Lundi 17 juillet 2023
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 15 heures.
Projet de loi relatif à l'accélération de la reconstruction des bâtiments dégradés ou démolis au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023 - Examen du rapport pour avis
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons cette après-midi, pour avis, le projet de loi relatif à l'accélération de la reconstruction des bâtiments dégradés ou démolis au cours des violences urbaines. La commission des affaires économiques nous a en effet délégué au fond l'article 3 de ce projet de loi, compte tenu de sa nature financière.
M. Vincent Delahaye, rapporteur pour avis. - Le rapport pour avis que je vous présente porte en effet sur l'article 3 du projet de loi relatif à l'accélération de la reconstruction des bâtiments dégradés ou démolis au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet derniers.
Ce projet de loi vise à répondre à une situation d'urgence. Les émeutes qui ont suivi la mort du jeune Nahel se sont accompagnées d'une flambée de violences sur l'ensemble du territoire national, laquelle a entraîné, outre des destructions et pillages de magasins, de nombreuses dégradations de bâtiments et de biens publics, notamment des collectivités territoriales. Les dommages infligés aux mairies, écoles, bibliothèques et postes de police, ainsi qu'au mobilier urbain, compromettent le bon fonctionnement des services publics locaux. Certains d'entre eux ont d'ailleurs dû être fermés totalement. D'après l'étude d'impact du projet de loi, près de 750 bâtiments publics ont été dégradés ou démolis. Ce chiffre s'élèverait même à 2 000 selon l'Association des maires de France (AMF).
Afin d'accélérer les opérations de reconstruction, les trois articles que compte ce projet de loi détaillent une série de mesures visant à déroger, pour ces seules opérations, au droit commun de l'urbanisme, de la commande publique et du financement des projets d'investissement locaux.
Les deux premières thématiques concernent respectivement la commission des affaires économiques, saisie au fond, et la commission des lois, saisie pour avis. Les enjeux de financement des projets d'investissement soulevés par l'article 3 relèvent, en revanche, de la compétence de notre commission, qui a donc reçu délégation pour l'examen de cet article au fond.
Comme les deux autres, l'article 3 prend la forme d'une habilitation donnée au Gouvernement à légiférer par ordonnance dans un délai de trois mois. Un projet de loi de ratification de l'ordonnance devra être déposé dans les trois mois suivant sa publication.
Pour financer leurs opérations de reconstruction, les collectivités territoriales bénéficieront, d'une part, d'indemnités au titre de l'engagement de la responsabilité sans faute de l'État, qui est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis à l'occasion de manifestations qui dégénèrent, et, d'autre part, des prises en charge par les assureurs, au moins pour les collectivités territoriales qui ont souscrit des contrats d'assurance. Néanmoins, nous savons d'ores et déjà que ces indemnités ne suffiront pas à couvrir leur besoin de financement, d'autant que, si les bâtiments publics sont assurables, tel n'est pas le cas de la voirie ou du mobilier urbain ; d'où la nécessité de mesures complémentaires.
L'article 3 contient ainsi trois types de mesures.
En premier lieu, le Gouvernement serait habilité à déroger au régime de droit commun du versement du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA).
Comme vous le savez, le FCTVA permet d'assurer aux collectivités territoriales une compensation de la charge de TVA qu'elles supportent sur leurs dépenses réelles d'investissement et qu'elles ne peuvent pas récupérer par la voie fiscale. En l'état du droit, les collectivités territoriales perçoivent les attributions au titre de ce fonds en année N+2 ou, dans certains cas, en année N+1 par rapport à l'exécution des dépenses. L'exposé des motifs précise que l'habilitation permettra un versement anticipé du FCTVA dès l'année N pour les travaux de reconstruction entrepris par les collectivités territoriales à la suite des dégradations survenues entre le 27 juin et le 5 juillet derniers.
Ce versement anticipé représente incontestablement un outil utile aux collectivités territoriales afin de faciliter le financement des travaux de réparation. Pour autant, il ne concerne que les dépenses habituellement éligibles au FCTVA. Un certain nombre de dépenses engagées par les collectivités territoriales pour procéder aux réparations à la suite des dégradations commises lors des émeutes ne bénéficieront donc pas du dispositif.
