Jeudi 23 novembre 2023
- Présidence de M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Audition publique sur le développement des réacteurs nucléaires innovants en France (Olga Givernet, députée, et Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteurs)
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office, rapporteur.- Chers collègues, je vous souhaite la bienvenue à cette audition publique de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) consacrée au développement des réacteurs nucléaires innovants en France. L'Office a déjà travaillé sur ce sujet, notamment dans le cadre d'un rapport de juillet 2021 : « L'énergie nucléaire du futur et les conséquences de l'abandon du projet de réacteur nucléaire de quatrième génération Astrid », dont j'ai été le corapporteur avec le député Thomas Gassilloud.
Dans ce cadre, nous avions formulé plusieurs préconisations. Certaines sont en voie de se concrétiser, par exemple fédérer les pays européens favorables au nucléaire, renforcer les moyens dévolus à l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) ou encore prolonger sur plusieurs années le soutien accordé au projet de petit réacteur à eau pressurisée français NUWARD.
Deux ans et demi après la publication de ce rapport, il nous a paru utile de faire un point sur le développement des réacteurs nucléaires innovants en France, indépendamment de leur technologie.
Cette audition comportera trois séquences distinctes, avec deux tables rondes. La première table ronde nous permettra d'entendre quatre start-up qui développent des réacteurs à neutrons rapides (RNR), avec une attention particulière sur la fermeture du cycle, qui est toujours inscrite dans la loi. La seconde table ronde montrera, avec les représentants d'EDF, du Groupement des industriels français de l'énergie nucléaire (GIFEN) et de NUWARD, que les innovations concernent aussi la technologie des réacteurs à eau pressurisée (REP). Le pôle de compétitivité Nuclear Valley fera le lien entre les deux tables rondes. La matinée se conclura par une intervention coordonnée de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), sur l'accompagnement de la certification des solutions techniques innovantes, fondamental pour la réussite de l'innovation en matière nucléaire.
J'ai également sollicité la participation à nos débats de représentants de la Commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs (CNE2). Elle sera représentée par l'un de ses membres, Philippe Gaillochet, ainsi que par son secrétaire général et conseiller scientifique, François Storrer. L'Office avait en effet saisi la CNE2 en mars 2022 pour évaluer l'impact des nouveaux projets de réacteurs sur le cycle des matières et des déchets radioactifs. Nous avons d'ailleurs eu le plaisir d'auditionner la CNE2 voici quelques semaines.
Cette matinée n'a évidemment pas vocation à l'exhaustivité. Elle marque le commencement d'une série de travaux relatifs au secteur nucléaire en France. La prochaine étape sera une audition sur l'évaluation du Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR).
Je rappelle que nos travaux sont diffusés en direct sur le site internet du Sénat et que la vidéo sera ensuite disponible à la demande sur les sites de l'Assemblée et du Sénat. Il sera par ailleurs possible aux internautes, comme nous en avons pris l'habitude, de soumettre des questions en ligne, par l'intermédiaire de la plateforme dont le lien figure sur les pages internet de l'Office. Certaines de ces questions pourront ainsi être posées aux participants lors de l'audition.
M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l'Office. - Le Parlement, et particulièrement l'OPECST, étudie avec beaucoup d'attention les enjeux des réacteurs à neutrons rapides, mais également ceux des réacteurs à eau pressurisée. Cette matinée vise à faire un point de situation sur l'avancement des innovations. Notre rôle consiste également à éclairer le grand public sur les perspectives réalistes de ces développements, ainsi qu'à définir un cadre politique favorable à l'avenir de la filière nucléaire, notamment dans le contexte de la reprise des programmes nucléaires observée depuis un peu plus d'un an.
Les start-up et l'innovation dans le domaine des réacteurs à neutrons rapides et la fermeture du cycle
Mme Olga Givernet, députée, rapporteure. - L'avenir du nucléaire est en train de s'écrire. Il est porté par l'ingéniosité et le dynamisme de nombreuses start-up, de l'ordre de quatre-vingts à travers le monde. Cette première table ronde réunit quatre start-up qui développent de nouveaux réacteurs à neutrons rapides. Elle sera l'occasion de prendre connaissance de leurs projets et de comprendre de quelle façon ils s'inscrivent dans la logique de « fermeture » du cycle du combustible. En effet, notre pays a fait le choix d'un cycle du combustible nucléaire dit fermé, qui consiste à traiter les combustibles usés pour récupérer les matières valorisables, uranium et plutonium. Cette stratégie trouverait sa pleine mesure avec le déploiement de réacteurs nucléaires à neutrons rapides, capables de multi-recycler le combustible usé et d'utiliser les matières nucléaires présentes sur notre territoire, avec à la clé plusieurs centaines d'années de ressource énergétique. Le développement d'un tel réacteur est d'ailleurs prévu par la loi du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs.
Nous débutons cette table ronde avec l'entreprise NAAREA (Nuclear Abundant Affordable Resourceful Energy for All), une entreprise française lauréate de l'appel à projets Réacteurs nucléaires innovants de l'Agence nationale de la recherche (ANR). Elle est représentée par Jean-Luc Alexandre et Christophe Béhar, habitué des auditions de l'OPECST lorsqu'il était directeur de l'énergie nucléaire au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)
M. Jean-Luc Alexandre, président fondateur NAAREA. - NAAREA, créée il y a trois ans, vise à fournir de l'électricité et de la chaleur décarbonées à des industriels. Nous nous inscrivons dans la fermeture du cycle de la matière et avons retenu une technologie qui avait déjà démontré sa capacité à éliminer certains produits de vie très longue. Nous avons choisi un petit réacteur de 40 mégawatts électriques ou 80 mégawatts thermiques, qui permet, par exemple, de fournir la consommation résidentielle d'une ville de la taille de Bordeaux, Strasbourg ou Nantes, ou d'alimenter des gros îlots industriels : des hauts fourneaux, de grosses usines de voitures ou de dessalement d'eau dans les zones en stress hydrique, etc.
Cette solution peut être délivrée rapidement à des industriels. Elle est très compacte, puisque l'îlot nucléaire tient dans un container de la taille d'un autobus, et peut être complété d'un deuxième îlot pour produire de l'électricité à partir de la chaleur. Nous avons choisi un réacteur à sels fondus, dont la viabilité a été démontrée aux États-Unis au siècle dernier, que nous avons combiné avec les neutrons rapides pour pouvoir fissionner le plutonium et, à terme, des actinides mineurs et de l'uranium.
La miniaturisation dans un petit container nous permet de nous affranchir de l'eau pour refroidir le réacteur, qui n'a donc pas besoin d'être placé à côté d'une source froide comme une rivière ou la mer. Cette solution permet également de ne pas avoir d'impact sur la ressource en eau, le refroidissement s'effectuant grâce à la convection naturelle.
Cette technologie est assez prometteuse, puisqu'elle offre une pilotabilité quasiment instantanée, qui permet de compenser, par exemple, l'intermittence des énergies renouvelables, dont elle constitue un complément idéal. Elle permet également d'accompagner la charge d'une usine, qui n'est jamais continue. L'électricité et la chaleur d'usage industriel sont produites à partir d'une source à très haute température, 650 degrés, qui répond aux besoins de nombreux procédés industriels. La chaleur fatale à 75 degrés générée lors de la production d'électricité permet de chauffer des bâtiments et d'apporter ainsi une réponse globale aux besoins industriels.
L'entreprise, en croissance rapide depuis janvier 2022, est aujourd'hui composée de 175 collaborateurs. Elle est financée sur fonds privés français par des bureaux de gestion de fortune familiale. L'objectif à présent est de lever les sommes nécessaires pour construire un prototype. Nous prévoyons une mise sur le marché à partir de 2030, ce qui implique une cadence assez soutenue pour effectuer toutes les démonstrations de sûreté et de sécurité nécessaires sur des petits objets ayant vocation à être fabriqués en grande série, dans une usine. Une fois le réacteur construit, il peut être transporté sur son lieu d'implantation.
M. Christophe Béhar, directeur AMO (assistance maîtrise d'ouvrage) et CTO (Chief Technical Officer ou directeur technique), NAAREA. - Dès le début de nos travaux au sein de NAAREA, nous avons pris en compte le cycle du combustible. Je n'avais pas beaucoup de mérite, puisque j'ai été durant plusieurs années responsable d'Astrid au sein du CEA. Nous avons examiné de quelle manière il nous était possible de nous insérer dans le cycle du combustible du parc de réacteurs à eau pressurisée (REP).
Nos sels combustibles utiliseront du plutonium, de l'uranium appauvri et des sels de chlorure. À terme, notre plutonium devrait provenir de La Hague, dont les capacités devraient être revues à l'horizon 2040. À ce moment-là, il serait bon que nos besoins soient pris en compte, sachant qu'EDF continuera probablement à fabriquer des combustibles MOX pour ses réacteurs à eau pressurisée.
Par ailleurs, pour limiter la production de chlore 36 par activation neutronique - le chlore 36 posant des problèmes pour le stockage des déchets radioactifs - il sera nécessaire de procéder à une séparation isotopique du chlore naturel, qui comprend les deux isotopes 35 et 37. Nous séparerons ces isotopes, afin d'enrichir le chlore naturel en chlore 37, réduisant ainsi la formation de chlore 36.
Nous fabriquerons notre combustible et nous l'injecterons dans nos réacteurs. Une fois que ce combustible sera usé - notre objectif de durée de fonctionnement étant actuellement de trois à quatre ans à pleine puissance, nous le déchargerons. Comme nous ne souhaitons pas développer un nouveau procédé de retraitement, nous utiliserons un « atelier passerelle », pour extraire du sel et le réinjecter dans l'unité de fabrication des sels combustibles. En effet, les colis de verre fabriqués à La Hague pour conditionner les déchets à vie longue ne supportent pas un excès de sel.
En conclusion, aucune innovation forte ne sera requise sur les unités de retraitement actuellement en service : les deux systèmes, c'est-à-dire les réacteurs à eau pressurisée et les réacteurs à sels fondus, peuvent fonctionner parallèlement.
Mme Olga Givernet, députée, rapporteure. - Je cède la parole à Sylvain Nizou et Paul Gauthé, de la société HEXANA, dont le projet concerne un réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium.
M. Sylvain Nizou, CEO, HEXANA. - HEXANA, spin-off du CEA, conçoit un réacteur nucléaire modulaire AMR (Advanced modular reactor) de quatrième génération, qui s'appuie sur la technologie des réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium. Ce système vise à fournir une solution crédible et une alternative à l'utilisation des combustibles fossiles dans l'industrie, en remplacement du pétrole, du gaz et du charbon, en fournissant de la chaleur à haute température, à 500 degrés, et de l'électricité, de façon très flexible.
