- Lundi 23 octobre 2023
- Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative aux services express régionaux métropolitains - Examen des amendements au texte de la commission
- Proposition de loi relative à l'ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien de la RATP - Examen des amendements au texte de la commission
- Mercredi 25 octobre 2023
- Mission d'information « Gestion durable de l'eau : l'urgence d'agir pour nos usages, nos territoires et notre environnement » - Échange sur les travaux
- Audition de Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État chargée de la biodiversité, sur la stratégie nationale en matière de biodiversité à l'horizon 2030
Lundi 23 octobre 2023
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 14 heures.
Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative aux services express régionaux métropolitains - Examen des amendements au texte de la commission
M. Jean-François Longeot, président. - Nous examinons les amendements de séance sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative aux services express régionaux métropolitains (Serm). Nous commençons par l'examen des amendements et des sous-amendements déposés par le rapporteur.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR
M. Philippe Tabarot, rapporteur. - L'amendement n° 57 vise à ce que dans le ou les départements situés à l'intérieur du périmètre d'un Serm, le représentant de l'État dans le département réunisse les parties prenantes aux fins d'élaborer un contrat d'objectif départemental de sûreté dans les transports dans l'année suivant l'attribution du statut de Serm.
L'amendement n° 57 est adopté.
M. Philippe Tabarot, rapporteur. - L'amendement de précision n° 58 vise à lever une ambiguïté et à ne pas assimiler les gares de voyageurs, pôles d'échanges multimodaux et ateliers de maintenance au réseau ferré national.
L'amendement n° 58 est adopté, de même que l'amendement rédactionnel n° 59.
M. Philippe Tabarot, rapporteur. - Le sous-amendement n° 60 vise à préciser le rôle de la conférence nationale de financement concernant la révision du contrat de performance entre SNCF Réseau et l'État et à supprimer la référence à la « règle d'or » de SNCF Réseau, qui ne relève pas de cette conférence.
Le sous-amendement n° 60 est adopté.
M. Philippe Tabarot, rapporteur. - Le sous-amendement n° 61 vise à supprimer la mention d'un focus sur le versement mobilité dans le rapport remis par le Gouvernement au Parlement sur la part de l'État dans le financement des projets d'infrastructures de transport pour la période 2023-2032.
Le sous-amendement n° 61est adopté.
Le sort des amendements du rapporteur examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION
M. Philippe Tabarot, rapporteur. - Au préalable, je tiens à préciser à nos collègues de l'opposition que je n'ai pas donné un avis favorable sur une série d'amendements, mais que cela n'enlève rien à la qualité du travail fourni par leurs auteurs. Simplement, certains d'entre eux apportent des précisions superflues ou alourdissent la proposition de loi. J'ai donc préféré ne pas les retenir.
La commission a donné les avis suivants sur les amendements dont elle est saisie, qui sont retracés dans le tableau ci-après :
Proposition de loi relative à l'ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien de la RATP - Examen des amendements au texte de la commission
M. Jean-François Longeot, président. - Nous examinons maintenant les amendements de séance sur la proposition de loi relative à l'ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien de la RATP, en commençant par les quatre amendements déposés par le rapporteur.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR
M. Franck Dhersin, rapporteur. - L'amendement rédactionnel n° 25 clarifie la disposition relative au comité social unique au sein de l'établissement public Île-de-France Mobilités (IDFM), en fixant le principe de sa création et en renvoyant à un décret en Conseil d'État la détermination de sa composition et de ses modalités de fonctionnement.
L'amendement n° 25 est adopté.
M. Franck Dhersin, rapporteur. - L'amendement n° 26 vise à clarifier le point de départ à partir duquel court le délai dont dispose l'Autorité de régulation des transports (ART) pour se prononcer dans le cadre du règlement d'un différend sur le nombre de salariés transférés, en remplaçant le mot « demande » par le mot « saisine ».
L'amendement n° 26 est adopté.
M. Franck Dhersin, rapporteur. - L'amendement n° 27 permet de déroger aux règles relatives à l'amplitude quotidienne de travail des conducteurs de bus et d'autocars, sans pouvoir excéder treize heures.
L'amendement n° 27 est adopté.
M. Franck Dhersin, rapporteur. - Afin d'assurer la cohérence du droit, l'amendement n° 28 vise à mentionner, dans l'ordonnance de 1959 relative à l'organisation des transports de voyageurs en Île-de-France, la représentation au sein du conseil d'administration d'IDFM de membres de la chambre régionale de commerce et d'industrie, d'organisations représentatives des employeurs, des associations d'usagers et des présidents des établissements publics de coopération intercommunale.
L'amendement n° 28 est adopté.
Le sort des amendements du rapporteur examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Article 2 |
||
Auteur |
N° |
Sort de l'amendement |
M. DHERSIN |
25 |
Adopté |
Article 3 |
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M. DHERSIN |
26 |
Adopté |
Article 5 |
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M. DHERSIN |
27 |
Adopté |
Article 8 |
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M. DHERSIN |
28 |
Adopté |
EXAMEN DE LA MOTION
M. Franck Dhersin, rapporteur. - J'émets un avis défavorable à cette motion.
La commission émet un avis défavorable à la motion n° 1 rectifiée tendant à opposer la question préalable à la proposition de loi.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION
La commission a donné les avis suivants sur les amendements dont elle est saisie, qui sont retracés dans le tableau ci-après :
La réunion est close à 14 h 25.
Mercredi 25 octobre 2023
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 10 heures.
Mission d'information « Gestion durable de l'eau : l'urgence d'agir pour nos usages, nos territoires et notre environnement » - Échange sur les travaux
M. Jean-François Longeot. - Mes chers collègues, notre ordre du jour de ce matin est l'exemple même de la bonne articulation entre les travaux de commission et les travaux des instances temporaires : les missions d'information, au terme d'un cycle d'auditions de plusieurs mois, permettent d'entendre tous les acteurs d'une politique publique donnée, mais également d'aller à leur rencontre au cours de déplacements sur le terrain. Elles recueillent une volumineuse masse d'informations qu'elles analysent, condensent et restituent dans le cadre d'un rapport d'information qui conclut les travaux et propose un certain nombre de recommandations, qui peuvent nourrir des travaux législatifs à venir.
Quand ces sujets entrent dans le champ de compétence de notre commission, il me paraît essentiel de pouvoir entendre le binôme président et rapporteur qui a conduit ces travaux, afin de parfaire notre connaissance grâce à l'expertise que nos collègues se sont forgée au cours de leur mission. Nous l'avions d'ailleurs fait récemment avec nos collègues de la délégation à la prospective, lors d'un échange sur leur rapport « Éviter la panne sèche : 8 questions sur l'avenir de l'eau ».
La mission d'information sur la gestion durable de l'eau, qui a rendu ses conclusions et ses recommandations en juillet dernier, a permis d'établir un bilan de l'architecture institutionnelle et financière de la politique de l'eau, en s'intéressant notamment à la répartition des compétences entre les acteurs, aux questions de financement, aux objectifs de qualité que la France se fixe pour les petit et grand cycles, en conformité avec nos engagements européens, aux défis de l'assainissement et à la lutte contre les nouveaux polluants, au bilan que l'on peut tirer des séquences de concertation nationales (Assises de l'eau, Varenne agricole de l'eau et de l'adaptation au changement climatique et le chantier eau du Conseil national de la refondation préalable à la présentation du Plan eau par le Président de la République en mars dernier) et aux évolutions du régime des précipitations et de la dynamique des masses d'eau souterraine sous l'effet du changement climatique.
Autant de questions essentielles et sensibles pour les territoires et les citoyens, auxquelles la commission s'intéresse de longue date et consacre une partie de ses travaux. Je mentionnerai notamment, parmi les plus récents, un cycle d'auditions en début d'année consacré aux nouveaux enjeux de la politique de l'eau et aux défis qui pèsent sur sa gestion et son pilotage, quand l'eau vient à manquer et que plus d'un millier de communes se retrouvent dans l'incapacité de distribuer de l'eau potable à leurs habitants. On pourrait dire pour résumer que « rien de ce qui est hydrique ne nous est étranger »...
Nous avons ce matin le plaisir d'entendre les principaux acteurs ayant conduit les travaux de la mission d'information sur la gestion durable de l'eau, initiée à la suite d'un droit de tirage du groupe socialiste, écologiste et républicain : son président, Rémy Pointereau, et son rapporteur, Hervé Gillé. Je leur cède avec plaisir la parole avant notre traditionnelle séquence de questions et de réponses.
M. Rémy Pointereau. - Monsieur le Président, mes chers collègues, il me revient l'honneur de vous présenter les grandes lignes des travaux de la mission d'information sur la « gestion durable de l'eau » : certains de nos commissaires sont de fins connaisseurs des enjeux hydriques, mais en ce début de session et avec l'arrivée de sénateurs nouvellement élus, l'occasion est propice pour partager notre expertise et nos constats.
Cette présentation à deux voix associera également mon collègue Hervé Gillé, rapporteur de la mission que j'ai eu l'honneur de présider et qui avait été créée en application du droit de tirage du groupe socialiste. Cette mission comptait 21 membres et nous a mobilisés du 6 février au 10 juillet 2023, date de remise de notre rapport d'information. Nous avons entendu près de 70 personnes en audition et effectué 4 déplacements, dont un dans les Deux-Sèvres pour rencontrer les acteurs du conflit autour des retenues de substitution de Sainte-Soline et des environs, appelées péjorativement « bassines ». Notre objectif était d'entendre, dans toute leur diversité, les acteurs du monde de l'eau, mais aussi les experts, notamment les universitaires et les chercheurs relevant des différents établissements publics comme l'INRAE, le BRGM ou Météo-France. Nous avons également voulu écouter les représentants des différents niveaux de collectivités territoriales, car la politique de l'eau est fortement territorialisée et décentralisée.
Le changement climatique met au défi notre gestion de l'eau. La sécheresse de l'été 2022 a contribué à une prise de conscience parfois brutale et douloureuse : plus de 1 000 communes ont connu une rupture de leur approvisionnement en eau potable. Elles ont dû prendre des mesures pour y faire face, certaines devant même distribuer aux habitants de l'eau en bouteille. Plus de 1 000 autres ont été au bord de la rupture. L'été 2023 a été moins dramatique, mais plusieurs centaines de communes ont à nouveau été touchées par la sécheresse. Sans parler des territoires ultramarins, comme la Guadeloupe ou encore Mayotte où l'approvisionnement en eau est défaillant pour d'autres raisons. Or l'eau est indispensable à notre vie quotidienne : évidemment pour notre alimentation et notre hygiène, mais aussi pour l'industrie, afin de refroidir les centrales nucléaires ou encore pour l'irrigation agricole. Nos travaux se sont attachés à mettre en évidence les différentes utilisations de l'eau aujourd'hui, les modifications du cycle de l'eau auxquelles nous sommes confrontés dans nos territoires, mais aussi les moyens organisationnels et financiers sur lesquels s'appuie notre politique publique de l'eau.
Nous sommes loin d'être les seuls à avoir travaillé sur l'eau durant ces dernières années. La délégation à la prospective du Sénat avait déjà produit un rapport d'information fin 2022 sur le sujet. Le Conseil économique, social et environnemental a également adopté un avis et un rapport en avril dernier. La Cour des comptes a remis en même temps que nous, en juillet dernier, un rapport thématique sur la gestion quantitative de l'eau en période de changement climatique. Le ministère de l'agriculture et le ministère de la transition écologique avaient organisé un cycle de discussions avec les professionnels et les experts dénommé « Varenne agricole de l'eau et de l'adaptation au changement climatique » fin 2021-début 2022. Avant cela, les Assises de l'eau avaient débouché sur des recommandations pratiques pour les petit et grand cycles. Le Président de la République lui-même a annoncé en mars dernier un Plan eau de 53 mesures allant de la réutilisation des eaux usées traitées au renforcement des moyens financiers des agences de l'eau en passant par l'encouragement de la tarification incitative pour les ménages. Sobriété, efficacité, mais aussi adaptation aux réalités de chaque territoire, qui peuvent être très variables, sont les mots d'ordre d'une politique de l'eau qui ne doit pas être révolutionnée, mais renforcée et rénovée. Car notre rapport montre que nous avons des atouts : nous nous appuyons sur une architecture institutionnelle solide avec les agences de l'eau, les comités de bassin, les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) et une planification pluriannuelle des actions.
Nous soutenons une vision équilibrée de la politique de l'eau et nous nous méfions tout autant des discours de déni des problèmes d'eau susceptibles d'advenir que des discours trop alarmistes dressant des perspectives catastrophistes. La politique de l'eau doit s'appuyer sur des données objectives et, en la matière, notre arsenal de connaissances et d'expertise doit être renforcé. De ce point de vue, nous attendons avec impatience les résultats de l'étude Explore2 sur les futurs de l'eau. Si notre pays reçoit probablement toujours en moyenne 900 mm de pluies par an, leur répartition dans l'espace et dans le temps va se modifier. La variabilité saisonnière devrait augmenter avec 15 % de pluies en plus l'hiver et 10 % en moins l'été ; les débits moyens des cours d'eau baisseraient de 10 à 40 % ; la vitesse de recharge des nappes diminuerait de 10 à 25 % ; nous ferons certainement face à des étiages plus longs et plus prononcés et les zones de stress hydrique s'étendront vers le nord. Les sols seront moins humides ce qui réduira l'infiltration ou encore la capacité des plantes à capter et filtrer l'eau ; la hausse des températures entraînera davantage d'évapotranspiration. Nous aurons aussi des épisodes de pluies intenses plus fréquents, qui nous obligent dès aujourd'hui à renforcer la prévention des inondations. Il faut donc se préparer en mobilisant toute la palette des solutions et en actionnant plusieurs leviers. Le levier financier doit être renforcé avec le rehaussement des plafonds de recettes des agences de l'eau. C'est prévu dans le projet de loi de finances pour 2024.
Le levier de la gouvernance doit aussi être clarifié et le rôle des instances de l'eau conforté. Je terminerai mon propos en évoquant la question de l'eau pour l'agriculture. Il est extrêmement ardu de trouver le bon équilibre entre les prélèvements d'eau et la préservation des milieux. Où placer le curseur ? L'agriculture est souvent au banc des accusés. Or, elle prélève à peine 3,5 milliards de m3 d'eau sur un peu plus de 30 milliards que nous utilisons chaque année, sachant que les pluies utiles (celles qui vont dans nos cours d'eau ou s'infiltrent dans le sous-sol) avoisinent les 200 milliards, soit 40 % des volumes de précipitations annuelles qui s'élèvent à 500 milliards. Mais c'est en été, quand les pluies utiles sont à leur minimum et la pousse des plantes à son maximum, que les agriculteurs ont besoin de cette eau. La culture du maïs représente presque la moitié de l'eau pour l'irrigation. Le rapport met en évidence les progrès techniques déjà réalisés en matière d'irrigation agricole, qui ne concerne au demeurant que 6 à 7 % des surfaces agricoles. Il existe cependant encore des marges de progrès importantes pour optimiser les techniques d'irrigation. En tout état de cause, on ne pourra pas se passer d'irrigation, notamment pour des cultures sensibles comme les cultures de semences, ou encore pour les fruits et légumes. Dès lors, quelles sont les solutions ? Adapter nos pratiques agricoles, c'est l'évidence même. Compter aussi sur le progrès technique. Aller vers davantage de sobriété. Mais aussi retenir l'eau au moment où elle est disponible. Le rapport ne condamne pas les réserves de substitution. L'idée de retenir l'eau abondante en hiver pour la réutiliser l'été et réduire - voire supprimer - les pompages durant la saison sèche est une solution de bon sens. Cela peut même constituer un vecteur de changement de pratiques et favoriser un développement agricole vertueux. Dans les Deux-Sèvres, nous avons constaté que les irrigants avaient mis en place des outils de suivi des quantités d'eau disponibles et consommées au jour le jour, en lien avec l'Établissement public du Marais Poitevin. Nous devons fonder nos décisions publiques sur des données objectives et les réalités de terrain qui peuvent être très variables et non sur des dogmes.
