- Lundi 3 juillet 2023
- Projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2021 et projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2022 - Examen des amendements de séance
- Projet de loi visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces - Examen des amendements au texte de la commission mixte paritaire
- Mardi 4 juillet 2023
- Mission d'information sur la création du fonds Marianne, la sélection des projets subventionnés, le contrôle de leur exécution, et les résultats obtenus au regard des objectifs du fonds - Examen du rapport
- Mission d'information sur les modes de financement des autorités organisatrices de la mobilité (AOM) - Communication
- Contrôle budgétaire - Verdissement des concours financiers de l'État aux collectivités territoriales - Communication
- Mercredi 5 juillet 2023
- Contrôle budgétaire - Établissements publics fonciers (EPF) et établissements publics d'aménagement (EPA) - Communication
- Rapport relatif à la situation et aux perspectives des finances publiques - Audition de M. Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes
- Contrôle budgétaire - Flotte d'aéronefs bombardiers d'eau de la sécurité civile - Communication
Lundi 3 juillet 2023
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 15 h 30.
Projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2021 et projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2022 - Examen des amendements de séance
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons les amendements de séance sur le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2021 et le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2022.
PROJET DE LOI DE RÈGLEMENT POUR L'ANNÉE 2021
EXAMEN DE L'AMENDEMENT DE SÉANCE
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement n° 1 procède à une mise à jour du solde des administrations publiques pour l'année 2021. J'y suis défavorable par cohérence avec le fait que nous n'avons pas adopté l'an passé la loi de règlement pour l'année 2021, et que la commission des finances a proposé de ne pas adopter la semaine dernière le nouveau projet de loi de règlement qui nous a été soumis.
Mme Christine Lavarde. - Même si je comprends que l'on rejette le projet de loi de règlement, pourquoi émettre un avis défavorable sur un amendement visant à actualiser un tableau ? Certes, le Gouvernement actualise les chiffres avec douze mois de retard, mais cet amendement est purement factuel.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - J'entends votre remarque, mais il est difficile d'être favorable à un amendement et de ne pas adopter l'article.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1.
PROJET DE LOI DE RÈGLEMENT POUR L'ANNÉE 2022
EXAMEN DE LA MOTION
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - La motion n° 1 tendant à opposer la question préalable se fonde certes sur des arguments que nous défendons, mais, pour autant, nous préférons avoir un débat sur le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2022. C'est pourquoi j'émets un avis défavorable sur cette motion.
Mme Christine Lavarde. - Voulez-vous jouer la montre, mon cher collègue, avec cette motion ?
M. Éric Bocquet. - Cela fait plusieurs années que le Sénat rejette le projet de loi de règlement. En cette première année du second quinquennat de M. Macron, nous voulons éviter au Gouvernement de commettre les mêmes erreurs, alors même qu'il prépare déjà le projet de loi de finances pour 2024. Nous ne voulons pas jouer la montre, nous voulons transmettre un message politique - nous avons encore quelques illusions.
La commission émet un avis défavorable à la motion n° 1 tendant à opposer la question préalable au projet de loi.
EXAMEN DE L'AMENDEMENT DE SÉANCE
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Avis défavorable à l'amendement n° 2, à l'instar de l'avis que nous venons d'émettre sur l'amendement portant sur le projet de loi de règlement de l'année 2021.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 2.
Projet de loi visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces - Examen des amendements au texte de la commission mixte paritaire
M. Jean-François Husson, rapporteur général, en remplacement de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Les cinq amendements déposés par le Gouvernement sont des amendements de précision rédactionnelle ou de coordination.
À l'article 10 bis AA, le Gouvernement propose une précision rédactionnelle concernant l'anonymisation des agents des douanes dans le cadre des procédures qu'ils mènent dans l'exercice de leurs pouvoirs. L'encadrement de ce dispositif dans le texte tel qu'il est issu des travaux de la commission mixte paritaire (CMP) n'est absolument pas remis en cause.
Aux articles 10 bis AC et 12 quater, ont été déposés des amendements de coordination, tandis qu'un amendement rédactionnel nous est proposé à l'article 12.
Enfin, à l'article 12 ter, qui porte sur la levée du secret professionnel à l'égard des agents de la douane, le Gouvernement propose un amendement de précision. Tel qu'il est issu des travaux de la CMP, et contrairement à son objectif initial, l'article 12 ter ne couvre pas le droit de communication à la douane. Il importe donc de bien préciser que la levée du secret professionnel au bénéfice des agents des douanes porte à la fois sur le droit de communication et sur l'exercice des pouvoirs qui leur sont conférés pour rechercher et poursuivre les infractions douanières.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION MIXTE PARITAIRE
Article 10 bis AA
La commission émet un avis favorable à l'amendement de précision rédactionnelle n° 4.
Article 10 bis AC
La commission émet un avis favorable à l'amendement de coordination n° 1.
Article 12
La commission émet un avis favorable à l'amendement rédactionnel n° 2.
Article 12 ter
La commission émet un avis favorable à l'amendement de précision n° 6.
Article 12 quater
La commission émet un avis favorable à l'amendement de coordination n° 3.
La réunion est close à 15 h 40.
La commission a donné les avis suivants sur les amendements dont elle est saisie, qui sont retracés dans le tableau ci-après :
TABLEAU DES AVIS
Mardi 4 juillet 2023
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 15 heures.
Mission d'information sur la création du fonds Marianne, la sélection des projets subventionnés, le contrôle de leur exécution, et les résultats obtenus au regard des objectifs du fonds - Examen du rapport
M. Claude Raynal, président. - Mes chers collègues, nous examinons cet après-midi le rapport de Jean-François Husson en conclusion des travaux de notre mission d'information sur la création du fonds Marianne, la sélection des projets subventionnés, le contrôle de leur exécution, et les résultats obtenus au regard des objectifs visés.
Comme vous le savez, notre mission a bénéficié des pouvoirs d'une commission d'enquête. Vous avez tous été invités, si vous le souhaitiez, à venir consulter le projet de rapport, et ce à compter de mercredi dernier. Il vous est distribué cet après-midi, assorti de sa synthèse et complété de ses annexes. Il vous sera demandé, à l'issue de notre réunion, de le restituer. En effet, je vous rappelle le caractère strictement confidentiel de notre réunion et du contenu de ce rapport.
Conformément à l'ordonnance du 17 novembre 1958, nous devons attendre au minimum vingt-quatre heures pour publier notre rapport, délai pendant lequel le Sénat peut se constituer en comité secret. Le respect de ce devoir de confidentialité est impératif : il est interdit de divulguer ou de publier une information relative aux travaux non publics d'une commission d'enquête sous peine de sanctions pénales.
Si vous l'adoptez, le rapport fera l'objet d'une conférence de presse ce jeudi 6 juillet à quatorze heures.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je ne reviendrai pas sur les circonstances particulièrement dramatiques ayant conduit à la mise en place de ce fonds, car vous les connaissez tous désormais.
Je vous présenterai donc les résultats de nos travaux de contrôle, en vous indiquant que les constats que j'établis et les recommandations que je défends sont bien évidemment partagés par le président Claude Raynal, avec qui j'ai travaillé en étroite collaboration et en parfaite confiance.
Cela étant, je n'irai pas par quatre chemins : nos travaux sur le fonds Marianne ont montré qu'à toutes les étapes de ce projet, le manque de rigueur, l'opacité et l'urgence ont tour à tour conduit au fiasco.
Certains aspects de ce dossier font l'objet de poursuites judiciaires : y a-t-il eu favoritisme, voire détournement de fonds publics au profit d'acteurs qui n'auraient effectué aucun travail ? Si l'on peut s'être fait une idée sur le sujet, il ne nous revient pas de trancher cette question. Nos travaux permettent avant tout d'établir une chronologie précise et d'éclairer les faits, tout en exerçant un contrôle rigoureux de l'usage de fonds publics, comme nous avons l'habitude de le faire dans le cadre de notre contrôle de l'action du Gouvernement.
Tout d'abord, lors de la phase de lancement du fonds Marianne, le sentiment d'urgence a supplanté une réflexion approfondie sur les moyens et les outils à mettre en oeuvre pour lutter contre la haine et le radicalisme sur les réseaux sociaux. Ce sentiment a même écrasé tout le reste.
Ainsi, le cahier des charges de l'appel à projets a été produit très rapidement, ce qui n'a évidemment pas permis de dégager des critères clairs d'objectivation des candidatures et de définir une procédure rigoureuse de sélection. Les projets seront jugés sur leurs orientations, mais pas vraiment sur leurs modalités de mise en oeuvre et leur impact.
Par ailleurs, le directeur de cabinet de la ministre est intervenu pour réduire considérablement les délais que les porteurs de projets devaient respecter pour déposer leurs demandes. Au lieu des soixante-dix jours proposés par l'administration, le cabinet n'a souhaité laisser que vingt jours aux porteurs de projets pour présenter leur dossier, ce qui équivaut à une réduction de 70 % du temps imparti.
Ce resserrement du calendrier n'a pas permis aux associations de structurer correctement leurs projets et de définir des conditions précises d'évaluation de leurs actions, sur le plan tant qualitatif que quantitatif.
De notre point de vue, il est indispensable d'imposer des délais minimaux pour les appels à projets nationaux, qui ne pourront, sauf cas spécifique ou d'urgence avérée, être inférieurs à deux mois à compter de la publication du cahier des charges.
Par ailleurs, le comité de sélection était composé uniquement de membres du secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) et de membres du cabinet de la ministre: tous les intervenants relevaient donc de sphères administratives très proches les unes des autres, et entretenaient des rapports hiérarchiques, administratifs et politiques.
Au regard de cette expérience, nous considérons que l'attribution des subventions - au niveau national - au titre du fonds interministériel de la prévention de la délinquance et de la radicalisation (FIPDR) devrait aussi relever de personnalités extérieures qualifiées disposant par exemple d'une expertise sur les réseaux sociaux et les discours séparatistes.
Plusieurs demandes formulées initialement dans le cadre de l'enveloppe « classique » du FIPDR ont « glissé » - je reprends le terme du directeur de cabinet de la ministre- vers le fonds Marianne. Au total, si l'on retranche les montants qui ont fait l'objet d'un arbitrage lors du comité de programmation du FIPDR du 13 avril 2021, seuls 1,4 million d'euros sur les 2,5 millions d'euros annoncés le 20 avril ont réellement été dédiés à de nouveaux projets.
Nous considérons que cette pratique n'est pas conforme à l'esprit d'un appel à projets, qui vise précisément à faire émerger de nouveaux projets pour un montant équivalent à la totalité de l'enveloppe prévue.
J'en viens à la question majeure de la responsabilité des acteurs.
Il nous semble indispensable de clarifier le rôle de chacun. Le flou qui a entouré les procédures a en effet incité l'ensemble des responsables, politiques ou administratifs, à tenter d'éluder leur responsabilité propre, certains ayant démontré un vrai talent en la matière.
