Lundi 3 juillet 2023
- Présidence de M. Gilbert-Luc Devinaz, président -
La réunion est ouverte à 18 h 05.
Examen du rapport d'information
M. Gilbert-Luc Devinaz, président. - Mes chers collègues, notre réunion de ce jour marque la dernière étape juridique de notre mission. Il s'agit, sur la base du projet de rapport qui a été mis à votre disposition vendredi 30 juin, de procéder à l'adoption formelle du rapport de notre mission d'information.
Permettez-moi, à titre liminaire, de remercier très vivement, en votre nom à tous, notre collègue Vincent Capo-Canellas. En sa qualité de rapporteur, il a mené un très important travail que je veux saluer.
Je crois que ces cinq mois de travaux nous ont permis de partager de nombreux constats et propositions sur l'intérêt et la contribution des filières de biocarburants, de carburants synthétiques durables et d'hydrogène vert à la décarbonation de l'économie. Pour nous permettre d'avoir aujourd'hui un échange de vues complet sur la base du projet de rapport de notre collègue Vincent Capo-Canellas, je vous propose d'organiser le débat en deux temps.
Tout d'abord, une discussion générale donnera l'occasion à chacun, après avoir entendu notre rapporteur, de s'exprimer sur les thématiques des travaux de notre mission.
Dans un second temps, je vous demanderai de nous présenter, si tel est le cas, vos propositions de modification afin que nous puissions statuer. Nous avons reçu à ce stade des observations de notre collègue Pierre Cuypers sur certains points. Il ne s'agit pas encore de propositions écrites, mais je ne doute pas qu'il présentera ses remarques en temps utile. Pour la parfaite fluidité de nos échanges, je vous demanderai de nous préciser la page et le paragraphe sur lequel porte votre intervention, de sorte que chacun ait un niveau d'information égal et parfaitement clair. Enfin, nous nous prononcerons sur le titre que le rapporteur souhaite donner à son rapport et, bien évidemment, sur l'adoption de l'ensemble du rapport.
Une conférence de presse de présentation est organisée demain matin, mardi 4 juillet, à 9 heures, dans la salle de presse. Elle permettra de donner le retentissement nécessaire à nos travaux. D'ici demain, je vous demande de respecter la plus stricte confidentialité.
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - Mes chers collègues, je veux vous remercier, ainsi que notre président Gilbert-Luc Devinaz, pour la qualité des échanges que nous avons eus au cours de cette mission d'information.
Nous avons organisé 23 auditions ou tables rondes en réunion plénière et 34 auditions ou tables rondes en format rapporteur. Des délégations de la mission ont en outre effectué des déplacements à Bruxelles, dans le Rhône et dans les Bouches-du-Rhône. Je me suis également rendu dans les Pyrénées-Atlantiques pour participer au forum européen « Transition énergétique et mobilités » et pour avoir un échange avec les équipes de Safran dans leur usine de Bordes. La liste des personnes auditionnées et une synthèse des déplacements sont annexées au rapport, de même que la liste des contributions écrites qui nous ont été adressées. Nous en avons reçu une toute dernière ce matin de la part de Régions de France, et il me paraîtrait utile d'y faire référence dans le rapport, car les observations et propositions formulées renforcent le projet qui vous a été soumis. Les contributions des groupes politiques qui souhaiteraient formuler des observations seront bien évidemment également annexées au rapport.
Nous avons beaucoup échangé, ce qui nous a permis d'avancer ensemble. J'ai beaucoup appris, je ne pensais pas que ce sujet serait aussi complexe. D'ailleurs, le Gouvernement semble attendre nos travaux dans l'optique de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) et du projet de loi de programmation quinquennale sur l'énergie et le climat.
Au terme de ce travail, je pense que nous sommes convaincus que les biocarburants, les carburants synthétiques durables et l'hydrogène vert formeront une composante indispensable de la décarbonation du secteur des transports, premier secteur émetteur de gaz à effet de serre de notre pays. C'est donc un enjeu majeur, même si nous savons que ces filières n'apporteront pas, à elles seules, la solution.
La complexité naît aussi d'une imbrication du cadre national et du cadre européen, lesquels s'inscrivent dans la perspective de la mise en oeuvre de l'Accord de Paris sur le climat. Notre rapport revient ainsi sur le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » négocié au niveau de l'Union européenne et sur la perspective de révision de la stratégie française pour l'énergie et le climat. Le projet de loi de programmation quinquennale sur l'énergie et le climat, qui déterminera la programmation pluriannuelle de l'énergie et la stratégie nationale bas-carbone, devrait nous être soumis à l'automne. C'est dans cette perspective et celle de l'examen des prochains projets de loi de finances que je vous propose d'inscrire nos propositions. Certaines questionnent également des choix faits au niveau européen.
Même s'il y a évidemment des interactions avec la décarbonation de l'industrie, le champ de notre mission est centré sur le rôle des biocarburants, des carburants synthétiques durables et de l'hydrogène vert en matière de décarbonation des transports. Le projet de rapport présente donc plus particulièrement ces enjeux de la décarbonation de l'économie et, singulièrement, des transports.
Les carburants ou vecteurs énergétiques ne sont qu'un des termes de l'équation, aux côtés notamment du report modal, de l'efficacité énergétique ou de l'indispensable modération des usages que nous devons affirmer auprès de nos compatriotes.
Le projet de rapport met en évidence les enjeux liés à la souveraineté énergétique, en défendant l'idée que nous devons autant que possible pousser au développement de filières souveraines, ce qui implique qu'elles soient compétitives par rapport à ce qui se pratique à l'étranger. C'est un enjeu important, d'autant que la concurrence mondiale sera rude.
Compte tenu des nombreuses auditions que nous avons menées, prenant en considération les différents secteurs et filières industrielles ou de transport, le rapport détaille les enjeux de chacune des technologies, leurs limites et les débats qu'elles entraînent. Je pense en particulier à la question de la disponibilité de l'électricité, de la biomasse ou encore du CO2, mais aussi à l'enjeu du coût de ces nouvelles technologies, toutes plus onéreuses que la base fossile actuelle. Cela me conduit à souligner l'enjeu de l'accompagnement économique et social de cette transition vers des transports décarbonés.
Le rapport présente également de manière détaillée les enjeux pour chacune des filières de transport, en partant notamment des feuilles de route élaborées par les différents acteurs.