Je passe la parole au rapporteur pour présenter les 53 propositions du rapport.
M. Hervé Gillé. - La mission sur la gestion durable de l'eau s'est attachée à formuler le diagnostic le plus juste et complet possible sur l'état de la politique de l'eau en France afin d'aboutir à des propositions d'évolutions pour relever les défis à moyen terme, pour les 10 à 15 prochaines années. L'objectif est bien de trouver un équilibre entre enjeux environnementaux, économiques et sociaux ? et de disposer d'une eau en quantité et qualité suffisante pour répondre à l'ensemble de nos besoins et de nos usages. Ces objectifs sont fixés par les textes nationaux, mais aussi européens, notamment la directive-cadre sur l'eau de 2000. La gestion quantitative de l'eau devient de plus en plus critique avec le changement climatique et notre rapport met en garde contre le risque de multiplication des conflits de l'eau, avec au premier chef la question de l'agriculture.
Mais gérer l'eau correctement, c'est aussi s'intéresser à l'enjeu qualitatif, afin de protéger la santé des populations et celle de notre environnement. Or, la production de produits chimiques a été multipliée par 50 depuis 1950 et devrait tripler encore d'ici 2050. La persistance de résidus de pesticides sous forme de métabolites inquiète. L'effet sur la santé à long terme des polluants industriels persistants comme les PFAS (per- et polyfluoroalkylées) pourrait s'avérer délétère. Les micro-plastiques, résidus de médicaments ou de produits cosmétiques, se disséminent dans l'eau et peuvent même atteindre les nappes phréatiques, lorsque les sols ne jouent plus correctement leur rôle de filtration. Les coûts de dépollution sont très élevés. La bonne stratégie est donc celle de la prévention : ne polluons pas pour ne pas avoir à traiter ensuite.
La mise en oeuvre effective de la politique de l'eau repose largement sur les collectivités territoriales, en particulier le bloc communal, dont le rôle historique a été de développer les réseaux d'eau et d'assainissement. L'eau coule dans nos robinets, et ce à un prix finalement modeste : 4,3 € pour 1 000 litres, soit une facture annuelle d'un peu plus de 500 € par foyer, incluant l'assainissement collectif. Mais attention, il y a de grandes différences de situation selon les territoires. Certains réseaux sont fuyards, au-dessus du taux moyen de fuite au niveau national de 20 %. Le taux de renouvellement de nos infrastructures n'est que de 0,6 à 0,7 % par an. L'assainissement collectif est globalement performant, mais il subsiste des territoires qui doivent poursuivre leur effort de mise aux normes. Quant à l'assainissement individuel, qui représente 20 % des foyers, il est encore souvent non conforme. En matière de gouvernance, l'intercommunalisation de la compétence eau et assainissement continue à faire débat sur les territoires, avec la crainte de mariages entre inégaux, c'est-à-dire des collectivités vertueuses dans leur gestion de l'eau qui devront prendre en charge les dépenses de celles qui l'ont moins été et qui ont tardé à investir pour maintenir leurs réseaux en bon état.
Lorsqu'on parle du rôle des collectivités territoriales et en particulier du bloc communal, la question de la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (GEMAPI) se pose forcément. La taxe additionnelle à la taxe foncière fléchée sur la GEMAPI commence à être mobilisée, mais s'avère souvent insuffisante pour faire face au coût des travaux et permet tout juste de payer des études. Permettre une organisation plus efficace de la GEMAPI fait partie de nos propositions.
Après les constats viennent les propositions. Nous en avons 53, comme le Plan eau du Gouvernement, qui se répartissent en plusieurs axes.
Le premier axe est celui de la gouvernance. Une bonne politique de l'eau passe par une bonne organisation. Depuis la loi de 1964, renforcée par celles de 1992 et 2006, notre architecture institutionnelle est assez robuste. Nous sommes organisés par bassin hydrographique, avec des agences de l'eau et des comités de bassin. Nous disposons d'une planification à travers les SDAGE. Personne n'entend remettre en cause la pertinence des agences de l'eau et de l'organisation par bassin.
Mais il faut rendre cette organisation plus efficace et davantage ramifier la politique de l'eau à l'échelle des sous-bassins. C'est pourquoi nous proposons de généraliser les commissions locales de l'eau (CLE) dans chaque sous-bassin, et d'encourager des schémas d'aménagement et de gestion de l'eau (SAGE) partout et pas seulement sur 55 % du territoire français, en démarrant par des SAGE simplifiés.
Une bonne gouvernance passe aussi par la recherche de convergences entre acteurs. Les comités de bassin ont déjà une composition très large, qui associe tous les interlocuteurs. Les CLE ont vocation à reproduire cette diversité à l'échelon local. Pour favoriser les convergences, nous suggérons de donner aux comités de bassin un rôle de médiation en cas de conflit, avec possibilité de remonter à l'échelle du Comité national de l'eau (CNE), dont le rôle pourrait en outre être accru en matière d'expertise.
Trouver des consensus locaux est difficile. Aussi, il convient de faire évoluer la pratique des Projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE) et d'imaginer à l'échelle des bassins et sous-bassins des contrats d'engagement réciproques qui seraient le socle des politiques territoriales de l'eau.
Les documents d'urbanisme devraient aussi mieux prendre en compte l'enjeu de l'eau. Nous suggérons donc de renforcer le volet « eau » des schémas régionaux d'aménagement et de développement durable du territoire (SRADDET) et des schémas de cohérence territoriale (SCoT) et que les comités de bassin et les CLE soient systématiquement sollicités pour donner leur avis.
La bonne gouvernance suppose aussi des « capacités à faire ». L'ingénierie territoriale est indispensable et nous proposons d'une part de permettre aux départements de mettre à disposition cette ingénierie et d'autre part que l'État crée une mission d'appui pour les outre-mer.
J'ajoute qu'il faudrait mettre à jour les schémas départementaux d'interconnexion pour sécuriser les approvisionnements en eau potable, obliger les maîtres d'ouvrage publics à connaître leur patrimoine en les engageant sous 5 ans dans un diagnostic stratégique de connaissance et d'analyse financière adossé à un PPI, mais aussi lutter contre les fuites en fixant un taux de rendement-cible de 85 %, regrouper les petites unités d'assainissement et assurer une réelle mise aux normes des dispositifs d'assainissement individuel.
Pour prendre les bonnes décisions, il faut ensuite s'appuyer sur des données et analyses robustes. Nous avons 8 propositions allant dans ce sens, du renforcement de la surveillance des cours d'eau et des aquifères au comptage en temps réel des consommations d'eau, en passant par l'élargissement du spectre des contrôles sanitaires et l'amélioration des projections d'évolution de la ressource au niveau global, mais également en déclinant ces projections par bassin et sous-bassin. Il convient aussi de mieux associer le grand public en informant chaque foyer de l'impact de ses consommations.
Concernant les solutions techniques à nos problèmes d'eau, nous pensons utile d'encourager la réutilisation des eaux usées traitées. On pourrait mobiliser 500 millions de m3 supplémentaires. Mais n'en attendons pas trop. C'est une solution pertinente essentiellement en fin de bassin. En tout état de cause, il convient de faciliter les projets en sortant de la logique d'expérimentation, en levant les blocages liés à des craintes sanitaires infondées et en mettant à disposition les moyens financiers adaptés. Le décret du 29 août dernier ouvre des perspectives, avec des procédures d'autorisation simplifiées : l'effort en ce sens doit être poursuivi.
Nous devons avoir à l'esprit que la politique de l'eau et celle de l'énergie sont intimement liées. Nous estimons que les barrages hydroélectriques ont encore un potentiel de développement. Encore faut-il renoncer à la remise en concurrence des concessions qui pourrait désorganiser toute l'hydroélectricité de France. Nous devons aussi développer les stations de transfert d'énergie par pompage (STEP) et le photovoltaïque flottant.
Réarmer la politique de l'eau passe enfin nécessairement par la mobilisation de moyens supplémentaires. Le Plan eau prévoit de relever les moyens budgétaires des agences de l'eau de 475 millions d'euros. Cette hausse des financements sera couplée avec la mise en place d'incitations financières à la performance dans le cadre de la réforme des redevances, et l'incitation à la préservation de la qualité de l'eau par un élargissement des redevances pour des pollutions aujourd'hui exonérées : médicaments ou produits cosmétiques. Nous soutenons cette démarche. Mais notre rapport exprime aussi plusieurs préoccupations complémentaires concernant le financement de l'eau. Il faudrait définir un modèle économique pour l'indemnisation des exploitants hydroélectriques qui participent au soutien d'étiage. Il faut davantage de solidarité, avec l'outre-mer, mais aussi entre les bassins. La facture d'eau doit cesser d'être le principal financeur de la biodiversité : il faut trouver des ressources nouvelles, fléchées sur le grand cycle. Nous devons aussi trouver les moyens de financer la GEMAPI à la bonne échelle. Les établissements publics territoriaux de bassin (EPTB) pourraient utilement assumer la GEMAPI lorsque les EPCI ne le peuvent pas. Les aqua-prêts devraient être davantage sollicités par les maîtres d'ouvrages publics pour accéder à des financements à très longue maturité. Enfin, les particuliers devraient pouvoir ajuster leur consommation en fonction de signaux-prix traduisant les priorités de la politique publique de l'eau : encourager la sobriété par une tarification progressive, encourager l'utilisation d'eau de pluie par le rétablissement du crédit d'impôt pour les récupérateurs de toiture. En outre, les plus fragiles pourraient être protégés par une tarification sociale de l'eau mieux ciblée.
M. Jean-François Longeot. - Merci à vous pour cette présentation très instructive. La mission d'information que vous avez conduite a formulé des constats et des recommandations d'une grande richesse, qui contribuent utilement au débat public en matière de politique hydrique. Les points que vous soulevez réclament une attention particulière des pouvoirs publics, parce que la gestion de l'eau s'installe durablement comme un enjeu crucial.
M. Stéphane Demilly. - J'aimerais tout d'abord remercier le président et le rapporteur pour cette présentation très pédagogique. Nous partageons tous ici, je pense, le constat que l'heure n'est plus au statu quo.
Il faut sortir l'eau de la sphère technocratique dans laquelle elle est enfermée depuis des décennies et réaffirmer son caractère de bien commun. L'eau est la seule ressource non substituable nécessaire à la vie. Sa bonne gestion garantit l'apaisement des territoires et permet de prévenir les conflits d'usage. Les sécheresses inédites vécues ces deux derniers étés, notamment celle de 2022, et leurs impacts tant sur l'agriculture que sur la continuité de l'approvisionnement doivent nous faire réagir, et j'ai bien entendu que les prévisions étaient plus sombres encore. Oui, il existe un besoin criant de mise à niveau de nos politiques territoriales, qui pourraient être différenciées par région, bassin-versant ou département. J'ai bien noté, dans votre rapport, le clin d'oeil affectueux que vous faites au Président de la République avec vos 53 propositions, et c'est une bonne transition pour vous parler justement du Plan eau présenté par le Président de la République le 30 mars dernier. Il présentait 53 mesures qui étaient principalement orientées vers le rattrapage du retard pris dans la mise en oeuvre de la directive-cadre européenne sur l'eau (DCE) du 23 octobre 2000. Nous sommes encore éloignés, semble-t-il, des préconisations du GIEC, et plus loin encore de celles du Haut Conseil pour le Climat. Dans son dernier rapport public annuel, la Cour des comptes relève d'ailleurs dans notre pays une organisation inadaptée aux enjeux de la gestion qualitative de l'eau. À ce rythme, la France n'atteindra pas les objectifs européens de bon état des masses d'eau à horizon 2027. Que pensez-vous du Plan eau présenté par le Président de la République ? Que pensez-vous notamment de son idée de créer une sorte d'Écowatt de l'eau similaire à l'Écowatt électrique, pour nous sensibiliser à la nécessaire sobriété dont vous avez également parlé.
M. Hervé Gillé. - Nous partageons un certain nombre de propositions et d'objectifs mis en avant par le Plan eau. Il a eu le mérite de repolitiser, au sens noble du terme, le sujet de l'eau, et on voit bien qu'un certain nombre d'acteurs se l'approprient depuis quelque temps. Plusieurs des propositions qu'il entend mettre en oeuvre sont pertinentes, et nous les partageons. Ce sont surtout les moyens alloués aux orientations et aux objectifs qui ont fait débat : ils renvoient aux 475 millions d'euros qui pourraient être mobilisés par les agences de l'eau, grâce à la réforme des redevances. Cette modification est l'un des chantiers discutés avec les acteurs dans le cadre du Comité national de l'eau (CNE) aux mois de mai, juin et juillet et pour lequel je déplore que les parlementaires n'aient pas été associés. Le Plan eau commence à faire sentir ses effets par rapport au financement des agences de l'eau et des comités de bassins et, d'ailleurs, quelques mouvements conflictuels de manifestations se développent sur le terrain, par rapport à ces orientations. Je regrette donc que le chantier d'évolution des redevances n'ait pas été mené en concertation avec les parlementaires et que le dialogue n'ait pas été élargi.
Nous avons obtenu la levée, au moins provisoire, des plafonds mordants, et la suppression des plafonds de dépenses. La levée du plafond mordant doit s'inscrire dans le temps, car sa pérennité n'est pas assurée. La mobilisation de 475 millions d'euros supplémentaires, compte tenu des enjeux et notamment des défis en matière de rénovation des réseaux, ne suffira pas. Il faut s'interroger sur les moyens alloués à cette politique.
L'Écowatt de l'eau, c'est un bon sujet. Il peut constituer un préalable à la mise en place d'une tarification différenciée. L'une des préconisations du rapport porte sur la caractérisation des unités d'habitations en fonction des consommations de ressources, au même titre que l'énergie. Il faut pour cela s'appuyer sur des croisements de données, et l'Écowatt de l'eau peut faciliter la mise en oeuvre de la tarification différenciée. Cela signifie qu'il faudra travailler en amont sur des évolutions réglementaires et législatives sur le sujet, notamment sur le RGPD. Il faudra déterminer la méthode de croisement des données, la caractérisation des habitations, pour faire de la tarification différenciée et avoir un tableau de bord de la consommation, type Ecowatt, pour chaque unité d'habitation. Il s'agit donc d'un outil qui va dans le bon sens, avec une dimension pédagogique intéressante, sans oublier qu'il faudra au préalable mener à bien des évolutions réglementaires, voire législatives.