D'abord, il convient de rappeler qu'un ministre, placé à la tête d'une administration, est responsable de l'action de celle-ci, a fortiori lorsque le périmètre d'action des uns et des autres n'est pas clairement établi. De surcroît, quand le cabinet est concerné, il revient au ministre d'assumer l'entière responsabilité politique des décisions prises.
Pour ce qui est du fonds Marianne, les interventions du cabinet se sont multipliées : celui-ci a régulièrement agi, sans que son mandat soit toujours clair, au nom de la ministre déléguée.
Si l'ancien directeur de cabinet de Mme Schiappa a indiqué que « le cabinet a un rôle d'impulsion et de validation, pas d'instruction ni d'exécution », nous nous sommes rendu compte que la réalité est toute autre. Il apparaît très clairement que le cabinet et la ministre déléguée ont outrepassé ce rôle, en appuyant la candidature de l'Union des sociétés d'éducation physique et de préparation militaire (USEPPM) en amont du comité de sélection, en revenant sur l'octroi d'une subvention de 100 000 euros à SOS Racisme, alors même qu'une décision favorable du comité de sélection avait été prise en mai 2021, et en intégrant, sur leur seule initiative, une dernière association.
Permettez-moi de revenir sur chacun de ces trois points.
Concernant l'USEPPM, l'octroi d'une subvention a été envisagé bien en amont de la création et de l'annonce du fonds Marianne. M. Mohamed Sifaoui a en effet été reçu plusieurs fois par le cabinet de la ministre, lequel a ensuite relancé l'administration, au moins à deux reprises, pour s'assurer de la bonne réception du dossier. On peut en conclure que la candidature de l'USEPPM a été, lors de la phase d'instruction, fortement appuyée par le cabinet.
Pour ce qui est de SOS Racisme, la ministre est intervenue pour revenir sur une décision du comité de sélection. Contrairement à ce qu'elle a affirmé, il n'y avait pas de liste complémentaire à valider à ce stade, car la sélection des projets était arrêtée. En outre, le projet qui s'est substitué à celui de SOS Racisme, à propos duquel Mme Schiappa a indiqué qu'il avait été écarté au motif qu'il ne se déroulait pas intégralement en ligne, ne prévoyait pour sa part que des actions de terrain. Au regard de ces éléments, je pense pouvoir dire que, au moins sur ce point, la ministre n'a pas dit la vérité.
J'ajoute que la décision de la ministre et de son cabinet d'attribuer - sans que cela soit proposé par l'administration - une subvention de 20 000 euros à une toute nouvelle association, en lieu et place de SOS Racisme, relève du fait du prince.
Si la mission ne remet pas en cause le rôle de validation dont dispose un ministre, il importe que ce dernier intervienne dans un cadre précis. L'attribution des subventions dans le cadre du fonds Marianne a témoigné d'un mélange des genres qui n'est en aucun cas acceptable.
Aussi, nous proposons que toute interférence du cabinet d'un ministre dans l'instruction des dossiers de subvention soit interdite, et que soit retracée de manière écrite et motivée toute intervention du ministre ou de son cabinet à l'issue de la procédure d'instruction.
S'agissant de l'association Reconstruire le commun, outre les dérives de la structure elle-même, nous considérons que l'administration et le cabinet de la ministre auraient dû être en mesure d'apprécier réellement la capacité à faire et les orientations de l'association. Le versement de but en blanc de centaines de milliers d'euros à des nouveaux entrants, qui n'offrent aucune garantie, n'est assurément pas une méthode à privilégier. Je rappelle que l'association n'avait que quelques mois d'existence en avril 2021, et qu'elle avait déjà bénéficié d'une subvention de 39 000 euros du FIPDR quelques semaines à peine après sa constitution. D'autres démarches, comme celle des incubateurs associatifs, pourraient être envisagées.
Nous proposons de rendre obligatoire la présentation par les associations d'un premier bilan annuel d'activité, dès lors que la subvention qui leur est octroyée est supérieure à 23 000 euros, soit le seuil réglementaire à partir duquel une convention d'attribution est signée.
J'en viens à la phase de contrôle et de suivi de l'exécution des projets, qui a également connu d'importantes défaillances.
L'une des principales difficultés a résidé, dès le départ, dans le manque de personnel au sein du secrétariat général du CIPDR. La charge de travail de la chargée de mission qui suivait les dossiers du fonds Marianne en 2021 était trop importante pour que l'ensemble des projets puissent être étudiés et suivis de manière satisfaisante dans des délais aussi courts. De plus, le secrétariat général ne disposait d'aucun référent chargé d'exercer le contrôle financier interne capable de mener un contrôle sur pièces des associations, et ce jusqu'en septembre 2022. En somme, il n'avait pas les moyens humains suffisants pour garantir le suivi des projets et exercer un contrôle de qualité.
Au-delà de la question des moyens, l'administration a failli à plusieurs reprises dans sa mission de contrôle.
Depuis le début des travaux de l'association en septembre 2021, les productions de l'USEPPM étaient très faibles au regard de la subvention versée ; il semble même que le projet se soit progressivement arrêté entre janvier 2022 et mars 2022, et que le budget alloué au projet ait été manifestement sous-exécuté, ce qui n'a pas empêché le secrétariat général du CIPDR de proposer, en mars 2022, un avenant prolongeant la durée de la convention de plusieurs mois. Nous n'avons du reste aucune preuve que l'USEPPM ait renvoyé l'avenant signé dans les délais impartis.
Pour l'association Reconstruire le commun, aucun avertissement écrit n'a été formalisé concernant les contenus produits par l'association visant des personnalités politiques. La convention attributive de subvention ne prévoit d'ailleurs aucune disposition interdisant ce type de contenus, alors que, dès sa création, l'association était identifiée comme étant « à risque » sur ces sujets.
J'ajoute, pour rester objectif et factuel, qu'avant les révélations par la presse aucun contrôle ne semble non plus avoir été réalisé pour vérifier que les contenus produits étaient réellement en lien avec les objectifs du fonds Marianne. Pourtant, comme vous le savez, il y avait beaucoup à redire sur ce point.
Pour ne plus reproduire ces erreurs, nous avons souhaité formuler plusieurs recommandations.
Nous souhaitons rendre obligatoire la transmission d'éléments de bilans d'étape par les associations sur leurs actions. Nous considérons également qu'il faut préciser, dans les conventions attributives de subventions les objectifs, notamment quantitatifs, des projets. Pour les appels à projets portant sur des sujets sensibles, il nous semble indispensable de définir des lignes rouges à ne pas franchir dans les conventions ; enfin, il est nécessaire de débloquer les subventions accordées de façon échelonnée, en fonction de la mise en oeuvre des projets par les associations.
L'administration n'est pas la seule responsable des lacunes observées dans le contrôle des associations. Les échecs du fonds Marianne sont tout autant le résultat du désinvestissement du pouvoir politique après que les projets ont été sélectionnés. Après son lancement, et à l'exception d'une réunion tenue en décembre 2021, on ne peut distinguer aucun signe d'une véritable implication politique dans la mise en oeuvre du fonds Marianne.
Or les financements en jeu ne sont pas des crédits tout à fait comme les autres. Ils avaient vocation à mettre en oeuvre une politique publique nouvelle de contre-discours sociétal, pour répondre à des enjeux politiques considérés comme prioritaires.
Le faible suivi des projets par l'autorité politique n'est pas de nature à la défausser de sa responsabilité ; il démontre au contraire que l'initiative du fonds Marianne n'a pas été portée jusqu'au bout. Dans ces conditions, le fait de renvoyer la faute sur la seule l'administration n'est pas acceptable. Je le dis sans ambages : abandonner un projet n'a jamais été une excuse pour ne pas en assumer la responsabilité. C'est manquer à sa responsabilité que de se défausser de cette façon.
Bien sûr, toutes ces défaillances, qui nous conduisent à parler de dérive, de gâchis et même d'un fiasco, pour reprendre les termes du président Claude Raynal, ne doivent pas pour autant nous conduire à jeter l'opprobre sur l'ensemble de la politique de promotion des valeurs républicaines.
Oui, le recours à des associations comporte des risques, dès lors que celles-ci ne peuvent pas être considérées comme des prestataires de services du ministère de l'intérieur et qu'elles doivent disposer, par respect pour la liberté d'association, d'une certaine autonomie.
Pour autant, les associations restent des acteurs essentiels de la lutte contre le séparatisme. Elles peuvent mener des actions au plus près du terrain et des personnes, au-delà de ce que les services de l'État peuvent accomplir. Certaines personnes exposées aux théories séparatistes risquent de rejeter des contenus qui seraient produits par l'État ou des structures publiques : de ce point de vue, les interventions des associations sont utiles. Notre collègue Christian Bilhac a utilisé une image à laquelle je souscris : il ne faudrait pas jeter le bébé avec l'eau du bain.
Dans la mesure où l'une des faiblesses du fonds Marianne tient à l'absence de garanties quant à la pérennité des financements, il est préconisé de renforcer le cadre pluriannuel du financement public des actions de soutien aux associations, qui relaient un discours défendant les valeurs de la République sur les réseaux sociaux. Ce soutien n'exclut toutefois pas d'engager une réflexion sur la répartition des rôles entre les acteurs associatifs et les services administratifs dans le cadre de la stratégie de contre-discours de l'État.
Enfin, plusieurs associations ont confirmé devant la mission d'information l'importance de rester discret au sujet des financements publics, faute de quoi elles risquent d'être labellisées « ministère de l'intérieur » par le grand public et de perdre ainsi en crédibilité, voire de se trouver menacées dans leurs actions.
Or le fonds Marianne a été conçu comme une opération de communication. Alors même que la discrétion et l'efficacité auraient dû constituer les lignes directrices du fonds Marianne, la ministre a fait le choix d'une communication médiatique d'ampleur. Même si le nom des associations lauréates n'a pas été révélé dès le départ, la communication qui a été organisée autour du fonds a tellement attiré l'attention que la liste des associations subventionnées a fini par être rendue publique.
Nous pensons qu'il faut limiter au strict nécessaire la communication du ministère sur le financement des partenaires associatifs dans le cadre de la lutte contre le séparatisme sur les réseaux sociaux.
Nos travaux dressent le tableau des échecs de la politique menée par le Gouvernement. C'était notre rôle au regard des alertes qui nous avaient été transmises.
Cependant, je souligne que certaines des associations subventionnées par le fonds Marianne ont fait un véritable travail et ne sauraient être mises en cause. Malheureusement, le label, c'est le mot du préfet Gravel, du fonds Marianne est aujourd'hui devenu un véritable fardeau.
Le fonds a été lancé avec autant de désinvolture que d'emphase médiatique. Cette désinvolture repose aujourd'hui sur les épaules de personnes qui se sont engagées au service de nos valeurs. Pour eux, nous ne pouvons que regretter les conséquences de cette affaire : il faut espérer qu'en dépit de l'image désastreuse imprimée par le Gouvernement aucun d'entre eux ne se décourage de porter un message de défense de la République face aux séparatismes.
