- Mardi 21 novembre 2023
- Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Direction de l'action du Gouvernement » et budget annexe « Publications officielles et information administrative » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Outre-mer » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2024 - Audition de M. Philippe Vigier, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer
- Mercredi 22 novembre 2023
- Proposition de résolution tendant à modifier le Règlement du Sénat afin de compléter l'intitulé de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication - Désignation d'un rapporteur
- Proposition de loi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982 - Examen des amendements de séance
- Questions diverses
- Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Sécurités » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Immigration, asile et intégration » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Pouvoirs publics » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Conseil et contrôle de l'État » - Programmes « Conseil d'État et autres juridictions administratives » et « Cour des comptes et autres juridictions financières » - Examen du rapport pour avis
Mardi 21 novembre 2023
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -
La réunion est ouverte à 9 h 5.
Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Direction de l'action du Gouvernement » et budget annexe « Publications officielles et information administrative » - Examen du rapport pour avis
Mme Nathalie Delattre, rapporteure pour avis. - Succédant dans cet exercice à notre ancien collègue Jean-Yves Leconte, j'aborde cette mission avec un regard neuf, teinté d'une certaine perplexité.
La mission « Direction de l'action du Gouvernement » déconcerte, de prime abord, par son hétérogénéité. Son intitulé découle de la première phrase de l'article 21 de notre Constitution : « Le Premier ministre dirige l'action du Gouvernement. » Elle regroupe ainsi des entités disparates, comme des autorités administratives indépendantes (AAI) ou des secrétariats généraux, dont le seul point commun réside dans leur rattachement à la Première ministre.
Cette mission surprend ensuite par la progression constante de ses crédits, dans un contexte budgétaire pourtant contraint. Pour l'année 2024, ces crédits connaissent une augmentation notable de 4,2 % en autorisations d'engagement (AE) et de 9 % en crédits de paiement (CP). Le schéma d'emplois enregistre également une croissance significative, avec un gain de 168 équivalents temps plein (ETP).
Je m'étonne de l'absence de réelles mesures de maîtrise des dépenses au sein de cette mission, quand le budget annexe de la direction de l'information légale et administrative (Dila) fait preuve de rigueur, pour modérer ses dépenses et optimiser ses investissements. À l'échelle de la mission, les quelques mesures d'économie évoquées par les autorités semblent relever d'ajustements marginaux contraints par les arbitrages budgétaires, qui n'offrent pas de perspectives à long terme.
Ces lacunes dans le pilotage des dépenses sont d'autant plus incongrues que l'article 21 de la loi du 20 janvier 2017 portant statut général des AAI et des autorités publiques indépendantes (API) impose à ces autorités l'élaboration d'un schéma d'optimisation de leurs dépenses, devant figurer dans leurs rapports d'activité. À l'exception de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) et du Défenseur des droits, aucune autorité ne semble se conformer à cette obligation, qui s'inspire de celle qui est imposée aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre.
L'absence de programmation des dépenses est manifeste dans le domaine de l'immobilier. À cet égard, le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) m'a alertée sur la « course après les mètres carrés » qui y est menée et des inquiétudes qui règnent concernant la gestion du flux de nouveaux entrants. Le SGDSN a ainsi signé trois baux locatifs dans Paris, pour répondre à des besoins à court terme.
Par ailleurs, certaines autorités, telles que la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), l'Arcom ou le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), ont recours à des baux locatifs de plus en plus onéreux, qui représentent 40 % de leurs dépenses de fonctionnement et sont peu adaptés à leurs besoins.
Il convient également de souligner la concentration de ces autorités dans la région parisienne, qui paraît injustifiée pour certaines d'entre elles. À cet égard, la délocalisation à Rennes d'une partie des effectifs de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi), grâce à l'acquisition d'un local offrant 200 postes de travail, mérite d'être saluée.
En creux de ces réflexions sur le pilotage des dépenses, je m'interroge sur l'éparpillement des services de la Première ministre au gré des priorités politiques. Cette dispersion fait craindre deux risques budgétaires.
D'une part, elle expose à des risques de doublons et de redondances. Des interrogations subsistent ainsi quant à l'articulation entre la délégation interministérielle à l'encadrement supérieur de l'État (Diese) et la direction générale de la fonction publique, de même qu'entre le secrétariat général à la planification écologique (SGPE) et le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
D'autre part, cette dispersion nuit à une mutualisation efficace des moyens et des missions. À cet égard, il est opportun de rappeler les ambitions initiales du projet immobilier Ségur-Fontenoy, conçu en 2009 pour remédier à un problème qui persiste. Le projet visait à regrouper les secrétariats généraux et les services de la Première ministre dans un même bâtiment, afin de tirer parti des synergies et de créer un véritable « centre de gouvernement », à l'instar du Cabinet office britannique. Cette hypothèse a toutefois été abandonnée et les espaces du site ont été attribués à divers services, sans logique d'ensemble.
À ce jour, le secrétariat général du Gouvernement (SGG), qui est responsable de la mission budgétaire, reste dépourvu de capacités de pilotage et de supervision de l'ensemble des services de la Première ministre. Dans cette nébuleuse, des structures telles que le Haut-commissariat au plan et le Conseil national de la refondation (CNR) n'ont pas réussi à trouver leur place. J'appelle donc à favoriser une meilleure coordination de ces entités, paradoxalement dédiées à la coordination.
Ces constats étant établis et ces réserves faites sur l'organisation générale de la mission, j'en viens à l'analyse détaillée de l'évolution de ses crédits. Le caractère dispendieux de la mission trouve ses origines dans des causes structurelles et conjoncturelles, qui participent en grande partie de ses aspects régaliens.
En ce qui concerne les explications structurelles, la mission intègre de nombreuses jeunes administrations en pleine expansion, comme l'Opérateur des systèmes d'information interministériels classifiés (Osiic), créé en 2020, ou le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum), instauré en 2021. De surcroît, le programme intègre, pour l'année 2024, les crédits de l'Institut national du service public (INSP).
Du côté des causes conjoncturelles, malgré l'apparente hétérogénéité de la mission, deux axes majeurs d'allocation des crédits se distinguent, depuis plusieurs exercices.
D'abord, la mission reste fortement marquée par le contexte sécuritaire. Ainsi, plus de 43 % des crédits sont dédiés à la seule action n° 02 « Coordination de la sécurité et de la défense ». De plus, 48 % de l'évolution globale des crédits pour 2024 est attribuable à cette même action.
À l'approche des élections européennes et des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, l'Anssi et Viginum reçoivent un soutien accru, notamment en matière de ressources humaines, bénéficiant respectivement de 40 ETP supplémentaires et de 17 transferts d'emplois.
Comme le souligne le directeur général de l'Anssi, les menaces cybercriminelles émanent désormais moins d'individus isolés que d'organisations structurées. L'intrusion militaire russe en Ukraine a créé un environnement propice aux opérations de renseignement stratégique et aux manoeuvres de déstabilisation, tandis que les réseaux de criminalité organisée exploitent massivement les rançongiciels. La prise de conscience de cette évolution d'échelle en matière de cybersécurité, voire de ce changement de paradigme, a conduit à l'adoption de la nouvelle directive européenne Network and Information System Security (NIS), NIS 2, qui entrera en vigueur en France au deuxième trimestre 2024 et entraînera une multiplication par vingt du nombre d'entités contrôlées par l'Anssi.
Je souhaiterais attirer l'attention de la commission sur la vulnérabilité des collectivités territoriales, qui représentent 23 % des victimes d'attaques par rançongiciels. Avec le plan de relance, l'Anssi a financé et accompagné certaines d'entre elles. Face à l'urgence de la mise en place d'un programme de mise à niveau des systèmes d'information de l'ensemble des collectivités, évalué à plus de 100 millions d'euros, un plan quinquennal s'avère indispensable. Ce dernier dépasse les seules capacités de l'Anssi.
Une seconde ligne forte - bien que plus diffuse - de la mission budgétaire concerne le numérique, et ce à deux titres.
D'une part, la régulation des plateformes numériques devient un enjeu crucial avec l'entrée en vigueur du paquet législatif européen relatif aux services numériques. L'Arcom et la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) se voient ainsi attribuer 10 ETP supplémentaires chacune.
D'autre part, la coordination de la politique numérique de l'État est renforcée grâce à la mise en oeuvre, par la direction interministérielle du numérique (Dinum), d'une nouvelle feuille de route, assortie d'une augmentation notable de ses moyens. Cette réforme est salutaire, compte tenu du suivi peu contraignant exercé jusqu'à présent par la direction sur les grands projets numériques. Ainsi, ces projets ont connu des dérives importantes, les écarts budgétaires et calendaires moyens par rapport aux estimations initiales s'élevant à 17 % et 24 %. En outre, la Dinum a pour ambition de devenir une direction des ressources humaines de la filière numérique de l'État.
À cet égard, au cours de nos auditions, plusieurs représentants d'entités, parmi lesquelles la Cnil, le SGDSN et la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), m'ont fait part des difficultés de recrutement rencontrées pour réussir à pourvoir des postes d'informaticiens, qui nécessitent une grande expertise et touchent au coeur de leurs missions. Face à la forte concurrence du secteur privé, ces entités doivent augmenter leurs rémunérations et sont confrontées à un taux de rotation important de leurs agents. En outre, leurs exigences strictes en matière de sécurité excluent le recours au télétravail et nuisent à l'attractivité des postes offerts.
Dans sa contribution écrite, la Dinum semble avoir délibérément maintenu une certaine opacité concernant son recours à des prestataires extérieurs, alors qu'une deuxième campagne de consultation citoyenne vient d'être menée sur le sujet par la Cour des comptes. J'appelle à faire preuve d'une certaine vigilance en la matière.
Enfin, sans qu'il soit possible de distinguer une véritable ligne directrice, je note un effort fourni, dans le cadre de l'exercice 2024, pour renforcer les crédits alloués aux autorités de protection des droits et libertés, afin de tenir compte de l'augmentation du nombre de saisines dont elles font l'objet et de l'extension de leurs missions. À titre d'exemple, le Défenseur des droits bénéficie de 10 ETP supplémentaires. Les amendements retenus à l'Assemblée nationale, dans le cadre de l'application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, vont également dans ce sens. Ils renforcent les effectifs de la HATVP, ainsi que les crédits de la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah), afin qu'elle puisse soutenir financièrement le Mémorial de la Shoah et mener des enquêtes sur les discriminations à l'embauche.
Compte tenu des délais entre ma désignation et la présentation de ce rapport, je n'ai pu mener qu'un nombre restreint d'auditions. J'entamerai la visite de l'ensemble des AAI dès le début de l'année 2024, pour préparer le rapport de l'an prochain. J'envisage notamment de développer une expertise plus poussée sur le volet immobilier.
Dans cette attente, malgré la faiblesse des actions de programmation des dépenses présentées, les mesures nouvelles et les principales lignes directrices de la mission semblent pertinentes. En conséquence, je propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission et du budget annexe « Publications officielles et information administrative ».
Mme Audrey Linkenheld. - Il faut reconnaître l'absence de lien entre les programmes « Coordination du travail gouvernemental » et « Protection des droits et libertés ». Par ailleurs, dans la période difficile de bouclage budgétaire que nous connaissons, une telle hausse des crédits est significative. Si je ne partage pas vos réserves sur le caractère dispendieux de la mission ni vos recommandations relatives aux économies, je constate que ce budget connaît une hausse alors que d'autres crédits tout aussi importants n'ont pas pu augmenter, peut-être parce qu'ils ne sont pas directement rattachés à Matignon.
J'en viens aux questions immobilières. Je note que nous évoquons toujours la société de valorisation foncière et immobilière (Sovafim), qui semble pourtant avoir été remplacée par l'Agence de gestion de l'immobilier de l'État (Agile). Je m'étonne que les bâtiments du projet Ségur-Fontenoy aient été confiés à la Sovafim qui, comme son nom l'indique, vise à valoriser le foncier et donc, de façon générale, à le céder. Or tel n'est pas l'objectif dans le cas de ces bâtiments, pour lesquels 30 millions d'euros de loyer sont dus à la Sovafim. Il s'agit d'une somme importante, notamment au regard des débats sur les dépenses de fonctionnement courant. Je participerai volontiers à la réflexion que vous mènerez sur le sujet l'an prochain.
Par ailleurs, je partage vos propos sur certaines nébuleuses et m'interroge toujours sur les activités du Haut-Commissariat au plan, comme sur l'utilité du CNR.
Je m'interroge également sur la signification politique de l'écart entre l'augmentation de 14 % des crédits alloués au travail gouvernemental et celle de 6 % des crédits dédiés à la protection des droits et libertés. Parmi les AAI, je m'étonne de la réduction des crédits alloués à la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH). Cette diminution est difficile à comprendre puisqu'il s'agirait d'une baisse des dépenses de personnel alors qu'un recrutement supplémentaire est prévu dans le même temps. Le symbole est en tout cas malvenu, compte tenu de la situation des droits de l'homme.
Nous nous félicitons de la hausse du nombre d'emplois, notamment dans les domaines de la sécurité et du numérique, qui représentent des enjeux importants. Cependant, si nous accueillons favorablement l'augmentation de 40 ETP pour l'Anssi, nous la relativisons en la comparant à la création de 80 ETP pour les cabinets ministériels.
Par ailleurs, la question de notre capacité réelle à pourvoir ces postes se pose. Cette question est liée à celle de la formation dans ces domaines. Nous courons le risque de ne pas recruter au bon niveau.
Nous nous réjouissons de l'internalisation de certaines fonctions, notamment liées à l'évaluation, avec la création de 8 ETP pour la Diese. Peut-être faut-il y voir la fin bienvenue du recours aux cabinets de conseil.
Enfin, sans nuire au secret-défense, quelques précisions auraient pu être données concernant les fonds spéciaux, qui ne font l'objet que d'une ligne budgétaire.
Si nous accueillons certaines des bonnes nouvelles mentionnées, nous nous abstiendrons sur le vote des crédits.
M. Olivier Bitz. - L'augmentation des crédits du programme lié au travail gouvernemental doit faire l'objet d'une certaine vigilance. En effet, nous assistons à un démembrement de l'action de l'État. En ajoutant à cette mission des crédits qui ne figurent pas dans les budgets des différents ministères, les politiques menées deviennent peu lisible. Il s'agit d'une atteinte au principe de spécialité des crédits, à laquelle il faut veiller.
M. François Bonhomme. - Je vous prie d'excuser par avance le caractère ironique de ma remarque : le budget du Défenseur des droits augmente-t-il compte tenu de sa productivité en matière de rapports ?
Mme Audrey Linkenheld. - Nous nous félicitons que la Défenseure des droits bénéficie de 10 ETP supplémentaires. J'ajouterai que la CNCDH est très souvent citée par les travaux parlementaires. Nous ne partageons pas les critiques sur la Commission ni sur la Défenseure des droits, dont le travail est très utile.
Mme Nathalie Delattre, rapporteure pour avis. - En effet, 10 ETP supplémentaires sont alloués au Défenseur des droits, dont les saisines connaissent une augmentation.
Je rendrai l'an prochain un avis plus approfondi, ainsi que des recommandations, sur la gestion immobilière de la mission, notamment sur les baux locatifs qui sont très coûteux, bien que les services de support n'aient pas nécessairement besoin d'être situés à Paris. Cette question constitue un axe de progression.
Le recrutement représente aussi une problématique importante. Faut-il une école spécifique pour constituer un vivier de recrutement pour les services de l'État ? Il est difficile d'entendre les représentants d'une AAI se réjouir du taux de rotation du personnel, parce qu'il permet de réguler la masse salariale, plus encore lorsqu'il s'agit d'une mission de cybersécurité. Les moyens alloués sont pourtant trop faibles pour encourager une politique incitative. Enfin, l'absence de recours au télétravail complique le recrutement. Une réflexion doit être menée.
M. François-Noël Buffet, président. - S'agissant des fonds spéciaux, la ligne est globale et aucune information supplémentaire n'est donnée, compte tenu de leur nature. En revanche, je tiens à souligner que, au sein de la délégation parlementaire au renseignement, les membres de la commission de vérification des fonds spéciaux contrôlent la manière dont ils sont utilisés.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » et du budget annexe « Publications officielles et information administrative ».
Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Outre-mer » - Examen du rapport pour avis
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur pour avis. - Dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2024, il me revient de vous présenter les crédits de la mission « Outre-mer » ainsi que les articles qui y sont rattachés, dont notre commission s'est saisie pour avis.
Le budget de l'État pour l'année 2024 s'inscrit à nouveau dans un contexte marqué par l'inflation, qui devrait s'établir à 4,5 % en 2023 dans les outre-mer et demeurer à un niveau élevé en 2024.
Face à la forte hausse des prix, déjà structurellement bien plus élevés dans les outre-mer qu'en métropole, le Gouvernement a adopté plusieurs mesures, dont je me félicite. À titre d'exemple, le bouclier qualité-prix a été élargi pour intégrer des produits de bricolage et des services de téléphonie.
En revanche, contrairement aux engagements pris l'an dernier par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, Christophe Béchu, certains dispositifs demeurent trop peu adaptés aux spécificités des outre-mer. C'est le cas du filet de sécurité ayant pour objectif de protéger les collectivités territoriales face à la hausse des prix de l'énergie, dont seules 19 collectivités ultramarines ont bénéficié depuis juillet 2022. J'appelle donc une nouvelle fois le Gouvernement à mieux prendre en compte les spécificités des territoires ultramarins pour garantir l'efficacité des dispositifs créés.
L'inflation persistante aggrave les inégalités existantes et donne lieu à une multiplication des tensions sociales. Face à cette situation, un comité interministériel des outre-mer (CIOM) s'est réuni en juillet dernier et a formulé 72 propositions visant à améliorer le quotidien des habitants ultramarins. Certaines de ces propositions ont déjà été reprises dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2024, qui prévoit notamment un élargissement et un renforcement de la politique de continuité territoriale, ce que je salue. Nous serons attentifs à la mise en place rapide des mesures proposées par le comité, qui sont indispensables.
Dans ce contexte caractérisé par une forte inflation et par des tensions sociales, l'effort financier global de l'État en faveur des outre-mer est en forte hausse et s'établit à 23 milliards d'euros en crédits de paiement, ce dont je ne peux que me réjouir, tant les enjeux auxquels nous devons faire face sont nombreux.
J'en viens désormais à la présentation des crédits de la mission « Outre-mer » qui, comme chaque année, ne représentent qu'une part minime de l'effort financier global de l'État en faveur des outre-mer.
Après engagement de la responsabilité du Gouvernement, les crédits de la mission s'établissent à 2,96 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 2,66 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), soit une hausse respective de 9 % et de 5 %, dont je me félicite.
Avant de détailler ces ouvertures de crédits, je souhaiterais m'attarder au préalable sur la question du pilotage budgétaire de la mission « Outre-mer », qui constitue un véritable point faible.
Plusieurs ajustements ont été mis en oeuvre ces dernières années pour améliorer la consommation des crédits de la mission. La Cour des comptes elle-même a noté qu'un effort de sincérisation budgétaire avait été effectué.
Malgré ces progrès, le pilotage budgétaire de la mission reste largement perfectible. La gestion de la mission reste marquée par une sous-consommation des crédits, notamment sur la ligne budgétaire unique (LBU). Face à l'ampleur des enjeux autour de l'habitat insalubre en outre-mer, il est inacceptable que tous les crédits votés ne soient pas consommés dans leur intégralité afin d'améliorer la situation. A contrario, j'ai constaté une importante surexécution des crédits concernant la compensation des exonérations de cotisations sociales dont bénéficient les entreprises ultramarines, liée aux méthodes de prévision utilisées par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), encore trop peu fiables. Enfin, le volume de restes à payer, très élevé, représente un risque avéré pour la soutenabilité de la mission budgétaire, comme l'a relevé la Cour des comptes.