M. Rémy Pointereau. - J'aimerais réagir aux propos de notre collègue Demilly au sujet de la sphère technocratique de l'eau. Nous avons en effet constaté que la gouvernance de l'eau était d'une grande complexité. Entre les agences de l'eau, les comités de bassins, les SDAGE, les SAGE, les CLE, plus personne ne s'y retrouve. Pour les acteurs concernés, la conduite de la politique de l'eau est chronophage, il faut assister à des réunions de comités de bassin en permanence. Une simplification est souhaitable et même nécessaire nous ont dit plusieurs acteurs que nous avons entendus.
Au-delà d'un certain seuil, les excédents des agences de l'eau sont reversés au budget général de l'État. La ministre Dominique Voynet a mis en place ce mécanisme de récupération des excédents en 1999 ou 2000. Ce mécanisme s'est pérennisé et les agences de l'eau ont été contraintes de freiner la hausse des redevances, puisqu'elles ne bénéficiaient pas des excédents, qui repartaient de toute façon dans le budget de l'État. Il ne s'agit pas d'un système de financement très vertueux pour les agences de l'eau. C'est pourquoi le plafond mordant prête à discussion. Depuis plusieurs années, nous plaidons, durant l'examen du projet de loi de finances, pour la suppression de ce plafond. Cette année, nous avons obtenu qu'il soit au moins relevé.
Par ailleurs, la Cour des comptes s'est emparée du sujet de l'eau parmi les nombreuses thématiques qu'elle traite. On nous dit en permanence que la France ne respecte pas la directive-cadre sur l'eau. Mais j'aimerais souligner qu'aucun pays, parmi les États membres, ne respecte cette directive-cadre. Il faut donc arrêter de mettre la France sur le banc des accusés.
M. Hervé Gillé. - Il y a tout de même un débat sur le taux de progression.
M. Rémy Pointereau. - Oui, mais nous ne sommes pour autant pas à la traîne sur ce sujet. Et je le rappelle avec force et conviction, il faut respecter le principe premier des politiques de l'eau : l'eau doit payer l'eau.
M. Jean Bacci. - Je voudrais dans un premier temps remercier nos collègues pour ce travail de longue haleine et pour la qualité de leur rapport d'information. Je voudrais vous parler d'un sujet qui est aujourd'hui anecdotique. La société des eaux atmosphériques, qui se trouve à Grimaud, a été lauréate d'un appel à projets aux États-Unis, pour produire de l'eau à partir des quantités évaporées dans l'atmosphère. Aujourd'hui, ce procédé fonctionne et permet à la commune de Grimaud d'arroser ses espaces verts tout l'été. Aux États-Unis, cette eau est considérée comme de l'eau potable, chez nous pas encore. Les différentes normes en vigueur ne permettent pas à l'agence régionale de santé (ARS) de classer cette eau, notamment parce que nous ne savons pas s'il s'agit d'eau de surface ou d'eau souterraine. Nous espérons que cette classification arrivera bientôt. Ce processus permettra de pallier le manque d'eau que peuvent connaître certaines collectivités en été. Dans le sud, des collectivités ont été alimentées pendant 3 mois par des bouteilles d'eau en été, donc ce processus pourrait y pallier. Nous pourrions aussi envisager de constituer de petites réserves qui seraient alimentées en continu toute l'année, afin de fournir de l'eau aux agriculteurs et de servir aux pompiers pour la protection de la forêt lors d'incendies. C'est un procédé qui émerge aujourd'hui et qui, selon moi, a un avenir dans notre territoire, puisque plus les températures augmenteront, plus nous aurons d'évapotranspiration. Cette évapotranspiration constitue des nuages, la pluie retombe ailleurs, mais elle est perdue pour le territoire, donc si nous pouvons la conserver sur le territoire d'où elle s'est évaporée, ça n'est peut-être pas une mauvaise solution.
M. Jean-François Longeot. - Merci cher collègue, une belle expérience que j'ai eu la chance de découvrir avec Pascal Martin, qui vaut d'être étudiée, parce que c'est un bon moyen de développer des ressources supplémentaires de façon intelligente.
M. Jacques Fernique. - Bravo effectivement pour ce travail, riche et utile. Cette mission d'information a bien travaillé et il ne faudrait pas que la publication de votre rapport d'information juste avant l'été soit éclipsée par la reprise de notre session parlementaire. Ce travail est d'autant plus important que la donne a changé. L'époque où l'on avait le sentiment qu'il y avait quelques soucis, mais que la qualité, la quantité, la disponibilité ne posaient pas de difficultés et que la ressource semblait abondante est désormais révolue. Il y a quand même quelques éléments du rapport d'information qui montrent que les problèmes deviennent plus épineux. J'ai été surpris de découvrir que 30 à 50 % de nos concitoyens n'ont pas conscience qu'on ne peut pas jeter n'importe quoi dans le système d'assainissement. Et il ne faut pas non plus oublier que 200 000 personnes en France sont toujours privées d'un accès continu et sécurisé à l'eau. En tout cas, tout le monde a désormais compris que la donne a changé avec le changement climatique. L'atrazine reste la première cause de déclassement des eaux souterraines, et nous faisons face aux nouveaux polluants médicamenteux, les fameux polluants éternels et à la nécessité de sobriété et d'économies. J'ai deux questions. D'abord, j'ai été très intéressé par le fil directeur des 53 propositions, qui consiste à trouver des trajectoires consensuelles acceptables, marquées du sceau de la volonté de médiation, puisque je crois que nous devons tout faire pour éviter des guerres de l'eau. Dans ce sens-là, il existe un vrai risque, déjà avéré, de fracture territoriale sur les questions de sobriété et de rendement du réseau. En effet, pour les territoires où les densités sont très faibles, pas les métropoles où les taux de rendement sont bons et où les prix de l'eau sont compétitifs, mais pour les territoires ruraux, le prix de l'eau est plus cher et sera plus cher. Dans ces territoires, le rendement du réseau est bas, et le besoin d'investissements est considérable pour améliorer leur réseau. Deuxième question, sur les modèles de financement : le projet européen sur l'assainissement propose de mettre davantage l'accent sur le principe « pollueur-payeur », comme on le fait pour la question du recyclage des déchets, pour capter des financements additionnels. Qu'en pensez-vous ?
M. Jean-François Longeot. - Merci. Pour réagir au début de votre propos, si nous organisons cette rencontre aujourd'hui, c'est justement pour ne pas que cette mission d'information tombe dans l'oubli.
Mme Christine Herzog. - Je félicite moi aussi les deux rapporteurs pour leurs explications. Je souhaite revenir sur la question précédente. Il est vrai que peu de personnes s'interrogent sur le mode de recyclage de l'eau et la circulation de l'eau. J'aimerais vous faire part d'une question très précise qui m'a été posée par la ville d'Amnéville, en Moselle, qui accueille un établissement thermal. L'exploitant de cet établissement souhaiterait recycler l'eau de ses piscines, qu'il doit rejeter dans le réseau d'assainissement. Il trouve cela regrettable, et je partage cet avis, puisque l'eau rejetée n'est pas recyclée. Elle devient impropre à l'exploitation thermale ou pour l'utilisation en milieu agricole, l'arrosage des pelouses, parcs, jardins, et parcs publics. Ma question est donc la suivante : existe-t-il des mécanismes de traitement des piscines à fort volume ? Le maire d'Amnéville m'a justement fait part du cas d'un pays dans lequel l'eau des piscines est réutilisable. Existe-t-il, en France, des pistes sur ce sujet-là ? C'est la question que je pose et à laquelle j'aimerais pouvoir lui répondre. Merci chers collègues.
Mme Marta de Cidrac. - À mon tour de féliciter cette mission d'information et son rapporteur, Hervé Gillé. Je partage la conviction que c'est un sujet très important, qu'il fallait mettre sur la table et soumettre à notre réflexion. J'avais deux questions. La première porte sur le renouvellement de notre réseau. Je n'ai pas vu beaucoup de propositions pour améliorer les choses dans ce sens-là. Je suis élue dans un territoire très urbain, et lorsqu'il est question de renouveler tout le réseau d'alimentation, avec l'ensemble des chiffres que vous rappelez à juste titre en termes de fuites, il est parfois très difficile d'y répondre pour les communes. J'aurais donc souhaité connaître vos réflexions sur ce point plus précis. Le deuxième sujet concerne la réutilisation des eaux usées traitées. Vous faites des propositions intéressantes. Toutefois, je pense que nous pouvons nous inspirer de pays européens qui vont beaucoup plus loin dans les autorisations de réemploi des eaux usées. Qu'avez-vous constaté et quelles propositions pouvons-nous faire dans ce sens ?
M. Simon Uzenat. - À mon tour, je tiens à saluer la qualité du travail réalisé par le président et le rapporteur. J'ai 3 questions concernant les métabolites. Tout d'abord, il est bien fait mention dans votre rapport d'information de la nécessité d'investir davantage sur la prévention et donc de travailler avant la mise sur le marché, et d'analyser les différentes particules. Sur les métabolites, on peut fort logiquement considérer que c'est la responsabilité des producteurs de pesticides qui doit être directement engagée, ce qui rejoint l'une des propositions sur la montée en puissance effective du principe pollueur-payeur. Existe-t-il des avancées sur ce sujet précis ? Deuxième question sur la réutilisation des eaux usées traitées, notamment dans l'agroalimentaire. Un décret a été publié le 29 août dernier à la suite d'une concertation organisée au printemps. Avez-vous des informations sur la mobilisation des acteurs économiques ? Je pense particulièrement à la Bretagne, où beaucoup d'entreprises présentes dans le secteur agroalimentaire sont très volontaires sur le sujet, encore faut-il que l'information leur parvienne et que tous les éléments de facilitation leur soient communiqués sur le sujet. Dernier point, sur le plafond mordant, je pense que nous sommes clairement d'accord pour dire qu'il faut aller plus loin et demander sa suppression. Pour autant, on en a encore eu une illustration ce matin à l'occasion d'échanges avec les chambres d'agriculture, on voit bien la tentation de mettre d'éventuels moyens supplémentaires sur toujours plus de politiques, qui peuvent être plus ou moins liées au sujet de l'eau. Or, comme vous l'avez rappelé monsieur le rapporteur, les besoins sont très conséquents, en particulier sur la rénovation des réseaux. Donc peut-on faire en sorte de bien cadrer ce sujet et d'éviter un saupoudrage qui viendrait une nouvelle fois fragiliser les politiques nécessaires en faveur de la gestion durable de l'eau ?
M. Didier Mandelli. - Je m'associe aux remerciements et aux félicitations accordées au rapporteur et au président. Vous avez évoqué, et le Président de la République aussi d'ailleurs, le volet réutilisation. Les études récentes démontrent que cela aura un impact significatif, mais pas déterminant, sauf sur les zones littorales.
Je voudrais vous informer de l'inauguration prochaine de l'unité d'affinage des Sables-d'Olonne - pour une fois je vais parler de la Vendée - qui permettra de faire de la réutilisation, par le biais à la fois de l'unité d'affinage en sortie de station d'épuration et d'un réseau de 27 kilomètres qui renverra l'eau dans un barrage. Il se trouve qu'en Vendée nous avons uniquement de l'eau de surface, nous n'avons quasiment pas de nappe dans le sud de la Vendée, et donc l'essentiel de la consommation dans ce département très touristique, qui compte 640 000 habitants, mais plusieurs millions de touristes, arrive au moment où on en dispose le moins. C'est donc un élément important puisque cette unité, qui représente un investissement de 25 millions d'euros, représente l'équivalent de la consommation de 60 000 habitants, c'est-à-dire quasiment une fois et demi la population des Sables-d'Olonne. Cette démarche est déterminante pour un département comme la Vendée, puisque l'unité doit couvrir 10 % des besoins de la population. Je vous informe que le 16 novembre prochain, nous inaugurons cette nouvelle unité d'affinage. C'est donc possible, je sais que Saint-Malo et d'autres communes littorales envisagent ce type de démarche. C'est une première européenne.
Vous avez également évoqué les travaux de la Cour des comptes. En Vendée, le syndicat départemental a justement été audité. Et cette démarche a quand même un intérêt, puisqu'elle a démontré que dans un département comme le nôtre, 21 % de la consommation d'eau potable est le fait de ce qu'on appelle les « gros consommateurs », de plus de 6 000 m3, et en particulier le secteur agroalimentaire. Ce sont plusieurs millions de mètres cubes, et si nous souhaitons avoir un impact rapide, la question de la sobriété sur ce type de consommation est importante. Cette question est liée également à des problématiques sanitaires. Nous avons par exemple le groupe Arrivé, qui est un groupe volailler, LDC, Sodebo, que vous connaissez, Fleury Michon notamment. Ce sont de grosses entreprises, qui consomment beaucoup d'eau - au total, plusieurs millions de mètres cubes - qui se sont engagées à travailler à brève échéance sur ces questions de sobriété. Si nous voulons avoir un impact rapide, il faut bien sûr prendre en compte l'usager, le foyer, mais aussi le monde économique, qui est un consommateur important d'eau. Je voulais vous citer ces deux exemples pour montrer que chaque type d'acteur a sa part à réaliser.
M. Bernard Pillefer. - Je voudrais m'associer aux félicitations adressées au président et au rapporteur de cette mission d'information. Des points très intéressants ont été mis en avant. Je souhaite reprendre et accompagner les propos de notre collègue sur les réseaux fuyards, et les moyens mis à disposition pour atteindre ce rendement cible que vous souhaitez mettre en place. Je pense que l'accompagnement des agences de l'eau doit être renforcé, revu et consolidé, il faut y faire très attention.
Vous avez également soulevé le point très important de l'assainissement non collectif (ANC), avec le fait que les mises aux normes des installations présentent un taux de suivi trop peu élevé, bien que la plupart des territoires aient réalisé leur diagnostic. Je suggère qu'on étudie la possibilité de réaliser ces mises aux normes au moment des cessions, parce que c'est le seul vrai levier qui existe. En Loir-et-Cher, et notamment sur la communauté de communes que j'ai présidée, nous avons essayé de le mettre en place, mais l'accompagnement des entreprises délégataires n'est pas toujours facilitant. Il y a donc une véritable interrogation, et je pense que c'est un segment sur lequel il serait bon de s'interroger. Vous avez ensuite proposé d'associer les départements en matière d'ingénierie. Il existe déjà des structures dans les départements, il faut les renforcer, je pense que c'est une démarche intéressante. Vous avez aussi parlé de la simplification de la gouvernance, et en effet ces multiples niveaux concernant la gestion de l'eau nécessitent une réflexion quant à la simplification que nous pouvons mettre en oeuvre.
