- Mercredi 8 novembre 2023
- Proposition de loi visant à aménager la prévention des risques liés aux bruits et aux sons amplifiés - Examen du rapport et du texte de la commission
- Échange préparatoire à la COP 28 sur la thématique de la sortie des énergies fossiles, avec Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique, et M. Jean Jouzel, paléoclimatologue
Mercredi 8 novembre 2023
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Proposition de loi visant à aménager la prévention des risques liés aux bruits et aux sons amplifiés - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Jean-François Longeot, président. - Nous sommes réunis ce matin pour examiner la proposition de loi visant à aménager la prévention des risques liés aux bruits et aux sons amplifiés, déposée par Nathalie Delattre. Notre collègue Alain Duffourg a été désigné rapporteur sur cette proposition de loi le 18 octobre dernier, je le remercie d'avoir travaillé dans un temps contraint.
La présente proposition de loi vise à mieux concilier la pratique du sport automobile et la prévention du risque lié au bruit en excluant le circuit automobile du régime général des nuisances sonores.
Depuis 2017, un décret oblige les circuits de sports mécaniques à respecter les règles générales relatives au bruit de voisinage du code de la santé publique, imposant un niveau de décibels dont le dépassement est sanctionné par une contravention.
Le texte, sans revenir sur la situation antérieure à 2017, prévoit de créer un régime dérogatoire qui fixerait des limites sonores adaptées aux sports mécaniques.
S'agissant d'une proposition de loi sénatoriale inscrite en première lecture dans un espace réservé au groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE), je vous rappelle que dans le cadre du gentlemen's agreement, dont l'objectif est de préserver l'initiative sénatoriale, les groupes minoritaires ou d'opposition ont le droit à l'examen, jusqu'à leur terme, des textes dont ils sont les auteurs et qui sont inscrits dans leur espace réservé. Sauf accord du groupe auteur de la demande d'inscription, la commission ne peut modifier le texte de la proposition de loi et, à défaut, elle ne peut que le rejeter pour permettre son examen article par article en séance publique. En outre, la commission et les sénateurs s'abstiennent de déposer des motions.
Je vous rappelle que le délai limite pour le dépôt des amendements de séance a été fixé par la conférence des présidents au lundi 20 novembre à 12 heures et que la commission se réunira pour donner ses avis mercredi 22 novembre. L'examen en séance publique aura lieu, quant à lui, jeudi 23 novembre.
Je cède à présent la parole à l'auteure du texte, Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre, auteure de la proposition de loi. - Mes chers collègues, cette proposition de loi a été signée par des représentants de nombreux groupes du Sénat, de façon transpartisane : il ne s'agit en aucun cas de proposer un blanc-seing aux sports mécaniques pour faire du bruit, mais de trouver une solution pour les sécuriser juridiquement.
En effet, avec le décret relatif à la prévention des risques liés aux bruits et aux sons amplifiés, dit décret « bruits », de 2017, les circuits ont, du jour au lendemain, dû faire face à une décision non concertée les menaçant économiquement. Pour mémoire, la filière des sports mécaniques représente 1 000 sites, qui appartiennent pour beaucoup à nos collectivités territoriales, et 13 500 emplois directs. Autour de chaque site s'est construit tout un écosystème produisant également des emplois indirects et des investissements dans la recherche, laquelle assure des progrès environnementaux grâce à de nouvelles technologies. Cependant, la pérennité de ces entreprises est compromise alors que la filière des sports mécaniques représente aujourd'hui 2,3 milliards d'euros de chiffres d'affaires annuels.
Il ne s'est jamais autant vendu de motos ces dernières années et il est préférable d'encourager une pratique encadrée sur circuit que de voir ces derniers fermer un à un, menant inéluctablement au développement des rodéos urbains - nous sommes bien placés en Gironde avec Hervé Gillé pour vous en parler ! Il y a cinquante ans, le gouvernement avait décidé de créer des circuits de sports mécaniques pour répondre aux problématiques de rodéos urbains et à leurs conséquences tragiques. C'est la raison pour laquelle le circuit situé à Tremblay-en-France s'appelle le circuit « Carole », prénom de la dernière victime avant la création du circuit.
J'évoquais les progrès environnementaux - nombreux - de la filière, propice à l'innovation technologique. La France est pionnière en la matière avec une réduction de 20 décibels en vingt ans pour les sports automobiles et la filière moto prend le même virage depuis trois ans.
Depuis la fin des années 2000, les sports mécaniques ont introduit le biocarburant et l'électrique. Ils sont à l'origine de systèmes hybrides, dont beaucoup d'entre nous bénéficient aujourd'hui. Plus généralement, les compétitions de sports mécaniques sont pionnières en matière d'innovations pour l'industrie automobile, permettant aux constructeurs de tirer profit des avancées technologiques réalisées sur circuit et de les transposer ensuite sur leurs véhicules de série. Entraver leur développement, c'est ralentir la nécessaire transition écologique des transports, première source de gaz à effet de serre sur notre territoire.
Cette proposition de loi vise non pas à revenir en arrière, mais à trouver un compromis entre survie des circuits et santé publique. Quelques mouvements de citoyens s'inquiètent alors que nombre de Français plébiscitent ces activités sportives et de loisirs à haute valeur technologique.
Les 24 heures du Mans sont un évènement à guichets fermés de 300 000 personnes qui viennent essentiellement de la région l'environnant. Il en était de même pour le dernier Grand Prix de Formule 1 du Castellet en 2022. Pour le GP Explorer, course inventée par des influenceurs et des rappeurs, 60 000 places ont été vendues en 47 minutes ; ce grand prix a récolté 1 million de vues d'un public très sensibilisé à leur environnement - la moyenne d'âge se situant entre 20 et 22 ans.
Il s'agit non pas de pénaliser les riverains concernés, lesquels ont souvent acheté leur bien immobilier à un moindre prix du fait de l'implantation d'un circuit à proximité, mais de trouver avec eux le bon compromis pour sauver cette filière, laquelle est une source d'attractivité sportive, économique et touristique pour nos communes. De nombreux maires m'ont fait part de leur soutien, car ils ne souhaitent pas perdre leur circuit et voir se développer de la conduite hors cadre, qui d'ailleurs ne serait soumise à aucune mesure de bruit puisque la voirie publique, bordée de millions d'habitations, n'est pas concernée par ce décret « bruits ».
Je vous rappelle que les circuits font l'objet d'une homologation tous les quatre ans par l'autorité préfectorale avec un volet tranquillité publique qui occupe une place importante, à juste titre, avec des études acoustiques et le recueil des avis des riverains et de l'agence régionale de santé (ARS). La Fédération française du sport automobile (FFSA) et la Fédération française de motocyclisme (FFM) seront les deux premières fédérations sportives françaises à rendre, au début du mois de décembre prochain, les conclusions du baromètre environnemental qu'elles viennent de mettre en place. Cela démontre leur volonté de poursuivre leurs efforts en la matière.
Vous l'aurez compris, cette proposition de loi vise à soutenir, à la fois cette dynamique technologique et environnementale, les emplois locaux que la filière produit et la pratique encadrée des conduites sportives, dans le respect de la santé des riverains et de nos concitoyens.
M. Alain Duffourg, rapporteur. - J'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui mon premier rapport législatif devant la commission sur la proposition de loi visant à aménager la prévention des risques liés aux bruits et aux sons amplifiés, déposée par notre collègue Nathalie Delattre, que je salue et remercie de son initiative.
Afin d'obtenir une vision claire des enjeux et des positions en présence, j'ai souhaité entendre l'ensemble des parties prenantes, au cours d'auditions qui ont réuni une dizaine d'acteurs, des fédérations sportives automobiles et motocyclistes aux associations antibruit, en passant par les administrations publiques et le Conseil national du bruit.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, je tiens à vous remercier, mes chers collègues, et particulièrement le président Jean-François Longeot, pour la confiance que vous avez placée en moi en me désignant rapporteur.
Les sports mécaniques font partie du patrimoine collectif de notre nation. Il s'agit de la troisième filière économique sportive en France, engendrant plus de 2 milliards d'euros de chiffres d'affaires et créant 13 000 emplois répartis sur l'ensemble du territoire.
Au-delà des chiffres, les courses automobiles et motocyclistes constituent un ferment de cohésion sociale, suscitant une émotion collective qui anime de nombreux territoires, tant ruraux qu'urbains.
Je peux d'autant plus en parler que, dans mon département, nous avons la chance d'accueillir le circuit de Nogaro, lequel accueille des milliers de personnes à l'occasion des Coupes de Pâques, provoquant une ferveur populaire que vous pouvez imaginer.
Un circuit de vitesse n'est donc pas un voisin comme un autre. Pourtant, depuis 2017, un décret soumet les sports mécaniques au régime de droit commun des bruits de voisinage.
Aucun circuit ne peut en pratique respecter ce cadre réglementaire qui est, à mon sens, inadapté et disproportionné. Ce régime crée des contentieux préjudiciables aux circuits, et fait peser sur les organisateurs une épée de Damoclès menaçant la pérennité de tout un secteur.
La proposition de loi de notre collègue Nathalie Delattre vise à remédier à la situation. Elle ne vise nullement à créer un droit à la pollution sonore pour les circuits de vitesse, car la prévention des nuisances sonores est un enjeu environnemental et sanitaire majeur - les sports mécaniques en ont bien conscience.
Au contraire, ce texte a pour objet de rendre réaliste le cadre légal applicable, en renvoyant à un décret la définition de prescriptions sonores particulières, pour concilier pratique des sports automobiles et protection de la santé humaine. Chacun d'entre nous a déjà subi des troubles du voisinage ou des nuisances liées par exemple à la proximité d'usines.