S'agissant de l'automobile, pour les véhicules légers, l'électrification de la filière va se faire massivement. La clause de revoyure de 2026 pourra apporter des assouplissements, mais on sent que la dynamique de filière est telle qu'elle ne sera pas fondamentalement bouleversée, même si les enjeux liés à la concurrence chinoise ont été clairement évoqués. L'hydrogène pourra à terme jouer un rôle spécifique pour certains cas d'usage. À la suite de nos échanges de la semaine dernière, le rapport évoque de manière encore plus explicite les doutes formulés par plusieurs d'entre vous concernant cette orientation vers le « tout électrique ».
Pour le routier lourd, les biocarburants apparaissent clairement comme une bouée de sauvetage, à titre de transition au moins. À terme, on verra probablement une bascule vers l'électrification avec, toutefois, une part non négligeable de camions à hydrogène, sous réserve que le coût des véhicules et de la technologie soient acceptables. France Hydrogène évoque une part de marché potentielle de 15 % du parc à l'horizon 2040.
Pour le ferroviaire, la SNCF est très en demande de biocarburants pour décarboner ses lignes TER dans un premier temps, avant d'envisager ensuite un passage vers l'hydrogène ou l'électrification au moins partielle.
Pour l'aérien, qui est avec le maritime le secteur le plus difficile à décarboner, l'évolution s'inscrira dans le cadre fixé par les nouveaux textes européens. La demande en carburants aériens durables sera massive, qu'il s'agisse de biocarburants ou de carburants de synthèse. L'hydrogène pourrait constituer une avancée à terme, certains ayant évoqué la révolution du XXIIe siècle, mais à court et moyen termes, cela ne peut qu'apporter une réponse partielle sur certains segments, tout comme l'électrique. Les carburants d'aviation durables sont vraisemblablement la principale clé de la décarbonation de l'aérien, en particulier pour les longs courriers qui sont les plus émetteurs de CO2. Il faut donc se donner les moyens de produire les carburants dont les compagnies auront besoin.
Pour le maritime, les solutions apparaissent à ce stade moins figées, à la fois compte tenu de la diversité des types de navires, qui sont en outre souvent des prototypes, et dans l'attente notamment des solutions retenues par les plus grands opérateurs de transport maritime. Selon le scénario principal de décarbonation de la filière, les biocarburants pourraient assurer une transition entre l'énergie fossile et les e-carburants qui devraient se développer à partir de 2030, pour représenter un peu plus de 70 % des volumes en 2050. Le gaz naturel liquéfié (GNL) fossile pourrait être progressivement remplacé par du bioGNL puis du e-GNL, avec un développement plus tardif du méthanol en raison de l'absence d'infrastructures et de navires compatibles actuellement.
Quant au secteur fluvial, selon les données de la direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités, l'activité touristique s'oriente vers une électrification intégrale, tandis que l'activité fret, qui présente un grand intérêt sur le plan du report modal, s'oriente vers l'hybride avec une propulsion électrique, les moteurs électriques ou à hydrogène ne répondant pas encore aux besoins d'usage. Le recours aux biocarburants présente ainsi un intérêt important pour faciliter la transition, compte tenu de la longue durée de vie des bateaux.
Tout l'enjeu est ensuite de voir comment les demandes des différents acteurs peuvent être satisfaites au regard des contraintes pesant sur la biomasse et sur la production d'électricité. Le rapport souligne que les besoins en électricité vont connaître une croissance exponentielle. Selon les dernières évaluations de RTE (Réseau de transport d'électricité), la consommation d'électricité pourrait s'élever entre 580 et 640 térawattheures (TWh) dès 2035, alors que le scénario médian de l'étude précédente intitulée « Futurs énergétiques en 2050 » prévoyait une consommation de 655 TWh en 2050 seulement.
C'est en prenant en compte ce cadre technique que je souhaite formuler des propositions d'une nature plus politique, en m'appuyant sur un triptyque que j'attends de l'État : « impulser, accompagner, simplifier. » Ces mots clés répondent à un besoin de clarification, mais aussi à l'idée que nous ne pouvons tout déterminer par avance au regard des évolutions technologiques à venir. Pour sa part, l'État s'est engagé dans une démarche « planificatrice », partant du haut en se fondant sur des tableaux de chiffres. C'est une approche qui a évidemment son utilité, mais je souhaite mettre l'accent, en parallèle, sur les initiatives territoriales, sur les enjeux que rencontrent les collectivités qui sont en première ligne en tant qu'autorités organisatrices de la mobilité (AOM) ou en tant que gestionnaires de services de déchets. De fait, au travers de cette transition, c'est une nouvelle géographie industrielle et de nouveaux enjeux territoriaux qui vont émerger.
L'axe essentiel que je souhaite défendre est que la France doit adopter une stratégie offensive pour se positionner au bon niveau dans la compétition industrielle mondiale et permettre une transition acceptable sur les plans industriel et social. Elle doit le faire dans un cadre qui est budgétairement contraint, tant au niveau national qu'au niveau de l'Union européenne. Or j'observe que les signaux adressés par la Cour des comptes européenne ces derniers jours, tant sur les batteries électriques que sur les objectifs climatiques en général, ne sont pas bons.
Le rapport formule ainsi 27 recommandations, allant dans trois directions principales.
Le premier axe de propositions, c'est de soutenir les investissements d'avenir et de développer une approche globale. Cela passe notamment par la mise en oeuvre de certaines mesures défendues par le Sénat en matière d'accroissement de la production d'électricité décarbonée, et singulièrement nucléaire, d'accélération du raccordement aux réseaux électriques et de mobilisation du foncier. Il faut desserrer les contraintes du « zéro artificialisation nette » (ZAN), sinon nous aurons beaucoup de mal à y arriver.
Le rapport formule également plusieurs préconisations pour mobiliser la biomasse, qui représente un enjeu essentiel. Il prévoit ainsi de renforcer le suivi des ressources de biomasse, de lancer un plan volontariste de développement de la biomasse agricole et sylvicole, d'améliorer la valorisation énergétique des déchets collectés par les collectivités. Je propose, ainsi que nous l'avait suggéré Philippe Mauguin, de compléter un programme de recherche sur la décarbonation, les processus de transformation de la biomasse et la production de biomolécules et de biomatériaux par un volet centré sur les bioénergies. Le rapport préconise enfin d'étendre aux biocarburants et aux carburants de synthèse les compétences des comités régionaux de l'énergie, déjà compétents en matière d'hydrogène.
Face au besoin d'investissement massif et aux contraintes budgétaires, je propose d'orienter les financements publics vers le lancement des filières pour créer les conditions de marchés matures, puis d'évaluer périodiquement et de réorienter en tant que de besoin l'effort public. Je propose également que le Gouvernement évalue dès que possible les pertes de recettes fiscales sur les énergies fossiles, en fonction des prévisions d'évolution du parc roulant.
