me paraît d'autant plus indispensable que VNF est engagé dans un plan ambitieux de régénération du réseau et dans la préparation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris de 2024, dont près de trois quarts des épreuves se dérouleront sur la Seine ou en bord de fleuve.

Cela étant dit, je veux formuler un point d'attention sur la trajectoire d'investissement en faveur du réseau fluvial, qui doit être revue avant la fin d'année dans le cadre de la révision du Contrat d'objectifs et de performance (COP) de VNF. Au 30 juin 2023, 70 % des ouvrages du réseau fluvial gérés par VNF présentaient un état fonctionnel général « dégradé ». La faute à des décennies de sous-investissement chronique dans ces infrastructures.

Dans ce contexte, j'appelle le Gouvernement à profiter de la révision du COP pour rehausser la trajectoire d'investissement en faveur de l'entretien et la régénération du réseau fluvial. Le PLF pour 2024 fait un premier pas dans cette direction, en rehaussant à 166 millions d'euros les crédits de l'Afit France consacrés au réseau fluvial : il faudra confirmer cette trajectoire dans les prochaines années pour atteindre la cible de 215 millions d'euros par an, à compter de 2031, préconisée par le Conseil d'Orientation des Infrastructures (COI).

Enfin, le verdissement des flottes des entreprises fluviales me semble aussi être un sujet central pour notre commission. Je vous ai présenté un amendement la semaine dernière visant à doubler le plafond portant sur l'exonération des plus-values réalisées sur les cessions de barges fluviales utilisées pour le fret. Ce plafond semble en effet constituer une anomalie dans le paysage fluvial européen, l'Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas ne prévoyant aucun plafond. Malheureusement, cet amendement a été rejeté en séance publique ce week-end, avec un double avis défavorable du Gouvernement et de la commission des finances. Il y a de quoi s'y perdre, puisque dans le cadre de l'examen du PLF pour 2021, un amendement visant à supprimer purement et simplement ce plafond avait été adopté par le Sénat, avec un avis favorable la commission des finances...

J'en viens à mon dernier point qui concerne le transport maritime. J'étais particulièrement inquiet du dispositif prévu à l'article 5 octies du PLF pour 2024 sur le « suramortissement vert » dont bénéficient les armateurs pour l'acquisition d'équipements de propulsion peu polluants. En effet, cet article introduit par le Gouvernement à l'Assemblée nationale proposait d'abaisser significativement les taux de déduction fiscale actuels, afin de se conformer au nouveau règlement européen sur les exemptions au régime des aides d'État. Or, le dispositif proposé aurait conduit à vider le suramortissement vert de sa portée alors qu'il commençait timidement à produire ses effets. Je me réjouis donc de l'adoption ce week-end d'un amendement par la commission des finances pour revenir sur la proposition du Gouvernement et maintenir les équilibres du dispositif actuel.

Enfin, s'agissant du secteur portuaire, je souhaite que le Gouvernement clarifie les moyens qui seront mis en oeuvre pour aider les ports maritimes à se conformer aux nouvelles obligations issues du règlement européen sur le déploiement d'une infrastructure pour carburants alternatifs « Afir », publié en septembre 2023. Ce règlement prévoit des obligations de déploiement de bornes de recharge électrique à quai dans les ports à compter du 1er janvier 2030, en fonction du nombre d'escales réalisées à l'année. Selon les projections actuelles du ministère de la transition écologique, six grands ports maritimes (GPM) seraient concernés et 12 ports décentralisés. S'agissant des GPM, ce sont 35 nouveaux équipements qui seraient à réaliser d'ici 2030. J'ai pu constater les efforts déployés pour le déploiement d'infrastructures de branchement électrique à quai au GPM de Marseille-Fos lors d'un déplacement en mai dernier. Il me semble indispensable que des moyens supplémentaires soient fléchés pour accompagner les ports dans cette transition dans les prochaines années.

Pour terminer, et sous réserve de l'adoption des amendements que je vous soumettrai dans un instant, je vous proposerai d'émettre un avis favorable sur les crédits relatifs aux transports ferroviaires, fluviaux et maritimes.

M. Hervé Maurey, rapporteur spécial de la commission des finances. - Tout d'abord je voudrais signaler à titre liminaire, comme j'en ai eu l'occasion en commission des finances, que je suis tout à fait favorable à ce que nos deux commissions puissent travailler davantage ensemble dans le cadre de la préparation du PLF.