En conclusion, je précise que notre mission d'information est loin d'avoir épuisé le sujet du fonds Marianne, puisque l'inspection générale de l'administration devrait bientôt rendre ses travaux, et que le parquet national financier (PNF) poursuit ses investigations et aura à déterminer les responsabilités pénales de chacun.
Nous ne pouvons, pour notre part, qu'espérer que nos travaux permettront de mettre en lumière toutes les dérives d'un fonds qui, parti d'une idée aussi généreuse que vertueuse, s'est rapidement transformé en un coup politique qui a débouché sur un fiasco retentissant.
Nos recommandations concrètes ne demandent qu'à être appliquées. Pour autant, nous espérons que le CIPDR, qui met en oeuvre des politiques publiques essentielles, ne sortira pas trop affaibli de toute cette affaire. De même, il ne faudrait pas que la politique de subvention de la vie associative ne pâtisse de cet échec. Il restera ensuite à chaque acteur de prendre ses responsabilités.
À l'issue de cette réunion, je vous proposerai, en accord avec le président Raynal, de donner le titre suivant à ce rapport : « Le fonds Marianne : la dérive d'un coup politique. » Je crois qu'il résume en quelques mots le gâchis constaté, l'impression de rendez-vous manqué, ainsi que le manque d'éthique observé, éthique qui aurait pourtant dû présider à la promesse faite à la France par la ministre.
Au cours de cette commission d'enquête, chacune des auditions a apporté son lot de révélations, au point que certains ont indiqué qu'elle mériterait une série Netflix ; je me contenterai pour ma part de confirmer que ces travaux ont été passionnants, même s'ils me laissent beaucoup d'amertume, compte tenu de l'idée généreuse qui a motivé le lancement du fonds Marianne.
Mme Christine Lavarde. - J'étais sceptique, au départ, sur l'intérêt pour notre commission de créer une mission d'information dotée des prérogatives de commission d'enquête, au regard, notamment, du niveau relativement faible des montants financiers en jeu.
Or j'ai pris le temps de lire le rapport, et l'on y découvre une multitude d'erreurs, une suite de décisions ayant conduit à une très mauvaise gestion des deniers publics.
Il ne s'agit nullement d'un procès, mais d'une photographie assez factuelle de la chronologie des événements, de la description précise d'une succession de comportements inappropriés, et ce alors même que l'administration - les fonctionnaires - avait fait son travail, en faisant part à plusieurs reprises, par des notes, de ses réserves quant à l'intérêt de subventionner telle ou telle association très nouvellement créée.
Quant aux recommandations formulées dans le rapport, elles semblent d'un tel bon sens que l'on s'étonne qu'elles ne soient pas déjà applicables. Doit-on pour autant en conclure que la ministre et son cabinet étaient trop inexpérimentés pour connaître les bons usages ? Il reste évidemment à répondre à cette question.
En définitive, je tiens à vous féliciter d'avoir conduit ces travaux de manière aussi objective : personne ne pourra vous soupçonner d'avoir voulu jeter des braises sur le feu.
M. Roger Karoutchi. - Je me joins aux félicitations adressées à notre rapporteur, d'autant que cette mission d'information n'était pas si facile. En effet, quel gouvernement ou quel ministre, de quelque orientation qu'il soit, n'essaie pas d'imprimer sa marque à telle ou telle politique ? Après tout, le fait de vouloir faire un coup politique ou médiatique n'a rien de tout à fait nouveau...
Ce qui m'a frappé, en revanche, c'est cette volonté de l'exécutif de créer un fonds spécifique, de collaborer avec des associations nouvelles, alors qu'il existait un certain nombre d'acteurs et d'instances associatives qui travaillaient déjà dans ce secteur, et qui auraient pu poursuivre utilement leur action.
Certes, comme l'a dit le rapporteur, un ministre est responsable de son cabinet, mais il est tout de même assez fréquent que ledit cabinet prenne des initiatives qui ne remontent pas jusqu'à lui. Faut-il pour autant demander à ce que soient formalisés, sous la forme de notes écrites, tous les échanges, toutes les interactions entre un membre du gouvernement et son entourage ? Je crains que l'on n'alourdisse considérablement, voire que l'on paralyse l'action des ministères.
Quoi qu'il en soit, j'observe que la ministre, en demandant elle-même à ce que le fonds Marianne dépende directement d'elle et de son cabinet, a évidemment engagé sa responsabilité. Cela veut dire que ce n'est pas un simple coup médiatique, mais le nouveau mode d'organisation qu'elle a mis en place qui a conduit à l'échec. À partir du moment où Mme Schiappa a cherché à se mettre en avant, où elle a remis en cause le cheminement administratif, elle a de fait pris la responsabilité de toute cette affaire, ce que le rapport d'information démontre parfaitement. S'il faut veiller à ne pas geler l'action des ministères en renforçant le formalisme des échanges, lorsqu'il y a une responsabilité directe du ministre, celle-ci doit pouvoir être clairement démontrée.
Mme Isabelle Briquet. - Je vous remercie pour la qualité de ce rapport d'information très circonstancié.
Pour ma part, j'ai assisté à la quasi-totalité des auditions, hors celle de M. Sifaoui, qui a été repoussée à plusieurs reprises. Je peux dire que ce rapport retranscrit l'intégralité de ce qu'elles ont révélé. L'intitulé du rapport d'information est de ce point de vue parfaitement choisi.
Le fonds Marianne est une opération de communication qui, je le rappelle, a été lancée à la suite de l'assassinat de Samuel Paty et qui, de ce fait, n'avait pas le droit à l'échec. Le fiasco que nous observons est désolant à au moins deux titres.
Tout d'abord, on a sérieusement écorné un symbole, en ne permettant pas à l'État d'agir comme il le devrait en réaction à un tel événement dramatique.
Ensuite, l'opération de communication a été franchement contre-productive. À cet égard, la recommandation qui consiste à imposer une forme de discrétion autour du choix et du suivi de ces subventions me semble de bon sens : l'excès de communication a nui aux actions engagées dans le cadre de la lutte contre les séparatismes. Face à la montée de certains extrémismes, l'efficacité des politiques publiques n'est pourtant pas de trop.
M. Daniel Breuiller. - Je veux à mon tour féliciter le rapporteur Jean-François Husson et le président Claude Raynal pour la maîtrise dont ils ont fait preuve tout au long des travaux de cette mission d'information.
Je suis tout à fait favorable au titre du rapport qui a été proposé par le rapporteur. Tout comme ma collègue Isabelle Briquet, j'ai assisté à la plupart des auditions ; j'ai donc lu le rapport avec intérêt.
Je suis d'abord frappé par ce qui arrive à la ministre : quand on cherche la lumière, on doit accepter de prendre l'ombre lorsqu'il y a de l'ombre. Au fond, elle a décidé de faire remonter toutes les décisions au niveau du cabinet, c'est-à-dire à son niveau, en mélangeant les rôles d'instruction et de validation.
Cela dit, le choix de s'appuyer sur des associations pour porter le contre-discours républicain me semble opportun, tant il est évident que les institutions politiques et administratives ont du mal à instaurer le dialogue. Je suis d'autant plus marri de ce qui arrive à certaines associations à cause de cette affaire que l'idée que ces structures conduisent la bataille sur les réseaux sociaux mérite d'être soutenue.
Enfin, je suis assez atterré que le combat pour nos valeurs républicaines soit livré par des acteurs ayant une telle étroitesse de vue. Pour parvenir à mobiliser toute la société autour de la lutte contre le séparatisme, il faut cesser de ne sélectionner que des associations dont l'orientation est proche de ses propres idées. Ce n'est pas le sujet de notre mission, mais il s'agit d'un véritable sujet d'interrogation. Je me demande comment on a pu confier à M. Sifaoui la formation d'agents de l'État, au regard de l'étroitesse de sa pensée.
Je vous remercie encore une fois pour la très grande clarté de ce rapport, digne en effet du scénario d'une série Netflix !
M. Rémi Féraud. - Je souhaite à mon tour saluer le travail réalisé par le président Claude Raynal et le rapporteur Jean-François Husson.
Cette mission d'information souligne l'importance du rôle de notre institution en matière de contrôle de l'action du Gouvernement, alors que cela n'avait rien évident au départ, certains d'entre nous ayant des hésitations, au vu notamment de la faiblesse des enjeux financiers en jeu.
Ce rapport traite de la question de la responsabilité politique, et même de l'irresponsabilité politique. Chacun voit bien que l'ensemble du processus ayant conduit à la mise en place et au suivi du fonds Marianne s'est déroulé « à la bonne franquette », si je puis dire - je reprends le titre de l'une des rubriques vidéo de l'association Reconstruire le commun.
Aux dérives, qui existaient dès l'origine, il faut ajouter une regrettable confusion entre vitesse et précipitation, ainsi que la volonté de faire de la communication autour du recyclage de crédits budgétaires et de projets existants. Mis bout à bout, ces éléments ont conduit à un résultat désastreux.
Même si les sommes en jeu peuvent sembler faibles, nous soulevons ici une question de principe.
Le rapport d'information est utile par les recommandations qu'il comporte, en particulier pour améliorer les procédures d'appels à projets. Il ne jette pas le bébé avec l'eau du bain quant à la nécessité de tenir un discours contre la radicalisation et pour la République.
Enfin, nous avons voté pour la première fois, dans le cadre de la mission « Action extérieure de l'État », une ligne de crédits destinés au ministère des affaires étrangères pour lutter contre le discours anti-français, notamment en Afrique. Je pense qu'il sera très intéressant cet automne, lors de l'examen du prochain projet de loi de finances, de contrôler la manière dont ces crédits ont été utilisés.
M. Pascal Savoldelli. - J'ai hélas peu participé aux travaux de la mission d'information, mais je tiens à souligner le grand sérieux de ce rapport, qui démontre une fois de plus la victoire de la communication politique sur l'action publique. S'il faut savoir faire preuve d'humilité, il importe de tirer des enseignements qui vont au-delà de cette très mauvaise expérience.
Le rapport, très fouillé, présente des principes pour lier l'action publique et la vie associative. Lorsque l'affaire est sortie, j'étais plus inquiet pour la vie associative que pour la ministre. La crise actuelle de la démocratie représentative touche également - on l'oublie trop souvent - les structures associatives.
Enfin, le rapport met en lumière, de manière intéressante, l'équilibre complexe qui existe entre un cabinet ministériel et son administration. Il nous permet ainsi de disposer de points de repère solides quant au périmètre et aux responsabilités que les uns et les autres devraient respecter. La question se pose également dans les collectivités quant au rôle du cabinet et de l'administration.