Au cours de ces dernières années, le sport automobile comme le motocyclisme ont fait des progrès considérables pour réduire les nuisances sonores. Le passage à l'électrique est assez récent, mais des avancées ont été constatées depuis de nombreuses années. En définitive, ce texte doit permettre d'apporter des solutions et d'accompagner une transition à bas bruit, au lieu d'imposer avec fracas des normes inapplicables !
J'en viens maintenant aux deux modifications que je vous proposerai par amendement. Mon objectif n'est pas de remettre en cause l'équilibre de ce texte, qui me semble approprié. Je suggérerai simplement, en accord avec l'auteure de la proposition de loi, deux ajustements rédactionnels.
Mon premier amendement vise à modifier l'intitulé de la proposition de loi afin d'en clarifier le champ d'application. La proposition de loi traite de la prévention des risques liés uniquement aux bruits des sports mécaniques, alors que son titre mentionne également les « sons amplifiés », qui renvoient au cinéma et à la musique. Il est donc préférable de supprimer cette référence.
Mon deuxième amendement a pour objet d'apporter une clarification rédactionnelle. Il vise à garantir l'effectivité du dispositif, en réparant une erreur de référence et en levant une ambiguïté.
En définitive, cette initiative me paraît tout à fait opportune, car il s'agit d'un texte pragmatique qui adapte la loi aux réalités du terrain. Dans le contexte actuel de fracture sociale que nous connaissons, il faut soutenir un secteur économique crucial, qui fait vibrer bon nombre de nos concitoyens sur l'ensemble du territoire.
M. Jacques Fernique. - Merci à l'auteure et au rapporteur de cette proposition de loi. Si j'ai bien compris, le texte se réfère à un arrêté récent du 17 avril 2023, qui applique avec beaucoup de retard un décret de 2017 sur la prévention des risques liés aux bruits, auquel votre proposition de loi prévoit de déroger pour les sports mécaniques sur circuit. Ces circuits provoquent de la ferveur populaire, la passion des foules et de l'engouement, mais également des nuisances sonores particulièrement néfastes. La pollution sonore est souvent négligée, et ses conséquences, lourdes pour la santé, ne sont pas véritablement prises en considération.
À ce stade, je ne suis pas vraiment convaincu de la nécessité d'instituer un régime spécial : cela reviendrait à envoyer un signal aux fédérations et gestionnaires de circuits qu'ils pourraient être pour partie exonérés de leur obligation de diminuer le bruit de leurs engins. Les sports mécaniques doivent aussi faire leur transition - un certain nombre de passionnés de sports mécaniques en ont d'ailleurs tout à fait conscience. Leur donner le sentiment qu'un régime spécial leur permettrait de ne pas évoluer ne serait pas leur rendre service.
Mme Nicole Bonnefoy. - Cette proposition de loi prévoit de déroger au décret « bruits » de 2017, en mettant en place un régime propre aux sports mécaniques. Ce décret a été pris dans la continuité de l'article 56 de la loi de Marisol Touraine sur la modernisation de notre système de santé, qui visait à renforcer la protection des riverains exposés au bruit. L'impact des nuisances sonores sur la santé et son coût social a été démontré, et confirmé par une récente étude de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) : il est donc impératif de le prendre en compte.
Nous ne méconnaissons pas l'importance du secteur des sports mécaniques, mais il serait bon d'encadrer encore davantage le dispositif pour que les riverains se sentent suffisamment protégés de toutes les dérives sonores que pourrait autoriser un nouveau décret.
Nous sommes donc favorables à l'amendement de nos collègues communistes qui prévoit la consultation préalable du Conseil national du bruit. Si cet amendement est adopté, nous pourrions nous abstenir sur le texte.
M. Pierre Barros. - Le bruit est extrêmement compliqué à prendre en compte : en circuit ouvert, il est difficile de gérer la propagation d'un phénomène vibratoire. Pour éviter cela, il faudrait que les sports mécaniques soient pratiqués en circuit fermé, ce qui est quasiment impossible en raison du coût et des difficultés de mise en oeuvre. Aussi, tout est bon à prendre pour améliorer le contrôle acoustique sur l'enceinte du circuit, plutôt que d'avoir à gérer des bruits qui sont en effet néfastes pour la santé. Il faudrait alors en passer par le port de protections individuelles. Tout le monde devrait mettre un casque, ce qui nuirait à l'ambiance !
Je veux aussi évoquer la question des effets collatéraux sur les riverains de l'affluence provoquée par les festivités inhérentes à ces évènements. En tant que motard, je pense au Bol d'or, ou à d'autres évènements populaires et fédérateurs, pendant lesquels s'affrontent des machines spectaculaires débridées. Certes, cela fait partie de la mythologie des sports mécaniques, mais on ne vit pas tous la même fête, selon que l'on est un visiteur attiré par le spectacle ou un riverain... Il faut donc porter une attention particulière à ce que la loi sur la pollution sonore soit respectée, et faire en sorte que la proposition de loi ne passe pas à côté de ce sujet.
Mme Marie-Claude Varaillas. - Pour mieux prendre en compte les nuisances sonores, nous avons déposé un amendement prévoyant l'avis du Conseil national du bruit. En effet, la Commission nationale d'examen des circuits de vitesse ne comprend pas de représentants des collectivités, des associations ou du ministère de la santé, alors même qu'il s'agit d'enjeux de santé publique.
Au-delà de la pollution sonore, on peut se poser la question de la pollution atmosphérique : les deux sont malheureusement souvent liés.
M. Didier Mandelli. - Mon groupe soutiendra cette proposition de loi. Je remercie le rapporteur et l'auteure d'avoir éclairci une situation qui, à terme, peut poser problème aux organisateurs de ces compétitions sur circuit. Il me semble que la question des nuisances éventuellement supportées par les riverains est d'ores et déjà prise en compte en grande partie par les autorités organisatrices.
L'encadrement peut toujours être amélioré, mais cette PPL a le mérite de clarifier les choses et de protéger un secteur d'activité qui est important pour notre pays, et pas seulement pour des raisons économiques.
M. Éric Gold. - Le groupe RDSE soutiendra la proposition de Mme Delattre pour l'ensemble des raisons qui ont été exposées.
M. Alain Duffourg, rapporteur. - L'arrêté du 17 avril 2023 évoqué par M. Fernique concerne les sons amplifiés et non les sons mécaniques. Avec Mme Delattre, nous avons travaillé sur l'application du décret « bruits » de 2017.
M. Barros, vous avez évoqué, à juste titre, l'affluence d'automobiles et de motos, voire de camions, provoquée par ces manifestations, ce qui produit, évidemment, de la pollution. Mais ces évènements ne durent généralement que deux ou trois jours. Les avantages des sports mécaniques, notamment l'activité économique générée et l'organisation de rassemblements festifs qui en découle, me semblent l'emporter sur les inconvénients.
M. Pierre Barros. - On ne peut pas mettre en balance la pollution et les gains économiques : les sujets sont différents. Les sports mécaniques représentent une source d'attractivité indéniable pour notre territoire, mais ils ne doivent pas être pratiqués au détriment de la santé publique de nos concitoyens.
M. Alain Duffourg, rapporteur. - Votre remarque est pertinente, mais la France est déjà particulièrement vertueuse. Il faut envisager la question dans sa globalité : les critères environnementaux sont, me semble-t-il, suffisamment respectés dans notre pays.
Mme Varaillas, nous émettrons un avis défavorable sur votre amendement : le Conseil national du bruit peut déjà s'autosaisir sur le décret « bruits ».
Je remercie Didier Mandelli et Éric Gold de soutenir, au nom de leurs groupes, la proposition de loi.
M. Alain Duffourg, rapporteur. - Concernant le périmètre du texte en application de l'article 45 de la Constitution, je vous propose de considérer qu'il inclut les dispositions relatives à la prévention des risques liés aux bruits des sports mécaniques.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
M. Alain Duffourg, rapporteur. - Mon amendement COM-1 vise à réparer une erreur matérielle et à apporter une précision rédactionnelle.
M. Jacques Fernique. - Cet amendement tend à supprimer la mention des « sons amplifiés ». J'insiste, l'article 1er de l'arrêté de 2023 vise bien « une activité sportive, culturelle ou de loisir à l'origine d'un bruit particulier ou une activité de diffusion de sons amplifiés ». J'aimerais être certain que les circuits automobiles ne relèvent pas de cet arrêté.
M. Alain Duffourg, rapporteur. - Je vous le confirme, mon cher collègue.
L'amendement COM-1 est adopté.
M. Alain Duffourg, rapporteur. - L'amendement COM-3 porte sur la consultation du Conseil national du bruit, compétent pour toute question relative à la lutte contre les nuisances sonores et à l'amélioration de la qualité de l'environnement sonore. Il peut être saisi par le ministre chargé de l'environnement ou s'autosaisir, comme le prévoit déjà l'article D. 571-99 du code de l'environnement. Il n'est donc pas nécessaire d'inscrire dans la loi la saisine de cette instance.
Mme Nicole Bonnefoy. - Le Conseil national du bruit peut s'autosaisir, certes, mais ajouter cette mention n'enlevait rien au texte : au contraire, elle contribuait à l'améliorer. Je regrette profondément que vous ne fassiez pas preuve d'ouverture. Nous redéposerons cet amendement en séance.
L'amendement COM-3 n'est pas adopté.
L'article unique est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Intitulé de la proposition de loi
L'amendement COM-2 est adopté.