Nous proposons un réacteur modulaire de 400 mégawatts thermiques. Deux réacteurs couplés délivrent donc 800 MW thermiques, soit 300 MW électriques, associés à un dispositif de stockage de chaleur, qui permet d'acheminer l'énergie vers l'utilisateur de manière très flexible et de dissocier le fonctionnement et le rythme du réacteur de la consommation de l'utilisateur.
Notre objectif consiste à démarrer une tête de série industrielle en 2035 sur un site français, afin de déployer d'ici à 2050 une dizaine d'installations en France, au service des zones industrielles les plus consommatrices d'énergie et les plus émettrices du CO2. Nous avons choisi cette technologie pour trois raisons simples.
La première raison concerne la maturité et la crédibilité du coeur technologique embarqué dans cette solution innovante. Nous nous appuyons sur la technologie des réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium - considérée comme la plus mature pour les réacteurs de quatrième génération, puisqu'elle bénéficie de plus de 400 ans de fonctionnement cumulé de réacteurs à l'échelle mondiale. En France, le réacteur Phénix a permis de qualifier les matériaux et le combustible MOX. Le projet de réacteur Superphénix a démontré la faisabilité à l'échelle industrielle de cette technologie, avec un taux de disponibilité de 96 % sur les dernières années. Enfin, le projet Astrid a permis de renouveler les compétences, de qualifier et de développer de nouveaux outils de calcul. HEXANA va capitaliser sur cette connaissance et ce savoir-faire développés en France, en bénéficiant d'un accès à la propriété intellectuelle et au savoir-faire du CEA et d'EDF.²
La deuxième raison justifiant le choix de cette technologie est liée aux performances. En fournissant de la chaleur à l'industrie - en particulier de la chaleur à haute température - et de l'électricité, nous allons résoudre la problématique de l'ultra-dépendance au pétrole, au gaz et au charbon, en particulier dans les secteurs de l'acier, de la chimie, du ciment, de la production d'hydrogène ou de carburant. Ainsi, une journée de fonctionnement de cette solution équivaut à la production de 200 tonnes d'hydrogène bas carbone.
Enfin, cette technologie permet d'engager la fermeture du cycle du combustible nucléaire, en utilisant un combustible MOX produit à partir de plutonium et d'uranium appauvri, des ressources disponibles en quantités importantes et qui représentent des volumes d'énergie considérables, pour plusieurs siècles.
Cette stratégie permet d'améliorer l'impact environnemental, en sortant d'un processus extractiviste, mais aussi de réduire la dépendance aux prix de marché du minerai d'uranium, de regagner en souveraineté énergétique et de maîtriser le coût de l'énergie.
M. Paul Gauthé, CTO & co-fondateur, HEXANA. - Je viens du CEA où j'ai travaillé sur l'exploitation du réacteur sodium Phénix qui a fonctionné jusqu'en 2009 à Marcoule, puis sur le projet Astrid en sûreté et en conception. Chez HEXANA, nous poursuivons l'idée d'un réacteur modulaire, plus petit, plus compact et plus sûr, puisque le sodium est un métal liquide qui n'a pas besoin d'être en pression et qui permet de refroidir le réacteur simplement avec l'air, en convection naturelle, sans électricité et sans eau.
Notre spécificité réside également dans l'association d'un réacteur au sodium à un système de stockage thermique dans des sels fondus de nitrate, ce qui permet de produire de l'électricité de façon extrêmement flexible, sans variation de la puissance du réacteur. Cette approche accroît la durée de vie du réacteur, découple la partie nucléaire de la partie industrielle et élimine la présence d'eau dans le système. Nous utilisons du MOX RNR, un mélange d'uranium appauvri et de plutonium provenant des combustibles usés. Ce MOX peut être qualifié, fabriqué et retraité, puisqu'il a été utilisé pour Phénix et Superphénix. Les Russes ont récemment annoncé l'utilisation de MOX dans leurs réacteurs rapides au sodium. Nous savions déjà le faire il y a cinquante ans. Le multi-recyclage du plutonium est également une réalité. En outre, nous avons vérifié la possibilité d'accepter plusieurs types de plutonium, issu des combustibles uranium ou MOX des réacteurs à eau pressurisée.
Le réacteur est suffisamment puissant pour être isogénérateur - c'est-à-dire qu'il consomme autant de combustible qu'il en produit - ouvrant la voie à une ère du nucléaire durable ; cette technologie nous permettrait de devenir « l'Arabie saoudite de l'énergie décarbonée ». En conclusion, HEXANA aspire à raviver l'esprit de conquête du nucléaire français, en visant une réalisation rapide plutôt qu'à la fin du siècle.
Mme Olga Givernet, députée, rapporteure. - Nicolas Breyton et Lucas Tardieu vont à présent nous présenter STELLARIA, société également essaimée du CEA, qui propose une nouvelle génération de réacteurs à sels fondus, à destination des grands industriels.
M. Nicolas Breyton, CEO de STELLARIA. - STELLARIA conçoit le premier réacteur à sels fondus, de deux fois 110 mégawatts électriques, qui assure la régénération de son combustible au sein même du coeur. Le réacteur Stellarium a été développé dans le cadre d'une alliance industrielle avec Orano, le CEA, mais aussi Technip et Schneider Electric. La société est née d'une rencontre entre des experts techniques d'Astrid et des experts des besoins des industriels électro-intensifs, opérant dans divers secteurs, tels que les mines, les centres de données, les zones portuaires, etc. Nous avons aussi été à l'écoute des besoins d'EDF et d'Orano pour la fermeture du cycle, besoins que notre projet satisfait complètement.
L'objectif consiste à fournir une tête de série d'ici 2035, destinée aux grands clients industriels qui doivent fonctionner vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec une énergie décarbonée à bas coût, produite en juste à temps, en suivant la courbe de la demande. Pour réindustrialiser et électrifier le pays, il faut garantir des factures d'énergie stables à long terme.
La filière industrielle a pour objectif de fermer le cycle, en valorisant pleinement l'uranium et le plutonium issus des réacteurs à eau pressurisée, ainsi que les matières contenues dans les combustibles usés, et, si possible, d'incinérer l'américium et les autres actinides mineurs. Notre stratégie vise donc à diminuer la dépendance aux mines étrangères, pour atteindre la souveraineté énergétique.
La somme de ces besoins converge vers une technologie de rupture, conduisant à la création d'une nouvelle filière à neutrons rapides à combustibles liquides. Les combustibles liquides présentent l'avantage de fournir une électricité très rapidement commandable à la hausse et à la baisse, constituant ainsi un complément aux énergies intermittentes. En outre, le réacteur Stellarium peut s'arrêter très rapidement grâce à la dilatation naturelle des combustibles liquides, ce qui apporte une sûreté intrinsèque par conception, y compris en cas de perte totale du circuit primaire. Il fonctionne à pression atmosphérique et en convection naturelle, ce qui empêche le dégazage en cas d'accident. Enfin, il n'y a pas de risque de fusion de coeur puisque celui-ci est naturellement fondu. La zone d'exclusion de sûreté est donc très limitée, ce qui permet un déploiement nouveau dans des grandes zones industrielles. Nous avons choisi des sites sur lesquels les services de sécurité existent.
Nous pouvons fournir deux fois 110 mégawatts électriques en autonomie pendant quinze ans sur une surface compacte de la taille d'un ou deux terrains de football, ce qui permet de résoudre le problème du foncier dans des zones plus contraintes. L'autonomie étant totale durant quinze ans, le combustible reste sur site, ce qui évite les transports inutiles.
Par ailleurs, le réacteur Stellarium fournit la capacité de multirecycler les combustibles usés issus des réacteurs à eau pressurisée, s'inscrivant parfaitement dans la stratégie de fermeture du cycle. Il est tolérant et peut fonctionner avec différents types de combustibles liquides mélangés dans le sel : le MOX, même dégradé, l'uranium de retraitement et le thorium. Nous avons 9 000 tonnes de thorium ainsi que 320 000 tonnes d'uranium appauvri sur notre sol, qui sont valorisables. De ce fait, le Stellarium permet une diversification des approvisionnements et une gestion de l'inventaire du plutonium civil, ainsi qu'un renforcement de notre souveraineté.
Les déchets de haute activité peuvent être transmutés dans notre réacteur, réduisant ainsi la demi-vie moyenne de ces déchets de 300 000 ans à 300 ans. De plus, le Stellarium ouvre la perspective nouvelle d'un renouvellement de 100 % du combustible pendant son fonctionnement normal : il remplace instantanément les matières fissionnées par des matières fertilisées au sein même de son coeur, comme une voiture qui renouvellerait son carburant. Cela permettra d'offrir une stabilité de production électrique inégalée et une grande continuité de service, donc de garantir une facture énergétique stable et prévisible pour les industriels.
Pour réussir ce projet, nous avons trois besoins immédiats. Premièrement, nous avons besoin de zones dédiées au sein des sites de recherche existants pour mener rapidement des expériences scientifiques. Deuxièmement, il est essentiel de mettre en place des procédures simplifiées pour obtenir les autorisations nécessaires à ces expériences à petite échelle. Ces autorisations devront être accordées dans le respect le plus strict des normes de sûreté, les exigences devant, comme le suggère un rapport de l'OPECST, être proportionnées au risque radiologique réel. Enfin, nous aurons besoin de créer en un temps record, avec nos partenaires Orano et le CEA, les sels combustibles de recherche nécessaires pour procéder à ces expériences. La simplification des autorisations pour ces combustibles de recherche sera également un enjeu majeur.
À plus long terme, il faudra envisager la perspective de nouveaux sites nucléaires permettant de déployer ces petits réacteurs dans des zones industrielles. Compte tenu de la crise énergétique et de l'explosion des besoins en uranium, l'heure des réacteurs à neutrons rapides est venue. Ils constituent la meilleure solution environnementale pour offrir une énergie à la hauteur des besoins industriels, une énergie souveraine, sûre, décarbonée, durable et renouvelable pendant des siècles.
Mme Olga Givernet, députée, rapporteure. - Nous achevons cette table ronde avec l'intervention de NEWCLEO, représentée par Ludovic Vandendriesche. NEWCLEO est une société d'origine italienne implantée à Lyon - nos amis italiens ayant gardé un haut niveau scientifique en physique nucléaire malgré l'abandon, sans doute provisoire, de son utilisation pour l'énergie. NEWCLEO développe des réacteurs nucléaires rapides refroidis au plomb.