Je propose aussi d'établir un cadre de financement global de la décarbonation permettant une bonne complémentarité entre les modes de transport, sans entrer dans un débat sur la taxation d'une filière au bénéfice d'une autre. Nous savons tous que la question du financement du ferroviaire dépasse le sujet du transport aérien.
L'ensemble doit conduire la France à adopter une stratégie de pilotage globale des enjeux qui suppose de prendre pleinement en compte les initiatives des collectivités territoriales et leurs contraintes, notamment dans le cadre des négociations en cours sur les émissions de CO2 des véhicules lourds. Je souligne que la vision planificatrice de l'État doit mieux se conjuguer avec les initiatives, les besoins et les contraintes des collectivités territoriales, qui jouent un rôle majeur dans le déploiement opérationnel des politiques publiques de décarbonation. Planifier est utile, mais cela reste une démarche macroéconomique soumise à de nombreuses variables.
Le rapport préconise également d'étendre explicitement aux biocarburants et aux carburants de synthèse le champ de la future loi de programmation quinquennale sur l'énergie et le climat, mais aussi de prioriser les choix « sans regrets ». Dans le cadre de ressources contraintes qui ressortent de nos travaux, il s'agit de privilégier les usages pour lesquels des substitutions se révèlent difficiles, en prenant notamment en compte le rendement énergétique et le coût des technologies des carburants ou vecteurs énergétiques durables. Il faut conserver une neutralité technologique tout en concentrant une part significative des moyens au décollage des filières qui semblent les plus prometteuses. La réussite de la transition écologique implique notamment un meilleur dialogue entre les filières.
Le deuxième axe de propositions concerne les mesures d'accompagnement industriel, économique et social. Certaines filières nécessitent une transition adaptée. Nos concitoyens ont le sentiment d'être confrontés à des injonctions contradictoires et à un coût toujours plus élevé de la décarbonation de leur quotidien, qu'il s'agisse du logement ou des transports par exemple. L'évolution des prix des carburants et son acceptabilité sociale sont à cet égard une source particulière de préoccupation, compte tenu des effets potentiels du nouveau cadre européen sur la fiscalité à venir des carburants.
Le rapport formule des propositions pour soutenir le développement des filières, notamment via le maintien d'un soutien élevé à la recherche-développement (R&D) et à l'investissement innovant ou encore la mise en place d'aides comme des garanties des prix de rachat de l'hydrogène vert ou de e-carburants, afin d'amorcer les marchés.
Il appelle à mettre en place une politique innovante de formation et d'adaptation des métiers pour répondre aux nouveaux besoins des filières en termes de compétences. C'est un enjeu essentiel qui a été souligné à plusieurs reprises.
Il prévoit de clarifier les perspectives pour la filière des biocarburants, en donnant de la lisibilité aux politiques de soutien, en consolidant le plafond de 7 % d'incorporation de biocarburants de première génération et en développant les cultures intermédiaires à vocation énergétique, en accompagnant l'émergence de la filière de deuxième génération qui peine à décoller, mais aussi en défendant un cadre fiscal favorable au développement de la filière des biocarburants de première génération.
Je souhaite, comme je l'ai indiqué, que le Gouvernement évalue bien les risques liés à la hausse du prix. C'est un sujet sur lequel nous pourrons débattre.
La taxe incitative relative à l'utilisation d'énergie renouvelable dans les transports (Tiruert) a été évoquée à plusieurs reprises au cours de nos discussions. Je propose d'en ajuster la trajectoire pour prendre en compte la contribution à la décarbonation, donner plus de visibilité aux acteurs économiques et mieux intégrer l'état des marchés. Il s'agit, ici, de fixer des orientations - il me semble que l'on peut affirmer quelques principes, même si c'est la qualité du réglage qui compte.
S'agissant spécifiquement du secteur aérien, je propose d'accompagner l'incorporation de carburants durables d'aviation (SAF - sustainable aviation fuel) par un soutien complet à l'offre - l'État a annoncé des mesures - et à la demande. Une question se pose à ce niveau, celle de la disponibilité et du prix, car les compagnies ne se tourneront pas naturellement vers ces carburants si le prix est deux fois plus élevé qu'ailleurs.
Plusieurs recommandations visent à simplifier et à accélérer les procédures, notamment pour réduire les délais d'instruction des aides financières ou de demandes d'homologation administrative de nouveaux matériels, mais aussi - comme la SCNF l'a évoqué auprès de nous - pour autoriser la construction de stations de distribution polycarburants pour le secteur ferroviaire, afin de favoriser le recours aux biocarburants dans cette filière.
À la suite de l'échange que nous avons eu la semaine dernière, le rapport met aussi l'accent sur la pertinence du rétrofit. Il suggère d'inciter à la conversion de véhicules et de poursuivre le soutien à l'achat de véhicules décarbonés. Il insiste sur la nécessité de veiller, en parallèle, à ce que les aides publiques confortent le déploiement de l'offre française et européenne de véhicules peu polluants.
Le rapport souligne également la nécessité d'accompagner les collectivités territoriales, un point que j'ai évoqué précédemment.
Enfin, le troisième axe invite à adopter une stratégie offensive pour faire face à la compétition mondiale en matière de technologies vertes. Les propositions qui le composent dépassent parfois le cadre national, voire européen.
Relayant une préoccupation qui avait été exprimée par le Président du Sénat et le président de la commission des affaires européennes, le rapport préconise de compléter le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, afin d'éviter que les industries européennes ne se retrouvent pénalisées. Il y a là un véritable enjeu !
Il prévoit également d'établir une analyse économique et industrielle approfondie en vue de la clause de revoyure de 2026, afin de bien mesurer l'impact réel du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » sur l'industrie automobile européenne. C'est un point qu'il faut correctement documenter et à propos duquel plusieurs d'entre nous ont fait état de préoccupations.
Il demande le renforcement de la vigilance sur les contournements dont la réglementation européenne peut faire l'objet en matière de biocarburants avancés et la mise en place d'un système de certifications de production durable de la biomasse au niveau international.
Il suggère de reconnaître à sa juste valeur, dans tous les textes européens, la contribution de l'électricité et de l'hydrogène d'origine nucléaire à la décarbonation de l'économie. La démarche adoptée par le Gouvernement dans les négociations européennes récentes me paraît ainsi devoir être poursuivie.