L'intitulé de la proposition de loi est ainsi modifié.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Jean-François Longeot, président. - Je remercie Mme Delattre pour sa proposition de loi et le rapporteur pour son travail. Nous nous retrouverons donc le 23 novembre prochain pour la discussion de ce texte en séance publique.
Les sorts de la commission sont repris dans le tableau ci-dessous :
La réunion est close à 10 h 05.
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Échange préparatoire à la COP 28 sur la thématique de la sortie des énergies fossiles, avec Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique, et M. Jean Jouzel, paléoclimatologue
M. Jean-François Longeot, président. - Le 14 septembre dernier, dans une tribune au « Monde », plus de 300 scientifiques appelaient la France à soutenir un traité de non-prolifération des énergies fossiles. Selon les signataires, l'Accord de Paris ne suffit pas, en l'état, à atteindre les objectifs climatiques que l'Humanité s'est donnés en 2015. Dans une seconde tribune au « Monde », parue le 27 octobre dernier, plus de 300 patrons et cadres dirigeants de tous les secteurs exprimaient leur soutien à cette proposition.
Ces prises de position s'appuient notamment sur le constat dressé par l'Agence internationale de l'énergie (AIE), qui estimait, en 2021, qu'aucun nouveau projet fossile n'avait sa place pour atteindre la cible de neutralité carbone en 2050.
Ce constat est étayé par une enquête d'un consortium de médias internationaux, parue la semaine dernière. Cette enquête identifie 422 sites existants ou envisagés d'extraction fossile dans le monde, appelés « bombes carbone », dont les émissions potentielles combinées représenteraient plus de deux fois le budget carbone à ne pas dépasser pour maintenir le réchauffement au niveau mondial à 1,5 °C. Ces 422 sites, combinés, conduiraient également à aller au-delà du budget carbone à ne pas dépasser pour respecter la cible de 2° C. Un tiers de ces sites ne sont qu'à l'état de projet ; certains d'entre eux ont la capacité de produire du gaz ou du pétrole jusqu'au début du XXIIème siècle... Quant aux près de 300 sites en exploitation, leur potentiel d'émissions excède de 80 % le budget carbone permettant de maintenir les températures mondiales à 1,5 °C...
Ces 422 « bombes carbone » sont concentrées, pour moitié, dans trois pays : Chine, Russie et États-Unis. TotalÉnergies arrive en deuxième position des groupes liés à des projets ou des sites considérés comme des « bombes carbone ». Deux établissements bancaires français figurent dans le Top 10 des plus grands financeurs : BNP Paribas et Crédit Agricole.
Dans ce contexte, il nous a semblé particulièrement important de vous réunir cet après-midi.
D'une part, nous souhaitons donner l'opportunité à la communauté scientifique, par la voix de Jean Jouzel, de relayer son appel auprès du Gouvernement, représenté aujourd'hui par Mme Pannier-Runacher, et auprès des parlementaires que nous sommes. D'autre part, nous proposons au Gouvernement de clarifier sa position sur le sujet, à quelques semaines de la COP 28 qui se déroulera à Dubaï. Je remercie la ministre de la transition énergétique de se prêter à l'exercice.
Je m'adresserai tout d'abord à M. Jouzel, avec une question directe : quelle devrait être la trajectoire d'évolution de la consommation et de la production d'énergies fossiles pour espérer respecter l'Accord de Paris ? Comme je l'ai dit, l'AIE considère qu'aucun nouveau projet fossile ne devrait être autorisé. Mais n'y aura-t-il pas également des conséquences à tirer concernant les sites actuellement en exploitation, comme l'esquisse la tribune que vous avez co-signée ?
Ma deuxième série d'interrogations est adressée à la ministre de la transition énergétique. Elle porte sur notre capacité à traduire juridiquement et opérationnellement la proposition formulée dans la tribune du Monde. Faudrait-il fixer, à la faveur de la COP 28, des objectifs mondiaux de sortie des énergies fossiles, différenciés en fonction des sources d'énergie ? Faudrait différencier ces objectifs en fonction des régions du monde ? Enfin, et avant toute chose, ces propositions ont-elles une chance d'aboutir ? Je rappelle qu'un objectif de réduction progressive de l'ensemble des énergies fossiles avait un temps été envisagé lors de la COP 27 - à l'initiative de l'Inde et avec le soutien de l'Union européenne et des États-Unis - mais n'avait pas été repris dans la décision finale, sous l'influence notamment de l'Arabie saoudite et la Chine.
Voici quelques questions auxquelles vous pourrez répondre dans le cadre d'un propos liminaire.
Je ne doute pas que les membres de notre commission vous interpelleront, ensuite, sur la déclinaison que devrait prendre cette trajectoire de sortie des énergies fossiles dans notre pays, notamment d'un point de vue fiscal et budgétaire. Cela tombe bien, car notre assemblée aura à débattre, dans quelques semaines, du projet de loi de finances !
M. Jean Jouzel, paléoclimatologue. - Merci d'associer la communauté scientifique à ce débat. La proposition d'un traité de non-prolifération des énergies fossiles est déjà ancienne, nous appelons le Gouvernement français à la faire sienne lors de la COP28 et dans les négociations internationales en général.
Pourquoi en a-t-on besoin ? En tant que scientifique, je suis plus à l'aise pour dire le « pourquoi » il faut le faire - et je laisserai aux politiques la définition du « comment »... Il me semble, aussi, qu'on ne saurait être vraiment motivé sur le « comment » si l'on ne sait pas bien pourquoi on doit le faire. Or, la raison principale, c'est qu'il ne s'agit pas d'un jeu - mais bien d'un enjeu capital, car notre comportement d'aujourd'hui détermine le climat que nous allons laisser à nos enfants, celui de la deuxième moitié du XXIème siècle. L'Accord de Paris a eu pour objectif que notre génération laisse un monde où l'adaptation au réchauffement climatique ne serait pas trop difficile, avec un réchauffement de 1,5° C ; il nous faut désormais déterminer ce que nous allons faire d'ici 2030, pour savoir quel climat nous allons laisser après nous.
Pourquoi le lien est-il fait avec les énergies fossiles ? Parce que nous savons, scientifiquement, qu'il y a 50 % de gaz carbonique en plus dans l'atmosphère qu'au début du XXème siècle et que l'effet de serre que cela occasionne, piégeant la chaleur, réchauffe le climat - d'abord les océans, qui « absorbent » les neuf-dixièmes du réchauffement, avec pour effet une élévation du niveau des mers et bien des changements d'ordre biologique. Les calottes glaciaires fondent ; le One Planet Summit, qui se déroule actuellement lance un cri d'alarme sur les conséquences de cette fonte. On observe par exemple une élévation du niveau de la mer deux fois plus rapide qu'au début du XXème siècle.
Ces phénomènes sont très bien documentés et ils ne constituent nullement une surprise pour la communauté scientifique, puisqu'elle les annonce depuis au moins 50 ans, alertant également sur les conséquences de ces évolutions : des événements climatiques extrêmes plus intenses et plus fréquents, c'est ce que nous constatons tous ces dernières années et cela va même plus vite que ce que l'on pensait. La communauté scientifique a donc correctement envisagé l'évolution du climat et en identifiant bien le réchauffement anthropique, ceci au moins depuis le rapport Charney de 1979 ; cela doit inciter à accorder de la crédibilité à ce que la communauté dit aujourd'hui. Et ce qu'elle dit, chacun peut le lire dans les rapports successifs du Groupe international d'étude du climat (Giec) : c'est que si l'on ne fait rien, la température moyenne va augmenter de 4 à 5 degrés - et que si l'on veut faire quelque chose, il faut arrêter d'augmenter l'effet de serre et qu'il faut le faire sans attendre. Le Giec présente les différentes alternatives dans ses 5 scénarios. L'Accord de Paris met l'accent sur l'objectif d'un réchauffement au-dessous de 2 degrés, dont la condition est qu'on atteigne la neutralité carbone dans la deuxième partie du XXIème siècle. Puis il y a eu la COP26 à Glasgow et le rapport du 1,5 degré - je salue le bilan de Valérie Masson-Delmotte, qui a eu un rôle très important dans ce rapport, ainsi que Robert Vautard, nouveau co-président français du groupe scientifique du Giec - où il est clairement apparu qu'il serait bien plus facile à s'adapter à un réchauffement climatique limité à 1,5 degré, qu'au-delà. Le rapport présente des chiffres très précis à cet égard. Dès lors, l'objectif a été réaffirmé de privilégier le scénario d'un réchauffement à 1,5 degré, donc d'atteindre la neutralité carbone en 2050. Le point positif, c'est qu'une centaine de pays ont repris cet objectif, dont la France et les membres de l'UE. La Chine vise cette neutralité carbone à horizon 2060, l'Inde et l'Arabie Saoudite, 2070. Cependant, le fossé se creuse entre le discours et les faits : actuellement, le monde se dirige vers un réchauffement de 3 degrés. Autrement dit, il y a deux fois plus d'émission de gaz à effet de serre qu'il ne faudrait pour tenir l'objectif de 1,5 degré. La différence se joue donc maintenant, d'ici la fin de la décennie, mais également sur ce que nous ferons après 2030.