M. Ludovic Vandendriesche, directeur général France, NEWCLEO. - NEWCLEO a été créée en 2021 sur financement privé, à l'initiative de fondateurs italiens. Elle s'est implantée dans un premier temps au Royaume Uni avant de créer en 2022 une entité à Lyon, afin d'accompagner la renaissance du nucléaire annoncée par le Président de la République. Au milieu de cette année, elle a été lauréate de France 2030, dans le cadre de l'appel à projets sur les réacteurs nucléaires innovants. Notre vocation est d'être un acteur compétitif de la transition énergétique et de proposer un nucléaire durable.
Nous proposons un concept de réacteur SMR (small modular reactor) de quatrième génération à neutrons rapides refroidi au plomb. Cette technologie est fondée sur un acquis conséquent en France et sur vingt-cinq années de R&D en Europe, notamment en Italie, sur les réacteurs au plomb. Il s'agit d'un nucléaire vertueux et durable dans le cadre de la fermeture du cycle du combustible, qui permet un recyclage des matières valorisables issues des déchets nucléaires. Nous avons vocation à nous inscrire dans un écosystème collaboratif pour développer un réacteur nucléaire dont la puissance est de 200 mégawatts électriques, mais également une usine de fabrication de combustible MOX RNR, différent de celui utilisé actuellement en France. Les applications sont multiples, la principale portant sur la génération d'électricité et l'alimentation du réseau.
Nous avons déjà réalisé deux levées de fonds, en 2021 et début 2022, pour un total de 500 millions d'euros. Une troisième levée est en cours, pour atteindre un milliard d'euros. Le calendrier inclut la construction d'une installation d'essai sur le site de Brassimone en Italie d'ici 2026, puis d'un démonstrateur industriel et d'une usine de combustibles MOX en France à l'horizon 2030. Nous souhaitons nous appuyer sur une supply chain européenne intégrée dès les phases de conception, pour respecter ces objectifs de livraison assez ambitieux, et donc sur un modèle de partenariat, voire d'acquisition d'un certain nombre de fournisseurs stratégiques.
Nos priorités portent sur une forme de labellisation par le Gouvernement français, en tant que fabricant de combustible MOX RNR. Nous recherchons également l'appui du Gouvernement pour l'acquisition de deux sites nucléaires existants, l'un pour pouvoir implanter notre premier réacteur démonstrateur industriel, l'autre pour l'usine de fabrication de combustibles MOX.
M. Stéphane Calpena, directeur de la sureté et des processus réglementaires, NEWCLEO. - NEWCLEO souhaite fabriquer du combustible MOX pour ses propres besoins et ceux de nos confrères. Le choix du plomb s'appuie sur vingt-cinq à trente années de recherche et développement (R&D) en Italie. Celle-ci a continué après la fermeture de Superphénix, sur lequel beaucoup d'Italiens ont travaillé. De nombreux collaborateurs de NEWCLEO proviennent des équipes de Phénix, Superphénix et Astrid. Par ailleurs, le plomb ne réagit pas avec l'air et l'eau, ce qui représente un progrès par rapport au sodium. De plus, la convection naturelle fonctionne bien. Contrairement aux réacteurs à eau pressurisée, il n'existe aucun risque de fuite, l'ensemble étant regroupé dans une seule cuve.
Le réacteur est auto-stabilisant : quand la température monte un peu trop, la réaction nucléaire est étouffée, à travers un équilibre en conditions accidentelles, qui intervient probablement entre 600 et 700 degrés. La marge est importante, l'ébullition du plomb intervenant à 1 740 degrés, et nous souhaitons la valoriser auprès de l'Autorité de sécurité nucléaire et de l'IRSN. Notre technologie repose également sur de nombreux systèmes passifs et une capacité de rétention des radionucléides par le plomb. Nous poursuivons la R&D. Le précurseur, situé en Italie, ne sera pas un réacteur nucléaire, puisque des chaufferettes électriques remplacent le combustible, mais il est quasiment à l'échelle. Plusieurs réunions sont planifiées avec l'Autorité de sûreté nucléaire sur l'inspection en service et les aspects de corrosion qui sont les points regardés de près pour ce type de réacteurs.
Mme Olga Givernet, députée, rapporteure. - Je vous propose de passer à présent au débat. Avez-vous été en mesure de quantifier vos besoins en combustible ? Comment allez-vous les approvisionner ?
M. Christophe Béhar. - Nous avons quantifié les quantités de combustible nécessaire au déploiement d'une flotte de réacteurs. Celui-ci proviendrait de l'usine de retraitement de La Hague mise à niveau, mais nous envisageons également de faire venir des combustibles usés de l'étranger, afin qu'ils soient retraités pour pouvoir ensuite fournir du plutonium pour nos besoins.
M. Paul Gauthé. - De notre côté, nous avons besoin de deux tonnes de MOX pour démarrer un réacteur. Nous savons le fabriquer et l'avons fait à l'atelier de technologie du plutonium de Cadarache, pour les réacteurs Phénix et Superphénix. Désormais, l'enjeu consiste à réindustrialiser un atelier MOX RNR au plus vite. Orano pourrait être un acteur, puisqu'il devait alimenter le réacteur Astrid. Mais nous sommes également intéressés par le projet de NEWCLEO.
M. Lucas Tardieu, architecte réacteur, STELLARIA. - Les calculs fournissent une évaluation de ce que consomme un réacteur. La régénération constante du combustible au sein de notre réacteur permet de limiter les transports ainsi que l'appel à une usine de retraitement, sollicitée tous les 15 ans. Les calculs sont en cours pour bien déterminer le besoin.
M. Ludovic Vandendriesche. - Les ordres de grandeur sont également de deux tonnes pour nous. Notre usine de fabrication de MOX a vocation à être modulaire, la capacité de production démarrant à 20 tonnes pour croître jusqu'à 60 tonnes, afin d'accompagner le déploiement du parc au fil des années.
M. Alexandre Sabatou, député. - Qu'attendez-vous concrètement des pouvoirs publics ? Vous estimez-vous suffisamment soutenus ? La règlementation et les normes en vigueur représentent-elles des obstacles importants pour le développement de vos technologies ?
M. Jean-Luc Alexandre. - Nous remercions les pouvoirs publics d'avoir accompagné NAAREA sur l'appel à projets France 2030. Ce soutien permet d'envoyer un signal aux investisseurs privés, qui ont besoin de voir que l'État croit à notre projet. Au-delà du label, il est important d'accompagner les start-up dans la réalisation des démonstrations de sûreté, notamment grâce aux ressources que l'État a pu développer, comme les outils de calcul scientifique déjà homologués. Homologuer de nouveaux logiciels serait extrêmement long. En outre, l'État pourrait nous aider à accélérer nos projets, en mettant à disposition un site nucléaire pour nos prototypes.
M. Sylvain Nizou. - L'appel à projets France 2030 permet d'enclencher une dynamique forte et de faire émerger des acteurs sur des technologies existantes, ou qui doivent encore faire leurs preuves de concept. Il est également très important de donner aux autorités de sûreté les moyens d'expertiser les projets. Nous espérons bénéficier des acquis du passé, dans la mesure où la technologie RNR sodium a déjà été licenciée sur le sol français. Enfin, il est essentiel d'impulser une dynamique et une planification sur le combustible, pour accompagner les acteurs émergents sur des concepts innovants.
M. Nicolas Breyton. - Nous nous considérons comme un catalyseur de la recherche publique. Le projet est gagnant-gagnant si nous identifions ensemble les moyens d'accélérer les procédures et d'utiliser des installations existantes, pour trouver des solutions afin d'accélérer les roadmaps.
M. Ludovic Vandendriesche. - Les actions déjà réalisées par le Gouvernement depuis un an et demi sont assez exceptionnelles. Elles nous ont permis d'initier nos travaux et notre implantation sur le territoire. À présent, nous avons besoin que la thématique « combustible » soit intégrée de manière beaucoup plus concrète et pragmatique dans l'appel à projets sur les réacteurs nucléaires innovants. Pour le moment, elle demeure trop écartée. Dans ce cadre, l'attribution de sites est primordiale.
M. Stéphane Calpena. - Il importe de donner aux institutions de sûreté les moyens de suivre les nouveaux pétitionnaires. En outre, les délais d'obtention d'un décret d'autorisation de création (DAC) sont aujourd'hui très longs, six à sept ans. Nous aimerions que la loi du 22 juin 2023 soit amendée, pour permettre le début de la construction nucléaire avant l'obtention du DAC, aux risques et périls des pétitionnaires.
M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l'Office. - Je m'adresse notamment à NAAREA. Comment envisagez-vous concrètement la fermeture du cycle du combustible ? Comment voyez-vous le financement des opérations de développement de ce nouveau nucléaire, compte tenu des contraintes pesant par ailleurs sur les finances publiques ? La loi du 22 juin 2023 vous semble-t-elle adaptée à vos secteurs ?
M. Daniel Salmon, sénateur. - Quelle est votre estimation du prix du mégawattheure (MWh) ? Existe-t-il de la place pour plusieurs modèles concurrents ?
M. Maxime Laisney, député. - Vous comptez tous sur le MOX, mais les informations dont nous disposons sur l'usine Melox font état d'un grand nombre de rebuts. Le pari que vous effectuez tous est celui d'une production en série et en quantité. Sous quels délais les usines de fabrication et les puissances installées seront-elles opérationnelles ? Quel en sera le coût ? Au-delà du développement des concepts, souhaitez-vous également réaliser l'exploitation, qui relève pour l'instant du monopole d'EDF ?
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office, rapporteur. - Considérez-vous que la décision d'arrêter le projet Astrid, prise dans l'été 2019, a mis fin à la possibilité de créer des réacteurs à neutrons rapides ? Les délais que vous annoncez semblent ambitieux. Pensez-vous réellement pouvoir les tenir ?
M. Christophe Béhar. - S'agissant de la fermeture du cycle, nous allons tous recycler le plutonium et nous partageons tous la technologie à neutrons rapides. Ensuite, si notre projet n'utilise pas de MOX, les autres participants à cette table ronde utiliseront probablement du MOX RNR, qui n'est pas exactement le même que celui des réacteurs à eau légère. Enfin, je fais partie de ceux qui pensent qu'il n'y aura pas à terme de nucléaire durable sans réacteurs à neutrons rapides.