Enfin, il appelle à assurer une concurrence équitable pour le secteur aérien, en mesurant les effets des nouvelles règles européennes, en développant des accords bilatéraux - c'est sans doute la solution - et en faisant de la négociation au sein de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) une priorité pour parvenir à un standard mondial d'approvisionnement.
Le rapport adopte ainsi une tonalité offensive pour essayer de capitaliser sur nos atouts et favoriser le développement de filières qui contribueront à notre souveraineté énergétique.
J'en termine avec un point essentiel : le titre. Avec l'autorisation du président, je me permets de vous suggérer d'intituler le rapport : « Décarbonation des transports : l'urgence de choisir pour une filière de carburants et de vecteurs énergétiques durables. » L'expression « urgence de choisir » permet de souligner qu'il faut s'atteler à la tâche et donner de la visibilité ; quant aux mots « carburants » et « vecteurs énergétiques », ils doivent être employés, car ils suscitent actuellement un débat.
M. Pierre Cuypers. - Très honnêtement, je n'ai pas pu lire en détail la totalité du rapport, compte tenu du week-end très chargé que nous venons de vivre. J'ai néanmoins quelques remarques, que mes collègues du groupe LR pourront compléter.
Tout d'abord, je félicite l'auteur du rapport, vu le nombre d'auditions réalisées. Je tiens à saluer l'excellent travail réalisé.
Permettez-moi de m'arrêter sur le mot « simplifier », employé à la page 8 dans la tournure suivante : « impulser, accompagner, simplifier. » J'aurais souhaité qu'en matière de simplification, on différencie la France et l'Europe : nous avons tendance à nous « surcharger » par rapport aux procédures ou directives européennes ; une simplification pourrait donc passer par l'arrêt de cette tendance à la surtransposition permanente.
J'ai par ailleurs évoqué avec le rapporteur le point 14 du deuxième axe, « Clarifier les perspectives pour la filière des biocarburants ». Il est question, dans ce point, de la consolidation du plafond de 7 % d'incorporation de biocarburants. Pour moi, ce taux doit être un minimum ; il ne faut pas en faire une limite, qui nous priverait d'aller plus loin si les besoins l'exigeaient.
Enfin, il est indiqué en page 190 que, d'après certaines sources, le maintien du bioéthanol est incertain - à l'horizon de 2050, si j'en crois les précisions que m'a apportées M. le rapporteur. Or, pour moi, ce maintien n'est absolument pas incertain. C'est un défi à relever, certes, mais on ne peut pas considérer d'avance qu'il est impossible à relever.
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - Il s'agit d'une citation de ce que nous a dit la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), citation que je rappelle ici : « À l'horizon de 2050, les besoins existeront en biodiesel, en revanche sur le bioéthanol, le maintien reste incertain. » Cette affirmation n'est donc pas portée par la mission d'information et nous mentionnons avoir entendu une diversité de points de vue.
M. Pierre Cuypers. - En effet, ce sont les propos de la DGEC, car d'autres filières estiment qu'il existe encore des marges de manoeuvre importantes pour le bioéthanol.
Par ailleurs, pouvez-vous me rappeler ce que signifie « Casi » ?
M. Daniel Salmon. - Cet acronyme signifie « changement d'affectation des sols indirect ». Prenons l'exemple de l'huile de palme que l'on a importée d'Indonésie, c'était pour nous du biocarburant, mais cette production a entraîné dans ce pays une déforestation, ayant conduit à une érosion des sols. Le phénomène est le même avec le soja du Brésil. On peut aussi considérer le cas où nous employons des terres agricoles pour faire du biocarburant, ce qui, par contrecoup, nous oblige à importer plus d'alimentation pour nos animaux. Tous ces exemples entrent dans le périmètre des Casi et dégradent de manière significative le bilan carbone des biocarburants.
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - La notion de Casi est expliquée en début de rapport. Peut-être faut-il que nous en redonnions la définition au moment où la question est de nouveau abordée...
M. René-Paul Savary. - Je partage la remarque de mon collègue Pierre Cuypers : ce travail est remarquable. Mais j'aurais souhaité que l'on insiste un peu plus sur les échanges entre filières de carburants et que l'on prenne également en compte les coproduits comme les drêches. On ne parle pas suffisamment, par exemple, de l'isobutène ou du fait que diminuer la production de biocarburants, c'est risquer de manquer d'alimentation animale.
Veillons aussi à l'existant. Il ne faudrait pas que les priorités données mettent en péril des investissements engagés. Il faut donc se préoccuper de la territorialité et des efforts déjà réalisés dans certains territoires.
Il faudrait par ailleurs dégager des propositions autour de l'acceptation sociale, notamment de la question du prix. Cette acceptation sociale est tout à fait déterminante.
Enfin, j'aurais aimé trouver un peu plus de relief sur le rétrofit. Les constructeurs automobiles doivent arrêter de s'opposer à l'utilisation de kits sur les véhicules ou de déconseiller ces équipements. Certaines personnes, on le sait, se mettraient volontiers aux nouveaux carburants si on ne leur livrait pas certains messages négatifs.
Comme vous pouvez le constater, mes remarques portent sur des points de détail d'un travail de grande qualité.
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - S'agissant de l'acceptation sociale, je vous renvoie à la recommandation n° 20, « Inciter à la conversion de véhicules (rétrofit) et poursuivre le soutien à l'achat de véhicules décarbonés », et à la recommandation n° 15, « Évaluer les risques de hausse du prix des carburants résultant du nouveau cadre européen et mesurer son acceptabilité sociale ». Il nous faudrait plus de temps pour pouvoir avancer sur ce sujet - nous en avons tout de même compris les risques - et travailler plus en profondeur avec la direction du budget, qui, on l'a remarqué, tarde un peu à répondre aujourd'hui. Cela explique la formulation retenue. En clair, il faut inciter nos compatriotes et les entreprises à faire évoluer leurs pratiques, tout en mesurant les blocages possibles.
Le rétrofit est évoqué en page 203...
M. René-Paul Savary. - Mon intervention précédente portait précisément sur ce paragraphe : il faudrait amener les constructeurs et vendeurs automobiles à changer leurs discours. On peut comprendre qu'ils se protègent... Mais, à un moment donné, il faut décider si l'on avance ou pas !
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - Nous sommes revenus sur des propos entendus de la part des constructeurs, à savoir qu'il faut un certain temps pour que le marché se renouvelle.
M. René-Paul Savary. - Qu'ils ne mènent pas d'études sur des carburants flexfuel, je le comprends, mais ils pourraient tout de même accepter les transformations des véhicules. Il faut faciliter la transition vers l'électrique, sans quoi il y aura des blocages.