Pour revenir au rapport, je souhaiterais souligner que nous n'avons toujours pas de loi de programmation. La loi d'orientation des mobilités prévoyait pourtant la définition d'une nouvelle programmation financière, c'est-à-dire une nouvelle loi d'orientation des mobilités avant le mois de juin de cette année. Or, nous ne l'avons pas et nous ne savons pas si nous l'aurons un jour. Si le ministre délégué chargé des transports, Clément Beaune, s'est déclaré favorable à l'adoption d'une telle loi, il n'est pas certain, dans le contexte politique actuel, notamment de l'Assemblée nationale, qu'il parvienne à la faire voter. Un tel texte est pourtant nécessaire car il permettrait de graver dans le marbre un certain nombre d'annonces de la Première ministre, en l'absence de mesures concrètes.

En ce qui concerne la taxe instaurée à l'article 15 sur l'exploitation des infrastructures de transport de longue distance, j'avoue avoir non seulement des inquiétudes en matière juridique mais peut-être encore plus en matière financière, avec un risque de répercussion sur les usagers en cas de paiement par les sociétés d'autoroutes de cette taxe. J'ai interrogé sur ce point le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, Bruno Le Maire, en commission des finances, qui m'a répondu qu'il n'y avait aucun risque. Je suis assez réservé sur ce point...

Dans le domaine du transport ferroviaire, je suis naturellement en phase avec les propos que je viens d'entendre. En tenant compte des abondements du fonds de concours par la SNCF, près d'un milliard d'euros sera prélevé cette année sur les résultats de la SNCF au profit du réseau. Cette situation n'est pas satisfaisante, ainsi que l'a souligné le président de la SNCF. Ce financement consacré au réseau échappe donc aux autres besoins du transport ferroviaire notamment ceux liés au renouvellement des matériels. J'illustrerai mon propos avec un sujet qui intéresse un certain nombre de nos collègues, à savoir la remise en route des trains de nuit. Contrairement à l'exemple autrichien, celle-ci se soldera par un échec, en l'absence d'équipements attractifs.

Ce constat me conduit à un propos beaucoup plus général, qui dépasse cette réunion. Non seulement il faut revoir le contrat de performance que nous avions appelé, à la commission des finances, « le contrat de contre-performances », mais il faut également revoir le modèle de financement du système ferroviaire. Il n'est pas sain qu'au moment de l'ouverture à concurrence, SNCF Voyageurs finance SNCF Réseau.

Mon dernier mot portera sur la décarbonation, afin de souligner qu'en matière fluviale, des investissements ont été réalisés. J'avais eu l'occasion dans le précédent COI de visiter des écluses en région parisienne, dont le mauvais état m'avait frappé. Des efforts considérables ont été effectués. Il conviendra donc de veiller à l'inscription des moyens nécessaires dans le prochain COP, en tenant compte de l'inflation.

J'en termine donc avec mes observations, en renouvelant à notre rapporteur la volonté de travailler ensemble

M. Philippe Tabarot, rapporteur pour avis. - Je vous remercie et suis ravi de l'entendre une nouvelle fois.  Notre intérêt commun est de travailler ensemble en raison des nombreux constats que nous partageons, tels que la nécessité d'adopter une nouvelle loi de programmation. C'est pourquoi, faute d'un tel texte, nous demandons dans l'attente un rapport sur le financement du montant de 100 milliards d'euros, tout en espérant l'examen prochain d'une véritable loi de programmation. La question de la turbulence de nos assemblées ne semble pas constituer une explication appropriée à l'ajournement de l'examen d'une telle loi. Bien au contraire, l'examen d'une loi sur les mobilités peut, dans le contexte actuel, fédérer nos différents groupes et nos assemblées. Nous poursuivrons donc nos actions pour faire voter une loi de programmation qui nous rassurera dans les années à venir.

En ce qui concerne la taxe de l'article 15, nous continuerons à en parler. Le sujet a été abordé dans l'hémicycle et nous avons tous pu nous exprimer avant-hier soir. Je pose le même constat que vous quant aux conséquences financières sur les usagers. En effet, les sociétés autoroutières pourraient potentiellement répercuter ce coût. Ce risque existe également en matière aérienne car le coût de la taxe sera répercuté par les aéroports sur les compagnies, puis in fine sur les passagers. Par ailleurs, une telle disposition tend à fragiliser notre position dans le cadre du renouvellement des concessions autoroutières.

Enfin, en réponse à vos interrogations sur le financement du transport ferroviaire, la participation de la SNCF à l'effort de financement apparaît normale. Toutefois, celle-ci doit être soutenable pour l'entreprise. Or ce qui est attendu, demandé et proposé, semble excessif pour la SNCF, quels que soient ses efforts. L'effort doit être collectif. Par ailleurs, si l'année dernière a constitué une très bonne année avec le retour des voyageurs de manière historique car les Français aiment le train, malheureusement, cette dynamique pourrait ne pas perdurer les 5 ou 10 prochaines années, en raison de difficultés liées à l'état du réseau par exemple.