M. Jean-Luc Alexandre. - La question du niveau des prix est capitale pour la compétitivité. Nous sommes sur un marché international : au niveau mondial, la demande électrique sera multipliée par trois ou quatre au cours des trente prochaines années. Le prix sera très attractif pour plusieurs raisons. Le niveau de sûreté passif sera très élevé pour la quatrième génération, induisant un impact direct sur les coûts d'investissement. Ensuite, nous sommes à la fois concepteur, fabricant, exploitant et mainteneur, soit le business model utilisé par la France dans un grand nombre de secteurs où elle est numéro un mondial, comme le secteur ferroviaire ou le secteur de l'eau. Nous serons plus compétitifs que les secteurs des énergies fossiles et des énergies renouvelables.
M. Sylvain Nizou. - S'agissant de la loi d'accélération du nucléaire, nous considérons qu'il est nécessaire de travailler avec l'État sur les questions de planification, pour l'installation des nouveaux réacteurs sur des sites existants ou de nouveaux sites. Aujourd'hui, HEXANA ne se revendique pas exploitant et collaborera activement avec ses partenaires, dont EDF. Enfin, nous nous positionnons dans une stratégie de capitalisation des acquis du projet Astrid, au service du futur.
M. Paul Gauthé. - Le prix de l'uranium a été multiplié par quatre depuis l'arrêt d'Astrid, ce qui rappelle l'urgence de réinvestir dans les réacteurs à neutrons rapides. Ensuite, le réacteur sodium s'appuie sur un écosystème encore existant, notamment l'entreprise Framatome. Enfin, les RNR sont des concepts de réacteurs sans pression. Nous ne sommes donc pas en concurrence avec la supply chain des REP, qui ont besoin de gros forgés. Nous sommes plutôt utilisateurs de chaudronnerie et de produits mécanosoudés.
M. Nicolas Breyton. - Les compétences qui ont été développées sur Astrid servent à d'autres projets, comme ceux qui vous sont présentés aujourd'hui. Je propose de créer une école des RNR, afin que les jeunes qui arrivent sur le marché soient aussi formés sur les réacteurs rapides.
M. Ludovic Vandendriesche. - Le business model de NEWCLEO est fondé à la fois sur un modèle d'exploitation des réacteurs, très probablement en collaboration étroite avec l'exploitant historique, et sur un modèle de licence, plutôt applicable à nos clients internationaux. Nous essaierons de faire valoir la supply chain que nous aurons développée pour les composants principaux des installations que nous placerons sous licence.
Avancées et perspectives pour les réacteurs à eau pressurisée
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office, rapporteur. - L'innovation dans le nucléaire porte aussi sur la technologie actuellement la plus répandue, celle des réacteurs à eau pressurisée, dont les représentants du pôle de compétitivité Nuclear Valley vont à présent nous parler, ainsi que des enjeux communs aux jeunes entreprises du nucléaire.
M. Jean-François Debost, directeur général, Nuclear Valley. - Notre association a été créée en 2005 à Chalon-sur-Saône, sous l'égide du ministre de l'énergie. Elle a vu son label de pôle de compétitivité renouvelé pour quatre années supplémentaires par la Première ministre en avril 2023. Sa mission première consiste à faire émerger des solutions d'innovation, notamment auprès des PME.
Nous fédérons aujourd'hui une communauté de 430 adhérents, auxquels s'ajoutent 400 autres entreprises qui participent à nos travaux. Nuclear Valley compte 56 % de PME et TPE, notamment une trentaine de start-up, dont quinze ont déposé un dossier lors de l'appel à projets « Réacteurs nucléaires innovants » de France 2030. Notre association est aujourd'hui cofinancée par deux ministères : le ministère de l'Économie et des Finances et le ministère de la Défense pour la propulsion nucléaire - le premier petit réacteur français a été embarqué sur le Redoutable en 1971. Notre pôle de compétitivité est également financé par le conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté et celui d'Auvergne-Rhône-Alpes, ainsi que par deux intercommunalités : le Grand Chalon et la communauté urbaine du Creusot Montceau. Ce soutien public représente environ un tiers de nos de nos ressources.
Nos missions, définies dans la convention signée avec les pouvoir publics, s'articule autour de quatre axes : l'émergence de solutions innovantes ; l'animation économique pour aider ces PME à créer de l'emploi au sein de nos territoires ; l'accompagnement à la levée de fonds, avec la présence de quinze fonds d'investissement français dans notre club d'investisseurs Nuc Tech, dont le fonds souverain Fonds France Nucléaire et Definvest, des bureaux de gestion de fortune familiale et des banquiers privés ; enfin, le développement de l'emploi-compétence, enjeu important pour la filière nucléaire française, à travers le soutien aux métiers du nucléaire.
Dans le cadre du premier appel d'offres de France 2030, nous accompagnons onze des quinze initiatives qui ont déposé un projet.
M. Romain Monier, directeur technique, Nuclear Valley. - Notre rôle consiste à intervenir à n'importe quel stade du projet de nos adhérents, en partant de l'idéation dans notre domaine d'activité stratégique, en facilitant la formation des consortiums, en les assistant pour construire leurs projets et en faisant expertiser et labelliser ceux-ci par notre conseil scientifique. Dans le cadre de l'appel à projets France 2030 pour les réacteurs innovants, notre conseil scientifique ne se substitue pas à l'expertise du CEA, mais il apporte son expertise aux briques technologiques transverses aux projets, parfois jusqu'aux réacteurs à eau pressurisée.
Nous accompagnons ces initiatives dans la recherche de leurs futurs partenaires industriels, afin qu'ils puissent commencer à construire leur supply chain et intégrer les contraintes technologiques dès la conception des designs. Nous les accompagnons également vers les guichets de financement un peu plus classiques pour les applications REP avec des projets i-Démo régionalisés ou des projets d'innovation régionaux. Au sein de l'appel à projets France 2030, 77 projets ont été lauréats pour la partie nucléaire, représentant un investissement total de 343 millions d'euros, qui devrait répondre aux enjeux du parc.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office, rapporteur. - Monsieur BARD, pouvez-vous nous présenter le rôle du Groupement des industriels français de l'énergie nucléaire (GIFEN), qui fédère 500 entreprises depuis 2018 ?
M. Olivier Bard, délégué général, GIFEN. - Le GIFEN a été créé pour doter la filière d'une organisation semblable à celle d'autres filières, à l'instar de l'aéronautique, en regroupant un certain nombre d'organisations. Nous coopérons très étroitement avec les acteurs préexistants, à commencer par Nuclear Valley. Le GIFEN couvre plus de 90 % des entreprises de la filière, parmi lesquelles figurent les exploitants, mais aussi les fournisseurs de tous rangs, dont des PME, des ETI et des organisations professionnelles.
Nous fédérons une filière qui représente 200 000 emplois, dont 50 % des entreprises sont exportatrices et 80 % travaillent pour d'autres secteurs que le nucléaire. Le GIFEN a trois missions : fédérer la filière pour sa mobilisation et sa performance collective ; fournir des services d'intérêt commun aux entreprises ; représenter la filière, y compris sur la scène européenne ou internationale.
Le GIFEN organise ses travaux autour de différents axes : les compétences, la formation sur la sûreté et la qualité, le développement international, la transformation numérique, les affaires européennes et la communication. Il s'est d'abord attaché à travailler sur les compétences et sur les capacités industrielles. Nous avons remis récemment les résultats du programme Match, qui visait à doter la filière d'un outil structuré et collaboratif pour prévoir les besoins en compétences et piloter la mise en adéquation de la mobilisation de la filière.
Ce programme a identifié un besoin de 60 000 équivalents temps plein sur le coeur de la filière et 100 000 au total sur les dix ans à venir. Il a également permis de travailler sur des leviers d'action pour mener à bien une mise en adéquation en termes de développement de ressources, de renforcement de performance opérationnelle et de soutenabilité économique. L'objectif consiste à permettre aux entreprises de préparer les plans de recrutement et d'investissement qu'elles pourront engager quand le nouveau programme nucléaire sera effectivement lancé.
Le GIFEN porte une démarche innovante, qui a vocation à irriguer les enjeux et les actions de la dynamique industrielle nécessaire pour optimiser les gains de performance attendus de l'enchaînement des projets. Ce programme industriel permet de renforcer l'efficacité de réplication des projets et l'optimisation des modes d'exécution. Le GIFEN pilote, en collaboration avec le pôle Nuclear Valley, une commission R&D et innovation au sein de laquelle les entreprises se réunissent mensuellement et travaillent sur des sujets d'innovation communs. Ce cadre permet aux petites entreprises de trouver les moyens de coopérer sur des sujets qu'elles ne pourraient pas traiter seules. Une feuille de route a également été établie pour la période 2023-2027 sur des sujets d'intérêts transverses pour la filière, comme le cycle de l'eau, les nouveaux combustibles, la valorisation des matières, la transformation numérique, la fabrication additive, etc.
En conclusion, l'innovation irrigue tous les efforts de la filière ; elle s'étend de l'émergence de solutions totalement innovantes jusqu'à la nécessaire démarche industrielle d'amélioration continue, à travers un équilibre entre la réplication industrielle et l'injection de nouveaux procédés, pour améliorer la performance sur les dix à vingt ans à venir.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office, rapporteur. - Je cède la parole à Bernard SALHA, directeur R&D d'EDF.
M. Bernard Salha, directeur technique groupe et directeur de la R&D, EDF. - L'innovation concerne aussi les réacteurs à eau pressurisée. EDF maintient ses réacteurs existants et futurs, EPR2 et NUWARD, au meilleur niveau technologique. Sur le parc existant, le niveau de sûreté que nous mettons en oeuvre sur nos REP, dans le cadre des quatrièmes visites décennales du palier 900 mégawatts, est fondé sur une référence EPR. Il s'agit de mettre en oeuvre des modifications permises par l'innovation pour mettre les réacteurs existants au même niveau de sûreté que ces derniers. Ensuite, l'EPR2 tient compte du retour d'expérience du premier réacteur EPR à Flamanville, mais aussi de toutes les innovations, notamment en matière de rapidité de construction, de façon à mieux maîtriser les délais.
Par ailleurs, le processus d'innovation dans les REP est évolutionnaire, grâce à des briques technologiques, à l'instar de ce qui se pratique dans d'autres secteurs tels que l'aéronautique. Ces briques sont des éléments techniques qui permettent d'améliorer la performance, en venant s'insérer dans la conception d'un réacteur. À titre d'exemple, nous développons aujourd'hui des outils pour fiabiliser les plannings d'arrêt de nos réacteurs, en faisant appel aux meilleures techniques disponibles en intelligence artificielle. Nous utilisons aussi l'intelligence artificielle pour piloter l'avancement et la qualité de construction des chantiers neufs, gérer les aléas et exploiter notre documentation existante, que nous avons entièrement numérisée et mise aux normes les plus modernes.