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - Je partage les positions exprimées sur le rétrofit et l'acceptation sociale. Nous allons voir si nous pouvons être plus explicites sur le premier point. Sur le second, il faut tirer le signal d'alarme, mais nous ne pouvons pas en rester à un seul message négatif. Nous ne l'avons pas écrit comme tel, mais le Gouvernement serait bien inspiré de se rapprocher des commissions des finances et des commissions de l'aménagement du territoire et du développement durable pour examiner la trajectoire fiscale.
La problématique territoriale est abordée en page 176. Nous proposons en outre d'ajouter le paragraphe suivant en page 204 : « Sur ce dernier point, Régions de France a indiqué à la mission que les régions attendaient des clarifications en matière de financement, notamment la déclinaison du “plan d'avenir pour le ferroviaire”, afin de créer les conditions d'un report modal massif vers le rail, par un engagement financier puissant et pluriannuel. Elles constatent que cette “première étape” par la publication des mandats CPER ne sera pas à la hauteur de leurs attentes dans son montant, dans son calendrier et dans son ampleur, pour atteindre les objectifs de la transition écologique sur lesquels la France s'est engagée. »
De même, nous rajouterions deux points issus de la contribution de Régions de France. Le premier, en page 183, concerne l'investissement des AOM pour développer les filières de bioGNV. Le second, en page 201, est relatif au soutien de Régions de France en faveur d'une simplification des conditions d'usage des stations d'avitaillement.
J'en viens à la remarque sur la surtransposition. Nous sommes encore, en page 8, au stade du propos liminaire ; nous avons donc essayé de rester synthétiques. Dans la phrase « la lourdeur des procédures, la taxation plutôt que l'incitation pèsent sur notre capacité à nous adapter », nous pourrions préciser : « la taxation plutôt que l'incitation, voire la surtransposition. » Mais nous risquons d'alourdir l'avant-propos. Nous allons voir plutôt comment apporter cette précision à l'intérieur du rapport.
Se pose enfin la question du plafond à la recommandation n° 14...
M. Pierre Cuypers. - Pourrait-on supprimer le terme « plafond » ? Il n'est pas dans notre rôle de fixer une limite.
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - La réalité, au moins du point de vue européen, c'est qu'il s'agit bien aujourd'hui d'un plafond. Nous pourrions modifier la formule de la manière suivante : « consolider le plafond de 7 %, voire le desserrer légèrement » - mais cela peut se faire à la hausse ou à la baisse - ou « consolider le plafond de 7 %, voire l'augmenter légèrement ». Mais, dès lors que ce plafond est actuellement attaqué, il ne faudrait pas engendrer un effet boomerang : en voulant le rehausser, en poussant trop loin le bouchon, on ouvrirait un débat dont on ne saurait pas ce qui pourrait en sortir.
M. Pierre Cuypers. - De plusieurs contacts avec l'Union européenne, j'ai compris que l'on imaginait une mutualisation, avec un procédé dans lequel un pays capable de faire plus que 7 % viendrait compenser un pays qui ne pourrait pas atteindre cet objectif.
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - Il faudrait alors dire : « voire le rehausser nationalement par une mutualisation européenne. »
M. Pierre Cuypers. - Je ne sais pas s'il faut aller jusque-là...
M. René-Paul Savary. - Pourquoi ne pas utiliser le terme « assouplir » ?
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - C'est un terme ambivalent, qui peut s'entendre à la hausse comme à la baisse. Compte tenu de l'importance de ce sujet, je vous propose d'y revenir ultérieurement.
Mme Béatrice Gosselin. - Je voudrais juste apporter un complément à propos de l'expression « stratégie offensive » de la France. Celle-ci doit se faire au niveau de la recherche et développement ou encore des aides financières, mais il s'agit aussi de ne pas se faire « avaler » du fait de l'arrivée de pays extérieurs, moins regardants, sur les marchés.
M. Pierre Cuypers. - Par ailleurs, lorsque l'on dit « accélérer », « autoriser », « inciter », « veiller », « accompagner les collectivités locales »... Qui fait toutes ces actions ?
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - À l'exception des points pour lesquels nous indiquons que notre demande implique la défense par le Gouvernement d'une position à Bruxelles ou la modification d'un texte européen, nous faisons référence au cadre national, à l'État.
M. Bernard Buis. - Premier contributeur aux émissions de gaz à effet de serre et représentant à lui seul 30 % des émissions, le secteur des transports est le seul à avoir vu ses émissions augmenter depuis 1990. La loi de programmation quinquennale sur l'énergie et le climat, qui sera prochainement débattue, déterminera les futures programmation pluriannuelle de l'énergie et stratégie nationale bas-carbone. Il était donc important d'engager cette réflexion, et je remercie le groupe Union Centriste de l'avoir fait, tout comme le président et le rapporteur d'avoir mené les nombreuses auditions qui ont amené à la rédaction de ce remarquable rapport d'information.
Premier secteur de consommation d'énergie, représentant 31 % du total, le secteur des transports repose largement sur les énergies fossiles, avec 91 % de la consommation issue de produits pétroliers en 2021 et 7 % de biocarburants, contre presque rien il y a 20 ans. Carburant routier en vente à la pompe, le SP 95-E10 contenant 10 % de bio éthanol représente aujourd'hui 12,5 % des ventes de carburant et 51% de celle de l'essence. L'électrification du parc automobile constitue le principal gisement de gains, tant en matière d'intensité carbone de l'énergie utilisée que d'efficacité énergétique, mais l'électrification ne sera pas suffisante pour atteindre les objectifs climatiques assignés : il faudrait 20 ans pour n'avoir que des véhicules légers et électriques, d'où l'importance de développer les biocarburants. Cette solution transitoire devrait permettre le verdissement du parc existant.
La résolution demandant de reconnaître à sa juste valeur, dans tous les textes européens, la contribution de l'électricité et de l'hydrogène d'origine nucléaire à la décarbonation de l'industrie me paraît aller dans le bon sens.
Il en est de même pour beaucoup d'autres et, effectivement, il devient urgent d'évaluer les pertes fiscales sur les énergies fossiles et d'étudier l'impact sur nos finances publiques des orientations prises en matière d'énergie et de la conjoncture économique. De même, il est urgent d'accélérer les raccordements des projets liés à la transition énergétique au réseau de transport et de distribution d'électricité. Il sont très - et même trop - longs et, quelquefois de nature à faire avorter des projets. À une petite échelle, j'ai l'exemple d'un agriculteur qui a un bâtiment agricole desservi avec une puissance de 36 kWh en triphasée. Il veut installer une production photovoltaïque sur le toit de son bâtiment, mais il est limité à 9 kWh de production. Cela interroge !