M. Claude Raynal, président. - Ma première remarque porte sur ce que certains - dont j'ai d'ailleurs fait partie ! - ont qualifié de montants « faibles » pour parler des crédits versés par le fonds Marianne.
En réalité, cette notion peut être très différemment appréciée selon l'angle où l'on se place : si notre commission des finances est habituée à aborder des sujets représentant des milliards d'euros, il faut bien admettre que, pour le reste de la population, 2,5 millions d'euros, ce n'est pas rien ! Il faut veiller, me semble-t-il, à ne pas trop diffuser cette idée qu'une telle somme est modique, au risque de choquer - à juste titre - une partie de nos concitoyens.
J'ajoute que, pour une large part du monde associatif, les subventions d'un faible montant - moins de 1 000 euros - sont la règle. Ce sont d'ailleurs les acteurs associatifs qui se sont étonnés qu'une structure n'ayant que quelques mois d'existence puisse obtenir un budget de plusieurs milliers d'euros, ce qui est le cas dans l'affaire qui nous occupe.
En outre, ce rapport traite - Roger Karoutchi et Pascal Savoldelli l'ont évoqué - des excès de la communication politique, de cette maladie infantile du politique, qui consiste à traiter un problème par une action du ministre et de son cabinet, suivie d'une communication rapide. Manifestement, l'affaire du fonds Marianne prouve que cette manière de fonctionner touche à ses limites.
En définitive, ce qui m'a le plus choqué, c'est la réponse faite par la ministre lorsqu'elle a déclaré qu'elle s'était contentée de donner l'impulsion, sous-entendant que l'intendance aurait dû suivre.
Nous, qui pour beaucoup avons été maires ou membres d'un exécutif, savons que cela ne fonctionne pas ainsi et que toute décision, pour qu'elle soit correctement mise en oeuvre, doit faire l'objet d'un suivi précis. La vision qui consiste à lancer un projet et à demander à l'administration de se débrouiller est extrêmement problématique, et elle l'est d'autant plus que ce projet a été présenté comme une réponse à un événement dramatique, qui a marqué les Français.
Un ministre doit évidemment se préoccuper de la réalisation concrète de l'action qu'il a engagée. Au lieu de renvoyer à l'administration et d'indiquer qu'elle n'était pas informée, il aurait été tellement plus simple que Mme Schiappa reconnaisse, pour certains aspects au moins, sa responsabilité. Au-delà des maladresses des uns et des autres dans ce dossier, l'incapacité de Mme Schiappa à reconnaître ses responsabilités a contribué à tendre les débats, et dénote une mauvaise gestion du ministère.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Il est indispensable de resituer le contexte qui nous a conduits à envisager la constitution de cette mission d'information assortie des pouvoirs d'une commission d'enquête.
Claude Raynal a pris l'initiative, à la suite des révélations faites par la presse sur l'affaire du fonds Marianne, de mener un premier exercice de contrôle, avant d'engager une réflexion plus générale sur l'intérêt d'enquêter sur des éléments qui nous ont semblé, dès le départ, très troublants. Nous avons d'ailleurs fait le choix, par la suite, d'être proche d'un format de co-rapporteurs dans les travaux.
Au moment du lancement des travaux, nous avons hésité, notamment lorsque le Parquet national financier (PNF) a annoncé qu'il ouvrait une information judiciaire sur des soupçons ou pour des motifs qui laissaient peu de place à notre enquête.
Nous avons alors décidé d'interroger le garde des sceaux sur les marges de manoeuvre dont nous disposions, et avons estimé, au vu de sa réponse, que l'enquête ouverte par le PNF nous laissait un espace de travail suffisant si nous parvenions à rester dans le périmètre que nous nous imposions et à éviter les écueils.
La force de notre démarche a reposé sur sa dimension factuelle et sa précision.
Nos travaux, en particulier les auditions de Christian Gravel et de Marlène Schiappa, ont été utiles de ce point de vue : ils ont permis de confronter les récits, les points de vue, de mettre en évidence l'amnésie, la provocation, voire l'irrespect et le mépris de certaines des personnes auditionnées.
Nous avons tenu notre ligne dans la sérénité, ce qui a conduit une partie de l'opinion à reconnaître le sérieux de notre approche : loin de nous ériger en juges, nous avons exercé un contrôle strict des faits qui nous ont été signalés, ce qui est une lueur d'espoir pour la vitalité de notre démocratie.
Je remercie l'ensemble de nos collègues d'avoir exprimé leur satisfaction quant au contenu du rapport et aux équilibres que nous avons retenus.
Ce rapport n'est pas un coup de communication facile. Nous souhaitions en rester à ce qui est le plus important à nos yeux : respecter le sens de notre mission et accomplir notre travail avec sérieux et objectivité.
J'en profite pour dire à Roger Karoutchi que je suis d'accord avec ce qu'il a décrit concernant le coup politique. Toutefois, je lui ferai remarquer qu'il a fallu témoigner d'une patience d'ange pour écouter la ministre tout au long de ses trois heures d'audition : elle ne se souvenait de rien, ne s'était occupée de rien, ni avant, ni pendant, ni peu après la création du fonds, alors même qu'il y avait - le secrétaire général adjoint du CIPDR l'a méthodiquement démontré - beaucoup à redire...
En réponse à notre collègue Daniel Breuiller sur la question du recours à des associations, c'est un sujet très complexe, qui pose la question de la place et du rôle à donner aux associations dans la lutte contre les séparatismes.
J'ai noté la remarque de Rémi Féraud à propos des crédits alloués dans le cadre du projet de loi de finances pour combattre les discours anti-français. Ce sujet est, me semble-t-il, digne d'intérêt.
Pour répondre à Pascal Savoldelli sur la répartition des rôles entre le cabinet et l'administration, je répondrai de façon un peu abrupte, qu'il y a eu une volonté d'avoir une maîtrise directe du cabinet et de la ministre sur les décisions. Il y a d'ailleurs eu une erreur de la ministre sur ce point : avant sa nomination comme ministre déléguée en charge de la citoyenneté, le SG-CIPDR était déjà placé sous l'autorité du ministre de l'intérieur.
À partir du moment où la ministre a souhaité mettre en lumière son action et que les choix réalisés sont de nature très politique, il faut, selon la formule de Daniel Breuiller, qu'elle accepte aussi les zones d'ombre.
M. Claude Raynal, président. - Nous passons désormais à l'examen des deux propositions de modification que Jean-François Husson et moi-même avons déposées.
Notre proposition de modification n° 1 précise que les critères de sélection ont vocation à être développés dans les conventions.
La proposition de modification n° 1 est adoptée.
M. Claude Raynal, président. - Notre proposition de modification n° 2 prévoit que l'administration s'assure, avant le premier versement d'une subvention, que les cofinancements avancés par les porteurs de projets existent. Si l'on ne s'en assure pas, on risque de se retrouver avec des projets qui sont finalement avortés.
La proposition de modification n° 2 est adoptée.
M. Claude Raynal, président. - Avant d'en venir au vote sur le rapport, je vous indique que je vous propose, en accord avec le rapporteur, de saisir le parquet national financier d'un complément d'information en application de l'article 40 du code de procédure pénale, en lui transmettant notamment les comptes rendus des auditions devant la mission d'information de MM. Cyril Karunagaran et Mohamed Sifaoui, ainsi que plusieurs documents communiqués à la mission, notamment le paiement d'une facture de la société R & K, datée du 15 décembre 2020, pour des prestations de communication.
M. Claude Raynal, président. - Il m'appartient désormais de vous demander votre accord pour la publication du compte rendu de notre réunion.
M. Claude Raynal, président. - Nous passons maintenant au vote sur l'ensemble du rapport qui vous est soumis.
La mission d'information adopte le rapport d'information, ainsi que les annexes, et en autorise la publication.
Mission d'information sur les modes de financement des autorités organisatrices de la mobilité (AOM) - Communication
M. Claude Raynal, président. - Nous poursuivons nos travaux avec la présentation du rapport de la mission d'information sur les modes de financement des autorités organisatrices de la mobilité (AOM).
M. Stéphane Sautarel, rapporteur. - Comment financer le choc d'offre des mobilités du quotidien attendu par nos concitoyens et indispensable au respect de nos engagements climatiques ? C'est avec une grande humilité que nous partageons nos constats et nos recommandations, car, si tous les acteurs reconnaissent que les AOM se trouvent au pied d'un mur de dépenses à venir, en investissement comme en fonctionnement, les données précises en la matière sont difficiles à obtenir. De plus, si beaucoup appellent à remettre complètement à plat le modèle de financement actuel, jusqu'à présent personne n'a été en mesure de proposer une vraie réforme globale et opérationnelle.
Malgré ces réserves et ces difficultés, et peut-être même plus encore du fait de celles-ci, cette mission d'information s'imposait, tant les faisceaux d'éléments dont nous disposons convergent pour rendre impératif le développement massif des mobilités du quotidien, aux conséquences considérables sur les dépenses prévisionnelles des AOM, en investissement comme en fonctionnement.
Sans chercher à être exhaustif, je citerai les impératifs de la transition écologique et de nos engagements climatiques, qui supposent d'augmenter l'offre d'au moins 20 % d'ici à 2030, la mise en place des zones à faibles émissions (ZFE), la nécessité de raccorder efficacement les zones périphériques et périurbaines aux agglomérations, le développement de solutions de mobilité en zones rurales dans une perspective d'équité territoriale, la rénovation de réseaux anciens, notamment de tramways, le développement des projets de réseaux express régionaux (RER) métropolitains, rebaptisés depuis « services express régionaux métropolitains », et bien entendu le retour d'un contexte d'inflation qui se manifeste d'autant plus fortement dans le secteur des transports en raison des difficultés de recrutement et du coût de l'énergie. Cette liste, incomplète, illustre le défi financier colossal qui attend les AOM dans les années à venir.
Au moins 100 milliards d'euros : telle est la hauteur du mur d'investissements qui se dresse devant les AOM d'ici à 2030. Les besoins des AOM locales et régionales pourraient avoisiner les 60 milliards d'euros, 30 milliards d'euros pour les dépenses d'investissement et autant pour les dépenses de fonctionnement. S'agissant de l'augmentation de ces dernières, le choc d'offre pourrait coûter 18 milliards d'euros aux AOM locales et 11 milliards d'euros aux AOM régionales.
Pour Île-de-France Mobilités (IDFM), le mur dépassera les 50 milliards d'euros, avec 30 milliards d'euros d'investissements et 20 milliards d'euros de majoration des dépenses de fonctionnement.
Au vu de telles prévisions, il apparaît clairement que le modèle de financement actuel n'est plus adapté, car il ne permettra pas de financer ce choc d'offre. Le financement des AOM locales repose aujourd'hui sur un triptyque déjà sous tension, qui ne suffira pas à absorber le mur de nouvelles dépenses à venir. La moitié de ce financement est assurée par les entreprises, essentiellement par l'intermédiaire du versement mobilité, spécificité nationale qui constitue le pilier essentiel du financement des mobilités du quotidien en France ; les collectivités locales contribuent, quant à elles, à environ 30 % des dépenses, tandis que la part des usagers dans le financement est inférieure à 20 %.