L'augmentation de l'effet de serre depuis un demi-siècle est due aux combustibles fossiles pour les trois-quarts, avec des effets de long terme et une forte inertie. Le rapport du Giec le dit très clairement : « une grande partie du réchauffement climatique d'origine anthropique liée aux émissions de CO2 est irréversible sur des périodes de plusieurs siècles à plusieurs millénaires. Sauf dans le cas d'une élimination nette considérable de CO2 atmosphériques sur une longue période, les températures en surface resteront à peu près constantes mais à des niveaux élevés pendant plusieurs siècles après la fin complète des émissions anthropiques de CO2. En raison des longues constantes de temps caractérisant les transferts de chaleur entre la surface et l'océan profond, le réchauffement océanique se poursuivra sur plusieurs siècles en fonction du scénario retenu, pendant plus de 1000 ans. »
Or, que fait-on aujourd'hui, à l'échelle de la planète ? On continue à consommer allègrement des combustibles fossiles, qui émettent 37 milliards de tonnes de CO2 l'an dernier, à quoi s'ajoutent 5 à 6 milliards de tonnes dus à la déforestation et 1 milliard de tonnes pour la fabrication du ciment.
Pourquoi demandons-nous un moratoire sur les énergies fossiles ? Pour stabiliser les émissions de CO2, parce que nous savons que le réchauffement climatique est déterminé par la quantité cumulée de gaz carbonique dans l'atmosphère et que les effets des émissions persisteront pendant de nombreux siècles. On sait aussi calculer, très précisément, le volume d'émission de gaz à effet de serre qu'il nous « reste à émettre » pour atteindre tel ou tel niveau de réchauffement : on sait, par exemple, que le réchauffement atteindra 1,5 degré avec 4 ou 5 années d'émissions actuelles, et 2 degrés avec une quinzaine d'années au rythme actuel. Cela donne la mesure des « bombes carbone » dont vous avez parlé, Monsieur le Président - on sait aussi qu'il y aura des « actifs échoués », qu'on devra donc renoncer à l'exploitation de certains sites... Ces éléments sont très clairs ; même l'AIE, qui a été historiquement le porte-voix des pays consommateurs d'énergies fossiles, va dans le même sens que le Giec. La conséquence très claire, c'est qu'il faut arrêter d'investir dans les énergies fossiles. C'est le sens du moratoire que nous préconisons.
Il y a du positif, également, car les solutions existent. Le troisième volume du rapport du Giec montre bien que si l'on avait décidé de respecter l'Accord de Paris, ce qui demandait d'éviter d'émettre 20-25 milliards de tonnes de CO2 depuis 2015, nous aurions pu économiser10 milliards de tonnes grâce aux énergies renouvelables, 1 milliard de tonnes grâce au nucléaire et encore 1 milliard de tonnes grâce au piégeage du CO2. En d'autres termes, la trajectoire est techniquement possible, il ne faut donc pas dire que c'est impossible - mais cela demande un autre modèle de développement. Or, cette transition, on ne peut pas ne pas la faire, on ne peut pas refuser la neutralité carbone, ou bien cela revient à accepter que le climat se réchauffe indéfiniment. C'est le sens de notre proposition de traité de non-prolifération ; il nous faut prendre le chemin de la neutralité carbone au plus tôt.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique. - Merci pour l'initiative de cette table ronde, je suis très heureuse d'être aux côtés de Jean Jouzel.
Je ne reviendrai pas sur le constat scientifique que vous avez exposé tant il est clair et partagé, les éléments climatiques extrêmes de ces derniers mois nous placent « à un moment de bascule de notre civilisation », pour paraphraser la tribune que vous avez cosignée récemment pour appeler à un moratoire sur les énergies fossiles.
C'est dans ce contexte particulièrement inquiétant que je me rendrai à la COP28 qui se tiendra, du 30 novembre au 12 décembre, à Dubaï. J'y porterai la voix de la France, pour rehausser nos ambitions collectives.
En préambule de cette table ronde, il me semble utile de mettre en perspective les efforts de la France en matière climatique.
Notre pays n'a pas à rougir de ses efforts. Durant le premier quinquennat du Président de la République, la France a doublé son rythme de baisse des émissions en comparaison du quinquennat précédent. Et nous accélérons encore : en 2022, nos émissions de gaz à effet de serre ont baissé de 2,7 %. Cela nous place aux avant-postes des pays du G7. Sur le premier semestre de cette année, nous avons encore baissé nos émissions de 4,3 %.
Ces chiffres sont le résultat de la politique volontariste que nous menons depuis six ans. Ce volontarisme traduit sur le plan législatif avec la loi « Énergie-Climat » votée en 2019, la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (« AGEC ») votée en 2020, la loi « Climat & Résilience » votée en 2021 et les deux lois d'accélération des énergies renouvelables et du nucléaire que j'ai portées devant le Parlement cette année. Il se traduit également par des actions concrètes pour transformer le quotidien des Français. Ces actions reposent sur un principe intangible : la transition écologique et énergétique ne doit pas aggraver les inégalités sociales.
Je suis convaincue que la transition, synonyme de grandes transformations de nos modes de vie, est une question éminemment sociale. Sous-estimer cette dimension, c'est mettre en risque notre République dont l'équilibre repose sur l'exigence de justice sociale.
C'est en ce sens que le Gouvernement a décidé de revoir un certain nombre de dispositifs pour mieux accompagner les ménages aux revenus les plus modestes. C'est le cas dans le secteur du bâtiment. Le Gouvernement a engagé une profonde refonte de l'ancien crédit d'impôt transition énergétique qui bénéficiait pour la majeure partie aux ménages les plus aisés. Depuis la création de MaPrimeRénov', nous avons réorienté près de 70 % des crédits vers les ménages les plus modestes sous forme de subventions pour leurs travaux. En 2024, nous poursuivons ces efforts et cette dynamique avec l'augmentation de son enveloppe de 1,6 milliard d'euros ce qui portera le budget total à 5 milliards d'euros. Nous renforçons également l'accompagnement grâce à mon Mon Accompagnateur Rénov' et nous baissons le reste à charge pour les plus modestes.
Nous accompagnons mieux les ménages modestes dans les mobilités, également. Nous avons l'ambition de réduire la consommation de carburant en électrifiant nos mobilités et en augmentant le recours aux mobilités durables. Cette ambition se traduit dans l'interdiction, prise au niveau européen - dans le cadre du paquet climat « Fit for 55 » -, de vente des voitures thermiques à partir de 2035. Nous allons même plus loin en étendant ces mesures aux poids lourds. Face à ce changement majeur, nous ne laissons pas nos concitoyens sans solution. Nous accompagnons les Français, en particulier les plus modestes, qui souhaitent changer de voiture avec le bonus écologique, la prime à la conversion et dans les tout prochains jours, avec le leasing social pour les voitures électriques. Dans le projet de loi de finances pour 2024, le budget alloué aux aides à l'acquisition de véhicules électriques - bonus écologique et prime à la conversion - progressera de 200 millions d'euros, pour une enveloppe totale de 1,5 milliard d'euros.
Ces actions s'inscrivent dans un changement de méthode, que l'on peut qualifier de planification écologique. Cette planification a été portée par le Président de la République, devant les Français, durant la campagne présidentielle et confiée, dès les premiers jours du quinquennat, à la Première ministre. Elle a fait l'objet d'un très important travail interministériel depuis un an. Cette planification constitue, pour notre pays, un plan de bataille, secteur par secteur, avec des objectifs et les moyens pour les atteindre.
Elle doit guider notre pays vers l'atteinte de nos objectifs climatiques : réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 55 % d'ici 2030 ; sortir des énergies fossiles ; atteindre la neutralité carbone en 2050.
Enfin, nous poursuivons nos efforts sur l'enjeu majeur consistant à mobiliser les investissements vers la finance climat. La France est parmi les meilleurs élèves : sur l'engagement des pays développés de 100 milliards de dollars par an pour l'atténuation et l'adaptation dans les pays du Sud, nous avons contribué en 2022 à hauteur de 7,6 milliards d'euros, dont 2,6 milliards d'euros consacrés à l'adaptation. Au niveau international, le sommet pour un nouveau pacte financier des 22 et 23 juin derniers a lancé une dynamique pour réorienter les flux financiers internationaux vers la finance climat, tout en maintenant l'impératif de lutte contre la pauvreté. Ce que l'on constate, c'est que des projets décarbonés ne sont pas soutenus alors qu'ils devraient l'être, en particulier dans les pays du Sud, alors qu'ils sont compétitifs : c'est aussi vers ces projets qu'il faut orienter les flux d'investissement.
Cependant, alors même que nous faisons des progrès, le dérèglement climatique fait que la marche à franchir est plus élevée - en réalité, plus on attend, plus la marche est élevée, et plus le coût est important sur le plan économique, mais aussi social, et en matière de santé publique. Nous devons donc accélérer nos efforts et savoir que nous ne pourrons pas gagner seuls la bataille contre le dérèglement climatique.
Or, à l'heure actuelle, les efforts sont loin d'être suffisamment partagés. Ainsi, la construction de capacités énormes de nouvelles centrales à charbon est annoncée, de même que l'exploitation de nouvelles mines et de nouveaux champs de pétrole et de gaz, en Asie, au Moyen-Orient et dans les Amériques. L'Union européenne est de loin le premier contributeur à la finance climat alors que de grands pays anglo-saxons du G7 et du G20 sont loin d'avoir fait les mêmes efforts - la moitié du budget du Fonds vert pour le climat est apporté par seulement trois pays, dont la France. On peut également s'étonner que les pays qui ont bénéficié des prix élevés de l'énergie, comme les pays du Golfe toujours classés en « pays en développement », ne contribuent pas plus aux efforts de solidarité sur le climat.
Dans ce contexte difficile, la France continue néanmoins à agir et je porterai des propositions concrètes pour la COP28, qui sont le prolongement de notre politique climatique nationale et européenne.