La recommandation demandant d'ajuster la politique foncière aux enjeux de décarbonation de l'économie, avec, notamment, un desserrement des contraintes du ZAN m'interroge, puisqu'une proposition de loi d'initiative sénatoriale et un vote récent à l'Assemblée nationale devraient régler les problèmes dans le cadre d'une future commission mixte paritaire (CMP), qui, je l'espère, sera conclusive.
Les recommandations liées à la mobilisation de la biomasse me paraissent fondamentales, tout comme celle qui demande d'adopter une stratégie de pilotage global des enjeux ou celle qui propose de soutenir le développement des filières et la mise en place d'une politique innovante de formation et d'adaptation des métiers pour répondre aux nombreux besoins.
Enfin, je rejoins notre collègue René-Paul Savary, la recommandation incitant à la conversion de véhicules par rétrofit devrait être rapidement mise en place pour une efficacité réelle et quasi immédiate.
Je voterai donc ce rapport d'information, en suggérant de limiter le titre à « Décarbonation des transports : l'urgence de choisir. » Cela me semble plus percutant !
M. Daniel Salmon. - Je vous remercie pour ce travail approfondi qui nous permet d'avoir une vision claire de la question des biocarburants. Je n'ai pas encore eu le temps de lire intégralement le projet de rapport. Je me suis concentré sur la troisième partie présentant les propositions, au sujet de laquelle je souhaite formuler quelques remarques.
À la page 139, il est spécifié l'apport de chaque énergie renouvelable dans notre consommation. Or, les énergies éolienne et solaire sont totalement passées sous silence. J'estime qu'elles ne sont pas anecdotiques et qu'il serait bon de préciser leur apport, afin de faire preuve d'exhaustivité.
À la page 140, il est fait mention du rôle des forêts dans le stockage du carbone. Les sols sont également mentionnés, mais il me semble important d'insister sur le fait que les sols agricoles sont aussi des puits de carbone. La directive européenne sur les énergies renouvelables RED II - Renewable Energy Directive - fixe un objectif de 4 %o d'augmentation de la teneur en carbone des sols, qui nous paraît essentiel dans le cadre de la stratégie nationale bas-carbone. Or, il faudrait étudier l'impact de la production de biocarburants sur cet objectif.
À la page 141, vous citez Marc Fesneau au sujet du mauvais état des forêts françaises, désormais incapables de remplir leur rôle de puits de carbone. Le ministre nous invite également à nous montrer vigilants sur la production future de biomasse. En se plaçant dans le scénario d'une augmentation moyenne des températures de 4°C, il a déclaré ne pas savoir de quelle quantité de biomasse nous disposerons, que ce soit au niveau des forêts ou des sols agricoles. Je propose donc de compléter cette citation.
J'estime également qu'il faudrait apporter plus de précisions sur la notion de Casi, dans le rapport, afin d'offrir une meilleure compréhension de cette question en lien avec les biocarburants.
Les constructeurs automobiles rechignent à développer le rétrofit, mais l'État n'est guère plus allant puisqu'il perçoit 34 milliards d'euros de taxes liées aux énergies fossiles. Les biocarburants vont donc à la fois coûter plus cher aux ménages, mais aussi provoquer un manque à gagner pour l'État. Ces 34 milliards d'euros sont plus ou moins équivalents aux recettes de l'impôt sur le revenu et doivent donc s'inscrire dans notre réflexion concernant la réduction de la dette. Le rapport préconise d'ailleurs de procéder à une évaluation des niches brunes de l'État. Cet effet de bord devra être pris en compte.
Au Brésil, les surfaces agricoles dédiées au soja, pour nourrir nos élevages, ont une surface équivalente à la Bretagne. Or tous les scénarios de transition écologique pointent la nécessité de réduire la consommation de viande, sans quoi, notre transition sera rendue difficile, et ce d'autant plus que les deux tiers de la biomasse agricole de l'Union européenne sont destinés à l'élevage.
Ma position est plus mesurée. J'apprécie ce rapport, intéressant et offensif, mais il faut être lucide. Aujourd'hui, en France, nos huiles usagées utilisées comme biocarburants permettent d'assurer l'équivalent de 700 vols Paris-Montréal. Or, la France compte chaque année 1,5 million de vols commerciaux. Les huiles usagées ne représentent donc rien, ou presque. Il nous faut les utiliser, mais elles sont aujourd'hui très marginales.
Je m'interroge aussi sur la possibilité d'aller plus loin que le plafond de 7 % évoqué par Pierre Cuypers. Si le transport aérien poursuit son développement au même rythme qu'aujourd'hui, s'il est multiplié par deux d'ici à 2040, cet objectif semble inatteignable. Il convient donc de viser une décroissance modérée du transport aérien.
Ce rapport contient de nombreux points intéressants, mais j'ai déjà souligné quelques lignes rouges. Par exemple, deux préconisations vont dans le sens d'un développement du nucléaire, et vous connaissez bien ma position sur cette question. Je reste convaincu que sortir du nucléaire est une nécessité, car le monde qui est le nôtre est plus qu'incertain et l'énergie nucléaire n'aime pas l'incertitude. Au sujet du ZAN, je rejoins la position de mon collègue.
Ainsi, certains éléments m'empêchent de voter ce rapport, même si je vous remercie pour le travail qu'il représente.
En outre, je m'interroge sur une donnée figurant à la page 192. Celle-ci présente des données sur les taux d'accise pour chaque biocarburant et indique 74 €/MWh pour le SP95-E10. Ce résultat me surprend.
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - Il est vrai que ce résultat interpelle par rapport aux autres taux applicables.
M. Gérard Lahellec. - Il me faudrait bien du temps pour exprimer tout le bien que je pense de la conduite de cette mission. Le travail réalisé est exhaustif, compliqué, et nous a permis d'acquérir des connaissances nouvelles, ce qui est une bonne chose. Je suis parfois sorti des auditions avec plus de questions que de réponses. Bravo pour ce travail rédactionnel. Je n'ai pas pu lire le rapport dans son intégralité, mais ce sera le cas d'ici la fin de la semaine.