Je sors, comme un certain nombre de collègues, d'une campagne durant laquelle je suis allé à la rencontre de l'ensemble des territoires et, cela fera peut-être réagir, mais s'est souvent posée la question du transfert de la compétence eau et assainissement de l'échelle des EPCI à l'échelle du bassin de vie. Je pense qu'il y a un intérêt différentiel dans ce domaine, il aurait été plus judicieux de travailler sur la notion de bassin de vie plutôt qu'à l'échelle d'EPCI. Je sais que le Sénat avait travaillé sur ce sujet, mais nous pourrions étudier la possibilité de faire évoluer ces tâches à l'échelle d'un bassin de vie qui serait en cohérence réelle par rapport à la réalité des territoires.
M. Hervé Gillé. - Concernant la question de Jean Bacci, l'eau atmosphérique fait en effet partie des briques technologiques complémentaires qui peuvent avoir leur pertinence. Mais nous avons souvent dans notre pays, au niveau de l'ARS, l'ouverture d'un « parapluie » assez large. C'est souvent l'ARS qui a freiné le développement de la réutilisation des eaux usées traitées dans notre pays. Aujourd'hui, le gouvernement a pris de bonnes décisions, un nouveau décret est enfin sorti. Mais il faut avancer de façon plus volontaire. Il y a tout de même un changement de paradigme, puisque maintenant quand les ARS seront interrogées, en l'absence de réponse, le silence vaudra acceptation, ce qui n'était pas le cas antérieurement.
Concernant la question de Jacques Fernique, sur le rendement des réseaux, notamment dans les territoires ruraux, il est évident qu'il faudra mettre en place une politique de solidarité territoriale et nationale, sans quoi nous n'y arriverons pas, il s'agit d'une évidence. Mais, par rapport à d'autres questions posées par certains collègues, il faut aussi avoir la lucidité d'interroger la politique tarifaire, puisqu'à certains endroits, le réseau est très fuyard, mais le coût est aussi très faible, ce qui signifie que l'on n'a pas mis en place le cadre nécessaire pour accompagner la politique des moyens. Les contrats d'engagement réciproque que nous avons évoqués devraient donc prendre en considération ces éléments-là dans une logique de clarification, c'est un élément important.
Sur la politique pollueur-payeur, il faut effectivement le faire notamment pour certaines familles de production que nous avons citées et qui ne sont pas fiscalisées dans ce cadre-là aujourd'hui. Il faut créer les conditions d'accompagnement pour que ce principe puisse être intégré dans les modèles économiques de manière satisfaisante. Une montée en puissance est en effet nécessaire par rapport à ce principe, compte tenu des préoccupations.
J'en profite pour vous dire qu'il va falloir augmenter la protection des captages prioritaires. Il n'y en a que 500 en France. Compte tenu des enjeux, il faudrait que ces priorités concernent presque tous les captages. Cela signifie qu'il faut questionner le financement des services rendus environnementaux, pour pouvoir les atteindre, puisque lorsqu'on crée des contraintes, notamment de production agricole, il faut bien que les agriculteurs soient compensés par rapport à cela. Il faudra également imaginer un renforcement du financement dans ce cadre-là.
Concernant la question de Christine Herzog, s'agissant du recyclage des eaux de piscines et jardins, il existe des expérimentations nationales. Il faudra approfondir le sujet, mais certaines communes réutilisent les eaux de piscine sur les eaux d'arrosage notamment. Cela renvoie une fois de plus à l'ARS, dans le cadre du régime d'utilisation des eaux grises ou usées.
Pour répondre à Marta de Cidrac, j'ai déjà évoqué le renouvellement des réseaux. La question du modèle syndical, qui doit évoluer pour des clefs de lecture plus claires sur le programme pluriannuel d'investissement, est fondamentale. Il faut que chaque réseau, chaque syndicat soit en capacité aujourd'hui d'avoir cette visibilité. Et améliorer les réseaux, c'est aussi améliorer l'interconnexion. C'est aussi une priorité qu'il faut se fixer à l'échelle des départements. Là où c'est possible, il faut interconnecter le plus possible les réseaux, ce qui permettra aussi d'améliorer l'entretien et l'amélioration de la performance des réseaux.
Sur la réutilisation des eaux usées traitées (REUT), effectivement, l'Italie et l'Espagne sont à des niveaux plus importants, mais c'est également parce qu'ils ont des stress hydriques plus forts. Je pense que les décisions vont dans le bon sens, mais je reviens sur le rôle fondamental des ARS, la clef est là, sur les nouveaux décrets, pour élargir les possibilités de réutilisation des eaux usées.
Concernant la question de Simon Uzenat sur les métabolites, j'ai commencé à répondre en partie, notamment sur l'augmentation de la protection des captages, qui me paraît particulièrement importante. Le décret du 29 août dernier a été cité. L'ensemble des filières que nous avons entendues sont conscientes de cela, et les filières industrielles souhaitent avancer de manière significative, car elles veulent intégrer ces objectifs dans leur RSE.
Pour répondre à Didier Mandelli, c'est en effet au niveau des zones littorales que la REUT est la plus efficace, puisque plutôt que laisser les eaux usées traitées se jeter dans l'océan, on peut les récupérer pour les utiliser de manière pragmatique. Mais ça n'est pas forcément possible partout, puisque lorsqu'on réinjecte des eaux dans le pluvial ou les eaux chevelues, elles participent parfois du soutien d'étiage. Mais les exemples développés sont intéressants.
Concernant la question de Bernard Pillefer, j'ai évoqué ces problématiques de réseaux, d'objectif de solidarité, je pense que nous avons globalement répondu. Et sur la mise en conformité, je partage tout à fait cet avis, cela fait partie de nos préconisations, il faut effectivement mener cette étape lors de la vente. Il ne faut pas oublier l'intégration de ces objectifs dans les plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUI) et les SCoT.
M. Rémy Pointereau. - Juste quelques mots pour remercier encore une fois l'équipe qui nous a accompagnés pour mener à bien les travaux de cette mission d'information, ainsi que Hervé Gillé, avec qui j'ai été heureux de travailler. Nous avons été complémentaires, et nous avons travaillé de façon très pragmatique. Je crois que cela a contribué au succès de notre opération, et nous avons des exemples concrets relatifs à toutes les questions qui ont été posées. Par exemple, sur la médiation, avec l'Agence de l'eau de Loire - Bretagne, qui a beaucoup travaillé sur les problèmes de réserves de substitution dans les Deux-Sèvres. Je pense que les agences de l'eau sont l'échelle pertinente pour la médiation, plus que l'échelle nationale. Nous avons aussi beaucoup travaillé sur le renouvellement des canalisations et des réseaux fuyards, notamment dans les territoires ruraux. C'est un vrai sujet, nous avons parfois jusqu'à 70 % de pertes dans les réseaux, cela représente un milliard de mètres cubes d'eau perdus du fait du mauvais état des canalisations au niveau national, je le rappelle. Il existe des exemples concrets de recyclage de l'eau dans la région Centre : l'ensemble du parc floral de la Source est ainsi arrosé par les eaux de traitement de la métropole d'Orléans. Pour conclure, notre travail pose la question de l'opportunité de réformer la loi sur l'eau de 2006 : un certain nombre de ses dispositions devront peut-être évoluer pour mieux préparer la France à la nouvelle donne hydrique. Dans cette hypothèse, notre commission pourra être force de proposition lors de l'examen d'un véhicule législatif dédié.
M. Jean-François Longeot. - Merci à tous les commissaires qui s'intéressent authentiquement, leurs questions le prouvent, à la problématique de l'eau et à la recherche de solutions. Mes remerciements s'adressent également au rapporteur et au président, pour ce travail pragmatique et utile. Quand il est question des sujets à forts enjeux de notre société, qui concernent nos territoires et nos concitoyens, c'est le bon sens et l'intérêt général qui doivent primer.
Audition de Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État chargée de la biodiversité, sur la stratégie nationale en matière de biodiversité à l'horizon 2030
M. Jean-François Longeot, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin, pour la première fois devant notre commission, la nouvelle secrétaire d'État chargée de la biodiversité, Sarah El Haïry.
Madame la ministre, votre portefeuille évolue, passant du service national universel (SNU) à la biodiversité : ce changement d'attribution vous conduit par conséquent à intervenir devant nous, ce dont nous nous félicitons.
En matière de biodiversité et de développement durable, notre commission a acquis au cours de ses dix années d'existence une indéniable expertise et un regard acéré sur les enjeux environnementaux. Vous avez devant vous des sénateurs qui ont notamment oeuvré pour faire en sorte que la loi « Climat et résilience » d'août 2021 aboutisse à un cadre normatif ambitieux, réaliste, juste socialement, et promeuve des politiques publiques qui placent les élus locaux et les territoires au centre du jeu, car ce sont les véritables laboratoires de la transition écologique.
À l'occasion de chaque texte soumis à son examen, la commission marque de son empreinte pragmatique les dispositions permettant d'atteindre les objectifs climatiques et environnementaux de notre pays, dans un souci d'équité et de justice sociale, sans rien céder à la nécessaire ambition qui doit caractériser nos politiques publiques en la matière.
Où en sommes-nous aujourd'hui en matière de biodiversité ? La situation n'est guère brillante, en dépit des plans et stratégies mis en oeuvre par les gouvernements successifs : l'érosion de la biodiversité se poursuit à un rythme soutenu et le déclin des espèces est malheureusement une réalité tangible, toutes les études le prouvent, chiffres préoccupants à l'appui. Et il s'agit là d'une mauvaise nouvelle, pour tout le monde.
Un nouveau cadre mondial d'action a été fixé en décembre dernier à l'occasion de la COP15 consacrée à la biodiversité, à laquelle a participé pour la première fois une délégation de la commission composée de Guillaume Chevrollier, Denise Saint-Pé, notre ancien collègue Jean-Michel Houllegatte, sans oublier Ronan Dantec. Cette séquence de diplomatie environnementale a permis l'adoption d'un cadre mondial ambitieux et - nous l'espérons - transformateur pour la biodiversité à l'horizon 2030. L'accord de Kunming à Montréal fixe un cap, détermine des objectifs et prévoit une méthode d'évaluation d'atteinte des objectifs afin de corriger les trajectoires si celles-ci ne permettent pas l'inversion de la tendance en matière d'érosion de la biodiversité.
Près d'un an plus tard, où en est la France dans la transposition de ce cadre et le financement de celui-ci ? La Stratégie nationale pour la biodiversité (SNB) a-t-elle été redimensionnée à l'aune de ces nouveaux objectifs ? Les moyens budgétaires alloués aux programmes d'actions sont-ils à la hauteur du défi colossal en la matière ? Quelle est votre feuille de route pour faire de la SNB une stratégie gagnante, contrairement à toutes les précédentes ?
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État chargée de la biodiversité. - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je suis très heureuse de me présenter aujourd'hui devant votre commission puisqu'il s'agit de ma première audition en tant que secrétaire d'État chargée de la biodiversité. Il y a une continuité entre jeunesse et biodiversité, avec le passage d'un défi de société, celui de créer de l'unité entre une génération, à un autre, celui de préserver un capital naturel à cette génération.
Je dresserai tout d'abord un état des lieux de la biodiversité, qui est préoccupant. Nous avons la chance d'avoir un patrimoine naturel dont nous pouvons être fiers. Nous avons pris conscience que nous vivons une extinction, le sixième effondrement de masse, qui concerne 12 000 espèces en France. La biodiversité est au fondement de tous les besoins humains. La biodiversité, c'est l'ensemble des vivants, qui rendent un certain nombre de services écosystémiques à titre gratuit. Je pense par exemple à la photosynthèse, à la purification de l'eau, à l'alimentation, à l'absorption des chocs climatiques. La biodiversité est à la fois la victime du changement climatique et une partie de la solution. C'est aussi la préservation d'un patrimoine immatériel, de la beauté des paysages et de nos territoires. Enfin, la biodiversité est un enjeu économique : cet effondrement met autant en cause notre mode de vie, notre santé, que la préservation de notre propre prospérité. Avant d'être élue nationale, je suis avant tout élue locale : nous nous préoccupons tous dans nos territoires de la quantité et de la qualité de l'eau, des zones humides et de l'adaptation au changement climatique qui transforme les paysages à vue d'oeil. Face à ces dérèglements, j'aimerais que l'équivalent du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) pour la biodiversité, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), soit mieux connu du grand public. Elle ne jouit pas encore de la même notoriété. L'IPBES a identifié cinq pressions sur la biodiversité. Par ordre d'importance, ce sont les changements d'usages, sur terre et en mer, la surexploitation des ressources, le changement climatique, les pollutions diverses et les espèces exotiques envahissantes, comme le moustique tigre cet été par exemple.
J'en arrive à votre deuxième question concernant la Stratégie nationale biodiversité (SNB). Elle a pour objectif de stopper l'effondrement, de réduire les cinq pressions puis d'inverser l'effondrement en restaurant la biodiversité. Pour y arriver, nous avons besoin que soient remplies deux conditions : la première repose sur la mobilisation de tous les acteurs car, sans elle, l'action reste partielle et insuffisamment efficace. La seconde condition nécessite le déploiement de moyens dédiés, des moyens financiers historiques, mais aussi des indicateurs de performance. À cette fin, la SNB cherchera d'abord à lutter contre les causes : c'est le sens des projets d'aires protégées, des stratégies de préservation des habitats, des projets de gestion adaptative sur la surexploitation, de la lutte contre la pollution plastique, contre les espèces envahissantes... Le deuxième axe, les mesures de restauration, implique bien plus qu'une simple décision de l'État : il repose également sur la mobilisation des territoires, du bloc communal comme des régions. Ce deuxième axe se concrétise par exemple par le pacte en faveur de la haie avec un objectif de 50 000 kilomètres de haies ou à travers la restauration des zones humides. La France soutient sur la scène internationale des mesures à la fois ambitieuses et mesurables par évaluations régulières, à l'instar de l'accord de Kunming à Montréal que vous avez évoqué ou du règlement européen sur la restauration de la nature.
Pour mobiliser l'ensemble des acteurs, nous avons tout d'abord besoin de travailler étroitement avec les collectivités territoriales. C'est pour cela que cette SNB a prévu une mise en oeuvre territorialisée. Cette territorialisation permettra d'agir au plus près des opportunités et des difficultés. Nous devons également mobiliser les entreprises afin qu'elles puissent connaître leur dépendance vis-à-vis de la biodiversité et l'importance de la gestion de l'eau. Enfin, il est nécessaire d'associer les citoyens. Comme le disait Cousteau, « on aime ce qui nous a émerveillé et on protège ce que l'on aime ». Si on arrive à émerveiller nos enfants avec des aires éducatives, j'ai la conviction qu'on peut aller beaucoup plus loin. Cette territorialisation est à mes yeux la mère des batailles, dans la continuité de la planification écologique, et sera défendue avec Christophe Béchu pendant les COP régionales, qui permettront de mettre en lumière un certain nombre d'enjeux. Il est possible de territorialiser jusqu'à l'échelle communale, avec les Atlas de la biodiversité communale, qui permettent d'apprécier la richesse de la biodiversité locale et ainsi de faciliter les actions en faveur de sa protection. Le problème de financement de cet atlas m'est familier, même si le taux de subventionnement de l'État est parfois porté jusqu'à 80 %. Il y a aujourd'hui plus de communes candidates que de communes accompagnées.