J'appelle donc le Gouvernement à poursuivre l'amélioration de la consommation des crédits, à fiabiliser les prévisions de l'Acoss et à intensifier les efforts d'apurement des restes à payer.
Ces constats dressés, j'en viens aux trois priorités financées par les crédits de la mission « Outre-mer ».
La première concerne le logement. Les crédits qui lui consacrés connaissent une hausse sensible de 49 millions d'euros en AE et 10 millions d'euros en CP, principalement pour financer la construction de logements sociaux et la lutte contre l'habitat indigne. Il s'agit d'un enjeu capital pour les habitants ultramarins, puisque les logements insalubres et indignes représentent 18 % des logements en outre-mer, contre 1 % en France métropolitaine. Je ne peux donc que me réjouir de cette augmentation des crédits. Cependant, j'insiste sur la nécessité de poursuivre cet effort budgétaire dans la durée et d'accélérer les livraisons de logements neufs pour donner un logement décent à chaque habitant.
La deuxième priorité gouvernementale concerne le renforcement de la politique de continuité territoriale, dont les crédits augmentent de 23 millions d'euros en AE comme en CP. Ce renforcement passe par un élargissement des publics éligibles à l'aide à la continuité territoriale via une hausse du seuil de ressources exigé pour en bénéficier. Cet élargissement reprend une proposition de la délégation sénatoriale aux outre-mer, formulée dans un rapport d'information sur la continuité territoriale outre-mer publié en mars 2023. Il permettra de faire passer le taux de population éligible dans les départements et régions d'outre-mer de 62 % à 77 %.
La hausse des crédits dédiés à la continuité territoriale permettra par ailleurs de renforcer l'aide à la mobilité, en premier lieu pour les étudiants les moins aisés, qui pourront bénéficier de la prise en charge d'un aller-retour par an jusqu'à 28 ans et d'un aller-retour supplémentaire la première année. Cette aide sera aussi renforcée pour les talents du monde de la culture et du monde sportif ainsi que pour les situations d'urgence telle que la continuité funéraire.
Enfin, trois mesures nouvelles, prévues par l'article 55 du PLF et issues des recommandations du CIOM, seront financées par ces ouvertures de crédits.
Ces crédits permettront d'abord la création d'un passeport pour l'installation professionnelle en outre-mer, à destination des actifs métropolitains ayant un projet professionnel en lien avec les besoins des entreprises ultramarines ; ce dispositif facilitera également le retour des ultramarins partis suivre leurs études dans l'Hexagone.
Ensuite, un passeport pour la mobilité des salariés sera créé et facilitera la formation des actifs ultramarins en leur permettant d'aller suivre des formations dans d'autres territoires.
Enfin, un passeport pour la mobilité des entreprises innovantes sera également mis en place et fera bénéficier ces entreprises d'une aide financière pour les déplacements, afin que leurs salariés puissent participer à des salons ou à des réunions avec des investisseurs. Ce dispositif favorisera ainsi le développement de ces entreprises.
Je suis favorable à la création de ces dispositifs, qui répondent par ailleurs à une demande forte des habitants d'outre-mer.
Enfin, la troisième priorité concerne l'insertion professionnelle. Les crédits ouverts permettront de poursuivre le déploiement de plusieurs dispositifs en la matière.
Ainsi, l'expérimentation « SMA 2025 + », qui vise à améliorer le service militaire adapté (SMA) en l'élargissant aux parents isolés et mineurs décrocheurs ou en l'enrichissant avec des formations aux outils numériques, sera étendue à de nouveaux territoires. Je m'en félicite, car le SMA est un dispositif efficace avec un taux d'insertion des volontaires en fin de contrat supérieur à 80 % depuis 2017.
De même, le programme Cadres d'avenir, qui permet à des étudiants de bénéficier d'un accompagnement financier pour leurs études en contrepartie de leur retour dans leur territoire d'origine pour travailler pendant une période donnée, sera étendu en 2024 à la Martinique, la Guyane et Saint-Pierre-et-Miquelon.
En plus des trois priorités évoquées, les crédits de la mission « Outre-mer » permettront également de maintenir le soutien aux collectivités territoriales, à travers la signature de nouveaux contrats de convergence et de transformation pour la période 2024-2027, qui financeront, entre autres, les réseaux d'eau et d'assainissement et les transports. Les contrats de redressement outre-mer et le soutien au syndicat mixte de gestion et d'assainissement des eaux de Guadeloupe seront par ailleurs pérennisés.
Le budget pour 2024 pour l'outre-mer est donc un budget ambitieux, qui améliorera concrètement le quotidien de ses habitants. Nous devrons évidemment rester attentifs à la mise en oeuvre effective de ces mesures, et plus particulièrement au décaissement des crédits nécessaires.
Compte tenu de ces éléments positifs, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption de ces crédits.
M. Mathieu Darnaud. - Il n'y a rien à envier à bénéficier du filet de sécurité dont on a pu mesurer en métropole l'inefficience et qui fut au mieux un prêt relais pour certaines collectivités. Par ailleurs, je n'arrive toujours pas à comprendre pourquoi nous n'arrivons pas à mieux consommer les crédits de la mission. Il est anormal, compte tenu des besoins exprimés dans le domaine du logement notamment, que les efforts restent si insuffisants pour améliorer la consommation des crédits. On peut déplorer un manque d'agilité tant les dispositifs semblent pensés à l'aune des réalités métropolitaines et sont donc inadaptés aux besoins de l'outre-mer. Une réflexion sur ce sujet doit être menée.
Je rejoins notre rapporteur sur le SMA. Il est des réussites qu'il convient de souligner, voire de dupliquer, car il s'agit d'un véritable levier d'insertion professionnelle. Je félicite les personnes qui ont contribué au succès de ce programme sur lequel peuvent compter la plupart de nos territoires ultramarins.
M. Alain Marc. - Concernant la continuité territoriale, j'aimerais savoir combien d'étudiants sont concernés. Car s'il s'agit bien de 24 millions d'euros pour des billets d'avion, cela me semble peu.
Mme Lana Tetuanui. - Je devrais en principe demander à mes collègues centristes de s'abstenir sur les crédits alloués à l'outre-mer en raison de l'écart entre ce qui est annoncé depuis Paris et ce que nous observons malheureusement sur nos territoires en 2023. Mais par amitié pour l'éminent sénateur de Mayotte, nous serons favorables à l'adoption de ces crédits au stade de la commission, et nous en rediscuterons en séance publique.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur pour avis. - Je souhaite remercier Lana Tetuani pour son extrême indulgence. Sa réflexion sur la différence entre les annonces et la réalité rejoint celle de Mathieu Darnaud sur la sous-consommation des crédits. Il est intolérable en effet de voir à quel point certaines de nos populations souffrent et de constater le manque d'efforts pour mettre en oeuvre les mesures que nous votons.
Ce constat soulève la question de l'accès à l'ingénierie, sur laquelle l'État et les collectivités se renvoient la balle. Il y a eu des tentatives pour sortir de ce cercle vicieux. La création d'une entité ad hoc réunissant tous les acteurs concernés a notamment été évoquée, pour mener à bien ces réalisations. L'idée a été émise pour Mayotte dans un avant-projet de loi rejeté par le conseil départemental - mais un deuxième est en préparation -, notamment parce que cette entité était perçue par les élus locaux comme une instance de contrôle. Le sujet est important, et la délégation sénatoriale aux outre-mer pourrait contribuer à engager une réflexion sur cet outil qui permettrait de mieux consommer les crédits, sur demande des collectivités. Pour l'avoir dénoncée ici à plusieurs reprises, cette sous-consommation ainsi que l'écart entre les crédits que nous votons et la réalité demeurent, malgré des améliorations mineures chaque année.
Monsieur Marc, il s'agit d'une augmentation de 23 millions d'euros, la totalité des crédits atteignant 73 millions d'euros. Je ne peux malheureusement pas vous indiquer le nombre d'étudiants concernés, mais je vais me renseigner.
M. Alain Marc. - Tous les crédits sont consommés ?
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur pour avis. - On ne déplore aucun problème particulier concernant la continuité territoriale.
S'agissant du filet de sécurité, j'ai bien compris des propos de Mathieu Darnaud qu'on ne devait pas en attendre d'amélioration puisqu'il s'agit d'une usine à gaz... Mais en outre-mer, les besoins sur ces sujets sont plus criants que dans l'Hexagone, il est donc crucial d'améliorer ces dispositifs en profondeur.
M. François-Noël Buffet, président. - Lors du déplacement d'une délégation de la commission aux Antilles au printemps dernier, nous avons pu constater qu'il n'y avait pas de problème financier majeur, mais que la mise en oeuvre des mesures votées était catastrophique, avec des problèmes d'ingénierie et d'organisation. Il y a un enjeu majeur quant aux moyens auxquels ont accès les collectivités ultramarines pour exercer leurs prérogatives. Un tel travail pourrait être engagé sur ce point pour alimenter votre prochain rapport.
M. Mathieu Darnaud. - Je ne résiste pas à la tentation d'ajouter quelques précisions. Nos territoires ont la chance d'avoir des préfets, des sous-préfets et des hauts-commissaires à l'oeuvre au quotidien pour faire en sorte que ces crédits puissent être consommés. Mais il nous faut davantage d'agilité et de souplesse dans la consommation et le montage des projets, par exemple quand il s'agit de la réfection d'un établissement scolaire et qu'il faut aller au-delà de la règle de subventionnement classique de 80 %, ou encore quand il faut faire des montages avec l'Agence française de développement (AFD) ou recourir au Fonds Barnier alors que cela ne correspond pas nécessairement aux demandes de subvention. Certains risques majeurs n'existent que dans ces territoires, comme les lahars en Martinique. Les sous-préfets que nous avons rencontrés, à Saint-Laurent-du-Maroni par exemple, composent avec des situations très compliquées et ont une lecture qui permettrait d'atteindre cet objectif d'une meilleure consommation des crédits votés.
Mme Cécile Cukierman. - Je vous rejoins sur le besoin d'adaptabilité des réglementations et sur la nécessaire prise en compte de réalités différentes pour augmenter la consommation des crédits. Mais il faut aussi améliorer la capacité d'ingénierie et d'accompagnement à l'utilisation des fonds existants, ce qui soulève la question de la fonction publique. J'entends que l'État met en place des dispositifs temporaires d'accompagnement, mais ils n'ont pas vocation à être durables. Il me semble que la délégation aux outre-mer a lancé une réflexion sur l'utilisation des fonds européens et des aides régionales, mais il faut aller plus loin et travailler en cohérence : le problème n'est pas simplement « qui consomme quoi ? ». Voyons quels sont les freins et quelles réponses doivent être apportées. On pourrait aussi souhaiter moins de centralisation et une meilleure prise en compte de l'environnement local de ces territoires pour leur redonner du souffle.
Mme Lana Tetuanui. - Je souscris aux propos de mes collègues. Ce n'est pas faute d'avoir alerté, mais en vain. De plus, si l'on examine les crédits promis à l'outre-mer que trouve-t-on ? La continuité territoriale, le SMA, la dotation globale de fonctionnement (DGF) des communes. Mais - et c'est la vraie question que nous évoquions hier avec certains collègues de la délégation aux outre-mer - on a besoin de savoir quels sont les crédits prévus pour la justice, l'administration pénitentiaire, l'éducation. Non seulement le document présentant les crédits alloués aux outre-mer est peu clair, mais en outre, il faut aller s'adresser à une multitude d'acteurs différents. Je me suis même posé la question de l'utilité d'un ministère des outre-mer aujourd'hui. Car, si on veut parler d'éducation, il vaut mieux aller voir le ministre de l'éducation plutôt que de s'adresser au ministre des outre-mer, alors qu'il est censé être notre relais ici à Paris. Il en est de même pour la justice. Je n'hésite pas à le dire, si l'on veut faire des économies, et il semble que ce soit une préoccupation du Gouvernement, alors on peut peut-être s'en passer !
M. François-Noël Buffet, président. - Justement, cet après-midi, nous auditionnerons le ministre délégué chargé de l'outre-mer, Philippe Vigier. Nous lui poserons donc quelques questions.
Mme Lana Tetuanui. - Rassurez-vous, monsieur le président, j'espère pouvoir lui poser demain une question lors de la séance de questions d'actualité au Gouvernement (QAG), afin de soulever cette problématique.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer ».
La réunion, suspendue à 10 h 00, est reprise à 17 h 30.
Projet de loi de finances pour 2024 - Audition de M. Philippe Vigier, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer
M. François-Noël Buffet, président. - Monsieur le ministre délégué, vous allez porter seul la charge de présenter l'ensemble des budgets liés au ministère de l'intérieur. Je tenais à vous faire part de notre regret, qui ne vous vise pas personnellement, que le ministre de l'intérieur ne soit pas parmi nous aujourd'hui. Nous comprenons qu'il n'ait pas pu être présent, mais son absence nous interpelle, compte tenu de l'importance des budgets concernés et de la nature de certaines questions qui seront sans doute posées. Nous respectons néanmoins la mission qui est la vôtre.
Des questions importantes vous seront certainement posées concernant votre portefeuille, l'outre-mer ; pour le reste, vous ferez votre présentation au nom du Gouvernement.
J'indique que l'audition est retransmise sur le site internet du Sénat.
M. Philippe Vigier, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur chargé des outre-mer. - Je tiens tout d'abord à excuser l'absence de Gérald Darmanin, qui résulte d'une bonne raison : il est actuellement entendu à l'Assemblée nationale au sujet d'un texte sur lequel le Sénat a beaucoup travaillé, le projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration. En tant que ministre délégué à l'outre-mer, je suis rattaché au ministère de l'intérieur : c'est la raison pour laquelle il m'a demandé de le représenter devant vous. Connaissant votre exigence, je serai attentif à vous apporter tous les éléments de réponse souhaités.
Les missions « Immigration, asile et intégration » et « Administration générale et territoriale de l'État » sont très importantes, car jamais l'État et nos compatriotes n'ont eu autant besoin de sécurité. Il faut donc déployer les moyens nécessaires pour répondre à ce besoin. Bien entendu, il y a, d'un côté, les moyens budgétaires et, de l'autre, celles et ceux qui mettent en oeuvre quotidiennement cette action de protection des populations : ils ont pour mission essentielle, dans des conditions extrêmement difficiles, de faire régner l'ordre public.
La loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) du 24 janvier 2023 prévoyait 15 milliards d'euros supplémentaires sur cinq ans pour mieux protéger les Français, avec une exigence : faire en sorte que ce ne soit pas uniquement de l'affichage de crédits. L'ancien parlementaire que je suis sait que seule l'exécution compte. Malgré la revalorisation du point d'indice et l'inflation, cette somme sera bien dédiée à la protection de la population.
Nous avons quatre priorités : renforcer la présence des forces de sécurité intérieure (FSI) sur la voie publique, ce que l'on peut constater au quotidien ; lutter contre le terrorisme, qui est un combat de longue haleine qu'il nous faudra malheureusement poursuivre de longues années encore ; conforter l'administration territoriale ; et assurer le grand rendez-vous des Jeux Olympiques et Paralympiques, pour lequel la mobilisation intergouvernementale est totale.
Pour répondre aux multiples menaces, un effort de sécurité intérieure est mené partout sur le territoire. Ainsi, sur la voie publique, la présence de forces de sécurité a été doublée, notamment par la fin des gardes statiques, qui ont fait l'objet d'un long débat. Celles-ci n'étaient pas suffisamment efficaces, et ces personnels actifs ont donc été remplacés par des personnels administratifs, sur la demande réitérée des deux chambres. Gérald Darmanin a pris au sérieux cette demande. En 2023, 2 850 FSI ont été déployées, soit un total de 7 400 FSI supplémentaires en cinq ans. Je n'ai pas oublié qu'entre 2007 et 2012, le nombre de FSI a été réduit de 8 950. L'effort que déploie actuellement le Gouvernement est donc essentiel.
À cela s'ajoutent onze créations d'unités - sept pour la gendarmerie nationale et quatre pour la police nationale, soit 1 640 personnes supplémentaires, ainsi que le financement de 1 266 équivalents temps plein (ETP) pendant les deux premières années.
Ce renforcement de notre présence passe aussi par un affermissement de notre ancrage territorial. Ainsi, 239 brigades seront ainsi créées sur cinq ans, en concertation avec les élus. Le maillage n'oublie pas l'outre-mer - je le dis à l'attention de la présidente de la délégation sénatoriale aux outre-mer -, qui en accueillera 22. Ces brigades, fixes et mobiles, sont rapidement déployées ; les premières ont ainsi été lancées dès 2023 et l'année 2024 marquera une grande accélération. Les Français demandent à « voir du bleu », des uniformes, à bénéficier de cette protection quotidienne.
Par ces deux dimensions, nous répondons à leurs attentes.
Merci, monsieur le président, d'avoir évoqué l'outre-mer. Les efforts de sécurité y sont une exigence absolue. Depuis la prise de fonction du ministre de l'intérieur, l'outre-mer a fait l'objet d'un déploiement considérable de 1 400 policiers et gendarmes supplémentaires. Actuellement, 21 escadrons de gendarmes mobiles, soit 20 % des effectifs nationaux, sont déployés sur l'ensemble des territoires ultramarins. L'effort est donc considérable. En Guyane, l'opération Harpie mobilise de nombreux fonctionnaires.
La mission « Outre-mer » bénéficie de 180 millions d'euros supplémentaires, soit une hausse de 7 % des crédits - 4,4 % après prise en compte de l'inflation. Après l'engagement de la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale, ce sont 90 millions d'euros supplémentaires qui seront déployés, ce qui permettra de franchir le seuil des 3 milliards d'euros d'intervention pour les outre-mer. Tous périmètres ministériels confondus, ce sont près de 23 milliards d'euros qui sont alloués aux outre-mer. Les outre-mer sont passés de 2 à 3 milliards d'euros en cinq ans ; rares sont les périmètres ministériels à avoir connu une telle augmentation. Voilà qui illustre la volonté du ministère de l'intérieur et des outre-mer de faire cet effort particulier.
Évoquons la politique du logement en outre-mer : la ligne budgétaire unique (LBU) atteindra 292 millions d'euros. Je serai très honnête, car la remarque m'a été adressée à l'Assemblée nationale : cette somme marque un retour au niveau de 2013. L'année 2023 a été marquée par des sous-consommations, mais 50 millions d'euros supplémentaires sont prévus l'année prochaine. Hors quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), 20 millions d'euros supplémentaires seront ainsi alloués à la construction de logements sociaux. Les aides de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) passeront de 30 % à 50 %. Les aides porteront non seulement sur les logements neufs, mais aussi sur les logements anciens faisant l'objet d'une défiscalisation. Les sommes allouées aux contrats de convergence et de transformation augmenteront sur la période 2024-2027 de 400 millions d'euros, passant de 2,4 milliards à 2,8 milliards d'euros, tous ministères confondus. Notre effort est donc multiple.
Nous avions signé neuf contrats de redressement outre-mer (Corom) en 2021-2022 et douze en 2022-2023 : nous continuerons dans cette voie, car il existe toujours des attentes. Ce concept de coresponsabilisation est efficace.