Un passage m'a toutefois interpellé : celui qui parle des raisons de la décarbonation. Le rapporteur nous a dit qu'elle devait être menée dans le secteur des transports. Cependant, l'utilisation de la biomasse me paraît une question centrale, tant celle-ci va faire l'objet de convoitises et de tensions. La biomasse sera-t-elle utilisée pour décarboner l'agriculture ou servira-t-elle de carburant commercialisé ? J'estime que, tout en gardant à l'esprit l'opportunité de disposer de cette biomasse pour les transports, celle-ci peut être utile dans la décarbonation de notre agriculture, si nous souhaitons que cette dernière reste une agriculture vivrière.
Ma région est une terre d'élevage. Certains agriculteurs valorisent déjà la biomasse en produisant du carburant, mais dans le but de décarboner leur activité. Nous devons donc rester vigilants pour ne pas détourner l'agriculture de sa mission fondamentale.
D'ailleurs, certaines personnes auditionnées au cours de nos travaux ont affiché leur intérêt pour la captation de cette biomasse. Je pense notamment au secteur de l'aéronautique. Je n'irai pas aussi loin que mon collègue Daniel Salmon sur la limitation des vols, mais je souhaite voir cet aspect de précaution renforcé dans le texte. La biomasse peut être utile à la décarbonation de notre agriculture, condition indispensable au développement durable de cette dernière.
J'ai envie de voter ce rapport, mais je vais poursuivre ma lecture avant d'arrêter une position définitive.
M. Gilbert-Luc Devinaz, président. - Je regrette l'absence de mes trois collègues du groupe Socialiste, Ecologiste et Républicain, qui auraient pu s'exprimer.
Je remercie et félicite l'auteur de ce rapport, car il consigne pas moins de 23 auditions, 34 auditions rapporteur et 4 déplacements. Je salue les efforts déployés pour structurer le travail et intégrer la contribution de Régions de France.
Au sujet de la mobilité, je me suis interrogé sur l'arrêt des énergies fossiles, en raison du réchauffement climatique, et sur la nécessité de développer les énergies renouvelables. Je reste convaincu que ce qui est consommé aujourd'hui en énergie fossile ne sera pas compensé par les énergies renouvelables. Il y aura donc un déficit. Il faut prendre conscience qu'en termes d'énergie produite, un litre de pétrole correspond à une journée entière de travail humain.
M. Daniel Salmon. - J'avais le chiffre de trois journées à l'esprit.
M. Gilbert-Luc Devinaz, président. - Un autre aspect du rapport me paraît intéressant. Le conflit entre l'Ukraine et la Russie nous fait prendre conscience de la dépendance de la France sur le plan énergétique, pour le gaz comme pour le pétrole. Or je suis attaché à notre indépendance et à notre souveraineté, que soutient le développement des énergies renouvelables.
Au titre des 27 recommandations, 4 concernent l'énergie nucléaire. La position de mon groupe à ce sujet n'est pas celle qui a été retenue par le Sénat. Le nucléaire est populaire tant que la situation est stable au sein de l'Union européenne, mais tout peut changer en cas de dérapage dans le conflit actuel.
La proposition n° 7 mériterait d'être expliquée. Convient-il de remettre en cause les dispositions législatives qui viennent d'être adoptées ?
La recommandation n° 11 c ne me semble pas explicite.
Avec la recommandation n° 11 e : « concentrer une part significative des moyens au décollage des filières qui semblent les plus prometteuses », le verbe « sembler » me paraît très subjectif.
Je me réjouis de la mention des recommandations nos 15 et 20.
J'estime que demain peut être meilleur qu'aujourd'hui. La géologie nous apprend que si l'espèce humaine venait à disparaître, il s'agirait de la sixième extinction connue par notre planète. Mais la vie sur terre reviendrait, plus forte que jamais. Demain pourrait donc être meilleur qu'aujourd'hui, ce qui ne nous prive pas de nous poser collectivement la question suivante : la sobriété, comment et pour qui ?
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur - Dans ce rapport, nous avons privilégié pour nos recommandations des formulations directes. En effet, il est certes attendu d'une mission d'information qu'elle prenne parti sur une situation, mais aussi qu'elle fasse des propositions concrètes.
Sur le ZAN, il nous semble important d'être particulièrement attentifs à la formulation. Certes, les choses sont bien engagées, mais la CMP aura lieu jeudi prochain. Notre idée est de soutenir la démarche engagée par le Sénat et de rappeler qu'il y a une contradiction entre la volonté de décarbonation et le besoin de foncier pour y parvenir. La recommandation n° 7 indique : « Ajuster la politique foncière aux enjeux de décarbonation de l'économie : desserrer les contraintes du zéro artificialisation nette. » Je vous propose de la modifier ainsi : « Ajuster la politique foncière aux enjeux de décarbonation de l'économie : desserrer les contraintes du zéro artificialisation nette, conformément à la démarche engagée par le Sénat. » Soyons prudents, nous souhaitons que la CMP soit conclusive, mais pour l'heure, rien n'est acté. Nous ne pouvons donc pas aller plus loin dans la formulation. Cette formulation s'applique quel que soit le vote.
M. Daniel Salmon. - Je ne vois pas ce que le ZAN vient faire ici. Si l'on veut produire du biocarburant, si l'on a besoin de terres agricoles et de forêts, il faut lutter contre le ZAN, qui est davantage lié au nucléaire.
Quand on parle du ZAN, on évoque le photovoltaïque et l'éolien, qui sont des énergies renouvelables, pas des biocarburants. Le rapport est donc à cheval sur plusieurs sujets.
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - À propos du ZAN, je précise que les ports auront un rôle majeur à jouer, notamment dans le domaine de l'hydrogène et la production de biocarburants. Les acteurs de ce domaine nous ont alertés sur le fait que cela exigeait une capacité à artificialiser, avec des logiques complexes et sensibles de compensation. Or en l'état actuel de la réglementation, ils n'y parviennent pas. Même pour décarboner leur propre activité, ils ont besoin de production d'hydrogène. C'est ce que nous visons.
Nous abordons effectivement les questions du solaire et de l'éolien dans ce rapport et, comme vous l'évoquiez au sujet de la page 139, il est pertinent d'y ajouter des éléments concernant ces énergies.
Je suis également d'accord pour compléter la citation de M. Marc Fesneau - il faut toujours citer les ministres qui sont à l'écoute des assemblées.
Monsieur Lahellec, vous souhaitez préciser que la biomasse est utile à la décarbonation de l'agriculture. Nous allons voir où nous allons apporter cette précision, peut-être lorsque nous parlons de l'agriculture vivrière.
M. Gérard Lahellec. - Il me semble prudent de le faire. J'ai déjà des sujets de conflits d'usage.
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - Nous modifierons le rapport en ce sens. La profession agricole a en effet été très claire sur ce point.