Habituellement, l'État ne contribue que marginalement, à hauteur d'environ 2 %, au financement des AOM locales, essentiellement au moyen des appels à projets de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France) destinés à cofinancer les infrastructures de réseaux de transports collectifs en site propre. Depuis 2020, pour les accompagner face à la crise sanitaire puis inflationniste, l'État a attribué des aides exceptionnelles aux AOM. Cependant, le choix de recourir à des avances plutôt qu'à des subventions n'est pas sans conséquence sur l'endettement et la situation financière des AOM, réduisant leurs capacités d'intervention au moment même où elles doivent considérablement développer leurs offres.
Alors qu'en prenant en compte la dynamique naturelle des recettes à norme constante le besoin de financement en fonctionnement des AOM locales devrait avoisiner 10 milliards d'euros d'ici à 2030, le modèle de financement actuel sera insuffisant.
Le financement des 30 milliards d'euros de dépenses d'investissement des AOM locales présente aussi de nombreuses incertitudes, en raison notamment des négociations européennes actuelles concernant l'interdiction de vente des bus thermiques, y compris ceux fonctionnant au gaz naturel pour véhicule (GNV). La Commission européenne, soutenue par le Gouvernement, souhaite en fixer l'échéance à 2030 ; outre que l'opérationnalité même de cette date est contestée, cette dernière constitue une véritable « épée de Damoclès » pour les AOM, qui seraient exposées à une forte inflation de leurs dépenses d'investissement. Alors même que, de façon difficilement compréhensible, le Gouvernement abandonne les AOM dans ces négociations, il ne leur propose aucun concours financier en contrepartie.
Actuellement, malgré les avertissements du Sénat lors de l'examen de la loi d'orientation des mobilités (LOM), les grands oubliés du système de financement des mobilités du quotidien restent les zones rurales. Cette situation ne peut pas perdurer. Au nom de l'équité territoriale, et pour ne pas continuer de pénaliser le pouvoir d'achat de leurs habitants, l'assignation à résidence de ces territoires doit être levée, ce qui implique de leur attribuer des financements.
Aujourd'hui, les régions ne disposent d'aucune ressource dédiée pour financer la hausse prévisionnelle de 11 milliards d'euros des dépenses de fonctionnement qu'elles consacrent à leurs missions d'AOM. Alors que leur mode de financement reste très flou à ce stade, la construction du modèle économique des RER métropolitains devra éviter de reproduire l'erreur du Grand Paris Express : il faut prendre en compte dès à présent les dépenses d'exploitation que ces projets vont occasionner.
S'il a pris le parti contestable d'intégrer dans ses hypothèses initiales une indexation du passe Navigo sur l'inflation, ce qui conduit à réduire artificiellement le besoin réel de financement d'IDFM à norme constante, le récent rapport de l'inspection générale des finances et de l'inspection générale de l'environnement et du développement durable a confirmé que l'AOM francilienne se trouve dans une impasse financière, qui se traduit par un besoin de financement cumulé de près de 10 milliards d'euros d'ici à 2030.
M. Hervé Maurey, rapporteur. - Pour chacun des périmètres des AOM locales, régionales et francilienne, les prévisions de dépenses nécessaires au choc d'offre devant être déployé d'ici à 2030 imposent une profonde refonte des modèles de financement. Tel est le sens des recommandations que nous vous soumettons, qui s'articulent en six axes majeurs.
Tout d'abord, nous recommandons d'améliorer la performance économique des transports du quotidien. Avant même de réfléchir à réformer le modèle de financement des AOM, il convient de s'intéresser aux dépenses et d'actionner tous les leviers susceptibles de dégager des économies, encore très insuffisamment mobilisés. Il existe un gain potentiel de performance du côté des opérateurs de transport, notamment de la SNCF, dont l'activation pourra être stimulée par les processus en cours d'ouverture à la concurrence.
Des marges de manoeuvre doivent également être considérées du côté des gestionnaires d'infrastructures, au premier rang desquels SNCF Réseau. À l'occasion de la présentation de notre rapport d'information sur la situation de la SNCF et ses perspectives en mars 2022, nous avions présenté un ensemble de recommandations visant à améliorer la performance de SNCF Voyageurs et de SNCF Réseau, qui doivent, selon nous, être appliquées d'urgence pour que la compétitivité des services conventionnés de transport ferroviaire, trains express régionaux (TER) et Transilien, se rapproche enfin des standards européens.
Par ailleurs, des marges d'économie et de productivité existent au niveau de la lutte contre la fraude : le Gouvernement n'a toujours pas publié un décret d'application de la loi Savary, pourtant promulguée il y a plus de sept ans. Ces marges représentent plusieurs dizaines de millions d'euros pour les seules AOM locales et régionales, voire jusqu'à 300 millions d'euros si l'on prend en compte tout le périmètre des transports dont la grande vitesse.
Un deuxième axe consiste à mobiliser des ressources existantes. Plusieurs d'entre elles, notamment le fonds vert et les certificats d'économies d'énergie (C2E), ont vocation à être affectées à des projets environnementaux, mais ne sont que très marginalement orientées vers les transports en général et vers les AOM en particulier. C'est incompréhensible : il faut flécher une part de ces ressources vers les investissements des AOM. Selon ce principe, 300 millions des 2 milliards d'euros de crédits du fonds vert auraient pu être affectés aux AOM, ainsi qu'environ 750 millions d'euros par an au titre des C2E.
Le troisième axe de nos recommandations vise à consacrer des moyens budgétaires nationaux pour que la mobilité du quotidien devienne vraiment une priorité. Contrairement à ce qui se passe ailleurs en Europe, l'État ne participe que de façon marginale au financement des mobilités du quotidien ; il nous paraît essentiel qu'il érige celles-ci comme de véritables priorités. Il ne suffit pas de l'affirmer, comme il le fait régulièrement : il faut aussi concrétiser ces affirmations par des mesures budgétaires à la hauteur des enjeux.
Nous proposons ainsi une réforme des péages ferroviaires, destinée à nous aligner sur les systèmes qui existent ailleurs en Europe, ce qui apporterait aux régions un bol d'air de près de 8 milliards d'euros d'ici à 2030.
Nous suggérons également un allégement des remboursements des avances versées dans le cadre de la crise sanitaire, pour un bénéfice de 300 millions d'euros en faveur des AOM locales et de 1 milliard d'euros pour Île-de-France Mobilités.
Nous souhaitons également des dotations ciblées de 100 millions d'euros par an vers les zones rurales, jusqu'en 2030, pour résoudre l'équation financière à laquelle sont confrontées les AOM.
Le rapporteur général a eu l'occasion de signaler, dans son rapport sur le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2022, que les rendements croissants des mises aux enchères des quotas d'émissions carbone n'étaient que très insuffisamment orientés vers la transition écologique, en contradiction avec les obligations européennes. Nous proposons ainsi d'en affecter 3,5 milliards d'euros à un fonds pour la transition écologique des transports du quotidien, qui flécherait au moins 1 milliard d'euros de cette somme à une aide au verdissement des flottes de bus des AOM.
Le quatrième axe de nos recommandations tend à consolider le modèle existant : nous proposons, selon des zonages décidés par les AOM, d'autoriser des déplafonnements territorialisés des taux du versement mobilité, strictement conditionnés à des développements de l'offre de transports. Il nous semble aussi nécessaire, comme le Sénat l'avait voté dans la LOM, d'autoriser les AOM rurales qui n'organisent pas de services réguliers de transport public à pouvoir lever le versement mobilité à des taux moins importants. Ces évolutions pourraient dégager 1,5 milliard d'euros de financements supplémentaires pour les AOM locales d'ici à 2030, et autant pour IDFM.
Le cinquième axe a trait à la création de nouvelles recettes. Nous proposons de compléter le modèle de financement actuel par de nouvelles taxes sur les plus-values immobilières créées par les offres de transports et sur les livraisons liées au e-commerce, dont la pertinence économique fait l'objet d'un large consensus.
Il nous semble aussi nécessaire de majorer la taxe de séjour sur les hébergements haut de gamme pour en affecter le produit aux AOM. Le rendement annuel prévisionnel d'une telle majoration pourrait atteindre 200 millions d'euros en Île-de-France, et autant pour le reste de la France.
Une affectation d'une fraction du produit de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) répartie entre AOM dans une logique de péréquation viendrait compléter la couverture des besoins de financement en fonctionnement des AOM. Elle s'ajouterait à l'affectation aux AOM d'une nouvelle taxe sur les sociétés concessionnaires d'autoroutes qui, d'après les estimations gouvernementales, pourrait dégager un rendement cumulé d'au moins 2 milliards d'euros d'ici à 2030. Comme le rendement de la TICPE est appelé à diminuer, cette baisse serait compensée à terme par une augmentation de la taxation des sociétés concessionnaires d'autoroutes, qui pourrait être revue à l'échéance des concessions en cours.
Nous recommandons aussi la création d'un grand emprunt destiné à la transition des mobilités du quotidien. Nous considérons que les enjeux à la fois globaux et de proximité de cette transition seront de forts leviers pour mobiliser l'épargne populaire.
Enfin, notre sixième axe de recommandations concerne des propositions complémentaires pour Île-de-France Mobilités, qui bénéficiera largement de ces premières mesures, à hauteur de 8 milliards d'euros d'ici à 2030. Cependant, sa situation particulière exige de prendre des dispositions spécifiques, qui passent notamment par une mobilisation de la Société du Grand Paris (SGP) à hauteur de 180 millions d'euros par an, principalement au moyen d'une diminution de la redevance devant lui être versée par Île-de-France Mobilités à compter de 2026.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - J'avais pensé à ce thème de travail lors de notre débat sur Île-de-France Mobilités dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances, pour deux raisons. D'une part, l'organisation et le financement des transports dans Paris et la région parisienne sont des sujets majeurs. D'autre part, le système, aujourd'hui contraint et enserré, sera soumis à des injonctions contradictoires, avec des ressources insuffisantes. Il n'y a pas de solution évidente, et il faut réfléchir.
Selon leurs recommandations, les rapporteurs proposent, pour trouver des ressources, d'ajouter des contributions nouvelles. Cela nous rappelle nos débats de 2017 autour de feu la taxe carbone, la « contribution climat-énergie ». En définitive, un mauvais coup a été porté avec la volonté d'accélérer cette taxe carbone dans le seul objectif d'obtenir plus de rentrées fiscales, et nous avons doublement joué perdant : nous avons conclu à l'arrêt de cette taxe, et depuis cette date le sujet n'a pas été repris. Il faut innover. De nombreuses pistes intéressantes viennent d'être proposées : il faut imaginer des solutions, mais elles ne seront jamais faciles à mettre en oeuvre.