L'année 2024 marquera aussi une augmentation sensible de l'aide à la continuité territoriale, qui passera de 70 millions à 93 millions d'euros. Les jeunes primo-étudiants, qu'ils soient boursiers ou non, pourront rentrer chez eux dès les prochaines vacances de Noël grâce à la prise en charge de leur billet d'avion. Par ailleurs, nous avons élargi les publics bénéficiaires de cette aide aux domaines culturel et sportif, aux demandeurs d'emploi et personnes en reconversion professionnelle.
Le fonds exceptionnel d'investissement (FEI) va également voir ses crédits augmenter. J'imagine que le Sénat déposera un certain nombre d'amendements pour renforcer le soutien aux communes, et le Gouvernement les acceptera bien volontiers. Le FEI, doté de 110 millions d'euros, a prouvé sa pertinence. Des amendements ont été acceptés à l'Assemblée nationale, et je serai favorable à ce que nous allions plus loin. Le soutien technique apporté aux communes passera, quant à lui, de 10 à 20 millions d'euros.
Revenons-en aux questions de sécurité et aux investissements annoncés. Plus de 4 800 véhicules légers ont été acquis pour la police et la gendarmerie en 2023 ; ils seront 3 600 en 2024, pour un coût total de 130 millions d'euros. Le plan « caméra-piéton » permettra d'installer 35 000 caméras d'ici à la fin de l'année 2024.
À la suite des annonces du Président de la République consécutives aux importants feux de forêt de l'année 2022, un amendement portant sur le renforcement des moyens dédiés à la sécurité civile a été déposé et adopté à l'Assemblée nationale le 30 octobre 2023. Pas moins de 140 millions d'euros seront inscrits au budget du programme 161, qui permettront l'installation d'une quatrième unité d'instruction et d'intervention de la sécurité civile (UIISC) à Libourne, la création de 163 ETP, l'allocation de 39 millions d'euros aux pactes capacitaires, de 32 millions d'euros pour les Canadair et de 23 millions d'euros pour la location de moyens aériens. Vous le constatez, en matière de sécurité civile, l'année 2024 marquera une forte inflexion. Il est nécessaire que nous soyons au rendez-vous, car des incendies se produisent fréquemment malgré les moyens de détection et d'anticipation. Nous devons être à la hauteur de ces enjeux.
Notre flotte d'hélicoptères sera renouvelée et complétée pour atteindre 40 appareils, en cours d'acquisition, pour un coût d'un peu moins de 500 millions d'euros. Nous avons pris conscience de la nécessité de renforcer notre flotte, notamment dans la lutte contre les incendies.
Pour mieux répondre à la cybercriminalité, 1 500 « cyberpatrouilleurs » ont été recrutés, soit une hausse de 50 %. En parallèle, le numéro numérique d'urgence « 17 cyber » a été mis en place. Des investissements d'ampleur sont prévus pour moderniser les services numériques accessibles aux citoyens. Après les succès de la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos) et du traitement harmonisé des enquêtes et signalements pour les e-escroqueries (Thésée), le portail dit « Ma Sécurité » permettra d'assurer « le dernier kilomètre d'application de la loi », car on s'aperçoit malheureusement qu'une loi n'est efficace que si elle atteint la personne concernée.
On a connu des années où les moyens d'intervention et de présence territoriale de l'État étaient malheureusement en baisse. Nous avons commencé à mettre fin à cette spirale. Avec la Lopmi, sont dégagées plusieurs priorités : le renforcement de nos capacités numériques et cyber, avec le réseau Radio du futur (RRF) adossé à l'Agence des communications mobiles opérationnelles de sécurité et de secours (Acmoss) ; le réarmement de l'État territorial grâce à la création de 350 emplois, dont 110 en 2024, pour continuer à soutenir les missions préfectorales les plus en tension, notamment celle de la gestion des titres de séjour des étrangers, la gestion de crise et l'accueil des usagers. Les actions de prévention de la délinquance et de la radicalisation, comme la vidéoprotection, seront également augmentées : 25 millions d'euros en 2024, contre 22 millions d'euros en 2023, soit un effort substantiel de plus de 10 %.
Huit millions d'euros seront alloués en 2024 à la création de sous-préfectures. Il fut un temps où l'on fermait les gendarmeries, les sous-préfectures ; on les rouvre aujourd'hui. Il y a quelques jours à peine, j'étais ravi d'assister en Guyane à la réouverture d'une sous-préfecture et à la prise de fonction d'une jeune sous-préfète ! Cette réouverture, sur un territoire aussi grand que le Portugal, est un signal fort envoyé par l'État. Certaines sous-préfectures seront par ailleurs labellisées maisons France Services. Ces dernières, dont le maillage géographique s'est considérablement renforcé depuis quelques années, sont très appréciées par nos concitoyens et rappellent la présence de l'État au plus près de chacun d'entre eux, notamment dans les territoires ruraux.
La Coupe du monde de rugby s'est très bien déroulée. Des opérations ont été conduites à la demande du ministre de l'intérieur : 4 800 opérations « zéro délinquance » ; 781 interpellations, 475 gardes à vue, des saisies de drones. En effet, les drones marquent l'émergence de nouveaux dangers, en ce qu'ils peuvent nuire aux dispositifs de sécurité. Les jeux Olympiques constituent un enjeu considérable de par leur durée de cinq semaines, le nombre de sites concernés, qui sont une trentaine, l'arrivée de 10 000 athlètes représentant 206 nations. Nous aurons sur nous les projecteurs du monde entier, c'est pourquoi nous devons faire de cette merveilleuse fête du sport un outil d'attractivité et de développement économique, mais le faire dans des conditions de sécurité absolues. Pour cette raison, pas moins de 35 000 personnels des forces de sécurité intérieures (FSI) seront déployées tout au long de l'évènement, pour un budget de 200 millions d'euros.
La mission « Immigration, asile, intégration » disposera en 2024 d'un budget en hausse de plus de 7 %, soit 2,2 milliards d'euros en crédits de paiement. Ce montant représente 10 % de l'ensemble des crédits du ministère de l'intérieur sur le périmètre de la Lopmi. Cette augmentation inclut les crédits découlant de cette dernière pour la période 2022-2027, soit 109 millions d'euros, y compris ceux du plan « CRA 3000 » (centres de rétention administrative). Il marque notre volonté de maîtriser les flux migratoires, de lutter contre l'immigration irrégulière, de garantir l'exercice du droit d'asile et de renforcer l'intégration des étrangers en situation régulière - les primo-arrivants. Ce débat s'inscrit pleinement dans le cadre de la Lopmi, avec une programmation budgétaire inédite : en cinq ans, les crédits affectés à cette mission, c'est-à-dire à la politique migratoire, auront progressé de façon inégalée.
Naturellement, pour être équilibrée, une politique migratoire doit être plus efficace, mais aussi plus humaine. Vous le savez parfaitement, puisque le texte du Gouvernement, et en particulier l'article 3, a sensiblement été modifié par le Sénat.
Enfin, évoquons le budget des collectivités territoriales, alors même que se tient actuellement à Paris le salon des maires. La dotation globale de fonctionnement (DGF) connaîtra une augmentation de 220 millions d'euros, soit un peu plus de 500 millions d'euros d'augmentation sur les deux dernières années. Je rappelle qu'entre 2012 et 2017, les dotations aux collectivités territoriales ont connu une baisse de 13,5 milliards d'euros. Il faut toujours effectuer ces comparaisons, qui permettent de mettre en évidence une volonté politique. La dotation de solidarité rurale (DSR) progresse, quant à elle, de 100 millions d'euros, la dotation de solidarité urbaine (DSU) de 90 millions d'euros et les dotations d'intercommunalité de 30 millions d'euros.
J'ai été maire pendant seize ans, je sais donc qu'il fut un temps où l'on attendait plusieurs mois la délivrance des titres sécurisés. Aujourd'hui, cette attente est comprise entre quinze et dix-huit jours. Cette volonté est difficile à mettre en oeuvre, car elle suppose d'avoir des moyens humains formés, des dispositifs qui fonctionnent, des créneaux horaires d'ouverture suffisamment larges. On a progressé, et il nous faut maintenir ce niveau de progression. C'est pour cette raison que 100 millions d'euros seront alloués aux titres sécurisés en 2024.
Ma collègue Dominique Faure est très attachée à la question des agressions contre les élus. Vous avez devant vous un ministre qui a été menacé de mort trois fois, je peux donc en parler légitimement. Un fonds de 5,5 millions d'euros est en cours d'ouverture et le plan national de prévention et de lutte contre la violence aux élus du 7 juillet 2023 permettra, enfin, de contrer avec efficacité les menaces toujours plus nombreuses que reçoivent les maires, lesquels sont pourtant les piliers de la République, en première ligne.
Je rappelle enfin que le budget des collectivités s'élève à 11,7 milliards d'euros, dont 7,1 milliards de TVA. Le soutien à l'investissement représente, quant à lui, 4,6 milliards d'euros, et comprend notamment le fonds vert, qui est désormais doté de 2,5 milliards d'euros. Voilà qui illustre un verdissement du budget. D'ailleurs, une partie des dotations habituelles, entre 20 % et 30 % selon les dotations, sera fléchée en direction de la transition écologique. Ainsi, au-delà des mots, nous serons dans la réalisation, dans la concrétisation de la transformation progressive de l'économie afin qu'elle réponde aux enjeux de la transition écologique.
Enfin, nous n'oublions pas les plus fragiles et souhaitons renforcer l'attractivité de tous les territoires. Une simplification des zonages au sein de France Ruralités Revitalisation (FRR) sera amorcée. Cette demande revenait souvent dans certains territoires, notamment celui dont je suis élu. Nous accentuerons également la déconcentration, qui permet de faire preuve d'une meilleure adaptation et d'être au plus proche de celles et ceux qui sont tous les jours en action. Les territoires nécessitant un accompagnement renforcé seront également pris en compte.
Je sais que Dominique Faure se fera un plaisir, au vu de son attachement pour les collectivités territoriales, de venir répondre à vos questions, vous qui êtes les représentants des élus dans les territoires.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur pour avis. - Merci, monsieur le ministre, pour vos explications.
Je souhaite vous soumettre deux séries de questions. La première concerne la sécurité à Mayotte, et la seconde porte sur les crédits outre-mer, sur lesquels la commission des lois a émis un avis favorable ce matin.
En ce qui concerne la sécurité, vous avez évoqué l'augmentation des escadrons de gendarmerie mobile, qui est réelle. J'en profite pour souligner le début de succès et l'espoir suscité à Mayotte par l'opération Wuambushu. La crise de l'eau a marqué une reprise des violences. Celles-ci sont perpétrées par des bandes de jeunes qui se donnent rendez-vous sur les réseaux sociaux pour commettre des saccages dans des villages et brûler des voitures et des habitations. Pour les Mahorais, cette situation est dure à vivre.
Vous êtes venu plusieurs fois à Mayotte pour constater les conditions de vie difficiles et douloureuses de la population. Ce qui peine les habitants de ces villages, c'est que la réponse à ces méfaits repose sur l'utilisation de gaz lacrymogène de manière indiscriminée. Or des personnes vulnérables ou âgées ainsi que des enfants vivent dans ces villages. Je n'avais pas prévu d'évoquer ce sujet aujourd'hui, mais je rebondis à votre propos sur l'augmentation des effectifs des forces de l'ordre. Cette dernière est louable, mais n'est-il pas nécessaire de changer la doctrine d'intervention ? L'utilisation du gaz lacrymogène ne peut pas être une réponse satisfaisante à cette recrudescence des violences. Chaque fois qu'un évènement de ce type se produit, et pas plus tard qu'avant-hier, les habitants appellent leurs élus le soir même pour se plaindre de l'utilisation de gaz lacrymogène, alors même que les voyous sont déjà partis au moment où le gaz est utilisé.
En ce qui concerne la mission « outre-mer », la hausse des crédits permettra de financer le renforcement de la lutte contre les habitats indignes, l'insertion professionnelle et la continuité territoriale.
Cependant, certaines interrogations demeurent.
En ce qui concerne d'abord la lutte contre l'habitat indigne, j'ai été alerté sur des problèmes de sous-consommation des crédits finançant la ligne budgétaire unique (LBU) : 150 000 logements seraient encore insalubres en outre-mer. Quelles mesures envisagez-vous de prendre afin de garantir le décaissement de la totalité des crédits dédiés à la résorption de l'habitat insalubre et l'accélération des livraisons de logements neufs ?
Par ailleurs, votre collègue, Christophe Béchu, s'était engagé l'an passé à prendre des mesures pour remédier au manque d'adaptation de certaines mesures aux spécificités des territoires ultramarins, et notamment du filet de sécurité visant à protéger les collectivités de la hausse des prix de l'énergie. Or, un an plus tard, force est de constater que les mesures annoncées n'ont pas été prises, puisque seules dix-neuf collectivités ultramarines ont bénéficié de ce dispositif depuis sa mise en place, pour un montant de 14 millions d'euros. Quelles dispositions prendre pour remédier à cette situation et enfin adapter les dispositifs nationaux aux spécificités des outre-mer ?
Mme Cécile Cukierman, rapporteure pour avis. - Monsieur le ministre, permettez-moi de commencer par déplorer l'absence du ministre de l'intérieur et des outre-mer et de la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Je sais que le Gouvernement est une équipe et que vous êtes donc capable de les représenter. J'estime cependant que, pour une audition qui vise à préparer le projet de loi de finances (PLF) pour 2024, et notamment les missions relatives à la sécurité, l'immigration, l'asile, les collectivités territoriales, l'administration générale et territoriale de l'État, les outre-mer, plusieurs voix auraient été pertinentes ou, du moins, nous auraient permis de rentrer dans les détails de ces questions.
En effet, le premier travail au sein d'une commission n'est pas simplement de faire du déclaratif, mais d'avancer ensemble. Je regrette donc ces absences. Sans doute la date n'est-elle pas idéale, mais il n'est pas nouveau que cette audition corresponde au mardi du Congrès des maires, et nous faisons en sorte d'y assister malgré tout.
Concernant la mission « Administration générale et territoriale de l'État », je souhaite tout d'abord saluer le renforcement des moyens humains que ce PLF entend dédier à l'administration territoriale de l'État (AGTE), après une décennie de coupes budgétaires draconiennes, ou d'augmentations en trompe-l'oeil. Vous avez rappelé les 232 postes créés, dont 110 pour renforcer les missions préfectorales en tension, qui sont nombreuses.
Cependant, il m'est malheureusement impossible de considérer que ce schéma d'emplois offre une réponse satisfaisante à la crise profonde que traverse l'État de proximité, lequel a vu ses effectifs fondre de 14 % entre 2010 et 2021. Le PLF pour 2024 ne prévoit en effet qu'une augmentation de 0,41 % des effectifs de l'administration territoriale de l'État, évolution dont nous ne pouvons pas nous satisfaire au regard du bilan de la décennie passée, d'une part, et des défis que l'État territorial doit relever, notamment à l'approche des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, d'autre part.
Parmi ces défis, le maintien d'une très forte demande de titres sécurisés fait craindre l'aggravation des dysfonctionnements constatés dans l'exercice de cette mission, bien que la situation ne soit plus aujourd'hui aussi dramatique qu'elle l'était en 2022. De manière un peu plus précise que vous ne l'avez fait dans votre propos introductif, pouvez-vous nous expliquer comment vous entendez réduire au maximum les délais de délivrance ? Ne craignez-vous pas une nouvelle mise sous tension de la chaîne de production du fait du déploiement de l'identité numérique régalienne qui nécessitera, pour en bénéficier, de disposer de la nouvelle version de la carte nationale d'identité ?
À ce sujet, il conviendrait également de dresser un premier bilan de l'expérimentation de la certification des comptes de l'identité numérique par les mairies, qui ne concerne aujourd'hui qu'une poignée de communes volontaires. Comment entendez-vous pouvoir la déployer ? La détention d'un compte certifié étant l'une des conditions pour pouvoir établir une procuration de manière totalement dématérialisée, êtes-vous en mesure d'évaluer le nombre d'électeurs qui pourront bénéficier de cette modalité de vote en vue des élections européennes de juin 2024 ?
Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis. - Monsieur le ministre, je souhaite aborder avec vous la question de la sécurité civile.
La commission des lois a examiné mercredi dernier les crédits du programme 161, relatif aux moyens nationaux de la sécurité civile. Nous avons émis un avis favorable à l'adoption des crédits du programme et avons salué l'effort budgétaire significatif qui a été effectué ces deux dernières années.
Vous vous en doutez, cependant, cet avis favorable n'est pas pour autant un chèque en blanc. De nombreuses interrogations demeurent sur plusieurs sujets. Nous avons ainsi adopté deux amendements de crédits. Ils concernent, d'une part, l'acquisition des deux hélicoptères lourds promis par le Président de la République lors de son discours du 28 octobre 2022 et, d'autre part, la consommation intégrale des autorisations d'engagement destinées aux pactes capacitaires que nous avons votées dans la précédente loi de finances et dont le calendrier est pour le moins opaque. Nous en débattrons la semaine prochaine.
Je souhaite vous interroger sur deux sujets très précis.
En premier lieu, j'aimerais que vous explicitiez la position du ministère de l'intérieur quant au dimensionnement du plan de renouvellement et d'extension de la flotte de Canadair qui nous a été annoncé l'année dernière. Vos services m'ont confirmé explicitement que le calendrier initial annoncé par le Président de la République, à savoir le renouvellement intégral de nos douze Canadair et l'achat de quatre Canadair supplémentaires d'ici la fin du quinquennat était irréalisable compte tenu des difficultés de mise en place d'une chaîne de production. Ils m'ont alors indiqué que, dans un scénario « optimiste », les quatre appareils permettant d'étendre la flotte à seize appareils pourraient être livrés en 2027 pour le premier et, pour le dernier, au cours de la première moitié de la décennie 2030. Ils sont en revanche restés très évasifs quant à la passation d'une commande, même tardive, des douze appareils permettant de renouveler notre flotte actuelle.
Vous comprendrez donc aisément ma vive préoccupation face à cette apparente inertie, alors que les délais de livraison se chiffrent presque en décennie. Ma question est donc la suivante : le plan de renouvellement - je parle bien du plan de renouvellement, et non pas du plan d'extension de la flotte - est-il toujours d'actualité ? Pouvez-vous vous engager à sa mise en oeuvre effective ?
Ma seconde question porte sur la méthode de construction du budget opérée par le ministère de l'intérieur. À deux reprises l'année dernière, le Gouvernement a déposé des amendements de crédits sur le programme 161, l'augmentant très significativement, de l'ordre de 40 %. De nouveau, cette année, un amendement gouvernemental représentant un tiers des autorisations d'engagement du programme, et qui ne précisait pas la ventilation détaillée des crédits, a été adopté en octobre à l'Assemblée nationale, afin de financer des mesures pourtant annoncées par le Président de la République en octobre 2022, c'est-à-dire il y a plus d'un an.
Une telle méthode de construction du budget, pour des mesures connues de longue date, est à mes yeux insatisfaisante au regard de l'impératif de sincérité budgétaire et du respect du débat parlementaire, d'autant que les sommes débloquées ne font l'objet d'aucune évaluation dans le projet annuel de performances qui est annexé au PLF.
Pouvez-vous donc vous engager à éviter autant que possible de recourir à ce procédé lors des prochaines années ?