M. Jacques Fernique. - Je partage très largement les analyses du rapporteur pour avis. Effectivement, si nous n'amendons pas la trajectoire budgétaire du transport ferroviaire ainsi que nous le propose notre rapporteur, elle reposera exclusivement sur les fonds de concours versés par la SNCF. Ce n'est donc pas l'État mais des ressources internes à la SNCF qui financeraient le plan du Gouvernement. D'une part, cela ne suffira pas, d'autre part, ces financements manqueront pour traiter d'autres besoins essentiels. En ce sens l'amendement allouant 100 millions d'euros supplémentaires, ainsi que le propose le rapporteur, permettrait de mobiliser davantage de concours publics pour rehausser notre trajectoire de financement du réseau.

En ce qui concerne l'amendement prévoyant la remise d'un rapport sur les modalités de financement des 100 milliards d'euros d'ici 2040, les demandes de rapport ne sont généralement pas appréciées mais le Sénat n'apprécie pas non plus qu'on lui fasse de grandes annonces creuses. Rappelons-nous qu'à la suite de la remise du rapport du COI en février, la Première ministre avait déclaré que la déclinaison opérationnelle segmentée du plan d'avenir pour les transports, serait réalisée d'ici l'été. Nous l'attendons toujours. Le rapport demandé par l'amendement ainsi que la conférence nationale de financement des Serm, qu'on a insérés dans la proposition de loi relative aux Serm, sont effectivement les bienvenus.

M. Olivier Jacquin. - Un grand merci à notre rapporteur, Philippe Tabarot, sur sa manière générale d'animer avec ouverture, ses travaux. Nous pouvons ainsi partager la même information, ce qui améliore la qualité des débats. J'appelle de mes voeux effectivement cette collaboration, devant notre collègue de la commission des finances, Hervé Maurey qui propose un travail plus fin entre nos deux commissions. J'y suis d'autant plus favorable que nombre de sujets sont transpartisans, tels que les transports publics, sur lesquels nous partageons souvent les mêmes orientations.

S'agissant de la loi de programmation, j'ai participé à la consultation des différents groupes, organisée par le ministre délégué chargé des transports. Je ne suis guère optimiste quant à sa capacité de trouver une majorité pour porter un nouveau texte, sans pour autant cesser de demander l'examen de cette loi de programmation indispensable.

Je souhaiterais revenir sur le modèle économique ferroviaire que nous avons produit après le nouveau pacte ferroviaire de 2018 et l'ouverture à la concurrence. La situation de la SNCF est extrêmement complexe. D'une part, SNCF Réseau est contrainte par sa règle d'or et le contrat de performance, voire de « contre-performance ». D'autre part, SNCF Voyageurs finance directement SNCF Réseau et doit augmenter le prix des billets de TGV de manière continue, alors que ses concurrents, très peu nombreux, se voient allouer des remises sur les péages, afin de les aider à pénétrer le marché. Je ne crois pas que ce système soit véritablement lisible, pérenne, et solide. Il faut nous interroger afin de produire un système différent.

Pour conclure sur le transport ferroviaire, je souhaiterais attirer votre attention sur un amendement déposé dans le cadre du PLF de fin de gestion par le rapporteur général concernant le train, Metz-Nancy-Lyon, qui est reconnu comme un futur Train d'équilibre du territoire (TET). L'État prévoit des cofinancements de la part des conseils régionaux, des métropoles et des conseils départementaux alors que le financement des trains d'équilibre du territoire relevait jusqu'à présent de l'État, dans une logique d'aménagement du territoire. Ce dispositif est donc très inquiétant. À côté de cela, on ne parle que de la SNCF, en omettant nos conseils régionaux qui sont très investis dans les TER et qui sont dépourvus de véritables ressources affectées.

Pour conclure, les amendements du rapporteur conviennent parfaitement à notre groupe, en particulier celui sur la réflexion à élaborer sur un modèle financier plus consistant.

M. Jean-François Longeot, président. - Monsieur le rapporteur, je vous propose de présenter vos amendements.

M. Philippe Tabarot, rapporteur pour avis. - L'amendement n°  II-690 a pour objet d'augmenter la subvention pour charges de service public de l'Autorité de régulation des transports (ART), pour la porter de 15 millions d'euros à 16 millions d'euros, en 2024. Le PLF 2024 prévoit certes déjà une augmentation mais qui reste très faible, compte tenu des besoins résultant de l'extension, ces dernières années, du champ d'action de l'ART. Nous aurons certainement l'occasion de l'évoquer, la semaine prochaine, lors l'audition du candidat proposé à la présidence de l'ART. Cet amendement vise donc à garantir l'indépendance de l'ART en cas de contentieux. À cette fin, l'ART ne doit pas indéfiniment puiser dans son fonds de roulement. Cette autorité fonctionne bien, et est indépendante. Donnons-lui les moyens de garantir cette indépendance.