En deuxième lieu, l'article 3 habilite le Gouvernement à déroger à la règle imposant une participation minimale des collectivités territoriales ou groupements au financement de leurs projets d'investissement. Dans le droit commun, cette part est fixée à 20 % de l'ensemble des financements apportés par les personnes publiques. Il en résulterait, selon l'exposé des motifs, que les collectivités territoriales pourraient bénéficier de subventions allant jusqu'à 100 % du coût des travaux de réparation ou de reconstruction.
En parallèle de cette mesure législative, une instruction ministérielle a d'ores et déjà prévu la création, par voie réglementaire, d'un fonds dédié au soutien à la reconstruction, financé sur les crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ». Ce dispositif fonctionnerait sur le modèle de la dotation de solidarité en faveur de l'équipement des collectivités territoriales et de leurs groupements touchés par des événements climatiques ou géologiques (DSEC).
D'après les informations qui m'ont été communiquées, les subventions versées au titre de ce fonds pourront être financées, dans un premier temps, par les crédits provisionnels ouverts en loi de finances initiale pour 2023 au titre de la DSEC, lesquels représentent une enveloppe de 40 millions d'euros. En cas de besoins complémentaires, le Gouvernement pourra dégeler des crédits mis en réserve au titre du programme 122. Il pourra aussi nous proposer des ouvertures de crédits en loi de finances de fin de gestion.
En troisième et dernier lieu, l'ordonnance permettrait de déroger à la règle de plafonnement des fonds de concours pouvant être versés au sein des intercommunalités. Leur attribution ne peut aujourd'hui excéder la part du financement assurée, hors subventions, par le bénéficiaire du fonds de concours, ce qui implique une exigence de participation minimale de 50 %. Cette mesure donnerait davantage de souplesse aux collectivités territoriales pour le financement des travaux de réparation. Quant à son impact budgétaire, il serait neutre pour l'État, puisqu'il n'est question que de flux financiers internes au bloc communal.
La méthode de l'habilitation appelle naturellement une certaine vigilance de notre part. En l'occurrence, le Gouvernement la propose au regard du caractère à la fois urgent, technique et, selon moi, consensuel des mesures envisagées, que je viens de vous présenter, pour faciliter l'engagement rapide par les collectivités territoriales des travaux nécessaires à la réparation et à la reconstruction. Je vous propose d'en prendre acte et d'adopter cet article sans modification.
Enfin, je précise que le périmètre défini pour cet article, au titre de l'article 45 de la Constitution, inclurait toutes dispositions relatives aux dérogations aux modalités de droit commun de financement des investissements des collectivités territoriales, de nature à accélérer ou à faciliter la réparation des dommages directement causés par les actes de dégradation et de destruction liés aux troubles à l'ordre et à la sécurité publics survenus du 27 juin au 5 juillet derniers.
M. Marc Laménie. - Avant tout, je tiens à remercier M. le rapporteur pour avis de son travail.
A-t-on une idée, même approximative, de l'impact financier de ces dégradations et destructions, pour les collectivités territoriales comme pour l'État ?
M. Vincent Capo-Canellas. - À mon tour, je remercie M. le rapporteur pour avis : il a travaillé vite et bien, comme toujours.
Le ministère a-t-il fourni plus d'éléments au sujet de la responsabilité sans faute de l'État ? Dispose-t-on de précédents ? Les collectivités territoriales pourront-elles se référer à un guide de procédure ? Vers qui les collectivités devront-elles se tourner ?
La création d'un fonds spécifique est une bonne chose, mais a-t-on l'assurance que ses crédits ne seront pas prélevés sur d'autres enveloppes budgétaires ?
M. Rémi Féraud. - Selon vous, est-il indispensable de légiférer par ordonnance ? A-t-on eu le temps de procéder à un travail comparatif avec les événements de 2005, qui, sauf erreur de ma part, n'ont pas donné lieu à une loi spécifique ?
Enfin, dispose-t-on d'éléments relatifs au fonds spécifique ? Ces informations nous permettraient de savoir s'il existe, comme on peut le redouter, des trous dans la raquette. Sait-on combien de collectivités territoriales concernées sont assurées ? Je pense par exemple à la ville de Paris, qui se trouve être son propre assureur et qui, à la suite des multiples dégradations commises par les « gilets jaunes » sur la voirie et le mobilier urbain, avait obtenu de la justice un certain nombre de compensations par l'État.