Mme Nathalie Delattre. - Je souhaite poser deux questions en ma qualité de de rapporteure pour avis sur la mission budgétaire « direction de l'action du gouvernement », ainsi que deux questions au sujet de mon département de la Gironde.
J'aimerais vous entendre, monsieur le ministre délégué, sur la coordination des actions de cybersécurité du ministère de l'intérieur avec les services du Premier ministre, dont font notamment partie l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) et le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum). En 2024, celui-ci bénéficiera de dix transferts d'emplois en provenance de votre ministère. Si le service peut détecter des ingérences, il n'est pas chargé de la réponse répressive, et plus généralement des mesures de contre-influence ou de contre-ingérence. Le ministère de l'intérieur a par ailleurs affirmé que la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) demeure seule compétente pour attribuer les manipulations à des puissances étrangères. Ainsi, quels réseaux de coopération ont été mis en place afin d'articuler les actions de ces différents services ?
Il convient de souligner que les collectivités territoriales sont la cible de 23 % des attaques de rançongiciels. Un plan national de financement est-il envisagé pour répondre à la vulnérabilité de leurs systèmes d'information ? Le cas échéant, cette stratégie nationale d'envergure serait-elle portée par l''Anssi ou les services du ministère de l'intérieur. Le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) nous a parlé d'une enveloppe estimée à plusieurs centaines de millions d'euros. Quant aux moyens humains, Cécile Augueraud, cheffe de l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication (OCLCTIC), a souligné, dans un article paru dans la presse, que les enquêteurs les mieux formés en cybersécurité tendent à se diriger vers le secteur privé en raison d'une rémunération jusqu'à trois fois plus élevée. Ainsi, quelles sont les réflexions en cours pour recruter et fidéliser des experts dans le domaine ? Avez-vous envisagé des actions communes de formation et de recrutement avec l'Anssi, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) ou d'autres administrations concernées ?
Vous avez cité l'UIISC de Libourne. Pouvez-vous nous confirmer les crédits 2024 pour engager les travaux ?
Par ailleurs, vous avez évoqué le sujet des jeux Olympiques. Je souhaite parler de leurs dommages collatéraux sur nos territoires, en particulier concernant la surveillance par les CRS maîtres-nageurs sauveteurs (MNS) de nos plages. Il est impensable que nous n'ayons pas de renfort pendant la période estivale. Nous avons encore été confrontés à des décès dus aux baïnes dans l'Atlantique. Gérald Darmanin s'était engagé à réunir les maires en septembre dernier, mais d'autres priorités ont émergé. Pouvez-vous m'assurer que cette réunion se tiendra, afin de rassurer les maires sur cette question ?
M. François-Noël Buffet, président. - Ma question portera sur l'outre-mer, et en particulier sur l'aide à l'ingénierie locale. Vous avez dit, monsieur le ministre, que celle-ci serait augmentée de 10 à 20 millions d'euros. Cette hausse est louable, mais quelle sera la méthode adoptée pour garantir un déploiement effectif ?
M. Philippe Vigier, ministre délégué. - Monsieur Mohamed Soilihi, je vous remercie d'avoir souligné notre entière mobilisation dans le cent unième département français, qui est actuellement confronté à une crise hydrique sans précédent, caractérisée par 54 heures de tour d'eau, ce qui signifie que pendant 54 heures continues, les Mahorais et Mahoraises sont privés d'eau. L'eau est ensuite remise pendant 18 heures.
Depuis le 2 septembre, date de mon premier déplacement sur place, nous produisons 7 500 mètres cubes supplémentaires d'eau par jour, les besoins étant de 43 000 mètres cubes par jour. Le manque d'eau est lié au réchauffement climatique, qui vide les deux grandes réserves de Mayotte. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé, le 2 septembre, de distribuer des bouteilles d'eau aux 51 000 personnes les plus fragiles. Depuis hier, cette action est élargie à l'ensemble de la population.
Nous avons également déployé une campagne de forage inédite. Je rappelle que 6 millions d'euros avaient été provisionnés par l'État entre 2017 et 2022 mais qu'aucun forage n'a été conduit. Or, depuis le 2 septembre 2023, un forage est lancé. Par ailleurs, un appel d'offres pour une usine de désalinisation est en cours d'analyse. Nous devrions retrouver une situation normale, si la pluviométrie est à la hauteur, en février ou mars 2024. L'autonomie de la production d'eau sera, quant à elle, effective au plus tôt en mars 2025. La situation vous est décrite sans concessions, mais le Gouvernement finance tout. Au 31 décembre prochain, Mayotte aura bénéficié de la part de l'État de près de 97 millions d'euros en lieu et place des collectivités.
Bien entendu, cet investissement est visible, notamment sur le plan de la sécurité. Ainsi, la rentrée des classes s'est bien déroulée, notamment car une protection totale a été assurée. Telle était la volonté du ministre de l'intérieur, du ministre de l'éducation nationale et de moi-même, pour que nos enfants soient protégés lorsqu'ils se rendent à l'école, et ce d'autant qu'ils ne s'y rendent qu'une matinée sur deux en raison de problèmes d'infrastructures.
À l'hôpital de Mamoudzou, les forces de sécurité permettent au personnel soignant d'assurer sa mission. Certains évènements violents se sont produits et des cars transportant du personnel soignant ont par exemple été caillassés, conduisant les professionnels concernés à invoquer leur droit de retrait. Il me semblait naturel de rencontrer des délégations de ces salariés, ce que j'ai fait à plusieurs reprises. Le retour à la normale est progressif et nous mènerons l'opération Wuambushu lancée par Gérald Darmanin à son terme. Plus de 680 bidonvilles ont d'ores et déjà été rasés, mais c'est une oeuvre de longue haleine. Cette montée de l'insécurité sur place a motivé le déploiement de cinq escadrons de gendarmes mobiles, sur les 22 engagés à l'échelle du pays. Bien entendu, d'autres FSI ont aussi été déployées, soit un peu plus de 1 200 personnels.
J'ai bien pris en compte votre remarque, monsieur Mohamed Soilihi, concernant les gaz lacrymogènes. Je discuterai donc de la question de la doctrine d'intervention avec le ministre de l'intérieur et attirerai son attention sur vos propos. Puisque vous faites référence aux évènements graves qui se sont produits, je tiens à rappeler qu'une gendarme a été gravement blessée il y a quelques jours. Il ne faut pas laisser les forces de l'ordre se faire encercler, caillasser et tirer dessus impunément. Nous déployons donc les moyens nécessaires avec mesure, mais il est des moments où des solutions de désencerclement sont nécessaires, d'où le recours aux gaz que vous évoquiez.
Nous mettons donc les moyens humains nécessaires, mais nous comprenons bien qu'à la crise de l'eau s'agrègent d'autres crises. Je serai d'ailleurs à Mayotte la semaine prochaine pour avancer avec les élus, que je remercie de nous accompagner au quotidien, parce que leur tâche est difficile.
Monsieur le sénateur, vous m'avez également interrogé sur les questions liées au logement. Je rappelais dans mon propos introductif que, concernant les crédits de la LBU, nous étions revenus au niveau de 2013 et avions constaté des sous-consommations. Ces dernières s'expliquent par un déficit d'ingénierie, ce qui me permet de répondre en même temps à votre question, monsieur le président. Les causes des sous-consommations sont multiples : manque d'ingénierie, désordre foncier, manque d'opérateurs, même si l'opérateur public présent à Mayotte marche plutôt bien.
Des décisions ont été prises au-delà de l'augmentation budgétaire évoquée précédemment. La norme de régions ultrapériphériques (RUP) sera prochainement mise en place et remplacera la norme CE. Ce sera un élément de compétitivité très important. Par ailleurs, en Guyane, les opérations d'intérêt national (OIN) permettront de renforcer notre présence et l'extension du champ du fonds régional d'aménagement foncier et urbain (Frafu), indispensable pour l'aménagement urbain, nous fera gagner en efficacité.
On progresse, même si la crise du logement est aussi bien hexagonale qu'ultramarine. Un sénateur et un député vont se voir confier par le gouvernement une mission sur la question du logement dans les territoires ultramarins, car il est nécessaire que nous soyons capables d'appréhender la situation du logement dans ces territoires. Il est inconcevable de procéder à une refonte de ces niches fiscales sans en mesurer l'incidence. Il faut nous doter des outils les plus adaptés à la situation particulière que nous vivons.
Vous m'avez également interrogé sur le filet de sécurité pour les communes. Celui-ci a été mis en place en 2022 à hauteur de 14 millions d'euros, pour 19 communes bénéficiaires. Il est vrai que les communes bénéficiaires du dispositif Corom n'étaient pas éligibles, car le Sénat avait voté contre l'amendement déposé sur ce point. Je sais donc que quatre communes ont fait des avances et obtenu des acomptes. Nous analyserons comment trouver des solutions pour mieux les aider. Les Corom vont évoluer en 2024 : leur enveloppe budgétaire augmentera, car il s'agit d'un acte de coresponsabilité entre le Gouvernement, qui aide les communes en difficulté financière, et les communes, qui acceptent ce schéma. L'aide sera progressive sur trois ans, durée du Corom, et d'un montant intéressant de 2,1 millions d'euros.
Enfin, un travail sera accompli sur les normes. Un ancien sénateur, Éric Doligé, avait beaucoup travaillé sur cette question et rédigé un excellent rapport qui, malheureusement et comme nombre de rapports, est resté sans effet. On ne peut pas traiter les territoires ultramarins comme les territoires hexagonaux, et la Première ministre a pris des engagements en ce sens. Je rappelle d'ailleurs un élément nouveau : chaque loi donnera désormais lieu à une déclinaison ultramarine. C'est la raison pour laquelle un délai d'application a été accordé aux territoires ultramarins pour l'application du « zéro artificialisation nette » (ZAN). Sans cette tolérance, la situation est intenable pour ces territoires, qui sont isolés, privés des outils de production, dans une situation de forte dépendance économique, soumis à des importations toujours plus grandes et confrontés à des pénuries de matériaux. Nous essayons donc d'apporter des solutions au plus près des réalités du terrain.
Madame Cukierman, j'ai analysé la baisse des effectifs en prenant en compte que les acronymes et le périmètre des programmes de la mission « Administration générale et territoriale de l'État », ont parfois changé entre 2007 et 2012, puis entre 2012 et 2017. L'État était dépouillé quotidiennement. C'est pourquoi nous sommes actuellement en train de remettre des moyens. Entre 2012 et 2017, environ 2 500 ETP ont été supprimés dans les préfectures. Je parle des préfectures, mais regardez ce que sont devenues les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) ! Dans ma région, la plupart des services techniques sont rattachés à la DREAL Normandie, car nous manquons de moyens. C'est pourquoi nous sommes en train de renverser la tendance. Bien entendu, refaire le chemin inverse prendra un peu de temps. Nous dédions des moyens pour mettre fin à cette baisse des effectifs, et peut-être faudrait-il en dédier plus. Avec les 350 ETP programmés, nous allons avancer.
Nous sommes passés de plus de soixante jours à quinze jours pour obtenir un titre sécurisé. L'objectif fixé par la Première ministre était de vingt jours. Je sais que ce seuil n'est pas encore atteint dans certains endroits, mais sachez que nous allons suivre cette question attentivement. Cet objectif requiert d'ailleurs un engagement des communes. Quelques difficultés ont été rencontrées, notamment dans ma région, pour les mobiliser. Il faut donner du temps, former, trouver des locaux, adapter les horaires pour apporter le meilleur service public, et c'est la raison pour laquelle nous mobilisons 100 millions d'euros en 2024.
Vous évoquiez aussi le bilan de la certification des comptes pour les collectivités territoriales. Je crois que des progrès considérables ont été faits sur la qualité des comptes. Le bilan fait par le Gouvernement en 2023 l'a montré. Nous souhaiterions généraliser ces progrès, ce qui ne pourra être fait à marche forcée. Nous visons l'atteinte de cet objectif en 2026, ce qui laisse le temps aux collectivités territoriales de faire en sorte que leurs comptes soient certifiés, gage de transparence vis-à-vis des concitoyens. Le délai de 2026 permet de laisser le temps aux collectivités de s'adapter aux changements de nomenclatures, que je sais complexes pour avoir été confronté à la question en tant qu'élu local. Cette volonté politique de porter la certification des comptes est la nôtre et nous irons jusqu'au bout.
Madame Dumont, vous avez pu comprendre dans mon propos liminaire que j'ai été marqué dans ma vie d'élu local par des drames liés à des incendies. Votre question sur les Canadair était très précise, je vais donc vous répondre par des chiffres tout aussi précis. Vos chiffres sont exacts : deux Canadair supplémentaires en 2027-2028 et douze nouveaux Canadair après 2030. Que fait-on avant cela ? J'ai souligné le fait que des moyens étaient consacrés à la location de matériel. Nous allons ainsi louer chaque année dix hélicoptères bombardiers d'eau au cours de cette période intermédiaire. Entre les dates de commande et de livraison, le temps est incompressible. Oui, le renouvellement est lancé, mais nous sommes confrontés à un problème majeur : nous n'avons pratiquement plus de fabricants. Nous n'avons pas de consortium portant cette question, mais je puis vous assurer de l'engagement ferme du ministre en la matière.
Vous avez raison au sujet de l'amendement gouvernemental et j'ai bien entendu votre préconisation qui est de faire en sorte que les amendements ne soient pas déposés tardivement. Oui, les crédits pour Libourne sont inscrits pour 2024. La ventilation des 140 millions d'euros annoncés est la suivante : 45 millions d'euros pour la quatrième UIISC, 39 millions d'euros pour le pacte capacitaire et 32 millions d'euros pour les Canadair.
Madame Delattre, en matière de cybersécurité, la coopération entre services relève bien de Matignon. La formation de professionnels compétents sera accélérée. D'ailleurs, le ministre chargé de la transition numérique a mis en lumière des points de coordination pour une montée en puissance et en effectifs, car cette compétition est aussi liée à l'intelligence artificielle. La question de la cybersécurité est incontournable et doit être confortée ; les moyens sont sur la table pour ce faire. Il est toujours possible d'aller plus vite, mais 2024 permettra de franchir une étape importante.
En ma qualité de ministre chargé des outre-mer, je m'occupe des régiments du service militaire adapté (RSMA). Dans le cadre de la formation de huit mois suivie par ces jeunes, je proposerai la possibilité de valider le brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur (Bafa), ainsi que le brevet d'état d'éducateur sportif aux activités de la natation (Beesan) ou le brevet national de secourisme (BNS). Il faut profiter de ces formations complémentaires, notamment dans les territoires. Je serai très heureux que les jeunes des RSMA puissent avoir un diplôme d'animateur ou passer le permis de conduire. Le taux de réussite, au sein des RSMA, est de 87 % pour le permis de conduire ! Ce panel de formation sera un début de passeport pour la vie. En dépit des primes mises en place avec les collectivités, le déficit de personnes formées demeure considérable. Dans ma région, nous avons essayé de former 50 personnes au Beesan, en finançant l'intégralité de la formation, mais il est difficile de trouver des volontaires. Le Gouvernement doit donner une impulsion et les collectivités territoriales doivent davantages'engager sur ce sujet.
Pour vous répondre, monsieur le président, je ne tiens pas à être responsable d'un ministère où l'on met trois fois plus de temps qu'ailleurs pour lancer un projet ; je n'en veux à personne, je connais les difficultés en matière de soutien technique et d'ingénierie.
Dans le cadre du comité interministériel des outre-mer (Ciom), 72 mesures ont été annoncées, avec une enveloppe de 10 millions d'euros ; un premier bilan de ces mesures sera dressé dans les prochains jours.
Comment procédons-nous ? Nous passons par l'Agence française de développement (AFD), les recensements s'effectuent dans les territoires et, en fonction des besoins des communes, nous décidons d'intervenir. Nous allons nous orienter vers quelque chose de plus formel, à la main des préfets. Je souhaite que des équipes se projettent sur des durées de 6, 12 ou 18 mois. Nous allons également nous appuyer sur les structures ayant les compétences requises pour aider les élus des territoires ultramarins - l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), la direction générale des collectivités locales (DGCL), l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), etc. -, afin d'intervenir dans les meilleurs délais.
Une forme de découragement s'installe lorsque les délais sont trop longs. Dans certaines communes des territoires ultramarins, des projets attendent depuis dix ans de voir le jour. Pour remédier à cela, nous allons déployer des moyens considérables. D'ici à la fin du mois de janvier 2024, nous serons en mesure d'obtenir la projection demandée. Ensuite, je réunirai tous les préfets afin de voir comment assurer un déploiement efficace, et je rendrai également compte au Sénat.
Je souhaite présenter des solutions adaptées, en concertation avec le ministre de l'intérieur et Dominique Faure, afin d'accompagner la transition énergétique et l'évolution des constructions dans les meilleurs délais. Les situations sont, le plus souvent, très complexes. Se pose d'abord le problème du foncier ; en Guyane par exemple, en dépit de la loi Letchimy, nous sommes encore loin du compte concernant les disponibilités foncières. Un autre problème concerne les matériaux ; sur ce sujet, l'adoption d'une norme spécifique RUP devrait être un atout. Notre volonté est bien de consommer les crédits.
Concernant les fonds européens, alors que nous étions les derniers de la classe, nous avons effectué une remontée notable. Le taux de consommation de ces fonds dans les territoires ultramarins a beaucoup progressé. Je suis à l'écoute des préconisations du Parlement pour améliorer l'accompagnement de nos territoires ultramarins.
Vous m'avez interpellé sur la violence à l'égard des élus. Je vous renvoie au plan national du 7 juillet dernier. Nous avons également étendu le dispositif de protection juridique aux élus des communes de moins de 10 000 habitants. Enfin, des opérations de proximité sont conduites par la gendarmerie nationale, de manière à ce qu'aucune violence ne reste impunie. Récemment, j'ai animé une association des maires dans un département de ma région et, sur la demande de Gérald Darmanin, je leur ai demandé de relayer ce message de fermeté. Les consignes données aux gendarmeries et aux commissariats sont très claires, nous ne laisserons rien passer ; toucher à un élu, c'est toucher à la République.
Mme Cécile Cukierman, rapporteure pour avis. - Monsieur le ministre, ma question portait sur la certification des comptes de l'identité numérique dans quelques communes volontaires, et non sur la certification des comptes budgétaires des collectivités territoriales ; nous interpellerons les services pour obtenir des données plus précises.
Je souhaite revenir sur vos propos concernant les normes et le fonds vert. Depuis plusieurs années, nous déplorons une inflation des normes tout en cherchant à sécuriser l'initiative publique dans les territoires par la multiplication de règles et de procédures. Car, au-delà de la question des menaces et des agressions, les élus sont étouffés par la multiplication des normes, une camisole qui empêche toute action.
Concernant le fonds vert, lorsque nous avions auditionné Christophe Béchu il y a près d'un an, le déploiement du dispositif devait être d'une grande simplicité ; je note les efforts budgétaires pour cette année mais, si l'on s'en tient à la formalisation des dossiers, on ne peut pas parler de simplicité. Un même dossier peut être présenté pour la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), mais il en faut un différent pour le fonds vert...
On peut également s'interroger sur les demandes d'expertise de gains énergétiques concernant les bâtiments des années 1980 ; or, nous savons aujourd'hui que ces bâtiments sont des passoires énergétiques : les travaux qui seront faits amélioreront forcément la performance énergétique. Sans doute pouvons-nous simplifier les choses sur ce sujet.