Un autre exemple de brique technologique est la fabrication additive. Nous transférons dans le nucléaire les premiers succès rencontrés dans l'hydraulique, grâce au soutien apporté par France Relance. Le projet Arqane fédère ainsi plusieurs acteurs et permet de tester ces solutions. Dans le domaine du combustible, nous cherchons à développer des enhanced accident tolerant fuels (EATF), c'est-à-dire des combustibles plus tolérants aux accidents. Dans le domaine du cycle du combustible, nous étudions la question du multi-recyclage en REP, visant à maîtriser les quantités de plutonium qui tournent dans nos réacteurs. Enfin, dans le domaine environnemental, nous sommes en train de tester des innovations, afin de limiter la consommation d'eau de nos réacteurs dotés de tours aéroréfrigérantes. Nous testons sur le site du Bugey, dans un banc d'expérimentation nommé Mistral, un processus inventé par une start-up américaine qui pourrait être déployé plus largement.
Ensuite, il existe des SMR à eau pressurisée, mais également des projets de réacteurs produisant de la chaleur. Par exemple, le projet Calogena que nous avons soutenu vise à produire de la chaleur pour les réseaux de chaleur. D'autres projets européens existent en la matière, notamment en Finlande. Nos collègues américains ont également développé de nombreux réacteurs à eau pressurisée ou à eau bouillante fondés sur des technologies existantes, à l'image du projet Nuscale ou du projet BWRX-300 de General Electric, dont nos collègues canadiens d'Ontario Power Generation envisagent une première mise en service avant 2030.
L'intérêt des projets REP est double : ils utilisent une technologie qui a fait ses preuves, un atout majeur en termes de conception, de construction et d'analyse de sûreté ; ils utilisent des combustibles connus, quasiment disponibles dans des usines existantes, ce qui n'est pas le cas pour les SMR de quatrième génération.
Nous estimons que ces SMR à eau pressurisée ont une probabilité raisonnable de produire de l'électricité autour des années 2030. Nous sommes en outre très intéressés par la démarche de nos collègues sur les AMR, en raison de leur dynamisme entrepreneurial. Cependant, il s'agit de démarches de start-up, qui comportent donc des risques plus élevés. En conclusion, les démarches sur l'eau pressurisée, les SMR et les AMR ne doivent pas être opposées ; elles s'enrichissent entre elles.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office, rapporteur. - À présent, Monsieur Frédéric HOFMANN va nous exposer les perspectives du programme NUWARD, sur lequel nous fondons beaucoup d'espoirs.
M. Frédéric Hofmann, directeur du programme SMR France, EDF. - Le programme NUWARD est aujourd'hui le projet le plus avancé en France. Il est porté par EDF, avec le concours de l'ensemble de la filière nucléaire française : le CEA, Technicatome, Naval Group et Framatome, récemment rejoints par un partenaire européen : Tractebel. Ce projet est soutenu par l'État à hauteur de 500 millions d'euros, au titre de France Relance et de France 2030. Cette centrale comprend deux réacteurs intégrés à eau pressurisée, qui délivrent au total 340 mégawatts électriques et de la chaleur.
Fondée sur le savoir-faire français et l'expérience acquise depuis des décennies, cette centrale bénéficie en outre des hautes technologies et de nombreuses innovations de rupture. La première concerne la construction modulaire, principe commun aux SMR : les modules du NUWARD SMR seront assemblés dans des usines - ce qui représente environ 70 % du travail à réaliser pour le construire, puis acheminés sur site pour y être assemblés, et enfin placés et reliés entre eux. Ce système présente de nombreux avantages, notamment en termes de durée de construction : le NUWARD SMR sera ainsi construit en quarante mois. De plus, ce système permettra de réduire les risques et les coûts selon la règle du 1-3-8 : pour accomplir l'équivalent d'une heure de travail en usine, il en faudrait trois dans un atelier aux abords du site et huit sur le site lui-même. Ensuite, il sera nécessaire de créer un certain nombre d'usines pour fabriquer ces modules, lesquels permettront de soutenir la réindustrialisation qui nous est chère.
La deuxième innovation concerne la chaudière intégrée. Dans les réacteurs de forte puissance, le circuit primaire est composé de plusieurs pièces : la cuve contenant le combustible chargée de chauffer l'eau du circuit primaire ; les générateurs de vapeur produisant l'électricité et les pompes primaires permettant de prendre l'eau du circuit primaire pour la réinjecter dans la cuve. Dans le NUWARD SMR, les générateurs de vapeur et les pompes primaires sont intégrés à la cuve.
Cette innovation est rendue possible par un certain nombre d'autres innovations, notamment des générateurs de vapeur à plaques en titane qui permettent de rendre ce système bien plus compact. Compte tenu de ces technologies et de sa petite taille, cette chaudière présente plusieurs intérêts, notamment un système de sûreté passif qui répond aux meilleurs standards internationaux et facilite l'acceptabilité du NUWARD SMR à proximité des centres de consommation.
La troisième innovation concerne la capacité de cogénération : le NUWARD SMR produit de la chaleur bas carbone en plus de l'électricité. La centrale de production peut soit créer 100 % de son énergie sous forme d'électricité (340 MW), soit utiliser une partie de la chaleur du coeur pour la délivrer directement au client. Dans ce cas, il est possible de délivrer 100 MW de chaleur, tout en conservant 310 MW d'électricité, soit une puissance totale de 20 % supérieure.
Aujourd'hui en France, 45 % de l'énergie finale consommée correspond à des besoins de chaleur, soit 700 térawattheures (TWh) par an. Près de 60 % de cette chaleur est carbonée ; ce qui signifie que nous devons décarboner 400 TWh de chaleur. Un NUWARD SMR peut produire 0,8 TWh de chaleur par an. Enfin, les innovations liées aux usages de cette chaleur nous conduisent à être sollicités par des industriels de la pétrochimie, des papetiers et des sucriers qui cherchent à se décarboner. Parmi les autres débouchés figure l'hydrogène, puisque l'une de nos innovations en développement porte sur des électrolyseurs à haute température qui permettent d'utiliser à la fois l'électricité et la chaleur, ainsi que de réduire la consommation d'énergie associée à la production d'hydrogène. Enfin, il est possible de citer la chaleur urbaine ou la désalinisation d'eau de mer.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office, rapporteur. - Je propose à présent d'ouvrir le débat.
M. Maxime Laisney, député. - Le SMR NUWARD procède-t-il par captage et rejet d'eau comme pour les gros réacteurs traditionnels ?
Il me semble que le design des EPR2 n'est pas achevé. Combien de milliers d'heures d'ingénierie sont-elles encore nécessaires ? Framatome est-il capable de produire en série les pièces maîtresses ? Voici un an, j'avais posé la question au PDG de Framatome qui avait répondu ne pas être prêt pour le couvercle. La loi adoptée cette année évoque six EPR2, peut-être huit ou plus. Sera-t-il possible de produire plus de six EPR2, soit le nombre sur lequel le PDG d'EDF, M. Luc Rémont, m'avait dit qu'il s'était engagé ?
M. Frédéric Hofmann. - Le circuit primaire est effectivement alimenté par de l'eau, mais elle circule. La consommation d'eau intervient dans la production d'électricité, lorsqu'elle est utilisée pour refroidir par évaporation. Il est aussi possible d'utiliser un circuit ouvert qui prélève l'eau dans la rivière, pour la réchauffer et la restituer à l'aval, ce qui évite la consommation d'eau mais élève la température de la rivière.
M. Bernard Salha. - L'EPR2 est en réalité à un stade de conception bien plus avancé que celui des autres réacteurs qui ont été évoqués. La conception détaillée est en cours. Nous travaillons actuellement sur une perspective de six réacteurs, mais huit autres ont également été évoqués.
M. Olivier Bard. - Du point de vue industriel, les entreprises ont besoin d'être mobilisées sur une cadence, au bon niveau de performance. Ainsi, un programme de huit réacteurs correspond à une cadence d'un réacteur par an en France. Il est important de réfléchir en termes de cadence pour avoir une vision industrielle des conditions de succès d'un tel programme.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office, rapporteur. - Les besoins en électricité sont en très forte croissance au niveau mondial. Comment la France se situe-t-elle au sein de la compétition internationale en matière nucléaire, notamment face aux projets Hitachi et Rolls-Royce ? Quelles sont les éventuelles conséquences de l'abandon du projet de start-up américaine NuScale, en particulier pour le projet NUWARD ? Enfin, il semble possible d'augmenter la puissance d'un REP existant. Est-ce désormais envisageable en France ?
M. Bernard Salha. - La concurrence internationale est effectivement forte. Ainsi que Jean-Luc Alexandre l'a indiqué, le volume d'électricité à produire en Europe est considérable, a fortiori en ajoutant les besoins liés à l'hydrogène et à la chaleur. Il y a donc une place pour plusieurs acteurs et l'enjeu porte plus sur le démarrage des projets SMR, aucune construction n'étant réalisée. Au niveau européen, l'initiative EU Partnership, reconnue par la Commission européenne au début du mois de novembre, vise à développer les conditions permettant le déploiement des SMR en Europe. La France est très bien dotée sur l'ensemble de ce secteur d'activité. Nous disposons de nombreux atouts sur les réacteurs existants, mais également les nouveaux réacteurs. Enfin, nous nous efforçons effectivement d'augmenter la puissance des REP, mais cette augmentation ne peut être que de quelques pour cent, quelle que soit la méthode utilisée. Il est possible d'augmenter le rendement de la turbine, comme nous pourrions le faire sur nos réacteurs de 900 mégawatts, ou d'accroître la puissance du réacteur lui-même en élevant sa température, ce qui est un peu plus complexe.
M. Jean-François Debost. - L'ensemble des cinq projets NuScale n'ont pas été abandonnés, seul celui de l'Idaho l'a été. Aujourd'hui, il existe à peu près 80 projets de SMR ou d'AMR. Le département d'État américain a estimé que le marché s'élèverait à 180 milliards d'euros à l'horizon 2040. Compte tenu des besoins, je partage donc les propos de Monsieur Salha : il y a de la place pour tout le monde. Les deux tiers des quinze initiatives que nous suivons ont un niveau de maturité technologique (Technology Readiness Level ou TRL) supérieur à six ou sept, pas très éloigné de neuf. La marche à monter n'est donc pas si haute. Pour les enjeux d'investissement, il est important que la deuxième partie du fonds France Nucléaire soit levée par l'État. En effet, nos PME auront plus que jamais besoin de fonds propres pour poursuivre leurs innovations. Dans le cadre de France Relance, 160 projets ont été déposés mais 74 seulement ont pu être retenus, puisqu'il n'y avait pas assez de subventions.