Il faut aussi trouver des équilibres entre Paris et les autres territoires - métropoles, agglomérations, territoires ruraux peu denses. Les auditions et le rapport montrent le retour de la question des cars, qui ont été largement réduits, mais peuvent constituer une solution. Votre excellent rapport met sur la table de nombreuses pistes. Je vous invite à anticiper les arbitrages douloureux que nous devrons faire lors du prochain projet de loi de finances : il ne me semble pas que nous pourrons mettre en oeuvre l'ensemble des solutions proposées dans un délai aussi rapide. Ce débat doit en tout cas nous permettre de diffuser ces solutions, en regardant les comptes de la France et des collectivités territoriales.
M. Roger Karoutchi. - J'aurais aimé que le rapport insiste sur la responsabilité de l'État. L'idée du Grand Paris Express, lancée sous Nicolas Sarkozy, poursuivie sous François Hollande et Emmanuel Macron, était simple : pour couvrir les dépenses d'investissement de ce système de desserte extrêmement lourd et coûteux, créer la Société du Grand Paris, en réalité financée par des taxes complémentaires pesant sur les Franciliens, sans que les dépenses de fonctionnement ne soient en aucun cas prévues. Résultat : l'État a lancé un grand projet, les Franciliens ont financé l'investissement, mais les dépenses de fonctionnement augmenteront au fur et à mesure que les lignes nouvelles seront transférées à IDFM, sans augmentation supplémentaire, pour le moment, du passe Navigo. En conséquence, IDFM manquera clairement de moyens financiers dans les prochaines années, alors qu'en même temps on lui demande de renouveler les matériels, de prolonger les lignes, de rénover les stations. Sincèrement, avec quel argent ?
L'une des pistes immédiates consiste à réduire la redevance d'IDFM envers la SGP, qui est actuellement de 280 millions d'euros par an. Vous proposez de la réduire de moitié, mais je serai tenté de proposer de la supprimer entièrement, puisqu'à terme, ce sera de toute façon IDFM qui paiera tout ! La SGP pourrait envisager que le remboursement global soit allongé de quelques décennies : rappelons-nous que le remboursement des travaux du métro a pris un siècle...
Je suis d'accord pour une majoration de la taxe de séjour, mais soyons francs : par rapport au mur d'investissements devant nous, les mesures proposées sont très insuffisantes. Pour IDFM, je ne vois pas d'autre solution financière immédiate que la prise en charge par l'État d'au moins une partie des coûts de fonctionnement qu'il a imposés, ou que de demander à la SGP une solution de remboursement plus longue.
Dans notre assemblée, lorsqu'il a été question d'augmenter les taux du versement mobilité, il n'y a pas eu d'unanimité ; remettre à plat la carte de ses taux en Île-de-France représente un travail titanesque.
Ce rapport propose des éléments de solution, et met toutes les questions sur la table. Il faut maintenant le courage politique d'aller jusqu'au bout.
M. Charles Guené. - Je remercie les rapporteurs de leur étude exhaustive. Dans le monde rural, les problèmes de mobilité n'ont pas la même signification qu'ailleurs. La possibilité d'un versement mobilité, même modique, dans les zones rurales reculées ne devrait pas conduire à faire encore cotiser les entreprises en zones rurales, sans qu'elles ne bénéficient de rien. Lorsque nous avons discuté du transfert de la compétence AOM et de son financement, tout le monde a botté en touche.
La plupart des solutions proposées font appel à la dépense publique, or nous sommes fortement contraints de ce côté. Vous avez indiqué que la part de financement par les usagers est inférieure à 20 %, mais dans mon territoire, elle est plutôt de 50 %, car les gens prennent leur voiture et paient tout. Avez-vous interrogé les financeurs des mobilités au sujet de la possibilité d'augmenter la participation des usagers ? Avez-vous fait un parangonnage pour savoir quel budget, chez nos voisins, les usagers consacrent à leur mobilité quotidienne ?
M. Marc Laménie. - Je remercie les rapporteurs de leur travail impressionnant. Vous avez remis en 2022 un rapport sur la SNCF, qui comportait de nombreuses propositions de fond. Qu'en est-il du lien entre ce travail antérieur et celui-ci ?
Vous mentionnez l'absence de financement des réformes de la LOM de 2019. Qu'en est-il de la suite de ce texte ?
Pour financer les dépenses d'investissement à hauteur de 30 milliards d'euros d'ici à 2030, plusieurs pistes existent, faisant notamment intervenir des dotations de l'État. Pourriez-vous préciser quelles pourraient être ces dotations ?
Par ailleurs, nous ne parlons plus de la navigation. Avec Voies navigables de France (VNF), nous avions échangé pour défendre la création de barrages sur la Meuse, dans le cadre de partenariats public-privé (PPP). De tels partenariats peuvent-ils constituer une piste ?
Enfin, les zones rurales restent les grandes oubliées du secteur des déplacements du quotidien. Certes, elles concernent moins de monde, mais les habitants y sont tributaires des voitures. Quelles pistes pourraient-elles être tracées à ce sujet ?
M. Michel Canévet. - Je remercie à mon tour les rapporteurs de leur travail important : les mobilités sont un sujet de premier rang au vu des nécessités de la transition énergétique.
Comme Charles Guené, je m'interroge sur les modalités de participation financière aux dépenses de fonctionnement. Les recettes commerciales en représentent moins de 20 %, et plus les transports seront développés, plus le déficit de fonctionnement croîtra. Est-il raisonnable, comme le font certaines collectivités, de supprimer totalement la contribution des usagers ? Faudra-t-il au contraire l'augmenter ?
Pour beaucoup, il faudrait recourir à l'État. Mais je crains que cette hypothèse n'affronte nos volontés de réduction significative du déficit de l'État : on ne peut à la fois le réduire et demander des dépenses supplémentaires.
Le rapport propose néanmoins des pistes intéressantes pour laisser une plus grande marge de manoeuvre aux collectivités territoriales. Peut-être ne faut-il pas un système uniforme, mais une boîte à outils dans laquelle les AOM pourraient puiser. En Île-de-France, il est évident que la plus-value immobilière réalisée en raison du transport est essentielle : il semble donc logique qu'une partie de cette plus-value soit affectée à ceux qui réalisent l'infrastructure de transport.
Mme Christine Lavarde. - Je remercie également les rapporteurs qui ont réalisé de nombreuses auditions.
La recommandation n° 6 vise à cibler les aides à la mobilité électrique dans les zones rurales ; il serait utile de circonscrire cette aide aux zones rurales situées en ZFE. Se pose tout de même un problème de mobilisation des crédits. Le véritable problème des ZFE concerne tous ceux qui, ne pouvant se rendre dans la zone centre en transport en commun, risquent d'en être exclus. Une personne habitant en zone rurale loin d'une ZFE et possédant une voiture polluante n'est pas directement soumise au même risque d'exclusion. Aujourd'hui, le problème des ZFE et de la mobilité électrique me semble avant tout concerner les métropoles.
De plus, la création d'un plan d'épargne mobilités pourrait être articulée avec celle du plan d'épargne avenir climat (Peac), que nous avons voté récemment. Il ne faut pas multiplier les outils : nous avons émis des critiques assez fortes sur l'ambition du Gouvernement de collecter 1 milliard d'euros grâce à ce plan d'épargne, et nous avons voulu qu'il finance la décarbonation, dans une acception plus large que celle qui est prévue par le Gouvernement.
Sur le versement mobilité et l'augmentation des taxes, il faudrait éviter de demander toujours aux mêmes...
M. Gérard Longuet. - Je m'associe aux compliments adressés à nos rapporteurs, d'autant que le sujet est d'une complexité effrayante. Une anecdote : j'ai présidé l'Afit France pendant une dizaine d'années, et j'ai présidé la région Lorraine, organisatrice de transports, pendant douze ans. Le TER absorbait environ 60 % des subventions accordées aux transports collectifs, alors que 4 % de la population y recourait.
Le secteur est d'une extrême sensibilité. Les AOM défendent des structures qu'elles connaissent, qu'elles maîtrisent et qu'elles dupliquent, mais ne se remettent jamais en cause sur le plan des technologies, de l'organisation ou de la tarification.
Je souhaiterais trouver dans le rapport des analyses comparatives de la question sur l'ensemble du territoire. Il y a un vrai problème français. Tout au long de ma carrière, j'ai observé la métropolisation de notre pays ; dans tout le pays, les métropoles ont phagocyté les villes moyennes et les petites villes, sans même parler du monde rural, totalement exsangue. Lorsque j'étais président de l'Afit France, nous avons financé des réseaux de tramways qui font la fierté de toutes les métropoles les ayant inaugurés. Les dépenses d'investissement (Capex - Capital Expenditures) et les dépenses d'exploitation (Opex - Operational Expenditures) sont tout simplement dissuasives, et absorbent la quasi-totalité des capacités financières de ces collectivités.
Il faut donc une approche plus régionale. Nous devrions disposer d'une typologie indiquant ce que paie l'usager pour accéder au travail, distinguant ce qu'il paie directement par lui-même et ce qu'il paie indirectement par l'impôt. Les malheureux automobilistes paient la moitié de leur réservoir en taxes, tandis que les heureux utilisateurs de transports en commun, dans les régions, paient entre 10 % et 20 % du coût de leur transport.
Une analyse technologique doit permettre d'obtenir des systèmes de transport plus souples, comme l'automobile partagée ou les transports automatiques en site partagé. Nous devons faire preuve de davantage d'imagination pour nous adapter aux besoins spécifiques du marché des transports sur notre territoire très diversifié.
Enfin, le coût de l'immobilier est lié à celui des transports. L'immobilier parisien est horriblement cher, et les transports, horriblement coûteux. Qui paie in fine ? Les Franciliens, riches sans le savoir, ne profitent pas de leur patrimoine. Mais la recommandation des rapporteurs semble pertinente, car les équipements créent de la richesse en matière de bassins d'emplois, et sont donc des facteurs de développement.
Nous avons le sentiment que ce très bon rapport tire le signal d'alarme sur les AOM telles qu'elles existent. En liaison avec la commission compétente rationae materiae, il faudrait poser la question de l'égalité française en matière de développement du territoire, et des effets des plus-values externalisées par les réseaux de transports, collectifs ou individuels, ces derniers constituant souvent la réponse la plus simple.
Je vous rappelle que pour quatre passagers du TER, il y a un membre du personnel de la SNCF à temps plein. Le système est forcément coûteux. Quelques exceptions existent, dans des zones de très forte densité, comme le RER B ou la ligne 13, qui enchantait Mme Kosciusko-Morizet. Mais dans le reste de la France, telle est la proportion, en moyenne.
M. Rémi Féraud. - Nous reconnaissons tous le mur de financements devant les AOM, mais aussi la multitude des pistes de financement possibles. J'espère que ce rapport sera pédagogique, tant pour le Gouvernement que pour la majorité sénatoriale, et que l'on s'en souviendra durant l'examen du prochain projet de loi de finances (PLF). Je me félicite également que vous ne reteniez pas pour seule solution le fait de faire davantage payer l'usager.