Concernant la formulation de la recommandation n° 11 c, nous avons écrit : « privilégier les usages pour lesquels des substitutions se révèlent difficiles. » Nous faisons référence ici aux domaines aérien et maritime. La formule « choix sans regrets », qui précède, renvoie à ces usages sans substitutions possibles ; autrement dit, en dehors de ces choix-là, il n'y a pas d'autre manière de décarboner. Cette formule est peut-être difficile à comprendre ; nous pourrions la retirer et ne conserver que : « privilégier les usages pour lesquels des substitutions se révèlent difficiles ; prendre en compte le rendement énergétique et le coût des technologies des carburants ou vecteurs énergétiques. » L'expression « choix sans regrets » a-t-elle déjà été utilisée ?
M. René-Paul Savary. - Cette expression a été entendue au cours d'une audition.
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - Elle a sans doute besoin d'être explicitée. Par exemple, comme on l'a vu au Bourget sur des petits modules, nous parviendrons à introduire l'électrique dans le domaine aérien, mais cela prendra du temps. En attendant, le fléchage a lieu en direction des biocarburants.
M. Daniel Salmon. - Je suis d'accord avec l'expression « sans regrets », même si je pense que dans les domaines maritime et aérien, on n'y arrivera pas. Effectivement, il faut regarder à chaque fois dans quel domaine l'usage des biocarburants est le plus pertinent. Sur les trajets du quotidien et la voiture, l'électrique sera approprié, en raison notamment des progrès réalisés sur les batteries. Ce sera difficile, en revanche, pour les poids lourds, pour lesquels même la solution de l'hydrogène sera longue à mettre en place. J'ai découvert, à l'occasion de ce rapport, que des solutions existent pour le ferroviaire, ce qui est intéressant.
En résumé, il y a des domaines où les alternatives à moyen terme ne sont pas disponibles : dans ces cas-là, les biocarburants peuvent présenter un atout, ce qui justifie à mes yeux la formule « sans regrets ».
M. Pierre Cuypers. - Il y a une notion économique à ne pas oublier. Pour que le dispositif fonctionne, il doit passer au niveau de l'entreprise, de l'industrie, du consommateur et de l'environnement. C'est un tout. La priorité sera donc celle du moment.
Concernant le stock de biomasse, si tout le monde y a recours, évidemment, nous n'en aurons pas suffisamment. Il faudra donc tracer des axes prioritaires. C'est de cette façon que nous pourrons assumer cet usage de la biomasse, c'est-à-dire dans un nombre défini de secteurs.
M. Gilbert-Luc Devinaz, président. - La formule « choix pertinents » pourrait être intéressante. Nous pourrions écrire : « privilégier des choix pertinents. »
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - Nous pouvons adopter le terme « pertinent » ; il pourra toutefois nous être répondu que chacun en a sa propre appréciation. Je vous propose d'écrire : « privilégier les usages les plus pertinents pour lesquels des substitutions se révèlent difficiles. »
Concernant la recommandation n° 11 e, nous retirons « qui semblent », ce qui donne : « concentrer une partie significative des moyens au décollage des filières les plus prometteuses. », une formulation plus précise.
Concernant la recommandation n° 14 b, je vous propose de reformuler ainsi : « consolider, voire relever, le plafond de 7 % d'incorporation de biocarburants de première génération et développer les cultures intermédiaires à vocation énergétique (CIVE). »
M. René-Paul Savary. - Il faut être un peu provocateur !
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - En effet, il faut être clair.
M. René-Paul Savary. - Pour le rétrofit, là aussi il faudrait être provocateur. Nous pourrions inciter les constructeurs soit à accréditer des kits, soit à en proposer d'emblée en les fabriquant en usine. Le frein n'est pas technique ; cela relève plutôt d'une volonté politique.
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - Il faudrait donc développer cette idée à la page 201, où ce sujet est abordé.
M. René-Paul Savary. - La recommandation n° 20 sur le rétrofit est vague. Il faut inciter les constructeurs à développer le rétrofit ou à s'approprier ces solutions.
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - Je vous propose : « inciter à la conversion plus massive de véhicules (rétrofit ) ».
À la page 201, le rapport suggère de développer l'achat de boîtiers FlexFuel qui permettent aux véhicules de rouler avec différents types de carburants, notamment des biocarburants. Je vous propose de compléter et de renforcer le rapport sur ce point.
L'ensemble de ces propositions de modification sont adoptées.
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - Concernant le titre du rapport d'information, M. Buis avait une idée de simplification : « La décarbonation des transports : l'urgence de choisir. »
M. René-Paul Savary. - Je vous rejoins dans cette formulation.
M. Pierre Cuypers. - Je propose : « l'urgence des choix. »
M. Daniel Salmon. - La formule « l'urgence de choisir » implique d'aller dans un sens ou dans l'autre.
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - À l'inverse, en effet, le rapport parle de mixité des choix.
Notre rapport parle, en creux, de l'électrique. C'est une donnée parmi d'autres, que nous nuançons et soupesons. Notre rapport porte sur les biocarburants, les carburants synthétiques et l'hydrogène vert.
M. Daniel Salmon. - Je propose : « Le développement d'une filière de biocarburants, carburants synthétiques durables et hydrogène vert, au service de la décarbonation des transports ».
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - Pourquoi n'opterions-nous pas pour « Décarbonation des transports : choisir pour une filière de carburants durables » ?
M. René-Paul Savary. - Le titre est long.
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - On doit comprendre que le sujet de cette mission d'information concerne les biocarburants et l'hydrogène.
M. Pierre Cuypers. - Il n'y a pas que la décarbonation, il y a aussi la disponibilité. Nous parlons d'un bouquet d'énergies.
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - Optons pour un sous-titre.
Je propose donc : « Décarbonation des transports : l'urgence de choisir - Développer les filières de carburant et d'hydrogène durables ».
Le titre du rapport d'information est ainsi rédigé.
La mission d'information adopte le rapport d'information ainsi modifié et en autorise la publication.
Il est décidé d'insérer le compte rendu de cette réunion dans le rapport d'information.
M. Gilbert-Luc Devinaz, président. - Enfin, je rappelle que, d'ici jeudi soir, chaque groupe pourra, s'il le souhaite, adresser une contribution qui sera annexée au rapport.
Je vous remercie pour la qualité de nos échanges et la confiance que vous m'avez accordée en me confiant la présidence de cette mission d'information.
La réunion est close à 20 h 10.