Lors des trois dernières années, le pôle a labellisé pour plus de 600 millions d'euros d'actifs de projets de R&D, dont 80 % sont portés par des petites entreprises situées sur vos territoires. Elles ont plus que jamais besoin de votre soutien et de celui de l'État.
M. Frédéric Hofmann. - Le modèle de développement de NuScale est un peu différent : ils ont développé et fait licencier un design auprès des autorités américaines. Désormais, ils cherchent un site pour le construire. NUWARD travaille sur une tête de série en France, afin de démontrer sa crédibilité technique et commerciale, pour pouvoir ensuite le vendre et développer l'effet de série.
L'accompagnement de la certification des solutions technologiques innovantes
Mme Olga Givernet, députée, rapporteure. - Nous allons terminer ces exposés par les interventions de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) sur un sujet stratégique pour l'innovation dans le domaine nucléaire : l'accompagnement de la certification des solutions technologiques innovantes. En effet, si les grandes entreprises du secteur nucléaire sont rompues aux contraintes de certification de leurs nouveaux projets, tel n'est pas le cas des start-up, elles-mêmes soumises à d'autres contraintes, notamment de financement qui leur imposent d'avancer à un rythme soutenu dans leurs développements, comme elles en ont fait état lors de la première table ronde.
J'ai d'abord le plaisir de donner la parole au directeur général de l'ASN, Olivier Gupta, ainsi qu'à Philippe Dupuy, responsable de la mission réacteurs innovants.
M. Olivier Gupta, directeur général, Autorité de sûreté nucléaire (ASN). - Nous avons été conduits à évoquer la question des petits réacteurs au cours d'auditions récentes et je voudrais ici en profiter pour dissiper toute ambiguïté. Trois principes fondamentaux s'appliquent à l'ensemble des réacteurs. Le premier concerne la responsabilité première de l'exploitant. Il ne suffit pas de respecter des règles fixées par l'autorité. L'exploitant doit d'abord proposer une installation sûre et en apporter la démonstration. Le deuxième principe porte sur l'exigence d'un haut niveau de protection des personnes et de l'environnement pour les réacteurs, mais aussi pour les usines de fabrication et de retraitement de leurs combustibles, ainsi que pour la gestion des déchets. L'ASN ne fera pas de compromis sur ce point. Le troisième principe, extrêmement important, a trait aux règles de transparence, qui sont bien plus exigeantes que dans le reste de l'industrie.
Cela étant, ces réacteurs innovants posent naturellement des questions spécifiques, qui appellent des réponses elles aussi spécifiques. La première concerne le niveau de sûreté attendu. La différence essentielle entre les gros et les petits réacteurs porte sur les sites d'implantation. Les petits réacteurs ont vocation à être implantés sur des sites industriels, qui sont parfois bien plus proches de zones densément peuplées que ne le sont les gros sites nucléaires aujourd'hui. Il est inenvisageable d'évacuer la population dans de telles zones, contrairement à ce qui est prévu aujourd'hui dans les plans d'intervention autour des sites nucléaires. Dès lors, les démonstrations de sûreté de ces réacteurs doivent fournir la preuve que les rejets restent négligeables. De ce point de vue, les petits réacteurs ont des caractéristiques favorables, mais encore faut-il le démontrer de façon rigoureuse. Ici, l'une des difficultés porte sur le moindre retour d'expérience sur ces technologies. Les deux conditions pour la sûreté sont donc la réduction des conséquences des accidents à due proportion de la proximité des zones densément peuplées et la rigueur des démonstrations attendues à cet effet.
La deuxième question concerne le souhait de la plupart des porteurs de projets que ces réacteurs soient autorisés dans les mêmes conditions dans plusieurs pays, ce qui pose l'enjeu de la standardisation et de l'harmonisation des règles de sûreté à l'échelle internationale. Dans le cadre de l'Association des responsables de sûreté nucléaire d'Europe de l'Ouest (WENRA), nous avons lancé un travail commun sur des objectifs de sûreté harmonisés pour les petits réacteurs modulaires. Mais nous souhaitons aller plus loin, pour viser un objectif de standardisation. Celui-ci est cependant difficile à atteindre, dans la mesure où la responsabilité en matière de sûreté nucléaire reste nationale. Aussi, est-il exclu, pour l'ASN et ses homologues, d'accepter des autorisations instruites dans un autre pays sans les examiner. La meilleure option consisterait à faire travailler ensemble les autorités nationales, à un stade très précoce du développement de ces projets, pour procéder à l'examen conjoint d'un même dossier de sûreté présenté simultanément dans plusieurs pays par un même porteur de projet. Nous avons agi de la sorte sur le projet NUWARD, d'abord avec nos homologues finlandais et tchèques, avant d'élargir l'examen conjoint aux Pays-Bas, à la Pologne et à la Suède. Il s'agit là d'une première à l'échelle mondiale, qui me semble constituer la voie la plus prometteuse.
La troisième question relève des pratiques d'instruction avec les nouveaux entrants. Nous devons établir un dialogue avec plusieurs acteurs qui viennent nous voir simultanément et que nous avons à coeur de traiter équitablement. À cet effet, nous avons monté une équipe dédiée pilotée par Philippe Dupuy. Nous veillons à engager nos ressources de manière proportionnée à la maturité des projets. Ces échanges nous ont permis d'identifier des questions difficiles sur les plans techniques, par exemple certains de ces projets envisagent l'absence d'opérateur sur site, ou juridiques, comme le partage de responsabilité lorsque le propriétaire du réacteur et celui du terrain sur lequel il est implanté sont distincts. L'instruction des objectifs de sûreté, la coopération internationale, le dialogue technique, etc. ne se feront pas sans des moyens supplémentaires pour l'ensemble ASN et IRSN. Nous travaillons sur ces sujets techniques de manière commune avec l'IRSN, avec une équipe conjointe interlocutrice des porteurs de projets, sans aucun compromis en matière de sûreté, de rigueur des démonstrations et de transparence.
Mme Olga Givernet, députée, rapporteure. - À présent, la parole revient à Jean-Christophe Niel, directeur général, et Karine Herviou, directrice générale adjointe en charge de la sûreté nucléaire, de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire.
M. Jean-Christophe Niel, directeur général, Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). - L'IRSN a déjà pratiqué une expertise sur des réacteurs autres que ceux d'EDF, comme les réacteurs à eau pressurisée ukrainiens ou ceux de la propulsion navale, puisque l'IRSN assure l'appui technique de l'Autorité de sûreté nucléaire défense, de même que des réacteurs à neutrons rapides comme Phénix, Superphénix et, plus récemment, Astrid. Je peux également mentionner les réacteurs de quatrième génération, qu'ils soient refroidis au gaz, au sodium ou au plomb, des réacteurs très haute température, à eau supercritique ou à sels fondus. Beaucoup de SMR utilisent aujourd'hui ces technologies.
Nous avons travaillé sur nos modes d'instruction réglementaires et d'expertise pour ces SMR innovants, y compris dans le cadre des échanges internationaux, puisque nous appuyons l'ASN dans le cadre de la revue de NUWARD. L'IRSN a même travaillé sur un processus de licensing commun. Il s'agit évidemment de renforcer la maîtrise des processus pour des concepteurs qui ne sont pas encore complètement familiers des réglementations et des attentes en termes de démonstration de sûreté, voire de sécurité nucléaire et de radioprotection. L'IRSN a mis en place des séminaires sur la maturation des projets, a identifié des chefs de projets : Philippe Dupuy pour l'ASN et Sébastien Israël pour l'IRSN, et dispose de contacts plus ou moins avancés avec l'ensemble des concepteurs présents aujourd'hui. Par ailleurs, l'IRSN a donné un avis sur le dossier d'options de sûreté du réacteur Jimmy et a reçu cet été celui du réacteur NUWARD.
Le niveau de maturité des projets est variable et s'appuie en partie sur le retour d'expérience (REX) acquis. Celui-ci est très élevé sur les réacteurs à eau légère soit pressurisée soit bouillante : plusieurs milliers d'années-réacteur d'exploitation cumulées ; élevé pour les réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium : plusieurs centaines d'années ; moyen pour les réacteurs à haute température : une centaine d'années. Pour les autres concepts, le retour d'expérience est bien sûr beaucoup plus limité.
Pour la majorité des projets, des travaux de R&D, utiles à la modélisation, sont nécessaires en support à la conception, mais aussi à la démonstration de sûreté. Les efforts de R&D ont historiquement porté sur les réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium et les réacteurs à haute température. La plupart des projets proposent des programmes de R&D ambitieux, intégrant la réalisation de maquettes ou de prototypes, afin de disposer in fine de données représentatives. Dans le cas des réacteurs de quatrième génération, l'IRSN a identifié, dans un rapport de 2014, des sujets de R&D sur les matériaux - compte tenu des environnements à haute température, 400 à 500 degrés pour le plomb, ou corrosifs, comme les sels fondus -, le contrôle et l'inspection des installations - rendus difficiles par la compacité des installations ou l'opacité des fluides caloporteurs -, ainsi que l'étude des phénomènes accompagnant les accidents graves - avec des phénomènes de dégagement d'énergie ou des rejets radioactifs ou chimiques. Ces travaux de R&D doivent être menés en lien avec la filière concernée.
S'agissant de la sûreté, même si ces réacteurs sont de moindre puissance que ceux actuellement en fonctionnement - la plage est large entre des réacteurs de quelques mégawatts et de quelques centaines de mégawatts -, ils renferment des quantités importantes de produits radioactifs. Dans la mesure où certains concepteurs envisagent des implantations à proximité de zones habitées ou de grands sites industriels, les exigences de sûreté doivent permettre de limiter notablement les conséquences des situations accidentelles envisageables. En fonction de la filière, la taille du réacteur peut avoir un effet sur les caractéristiques de sûreté qui peut être favorable. Par exemple, pour les réacteurs à haute température, une taille réduite limitera le comportement neutronique du coeur.
De manière générale, il est utile de privilégier des concepts « pardonnants » c'est-à-dire peu sensibles aux événements qui peuvent se produire dans l'installation ou à l'extérieur de celle-ci. De plus, les enjeux de sûreté concernent également le cycle du combustible. La sûreté des installations associées doit donc être examinée de manière concomitante à celle du réacteur. Nous considérons que la construction de maquettes en appui de la justification de sûreté des installations doit être envisagée par les concepteurs. Les prototypes devraient être instrumentés de manière spécifique, pour répondre à la compréhension nécessaire des enjeux de sûreté. En conclusion, l'IRSN peut contribuer à la formation aux sujets de la sûreté nucléaire et de sa démonstration. Nous disposons du système de logiciels Accident Source Term Evaluation Code (ASTEC), en particulier pour les accidents graves, que nous sommes prêts à partager avec ceux qui le souhaiteraient.