Les préfets et sous-préfets ayant fait un service après-vente un peu trop alléchant, un certain nombre de communes ayant monté des dossiers ont eu des déconvenues en apprenant cet été qu'elles n'étaient pas éligibles. Le fonds vert peut aider au développement de nos territoires ; encore faut-il qu'il ne devienne pas une usine à gaz, loin de la réactivité et de la simplicité attendues.
M. Philippe Vigier, ministre délégué. - Lorsqu'on a été élu local, on a forcément été confronté au sujet des normes. La volonté de la Première ministre de ne pas traiter les territoires ultramarins comme ceux de l'Hexagone apporte un élément de réponse. Une mission sur ce sujet vient d'être confiée à Éric Woerth ; son expertise à la fois d'ancien président de la commission des finances, d'ancien ministre du budget et d'élu local le qualifie pour faire un rapport sans complaisance, susceptible d'éclairer le Gouvernement et de favoriser la compréhension de ces normes.
Concernant le fonds vert, je n'étais pas encore ministre lorsque j'ai fait le tour des communes, en tant que député, pour expliquer le fonctionnement du dispositif. Vous m'accorderez que beaucoup de souplesse a été donnée. En dépit des 2 milliards d'euros engagés - 2,5 milliards d'euros l'année prochaine -, certains ont pu arriver un peu trop tard, mais cela se passe souvent ainsi pour les appels à projets. Un élu local doit toujours avoir trois projets dans ses tiroirs... En outre, des instructions seront données afin établir une meilleure articulation entre tous ces outils : fonds vert, DETR et DSIL.
Dominique Faure est très attachée à la simplification administrative. Inutile d'écrire dix pages ; une note de présentation et un budget consolidé doivent suffire. Il y va de la crédibilité de l'action publique. À un moment, sans doute que trop d'appels à manifestation d'intérêt (AMI) ont nui à l'efficacité locale ; le Gouvernement a décidé de simplifier les choses.
Au sujet de la certification des comptes, il est bon que l'on parvienne, sur la base du volontariat, à cette qualité. C'est aussi une question de confiance vis-à-vis de nos concitoyens, toujours plus demandeurs. Avec les moyens numériques à leur disposition, nos concitoyens ont la possibilité de tout consulter. Le fait de rendre des comptes est un gage de démocratie, et je tiens beaucoup à cette démocratie.
M. François-Noël Buffet, président. - Concernant le statut des élus locaux, Dominique Faure avait annoncé un texte : à quelle date sera-t-il déposé, sachant que nous avons voté une proposition de loi portant sur la protection des maires au mois d'octobre 2023 ? Si nous avons bien compris, le texte du Sénat sera examiné à l'Assemblée nationale en janvier prochain...
M. Philippe Vigier, ministre délégué. - Les travaux de la Convention nationale de la démocratie locale (CNDL) se sont tenus le 7 novembre dernier, et le texte devrait arriver lors du premier semestre 2024.
Le Parlement est libre de l'organisation de ses travaux, et il arrive parfois, comme aujourd'hui, que les auditions du Sénat et de l'Assemblée nationale soient concomitantes...
M. François-Noël Buffet, président. - Pour être tout à fait transparent, je vous indique que le ministre de l'intérieur nous avait récemment informés de son indisponibilité, en raison de son audition à l'Assemblée nationale.
Je vous remercie, monsieur le ministre.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 50.
Mercredi 22 novembre 2023
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Proposition de résolution tendant à modifier le Règlement du Sénat afin de compléter l'intitulé de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication - Désignation d'un rapporteur
La commission désigne M. François-Noël Buffet rapporteur sur la proposition de résolution tendant à modifier le Règlement du Sénat afin de compléter l'intitulé de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.
Proposition de loi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982 - Examen des amendements de séance
M. François-Noël Buffet, président. - Nous examinons maintenant les deux amendements présentés par notre rapporteur sur la proposition de loi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR
M. Francis Szpiner, rapporteur. - L'amendement n° 1 vise à remplacer la proposition de loi initiale par un article unique. Dans cet article, la République française reconnaît sa responsabilité du fait de l'application de dispositions pénales ayant constitué une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle, à compter du 8 février 1945. La République reconnaît que ces dispositions ont été source de souffrances et de traumatismes pour les personnes condamnées, de manière discriminatoire, sur leur fondement.
L'amendement n° 2 prévoit de remplacer la date de 1942 par celle de 1945 dans l'intitulé du texte. La proposition initiale mentionnait la loi de Vichy de 1942 ; j'ai estimé que la République française n'avait pas à s'excuser des agissements du régime de Vichy. La loi de 1945 reprenant celle de 1942, seule la loi de 1945 est donc visée.
Mme Audrey Linkenheld. - Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s'oppose aux deux amendements. Le premier amendement retire de cette proposition de loi la référence à la période du régime de Vichy ; et le second amendement raccourcit également la période concernée. Nous avons bien compris que le rapporteur était très attaché à l'idée de ne pas mêler le régime de Vichy et la République dans le même texte. Il n'en demeure pas moins que cette loi de 1942 n'appartient pas seulement au régime de Vichy ; elle a été inspirée par la IIIe République, et l'ordonnance de 1945 reprend cette loi en la modifiant ; il semble donc logique que la proposition de loi porte sur la période allant de 1942 à 1982.
M. Hussein Bourgi. - Je remercie le rapporteur pour la nouvelle rédaction qu'il propose. En revanche, nous avons une différence d'appréciation concernant la durée. Vous souhaitez établir la date de 1945 comme point de départ. Si je comprends cette césure d'un point de vue politique, elle n'a aucun sens juridique. Je vous renvoie à ces mots du général de Gaulle le jour de la libération de Paris ; alors qu'il est sommé par Georges Bidault de proclamer la République, il répond que la République n'a jamais cessé d'exister. Je vous renvoie également au discours de Jacques Chirac, le 16 juillet 1995, lors de la commémoration de la rafle du Vél d'Hiv, évoquant les faits produits en 1942.
La question substantielle est la suivante : pourquoi, après la Libération, les pouvoirs publics n'ont-ils pas abrogé cette loi comme ils ont abrogées toutes celles héritées du régime de Vichy ? Ils ont repris cette loi à leur compte ; et pire que cela encore, François de Menthon, alors ministre de la justice, a revendiqué une filiation directe avec ce qui existait en 1942.
M. Francis Szpiner, rapporteur. - Encore une fois, la République n'a pas à s'excuser des agissements du régime de Vichy ; elle n'a rien à voir avec cela.
L'amendement n° 1 est adopté.
Intitulé de la proposition de loi
L'amendement n° 2 est adopté.
Les sorts des amendements du rapporteur examinés par la commission sont retracés dans le tableau suivant :
Questions diverses
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Monsieur le président, nous vous avons saisi, la semaine dernière, d'une demande d'audition du ministre de l'intérieur à la suite des révélations sur l'utilisation présumée de la reconnaissance faciale par les services de sécurité. Nous recevons à l'instant votre courrier adressé au ministre ; pouvez-vous nous en dire davantage ?
M. François-Noël Buffet, président. - J'ai effectivement pris l'initiative d'adresser un courrier au ministre. Nous attendons sa réponse, et je ne doute pas qu'il vienne s'expliquer rapidement.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Notre commission a beaucoup travaillé sur ces sujets. En termes de contrôle et de connaissance de l'information, la situation est assez préoccupante.
Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Sécurités » - Examen du rapport pour avis
M. François-Noël Buffet, président, rapporteur pour avis de la mission « Sécurités », en remplacement de M. Henri Leroy, rapporteur pour avis. - Nous examinons maintenant le rapport pour avis de la mission « Sécurités » du projet de loi de finances (PLF) pour 2024. Henri Leroy, qui a mené toutes les auditions, ne pouvant pas être parmi nous ce matin pour des raisons de santé, il me revient de vous présenter son rapport.
Avant de débuter l'analyse détaillée de ce budget, je déplore que les auditions sur les missions du ministère de l'intérieur se soient déroulées en présence du seul ministre délégué chargé des outre-mer, Philippe Vigier ; le ministre de l'intérieur ne pouvait être présent car, au même moment, il était entendu à l'Assemblée nationale, et la ministre déléguée aux collectivités territoriales, Mme Dominique Faure, a quant à elle prévenu de son absence au dernier moment. Concernant des budgets aussi importants, cela est pour le moins regrettable.
L'examen des crédits de la mission « Sécurités » pour 2024, soit au total 24,2 milliards d'euros, intervient quelques mois après que la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) a fixé la trajectoire du budget du ministère de l'intérieur et des outre-mer pour les années 2023 à 2027.
L'année 2024 constitue le deuxième exercice de mise en oeuvre de cette loi de programmation. Pour mémoire, celle-ci porte des ambitions programmatiques fortes pour le budget du ministère de l'intérieur. Par rapport aux crédits affectés en 2022, 15 milliards d'euros supplémentaires seront budgétés sur cinq ans.
Ces crédits doivent servir à financer trois priorités, sur lesquelles je ne reviendrai pas en détail car elles ont été largement explicitées lors de la discussion de la Lopmi : il s'agit de la proximité entre les forces de sécurité intérieure et la population, de la lutte contre la délinquance, et de l'amélioration des conditions de vie des policiers et des gendarmes.
S'inscrivant dans une trajectoire haussière continue et constante depuis 2017, les crédits de la mission « Sécurités » pour 2024 augmentent de 1,16 milliard d'euros en autorisations d'engagement (AE) et d'un peu plus de 1 milliard d'euros en crédits de paiement (CP), ce qui représente une progression de l'ordre de 5 % de la dotation en CP pour chacune des forces.
Concernant la police nationale, les crédits sont en hausse de 660 millions d'euros en AE et de 560 millions d'euros en CP, soit une augmentation respective de 5,2 % et 4,5 % ; le budget s'établit à près de 13 milliards d'euros. Pour la gendarmerie nationale, les crédits alloués augmentent également de 500 millions d'euros en AE et de 483 millions d'euros en CP, soit une hausse d'environ 5 % ; le budget s'établit à un peu plus de 10 milliards d'euros.
Il nous revient d'analyser la compatibilité de ces crédits avec la programmation budgétaire fixée dans la Lopmi ; le rapporteur pour avis salue le fait que, dans ce PLF pour 2024, la trajectoire de la Lopmi soit respectée. Le niveau des crédits prévus pour chacune des deux forces est même dépassé - de 140 millions d'euros pour la police et de 50 millions d'euros pour la gendarmerie.
Les budgets de la police et de la gendarmerie pourraient donc, à première vue, mériter un satisfecit. Néanmoins, l'analyse plus détaillée de ces budgets fait apparaître deux difficultés : d'une part, on constate un certain déséquilibre entre les deux forces ; d'autre part, ce budget s'inscrit dans un contexte sécuritaire et budgétaire inédit, faisant craindre de fortes tensions en fin de gestion.
En effet, 2024 représente une année particulière pour les forces de sécurité intérieure, avec d'importants défis organisationnels et sécuritaires à relever, notamment en raison de l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) à Paris et sur 37 autres sites.
Par ailleurs, le projet de Lopmi a été élaboré avant la survenue du contexte inflationniste ; cela n'a pas entraîné une revalorisation des budgets décidés pour les missions portées par le ministère de l'intérieur. Les deux directions générales, de la police nationale et de la gendarmerie nationale, ont fait état, lors de leurs auditions, de plusieurs difficultés imputables à l'inflation. Ainsi, le renchérissement du coût des carburants et des équipements ou matériels, et le coût de l'augmentation générale de 5 points d'indice conduisent à relativiser la hausse en euros courants des crédits de la mission.
Il est aujourd'hui difficile, voire impossible, d'estimer précisément le coût de sécurisation des jeux Olympiques. Dès lors, nous ne sommes pas en mesure d'apprécier l'adéquation entre les crédits demandés en 2024 et les besoins résultant de la nécessaire sécurisation de ces jeux.
Il convient également d'être vigilant sur le caractère difficilement pilotable de telles dépenses. Pour l'heure, il est impossible de prévoir le déroulé de certains événements comme la cérémonie d'ouverture, ou encore l'ampleur des moyens devant être mis à disposition de l'État pour pallier d'éventuelles carences des autres acteurs du continuum de sécurité, toutes les procédures d'allotissement des marchés de sécurité privée n'étant pas terminées. Tout cela fait craindre des tensions sur les crédits alloués pour 2024.
Concernant les dépenses de personnels, le PLF pour 2024 prévoit une augmentation des crédits de masse salariale de 3,4 % dans la police nationale et de 6,6 % dans la gendarmerie nationale. En cumulant ces deux programmes, la hausse des dépenses de personnels s'élève à 4,8 %. Cette augmentation s'explique par le renforcement des effectifs, mais aussi et surtout par la mise en oeuvre d'importantes mesures catégorielles.
Le PLF prévoit la création de 1 139 emplois dans la police nationale et de 1 045 emplois dans la gendarmerie nationale. Ces créations permettront un renforcement du maillage territorial, avec la création sur cinq ans de 239 nouvelles brigades de gendarmerie, ainsi qu'une amélioration des capacités d'intervention et de maintien de l'ordre en vue des jeux Olympiques. Sur les onze nouvelles unités de force mobile (UFM) annoncées, une UFM et cinq escadrons de gendarmerie mobile (EGM) doivent encore être créés en 2024, avant le mois de mai pour être pleinement mobilisables pour les jeux Olympiques.
En parallèle, le PLF prévoit d'augmenter les crédits alloués aux réserves opérationnelles de la police et de la gendarmerie. Cette hausse est la traduction concrète de la montée en puissance de ces réserves ; celle-ci s'avérait nécessaire dans l'optique des jeux Olympiques, durant lesquels elles seront amenées à jouer un rôle important.
L'augmentation des dépenses de personnels dans ce PLF s'explique également par le coût lié à la revalorisation du point d'indice de la fonction publique décidée en juin 2023 et à la revalorisation des grilles B et C, ainsi que par le financement d'importantes mesures catégorielles.
Ces dépenses, attendues par les personnels, permettront une modernisation de la gestion des ressources humaines et une revalorisation de certaines primes. Elles soulèvent toutefois des difficultés liées à un coût annuel élevé et, du fait qu'elles sont difficiles à anticiper, à une mauvaise maîtrise.
Concernant les dépenses, hors titre 2, de fonctionnement et d'investissement, les crédits apparaissent, à première vue, dynamiques en cumulé, s'établissant à 4,1 milliards d'euros en AE et 3,2 milliards d'euros en CP. Néanmoins, cette hausse doit être relativisée par une analyse plus fine de la situation ; elle résulte, pour une large part, de mesures de périmètre, et s'avère anecdotique par rapport à l'augmentation des dépenses de personnels.
Une telle situation n'est pas satisfaisante. L'embauche de nouveaux personnels crée des besoins supplémentaires, tant en équipements qu'en matière d'immobilier, alors même que les besoins initiaux n'étaient pas entièrement satisfaits.
De surcroît, cette augmentation des crédits hors titre 2 est exclusivement portée par celle des dépenses de fonctionnement ; les dépenses d'investissement affichent, quant à elles, des montants stables en CP et en forte baisse en AE - 84,2 millions d'euros, -11,7 % -, ce qui apparaît en décalage avec les besoins effectifs des forces de sécurité intérieure, notamment en matière d'immobilier et de numérique. Si nous souhaitons que nos forces puissent bénéficier de conditions de travail correctes et qu'elles continuent d'être à la hauteur des évolutions numériques de notre temps, il s'agit d'investir dans la durée.
Les dépenses de fonctionnement et d'investissement évoluent de manière opposée pour ces deux forces confrontées à des difficultés similaires et soumises, dans l'ensemble, à la même surcharge d'activité imputable aux jeux Olympiques. Si ces dépenses augmentent significativement dans la police nationale, elles diminuent nettement dans la gendarmerie nationale. Un tel décrochage ne peut être que temporaire et doit faire l'objet de mesures de rééquilibrage dès l'année prochaine ; nous serons vigilants sur ce point.
L'évolution divergente des montants alloués sur des postes de dépenses similaires, en particulier s'agissant des dépenses de fonctionnement, semble difficile à justifier. Un exemple paroxystique de cette différence réside dans l'évolution des dépenses de carburant pour les deux forces. Ainsi, alors qu'une part de l'augmentation des dépenses de fonctionnement pour la police nationale - 27 millions d'euros supplémentaires par rapport à 2023 - résulte de l'inflation du coût des matières premières, ce même poste de dépense affiche, pour la gendarmerie nationale, une diminution de plus de 7,7 millions d'euros, soit une baisse de 12 % en AE comme en CP.
À l'avenir, il conviendra d'éviter de telles disparités qui peuvent, au-delà des difficultés matérielles qu'elles risquent d'engendrer, altérer le moral des forces, en donnant le sentiment d'une différence de traitement entre elles.
En conclusion, malgré ces réserves, le projet de budget demeure satisfaisant ; les moyens sont en nette hausse et la trajectoire de la Lopmi est respectée. En conséquence, Henri Leroy nous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Sécurités », hors programme « Sécurité civile » dont s'occupe Françoise Dumont, qui a présenté son avis la semaine dernière.
M. Jérôme Durain. - En préambule, je souhaite mettre en corrélation les propos de Marie-Pierre de La Gontrie sur l'utilisation de la reconnaissance faciale par les forces de sécurité intérieure avec le traitement qui nous fut réservé, hier, lors de l'audition. Au-delà du sujet de fond, portant sur l'utilisation d'une technique particulièrement intrusive, nous avons le sentiment que la représentation nationale est quelque peu négligée. Pour le Sénat, ce traitement n'est pas acceptable.
Concernant les crédits de la mission « Sécurités », nos principales interrogations portent sur l'application de la Lopmi et l'impact de l'organisation des jeux Olympiques. Nous, sénateurs socialistes, avions fait le choix responsable de voter la Lopmi ; en dépit de nos nombreux désaccords avec le Gouvernement, il nous semblait juste de soutenir une politique budgétaire assumant une hausse des moyens consacrés à la sécurité.
Cette Lopmi impliquait notamment des hausses d'effectifs ; les créations de postes se poursuivront en 2024, avec l'annonce de 2 184 policiers et gendarmes supplémentaires, mais le diable se cache dans les détails. Dans son rapport d'exécution budgétaire du PLF 2022 publié au printemps 2023, la Cour des comptes souligne que les responsables de programmes, souhaitant répondre à l'objectif politique d'un recrutement massif de policiers et de gendarmes, sont en train de dégrader la qualité des recrutements et des formations, d'autant que les viviers de recrutement s'assèchent peu à peu. Les forces de l'ordre entrent, en effet, en concurrence avec d'autres recruteurs, comme les polices municipales, les sapeurs-pompiers, la sécurité privée et les forces armées, dont les effectifs et personnels sont également amenés à croître au cours des prochaines années.
À titre d'exemple, la même Cour des comptes, dans une note de novembre 2021, relevait déjà que le taux d'admission au concours de gardien de la paix était passé de 2 % en 2014 à 18 % en 2020, tandis que les formations de gardiens de la paix et d'officiers avaient été raccourcies.
Concernant la formation, le PLF soulève des interrogations sur la réalité des moyens alloués. Un des objectifs de la Lopmi est d'augmenter de 50 % le temps de formation continue des policiers. Les indicateurs présentés dans les documents budgétaires font plutôt état d'une légère dégradation de l'effort de formation ; de 2021 à 2022, en effet, le nombre d'heures de formation continue individuelle ou collective par actif est en diminution, de 31,2 à 30,9 heures.