La question de l'Île-de-France est spécifique ; les pistes proposées vont au-delà des frontières idéologiques, sont d'une nécessité absolue et relèvent du bon sens. Il s'agit d'une augmentation éventuellement territorialisée du versement mobilité, en dehors même des relations financières entre SGP et Île-de-France Mobilités. La majoration de la taxe de séjour et la participation accrue du tourisme au financement des transports sont également indispensables pour prévoir le financement des dépenses de fonctionnement, oublié quand l'État pensait aux dépenses d'investissement, comme l'a justement dit M. Karoutchi.
Enfin, pour que la gauche puisse voter ce rapport sans trop de réserves, pourquoi avoir introduit sans raison le thème de l'immigration ? Vous voulez de toute manière supprimer l'aide médicale de l'État (AME), il n'est donc pas nécessaire de supprimer les avantages bien modestes auxquels elle donne droit ! Valérie Pécresse s'est heurtée depuis des années à la suppression du demi-tarif accordé aux étrangers en situation irrégulière bénéficiaires de l'AME, car cela demande de modifier la loi. Sans rapporter un euro à Île-de-France Mobilités, cela occasionnerait plus de fraudes et les personnes déjà en difficulté utiliseraient moins les transports. Si cette recommandation était enlevée, nous pourrions volontiers voter ce rapport.
M. Pascal Savoldelli. - Je partage la dernière remarque de M. Féraud. Le périmètre des auditions est remarquable : je félicite les rapporteurs de leur travail pointu et serré.
Même si je m'oppose à la suppression du demi-tarif pour les personnes en situation irrégulière, d'autant plus si cette mesure est spécifique pour l'Île-de-France, je partage d'autres recommandations : le déplafonnement territorialisé du versement mobilité est une très bonne approche, d'autant que, même si nos votes ont été différents, nous venons de supprimer les impôts de production. Les entreprises de onze salariés et plus peuvent convenir d'une petite contribution, car elles sont bien conscientes que leur niveau de productivité est lié à la qualité des transports de leurs salariés et collaborateurs.
Nous partageons entièrement le soutien à l'acquisition de véhicules propres en zones rurales, mais c'est vrai partout ! Nous sommes dans la civilisation des mobilités, et il faut des véhicules propres pour toutes les personnes, sans zoner selon le lieu d'habitation.
Même si on enlève la suppression du demi-tarif pour les étrangers bénéficiaires de l'AME, je m'abstiendrai : peut-être que je me trompe, mais nous verrons si l'ouverture à la concurrence permet des gains de performance de 20 % à 30 % sur tout le territoire national. On fait souvent des comparaisons avec d'autres pays, mais en Grande-Bretagne, les résultats n'ont pas été si fameux...
M. Daniel Breuiller. - Je demande également que le demi-tarif pour les bénéficiaires de l'AME ne soit pas supprimé : nous aurons le débat sur l'AME à d'autres occasions.
Le rapport, très bien construit, vise à ce que personne ne soit délaissé au sujet des mobilités. Chers collègues, je vous parie que la mise en concurrence favorisera les lignes rentables au détriment de celles qui ne le sont pas, ce qui posera un problème d'aménagement du territoire. Certains avancent qu'il sera possible de réinvestir d'un côté ce qu'on aura économisé de l'autre, mais j'en doute.
En lisant le rapport, je me suis dit qu'il y a un problème dans les choix des infrastructures pour l'Île-de-France : la SGP ne construit que des lignes de métro, alors que pour au moins deux d'entre elles, le métro n'est pas justifié par la desserte. Un métro, c'est dix fois le coût d'un tramway. On n'étudie jamais les solutions low-cost alors qu'elles sont souvent utiles.
Je m'interroge sur les territoires ruraux. Dans d'autres pays, les taxis collectifs permettent d'aller d'une ville à l'autre ; ce covoiturage amélioré, c'est du low-cost qui fonctionne très bien. Le rapport pourrait mentionner que les solutions à moindre coût ne sont pas forcément mauvaises, et que les solutions hypertechnologiques ne sont pas forcément les meilleures. Tous les élus veulent le plus beau métro, le plus beau tramway, mais de temps en temps, le plus efficace reste le meilleur.
M. Didier Rambaud. - Je salue à mon tour le travail des deux rapporteurs. Lors des auditions, nous avons ressenti que les AOM sont aujourd'hui malades, qu'elles ne sont pas bien financées, alors même que nous sommes encore au pied du mur d'investissements.
Je retire tout de même une certaine frustration des nombreuses auditions menées, qui n'ont pas vraiment permis d'identifier de nouvelles pistes de financement. Le rapport soulève quelques pistes de nouvelles recettes mais à mon sens ce ne sont pas elles qui aideront les AOM à relever le défi.
Il faut préserver les financements existants. Veillons à ne pas tomber dans certains pièges ou écueils : la part des usagers doit être maintenue, et la gratuité est une fausse bonne idée, même s'il faut aller vers une tarification sociale - j'en profite pour condamner à mon tour la suppression du demi-tarif des bénéficiaires de l'AME en situation irrégulière.
La recette la plus dynamique est le versement mobilité. Au moment où les régions vont contractualiser avec l'État sur le volet mobilités, le fait de partager cette somme pourrait être dommageable pour les AOM. De nombreux territoires périurbains et ruraux n'osent pas entrer dans les AOM parce que leurs entreprises seraient soumises au versement mobilité : il faut donc opérer une différenciation et un zonage des versements mobilité à l'intérieur des AOM. Les entreprises, et derrière elles les élus locaux, n'accepteront de payer qu'à condition qu'il y ait une offre de transport nouvelle.
Mme Sylvie Vermeillet. - Je remercie à mon tour les deux rapporteurs de la qualité de leur rapport. Une chose m'échappe : Élisabeth Borne a annoncé, en février 2023, 100 milliards d'euros pour le transport ferroviaire d'ici à 2040, où passe ce financement de 6 milliards d'euros par an ? Entre le financement de l'État, celui des régions et les contributions diverses, je ne vois pas comment les choses s'articulent...
Quelle est votre philosophie en matière d'impôt sur le transport ? Je rejoins Gérard Longuet : un automobiliste paiera plus d'impôt que celui qui prend les transports collectifs. Si l'on prévoit une baisse des recettes de la TICPE avec la fin de l'utilisation du carburant, vous proposez une plus grande taxation des sociétés autoroutières. Je n'y suis pas opposée, mais pourquoi ne pas envisager une taxation des véhicules électriques ? Le carburant a été taxé bien avant d'être considéré comme polluant. Pourquoi ne pas considérer un report d'imposition sur d'autres modes de déplacement, polluants ou non ?
M. Jean-Michel Arnaud. - L'essentiel du débat a été posé. Aussi, je ne poserai qu'une question technique. Vous avez évoqué le versement mobilité pour les entreprises comme pour les employeurs de onze salariés et plus. Cela n'est pas exactement la même chose, puisque l'économie sociale et solidaire ou les collectivités locales pourraient être concernées. Pourriez-vous préciser les choses ?
M. Claude Raynal, président. - À mon tour de féliciter les auteurs du rapport, qui ont repris un amendement que j'avais déposé, sans succès, sur l'augmentation du versement mobilité en cas d'investissements majeurs.
M. Hervé Maurey, rapporteur. - Nous avons auditionné une trentaine de personnes ; je remercie les commissaires d'avoir souligné l'étendue de notre travail. Nous avons travaillé pour évaluer la hauteur du mur, la violence du choc, et arriver à ce chiffre de 100 milliards d'euros - le rapport détaille la méthodologie suivie.
Monsieur Canévet, il est vrai qu'on ne peut pas en même temps dépenser 100 milliards d'euros et chercher à réduire le déficit budgétaire, mais nous avons des obligations en matière de transition écologique qui sont imposées par les engagements internationaux de la France. Nous avons d'ailleurs peut-être tendance à faire trop de zèle, sans attribuer les financements nécessaires en retour : comme Stéphane Sautarel l'a fait remarquer, nous sommes dans le camp de ceux qui veulent anticiper la fin du recours au moteur thermique, GNV compris, pour les cars et les autobus...
Monsieur Rambaud, pour chaque catégorie d'AOM, nous avons essayé d'avoir, en face de l'évaluation des dépenses, celle des recettes et des ressources possibles pour financer le choc d'investissements. Notre dernière audition était celle de Clément Beaune ; nous avons senti qu'il n'était pas complètement fermé à certaines de nos propositions.
Je rejoins le rapporteur général sur la taxe carbone, qui n'était pas une mauvaise chose, mais que nous avons détruite en n'affectant pas cette fiscalité écologique à la transition.
Monsieur Karoutchi, vos propos sur la responsabilité de l'État sont d'autant plus vrais qu'Édouard Philippe a pris des engagements écrits pour dire que le fonctionnement du Grand Paris Express ne pouvait pas seulement revenir à la charge d'Île-de-France Mobilités.
Concernant le financement de la mobilité en zone rurale, le Sénat n'a pas voté la LOM dans la version du Gouvernement ou dans celle qui était issue des travaux de l'Assemblée nationale, car nous n'avons pas voulu d'un transfert de compétences aux communautés de communes sans ressources supplémentaires. Nous avions proposé à l'époque un bouquet de recettes, que nous reprenons dans nos recommandations. Il faut donner aux collectivités la possibilité de créer un versement mobilité, même en l'absence de transport collectif régulier, et leur affecter une part de TICPE, pour que les territoires ruraux aient les moyens de financer cette compétence.
Monsieur Guené, tout le monde n'a pas botté en touche lors de la LOM, car le Sénat avait fait des propositions qui n'ont pas été retenues. Nous n'avons pas retenu l'idée de faire payer davantage l'usager, car augmenter les tarifs n'inciterait pas les gens à passer à la mobilité collective, douce, ou à prendre moins leur voiture. La participation du voyageur est certes plus faible en France que dans d'autres pays, et n'a cessé de diminuer au fil des années, mais il faut par ailleurs prendre en compte le versement mobilité.
Monsieur Laménie, j'ai répondu sur le financement de la LOM. Les partenariats public-privé peuvent être une piste. Nous avons cherché à financer ainsi une ligne ferroviaire, mais il est trop tôt pour dresser un bilan. Nous verrons ce que cela donne...
M. Stéphane Sautarel, rapporteur. - J'ajoute que nous avons été guidés par l'idée de ne pas perdre de vue l'objectif d'accroître le report modal. Notre position, notamment sur la route, n'est pas fermée, car il y a toujours la possibilité d'accélérer le report modal par l'usage de solutions qui peuvent sembler low-cost, mais qui sont parfois plus immédiates.