Débat et conclusions sur la place des start-up dans le développement des réacteurs nucléaires du futur
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office, rapporteur. - Nous avons beaucoup parlé de Phénix, Superphénix et Astrid. Considérez-vous que le retour d'expérience sur Astrid permettrait de certifier plus rapidement les petits projets ? En effet, les start-up que nous avons entendues nous font part d'un horizon à 2035, court à l'échelle nucléaire.
M. Alexandre Sabatou, député. - Ces petits réacteurs seront plutôt implantés dans des sites industriels, dont certains seront probablement des sites Seveso. Les normes appliquées à ces réacteurs nucléaires sont-elles proportionnées aux normes appliquées aux sites industriels, notamment Seveso ? Ensuite, pouvez-vous revenir sur les risques concrets ? J'ai cru comprendre que des phénomènes comme la dilatation des sels liquides semblent atténuer les dégâts potentiels sur les installations en cas de problème.
M. Daniel Salmon, sénateur. - La fonction chaleur apportée par les SMR constitue une nouveauté et implique notamment leur implantation dans des espaces plus denses en termes de population. Les technologies utilisées ne sont pas exemptes de problèmes potentiels, notamment le plomb ou le sodium qui a causé de nombreux incidents sur Superphénix. De quelle manière ces risques seront-ils pris en compte ? Au-delà de la sûreté, il convient également de mentionner les risques relatifs à la sécurité, ne serait-ce qu'en raison de la situation géopolitique. À ce titre, que pensez-vous de la dissémination de sites nucléaires dans de nombreux endroits en France, mais aussi dans le monde ? De quelle manière envisagez-vous cette problématique ? Par exemple, la situation rencontrée en Ukraine, où la Russie a bombardé une centrale nucléaire, ne pourrait-elle pas se reproduire sur de plus petits sites et quelles en seraient les conséquences ?
M. Hendrik Davi, député. - Je pense que nous sommes tous convaincus de la nécessité de décarboner notre économie. En revanche, je ne suis pas persuadé qu'il faille multiplier par trois ou par quatre la consommation d'électricité au niveau planétaire. À l'échelle de 200 ou 300 ans, cela ne sera pas durable. Par ailleurs, je regrette que nous n'ayons pas évoqué aujourd'hui le bilan des échecs passés. L'ASN et l'IRSN peuvent-ils les mentionner ? Les projets Phénix, Superphénix et Astrid ont certes été abandonnés pour des motifs politiques, mais aussi pour des raisons techniques et scientifiques.
Par ailleurs, je conçois que les start-up soient dans une logique de communication et cherchent à nous convaincre que leurs projets sont géniaux. Mais en tant que législateur, j'ai besoin de comprendre quels sont les verrous scientifiques et industriels, quels sont les risques en termes de sûreté et de sécurité, quels sont les risques économiques, notamment à la lumière de l'expérience des EPR.
Enfin, ces solutions posent un véritable problème d'acceptabilité. Pour que celle-ci progresse au sein de la société, il faut que la sûreté et la sécurité soient assurées, d'où l'importance du travail réalisé par l'ASN et l'IRSN. Comment pouvez-vous éclairer le législateur et les citoyens sur la pertinence des projets proposés en matière de sûreté et de sécurité ? C'est extrêmement important : si vous ne parvenez pas à convaincre des parlementaires, vous ne parviendrez pas à convaincre des citoyens.
M. Maxime Laisney, député. - Nous avons compris que l'un des avantages des SMR porte sur le multi-recyclage dans le coeur des réacteurs. Cependant, que faire des déchets ultimes, qui surviendront bien, malgré tout ?
Par ailleurs, je fais partie de ceux qui ne sont toujours pas convaincus de l'intérêt de la fusion entre l'ASN et l'IRSN, puisque vous travaillez déjà en bonne intelligence, notamment sur ces projets de réacteurs innovants. Le projet actuel de création de l'Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) prévoit une fusion, mais aussi une séparation de l'expertise de sûreté et de sécurité. Cette séparation est-elle pertinente, alors que les SMR seront situés à proximité d'installations industrielles et d'habitations ?
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office, rapporteur. - Cette matinée ne porte pas sur le projet de rapprochement entre l'ASN et l'IRSN, sujet sur lequel une audition publique a déjà été organisée. Aujourd'hui, nous traitons des réacteurs innovants. Par conséquent, nos interlocuteurs sont invités à répondre librement à toutes les questions liées à l'innovation dans le domaine des réacteurs.
M. Olivier Gupta. - Certaines de vos questions portent sur l'acceptabilité de ces réacteurs. À cet égard, le niveau de sûreté constitue une condition nécessaire mais non suffisante de cette acceptabilité. Un débat doit donc intervenir à un moment donné, mais il ne revient pas à l'ASN de l'organiser. Je pense, par exemple, que le public n'est pas conscient que les nouveaux réacteurs ne seront pas construits sur des sites nucléaires. Ensuite, l'ASN n'est pas aujourd'hui chargée de la sécurité nucléaire, mais ce sujet devra être instruit au même rythme que celui de la sûreté nucléaire.
S'agissant des exigences de sûreté, vous évoquiez à la fois la sûreté et la présence éventuelle de ces réacteurs sur des sites Seveso. La proximité des populations implique des objectifs de sûreté renforcés, notamment en termes de limitation plus forte des rejets. De plus, sur un site Seveso, il peut exister une rétroaction de l'usine sur le réacteur lui-même et je pense que les porteurs de projet en sont conscients. Enfin, la fixation des exigences de sûreté est proportionnée aux enjeux de sûreté. Les exigences ne sont pas les mêmes pour une grande installation qui présente des risques importants et une petite installation présentant très peu de risques. Les plus petits de ces réacteurs peuvent être considérés comme des objets intermédiaires. Ceux qui atteignent la centaine de mégawatts se rapprochent d'une installation nucléaire de base. Quoi qu'il en soit, les démonstrations de sûreté requièrent dans tous les cas un certain niveau de rigueur.
M. Philippe Dupuy, responsable de la mission réacteurs innovants, Autorité de sûreté nucléaire (ASN). - Je souhaite apporter quelques éléments supplémentaires sur la proportionnalité des exigences de sûreté face aux enjeux. La réglementation française en matière nucléaire est assez « légère » : elle est surtout fondée sur des objectifs de démonstration, et non sur des moyens. Nous ne sommes pas écrasés par des normes et la charge de la preuve doit être apportée par les exploitants.
Ensuite, les enjeux ne dépendent pas uniquement de la taille du réacteur : ce n'est pas parce qu'un réacteur est plus petit ou moins puissant qu'il contient une quantité de matières radioactives moins importante. En effet, contrairement aux réacteurs REP qui sont rechargés à peu près tous les ans ou tous les deux ans, certains de ces réacteurs innovants sont chargés une première fois et ont une durée de vie, avec un même coeur, de vingt ans. Leur inventaire initial est donc considérable. En résumé, la puissance n'est pas l'enjeu intrinsèque en matière de sureté.
D'autres enjeux doivent être mentionnés, comme la proximité des populations et l'innovation. Nous attendons ainsi une démonstration : une exigence essentielle en matière de sûreté porte sur le caractère éprouvé des solutions qui sont proposées pour un site industriel. Dans le cas contraire, il faut en passer d'abord par un réacteur expérimental. Dès lors, l'IRSN doit consacrer du temps à l'expertise.
M. Jean-Christophe Niel. - L'IRSN évalue l'effet du réacteur sur son environnement ; par exemple, l'impact d'un accident nucléaire sur les installations industrielles. Nous avons l'habitude de le faire, notamment à Gravelines. Mais l'effet inverse, c'est-à-dire l'impact de l'installation industrielle sur le réacteur, doit tout autant être évalué, comme c'est déjà le cas à la centrale du Tricastin.
Vous nous avez demandé de quelle manière nous pouvons éclairer les parlementaires. Aujourd'hui, l'expertise de l'IRSN sur les SMR débute, à l'image de notre avis sur le dossier d'options de sûreté concernant le réacteur Jimmy. Dès que les objets seront finalisés, ils pourront faire l'objet d'une expertise qui sera présentée aux parlementaires. Il sera intéressant de mettre en évidence les enjeux qui distinguent ces réacteurs d'un point de vue démonstration de sûreté des réacteurs de puissance actuels.
Mme Karine Herviou, directrice générale adjointe en charge de la sûreté nucléaire, Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). - Monsieur le président, vous nous avez demandé si le travail déjà effectué sur Astrid permettait de gagner du temps sur les projets. En la matière, l'expertise n'a pas été très approfondie, puisqu'elle s'est arrêtée à l'examen d'un dossier d'orientation de sûreté. Cependant, ce travail a permis de fixer les exigences de sûreté attendues. Ces exigences ont été reprises dans le dossier HEXANA, notamment en matière d'inspection en service. Le CEA a certainement pris en compte ces exigences et j'espère que les start-up en ont conscience.
Dans le cadre de ce document, pour définir les exigences et les solutions attendues, nous avions réalisé un bilan complet du retour d'expérience de conception et d'exploitation des réacteurs Phénix, Superphénix et Rapsodie. De manière générale, la France dispose d'une compétence avérée sur les réacteurs au sodium et elle maîtrise la réaction sodium-eau sur les gros réacteurs. Désormais, il importe d'examiner comment le principe fondant cette maîtrise, consistant à écarter les composants contenant du sodium de ceux contenant de l'eau, peut être transféré à la conception ramassée de petits réacteurs.
L'IRSN avait établi que sur le projet Astrid, le niveau de sûreté atteignable était équivalent à celui exigé aujourd'hui pour les EPR. Pour les autres technologies, nous avons identifié un certain nombre de verrous technologiques et de points qui doivent absolument être approfondis en termes de démonstration de sûreté. Ils nécessitent effectivement des travaux de R&D parfois importants. Je pense, par exemple, à l'évaluation des rejets en cas d'accident et de fusion du coeur pour les réacteurs refroidis au plomb, connaissance dont nous ne disposons pas encore. La R&D est également nécessaire pour les réacteurs à sels fondus, même si certains aspects comme l'absence de réactivité sont favorables, afin de fournir une démonstration suffisante.