Pour inverser cette tendance et atteindre les objectifs fixés par la Lopmi, des moyens supplémentaires doivent être mobilisés. Or, les dépenses de formation du programme dédié à la police nationale sont en forte baisse, de 43,2 millions d'euros en loi de finances initiale (LFI) pour 2023 à 29,7 millions d'euros dans le PLF 2024, soit une baisse de 31,5 %.
Par ailleurs, les documents budgétaires évoquent en plusieurs occasions un accroissement du nombre de formateurs sans que l'on en trouve la traduction concrète, notamment au niveau budgétaire.
Interpellé sur ce sujet lors de son audition par la commission des lois de l'Assemblée nationale, Gérald Darmanin a contesté ces chiffres, affirmant que les crédits liés à la formation des personnels ne baissaient pas : soit le document budgétaire est rempli de coquilles, soit il faudra le relire ensemble...
Selon Gérald Darmanin, en effet, ces crédits seraient passés de 23 millions d'euros en 2022 à 29 millions d'euros en 2023 ; et ils s'élèveraient, toujours selon le ministre, à 29,7 millions d'euros l'année prochaine, avec 4 500 équivalents temps plein (ETP) et 72 ETP recrutés et créés. Si le chiffre pour 2024 est bien exact, les documents budgétaires pour 2023 mentionnent non pas 29 millions d'euros, comme l'indique le ministre, mais 43,3 millions d'euros, ce qui signifierait une baisse des crédits alloués à la formation.
Quant aux 72 ETP, le fait que le ministre évoque des « ETP recrutés et créés » laisse entendre qu'il s'agit de postes déjà créés et non de postes supplémentaires pour l'année prochaine ; d'ailleurs, les documents budgétaires pour 2024 n'évoquent pas ces 72 ETP.
Sur ces deux points, des éclaircissements du ministre seraient bienvenus.
Enfin, il semble difficile de ne pas évoquer les jeux Olympiques et leur impact financier. Des syndicats de policiers se montrent très pressants envers le ministère, certains évoquant même un ultimatum. Ce sujet demande un peu de visibilité et aura un impact sur les négociations en cours concernant la loi de finances.
M. Marc-Philippe Daubresse. - Dans cet excellent rapport d'Henri Leroy, tout est dans le « mais ». La trajectoire de la Lopmi est effectivement respectée. Nous avions voté cette loi car elle prévoyait 25 % de moyens supplémentaires sur cinq ans ; à l'époque, j'avais expliqué que, généralement avec ce type de projection, tout se dégradait lors des trois dernières années. Nous voyons bien, au travers du rapport d'Henri Leroy, que les indices d'une dégradation pour l'année prochaine sont là.
L'article 1er de la Lopmi détaillait tous les objectifs à atteindre en cinq ans. Concernant les effectifs, les résultats correspondent bien aux objectifs pour les brigades de gendarmerie ; mais l'on a décidé de privilégier les gendarmeries par rapport aux policiers.
Un autre problème, déjà soulevé à l'époque, concerne l'immobilier. Pour information, l'immobilier global de la gendarmerie en France s'élève à 1,1 million de mètres carrés ; pour une moitié, il s'agit de casernes et de cantonnements, et pour l'autre moitié, de grands ensembles de bureaux ou de bâtiments à construire. Sur ce dernier point, la direction générale de la gendarmerie nationale avait tendance, jusqu'à aujourd'hui, à privilégier des partenariats public-privé (PPP), sur lesquels, au vu des dérapages financiers constatés, il serait légitime de s'interroger.
Les maires souhaitant accueillir des cantonnements de gendarmerie doivent beaucoup investir. Or, pour construire une gendarmerie avec tous les logements ad hoc, sachant tout le fatras de règles à respecter, il faut au moins sept ans. Les difficultés apparaissent quand les gendarmes doivent se loger à proximité de leur lieu d'exercice. Aussi faudrait-il créer une foncière et se rapprocher d'un organisme comme Action Logement, dont c'est le métier.
Sur le sujet des jeux Olympiques, une mission est en cours. Nous n'avons aucune visibilité sur la capacité de notre pays à faire face aux enjeux de sécurité, notamment avec une cérémonie d'ouverture décentralisée qui divise les forces de police, ce qui est une folie. Au Sénat, nous avons voté une proposition de loi sur la reconnaissance faciale, qui pose le principe de l'interdiction de l'utilisation de ce type de technologie sauf événement exceptionnel et sous certaines garanties importantes. La proposition de loi n'ayant pas été examinée par l'Assemblée nationale, nous ne pourrons donc pas utiliser cette technologie sous les réserves que je viens d'indiquer.
Le procureur de la section antiterroriste a indiqué que, sur les 260 personnes sortant de prison après une condamnation pour apologie du terrorisme, au moins 25 % d'entre elles risquent de récidiver. On peut donc estimer qu'une soixantaine de personnes susceptibles de commettre des attentats pendant la période des jeux Olympiques ne seront plus surveillées par l'autorité administrative. Il y a donc un risque avéré d'attentat, d'une ampleur au moins équivalente à celui du Bataclan, pendant les jeux Olympiques. Pour faire face à cela, le ministre de l'intérieur a besoin de concentrer des moyens qui, fatalement, ne seront pas utilisés pour d'autres postes.
Concernant la sécurité civile, la promesse du Président de la République, faite en 2022, d'acheter des Canadair ne sera pas tenue. En effet, la société De Havilland ne pourra livrer ces Canadair qu'après 2027, et les premières livraisons ne concerneront pas la France, mais l'Indonésie et d'autres pays de l'Union européenne (UE).
Nous sommes aujourd'hui confrontés à une série de bombes à retardement. Et tout cela n'apparaît pas dans l'augmentation des crédits de la Lopmi. Cela nécessite que nous usions de notre rôle de contrôle pour investiguer sur la manière dont sont réalisés, chaque année, les objectifs fixés par la Lopmi.
M. François Bonhomme. - Je m'interroge également sur notre capacité à mobiliser les moyens de sécurité nécessaires pour l'organisation des jeux Olympiques. Le rapporteur a fait état de ses doutes sur le bon déroulement de la cérémonie d'ouverture, avec notamment le sujet de la sécurité privée et les questions d'allotissement des marchés publics.
L'association des métiers de la sécurité civile a alerté sur les difficultés de recrutement. Quand on connaît les délais nécessaires pour la formation et l'instruction des dossiers, pour les enquêtes permettant, le moment venu, d'obtenir les agréments du Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps), on ne peut qu'éprouver des doutes. Les besoins évalués s'élèvent à 17 000 postes par jour durant la période des jeux Olympiques. La ministre des sports a indiqué, lors d'une audition au Sénat en octobre dernier, qu'elle étudiait la question d'un recours à l'armée.
N'avons-nous pas intérêt, monsieur le président, à solliciter une audition du ministre de l'intérieur dans des délais assez rapides pour obtenir des éléments de réponse sur tous ces sujets ?
Mme Laurence Harribey. - Une des orientations de la Lopmi prévoyait de déployer 1 500 cyberpatrouilleurs ; on ne retrouve rien de cet engagement dans le budget pour 2024. On sait qu'il existe un problème de formation. Les auditions menées par notre rapporteur nous apportent-elles des réponses sur ce sujet ?
M. François-Noël Buffet, président, rapporteur pour avis. - Madame Harribey, il n'y a pas d'augmentation de crédits sur le sujet ; il s'agit d'un point de vigilance.
Le principal point d'inquiétude concerne l'organisation des jeux Olympiques et notre capacité à répondre aux enjeux de sécurité qui sont immenses. La mission confiée la semaine dernière à Marie-Pierre de La Gontrie et Agnès Canayer a démarré ses travaux ; il s'agit de dresser, de manière urgente et précise, un état des lieux de la situation.
Il est évident que le ministre de l'intérieur reviendra devant la commission afin d'aborder tous ces sujets de manière opérationnelle, au-delà des déclarations de principe. Dans le contexte actuel, quand on envisage d'accueillir 1 million de personnes durant la cérémonie d'ouverture, cela nécessite de donner des précisions au Parlement.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Sécurités ».
Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Immigration, asile et intégration » - Examen du rapport pour avis
M. François-Noël Buffet, président. - Nous examinons maintenant le rapport pour avis sur le projet de loi de finances (PLF) pour 2024 relatif à la mission « Immigration, asile et intégration ».
Mme Muriel Jourda, rapporteur pour avis de la mission « Immigration, asile et intégration ». - Le montant des crédits pour la mission « Immigration, asile et intégration » s'élève à 1,75 milliard d'euros en autorisations d'engagement (AE), soit une diminution de 35 % par rapport à 2023, et 2,15 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), soit une augmentation de 7 %. Ces variations de crédits doivent être analysées avec prudence, car elles s'expliquent pour une large partie par une réorganisation à somme nulle de la nomenclature budgétaire.
Les hausses de crédits se concentrent sur l'extension du parc de rétention administrative, qui doit être porté à 3 000 places en centres de rétention administrative (CRA) en 2027, et sur le dispositif national d'accueil des demandeurs d'asile, avec la création de 1 500 nouvelles places.
Par ailleurs, on note de légères fluctuations concernant les personnels de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii). Dans un contexte d'augmentation de la demande d'asile, l'Ofpra voit ses moyens humains rehaussés - 7 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires -, notamment pour renforcer le service de l'état civil. Concernant l'Ofii, ses effectifs demeurent inchangés pour 2024 et son budget connaît une diminution, qui devrait être partiellement compensée par des fonds européens.
Comme l'an dernier, nous regrettons l'absence de rattachement des crédits liés à l'accueil des réfugiés ukrainiens qui nous paraît peu loyale dans le cadre d'une présentation budgétaire.
Concernant l'immigration irrégulière, la pression migratoire s'accentue. Dans les pays de l'Union européenne (UE), au cours des dix premiers mois de cette année, on a recensé 331 600 franchissements irréguliers de frontières, soit une augmentation de 18 % par rapport à la même période l'an dernier. En France, nous avons passé en 2022 la barre des 90 000 refus d'entrée et des 400 000 bénéficiaires de l'aide médicale de l'État (AME), qui sont les indicateurs traditionnellement utilisés pour évaluer l'immigration irrégulière. Le flux, continu, ne cesse de croître.
À ce stade, les négociations concernant le pacte européen sur la migration et l'asile n'avancent pas vite. Les moyens alloués à la lutte contre l'immigration irrégulière sont essentiellement portés par le plan « CRA 3 000 », avec l'augmentation des places en centres de rétention administrative (CRA), ce qui prouve l'absence de politique volontariste de notre pays en termes de tarissement des flux.
La politique de retour s'avère, quant à elle, toujours aussi laborieuse. On observe un décalage entre le prononcé et l'exécution des mesures d'éloignement. En 2022, pour 134 280 obligations de quitter le territoire français (OQTF) prononcées, seulement 9 078 ont été exécutées, soit un taux de 6,8 %. Sur les six premiers mois de l'année 2023, le taux est de 6,9 %. Pour rappel, 2012 est l'année de référence la plus haute, avec plus de 18 000 OQTF exécutées, soit un taux de 22,3 %.
L'augmentation des capacités d'éloignement laisse également à désirer, même si nous ne méconnaissons pas non plus la difficulté d'obtenir des laissez-passer consulaires (LPC) ; on observe, sur ce point, une légère augmentation du taux moyen de délivrance - 66 % en 2022, contre 54 % l'année précédente -, avec des réalités différentes selon les pays. Le budget alloué en 2024 sur ce sujet ne permettra pas d'atteindre un meilleur objectif.
Le budget s'avère plus volontariste concernant les CRA, mais il est peu probable que nous parvenions à respecter la trajectoire fixée dans la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi), prévoyant 3 000 places à l'horizon 2027. Et l'on peut établir le même constat pour l'extension du parc de locaux de rétention administrative, qui reste dérisoire.
Parmi les signes positifs, citons l'augmentation des retours aidés - 3 564 au premier semestre 2023 ; mais, au regard des obligations de quitter le territoire français (OQTF) prononcées, cela reste peu significatif. On notera également l'attribution de 540 millions d'euros sur trois ans de la part du gouvernement britannique, afin de lutter contre le phénomène des small boats. Enfin, il y a ces 12 millions d'euros supplémentaires destinés à la police aux frontières (PAF) afin qu'elle puisse moderniser ses équipements.
Concernant la politique de l'asile, on observe une dynamique positive de réduction des délais de traitement. Au vu de l'intensité des flux de demandes d'asile, cela reste fragile. Sur l'année 2022, 136 724 primo-demandes ont été enregistrées. Cette tendance se poursuit sur les huit premiers mois de 2023, avec 93 400 primo-demandes ; sur l'année pleine, le ministère de l'intérieur prévoit un total inédit de 150 000 demandes enregistrées.
Le délai moyen d'enregistrement dans les guichets uniques de demande d'asile (Guda), conforme aux objectifs, est de 3,1 jours en 2023 ; à l'Ofpra, le délai moyen baisse - 121 jours au premier semestre 2023, contre 148 jours au 30 septembre 2022 -, mais reste très éloigné de l'objectif des 60 jours fixé par le ministère ; enfin, à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), le délai moyen est toujours assez loin des objectifs et s'établit à 140 jours pour la procédure normale et à 94 jours pour la procédure accélérée.
Le délai le plus problématique concerne la délivrance des documents d'état civil par l'Ofpra, qui peut s'étendre jusqu'à un an ; espérons que les 7 ETP supplémentaires permettront de le faire baisser.
Au sujet des conditions matérielles d'accueil, l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) a déjà connu une baisse dans le précédent projet de loi de finances, et celle-ci semble s'être bien réalisée. Cette année, la proposition ne semble pas non plus irréaliste. Le ministère avance une hypothèse maximaliste de 180 000 demandes d'asile, alors que le reste de la programmation s'effectue sur 160 000 demandes. Pour rappel, le sort des réfugiés ukrainiens n'est pas pris en compte ; en 2023, cela représentait 348,9 millions d'euros. Toutes ces prévisions reposent toutefois sur la capacité qu'auront l'Ofpra et la CNDA à absorber des flux en constante augmentation.
Par ailleurs, élément positif au regard de la pression migratoire, le parc d'hébergements s'élargit. Mais la gestion ne s'avère guère fluide, avec un taux de présence indue en augmentation : 16 % en 2021, 20 % en août 2023 ; l'atteinte de l'objectif de 7 % en 2024 semble très optimiste.
Dernier point : la politique d'intégration et l'immigration régulière. En 2022, on observe un volume record de 316 000 primo-délivrances de titres de séjour, ainsi que 3,8 millions de titres valides ; huit ans plus tôt, on en recensait 90 000 et 1 million de moins.
On observe également une augmentation des effectifs dans les services des étrangers en préfecture, mais qui s'explique surtout par un important recrutement de vacataires. L'investissement est limité à 33 ETP supplémentaires en 2024 pour ces services et, plus globalement, les efforts semblent trop limités face à l'augmentation massive des demandes. Toutefois, la dématérialisation des procédures devrait diminuer les délais et favoriser une prise en charge sérieuse ; et nous espérons également beaucoup de l'instruction « à 360 degrés », si toutefois celle-ci était confirmée après le vote du Sénat.
L'intégration reste le parent pauvre de notre politique migratoire. Le contrat d'intégration républicaine (CIR) a été rénové, mais nous n'arrivons à intégrer par la langue. Le taux d'atteinte du niveau A1 en fin de parcours demeure très faible, notamment pour les personnes initialement les plus éloignées de la langue française : pour elles, il n'est que de 46,9 %, avec également un taux de sortie dans l'emploi assez faible de 48,9 %. Espérons qu'un meilleur niveau de langue pourra être atteint, afin de permettre une meilleure employabilité des personnes en situation régulière.
En 2023, s'est poursuivi le déploiement du programme d'accompagnement global et individualisé des réfugiés (Agir), visant à la création d'un guichet unique pour l'accompagnement vers le logement et l'emploi. Pour 2024, le programme bénéficie d'une enveloppe supplémentaire de 30 millions d'euros.
Dans l'ensemble, ce budget n'est pas à la hauteur du traitement des situations. C'est pourquoi, comme l'an dernier, nous émettons un avis défavorable à l'adoption des crédits de cette mission.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour avis de la mission « Immigration, asile et intégration ». - Je souhaite évoquer un autre volet, en général peu observé, de la politique migratoire, celui des accords internationaux. Notre pays a signé plus de 110 accords internationaux avec des pays d'émigration. Nous ne disposons pas de modèle type concernant ces accords, qui relèvent de l'inventaire à la Prévert.
Ainsi, 63 de ces accords sont relatifs à la lutte contre l'immigration irrégulière, dont 38 accords bilatéraux et 18 accords européens de réadmission. La France a également conclu 7 accords portant exclusivement sur les LPC, afin d'améliorer la coopération consulaire à ce sujet, ainsi que 7 accords de gestion concertée et de co-développement, correspondant à la politique menée avec les pays d'Afrique de l'Ouest à partir de 2006.
Par ailleurs, on recense 29 accords centrés sur les mobilités professionnelles, notamment celle des jeunes professionnels. 11 de ces accords ont pour objectif de favoriser la mobilité des jeunes diplômés ; le bilan s'avère modeste, avec seulement 91 admissions au séjour en 2022. Dans la même veine, 14 accords permettent à des jeunes de se rendre en vacances en France et les autorisent à y exercer un emploi à titre subsidiaire. Enfin, 14 accords concernent les conditions de circulation et de séjour avec des États exclusivement africains.
Parmi tous ces accords, je mets naturellement à part l'accord franco-algérien de 1968, qui fait de temps à autre l'objet de débat public sans que personne ne sache précisément ce que l'on y trouve ; on se souvient notamment des propos de M. Darmanin l'année dernière devant la commission qui avait expliqué que, si l'on annulait cet accord avec l'Algérie, on revenait à la situation antérieure à 1968, c'est-à-dire à la libre-circulation. Cet accord de 1968 a été amendé à trois reprises, en 1985, 1994 et 2001 ; depuis 22 ans, personne n'y a donc touché.
Dans cet accord, on trouve des stipulations régissant les conditions d'accès au séjour, de circulation et d'exercice d'une activité professionnelle. Tout ce qui n'est pas dans le champ de cet accord est réglé par le droit commun, notamment ce qui concerne les sujets d'éloignement ou d'asile. Il est généralement admis que ce statut spécial serait plutôt favorable aux Algériens, avec quelques nuances toutefois. En effet, l'accord étant figé depuis 2001, toutes les évolutions intervenues depuis en matière migratoire dans notre pays ne s'appliquent pas aux ressortissants algériens.
Parmi les points davantage favorables aux ressortissants algériens que nos dispositions de droit commun, il y a les voies autonomes d'accès au séjour ; les Algériens ont par exemple droit à des certificats de résidence spécifiques, lorsqu'ils peuvent justifier de dix ans de présence habituelle en France ; et ils peuvent également bénéficier de la délivrance d'un certificat de dix ans, lorsqu'ils résident régulièrement en France depuis une période de même durée, ce qui n'a pas d'équivalent dans notre code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda).
Les conditions de délivrance plus souples pour certains titres, notamment lorsqu'ils se marient avec des Français ou des Françaises, sont également favorables aux Algériens. Aucune condition de communauté de vie n'est par exemple demandée pour le premier certificat de résidence délivré. De même, pour les parents d'enfants français, il n'existe pas de condition de durée pour attester de la contribution aux besoins de l'enfant.