Nous ne sommes pas sur la bonne voie pour atteindre les objectifs de l'Accord de Paris. Le Bilan mondial, que nous négocierons à la COP, doit nous remettre sur une trajectoire compatible avec la limite de +1,5°C. Je défendrai une feuille de route cohérente scientifiquement avec cet objectif d'1,5°C, à savoir la réduction des émissions de gaz à effet de serre de 43 % d'ici 2030 et de 60 % d'ici 2035 par rapport à 2019 et la nécessité d'atteindre le pic de nos émissions en 2025.
En 2021, nous avions déjà acté la sortie du charbon et la réduction des énergies fossiles. À Dubaï, il faudra aller plus loin autant que possible : la France poussera dans le sens de l'inscription de la sortie de toutes les énergies fossiles dans l'accord final, quitte à proposer des formulations fondées sur les émissions de gaz à effet de serre liées à ces énergies.
Avec l'Union européenne, nous souhaitons obtenir l'inscription d'un objectif de triplement au niveau mondial des énergies renouvelables et de doublement de l'efficacité énergétique d'ici 2030. À ces objectifs, nous ajouterons la reconnaissance des autres solutions décarbonées dans les mix énergétiques de chaque pays, dont le nucléaire, et l'importance de mettre en oeuvre la sobriété énergétique.
À cette fin, nous mettrons en avant les efforts de sobriété énergétique français. Je note que le sujet est peu abordé, y compris au sein de l'UE. Nous porterons cette problématique, notamment avec l'Inde. La sobriété est le moyen le plus simple de réduire notre consommation d'énergies fossiles et de baisser nos émissions : sur les douze derniers mois, nous avons baissé de 12 % notre consommation de gaz et d'électricité, ce qui explique la forte baisse de nos émissions de gaz à effet de serre dans le secteur du bâtiment. Dans le même esprit, nous nous engagerons, avec une coalition de pays, à développer l'énergie nucléaire, solution indispensable à la lutte contre le changement climatique.
En dehors de ces priorités pour les décisions à la COP, qui nécessitent l'accord des 195 parties, je participerai à des coalitions sur plusieurs sujets importants, avec des événements spécifiques.
Sur le nucléaire, d'abord, avec un grand événement le 2 décembre réunissant de très nombreux pays qui considèrent que l'énergie nucléaire est une solution indispensable pour respecter l'objectif d'1,5 degré. Nous adopterons une déclaration conjointe pour porter ce message. Je reviens d'un déplacement à Bratislava où se tenait une réunion de l'Alliance du nucléaire que j'ai lancée et à laquelle participent 13 autres États membres européens. Cette alliance est un véritable succès diplomatique pour notre pays. Elle a permis que le terme nucléaire ne soit plus un gros mot à Bruxelles. Elle a également conduit à décrocher un accord historique sur la régulation du marché européen de l'électricité qui offre tous les outils pour financer nos investissements dans les énergies décarbonées, nucléaires comme renouvelables. Je souhaite approfondir cette alliance pour structurer la filière européenne du nucléaire dont notre filière d'excellence est assurément le moteur.
Sur la sortie du charbon, ensuite. La coalition entend élargir le nombre de pays s'engageant à ne pas construire de nouvelles centrales à charbon, lancer des travaux pour assécher la finance privée du charbon, en confiant par exemple un mandat à l'OCDE sur ce sujet, et lancer également un travail pour « décommissionner » les centrales à charbon existantes. Cela fera l'objet d'un événement dédié le 2 décembre prochain.
Je participerai également à une action pour la décarbonation du secteur maritime, en lien avec CMA CGM et nos partenaires d'Europe du Nord et des États-Unis. Le transport maritime émet environ deux fois plus de GES que le transport aérien : nous devons progresser davantage vers les carburants propres pour ce mode de transport.
Les entreprises pétrolières et gazières doivent aussi faire leur part concernant les émissions de méthane - une start-up française a montré que les fuites étaient bien plus importantes qu'on ne le pense. Les entreprises n'agissent pas assez sur les fuites de méthane, alors que ce gaz est à l'origine d'un tiers du réchauffement climatique. C'est un sujet qui n'a pas été suffisamment travaillé jusqu'à présent. La France prend sa part dans une coalition d'entreprises pétrolières qui devraient faire des annonces sur la lutte contre les fuites de méthane et la fin du torchage d'ici 2030 au plus tard. À Bruxelles, l'Union européenne prépare un règlement pour réduire nos émissions de méthane. La France a demandé que nos importations soient soumises aux mêmes exigences que celles que nous nous imposons en Europe, sans compromettre notre sécurité d'approvisionnement. C'est le meilleur moyen de pousser nos partenaires à changer leurs pratiques.
Enfin, sur le plan de la finance climat, je tiens à saluer l'accord qui a été trouvé la semaine dernière à Abou Dabi sur le Fonds « Pertes et préjudices ». Aboutir à un compromis avant le début de la COP était une nécessité pour éviter que ces discussions ne paralysent de nouveau la COP. C'est pour cette raison que j'avais tenu à rencontrer les acteurs clés de la négociation lors de la pré-COP. L'accord trouvé est équilibré et répond au mandat de la COP27 de Charm-El-Sheikh. Il constitue une première réponse au sujet des destructions massives liées aux événements climatiques extrêmes, en se concentrant sur les plus vulnérables et en élargissant la base des donateurs au-delà des seuls pays développés. Nous devrons encore adopter formellement cet accord lors de la COP28.
Chacun l'aura compris, les prochains mois seront décisifs pour la lutte contre le dérèglement climatique et pour déterminer le monde que nous léèguerons à nos enfants. Nous avons pris nos responsabilités face aux secteurs pétrolier et gazier en les associant pour les pousser à prendre des engagements de réduction des gaz à effet de serre, j'ai même initié un événement en marge du sommet de Paris en juin dernier, avec les présidents de la COP et de l'AIE, ainsi que trois champions énergétiques européens - TotalEnergies, Engie et Equinor - je les ai invités à soutenir Global Alliance lancée par la présidence émiratie.
Nous souhaitons obtenir le plus d'avancées sur la décision finale de la COP et progresser aussi sur des sujets particuliers à travers des coalitions.
Je peux d'ores et déjà vous dire que nous ne signerons pas un traité de non-prolifération dans un avenir proche, mais j'espère bien obtenir des avancées et mettre chacun face à ses responsabilités, c'est bien ce à quoi nous allons nous employer. La France est à l'avant-poste du combat sur son propre territoire et du combat au niveau international. Nous sommes à l'avant-poste pour que les divisions n'empêchent pas l'ambition, pour que le cap de l'Accord de Paris reste atteignable et pour défendre une transition juste et équitable : vous pouvez compter sur ma détermination.
Mme Marie-Claude Varaillas. - Je ne veux pas être pessimiste, mais c'est la première fois qu'un président d'un groupe pétrolier est à la tête des négociations climatiques. Or, nous savons que le dérèglement climatique est principalement causé par la combustion des énergies fossiles et c'est même la thématique générale de la COP28. Le Secrétaire Général des Nations Unies, Antonio Guterrez, déclarait en avril 2022 que notre dépendance aux énergies fossiles était en train de nous tuer.
Quel signal donne le monde en nommant à la tête de la COP le dirigeant d'une entreprise qui pompe près de 4 millions de barils de pétrole par jour ? Un journaliste ironisait hier en disant que cela revenait à demander la santé à un funérarium... Déjà à la COP27 de 2022 en Égypte, la présence de 600 lobbyistes des énergies fossiles avait réussi à contrecarrer les propositions les plus ambitieuses. Avec la COP à Dubaï, on frôle la caricature. Ces lobbyistes se présentent comme partie de la solution à la lutte contre le réchauffement climatique, alors qu'ils sont partie du problème et retardent l'action, en défendant la compensation carbone ou des technologies de stockage et de captage du CO2.
Le 30 septembre dernier, un collectif a appellé les États à réinventer le modèle des COP et à les placer sous la protection des Nations Unies. Qu'en pensez-vous Monsieur Jouzel ?
Par ailleurs, les engagements pris par les COP n'étant pas contraignants, se pose inéluctablement la question de la sincérité de la démarche qui valorise des intentions mais sans concrétisation des engagements pris - les États-Unis continuent même à demander que les engagements ne soient que volontaires...
Le fonds « Pertes et dommages » prévu par la COP27 en soutien aux pays les moins développés, qui sont les plus exposés aux risques climatiques et les moins responsables des émissions de carbone, a suscité de nombreux espoirs. Toutefois, les récentes négociations pré-COP ont causé des désillusions puisque les pays développés n'ont pris aucun engagement financier immédiat, ni prévu d'échéance de versement, alors même que les besoins de financement pour mener à bien les politiques d'adaptation et d'atténuation dans les pays les plus pauvres, sont évalués à 1 300 milliards de dollars par an... À Copenhague en 2009, les pays riches s'étaient engagés à verser 100 milliards de dollars par an pour les pays émergents, cela ne s'est pas fait. Dans le même temps, les banques continuent à financer les énergies fossiles...
Quand on parle de changement climatique, on voit en fait que ce qu'il faut changer, c'est bien notre modèle économique.
Madame la Ministre, quels engagements concrets et transposables en droit national allez-vous présenter lors de cette COP28 ?
Le projet de loi de finances pour 2024 identifie 39,7 milliards d'euros de crédits comme étant favorables à la transition écologique, sur les quelque 570 milliards d'euros de dépenses budgétaires et fiscales recensées : Monsieur Jouzel, estimez-vous que ces crédits suffisent à tenir nos engagements pour le climat ?