M. Paul Gauthé. - S'agissant de la technologie sodium, le retour d'expérience d'Astrid est assez important. Ainsi, un dossier d'orientations de sûreté a été soumis et un dossier d'options de sûreté a été rédigé, mais n'a pas eu le temps d'être soumis. HEXANA souhaite s'appuyer sur cette connaissance et la valoriser. Nous connaissons les vingt recommandations formulées à l'époque par l'ASN et nous les prendrons en compte. Ensuite, nous ne réalisons pas un copier-coller d'Astrid pour accélérer à tout prix la procédure.
Plus généralement, nous considérons que le retour d'expérience sur la technologie sodium constitue un patrimoine scientifique et technique extrêmement précieux : nous pouvons être fiers de Phénix et de Superphénix. En 1996, Superphénix présentait un taux de disponibilité de 96 %, produisait plus de 3,7 TWh d'électricité bas-carbone et n'avait enregistré aucune fuite de sodium, ni de réaction sodium-eau. Phénix, qui était un réacteur expérimental, a connu une trentaine de fuites de sodium d'au maximum deux kilogrammes et cinq réactions sodium-eau, sans aucune conséquence sur l'environnement ou les personnes. L'exploitant sait gérer le risque industriel, par la vidange du circuit et la réparation. J'ai vécu deux de ces fuites à Phénix, en 2007 et 2009. Je peux témoigner que le problème est avant tout industriel.
Je rappelle également que le premier producteur mondial de sodium est français. Ce fluide industriel, utilisé dans les batteries, l'énergie solaire à concentration, l'industrie pharmaceutique, etc., présente des risques connus et maîtrisés par les technologies et par le REX d'exploitation. Nous capitalisons sur le REX d'exploitation de Phénix et de Superphénix, en collaboration avec notre partenaire EDF, dans le but de concevoir non un réacteur d'ingénieur, mais un réacteur d'exploitant. En effet, c'est l'exploitant qui assume la responsabilité de la sûreté, comme l'a souligné Olivier Gupta.
Sur la question de la durabilité, un réacteur sodium permet de valoriser les 340 000 tonnes d'uranium appauvri présentes sur notre sol, mais aussi le plutonium des combustibles usés. Les concepts de réacteurs isogénérateurs, comme ceux d'HEXANA ou de STELLARIA, permettent d'aller vers un nucléaire durable et d'obtenir une autonomie énergétique très importante. S'agissant de l'impact climatique, un RNR produit deux grammes de CO2 par kilowattheure. Si l'on supprime les mines et l'enrichissement, on divise par deux les externalités du nucléaire sur l'environnement. De plus, une émission de deux grammes de CO2 par kilowattheure est cinq fois inférieure à celle d'une éolienne et dix fois inférieure à celle d'un panneau solaire. Il s'agit donc d'une technologie extrêmement peu émettrice de carbone.
Par ailleurs, un RNR sodium est très peu gourmand en matériaux critiques, puisque le sodium est le sixième élément le plus présent dans la croûte terrestre. De plus, nous veillons à ne pas utiliser de lithium, de cobalt de graphite, etc. Le réacteur est donc très sobre du point de vue énergétique, climatique et des matériaux critiques. Il s'agit donc d'une énergie réellement durable, sur tous les critères. Enfin, le nucléaire sans déchets n'existe pas, mais un RNR permet de diminuer grandement leur quantité et leur radiotoxicité, le plutonium n'étant plus un déchet mais une ressource. Les déchets se réduisent en ce cas aux produits de fission, dont l'activité a presque disparu après 300 ans, et aux actinides mineurs, qui peuvent être transmutés au moins en partie.
M. Christophe Béhar. - Ce qui vient d'être indiqué pour les réacteurs sodium est valable pour tous les réacteurs à neutrons rapides.
M. Nicolas Breyton. - Notre engagement est avant tout environnemental. Le taux de retour énergétique est exceptionnel, car il est supérieur à 100, quand celui du pétrole ne cesse de diminuer, de 15 à 20 actuellement contre 60 au début du siècle dernier. Un taux de retour énergétique inférieur à 10 ne permet pas à une société moderne- c'est-à-dire une société dotée d'un système de retraites, d'un système éducatif ou d'un système de santé - de se perpétuer. La densité énergétique de l'uranium est de l'ordre d'un million de fois supérieure à celle du pétrole et celle du réacteur Stellarium de l'ordre de 70 millions fois supérieure à celle d'une batterie lithium-ion.
Notre technologie n'a plus besoin de mine, récupère toutes les matières existantes et fournit de l'énergie en abondance. Ensuite, les zones à risques, ATEX (« atmosphère explosive ») ou Seveso, sont très sérieusement prises en compte dès la conception du réacteur, qui est quasi entièrement enterré et de ce fait en capacité de résister aux séismes. Ces caractéristiques, associées à l'utilisation d'une basse pression et de sels inertes - le chlorure de sodium (NaCl) 37, assimilable à du sel de table - témoignent de l'intégration précoce des impératifs de durabilité, de continuité de service et de sécurité dans les phases initiales du projet.
M. Ludovic Vandendriesche. - S'agissant du REX sur la fabrication du combustible MOX RNR, l'un d'entre vous faisait référence à l'exploitation de l'usine Melox. Ce point a été pris en compte : dans le cadre de notre projet, nous avons travaillé sur le REX des installations existantes et les améliorations à apporter pour la fabrication de MOX RNR. Par ailleurs, le concept même de la fermeture du cycle du combustible contribue grandement à l'acceptation du public, même si d'autres aspects doivent être pris en compte.
M. Frédéric Hofmann. - Il ne faut pas non plus réduire l'utilisation des SMR aux sites industriels et Seveso. Le modèle de développement du réacteur NUWARD consiste à remplacer des centrales à charbon et à profiter ainsi du foncier disponible, de la connexion au réseau et de la source froide pour décarboner la génération d'électricité. Le dimensionnement et les conditions d'exploitation sont adaptés en fonction des contraintes.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office, rapporteur. - J'ajoute qu'une présidente de région s'est exprimée favorablement en ce sens, pour remplacer une centrale à charbon.
M. Jean-Luc Alexandre. - Le métier d'un industriel consiste à travailler à partir d'une analyse de risques. Nous allons très loin dans ce domaine, le plus en amont possible, en enrichissant la liste d'exigences fournie par les autorités. Ensuite, nous avons réalisé un retour d'expérience des échecs passés : un cinquième de nos équipes est composé de seniors ayant travaillé sur tous les projets dont nous avons parlé aujourd'hui. Ils transmettent leur expérience, qui n'a pas été formalisée, et leur savoir-faire aux jeunes générations. Le plan Match du GIFEN, sur les 100 000 emplois nécessaires dans les 10 prochaines années, implique, pour toute la filière, d'assurer cette transmission aux nouvelles générations.
M. Bernard Salha. - Notre débat met en lumière la nécessité d'innover. Les problèmes sont complexes, certains doivent nécessairement être traités : l'ASN et l'IRSN ont souligné les besoins de recherche en matière de sûreté. Il conviendrait vraiment de plaider pour le renforcement du soutien à la recherche et à l'innovation. Les actions mises en oeuvre au titre de France Relance et de France 2030 ont permis de lancer cette démarche, qui constitue déjà un beau succès. Cependant, un long chemin demeure encore à parcourir. Le rôle de soutien de l'État et de fédération des acteurs, ainsi que la dynamique au sein de l'OPECST, sont des facteurs importants pour résoudre les nombreuses questions restant à traiter.
Par ailleurs, la dimension européenne doit être soulignée. Plusieurs pays européens sont très intéressés par le redémarrage ou la construction de nouveaux réacteurs. De nouvelles manières de coopérer sont nécessaires, comme l'a dit Olivier Gupta. À ce titre, les enjeux d'innovation sont tellement importants qu'il serait opportun de les partager entre plusieurs pays européens et de fédérer des actions. En Italie, en Belgique et en Suède, nos collègues travaillent sur les réacteurs au plomb. Il en va de même pour les autres technologies évoquées aujourd'hui. Cette dimension européenne représente sans aucun doute un levier très important que la représentation parlementaire pourrait promouvoir.
Mme Olga Givernet, députée, rapporteure. - Je souhaite relayer une question posée en ligne. Dans le cadre des réacteurs innovants, les moyens alloués à l'ASN et à l'IRSN sont-ils à la hauteur des enjeux et des ambitions gouvernementales, notamment pour leur permettre d'être suffisamment compétitifs en termes d'attractivité ? Des informations me sont parvenues laissant penser que d'autres organismes seraient plus attractifs sur le plan des salaires.
M. Olivier Gupta. - L'ASN réunit une équipe autour de Philippe Dupuy, suffisante pour l'année 2024, mais l'effort devra être poursuivi dans la durée. Actuellement, nous avons des discussions préliminaires, mais ces activités vont monter en puissance. Nous aurons besoin que le Gouvernement et le Parlement renforcent les moyens mis à notre disposition.
M. Jean-Christophe Niel. - Lorsque l'ASN a des besoins, l'IRSN en a également en amont, puisqu'elle assure l'expertise pour l'ASN. Aujourd'hui, en matière de R&D et d'expertise, l'IRSN dispose de moins de cinq personnes. À brève échéance, il nous faudrait rassembler une douzaine de personnes. Dans le premier trimestre 2024, nous aurons un certain nombre de rendez-vous basés sur les méthodes développées pour l'EPR et l'EPR2, sous forme de séminaires. Aujourd'hui, nous envisageons un séminaire par mois, par concept et par thématique, couvrant des sujets tels que les accidents graves, les agressions, etc. Sans moyens supplémentaires, nous serons obligés d'agir par redéploiement, après coordination avec l'ASN, en prélevant des ressources dans d'autres domaines.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office, rapporteur. - Je vous remercie pour ces nombreux et riches échanges. À titre personnel, j'ai relevé des pistes prometteuses sur la filière des RNR, à la suite d'Astrid, qui permettraient d'assurer la fermeture du cycle, inscrite dans nos codes. Je rappelle également que le Japon, qui était notre principal partenaire sur Astrid, a élargi son accord avec la start-up américaine Terra Power pour la conception de ce type de réacteur, ce qui prouve d'ailleurs que la France n'est pas isolée dans cet objectif du nucléaire durable. L'Office continuera à suivre de très près ces sujets, et nous mènerons peut-être d'autres auditions plus spécifiquement dédiées à la question du cycle du combustible. Pour des raisons d'efficience, j'ai souhaité qu'on s'en tienne aujourd'hui aux réacteurs, mais l'amont et l'aval du cycle ne doivent pas être oubliés. Je suis convaincu que nous serons amenés à nous retrouver dans les prochaines semaines et les prochains mois.
La séance est levée à 12 h 15.