L'amendement n°  II-690 est adopté.

M. Philippe Tabarot, rapporteur pour avis. - L'amendement n°  II-691 vise à allouer 100 millions d'euros à la modernisation du réseau ferroviaire. La modernisation est la grande absente de ce budget, comme des budgets précédents. La France est en retard en matière de déploiement de l'ERTMS (European Rail Traffic Management System) et de la commande centralisée du réseau (CCR). Elle est le mauvais élève de l'Union européenne. Il convient absolument de rattraper ce retard afin de faire circuler plus de trains demain.

L'amendement n°  II-691 est adopté.

M. Philippe Tabarot, rapporteur pour avis. - Nous avons déjà eu l'occasion d'aborder la situation et l'avenir du fret ferroviaire lors des différentes auditions de commission, avec notamment la question du plan de discontinuité de Fret SNCF. Dans ce contexte, il me paraît indispensable d'abonder à hauteur de 30 millions d'euros supplémentaires, le développement du fret ferroviaire et plus particulièrement un secteur qui en a besoin, celui du wagon isolé.

M. Philippe Tabarot, rapporteur pour avis. - L'amendement n°  II-689 vise à prévoir la remise d'un rapport du Gouvernement au Parlement d'ici le 30 juin 2024, sur les modalités de financement du Plan d'avenir pour les transports doté de 100 milliards d'euros d'ici 2040. Le plan de financement reste pour l'heure flou, ce qui est de nature à nous inquiéter, notamment quant à une éventuelle réutilisation des financements du transport ferroviaire dans d'autres plans, Serm, CPER ou autres. Nous aurions aimé obtenir ces informations autrement que par un rapport mais celui-ci paraît vraiment indispensable. En outre, nous avons choisi la date du 30 juin 2024, qui correspond à la date d'organisation de la conférence nationale de financement des Serm, prévue dans la proposition de loi relative aux Serm. Ces sujets étant particulièrement complémentaires, cette date permettra au Gouvernement d'ici là de travailler sereinement et de trouver des pistes de financement pertinentes.

La commission adopte l'amendement n°  II-689.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs aux transports ferroviaires, fluviaux et maritimes de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », sous réserve de l'adoption de ses amendements.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », sous réserve de l'adoption de ses amendements.

Proposition de loi relative à l'ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien de la RATP - Désignation des candidats pour faire partie de la commission mixte paritaire

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, il nous reste désormais à procéder à la désignation des candidats pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à l'ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien de la RATP.

Je vous rappelle que cette proposition de loi de notre collègue Vincent Capo-Canellas et plusieurs de ses collègues a été examinée par notre commission le 18 octobre dernier et que le texte de la commission a été adopté en séance publique le 23 octobre. Le Gouvernement ayant engagé la procédure accélérée et les travaux de l'Assemblée nationale ayant modifié le texte, une commission mixte paritaire sera chargée d'examiner les articles n'ayant pas fait l'objet d'un accord au terme de la première lecture. Celle-ci aura lieu mercredi 6 décembre à 19 heures, au Sénat.

J'ai reçu les candidatures suivantes : MM. Didier Mandelli, Franck Dhersin, Philippe Tabarot, Mme Marta de Cidrac, MM. Simon Uzenat, Olivier Jacquin et Mme Nadège Havet, pour les titulaires, MM. Louis-Jean de Nicolaÿ, Fabien Genet, Vincent Capo-Canellas, Hervé Gillé, Pierre Barros, Louis Vogel et Jacques Fernique, s'agissant des suppléants.

Il n'y a pas d'opposition ? Pas d'abstention ? Il en est ainsi décidé.

La commission soumet au Sénat la nomination de MM. Didier Mandelli, Franck Dhersin, Philippe Tabarot, Mme Marta de Cidrac, MM. Simon Uzenat, Olivier Jacquin et Mme Nadège Havet, comme membres titulaires, et de MM. Louis-Jean de Nicolaÿ, Fabien Genet, Vincent Capo-Canellas, Hervé Gillé, Pierre Barros, Louis Vogel et Jacques Fernique, comme membres suppléants de l'éventuelle commission mixte paritaire.

La réunion est close à 11 h 50.