M. Fabien Genet. - Ce 8 novembre 2023 restera une date mémorable pour la Saône-et-Loire. Ce jour-là, la dernière tour de la centrale à charbon de Monceau-les-Mines a été démolie. Je ne sais s'il faut y voir un symbole, mais cette centrale, Lucy 3, a alimenté la ville en électricité grâce au charbon extrait dans le bassin minier pendant un siècle, avant que ne lui succèdent quelque 30 000 panneaux photovoltaïques qui alimentent en électricité un bassin de 7 000 habitants/. Le site continue d'évoluer avec l'implantation d'une unité de production d'hydrogène et une centrale biométhane. Ajoutez-y, à quelques kilomètres, les centrales nucléaires du Creusot et de Chalons, vous avez l'idée de la mutation en cours dans nos départements pour la transition énergétique et la décarbonation.
Au regard des enjeux, vous dites qu'il faut changer de méthode et vous mettez en avant la planification écologique à laquelle vous êtes parvenue en interministériel, vous parlez d'y faire adhérer nos concitoyens alors même qu'ils ne s'y retrouvent pas facilement avec les changements de cap du Gouvernement - ceux qui prônaient hier la fermeture de centrales nucléaires, décident aujourd'hui d'en construire de nouvelles, et on en vient à acheter à nos voisins allemands de l'électricité produite au charbon... Ne pensez-vous pas que la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), qu'on attend depuis des années, serait utile ? Et quand pensez-vous pouvoir en disposer ?
Enfin, la montée des antagonismes internationaux ne compromet-elle pas les coopérations sur le climat, qui ne seront efficaces qu'à l'échelle de la planète ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - En entendant les reproches faits au président de la COP28, d'être à la tête d'un grand groupe pétrolier, j'ai repensé à cette phrase de Charles Péguy : « le kantisme a les mains propres, mais il n'a pas de mains... ». On peut toujours dire qu'on ne négocie pas avec les pays émetteurs ni avec les producteurs d'énergies fossiles et rester entre nous, mais on n'avancera guère... Je crois de loin préférable d'être exemplaire tout en associant les pays et les secteurs les plus émetteurs, sur le plan global et par des coalitions sectorielles. C'est comme cela qu'on peut avancer, par consensus des 195 États parties à la COP et par coalitions sectorielles - une décision comme la sortie de la voiture thermique à l'échelle du continent européen aurait été inimaginable si l'Accord de Paris n'avait pas été signé au préalable. Va-t-on assez vite ? Non, mais il ne faut pas désespérer, ni couper le dialogue avec les pays émetteurs et les grands producteurs, il faut les mettre dans la négociation, en utilisant aussi le levier des organisations non gouvernementales et des opinions publiques, tout en visant à être exemplaires. Je crois que le président COP28 veut un succès diplomatique, c'est également un levier pour avancer et obtenir des améliorations.
Notre trajectoire prévoit 10 milliards d'euros supplémentaires de l'État à partir 2024 pour accompagner la transition écologique, cela correspond à la préconisation du rapport Pisani-Mahfouz, d'investir 60 milliards d'euros d'ici 2030 - à ces 10 milliards d'euros de l'État, il faut ajouter les sommes investies par les autres collectivités publiques et par les entreprises. En réalité, sur la rénovation thermique par exemple, je crains davantage pour le développement de la filière et pour la qualité des rénovations, que pour la disponibilité des crédits.
Mon emploi du temps m'a empêchée d'assister à la destruction de la dernière tour de la centrale à charbon de Monceaux-les-mines, aux côtés du député Louis Marguerite, mais je vois très bien de quelle adaptation vous parlez, Monsieur le sénateur.
Comment faire adhérer la population à la planification écologique ? J'ai mené une consultation publique sur la suite de la PPE 2018-23. La loi sur l'énergie a fait l'objet d'un débat public d'octobre 2022 à février 2023, un rapport a été remis en mars à la Commission nationale du débat public, des groupes de travail ont été installés, associant les groupes parlementaires - le groupe Les Républicains du Sénat n'a pas souhaité s'y associer, mais celui de l'Assemblée nationale l'a fait -, mais également les associations d'élus, de consommateurs, les associations environnementales, les entreprises et les experts. On ne fait pas la planification écologique dans une tour d'ivoire. La concertation sur la décarbonation du chauffage dans le bâtiment a été intéressante, mettant en lumière certaines résistances. La planification écologique suppose un exercice continu d'ajustement, c'est probablement la meilleure méthode dont nous disposons pour avancer.
Je reconnais volontiers les efforts que nous devons faire, même si nous avons déjà fait des progrès, c'est le cas en particulier sur les puits carbone. Nous allons devoir développer les énergies renouvelables beaucoup plus rapidement que nous l'avions imaginé, les chiffres sont très conséquents. Nous allons également devoir nous améliorer en matière de sobriété et d'efficacité énergétique, qui représentent 30 % de l'effort visé. L'ensemble est un tout - retirez un seul volet, et c'est le château de cartes qui s'effondre. Tel est le sens de la stratégie énergie climat que nous présenterons très prochainement.
Le retour de la guerre et les tensions internationales sont effectivement une source d'inquiétude, mais la pré-COP27 m'avait parue plus préoccupante encore, avec une tension très forte entre les pays en développement et les autres, liée en particulier au fait que l'UE avait « redémarré » des centrales à charbon - même si elles ne pèsent que 0,6 % de notre mix énergétique... - et à l'envolée des prix de l'énergie... Il me semble qu'il y a aujourd'hui plus d'équilibre, un sentiment d'urgence et de solennité, quoique, ces derniers jours, certaines annulations ou reports de rendez-vous laissent penser que nous pourrions avoir des problèmes pour négocier, dans un mois - il faut être très vigilant.
M. Jean Jouzel. - J'ai bien lu la tribune demandant que la convention climat relève des Nations-Unies, mais c'est déjà le cas. En réalité, le problème tient plutôt à ce que la COP n'a pas le pouvoir de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), par exemple. Il y a un peu plus de 20 ans, Jacques Chirac s'était déclaré très intéressé par la création d'une Organisation mondiale de l'Environnement, pour faire respecter des droits et des devoirs, l'idée n'a pas prospéré. Il faut dire, aussi, que les règles du commerce mondial ne sont guère propices à la lutte contre le réchauffement climatique...
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Le pouvoir de sanction de l'OMC n'est guère effectif dans la période actuelle...
M. Jean Jouzel. - Certes, et je dirais que, dans l'ensemble, les COP et le Giec sont utiles. Dans les années 1990, on pensait que le réchauffement climatique ne pourrait pas être inférieur à 4 ou même 5 degrés, il y a eu une mobilisation et il a paru possible d'aller en deçà, c'est déjà un résultat - et je crois que, dans l'ensemble, il vaut mieux chercher à améliorer cette organisation, que de la supprimer.
Je suis très attaché à l'alinéa 3 de l'article 2 de l'Accord de Paris, qui invite les banques à mettre leur activité en phase avec l'adaptation climatique. On voit aujourd'hui que c'est loin d'être le cas. J'accueille comme une bonne nouvelle la décision prise par Bruno Le Maire, d'exclure les producteurs d'énergies fossiles du label « Investissement socialement responsable » (ISR).
Enfin, les trois mots importants me paraissent ceux-ci : les inégalités, ou comment faire pour que le réchauffement climatique n'accroisse pas les inégalités ? La sobriété, ensuite ; enfin, la solidarité, qui est nécessaire...
M. Ronan Dantec. - Sur les 2 800 milliards de dollars investis dans les énergies à l'échelle de la planète, 1 700 milliards vont aux énergies renouvelables, c'est une bonne chose qu'elles soient devenues majoritaires, mais plus de 1 000 milliards vont encore aux énergies fossiles, en particulier le pétrole - alors que ce sont des investissements non pas pour trois ou quatre ans, mais pour quelques décennies. Ce que constate le rapport de Climate Chance, qui sera très prochainement publié, c'est que les énergies renouvelables prennent en charge les besoins énergétiques supplémentaires venus des classes moyennes nouvelles, lesquelles tendent, en Chine et dans certains pays d'Afrique, à avoir une empreinte carbone proche de celle des classes moyennes européennes, tout simplement parce qu'elles aspirent au même mode de vie. À continuer comme cela, il est très clair qu'on aura un réchauffement de 3 voire de 4 degrés, donc très loin du 1,5 degré dont vous parlez, avec des conséquences très dures.
Je crois utile de parler avec les pétroliers, avec les banques, d'autant plus que nous en avons chez nous, et de très puissants : la France compte de grands groupes énergétiques et de très grandes banques - Madame la ministre, cette France-là montre-t-elle le chemin ? Si nos majors continuent à vouloir produire plus de pétrole, le signal est dramatique... L'idée de réinvestir systématiquement l'argent des fossiles dans le développement des renouvelables n'apparaît pas chez les majors, sauf exception. Ce n'est en tout cas pas le cas de TotalEnergies. Ces majors ne communiquent pas sur la réalité de leurs investissements dans les énergies renouvelables. L'État peut-il conduire ces entreprises à s'engager davantage, d'abord à baisser leurs investissements pétroliers et à investir davantage dans les énergies renouvelables ? Peut-on imaginer des progrès sur ce point à la COP ? Cela vaut aussi pour les grandes banques : il faudrait un rapport de 1 à 6, entre les investissements dans les énergies fossiles et les énergies renouvelables, on en est très loin...