J'en viens au dernier axe : les moyens budgétaires. Ils sont significatifs, avec 10 milliards d'euros supplémentaires mobilisés dans le cadre de la planification écologique tous sujets confondus, dont 1,2 milliard d'euros consacrés plus spécifiquement à la biodiversité, dont 475 millions d'euros pour la mise en oeuvre du plan eau, 400 millions pour la SNB, 300 millions d'euros de reconquête et de reconversion des friches et enfin 100 millions d'euros dédiés à la renaturation. Cette année, 12 600 dossiers ont été déposés dans le cadre de la SNB, pour une enveloppe globale de 12 milliards d'euros.
J'espère que la haute assemblée votera l'augmentation de 500 millions d'euros du « fonds vert ». Le fonds d'accélération de la transition écologique dans les territoires finance notamment des projets de renaturation des écoles, permettant de désimperméabiliser les sols et de créer des îlots de fraîcheur.
Je conclurai mon propos en évoquant une bataille qui me tient à coeur, concernant la place et le rôle de la science face au défi du siècle. Aujourd'hui nous avons besoin d'indicateurs, de science participative, de vulgarisation, et non pas d'opposer progrès et préservation. C'est pourquoi nous avons besoin de faire évoluer la gouvernance. C'est tout le travail qui est mené de manière interministérielle avec une structure inédite, le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), qui met du « vent dans les voiles » et peut changer la donne. Sur les questions de jeunesse, l'interministérialité était plus difficile au quotidien. Le SGPE joue un rôle de facilitateur des échanges, grâce aux rencontres régulières qui sont organisées. Pour parvenir à une stratégie qui tienne la route, nous avons misé sur la co-construction. Nous avons reçu les avis des quatre instances qui ont été saisies : le Comité national de l'eau, le Conseil national de la mer et des littoraux, le Conseil national de la protection de la nature et enfin le Comité national de la biodiversité qui réunit à lui seul 143 membres. Nous avons ainsi pu promouvoir une vision globale, qui a enrichi la version définitive qui sera présentée d'ici quelques semaines.
En conclusion, la situation du vivant exige des actions d'ampleur, des moyens budgétaires nouveaux et substantiellement augmentés - ce qui est le cas avec le projet de loi de finances pour 2024 - mais pour réussir, nous avons surtout besoin de l'engagement de l'ensemble des élus et des acteurs.
M. Guillaume Chevrollier, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs aux paysages, à l'eau et à la biodiversité. - Comme l'a indiqué le président Longeot dans son propos introductif, j'étais membre de la délégation de la commission qui a participé à la COP15 biodiversité à Montréal en décembre dernier. Cette COP s'est conclue par l'adoption d'un nouveau cadre mondial pour la biodiversité, avec 23 cibles et une feuille de route ambitieuse pour enrayer le déclin de la biodiversité à l'échelle mondiale. Mais il ne s'agit que d'un accord non contraignant : son succès repose in fine sur la mise en oeuvre, par chaque État signataire, des mesures adéquates, adaptées à son cadre normatif, à ses capacités budgétaires et à ses ambitions.
Dans ce domaine comme en d'autres, la France peut jouer un rôle moteur : le crédit de notre pays en matière de diplomatie climatique et environnementale est significatif et il faut travailler à le maintenir. Selon quelle méthodologie comptez-vous décliner les ambitions de l'Accord de Kunming à Montréal dans la Stratégie nationale pour la biodiversité (SNB) pour 2030 ? Quelles sont les mesures que vous identifiez comme les plus délicates à mettre en oeuvre ? Une intervention du législateur sera-t-elle nécessaire ?
Je note par ailleurs que le programme 113 porte désormais le financement de la SNB et qu'il a été rehaussé de 264 millions d'euros pour 2024. C'est une évolution qui mérite d'être soulignée, même si les efforts pour réduire les pressions sur le vivant réclament certainement des moyens financiers encore plus significatifs, sans oublier les moyens humains qu'implique nécessairement ce type de politiques publiques.
Certaines mesures ont déjà été mises en oeuvre, notamment la stratégie des aires protégées. D'autres impliquent un étroit travail de concertation avec les acteurs économiques et financiers - je pense au secteur agricole, à la réforme des subventions néfastes à la biodiversité ou l'évaluation des impacts et des dépendances des entreprises vis-à-vis de la biodiversité. Quels sont les objectifs que vous vous fixez en la matière ? Comment associer efficacement la sphère privée aux actions publiques en ce domaine, tout en ayant à l'esprit la compétitivité des entreprises à l'international qu'il ne faut pas pénaliser ?
J'aimerais également évoquer la mise en oeuvre des 53 mesures du plan eau, présenté en mars dernier par le Président de la République. Avant de vous entendre, nous avons écouté nos collègues Rémy Pointereau et Hervé Gillé qui ont mené les travaux de la mission d'information sur la gestion durable de l'eau. Ils se sont attachés à proposer des recommandations afin de faire évoluer la gouvernance de la politique de l'eau et améliorer la résilience hydrique de notre pays dans un contexte de changement climatique. Comptez-vous vous inspirer de ces travaux ?
Naturellement, je m'intéresse de mon côté aux mesures du plan eau qui n'ont pas encore été mises en oeuvre : je pense à la tarification incitative de l'eau, l'installation des compteurs avec télétransmissions ou encore la définition d'objectifs chiffrés de réduction des prélèvements dans les schémas d'aménagement et de gestion de l'eau (SAGE) et les projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE). Comment expliquer les retards ? Après les assises de l'eau, le Varenne agricole de l'eau et le chantier eau du Conseil national de la refondation (CNR), nous étions en droit de penser que le cycle de concertation, ayant associé tous les acteurs, avait pu lever les points de blocage...
Ma dernière question porte sur la déclinaison du « fonds vert » en faveur de la biodiversité. Je relève avec satisfaction que l'enveloppe globale a été rehaussée à 2,5 milliards d'euros, avec des mesures pour prévenir les inondations, renaturer les villes ou encore recycler les friches. Pourriez-vous nous indiquer si la mécanique de versement des crédits issus de cette enveloppe évoluera ou restera déconcentrée au niveau des préfets ? Par ailleurs, quel bilan faites-vous des actions qui ont bénéficié de financements dans ce cadre ? De nouvelles priorités ont-elles été identifiées par votre ministère ? La subsidiarité du versement des fonds peut-elle être encore améliorée, afin que les élus locaux puissent bénéficier des fonds avec un formalisme minimal ? Le « fonds vert » est un bel outil à condition qu'il soit simple d'accès pour toutes les communes, quelle que soit leur taille. À ce titre, pouvez-vous nous présenter la ventilation des crédits du « fonds vert » en fonction de la typologie des territoires et les réalisations les plus emblématiques en matière de biodiversité ?
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État. - Monsieur le rapporteur, vous avez en effet été partie prenante en amont de l'accord de Kunming à Montréal. Les orientations les plus claires et en même temps les plus exigeantes de l'accord concernent l'objectif de 30 % d'aires protégées, en terre et mer, et la réduction de 50 % de l'introduction d'espèces exotiques envahissantes. Des moyens financiers considérables existent : toutes sources confondues, publiques et privées, 200 milliards d'euros par an seront mobilisés. La mise en oeuvre de la directive européenne CSRD sur le reporting de durabilité des sociétés et du reporting financier lié à la nature, la TNFD, présentée lors du Climate Week à New York il y a un mois, incite les fonds souverains à financer plus clairement les mesures en faveur de la biodiversité. Des fonds spécifiques émergent et leur trajectoire est encourageante. L'exercice plus difficile, mais nécessaire, consistera en la diminution des subventions néfastes à la biodiversité, pour laquelle il faudra accompagner des pans entiers de notre économie et particulièrement notre agriculture, en prenant en compte, comme vous l'avez évoqué, la question de la non-distorsion de concurrence, en particulier sur le marché européen. Diminuer ces subventions néfastes nécessite d'associer l'ensemble des secteurs agricoles, pour que cette évolution acquière une dimension européenne et non exclusivement française. Pour aller au-delà des objectifs de l'accord, il faut atteindre 10 % du territoire en protection forte, objectif inscrit dans la SNB, dont 5 % en mer et 5 % dans les zones terrestres. Cela nécessite de nouveaux partenariats dans les territoires, afin d'augmenter le niveau de protection, mais dans le cadre de l'approche française, qui ne consiste pas en la mise sous cloche du territoire, mais implique une coexistence, une cohabitation, en conjuguant activités humaines et protection des espaces, autant en mer que sur terre. Cela implique également de répondre à des enjeux de développement de nos territoires, pour lesquels les attentes sont fortes. C'est pour cette raison que nous avons besoin de diagnostics, de moyens financiers et d'ingénierie. Il manque encore aujourd'hui une brique d'ingénierie plus marquée. Nous y travaillons avec la ministre Dominique Faure pour voir comment mobiliser de nouveaux moyens en ingénierie, notamment au sein de l'ANCT, pour mieux accompagner les élus et leur donner les moyens d'agir de façon transformatrice dans les territoires. Quels que soient les territoires, je constate beaucoup d'envie et de mobilisation, mais également une prise de conscience. L'enjeu est maintenant de réussir à dépasser les contraintes.
Vous avez également parlé, monsieur le rapporteur, des questions liées à l'eau. Je prendrai connaissance du rapport d'information de vos collègues avec beaucoup d'intérêt. Vous avez souligné la question de la tarification incitative. Des communes la mettent déjà en oeuvre. Ce n'est pas à l'État de le décider de façon unilatérale, je suis favorable à la différenciation. La tarification incitative et progressive fonctionne : dans bien des cas, elle permet de diminuer la consommation de l'ordre de 10 %. J'ai demandé à mes services si le déploiement des compteurs connectés pouvait être accompagné financièrement, je suis en attente d'une réponse. La réception d'une facture d'eau unique, en fin d'année, ne permet pas de piloter finement sa consommation d'eau. Cette prise de conscience nécessite aussi la mise en oeuvre de l'équivalent de l'Ecowatt pour l'eau, c'est-à-dire VigiEau. C'est un « petit poucet » qui commence à s'implanter dans la vie quotidienne. Depuis cet été, 1,2 million de visiteurs uniques s'y sont connectés. C'est l'une des premières étapes vers une meilleure gestion, et nous devons promouvoir cet outil auprès du plus grand nombre.
M. Pascal Martin. - Ce matin, c'est en qualité d'ancien rapporteur de la loi « Climat et résilience », promulguée en août 2021, que je m'exprime. Je suis naturellement, comme mes collègues, attaché à la bonne application des dispositions de ce texte, les plus emblématiques, mais également celles qui ont moins fait couler d'encre. J'estime que le suivi de cette loi d'ampleur inégalée est une impérieuse nécessité : après m'être fortement investi pendant plusieurs mois, tout comme mes collègues Philippe Tabarot et Marta de Cidrac, il faut aujourd'hui assurer une veille post-législative, s'intéresser au déploiement de ses mesures dans le temps, tout en contrôlant la manière dont l'État s'emploie à les mettre en oeuvre dans et avec les territoires.
J'avais notamment rapporté l'article relatif à la stratégie nationale des aires protégées (SNAP). Si aujourd'hui l'objectif de mise sous protection d'au moins 30 % du territoire national terrestre et maritime est atteint, nous sommes malheureusement loin du compte pour les aires sous protection forte, dont nous avions fixé la superficie, de façon exigeante, mais nécessaire, à au moins 10 % d'ici à 2030 ; il nous reste donc moins de sept ans pour y parvenir. Quand j'observe les difficultés et les importants retards pour la création d'un douzième parc national dédié aux zones humides, j'ai tout lieu d'être assez pessimiste. Madame la ministre, pourriez-vous m'éclairer sur ce point, en me rassurant sur la trajectoire anticipée par votre ministère pour se conformer aux objectifs fixés par le législateur ?
Comment s'articule la stratégie nationale des aires protégées avec la stratégie en matière de lutte contre l'artificialisation des sols ? C'est d'ailleurs un débat que le Sénat a conduit avec sérieux et pragmatisme, qui a abouti à l'adoption de la loi visant à faciliter la mise en oeuvre des objectifs zéro artificialisation nette (ZAN) au coeur des territoires. Quel dialogue entretenez-vous avec les territoires pour atteindre l'objectif de décélération du rythme d'artificialisation des sols ?
J'en viens maintenant à l'épineuse question de la continuité écologique, avec son fameux article 19 bis C - devenu article 49 une fois la loi promulguée - relatif aux moulins à eau dont les débats ont été pour le moins houleux, c'est un euphémisme. Aujourd'hui, le régime juridique en matière d'aménagement de seuils sur les cours d'eau est stabilisé, avec l'interdiction de la destruction des ouvrages. La Stratégie nationale pour la biodiversité (SNB) envisage-t-elle de fixer de nouveaux objectifs de restauration de continuité écologique ? Pouvez-vous faire un bilan de la politique publique en la matière ? Comment décririez-vous les relations de l'administration avec les propriétaires de moulins à eau ?
Enfin, j'en viens à la question centrale du financement de la biodiversité, que vous avez évoquée dans votre intervention liminaire. On ne résoudra pas les manques de financement criants avec le « loto de la biodiversité » ni avec une dotation budgétaire toujours insuffisante par rapport aux enjeux. Quelles sont les pistes que vous envisagez pour diversifier les ressources ? La réflexion relative à l'instauration d'une fiscalité écologique suit-elle son chemin ? Quelle est la maturité des discussions en ce domaine, notamment à Bercy, afin de sécuriser des recettes fléchées pour la préservation de la biodiversité ?
M. Stéphane Demilly. - Madame la ministre, nous avons eu le plaisir, avec les maires de Méricourt-sur-Somme et d'Albert, de vous accueillir dans la Somme il y a deux jours afin de procéder au grattage d'un ticket du jeu « Mission nature ». Je salue l'initiative destinée à récolter des fonds pour la préservation de la biodiversité. La biodiversité n'est pas une lubie écologiste, c'est une nécessité afin de préserver le socle sur lequel sont bâties notre société et notre économie.
J'aimerais donc vous interroger sur la mobilisation des entreprises en faveur de la biodiversité, vous y avez fait allusion dans votre introduction. Pour maintenir ses activités, toute entreprise dépend, directement ou indirectement, de la biodiversité, que ce soit pour l'approvisionnement en matières premières, pour la qualité de l'eau ou de l'air ou encore pour les services de régulation. De plus, la responsabilité sociale des entreprises (RSE) incite les entreprises à réduire les impacts de leur activité sur l'environnement, et donc sur la biodiversité.
Les entreprises prennent de plus en plus conscience de leurs liens avec la biodiversité et souhaitent agir concrètement. Madame la ministre, comment les entreprises de nos territoires peuvent-elles être mieux soutenues dans la mise en oeuvre de plans d'action efficaces en faveur de la biodiversité ?