Troisième point favorable aux Algériens : un accès facilité à des titres de séjour de longue durée. Si un ressortissant algérien souhaite disposer d'un certificat de résidence de dix ans, celui-ci peut être délivré au bout de trois ans de séjour contre cinq ans dans le droit commun. De même, un conjoint algérien de Français accède à ce titre au bout d'un an de mariage, contre trois ans dans le régime général.
Un dernier point enfin, qui est souvent l'objet d'observations, est favorable aux Algériens : le regroupement familial. Dans le droit commun, la condition de résidence est fixée à 18 mois ; celle-ci n'est que d'un an pour les Algériens. Dans le texte sur l'immigration, nous avons porté de 18 à 24 mois cette condition de résidence, mais les Algériens ne sont pas concernés par cette évolution.
À l'inverse, la comparaison avec le droit commun est plutôt défavorable aux ressortissants algériens sur certains points, notamment du fait de la non-applicabilité des dispositions entrées en vigueur après 2001. Les Algériens ont un régime de visas moins diversifié, et ne bénéficient notamment pas de visas pour les longs séjours. Le régime est également moins favorable pour les étudiants ; la carte de séjour pluriannuelle n'a pas d'équivalent dans l'accord de 1968, ce qui contraint les étudiants algériens à un renouvellement annuel de leur certificat de résidence.
Troisième point défavorable aux ressortissants algériens : ils n'ont pas accès à un titre pluriannuel intermédiaire, valable quatre ans, à l'issue de la première année de séjour. Enfin, les passeports talents ne s'appliquent pas non plus aux Algériens.
Le premier bilan de cet accord franco-algérien est, in fine, assez équilibré.
Afin de mieux apprécier le sujet de l'immigration algérienne, je souhaite vous donner un dernier chiffre, celui du volume total de certificats de résidence concernant les ressortissants algériens ; celui-ci est assez stable, il se situe aujourd'hui à un niveau proche des 600 000, contre 545 000 en 2000, alors que la situation migratoire a, par ailleurs, beaucoup évolué.
Au-delà du contexte géopolitique, il est difficile de savoir s'il est pertinent de maintenir cet accord franco-algérien. Pour le reste, il apparaît clairement que tous ces accords souffrent d'un manque d'harmonie. Il conviendrait de les étudier plus en détail, et c'est l'un des objectifs de l'article 1er A adopté lors de l'examen du texte sur l'immigration, où il est précisé qu'un bilan soit établi sur ces accords internationaux lors de chaque débat annuel.
Enfin, si le président de la commission des lois l'accepte, et sous réserve d'un planning de travail que l'on sait chargé, nous pensons qu'il serait utile de travailler de manière plus complète, et dans la durée, sur le contenu de ces accords ; ce travail a été peu fait, il nous aiderait à prendre position dans le débat national sur tous ces sujets liés à l'immigration et l'asile.
M. François-Noël Buffet, président. - Monsieur Bonnecarrère, je suis favorable à votre demande, de manière à ce nous puissions débattre à partir d'un socle de vérités intangibles et que nous évitions les déclarations intempestives.
Mme Patricia Schillinger. - Lorsque des personnes demandent l'asile en France, elles sont souvent déjà passées par l'Italie. La situation est très compliquée, et les travaux proposés par Philippe Bonnecarrère seront peut-être l'occasion d'apporter des éclaircissements.
M. André Reichardt. - J'adhère à l'avis défavorable exprimé par les rapporteurs, mais peut-être pas pour les mêmes raisons. Certes, ce budget n'est pas à la hauteur, mais pas à la hauteur de quoi ? Est-ce vraiment nécessaire d'ajouter des crédits ? Je ne le pense pas. Le problème concerne l'inefficacité totale de la politique actuelle en matière d'immigration et d'asile.
Pendant une semaine, nous avons examiné un projet de loi sur l'immigration ; après toutes les modifications obtenues par le Sénat, nous ignorons comment il sortira de l'Assemblée nationale. À ce stade, il est difficile d'élaborer un projet de budget. Il serait souhaitable d'avoir plus de visibilité au niveau européen. Nous aurions enfin trouvé un accord concernant le pacte sur l'asile et la migration ; j'émets les plus vives réserves sur cet accord, et certains pays déclarent déjà qu'ils ne l'appliqueront pas. Or notre politique nationale doit tenir compte d'une politique européenne stabilisée, ce qui n'est pas le cas.
Comme les chiffres en augmentation le prouvent, l'immigration irrégulière pose problème dans notre pays. Les dispositions de l'accord de Schengen ne sont pas respectées, et les contrôles aux frontières extérieures doivent être renforcés. Car, après cela, la gestion administrative de cette immigration irrégulière s'apparente à un puits sans fond.
Un autre élément, présent dans le pacte sur l'asile et la migration, pourrait améliorer la situation : le screening à la frontière. Ce mécanisme sera-t-il enfin mis en oeuvre ? Selon la réponse à cette question, les crédits dédiés au raccompagnement des personnes en situation irrégulière sont insuffisants ou superflus.
Ce budget me laisse perplexe, car il ne repose sur aucune politique digne de ce nom. Comme les Shadoks, on se contente d'écoper, pour des résultats quasi nuls. Je ne peux pas me satisfaire de ces tentes sur les bords de Seine.
Enfin, je me félicite du prochain travail visant à examiner de plus près nos accords internationaux, en particulier avec les pays africains. Je suis président du groupe d'amitié France-Afrique de l'Ouest et, pour un grand nombre de ces pays, la demande d'éclaircissement est récurrente.
Mme Corinne Narassiguin. - Les crédits de la mission sont en hausse, mais de manière insuffisante ; je pense notamment à la question de l'hébergement. Par ailleurs, la trajectoire pour 2027 pourrait ne pas être respectée. Nous ignorons la configuration définitive du projet de loi sur l'immigration, mais la disposition facilitant les OQTF risque de créer des besoins supplémentaires au niveau des CRA. Cela ajoute des incertitudes sur les crédits de la mission. De mon point de vue, ce projet de loi ne fera, de toute façon, qu'augmenter le désordre.
La baisse de l'ADA paraît très problématique, notamment en raison de l'absence de prise en compte des Ukrainiens. Dans le projet de loi sur l'immigration, nous avons supprimé l'article 4, ce qui rendra encore plus difficile l'obtention d'un titre de travail pour les demandeurs d'asile. Nous craignons que les moyens supplémentaires octroyés à l'Ofpra ne suffisent pas à réduire les délais pour le traitement des demandes.
Sur le volet lié à l'intégration, on observe une augmentation bienvenue des crédits. Durant les débats sur le projet de loi, le ministre de l'intérieur avait évoqué une augmentation de 9 millions des crédits dédiés à la formation à la langue. N'ayant pas confirmation de cette mesure, disposez-vous de davantage d'informations sur la ventilation des crédits entre, d'une part, la formation à la langue, la formation civique, et, d'autre part, l'accompagnement social et vers l'emploi ? Avons-nous également les moyens de supporter l'augmentation de l'exigence sur le niveau de langue ?
Pour toutes ces raisons, nous sommes opposés à l'adoption des crédits de cette mission.
Enfin, concernant l'intéressante présentation de Philippe Bonnecarrère, nous sommes favorables à l'idée d'effectuer un bilan plus complet de ces accords internationaux, même si je doute de notre entente sur les conclusions à en tirer.
M. François-Noël Buffet, président. - Sur ces questions, l'important est de partager un socle commun de vérités. Si l'on parvient à faire cela, ce sera déjà bien.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour avis. - Pour répondre àPatricia Schillinger, la réponse se trouve dans l'accord de Dublin ; mais les dispositions de ce dernier sont tombées en désuétude. Par ailleurs, même si nous avons rétabli des contrôles, nous devons respecter les règles de libre circulation au sein de l'UE.
Cela étant dit, quand on regarde le tableau des éloignements réalisés en Europe, notre pays n'est pas mal placé ; à l'inverse, en Italie, les procédures sont trois fois moins importantes qu'en France.
Enfin, le prochain accord européen prévoit la mise en place de zones d'attente aux frontières extérieures de l'UE. Sur ce sujet, il s'agit de considérer le caractère atypique de la situation italienne. De notre côté, nous n'avons pas de frontières terrestres extérieures, sauf dans les territoires ultramarins.
Mme Muriel Jourda, rapporteur pour avis. - Monsieur Reichardt, je n'ai pas voulu relancer le débat que nous avons eu dans le cadre du projet de loi sur l'immigration ; mais le fond de l'affaire, comme je le rappelle chaque année, est que nous n'avons pas de politique migratoire. Vous avez évoqué les Shadoks, je pense plutôt au tonneau des Danaïdes. Nous engageons de l'argent sans prendre de décision quant à l'orientation de notre politique migratoire.
Concernant les cours de langue, nous n'avons pas observé de crédits supplémentaires, alors que nous accueillons de plus en plus de populations non francophones. L'augmentation des crédits dédiés à l'intégration s'explique en effet principalement par l'abondement de 30 millions d'euros de la ligne budgétaire du programme Agir.
La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».
Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Pouvoirs publics » - Examen du rapport pour avis
M. Éric Kerrouche, rapporteur pour avis de la mission « Pouvoirs publics ». - La mission « Pouvoirs publics » comporte les crédits de la présidence de la République, de l'Assemblée nationale, du Sénat, de la chaîne parlementaire, du Conseil constitutionnel et de la Cour de justice de la République (CJR), laquelle a eu quelques activités ces derniers temps. Le budget total de la mission s'élève à 1 137,8 millions d'euros pour 2024, soit une hausse de près de 6 % par rapport à l'année dernière. L'augmentation concerne l'ensemble des institutions de la mission, dans des proportions variables, à l'exception de la CJR dont la dotation reste stable d'un exercice à l'autre.
À titre liminaire, je souhaite revenir sur la proposition formulée par Grégory Blanc, rapporteur spécial de la commission des finances sur la mission « Pouvoirs publics », visant à comparer le coût de nos institutions au regard d'autres organismes équivalents en Europe. Cette idée me paraît intéressante, dans la mesure où une telle comparaison, rapportée au nombre d'habitants, permettrait d'obtenir des indicateurs.
J'émets cependant deux réserves. D'une part, le périmètre de l'étude comparative devrait être élargi aux institutions de l'ensemble des démocraties occidentales, notamment en raison de la meilleure accessibilité des données dans les systèmes anglo-saxons.
D'autre part, les spécificités propres à chaque système institutionnel peuvent engendrer des biais, qui limitent parfois l'intérêt de la comparaison. Pour ne prendre qu'un seul exemple, le coût du Conseil constitutionnel et celui de la Cour de Karlsruhe sont difficilement comparables, tant leurs missions et leur poids dans le système institutionnel diffèrent.
Par ailleurs, des travaux universitaires de comparaison des politiques publiques pourraient déjà être utilisés.
J'en viens maintenant à la présentation des crédits de la mission. La dotation demandée par la présidence de la République pour 2024 progresse de près de 11 % par rapport à l'exercice précédent et s'établit à 122,56 millions d'euros.
L'augmentation sensible des dépenses de déplacements mérite d'être soulignée : 31,87 % de plus par rapport à l'an passé, pour une enveloppe globale d'un peu plus de 21 millions d'euros. Cette progression résulte d'abord de l'inflation internationale ; ensuite, du durcissement, après la période du covid, des conditions de réservation et d'annulation des hébergements, ce qui a conduit à tendre les rapports avec les grands groupes hôteliers, y compris pour les délégations étatiques ; enfin, de l'imprévisibilité de certains déplacements - la présidence estime qu'ils représentent environ 30 % du volume total des déplacements. Lors de l'audition, la présidence de la République a donné l'exemple récent du déplacement au Moyen-Orient.
Je souhaite tout de même souligner que la présidence de la République a engagé quelques démarches pour mieux encadrer le coût des déplacements. Elle a par exemple institué, depuis le début de l'année, le principe d'une refacturation systématique pour un certain nombre de participants, notamment pour les ministres et leurs accompagnants. Ces efforts doivent être poursuivis.
Les dépenses d'investissement connaissent une hausse significative de 40,23 % entre les deux exercices et s'établissent à un peu plus de 9 millions d'euros en 2024. Ces crédits sont affectés au renforcement des dispositifs de sécurité - aussi bien physique qu'informatique - et à la rénovation des emprises immobilières.
Pour financer les opérations de travaux, la présidence sollicite cette année une dotation exceptionnelle de 4,5 millions d'euros, incluse dans l'enveloppe globale des investissements, qu'elle envisage de reconduire en 2025 et en 2026. En effet, les ressources tirées de la restitution du 14 rue de l'Élysée en 2022, qui lui avaient jusqu'à présent permis de financer un certain nombre de chantiers, sont désormais épuisées.
En ce qui concerne les dépenses de fonctionnement, leur niveau atteint 19 millions d'euros, soit une hausse d'environ 6 % par rapport à l'exercice précédent. Cette évolution s'explique à la fois par l'inflation, par une sous-évaluation des crédits inscrits en loi de finances initiale (LFI) pour 2023 et par l'imprévisibilité de certaines dépenses relatives à l'activité présidentielle.
À ce sujet, la présidence s'est engagée à réduire de 5 % ses dépenses de fonctionnement, hors activité présidentielle, entre l'exercice en cours et le suivant : je serai particulièrement attentif au respect de cet engagement. De même, l'évolution globale des dépenses de fonctionnement constitue un point de vigilance : si leur tendance haussière est justifiée et qu'elle peut apparaître légitime, leur niveau relativement élevé m'interpelle.
À la différence des années précédentes, la présidence n'aura pas recours en 2024 au mécanisme de prélèvement sur disponibilités pour compenser son déficit budgétaire. En effet, les réserves de trésorerie, qui représentaient 17 millions d'euros en 2017, ont été mobilisées presque chaque année à ce titre et leur niveau actuel - un peu moins de 2 millions d'euros à la fin de l'exercice - ne permet plus d'y recourir.
J'en viens maintenant aux crédits des assemblées parlementaires. Les dotations de l'Assemblée nationale et du Sénat présentent des hausses différenciées : tandis que celle de l'Assemblée nationale augmente de 6,42 % entre 2023 et 2024 et s'établit à près de 608 millions d'euros, la dotation demandée par le Sénat ne progresse que d'un peu plus de 2 % et s'élève à 353,5 millions d'euros environ.
Pour chacune des deux assemblées, la progression des dotations est justifiée par le contexte inflationniste, d'une part, et par l'augmentation des dépenses de personnel ainsi que des charges parlementaires, d'autre part, à la suite de la revalorisation du point de la fonction publique à compter du 1er juillet 2023, qui concerne l'ensemble des administrations.
Les besoins de financement en investissement sont comparables pour les deux assemblées, mais s'inscrivent en revanche dans une temporalité différente. Alors que l'Assemblée nationale entreprendra, dès l'année prochaine, plusieurs chantiers d'ampleur, le Sénat attendra l'année suivante pour engager de nouveaux projets d'investissement pluriannuels majeurs.
Jusqu'en 2023, les dotations de l'Assemblée comme du Sénat ont été fixées au niveau des charges de fonctionnement, ce qui signifie que toutes les dépenses d'investissement ont systématiquement été financées par un prélèvement sur les réserves.
Si le Sénat maintient ce mode de financement pour 2024, tel n'est pas le cas de l'Assemblée nationale qui a choisi d'étendre, dès l'année prochaine, le périmètre des dépenses couvertes par la dotation de l'État à la part incompressible des dépenses d'investissement, dont le montant est estimé à 11,5 millions d'euros.
En effet, recourir aux réserves pour financer les dépenses d'investissement n'est pas soutenable à moyen terme, dans la mesure où celles-ci doivent être préservées afin de faire face à des situations exceptionnelles. Les réserves de l'Assemblée s'élèvent désormais à un peu plus de 210 millions d'euros, ce qui lui permet de garantir son fonctionnement normal pendant trois mois, tandis que celles du Sénat s'établissent à 115 millions d'euros environ.
Compte tenu de ces éléments, le Sénat sera probablement amené, lui aussi, à faire évoluer le périmètre de sa dotation à l'avenir, pour y inclure le financement des travaux importants qui sont prévus.
En ce qui concerne le Conseil constitutionnel, les crédits demandés présentent une hausse substantielle de 35 % entre 2023 et 2024. Je précise qu'ils incluent cette année une dotation exceptionnelle de 3,84 millions d'euros, qui sera affectée à deux dépenses particulières.
La première, estimée à 0,2 million d'euros, concerne l'organisation d'un évènement conjoncturel : la réunion de l'Association des cours constitutionnelles francophones au Conseil constitutionnel en 2024.
La seconde, évaluée à 3,6 millions d'euros, correspond aux travaux de rénovation de l'accueil du 2 rue de Montpensier. Ce chantier doit permettre de renforcer la sécurité des accès au Conseil - nous avons tous en tête les images de rassemblements extrêmement importants de manifestants devant le bâtiment. Il sera également l'occasion d'effectuer les adaptations nécessaires à un raccordement futur au réseau de climatisation de Fraîcheur de Paris.
Si le coût substantiel du projet mérite d'être souligné, il n'en demeure pas moins que cet investissement me paraît nécessaire pour garantir la sécurité du personnel et des membres de l'institution.
Le Conseil constitutionnel a par ailleurs engagé plusieurs démarches pour mieux faire connaître son travail, ce que je salue. On peut notamment citer le lancement, depuis la fin de l'année dernière, du site internet qpc360.conseil-constitutionnel.fr, qui recense désormais l'ensemble des décisions liées au contrôle a posteriori. L'évolution des consultations du site internet depuis son déploiement atteste son utilité.
J'en viens maintenant aux dépenses de fonctionnement : la variation constatée entre les prévisions d'exécution pour 2023 et les crédits demandés pour 2024 interroge. A priori, celles-ci diminueraient de 31 % par rapport aux prévisions d'atterrissage en exécution pour 2023 et de 42 % par rapport au montant exécuté en 2022.
Les hypothèses retenues pour la construction du budget 2024 en ce qui concerne les dépenses de fonctionnement demeurent trop générales et les baisses constatées paraissent peu en phase avec le contexte inflationniste, d'une part, et les projets à venir, d'autre part.
Je ne peux que regretter de ne pas disposer d'éléments d'information plus exhaustifs et j'invite le Conseil constitutionnel à veiller, de manière plus attentive à l'avenir, à la qualité et à la transparence des informations budgétaires transmises.
Enfin, les crédits de la CJR s'élèvent à 984 000 euros. Ce budget n'appelle pas de remarque particulière, mais je souhaite tout de même souligner que le loyer dont elle s'acquitte représente plus de la moitié de ses dépenses. Malgré les interrogations récurrentes sur la pérennité de cette institution dans le temps - qui ont pu limiter l'opportunité d'un déménagement -, la pertinence de ce choix immobilier m'interroge, eu égard notamment au montant cumulé des sommes investies depuis 1993 pour cette location. Cela pose la question de la rationalité de la gestion immobilière de l'État.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - La CJR ne siège-t-elle pas au palais de justice sur l'île de la Cité ?
M. Éric Kerrouche, rapporteur pour avis. - Pour les auditions uniquement. Le reste du temps, l'institution est logée dans des locaux situés rue de Constantine et loués à une compagnie d'assurances.