Il me semble aussi que la stratégie de l'État est contradictoire en matière de prix des énergies renouvelables, puisqu'il a surtaxé les bénéfices des producteurs de ces énergies, réduisant d'autant leur capacité d'investissement : qu'en pensez-vous ?
M. Hervé Gillé. - Un enjeu très important consiste à lutter contre le sentiment d'impuissance. Il y a eu le débat contre les climato-sceptiques, nous l'avons eu ici même, il parait aujourd'hui dépassé même s'il n'est pas éteint. Il y a, à l'inverse, l'idée que la technique peut tout résoudre, et qu'il suffit donc d'attendre. Il y a, encore, l'idée que la France étant finalement un petit pays, nos efforts ne changeraient pas grand-chose à la situation d'ensemble et que nous nous pénaliserions à les faire... Il y a donc un enjeu politique à lutter contre ce sentiment d'impuissance : comment le faire de manière plus dynamique ? Cela suppose de bien prendre en compte l'acceptabilité sociale et économique des efforts demandés.
Quelle est, ensuite, votre stratégie pour faire effectivement appliquer le fonds « Pertes et dommages » et comment comptez-vous avancer à ce sujet lors de la COP28 ?
Où en est-on de l'utilisation du levier fiscal pour orienter les investissements vers les énergies décarbonées, à l'échelle nationale, européenne et mondiale ? Quid, en particulier, de la fiscalité sur le carbone ?
Que pensez-vous de l'usage qui est fait de la conditionnalité, en particulier dans les politiques publiques - est-ce qu'on ne pourrait pas conditionner bien davantage des marchés publics à la décarbonation ?
Enfin, si les coalitions ont certainement un intérêt, une faiblesse ne vient-elle pas de l'absence de stratégie européenne d'ensemble pour la COP28 - ou bien qu'elle est-elle ?
M. Pierre Jean Rochette. - Le méthane contribue à un tiers du réchauffement climatique, son pouvoir de réchauffement global est 25 à 28 fois supérieur à celui du CO2 - et lors de la COP27, quelque 130 pays se sont engagés à réduire leurs émissions avant 2030, au point que s'ils tenaient cet engagement, on éviterait 0,2 degré de réchauffement climatique à l'horizon 2050 : cet engagement est-il respecté ?
Comment, ensuite, comptez-vous mobiliser les entreprises privées pour qu'elles réduisent leurs émissions carbone ?
M. Michaël Weber. -Alors que notre champion énergétique TotalEnergies est au deuxième rang mondial pour le soutien aux « bombes carbone » dont vous avez parlé, et que de très grandes banques françaises les soutiennent également, comment comptez-vous faire pour « assécher » - pour reprendre votre expression - le financement des énergies fossiles ?
On parle, ensuite, d'un gisement d'hydrogène « blanc » en Moselle ; j'ai des doutes sur l'exploitation « propre » d'une telle énergie fossile, mais avez-vous des précisions sur cette ressource ?
Enfin, on a beaucoup critiqué les choix énergétiques de nos voisins allemands, en particulier le renoncement au nucléaire, mais on voit qu'ils sont partis en avance sur le photovoltaïque alors que chez nous, c'est devenu une véritable course, avec des effets d'aubaine pour l'agrivoltaïsme, la méthanisation ou encore la biomasse : qu'en pensez-vous ?
M. Alexandre Ouizille. - À quelques semaines de la COP28, le bilan de l'action menée depuis l'Accord de Paris n'est pas bon. Nous sommes en-deçà de nos objectifs, avec en particulier le point noir des transports, et un point aveugle qu'est le transport aérien - qui est très polluant et qui est en plein développement puisqu'il a progressé de 50 % en trente ans : quelle est donc la planification écologique pour le transport aérien ? Il est très étonnant que les chiffres du transport aérien international ne soient pas comptabilisés dans notre inventaire national d'émissions carbone, alors que son impact est évident en France, avec le tourisme, et que cela va durer, en l'absence d'alternative technologique à court terme pour faire voler des avions sans émissions de carbone. Dans ces conditions, quelle est votre vision de l'avenir du transport aérien ? Je le dis aussi en tant qu'élu de l'Oise, où nous avons l'aéroport de Beauvais, qui est devenu le terminal 4 de Roissy-Charles-de-Gaulle, avec un trafic désormais équivalent à l'aéroport de Nantes, et des projets d'extension qui se chiffrent à des centaines de millions d'euros : comment l'État entend-t-il encadrer ce développement tout à fait contradictoire avec nos engagements climatiques ?
Vous dites aussi que la justice sociale est essentielle, alors que les 10% des Français les plus riches, émettent près de dix fois plus de carbone que les 50 % des Français les moins riches, et l'aviation n'y est pas pour rien : comment comptez-vous faire ?
M. Simon Uzenat. - En 2008, j'ai participé à la COP14 de Poznan et s'il serait excessif de dire que rien n'a bougé depuis, les débats que nous y avions alors ressemblent beaucoup à ceux d'aujourd'hui. Ce que je crois, c'est qu'à l'échelle nationale aussi bien qu'internationale, chacun trouve des prétextes pour ne pas aller assez vite. Nous sommes sur une ligne de crête, nous faisons aussi bien du préventif que du curatif, puisque des phénomènes extrêmes se produisent. La France compte parmi les pays qui se réchauffent le plus vite, mais le Gouvernement est dans l'autosatisfaction, alors même que nous sommes loin de respecter nos engagements et qu'une partie de nos progrès est due à une sobriété contrainte qui pénalise les plus modestes. Vous soulignez à raison, Monsieur Jouzel, que le réchauffement climatique ne doit pas creuser les inégalités sociales, c'est pourtant ce qu'il se passe, en particulier dans les territoires ruraux. Le Gouvernement aligne des chiffres de crédits pour la transition énergétique, mais le vrai sujet, c'est de savoir s'il s'agit d'un recyclage d'anciens crédits, ou de crédits nouveaux, d'autant qu'on parle aussi des finances locales, alors même que les collectivités territoriales ont perdu quasiment toute marge de manoeuvre, voyez ce qui s'est passé pour les régions avec les droits d'accise sur l'essence ou pour les cartes grises. Nous demandons ainsi la mise en place d'un versement mobilité additionnel, sans être entendus...
Il faut faire attention, ensuite, à la crédibilité de notre stratégie. Or, si l'on peut admettre que le nucléaire entre dans le mix énergétique décarboné, il faut bien voir qu'il ne peut être qu'une énergie de transition, car nous n'avons pas d'autonomie en matière d'énergie nucléaire. La priorité, c'est donc bien d'investir dans les énergies renouvelables. Or, pour reprendre cet exemple, l'hydrolienne d'Ouessant est littéralement bloquée faute d'un prix de rachat suffisant, c'est un vrai problème et il y a là une priorité évidente, quand on sait que sur cette île, on consomme 2,6 millions de litres de fioul par an...
Enfin, je crois que le débat contre les climato-sceptiques reste d'actualité. Des élus disent encore, quand il pleut ou qu'il fait froid en été, qu'il n'y a pas de réchauffement climatique, leurs propos sont évidemment beaucoup relayés par les réseaux sociaux. Comment, à votre avis, donner plus de poids à la parole scientifique ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Pour faire participer les grands énergéticiens français et les grandes banques françaises à la décarbonation, nous nous sommes associé à la Global Alliance mise en place par les Émirats arabes unis, avec l'idée d'engagements à réinvestir dans les énergies renouvelables - mais nous n'avons pas été très suivis, c'est d'ailleurs vrai à l'échelle du continent européen y compris en Norvège, qui nous a beaucoup aidés à traverser la crise énergétique en nous livrant du gaz, mais dont les entreprises ne sont pas plus vertueuses que les nôtres pour le réinvestissement dans les renouvelables. Nous avions obtenu, lorsque j'étais à Bercy, que les banques françaises s'engagent pour sortir des énergies fossiles : il y a ainsi un engagement dans le cadre de l'OCDE pour une sortie d'ici 2030 et 2040. Cependant, ce que les entreprises nous répondent, c'est que le véritable levier, c'est la consommation d'énergie fossile et que les investissements diminueront quand la demande reculera - ce n'est pas infondé et c'est pour cela que nous essayons de fixer, à l'échelle européenne, des objectifs chiffrés de baisse de consommation des énergies fossiles. Cela dit, les résultats ne sont guère tangibles, sauf sur le charbon où l'on a des dates, mais encore des désaccords. La France a, en tout cas, indiqué clairement qu'elle sortirait du charbon d'ici 2027. Il y a aussi la décarbonation des process industriels, c'est un autre sujet où il faut également avancer.
Ensuite, nous avons taxé les surprofits des énergies renouvelables, de manière cohérente et avec ce que recommande l'UE. Mais nous avons la même approche sur le nucléaire et les producteurs d'énergie fossile. Tout le monde a été traité de la même manière, sauf les tout petits producteurs. Nous avons redistribué le produit de ces taxes sous la forme du bouclier énergétique. Je note au passage que ces boucliers énergétiques peuvent constituer une subvention à la consommation d'énergies fossiles.