M. Gilbert-Luc Devinaz. - Le Président de la République a proposé de planter un milliard d'arbres durant la prochaine décennie. Pourquoi ce chiffre ? Quels types d'arbres et de plantations sont concernés ? Aujourd'hui, 75 % de la forêt française est privée et possédée par un peu plus de 3 300 000 propriétaires, comment comptez-vous encourager les propriétaires à atteindre cet objectif ?
On compare souvent les différents types de mobilité en fonction de leurs émissions de gaz à effet de serre. Existe-t-il des études sur le sujet ? Peut-on savoir quel mode de mobilité offre le meilleur rapport entre émission de gaz à effet de serre et protection de la biodiversité ?
M. Cyril Pellevat. - La SNB a pour objectif de réduire les pressions sur la biodiversité et de protéger les écosystèmes. De fait, la protection d'espèces sauvages, tel que le loup, s'inscrit pleinement dans cette stratégie, même si à l'occasion d'un rapport d'information en 2018, j'avais montré que l'arrivée massive du loup dans nos massifs alpins entraînait un recul en matière de biodiversité. Depuis plusieurs années, la population lupine connaît une croissance significative. Le nombre de loups en France a doublé entre 2018 et 2023, passant à 1 104 spécimens. Si la classification du loup comme espèce strictement protégée a permis la protection et le développement de l'espèce, ce classement a également eu de graves conséquences sur le pastoralisme. La croissance du nombre d'individus augmente mécaniquement le nombre d'animaux tués dans les élevages français. Au total, on estime que 58 000 animaux ont été tués par le loup depuis 2018. Au-delà du coût d'indemnisation pour l'État, de l'ordre de 19,5 millions d'euros, ces attaques de plus en plus nombreuses menacent la pérennité de l'élevage français. Dernièrement, le Gouvernement a présenté un nouveau plan d'action sur le loup et les activités d'élevage pour la période 2024 à 2029. Des mesures d'évolution de la protection du loup y ont été exposées. Parmi celles-ci, le Gouvernement envisage de demander le réexamen du statut du loup, d'espèce strictement protégée à espèce protégée, afin de permettre une meilleure régulation de la population.
Aussi, je souhaiterais savoir si cette procédure de réexamen a d'ores et déjà été initiée par le Gouvernement et si vous avez déjà eu connaissance du positionnement de la Commission européenne sur ce sujet, sachant qu'à l'occasion d'une proposition de résolution européenne déposée par ma collègue Sylviane Noël, et dont j'avais été le rapporteur au nom de la commission des affaires européennes du Sénat, les autorités européennes nous ont opposé une fin de non-recevoir.
Mme Nicole Bonnefoy. - Ma question porte sur les espèces exotiques envahissantes, et plus particulièrement sur le frelon asiatique, qui met à rude épreuve nos apiculteurs. Dans mon département, un apiculteur a perdu quatorze ruches sur un total de dix-sept. Le réchauffement climatique offre des conditions optimales pour le développement de ces colonies, désormais jusqu'à la saison d'automne. Aucun territoire n'est aujourd'hui épargné. Les collectivités essaient de faire ce qu'elles peuvent, avec des moyens limités, mais la lutte n'est pas coordonnée ce qui rend les actions malheureusement vaines.
Vous évoquez, dans l'axe n° 8 de votre stratégie, 500 opérations « coups de poing » d'ici à 2025, visant à réduire de moitié le taux d'implantation des espèces invasives d'ici à 2030. Vous indiquez vouloir mobiliser les collectivités et les autres acteurs dans les zones sensibles. Néanmoins, la fiche n° 10 mentionne que ce programme concernera surtout les espèces en cours d'installation, notamment en outre-mer.
Qu'entendez-vous par opération « coup de poing » ? Le frelon asiatique fera-t-il partie des espèces concernées ? Comment identifierez-vous les espèces sensibles ? Quels moyens financiers votre ministère entend-il déployer pour la mise en oeuvre de cette politique ? Les apiculteurs de mon département et de la France entière attendent des actions fortes en la matière, face aux frelons asiatiques qui ravagent les ruches et qui mettent également en danger notre biodiversité et à terme la pollinisation.
M. Simon Uzenat. - Je souhaite tout d'abord évoquer la question de la réutilisation des eaux usées traitées, sur laquelle vous avez cosigné un décret le 29 août dernier. Il y a un enjeu de taille sur ce sujet en Bretagne, avec la place importante de l'industrie agroalimentaire. Les entreprises de ce secteur sont très volontaires. Il semblerait qu'un certain nombre de textes réglementaires doivent encore être pris sur la réutilisation des eaux traitées. Pouvez-vous nous en dire sur la manière dont vous comptez mobiliser efficacement les entreprises ?
Concernant l'agriculture, parmi les priorités identifiées dans la Stratégie nationale pour la biodiversité figure la transition agroécologique. Il existe à ce titre un outil efficace, les mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) de seconde génération. Il se trouve que la France est l'État membre de l'Union européenne qui alloue la plus faible part du second pilier de la politique agricole commune (PAC) au MAEC. Mais surtout, l'État n'est pas au rendez-vous financier ; il manque 300 millions d'euros au niveau national, dont 53 millions pour la région Bretagne, avec 3 000 agriculteurs concernés. Pour les agriculteurs qui se sont engagés sur ces MAEC, la promesse d'un financement assuré par l'État pourrait ne pas être tenue. Les élus et les acteurs économiques au sens large ont joué le jeu pour accompagner la transition écologique. Il ne serait pas compréhensible que l'État ne joue pas son rôle. Plusieurs démarches ont été conduites auprès de différents ministres, en particulier auprès du ministre de l'agriculture. Pouvez-vous nous apporter des garanties sur ce point ?
Par ailleurs, sur l'agriculture biologique, vous fixez l'objectif de 20 % de surface agricole utile à l'horizon 2030. Cet objectif est inférieur à l'objectif européen. Comptez-vous réévaluer cette ambition ?
Enfin, sur le respect de la loi « Egalim », l'État n'est pas à la hauteur des ambitions, il se situe bien en deçà de ce que font les collectivités, en particulier sur les 50 % de produits sous signe de qualité servis dans la restauration collective et les 20 % issus de l'agriculture biologique. Une mobilisation supplémentaire de l'État pour tenir les engagements du législateur est-elle prévue ?
M. Sébastien Fagnen. - La question du recul du trait de côte occupe de nombreux esprits. Parmi le millier de communes littorales françaises, près de la moitié sont directement concernées à un horizon proche. La présence du ministre de la transition écologique au congrès de l'Association nationale des élus littoraux (ANEL) est un signe évident de la sensibilité de la question. La question du financement a été abondement évoquée et débattue. Un rapport sera remis au ministre pour accompagner autant que possible les collectivités face à cette tâche d'ampleur - pour ne pas dire titanesque. Si l'essentiel de nos efforts aujourd'hui se concentre sur la question de la relocalisation des biens, ce qui est une évidence au regard de la sensibilité particulière de ces questions foncières, qui ont également une dimension humaine, parce qu'il est question d'habitat, la question du traitement des espaces renaturés se pose également. Un axe de réflexion est-il prévu au sein de la Stratégie nationale biodiversité sur la restauration et l'accompagnement de ces espaces afin de restaurer la continuité écologique ?
Mme Marta de Cidrac. - Madame la ministre, vous avez évoqué dans votre propos liminaire les principales mesures de la Stratégie nationale biodiversité. Je voudrais revenir plus spécifiquement sur la mesure relative à la lutte contre la pollution plastique et l'enjeu de résorber 94 décharges littorales. Comment comptez-vous, de manière opérationnelle, vous y prendre pour la résorption de ces décharges ?
J'ai été effarée de découvrir par des articles de presse qu'il reste des communes, certes non littorales, qui continuent de déverser leurs déchets dans la nature sans traitement. Je pense à une commune qui depuis dix ans déversait ses déchets dans le Var sans pour autant que cela ait suscité une quelconque interrogation. Ce sont des agents de l'Office français de la biodiversité (OFB) qui ont découvert cette situation à l'occasion d'un contrôle tout à fait impromptu.
Vous vous êtes réjouie, madame la ministre, de l'augmentation du budget dédié à la biodiversité. Je pose également la question de l'efficacité. Comment comptez-vous garantir l'efficacité de l'action de l'État et de ses opérateurs ? Je pense notamment à l'accompagnement des communes pour réussir ce défi collectif. Vous avez évoqué le « fonds vert » et le manque d'ingénierie du « dernier kilomètre ». Je viens d'un département, les Yvelines, où l'ANCT est pour ainsi dire absente, puisque le département et la région sont les réels accompagnateurs de nos communes. Je sens une forme de volonté de votre part, toutefois je souhaite m'assurer que les fonds publics bénéficieront bien aux communes. Ce n'est pas toujours évident de connaître les critères d'attribution des différents fonds, il faut parfois se battre pour que nos communes soient correctement accompagnées.
M. Jean-Claude Anglars. - Vous le savez, madame la ministre, la préservation de la biodiversité passe également par une agriculture efficiente et forte, notamment en zone de montagne. Dans le journal le Monde, vous avez défendu l'idée que la hausse de population des loups justifiait qu'on lâche du lest sur la procédure et qu'on soit plus efficace sur les tirs d'effarouchement et de prélèvement. Cela nous a beaucoup intéressés, j'aimerais savoir l'état de vos réflexions sur ce sujet.
Ma deuxième question porte sur le rat taupier. Ce ravageur sévit essentiellement dans le Massif central. C'est un campagnol terrestre qui menace les prairies, il détruit les racines et les herbes nécessaires à l'élevage. C'est donc un fléau, nous avons interrogé plusieurs fois le ministre de l'agriculture sur la question, j'aimerais connaître votre avis.
M. Fabien Genet. - D'un fléau à l'autre, je reviens sur la question du loup évoquée par mon collègue Cyril Pellevat, pour appuyer et compléter son intervention. Appuyer pour dire combien cette pression du loup est de plus en plus prégnante. En 2018, 38 départements étaient concernés, aujourd'hui 53 départements le sont, dont la Saône-et-Loire qui est un des nouveaux fronts de colonisation, avec des prédations qui se multiplient, touchant à la fois des brebis, des agneaux, des béliers, mais aussi des broutards, il y a donc une évolution vers les attaques sur les bovins. Il y a quelques jours, 13 brebis se sont jetées à l'eau pour échapper au prédateur. Au-delà des impacts sur le bien-être animal, auquel nous sommes tous sensibles, lorsqu'on voit les dégâts causés par le loup, on se pose un certain nombre de questions. Je rappelle les dommages causés aussi aux éleveurs, qui vivent dans l'angoisse des attaques de leurs troupeaux, qui réduisant parfois à néant le fruit de leur travail.
Je partage l'interrogation de Cyril Pellevat quant à votre position sur le changement de statut de protection de l'espèce. J'aimerais également connaître votre position concernant la méthode de comptage des spécimens au niveau national et européen, la problématique des tirs de prélèvement, mais également tout ce qui concerne les moyens de protection. Il y a beaucoup d'interrogations de la part des éleveurs sur le statut des chiens patous. En Saône-et-Loire, il faut prendre en compte les spécificités du territoire bocager qui rendent très difficiles les mesures de protection.
Vous évoquiez dans votre propos liminaire la beauté des paysages. En Saône-et-Loire également, nous sommes très en pointe sur ce sujet. Le Pays Charolais-Brionnais souhaite inscrire le paysage de l'élevage charollais au patrimoine mondial de l'UNESCO. La valeur universelle de ce patrimoine a déjà été reconnue, nous arrivons dans la dernière ligne droite. Avec les élus du département, nous serions heureux de vous compter à nos côtés pour défendre cette très belle candidature.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État. - Vous m'avez dit, monsieur le président, que la commission était exigeante sur les questions de biodiversité, le nombre et la qualité des questions posées confirment vos propos.
Monsieur le sénateur Pascal Martin, vous m'avez interrogé à propos du douzième parc national. La durée de mise en oeuvre et les difficultés rencontrées sont l'illustration d'une incompréhension profonde quant au statut de parc naturel, des contraintes attachées au classement et l'éventualité d'une perte de pouvoir local. Le dernier rapport d'inspection mettait en avant trois territoires sur les 18 identifiés par la mission de préfiguration : la Camargue, la Loire et la Guyane. Ce qui est certain, c'est qu'il n'y a pas de territoire volontaire. Aucun territoire ne déclare être prêt à accueillir un parc national. Nous avons aujourd'hui l'opportunité d'assurer que ce nouveau parc national, prévu par la stratégie nationale biodiversité, soit une chance pour le territoire qui va l'accueillir : une protection qui conduit à des moyens financiers supplémentaires pour préserver les paysages et les espèces. Je suis confiante sur les prochaines semaines.
Concernant la stratégie de protection renforcée, nous devons effectivement suivre une trajectoire ambitieuse, avec le passage de 1,2 % du territoire sous protection forte à 10 %. Pour y arriver, nous devons identifier un zonage à parts égales entre terre et mer. L'objectif est de classer en protection forte l'intégralité des massifs coralliens et des herbiers de posidonies pour le sud de la France en Méditerranée. La réussite dépendra de la qualité de la relation avec les élus locaux.
Vous avez également souligné un point important, à savoir la question de la continuité écologique et des moulins à eau. Le Parlement s'est exprimé au sujet des moulins, se pose aujourd'hui la question de l'accompagnement des seuils. La propriété privée est aujourd'hui inscrite dans nos textes les plus importants. Cependant, nous devons accompagner cette continuité avec un travail de concertation et de dialogue au plus proche du terrain. Faisons la distinction entre les seuils et les moulins proprement dits et appuyons-nous sur tous les moyens à disposition, comme les passes à poisson, qui représentent un coût énorme, mais ne constituent qu'un élément de la réponse.
Vous avez souligné la nécessité de diversifier les ressources. Si on va au bout de la démarche et de la logique, il faut des moyens nouveaux, y compris du monde privé. Il faut également baisser les subventions néfastes à la biodiversité. Enfin, pour répondre au besoin de diversification des ressources, il faut créer un crédit biodiversité. C'est la question qui est posée actuellement à Sylvie Goulard, avec nos homologues britanniques, pour lever des fonds en faveur de la biodiversité.
Enfin, puisque cela constitue une transition idéale avec l'intervention de Stéphane Demilly, le Loto de la biodiversité n'est pas l'alpha et l'oméga du financement de la biodiversité. Les questions d'addiction ont été travaillées avec la Française des Jeux. Nous nous appuyons sur les résultats du Loto du patrimoine en termes de mobilisation. Les six millions d'euros qui seront dégagés ne représentent pas une trajectoire budgétaire. Ce Loto a une visée pédagogique plutôt qu'une finalité budgétaire. Je ne souhaite pas donner à croire que la biodiversité est soutenue uniquement par le Loto.