M. Vincent Delahaye, rapporteur pour avis. - Monsieur Laménie, les collectivités territoriales n'ont en principe pas l'obligation de s'assurer ; toutefois, un grand nombre d'entre elles le font. Des indemnités d'assurance seront donc versées, mais elles sont rarement à la hauteur des préjudices subis ; ayant vécu les événements de 2005, je suis bien placé pour le savoir. Quant au reste à charge pour l'État, il est, à ce jour, impossible à évaluer.
Monsieur Capo-Canellas, monsieur Féraud, les 40 millions d'euros initialement prévus au titre de la DSEC formeront une base de départ ; la somme définitive sera bien supérieure. Une autre partie du fonds pourra être financée le cas échéant par les crédits mis en réserve sur le programme 122, qui s'élèvent environ à 12 millions d'euros. En fin d'année, le projet de loi de finances de fin de gestion apportera sans doute des compléments si nécessaire, par dégel de la réserve ou par l'ouverture de crédits. Par ailleurs, la création d'un fonds dédié sur le programme 122 a été annoncée par le Gouvernement. J'ai interrogé l'administration, qui n'a pas été en mesure de me fournir une évaluation du coût du dispositif.
Au sujet de la responsabilité sans faute de l'État, la procédure est détaillée dans le rapport pour avis. Elle est très encadrée par le juge administratif et assez facile à suivre pour les collectivités territoriales concernées. Mais ces dernières devront prouver que les dégradations ont bien été commises dans le cadre de manifestations, qui dégénèrent de façon spontanée. Le Sénat n'apprécie guère les ordonnances et, de mémoire, on n'y avait effectivement pas eu recours en 2005. Mais, en l'occurrence, ce choix me semble justifié, car il faut aller vite. C'est un signal positif pour les collectivités territoriales. D'ailleurs, certaines dispositions proposées à titre exceptionnel me semblent naturelles. Je pense notamment au versement du FCTVA dès l'année N : pourquoi les collectivités territoriales font-elles des avances de trésorerie à l'État ?
Une instruction ministérielle recommande par ailleurs la mobilisation des outils de droit commun, comme la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL). Néanmoins, sauf exception, ces enveloppes sont déjà affectées et je doute que l'on dispose de marges de manoeuvre importantes à cet égard.
M. Claude Raynal, président. - Au regard de la proposition de périmètre émise par M. le rapporteur pour avis pour l'application de l'article 45 de la Constitution, s'il n'y a pas d'observation, je vous propose de considérer comme adopté ce périmètre. La commission des affaires économiques enverra à l'ensemble des sénateurs un courrier électronique récapitulant le périmètre du projet de loi en vue du dépôt des amendements pour la séance publique.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DE L'ARTICLE
M. Vincent Delahaye, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-4 tend à réduire le délai de l'autorisation à légiférer par ordonnance de trois mois à quinze jours, soit jusqu'au 31 juillet 2023.
Je suis défavorable à cet amendement. Le délai de trois mois ne sera pas une source de perte de temps et il est préférable de laisser au Gouvernement le temps de rédiger correctement l'ordonnance, sans précipitation. En effet, il convient de vérifier la prise en compte d'un certain nombre de dépenses. Je ne vois pas ce que nous ferait gagner une telle disposition si elle était adoptée ; en revanche, je perçois ce qu'elle nous ferait perdre.
Par conséquent, j'émets un avis défavorable sur cet amendement.
M. Claude Raynal, président. - S'agissant d'une situation d'urgence, nous pensions qu'il fallait prévoir un délai court.
M. Vincent Delahaye, rapporteur pour avis. - Il vaut mieux que l'ordonnance soit bien rédigée...
La commission émet un avis défavorable à l'amendement COM-4.
La commission propose à la commission des affaires économiques d'adopter l'article 3 sans modification.
La réunion est close à 15 h 20.
Le sort de l'amendement examiné par la commission est retracé dans le tableau suivant :
TABLEAU DES SORTS