Le climato-scepticisme progresse en France, une étude de la Fondation Jean Jaurès montre que 40 % des Français se disent d'accord avec l'idée que « le dérèglement climatique est un prétexte des gouvernements mondiaux pour imposer des restrictions de libertés aux peuples », et même 20 % « tout à fait d'accord ». Il y a le scepticisme concernant l'origine anthropique du réchauffement climatique, mais aussi la critique des mesures prises pour décarboner. Il y a aussi beaucoup de complotisme contre le véhicule électrique, alors que son bilan global montre qu'il représente 2 à 5 fois moins de gaz à effet de serre que le véhicule thermique. Je crois que pour répondre au scepticisme, il faut valoriser les solutions, les trajectoires, la planification et, surtout, qu'il faut mettre les solutions à portée de toutes les bourses : l'écologie ne peut pas être un bien de luxe. C'est pourquoi nous mettons en place le leasing à 100 euros par mois, le prêt à taux zéro... Les aides cumulées peuvent atteindre 15 000 euros par véhicule électrique, ce qui peut rendre une voiture électrique accessible à 10 ou 12 000 euros pour le consommateur, en attendant que le marché de voitures électriques d'occasion se développe. Il faut également mettre en avant des co-bénéfices de la transition écologique : sur le pouvoir d'achat, puisque le plein électrique est bien moins cher que celui en carburant ; le bénéfice sur la santé - sortir des gaz d'échappement, c'est moins d'asthme et moins de bronchiolites... -, sur la biodiversité, sur la renaturation, sur le cadre de vie - en réduisant la pollution lumineuse, par exemple, on améliore la biodiversité. Il faut aussi mettre en avant les avantages pour la réindustrialisation et les emplois : il faut que le territoire français participe à cette mutation de la production, il y a beaucoup d'emplois à la clé, c'est nécessaire pour conserver notre modèle social. Nous avons donc beaucoup de travail à faire, en particulier sur la santé.
Le Fonds « Pertes et préjudices a été l'un des enjeux de la pré-COP : la France et le Bangladesh ont été missionnées pour avancer sur ce sujet. Nous sommes parvenus à trouver un accord au sein du groupe transactionnel ; il a été arraché au forceps mais avec une forte détermination de la présidence, je crois que c'est un indice de la volonté d'aboutir. Cet accord prévoit que ce fonds est financé pas seulement par les pays développés, et qu'il est dirigé vers les pays les plus vulnérables.
Comment créer d'autres sources de financement et d'investissement ? Vous savez que le paquet Fit for 55 de la Commission européenne contient des avancées en matière de fiscalité carbone et prévoit un fonds social pour le climat, pour amortir l'impact de la transition écologique sur les ménages. D'autres sources de financement pourraient venir de taxes internationales, le Président de la République l'a dit, par exemple sur l'aviation, sur le transport maritime, voire sur l'énergie. Il faut aussi regarder comment attirer des investissements privés en « dé-risquant » les projets. Il nous faut donc faire évoluer les règles de financement internationalest, pour tenir compte du changement climatique.
La stratégie européenne dans le cadre de COP existe ; elle fait l'objet d'un mandat adopté lors du Conseil de l'environnement le 16 octobre. Je rappelle que c'est bien l'UE qui négocie à la COP. Ce mandat est ambitieux, il évoque le triplement des énergies renouvelables, le doublement de l'efficacité énergétique et une sortie des énergies fossiles, sans, cependant, fixer de date. Il fait également mention de la sobriété énergétique.
Sur le méthane, une coalition va demander des engagements aux pétroliers et aux gaziers, nous portons aussi un règlement européen sur les fuites de méthane plus ambitieux, dans les émissions et les importations - les Américains, d'ailleurs, soutiennent cette démarche parce que cela correspond à leurs projets d'investissements.
L'hydrogène « blanc » n'émet pas de carbone. Le potentiel du gisement français n'est pas connu, mais il n'est probablement pas de taille à changer l'équation énergétique générale. Nous instruisons des permis d'exploration et d'exploitation, mais il ne faudrait pas que ce gisement occasionne des dégagements de méthane - des problèmes peuvent donc survenir et il faut les prévenir.
La loi sur l'accélération des énergies renouvelables donne plus de pouvoir de planification aux élus locaux : ils peuvent désormais mieux orienter les politiques en matière d'énergies renouvelables. La contrepartie, c'est qu'il leur faut jouer le jeu.
Y a-t-il des dérives sur l'agrivoltaïsme ? Il représente un millième de notre surface agricole utile. Cependant, il faut faire attention à l'application de la loi. Nous travaillons le sujet avec Marc Fesneau, avec un projet de décret. Pour certains types de culture, les risques de contournement sont limités. Mais des précautions sont à prendre pour la grande culture et l'élevage, notamment sur la répartition de la valeur entre propriétaire, exploitant et opérateur.
Le rapportage des émissions internationales de l'aérien découle d'une norme internationale, dont nous ne sommes pas responsables. Mais l'enjeu de la décarbonation du transport aérien, y compris international, est bien abordé par le droit européen, l'UE visant notamment une incorporation progressive de bio-carburants. En France, nous avons augmenté les taxes sur le kérosène utilisé par les jets privés. Nous avons également interdit certains vols intérieurs lorsqu'une alternative ferroviaire est disponible. Par ailleurs, nous avons établi un référentiel qui s'applique à tous les agents de l'État - je me l'applique également - consistant à ne pas prendre l'avion quand une alternative existe à moins de trois heures de train, les entreprises du CAC 40 y participent et nous déployons également ce référentiel sur le SBF 120.
La mise en oeuvre des mesures de sobriété est très largement partagée : les collectivités et les entreprises s'y sont mises largement - quelque 300 fédérations professionnelles se sont engagées ainsi dans le plan de sobriété. Il est donc faux de dire que les efforts de sobriété pèsent seulement sur les ménages et le résidentiel. Par ailleurs, le détail des chiffres montre que la consommation de gaz et d'électricité a décroché alors que les prix étaient stables. . On a vu l'impact du plan de sobriété y compris l'été, alors que les besoins de chauffage étaient absents... Cela montre que le plan de sobriété a eu un impact structurel. Dans le même temps, nous allons faire en sorte que les plus précaires puissent se chauffer suffisamment : la sobriété, c'est 19 degrés pour tout le monde. Ce qui est inacceptable, c'est qu'il fasse 14 degrés chez les uns et 23 degrés chez les autres, voilà notre vision d'une transition juste. Notons qu'un chauffage à 19 degrés, c'est meilleur pour la santé !
Oui, les crédits que nous mobilisons pour la transition énergétique sont des crédits nouveaux. Quant aux marges de manoeuvre des collectivités locales, elles sont importantes, je vous renvoie au rapport de la Cour des comptes.
Le nucléaire est une énergie d'autonomie, nous sommes autonomes à 95 %, ce n'est pas le cas pour la filière solaire, ni pour les éoliennes terrestres ou maritimes. Les panneaux photovoltaïques sont produits à 85 % hors d'Europe, de même que les métaux critiques qui leur sont indispensables - nous travaillons à l'échelon européen sur un Critical Raw Materials Act (CRM Act). C'est bien dans le secteur de l'énergie nucléaire que nous avons la plus grande autonomie. Vous pourrez comparer l'approvisionnement en uranium naturel en Australie ou au Canada, avec l'approvisionnement en cobalt, en nickel ou en lithium raffiné, qu'on trouve surtout en Chine.
M. Ronan Dantec. - Nous n'avons pas besoin des Russes sur le cycle de l'uranium ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Non, le seul contrat en cours est un contrat de retraitement, mais il ne conditionne pas l'activité de nos centrales. En réalité, nous maîtrisons la technologie du retraitement.
M. Simon Uzenat. - La réalité, c'est qu'on importe de l'uranium naturel...
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Nous avons plusieurs sources d'approvisionnement, nous avons des stocks, nous avons la capacité d'enrichissement de l'uranium et la capacité de gestion en aval, même les États-Unis ne réunissent pas toutes ces activités sur leur sol. Nous ne sommes donc pas dépendants. Essayez donc de faire un projet photovoltaïque sans les Chinois, vous me direz ce qu'il en est...
Sur les hydroliennes, je me suis battue pour qu'elles existent, nous soutenons les projets avec un tarif de rachat - la situation d'Ouessant est particulière.
M. Jean Jouzel. - Je dirais qu'il y a deux types d'indépendance, celle qui vaut pour la construction de l'infrastructure, mais ensuite il faut prendre en compte l'autre type d'indépendance, qui porte sur le combustible et le fonctionnement de l'outil.
Le thermique continue d'augmenter, en réalité on fait de l'additivité, c'est-à-dire que les énergies renouvelables accompagnent une augmentation générale de la consommation énergétique, avec l'accroissement démographique, les déplacements qui sont plus nombreux... tout cela relève de l'organisation de nos sociétés.
Comment faire adhérer la population à la décarbonation ? Je crois qu'un argument très simple consiste à dire que le pétrole et le charbon sont des sources de pollution, et que s'en passer, c'est se faire du bien, les gens y sont sensibles. Il y a aussi le dynamisme économique autour de la transition énergétique, c'est une motivation importante. La stratégie européenne existe, elle est ambitieuse - mais pas suffisamment, il faut la renforcer.
Je crois également qu'il vaudrait bien mieux fixer une date à l'arrêt des énergies fossiles, ou bien on ne tiendra pas l'objectif - et c'est précisément l'idée du moratoire.
J'espère que cette COP28 sera utile - et je vous remercie par avance, Madame la Ministre, de porter haut nos ambitions.
M. Michaël Weber. - Le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) estime que le potentiel de l'hydrogène « blanc » est énorme, il faut s'en saisir !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Nous sommes saisis de permis d'exploration, c'est bien que nous travaillons sur ce sujet... Mais nous sommes attentifs au risque de fuites de méthane.
M. Jean-François Longeot, président. - Merci pour vos réponses. Je vais vous citer, Monsieur Jouzel : « la seule façon d'aller de l'avant, c'est d'agir ».
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 50.