Vous m'avez demandé, monsieur le sénateur Stéphane Demilly, comment nous pouvons mobiliser les entreprises. La directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) devrait être transposée avant la fin de l'année. Il faudra être vigilant pour assurer son application dès l'année prochaine aux entreprises de plus de 500 salariés puis dans un second temps aux entreprises de plus de 250 salariés dès l'année suivante. En réalité, toute la chaîne de production et de valeur sera touchée. Pour y arriver, nous travaillons conjointement avec un certain nombre de filières pour faciliter sa mise en oeuvre. Concrètement, les entreprises devront satisfaire des obligations de déclarations extra-financières permettant de clarifier leur dépendance aux écosystèmes naturels. Aujourd'hui, nous avons encore un retard et des lacunes en termes de connaissances. Il ne faut pas oublier également nos petites entreprises et nos artisans. Il existe aujourd'hui un programme porté par l'Ademe et la Banque des territoires pour accompagner un outil qui serait plus accessibles pour les TPE et les PME en leur permettant de s'autodiagnostiquer et ainsi de baisser leur dépendance. Enfin, la Banque de France, dans le cadre du réseau des banques centrales européennes, se mobilise. Les premières hypothèses seront publiées en novembre, afin d'identifier, par un stress test, les risques sur notre économie et nos secteurs, sachant que les premiers secteurs identifiés seront l'alimentation. La question de l'eau est également centrale pour qualifier et mieux cerner cette dépendance.
Monsieur le sénateur Gilbert-Luc Devinaz, vous avez évoqué l'objectif de planter un milliard d'arbres d'ici 2032 et le fait que 75 % de notre forêt est privée. Cet objectif s'appuie en effet sur la mobilisation des partenaires fonciers privés. En France, on plante entre 50 et 60 millions d'arbres. L'objectif implique de doubler cet effort en plantant au moins 100 millions d'arbres par an. C'est un effort de renouvellement des générations, alors que les forêts françaises subissent des attaques dévastatrices de scolytes, ainsi que des morts subites imputables au dérèglement climatique, auquel nos essences n'arrivent pas à s'adapter. Nous avons vocation à accompagner les propriétaires qui le souhaitent. Le plus difficile peut-être est le morcellement de la forêt, avec de petits propriétaires qui pour un certain nombre le sont devenus par héritage, sans avoir conscience de leur propriété. Il est certain qu'il faut accompagner les propriétaires pour garantir la préservation de la forêt. Nous travaillons avec l'Office national des forêts (ONF) et un certain nombre d'experts pour remonter des essences du sud vers le nord pour favoriser l'adaptation des écosystèmes forestiers au dérèglement climatique.
Vous avez également posé la question de l'impact des mobilités sur la biodiversité ainsi que sur les émissions de gaz à effet de serre. Nous choisissons de ne pas opposer décarbonation et biodiversité, qui sont des combats jumeaux. Dans le cadre de la Stratégie nationale biodiversité, nous essayons de résorber les difficultés de continuité écologique liées à la transition écologique et d'accompagner le ministre des transports dans l'électrification de la flotte ou encore dans le développement de transports en commun moins énergivores.
Monsieur le sénateur Cyril Pellevat, vous avez posé la question du loup. À ma connaissance, aucune nouvelle demande relative au statut du loup n'a été présentée, à la suite de la déclaration de la présidente Ursula von der Leyen. Au niveau national, la préfète coordinatrice a présenté le plan national d'action sur le loup et les activités d'élevage aux acteurs il y a quelques semaines. La consultation publique sur ce plan loup débutera dans les prochains jours. Le loup reste aujourd'hui une espèce strictement protégée. Ce qui est certain, c'est que la dynamique démographique est réelle. La question de la viabilité de l'espèce est désormais acquise sur notre territoire, mais la viabilité génétique ne l'est pas encore. La question de la viabilité génétique devra être levée avec nos voisins frontaliers sur l'arc alpin. Je ne présage pas de la réponse à cette question. Il ne faut cependant pas supposer que le changement de statut du loup conduirait à la fin de toute protection de l'espèce : il reste d'autres modalités de protection au niveau international et européen. Le plan national présenté se veut équilibré. Le calendrier européen sur ce sujet n'est pour l'instant pas précisé. Les prochaines échéances électorales européennes entraîneront peut-être une accélération de ce calendrier.
Madame la sénatrice Nicole Bonnefoy, le frelon asiatique fait aujourd'hui des dégâts absolument partout. Nous avons un plan d'action et des moyens budgétaires plus que renforcés pour répondre à un certain nombre de conséquences et d'enjeux. Le frelon asiatique figure bien parmi les priorités portées aujourd'hui par le ministère. Nous attendons les conclusions d'un rapport d'inspection, permettant de déterminer de manière opérationnelle les 500 missions « coups de poing », qui seront menées avec les collectivités territoriales. Beaucoup de communes ont rencontré des difficultés avec les moustiques tigres cet été, avec des conséquences sur la santé des habitants. Nous travaillons avec la ministre Agnès Firmin-Le Bodo sur ce sujet. L'objectif est de coordonner les travaux entre nos deux ministères. Plus de 800 000 euros supplémentaires sont mobilisés, via les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), pour financer ces actions.
Monsieur le sénateur Simon Uzenat, sur la question de l'eau, un premier décret relatif à la réutilisation des eaux usées traitées (REUT) a été rendu public le 29 août dernier, il concerne principalement les questions de voiries. Nous avons, dans la stratégie nationale biodiversité, l'objectif de 1 000 projets de REUT, alors qu'on est à peine à 1 % d'utilisation. Deux décrets paraîtront prochainement : le premier concerne l'utilisation pour l'agroalimentaire, il permettra aussi au monde industriel d'utiliser plus d'eau en circuit fermé et d'accompagner l'objectif de sobriété et de 10 % de consommation d'eau en moins. Le deuxième décret sera relatif aux usages domestiques, il est prévu pour le moins décembre. Il permettra à un certain nombre de collectivités d'utiliser par exemple de l'eau de pluie dans les sanitaires.
Vous m'avez également interrogée sur plusieurs points relatifs à l'agriculture. Nous allons renforcer les MAEC dans le cadre de la Stratégie nationale biodiversité. Cela reste un domaine dans lequel nous pouvons mieux faire et que nous continuons d'expertiser avant de détailler cette stratégie aux acteurs. Sur la question du positionnement de la France sur le deuxième pilier de la politique agricole commune (PAC) et d'un manque de 300 millions d'euros au niveau national, je ne dispose pas de cette information et je me rapprocherai du ministère de l'agriculture pour vous apporter une réponse.
Monsieur le sénateur Sébastien Fagnen, vous m'avez sollicitée sur la question du recul du trait de côte. Sur le risque de submersion, nous travaillons étroitement avec Yannick Moreau, président de l'ANEL. Le ministre Christophe Béchu y est également sensible. Je serai vigilante concernant la problématique de la submersion de décharges, qui pourrait avoir des conséquences dramatiques.
Madame la sénatrice Marta de Cidrac, vous avez également évoqué ce problème de pollution, dont l'identification est parfois malaisée. J'ai été comme vous particulièrement touchée par l'identification de situations problématiques au cours d'un contrôle inopiné. Je souhaite profiter de l'opportunité pour saluer le travail des agents de l'OFB, leur mission a vocation à être mieux connue, mieux accompagnée et mieux concertée avec les élus locaux pour maximiser leur efficacité. Après l'incendie de l'antenne de l'OFB à Brest, nous avons ensuite identifié 2,5 tonnes de déchets dans les forêts des Monts d'Arrée. La question des pollutions et des manières de les résorber est donc aujourd'hui absolument cruciale.
Monsieur le sénateur Jean-Claude Anglars, je n'ai pas connaissance des dégâts causés par les rats taupiers. Ce qui est certain, c'est que les haies favorisent ces prédateurs, il faut être vigilant dans le cadre de l'élevage. Les solutions fondées sur la nature consistent à favoriser les rapaces prédateurs qui permettraient de lutter contre cette prolifération. Je n'ai cependant pas d'expertise spécifique au rat taupier qui pourrait éclairer les travaux de la commission.
Vous avez également posé la question des modalités de tir. Elles ont été travaillées avec les louviers. La règle ne change pas : pas de tir sans attaque. Cependant, en raison de la dynamique démographique positive, il était nécessaire de faire évoluer les équipements des louvetiers, par exemple en lunettes nocturnes. La doctrine d'intervention reste une réponse de défense a posteriori. Les questions des modalités de tirs et des tirs groupés restent ouvertes, dans le respect du statut du loup, afin de permettre aux éleveurs de faire face à l'essor démographique du loup.
Monsieur le sénateur Fabien Genet, vous m'avez également interrogée sur le loup. Le plan loup s'intéresse au statut du patou. La responsabilité pesant aujourd'hui sur l'éleveur peut paraître disproportionnée compte tenu de la nécessité d'adapter les mesures de protection au dynamisme démographique de l'espèce. Les travaux sur le statut du patou sont concertés avec le ministère de l'agriculture, tout comme la question du front de colonisation, notamment par des loups solitaires. Plusieurs départements jusqu'alors épargnés subissent l'arrivée des loups. Au moment où l'on se parle, la protection n'est pas optimale dans certains territoires, qui ne disposent pas des moyens nécessaires pour s'adapter à cette menace nouvelle pour l'élevage. Le plan loup comprend donc une partie sur de nouvelles expérimentations, qui vont du létal au non létal. La philosophie française n'est pas de créer des zones libres de loup et des zones occupées, c'est plutôt de protéger au maximum, même si à certains endroits, comme la zone autour de Roquefort, la protection n'est pas possible en l'état. La politique de protection doit aussi prendre en compte la question des appellations d'origine protégée (AOP) et de la double prédation du loup et de l'ours. La réponse doit être territorialisée. Je serai évidemment aux côtés de votre territoire pour la mise en valeur du beau patrimoine charollais.
M. Michaël Weber. - Vous avez évoqué, madame la ministre, en parlant du Comité national de la biodiversité (CNB), l'importance des indicateurs de suivi et de mesure. Lors de mon intervention au CNB en tant que président de la fédération des parcs naturels régionaux de France, j'ai souligné l'importance d'effectuer un bilan de l'impact des choix stratégiques qui ont été faits.
Vous avez parlé de territorialisation, je pense que c'est en effet important : la prise en compte de l'impact sur les territoires et la traduction concrète de cette Stratégie nationale biodiversité sont essentielles. Il y a une multitude de gestionnaires des aires protégées : sur les territoires nous avons les parcs nationaux, les réserves naturelles, les conservatoires d'espaces naturels, les grands sites de France, les parcs naturels régionaux et d'autres outils de protection de la nature, qui sont en réalité le dernier maillon de la mise en oeuvre de cette politique, vers lesquels des moyens devront être fléchés.
La question de la cohérence de la politique se pose également. On ne peut pas valider simplement la stratégie si dans le même temps on constate que le solde entre arrachage et plantation de haies reste négatif. C'est la même chose en ce qui concerne l'utilisation de produits phytosanitaires.
Enfin, vous avez évoqué le projet de création d'un douzième parc national consacré aux zones humides. La mise en oeuvre de ce projet ne va pas de soi, nous avons tous en mémoire le parc national de forêts, pour lequel l'acceptabilité politique et sociale n'a pas été suffisamment travaillée avec les territoires, dans le cadre d'une démarche de contractualisation associant les élus locaux et les habitants. La décision a été prise unilatéralement, alors que les territoires concernés considéraient que la dot était insuffisante pour procéder au mariage.
Je souhaite aussi évoquer les potentiels conflits entre zone d'accélération des énergies renouvelables et espaces naturels. J'ai une inquiétude de ce point de vue : certains élus veulent notamment utiliser les espaces naturels pour l'installation de panneaux photovoltaïques.
Concernant le Loto de la biodiversité, je suis assez sceptique. On parle de la sixième extinction de masse, la vie n'est pas un jeu. Je comprends bien qu'il s'agit d'une manière de dégager des moyens, mais je n'approuve pas l'image qui est donnée de la biodiversité sur notre belle planète.
M. Jacques Fernique. - Depuis le Grenelle de l'environnement, les pouvoirs publics poursuivent le même objectif, stopper puis inverser l'effondrement du vivant en une décennie. Nous n'y arrivons pas. Il ne s'agit pas avec cette stratégie de refaire ce qui n'a pas marché. En ce sens, les avis du Conseil national de protection de la nature (CNPN) et du Comité national de la biodiversité (CNB) sont précieux. J'y trouve des préconisations qui se déclinent en trois axes : des outils juridiques adéquats, des financements sécurisés et un déploiement concret dans les territoires. Sur les outils juridiques, la stratégie pourrait peut-être être adossée à la Charte de l'environnement ou à un texte législatif. Mais surtout, la stratégie doit ensuite être déclinée et mise en oeuvre par un texte réglementaire. Mes collègues ont déjà abordé beaucoup de ces axes. Sur l'articulation dans les territoires, nous parlions d'un troisième document qui déclinerait ces mesures à une échelle plus fine, mais à ma connaissance il n'existe pas. Le Comité national de la biodiversité n'a pas encore vraiment commencé à travailler sur cette articulation entre le national et le régional. Comment déployer, concrètement et efficacement, cette politique dans les territoires ?
M. Hervé Gillé. - Dans le prolongement de l'intervention de Jacques Fernique, la planification écologique, et plus particulièrement la stratégie nationale pour la biodiversité, ne peut réussir qu'en s'appuyant sur une décentralisation éclairée et en misant sur l'intelligence des territoires. Comment cette politique est-elle aujourd'hui déclinée au niveau des schémas régionaux d'aménagement et de développement durable du territoire (SRADDET) ? Comment la complémentarité avec les Agences régionales de la biodiversité (ARB) est-elle mise en oeuvre ? Et comment retrouve-t-on ces objectifs dans les politiques contractuelles ? Il faut redonner du sens et des objectifs mieux partagés à un certain nombre de contrats qui existent déjà, comme le plan climat air-énergie territorial, qui pourrait inclure un volet biodiversité et en les inscrivant dans une planification de type SCoT, par exemple, là où c'est possible. Cela permettrait une réelle vision à l'échelle des territoires. Quelle est votre vision sur la planification, la contractualisation et la déclinaison à l'échelle des territoires ?
Il y a également de fortes interrogations sur la qualité des compensations. Comment évalue-t-on l'efficacité des compensations dans le temps ? C'est un élément primordial dans la stratégie pour la biodiversité.