En conclusion, l'analyse de l'évolution des dotations dans le temps permet de dégager deux tendances générales : d'une part, les institutions de la mission « Pouvoirs publics » tardent à demander une revalorisation de leurs crédits à un niveau adéquat, ce qui conduit, in fine, à une hausse plus substantielle des dotations demandées, par effet de rattrapage ; d'autre part, celles-ci compensent leurs déficits budgétaires - pour partie liés à de lourds investissements immobiliers destinés à la rénovation et à l'entretien du patrimoine historique - en ayant recours à des prélèvements récurrents sur leurs réserves, ce qui n'est pas soutenable à moyen terme.
Si les efforts budgétaires consentis par les différents pouvoirs publics jusqu'à présent et la dynamique inflationniste actuelle justifient une revalorisation des dotations octroyées, j'invite toutefois les institutions de la mission à privilégier, pour l'avenir, une progression plus linéaire de leur dotation dans le temps.
Voilà, mes chers collègues, les quelques remarques que je souhaitais vous présenter et au terme desquelles je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Pouvoirs publics ».
M. François-Noël Buffet, président. - On peut effectivement s'interroger sur la possibilité pour la CJR de réintégrer le palais de justice.
M. Éric Kerrouche, rapporteur pour avis. - Nous avons interrogé le président de la CJR à ce propos : il n'y est pas opposé, mais il se demande si cela est opportun étant donné le statut particulier de l'institution.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - C'est une blague !
M. Éric Kerrouche, rapporteur pour avis. - Je ne porte pas de jugement de valeur, je vous répète la réponse qui m'a été donnée.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Pouvoirs publics ».
Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Conseil et contrôle de l'État » - Programmes « Conseil d'État et autres juridictions administratives » et « Cour des comptes et autres juridictions financières » - Examen du rapport pour avis
M. Guy Benarroche, rapporteur pour avis des programmes « Conseil d'État et autres juridictions administratives » et « Cour des comptes et autres juridictions financières » de la mission « Conseil et contrôle de l'État ». - Nous examinons pour avis deux programmes de la mission « Conseil et contrôle de l'État », dont le responsable est le Premier ministre.
S'agissant du programme 165 qui est consacré au Conseil d'État et aux autres juridictions administratives, la hausse des crédits de paiement représente 58,4 millions d'euros.
Ce montant prend en compte un transfert entrant des crédits de budget de fonctionnement et des personnels de greffe de la Commission du contentieux du stationnement payant (CCSP) depuis le programme 216 de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ». La CCSP deviendra en effet à compter du 1er janvier 2024 intégralement rattachée au programme 165, alors que seule la rémunération des magistrats lui était jusqu'à présent imputée.
Ce rattachement se traduit par un abondement de 11,5 millions d'euros de crédits de paiement, ce qui représente 2 % des crédits de paiements votés en loi de finances initiale (LFI) pour 2023 : 7,6 millions d'euros correspondent aux 143 emplois d'agents de greffe transférés sur le programme 165, étant précisé qu'aucun recrutement supplémentaire n'est prévu en 2024 ; 3,9 millions d'euros correspondent aux dépenses de fonctionnement, dont 2,7 millions consacrés aux dépenses informatiques.
En dehors de ces mesures de transfert, les crédits supplémentaires seront consacrés aux dépenses de titre 2 pour renforcer les moyens humains de certaines juridictions administratives. Comme en 2022 et 2023, sont prévus un emploi de membre du Conseil d'État, 25 emplois de magistrats et 15 emplois d'agents de greffe, conformément à la programmation pluriannuelle pour les années 2023 à 2027.
Les crédits hors titre 2, qui représentent 25 % des crédits du programme avec 146,7 millions d'euros, sont également en augmentation de 23,9 %, soit environ 28 millions d'euros, par rapport à la LFI pour 2023, principalement en raison des dépenses d'investissement en matière immobilière et informatique.
Nous le savons, les juridictions administratives sont soumises à une forte progression des entrées contentieuses depuis plusieurs années. Au sein des tribunaux administratifs, le taux de couverture global, c'est-à-dire le nombre d'affaires traitées rapporté au nombre d'affaires entrantes, a été inférieur à 100 % en 2022 et a naturellement eu pour conséquence une augmentation du stock d'affaires en instance. Au 31 décembre 2022, ce stock a ainsi dépassé le seuil symbolique des 200 000 dossiers, soit une augmentation de 4,7 % par rapport à la situation observée au 31 décembre 2021. La part des affaires de plus de deux ans, qui est un indicateur intéressant, augmente de 8,7 % et s'établit à 10,3 %.
L'année 2024 ne semble pas porteuse de signes de fléchissement. Selon le secrétaire général du Conseil d'État, la simplification du contentieux des étrangers en cours de discussion dans le cadre du projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration aura peu d'effet sur le volume de dossiers, mais uniquement sur leur traitement. Quant à l'instruction « à 360 degrés » des demandes de titres de séjour, elle ne serait dans un premier temps qu'une expérimentation.
Dans ce contexte qui nécessite une mobilisation soutenue, les mesures de réévaluation indiciaire constituent une avancée importante pour les magistrats, étant rappelé qu'il est indispensable de maintenir l'attractivité du corps pour assurer un bon fonctionnement des juridictions administratives.
Pour achever la convergence du corps des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel avec celui des administrateurs de l'État qui est induite par la réforme de la haute fonction publique, resteront encore à modifier le régime indemnitaire et le régime des incompatibilités ; des discussions sont en cours avec les deux syndicats dans le cadre des réunions de dialogue social que le Conseil d'État organise.
Parallèlement, les conclusions du groupe de travail sur la charge de travail des magistrats, menée sous l'égide de la cheffe de la mission d'inspection des juridictions administratives, ont également été saluées. Le rapport d'étude remis au vice-président du Conseil d'État le 3 juillet 2023 procède à différents constats qui confirment le ressenti des magistrats, notamment sur les effets indésirables de la dématérialisation, avec une inflation significative de la taille du dossier numérique et un amoindrissement tout aussi important du sens collectif du travail.
Ce travail ouvre de nombreuses pistes d'amélioration, par exemple sur une fixation de la « norme » attendue des magistrats ou encore sur l'élaboration avec les avocats d'une charte de présentation des écritures. Il conviendra d'en assurer la mise en oeuvre concrète. À cet égard, j'avais évoqué l'année dernière le rapport du groupe de travail sur l'avenir des greffes - un sujet tout aussi important. Ses conclusions sont encore soumises à la réflexion collective et les greffiers en attendent la mise en oeuvre.
Enfin, la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, qui a été promulguée lundi dernier, instaure pour l'ensemble des membres de la juridiction administrative une prestation de serment qui était attendue de longue date.
Deux juridictions administratives spécialisées devront faire l'objet d'une attention particulière en 2024 : la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) et la CCSP que j'ai déjà évoquée.
Le projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, qui sera prochainement discuté devant l'Assemblée nationale, prévoit une réforme de la CNDA selon deux grands axes : une inversion du principe de collégialité, pour confier les dossiers au jugement d'un juge unique, sauf décision contraire du président de la CNDA ou du président de chambre s'il estime que l'affaire « pose une question qui le justifie » ; une territorialisation pour s'adapter au fait que plus de 45 % des recours sont désormais issus de demandeurs résidant hors région parisienne et éviter ainsi au requérant un ou plusieurs déplacements à Montreuil en cas de renvoi - il s'agit tout de même de 30 % des cas.
Je ne referai pas le débat que nous avons eu en commission puis en séance sur la fin du principe de collégialité devant la CNDA. Vous connaissez mes positions : j'y suis opposé. Ce que je peux vous dire, c'est que le président de la Cour et le secrétaire général du Conseil d'État m'ont tous deux affirmé qu'ils étaient attachés au principe de collégialité et que seuls certains dossiers justifieraient le recours à un juge unique. Nous verrons donc quelle sera la pratique après le vote de la loi, puisque tout reposera sur les décisions du président de la Cour ou de la formation de jugement.
Telle qu'elle est envisagée, la réforme de la CNDA comporterait surtout des enjeux organisationnels liés à la territorialisation. Celle-ci pourrait être déployée progressivement en fonction de différents paramètres : les bassins de langues identifiés, l'offre de desserte assurée par les transports en commun, les salles d'audience disponibles au sein des cours administratives d'appel. Les premières chambres territoriales pourraient être ouvertes en septembre 2024 à Nancy et Lyon où des vidéoaudiences sont déjà organisées.
Cette territorialisation supposera de disposer localement des services d'avocats bien formés aux spécificités du droit d'asile, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui dans tous les barreaux, et de recruter suffisamment d'assesseurs et d'interprètes.
Lors de ma visite annuelle à la CNDA, j'ai pu mesurer les difficultés de la mission qui est confiée à ces derniers, en particulier lorsqu'il s'agit d'intervenir dans une langue rare. Les interprètes ont souvent eux-mêmes des liens personnels forts avec les pays d'où proviennent les demandeurs d'asile. De ce fait, ils doivent faire une appréciation fine des éventuels conflits d'intérêts. Une interprète m'a ainsi indiqué avoir dû se déporter en découvrant en début d'audience que le demandeur d'asile provenait du même village que son père. Par ailleurs, leur intervention à la CNDA peut les soumettre, ainsi que leur entourage, à des pressions de la part des demandeurs d'asile - rarement - ou des autorités de l'État concerné, rendant parfois difficile un retour dans leur pays d'origine, que ce soit en vacances ou pour des motifs familiaux. Leur engagement doit donc être salué.
Pour finir sur cette question de territorialisation, il est difficile de croire qu'elle n'aura pas d'impact sur le projet immobilier de relogement de la CNDA et du tribunal administratif de Montreuil dans la tour de l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes. Selon les estimations du président de la Cour, Mathieu Hérondart, seul un quart des dossiers serait concerné par la territorialisation, ce qui représenterait tout de même cinq chambres sur les vingt-trois que compte la CNDA actuellement. Or le projet immobilier, qui doit être livré en septembre 2026, a été à l'origine conçu pour 732 postes de travail, vingt-deux chambres et quarante salles d'audience côté CNDA.
Il conviendrait donc de réfléchir dès à présent à un autre usage pour une partie de ces locaux, dont le coût de réfection a déjà été réévalué à la hausse, passant de 119,6 millions d'euros à 129,82 millions d'euros pour tenir compte de l'évolution du contexte économique.
La CCSP prend en charge les recours en matière de stationnement des véhicules sur voirie et fait face depuis le début de l'année 2021 à une augmentation considérable du nombre de recours.
Cette juridiction administrative spécialisée a été sous-dimensionnée dès sa création en 2018 : elle a été dotée de 120 équivalents temps plein travaillé (ETPT) sur la base d'une activité estimée à 100 000 requêtes par an, alors que, dès 2019, elle en a enregistré plus de 120 000.
Dès 2020, elle a subi deux « chocs organisationnels » selon les termes de sa présidente que j'ai auditionnée : l'abrogation par une décision du Conseil constitutionnel, saisi sur la base d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) des dispositions de l'article du code général des collectivités territoriales qui faisait de l'obligation préalable de paiement une condition de recevabilité des recours devant la CCSP ; et une décision du Conseil d'État qui a considérablement limité les effets des renonciations à action automatiques (RAA) prévues par le code général des collectivités territoriales, obligeant la commission à donner acte de la renonciation par ordonnance lorsque le requérant fournit une réponse au-delà du délai d'un mois imparti.
Ces deux décisions ont considérablement augmenté l'activité de la commission, la première en incitant les redevables de forfaits post-stationnement à saisir la commission, compte tenu de la suppression d'une « barrière à l'entrée », et la seconde, en empêchant le classement de 250 000 dossiers de RAA et mobilisant un effectif de treize agents pour établir les ordonnances constatant les renonciations.
Au terme de l'année 2022, le stock d'affaires restant à juger a augmenté de 40 %, passant de 130 831 dossiers à 183 429, ce qui représente deux années d'activité juridictionnelle !
Le transfert de la CCSP en programme 165 est opéré à effectif constant en PLF 2024. Toutefois, pour faire face à l'afflux de dossiers et aux retards accumulés, il manquerait entre 20 et 30 postes d'agents de greffe. Une demande en ce sens devrait être formulée par le Conseil d'État dans les prochaines années.
Préalablement, pour assurer un bon encadrement de ces personnels supplémentaires, il conviendra impérativement d'avoir pourvu les quinze postes de magistrats prévus depuis 2022. Les magistrats ont en effet un rôle essentiel puisqu'ils conçoivent les modèles sur la base de cas types, supervisent les pôles spécialisés et signent plusieurs milliers de décisions par an. C'est tout l'enjeu du bon encadrement des services d'aide à la décision dont j'avais parlé dans mon avis l'année dernière.
Or, en 2023, l'effectif réel de magistrats a été limité, cheffe de juridiction incluse, à treize au lieu de quinze.
Je formulerai une dernière remarque sur la CCSP. Si j'approuve sans réserve son rattachement au programme 165 qui est sous la responsabilité du Conseil d'État, je regrette que le transfert ne se soit pas accompagné d'un changement de maquette du programme pour qu'une action spécifique soit consacrée à la CCSP, comme cela est le cas pour la CNDA. En l'état, les crédits sont répartis au sein de deux actions : l'action « Fonction études, expertise et services rendus aux administrations de l'État et des collectivités » et l'action « Soutien ».
Le rapporteur spécial de l'Assemblée nationale, Daniel Labaronne, a eu une initiative pertinente à mes yeux : il a ajouté la CCSP dans les indicateurs de performance du programme 165 lorsque cela était possible, par amendement à l'article 38. Le suivi de la performance de la juridiction serait toutefois plus aisé si une action lui était consacrée.
Je note enfin que le rattachement au Conseil d'État occasionnera sans doute des difficultés du point de vue informatique. Pour l'année 2024, le système d'information continuera à être opéré par le ministère de l'intérieur, laissant ainsi un an de préparation aux équipes du Conseil d'État pour prendre la main.
Les moyens du programme 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières » sont en augmentation avec des crédits de paiement en hausse de 3,2 %, soit 7,8 millions d'euros. Ces crédits supplémentaires concernent très majoritairement des dépenses de personnel qui connaissent une augmentation de 8,6 millions d'euros, soit +4 %, par rapport à la LFI pour 2023. Cette augmentation est notamment liée aux effets de l'extension en année pleine de la revalorisation indiciaire des magistrats financiers intervenue dans le cadre de la réforme de la haute fonction publique le 1er juillet 2023 et des mesures du rendez-vous salarial.
Les crédits de paiement, hors titre 2, qui visent à assurer aux juridictions financières les moyens informatiques, immobiliers et humains leur permettant d'exercer leurs missions, sont en légère baisse avec un montant de 27,4 millions d'euros, contre 28,1 millions l'année dernière. Comme les années précédentes, l'accent devrait être mis sur la poursuite des projets informatiques nécessaires à l'appui aux missions exercées par les équipes de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes et sur la densification et la rénovation énergétique des bâtiments.
Depuis 2021, le Premier président de la Cour des comptes a fixé diverses orientations stratégiques pour les juridictions financières dans le cadre du plan « JF 2025 ». Deux mesures ont trouvé rapidement une traduction législative, mais ne peuvent encore faire l'objet de bilan.
La première est la possibilité pour les régions, les départements ou les métropoles de demander des missions d'évaluation des politiques publiques territoriales aux chambres régionales des comptes ou des avis sur les conséquences d'un projet d'investissement exceptionnel.
À ce jour, seul le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes a fait usage de ce « droit de tirage » et a saisi la chambre régionale pour évaluer les investissements de la SNCF en trains de desserte régionale et leur impact sur la qualité de service et la satisfaction des usagers.
Les chambres régionales ont en revanche usé de la possibilité nouvelle qui leur est offerte de publier dans un rapport thématique des observations relatives à la gestion de plusieurs collectivités territoriales, établissements publics ou organismes soumis à son contrôle. La chambre régionale des comptes des Hauts-de-France a ainsi publié un premier rapport thématique sur le recyclage des friches et la construction de logements qui est le fruit de treize contrôles qu'elle a menés.
Par ailleurs, la réforme du régime de responsabilité des comptables et ordonnateurs publics a été mise en place par l'ordonnance du 23 mars 2022 : le jugement des comptes des comptables publics a été remplacé par un régime de responsabilité visant à réprimer les infractions les plus graves portant atteinte à l'ordre public financier qui relève de la compétence de la chambre du contentieux de la Cour des comptes.
Depuis le 1er janvier 2023, la chambre du contentieux peut prononcer des amendes à l'égard des gestionnaires publics. Au cours du premier semestre 2023, 45 instructions ont été ouvertes par la septième chambre, 75 ordonnances de mise en cause ont été notifiées, 23 auditions de personnes mises en cause se sont tenues et 8 arrêts ont été prononcés. Un premier appel a été formé devant la Cour d'appel financière le 20 juillet 2023 par le Parquet général près la Cour des comptes.
Les autres mesures du plan « JF 2025 » commencent également à être déployées comme le « 100 % publication », qui entraîne la publication de l'intégralité des travaux de la Cour, à l'instar de ce qui existait pour les chambres régionales, ou les plateformes citoyennes de participation et de signalement.
Il est un peu tôt pour dresser un bilan de ces nouvelles mesures. Ce que l'on remarque est qu'elles sont mises en oeuvre à moyens humains constants. Dans ces conditions, une inquiétude demeure quant à la manière dont les chambres pourront continuer à assumer leur rôle en matière de contrôle de régularité et de lutte contre les atteintes à la probité au niveau local.
Comme l'année dernière, je finirai par la performance. La Cour des comptes devrait être exemplaire en la matière ; pourtant, il me semble que la mesure de la performance pourrait être améliorée.
Le projet de loi de finances pour 2023 avait déjà fait évoluer les indicateurs de performance du programme 164 pour les adapter à la réforme de la responsabilité des gestionnaires publics et aux orientations du plan « JF 2025 ». Le PLF pour 2024 poursuit ce travail.
L'indicateur consacré à l'objectif « Sanctionner les irrégularités et les fautes de gestion » a été nettement amélioré puisqu'il s'agit à présent de mesurer les suites données aux irrégularités au moyen du nombre de déférés des juridictions financières, de réquisitoires pris par le ministère public et de communications administratives, et non plus des délais de jugement devant la chambre du contentieux de la Cour des comptes.
Pour le reste, je maintiens les objections formulées l'année dernière. En particulier, je doute de la pertinence, d'une part, de supprimer l'indicateur relatif au contrôle des comptes publics car seul le contrôle juridictionnel des comptables publics disparaît, le contrôle des comptes étant lui bien maintenu, et d'autre part, de réduire drastiquement les délais des travaux d'examen de la gestion qui servent d'indicateurs à l'objectif « Contribuer à l'amélioration de la gestion publique et des politiques publiques ». Les cibles sont réduites à huit mois à horizon 2025, comme le préconise le plan « JF 2025 », ce qui impose à la Cour des comptes de réduire de cinq mois le temps de ses travaux et aux chambres régionales et territoriales des comptes de huit mois.
Comme l'ont justement souligné les représentants de l'association des magistrats de la Cour des comptes, les magistrats financiers n'ont pas à devenir des commentateurs de l'actualité. Il leur faut le temps de la réflexion et de l'enquête.
C'est la raison pour laquelle je vous propose de déposer un amendement similaire à celui de l'année dernière, sans reprendre toutefois les dispositions relatives aux irrégularités de gestion puisque l'indicateur prévu en PLF 2024 me semble satisfaisant.
Je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes 165 et 164 sous réserve de l'adoption de cet amendement.
L'amendement est adopté.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » et 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières » de la mission « Conseil et contrôle de l'État », sous réserve de l'adoption de son amendement.
La réunion est close à 11 h 10.