Mme Audrey Bélim. - Les outre-mer abritent une part prépondérante de la biodiversité française et sont finalement les espaces les plus exposés aux risques naturels et au dérèglement climatique. Les prévisions du GIEC relatives aux territoires ultramarins sont alarmantes. Comme les sénateurs concernés l'avaient rappelé durant l'examen de la loi « biodiversité » de 2016, les outre-mer sont singuliers par rapport à l'hexagone, mais chacun a également ses particularités. Fort de ce constat et grâce à une forte mobilisation des élus ultramarins, l'organisation territoriale de l'OFB a conduit à une régionalisation par bassin. Les contributions ultramarines à la Stratégie nationale pour la biodiversité ont permis d'amender la stratégie pour qu'elle reconnaisse la place majeure des outre-mer dans la biodiversité française et qu'elle inclue par ailleurs plusieurs mesures spécifiques prévoyant, nous l'espérons, un rééquilibrage des moyens. En termes de structuration et de montée en puissance sur les missions définies lors des préfigurations, nous devons faire face à plusieurs enjeux : trouver des ressources humaines qualifiées, afin de répondre aux enjeux de nos territoires et bien sûr trouver les ressources financières, pour mener à bien les missions et atteindre les objectifs. Pour autant, les territoires ultramarins doivent faire face à des ressources financières diminuées par rapport à l'hexagone, au regard de la compensation de la vie chère. En ce qui concerne le « fonds vert », les plantations d'arbres ne sont pas éligibles au taux de subventionnement de 100 % comme peuvent l'être les collectivités hexagonales. Cette question a déjà été soulevée auprès de l'OFB et la direction générale se dit prête à compenser cette prime, si les régions élèvent leur dotation de fonctionnement aussi à la même hauteur. On est là face au risque d'une impasse. Il faut en sortir, nous avons à coeur, nous, à La Réunion, de lancer de façon concertée le chantier de la nouvelle stratégie régionale pour la biodiversité (SRB) en nous appuyant sur l'esprit de la SNB et sur l'Agence régionale de la biodiversité présidée par Ericka Bareigts. Peut-on attendre un financement de nos structures à la hauteur de nos enjeux, de la richesse de la biodiversité et des risques face au changement climatique ? Je pense notamment au « fonds vert », pour lequel je souhaite que le taux de subvention des établissements publics de coopération environnementale (EPCE) puisse passer à 100 %.
M. Saïd Omar Oili. - Concernant l'eau, j'appelle de mes voeux un rapport spécifique concernant la situation en outre-mer. À Mayotte, d'où je viens, la problématique de l'eau est une réalité dramatique. Si rien n'est fait, nous devrons faire face à une crise sanitaire sans précédent, faute de pouvoir disposer d'une eau de qualité et en quantité suffisante. Nous voyons réapparaître certaines maladies qui avaient disparu dans l'île.
Madame la ministre, la commission plénière de l'océan indien, qui s'est réunie le 21 juin 2021, a tiré le constat d'une inquiétante baisse de stocks thonidés, notamment du thon albacore, en raison de la surpêche dans le canal du Mozambique. Dans la Stratégie nationale pour la biodiversité, deux fiches proposent une méthodologie pour changer les usages sur terre et en mer. Le territoire de l'océan indien pourrait constituer un bon exemple d'application de ces orientations. Il faut limiter la pêche industrielle dans le canal du Mozambique, où d'ailleurs une partie non négligeable de ce que l'on trouve dans les filets est rejetée à la mer, les armateurs ne s'intéressant qu'aux produits à forte plus-value. À l'inverse, il est nécessaire de valoriser la pêche artisanale mahoraise, qui souffre actuellement, alors que cette activité est essentielle pour la population locale et préserve la ressource, à la différence de la pêche industrielle. Madame la ministre, quelles sont les mesures concrètes que vous comptez prendre en faveur de la pêche artisanale à Mayotte ?
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - Je souscris totalement à l'intervention de ma collègue de La Réunion. La forêt guyanaise recèle une biodiversité d'une richesse foisonnante, 98 % de la diversité faunistique française se retrouve en Guyane. Depuis des années, la France mène une lutte féroce contre l'orpaillage illégal, sans pour autant obtenir des résultats probants. Tous s'accordent à dire qu'il est nécessaire de privilégier la voie diplomatique et d'imposer des contraintes économiques au Brésil, d'où viennent d'ailleurs les garimpeiros. Je sais bien, madame la ministre, que vous n'êtes pas ministre des affaires étrangères, mais j'aimerais savoir les moyens que vous pouvez mettre en oeuvre afin de permettre la sauvegarde de la biodiversité guyanaise. Vous connaissez certainement la volonté des Guyanais de développer leur territoire. Trop souvent, cette volonté se heurte aux enjeux de protection environnementale. Madame la ministre, quelles sont vos solutions pour concilier développement durable et aménagement du territoire ?
M. Jean Bacci. - Permettez-moi de revenir sur deux sujets déjà évoqués ce matin. Je souhaite d'abord évoquer l'objectif du milliard d'arbres plantés d'ici 2032. Vous parlez de forêts méditerranéennes. Pour obtenir des aides de crédits issus du « fonds vert », il faut que les plantations réussissent. Chez nous, si on n'arrose pas une plantation les premières années, elle meurt. Les collectivités ne s'engagent donc pas, parce qu'on n'a pas les moyens aujourd'hui d'arroser l'été : nous allons donc vers une catastrophe si rien n'est prévu pour accompagner les collectivités.
Les arbres sont également confrontés à l'évolution des températures. Selon les experts de l'INRAE, les forêts méditerranéennes subissent depuis quelques années un stress hydrique permanent. Si on n'intervient pas pour amoindrir ce stress hydrique, la forêt va dégénérer et se dessécher. L'intervention consiste à enlever une partie de la biomasse qui n'est pas utile à la croissance des arbres qu'on veut voir arriver à maturité. Ce travail, qui doit être accompli plusieurs fois pendant la durée de vie d'un arbre, coûte bien entendu de l'argent. Les forêts peu productives ne peuvent pas supporter ces coûts. En l'absence d'aide pour mener à bien ces projets, ces forêts vont dégénérer.
Le deuxième sujet que je souhaite évoquer c'est le loup, déjà évoqué à plusieurs reprises ce matin. Je voudrais insister sur les spécificités de l'arc alpin, du Var à la Savoie, qui concentre 75 % de la population lupine. L'approche sur ces territoires n'est pas la même que dans les territoires de conquête. C'est une espèce que je considère comme invasive. Nous n'arrivons plus à sécuriser correctement les éleveurs et les jeunes hésitent désormais à reprendre les exploitations. Le développement territorial en pâtira, ce qui aura un impact sur la biodiversité. Aux endroits où les loups se sont installés, on a vu rapidement disparaître dans les alpages les mouflons. Les loups s'attaquent désormais aux chamois. On ne les retrouve plus que dans des aires inaccessibles alors qu'ils se développaient avant un peu partout. Plus en plaine, ce sont les populations de sangliers et de chevreuil qui ont été décimées. Dans les alpages, on voit de moins en moins de marmottes. Je pense que cette situation génère un fort impact sur la biodiversité, qu'il faut mieux prendre en compte. Ce qui m'inquiète fortement quand on voit l'évolution démographique du loup durant les dix dernières années : je pense que d'ici dix ans, seuls les chasseurs pourront se promener en forêt parce qu'ils auront un fusil. Parce que ces meutes de loups devront continuer à se nourrir une fois que les populations d'animaux sauvages auront disparu.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État. - Monsieur le sénateur Michaël Weber, vous avez rappelé la multiplicité des acteurs gestionnaires des aires protégées. Vous avez raison, leur diversité et leur travail sont exceptionnels. Dans le projet de loi de finances pour 2024, une dynamique de recrutements humains est enclenchée, alors que ce sont précisément les moyens humains qui ont manqué ces quinze dernières années. Nous proposons une augmentation de 15 équivalents temps plein (ETP) pour le parc national des forêts créé en 2019 et pour le parc national des Calanques. La hausse du plafond d'emplois permettra également d'accompagner les nouveaux défis qui se posent pour les gestionnaires des aires protégées. La question des indicateurs et de la redevabilité est récurrente dans les avis des quatre comités consultés. Je suis convaincue que pour que cette stratégie nationale pour la biodiversité fonctionne, la redevabilité et le suivi des indicateurs et des évaluations sont centraux. La planification suppose des moyens financiers, mais aussi des indicateurs de suivi et c'est bien dans ce cadre-là que nous concevons cette stratégie.
Je ne reviendrais pas sur la question du Loto de la biodiversité. Il n'est pas question de jouer avec la protection du vivant. Il s'agit simplement d'une opportunité nouvelle, à l'instar du Loto du patrimoine, de sensibiliser à un sujet essentiel. Ce n'est pas la question budgétaire qui prime dans ce débat, mais plutôt la possibilité de parler de nature dans un bar PMU, sans hiérarchie entre les lieux. Tout cela est conforme avec les efforts en matière d'éducation à l'environnement portés par les écoles, les enseignants, les fonctionnaires et bien entendu les collectivités territoriales.
Monsieur le sénateur Jacques Fernique, vous m'avez posé la question du financement et de la territorialisation de la Stratégie nationale pour la biodiversité. Concernant le financement, on parle beaucoup des moyens de l'État, mais on néglige trop souvent les budgets mobilisés par les collectivités, à la strate régionale, départementale, mais aussi communale. Les COP régionales, qui seront lancées prochainement, ont vocation à garantir ce déploiement territorial. Il est surtout nécessaire de coordonner la stratégie régionale pour la biodiversité afin que la territorialisation ne soit pas qu'un voeu pieux.
Monsieur le sénateur Hervé Gillé, vous m'avez interrogée sur la planification. C'est grâce à la planification que nous disposons désormais d'une vision d'ensemble. C'est peut-être la nouveauté. Le premier livrable de la planification c'est évidemment le plan eau, le deuxième livrable c'est la stratégie nationale pour la biodiversité, le troisième sera le plan d'adaptation. Ces trois grandes étapes permettent d'avancer vers une contractualisation accrue et donc une déclinaison territoriale plus fine. La version définitive de la stratégie territoriale devra prendre en compte l'action des Agences régionales de biodiversité et nous devons oeuvrer pour inclure un volet biodiversité dès que possible dans les SRADDET, mais même au-delà de ces documents de planification. Je pense évidemment aux doubles bénéfices. Rien ne nous empêche demain d'élargir la réflexion afin d'intégrer le co-bénéfice biodiversité et énergie.
Vous avez posé la question de la qualité des compensations. C'est un énorme défi sur lequel se portent nos efforts, d'autant plus que la loi « Industrie verte » accompagne le volontariat, avec les zones de renaturation. C'est une opportunité en or, mais il faut être extrêmement exigeant quant à la qualité et l'évaluation dans le temps. Je reste très ambitieuse, mais vigilante.
Madame la sénatrice Audrey Bélim, les outre-mer dans leur diversité apportent une richesse certaine au patrimoine naturel et environnemental de la France, mais il faut s'appuyer sur des approches spécifiques, territoire par territoire. La Stratégie nationale pour la biodiversité intégrera dans quasiment chacune des fiches en cours de finalisation un focus spécifique sur les outre-mer.
Monsieur le sénateur Saïd Omar Oili, sur la question de la pêche à Mayotte, le thon albacore fait l'objet, comme vous l'indiquez, d'une pêche mahoraise locale. Officiellement, 350 tonnes y ont été pêchées en 2022. Il y a cependant encore beaucoup de barques non homologuées qui opèrent des captures des mêmes espèces et créent une pression certaine sur la ressource, ainsi que des navires qui débarquent jusqu'à 17 000 tonnes. Cette pêche mahoraise s'effectue en proximité et permet de nourrir la population locale. Lorsque des senneurs interviennent dans la région, ces captures sont expédiées ailleurs. À propos de cette question, les quotas qui vont être fixés au niveau européen seront déterminants, ainsi que la question de la sécurisation de la flottille de pêche artisanale. Cette question concerne également La Réunion qui subit les mêmes difficultés. Nous serons particulièrement vigilants sur la question des quotas, avec le ministre Hervé Berville. Vous avez, monsieur le sénateur, également parlé de pêche durable. Le parc marin mène des actions extrêmement concrètes pour encourager les pêcheurs à cibler ces espèces au large du lagon.
Enfin, il est certain qu'on ne peut pas parler de Mayotte aujourd'hui sans parler de l'eau et de la nécessité de mobiliser tous les moyens à notre disposition. Mon ministère a fléché 35 millions d'euros supplémentaires sur la question des outre-mer. La priorité c'est évidemment le maintien de cette cellule de crise interministérielle au quotidien. Cette crise affecte le quotidien de nos concitoyens, non seulement pour accéder à l'eau potable, mais également en raison des conséquences sanitaires qui en découlent, vous en avez parlé. Nous espérons tous de la pluie et l'arrivée de l'eau envoyée depuis l'hexagone. Pour sécuriser de manière pérenne l'accès en eau potable, la question des infrastructures et des investissements nécessaires devra être posée aujourd'hui pour Mayotte.
Madame la sénatrice Marie-Laure Phinera-Horth, j'ai eu l'opportunité de voir la richesse de la forêt guyanaise ainsi que les dégâts de l'orpaillage illégal, socialement et écologiquement. Des hommes et des femmes protègent cette magnifique forêt au péril de leur vie. Madame la sénatrice, la Guyane, au-delà d'être un poumon et un trésor de biodiversité, est aussi un territoire dont l'enjeu est le développement. Pour cela, il faut une approche territorialisée, qui s'adapte aux spécificités de la Guyane. Vous me trouverez à vos côtés, chacun, dans le respect de la spécificité de vos territoires, pour accompagner une stratégie locale.
Monsieur le sénateur Jean Bacci, vous avez parlé notamment de la question du loup dans l'arc alpin. Le sujet le plus important aujourd'hui, qu'il faudra apaiser, est la question du comptage. Aujourd'hui, nous prélevons 19 % de la population de loups sur nos territoires. Les plus grandes interrogations se posent sur le nombre de loups, et donc de prélèvements possibles, dans les territoires. Nous avons entamé des travaux avec les différentes parties prenantes pour ne plus fonder notre politique sur seulement deux chiffres, un avant l'été et un après l'été. Ce sont deux comptages qui sont ensuite renforcés par les analyses génétiques. Vous avez aussi soulevé les difficultés de reprise d'un certain nombre d'élevages. Quand je vais à la rencontre des éleveurs, l'enjeu le plus sensible n'est pas l'indemnisation, mais plutôt la transformation de leur métier, l'impact des prédations sur leur vie familiale. Ce qui est certain, c'est qu'il faut faciliter ces indemnisations. Dans le plan loup, nous avons proposé des télédéclarations, pour alléger les procédures et simplifier la vie au quotidien d'un certain nombre d'éleveurs. Vous avez parlé de l'impact du loup sur la biodiversité. Les grands prédateurs ont aussi un impact positif sur la biodiversité. La question est finalement d'évaluer l'apport respectif du loup et du pastoralisme pour la biodiversité. J'ai été conviée à l'Assemblée nationale à une audition organisée par le groupe d'études « pastoralisme ». Nous travaillons à une éventuelle saisine conjointe d'une mission d'inspection pour réfléchir à la manière d'envisager les co-bénéfices du pastoralisme et des prédateurs. Pour conclure, j'espère bien qu'il n'y aura pas que les chasseurs qui pourront se promener dans nos magnifiques territoires.
M. Jean-François Longeot, président. - Merci madame la ministre. Je suis heureux de la qualité des échanges que nous avons pu avoir ce matin, qui prouve tout l'intérêt que notre commission porte à la biodiversité.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 13 heures.