Il semble y avoir un paradoxe quant aux besoins considérables pour financer cette transition, alors que nous avons déjà des difficultés à financer l'existant. Cela ressort clairement des auditions : durant les dix ans à venir, nous devrons faire des efforts substantiels pour répondre au mur d'investissements et au choc de l'offre. Pour cette raison, nous avons cherché à apporter plusieurs réponses, dans un souci d'équilibre entre les financeurs. À titre d'exemple, la possibilité de majoration du versement mobilité au-delà du taux plafond serait strictement conditionnée à une amélioration de l'offre de services et au maintien d'une contribution de l'usager. Pour clarifier le modèle de financement des AOM, nous proposons d'isoler les subventions versées par les collectivités territoriales visant à financer les dispositifs de tarification solidaire, dont la mise en place relève des libertés locales. À nos yeux, ces dépenses doivent relever de la politique d'action sociale de la politique des transports stricto sensu. Nous avons également tenté de limiter les effets budgétaires pour l'État. Certes, nous proposons des affectations de ressources, mais l'effort budgétaire de l'État porte essentiellement sur un aspect, que nous assumons totalement, car nous l'avions déjà mentionné dans notre rapport d'information de 2022 sur la SNCF : la révision des redevances des péages ferroviaires, anomalie française que nous proposons de corriger. Cette seule réponse permettrait aux AOM régionales d'être à la hauteur de l'enjeu.
Monsieur Karoutchi, la suppression intégrale de la redevance due par IDFM à la SGP aurait un impact fiscal pour cette dernière en remettant en cause sa capacité à déduire la TVA.
Madame Lavarde, les mobilités électriques peuvent constituer une réponse pour les zones rurales sans transport collectif. L'objectif est bien évidemment de répondre aux personnes qui vivent en marge des ZFE, pour qu'elles ne soient pas exclues. Nous sommes d'accord pour articuler plus globalement un projet de plan d'épargne mobilité au plan d'épargne avenir climat.
Monsieur Longuet, nous partageons nombre de vos remarques. Il faut apporter des réponses localisées, et faire le bilan entre ceux qui paient des impôts et ceux qui bénéficient des subventions publiques : les bassins de mobilité, mis en place par la loi LOM, seront au nombre de 280, et permettront de territorialiser davantage les choses, pour une politique plus harmonieuse.
Monsieur Féraud, le dernier alinéa de notre dernière recommandation est marginal : la suppression du demi-tarif n'est pas le coeur du rapport, et l'économie représentée est estimée à 30 millions d'euros, ce qui n'est pas énorme par rapport au mur d'investissements. Nous sommes prêts à supprimer cette proposition pour obtenir un vote unanime sur nos recommandations.
Monsieur Savoldelli, nous avons un premier retour d'expérience sur l'ouverture à la concurrence en France et, y compris lorsque SNCF Mobilités remporte les appels d'offres, un gain de productivité d'au moins 20 % a pu être constaté.
Monsieur Breuiller, nous n'avons pas beaucoup développé les solutions low-cost dans notre propos, mais cette idée est reprise dans notre rapport où nous développons l'intérêt de solutions telles que le car, le covoiturage ou encore le transport à la demande en milieu rural.
Monsieur Rambaud, nous ne préconisons en rien une affectation du versement mobilité aux régions ; pour elles nous privilégions la révision du système de péage ferroviaire, qui leur permettra de réaliser d'importantes économies.
Concernant les 100 milliards d'euros qui ressortent du rapport du Conseil d'orientation des infrastructures (COI) et qui ont été repris par la Première ministre, nous nous félicitons que ce chiffre des besoins de financement de la SNCF, que nous avions identifié en mars 2022 dans notre rapport sur la SNCF, ait été repris par le président Farandou, puis par Mme Borne. Une partie de ces 100 milliards d'euros se retrouve dans le mur d'investissements dont nous parlons.
Au sujet de la taxation des véhicules électriques, nous avons choisi de ne pas étudier maintenant cette piste, pour ne pas envoyer de signal négatif. Il pourrait s'agir d'un financement relais ultérieur.
Monsieur Arnaud, nos propositions de modification des plafonds du versement mobilité concernent toutes les entités assujetties au versement mobilité, et donc non seulement des entreprises, mais d'autres acteurs concernés.
Enfin, l'amendement du président Raynal est repris dans nos propositions, de même que la proposition du rapporteur général sur l'affectation du produit de la mise aux enchères des quotas carbone.
Le dernier alinéa de la recommandation n° 20 est supprimé.
Les recommandations, ainsi modifiées, sont adoptées et la commission autorise la publication du rapport de la mission d'information.
- Présidence de M. Daniel Breuiller, vice-président -
Contrôle budgétaire - Verdissement des concours financiers de l'État aux collectivités territoriales - Communication
M. Daniel Breuiller, président. - Les rapporteurs spéciaux de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » vont nous présenter les conclusions de leur contrôle budgétaire sur le verdissement des concours financiers de l'État aux collectivités.
M. Charles Guené, rapporteur spécial. - Ce rapport, qui porte sur le verdissement des dotations de l'État aux collectivités, s'inscrit en réalité dans un cadre plus large qui est celui de la transition écologique des collectivités, de son financement mais également des obstacles qui doivent être levés pour la mener dans les meilleures conditions possibles.
Il nous est apparu indispensable de nous intéresser à ce nouveau choc qui va littéralement percuter les collectivités territoriales et constituer leur second défi, en s'ajoutant à celui du besoin prégnant de reconstruire un système de financement frappé d'obsolescence.
Le premier constat porte sur l'immobilier appartenant aux collectivités : majoritairement construit avant 1975, ce dernier est relativement ancien, mal isolé et, donc énergivore. Il représente d'ailleurs un tiers des volumes de CO2 émis par les bâtiments au niveau national, 84 % des émissions des seules collectivités et 76 % de leur consommation d'énergie.
Or, les collectivités territoriales doivent actuellement faire face à un niveau d'inflation sans précédent. Dans ce contexte, les dépenses énergétiques des collectivités ont fortement augmenté depuis plus d'un an. À cet égard, l'Association des petites villes de France considère que dans certaines de ses communes membres les dépenses énergétiques ont bondi de 50 %. Pour l'Association des maires de France, ces hausses oscilleraient entre 30 % et 300 %.
Ces deux constats, un parc énergivore et une inflation énergétique, rendent nécessaires des investissements de rénovation thermique des bâtiments appartenant aux collectivités qu'il s'agisse du bâti scolaire, des immeubles administratifs ou des équipements sportifs et culturels.
Ces investissements sont d'autant plus nécessaires que les collectivités sont assujetties aux obligations d'actions d'économies d'énergie dans les bâtiments tertiaires qui visent une réduction de la consommation d'énergie finale pour l'ensemble des bâtiments d'au moins 40 % en 2030, 50 % en 2040 et 60 % en 2050, par rapport à 2010. Par ailleurs, les actions qu'elles mènent ne peuvent conduire ni à une augmentation du recours aux énergies non renouvelables, ni à une augmentation des émissions de gaz à effet de serre.
Dès lors, selon une analyse effectuée par l'Institut I4CE, si l'on s'en tient aux seuls investissements nécessaires pour atteindre les objectifs de la stratégie nationale bas carbone, le besoin d'investissements des collectivités territoriales peut être évalué à 12 milliards d'euros par an jusqu'en 2030 alors que leurs investissements annuels s'élèvent actuellement à 5,5 milliards d'euros, ce qui représente un investissement additionnel de 6,5 milliards d'euros par an.
Il s'agit là d'une fourchette basse ne tenant compte que des investissements pour atteindre les objectifs de la stratégie nationale bas carbone. En considérant l'ensemble des investissements pour la protection de l'environnement ou pour faire face aux changements climatiques, les besoins pourraient s'avérer bien plus élevés encore même si aucun chiffrage n'existe à ce jour.
Aussi, pour faire face à ce « mur d'investissement » qui attend les collectivités pour mettre en place leur transition écologique, le Gouvernement incite de plus en plus les collectivités à investir sur des projets en faveur de l'environnement et ce de deux manières.
Premièrement, il a encouragé l'emploi des dotations classiques d'investissement pour des projets environnementaux. Ainsi, en 2021, la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) a permis de financer 3 524 projets environnementaux pour un montant total de 156 millions d'euros. La dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), pour sa part, a permis de financer 918 projets environnementaux pour un montant total de 89 millions d'euros.
Deuxièmement, il a créé de nouvelles dotations spécifiquement dédiées aux investissements environnementaux. C'est le cas de la dotation de rénovation thermique ou de la dotation régionale d'investissement dans le cadre du plan de relance ou encore, plus récemment, du fonds vert. Ces trois dotations représentent 3,6 milliards d'euros. Les deux premières n'ont cependant pas vocation à être poursuivies une fois les crédits ouverts en 2021 intégralement consommés. Quant au fonds vert, il existe encore de nombreuses incertitudes sur sa pérennité et sur les montants qui pourraient être arbitrés pour l'avenir.
Sur le papier, cette hausse des dotations d'investissement est donc une bonne chose et doit être poursuivie. Cependant, des écueils doivent être évités et des obstacles levés pour accompagner efficacement et réussir pleinement la transition écologique des collectivités.
M. Claude Raynal, rapporteur spécial. - En effet, les modalités de financement de la transition écologique des collectivités sont trop complexes. Pour illustrer cette complexité, en sus des dotations de l'État, les collectivités peuvent percevoir d'autres aides en provenance d'opérateurs comme l'agence nationale de rénovation urbaine, l'Agence nationale de la cohésion des territoires, l'Ademe ou encore la Banque des territoires mais également des aides européennes ou des aides provenant d'autres niveaux de collectivités.
Ce maquis contribue largement à la complexité du système de financement de la transition écologique auquel se heurtent les collectivités, notamment les plus petites.
Par ailleurs, force est de constater que l'accès même à ces dotations est également trop complexe. Ainsi, des calendriers de demande de subventions non concordants, des fiches techniques à remplir parfois jugées « ésotériques » par les élus locaux, des critères d'éligibilité trop nombreux et peu transparents ainsi qu'une faible consultation des élus sur les modalités d'attribution, peuvent représenter des obstacles aux investissements en faveur de la transition écologique.
On retrouve finalement, pour le financement de la transition écologique, les mêmes critiques et les mêmes écueils que ceux qui avaient été constatés concernant les dotations classique comme la DETR ou la DSIL.
Sur la méthode, il parait donc nécessaire d'associer pleinement les collectivités à la planification écologique nationale et il faut que l'État sorte de sa logique de discussion au coup par coup pour instaurer une réelle concertation dans un cadre pluriannuel.
Sur le fond, un accompagnement efficace de la transition écologique des collectivités nécessite de penser globalement les moyens de la financer. Les dotations d'investissement ne peuvent ni ne doivent être un moyen unique. De nombreuses pistes sont envisageables concernant notamment un verdissement de la DGF ou du FCTVA mais également des changements de fiscalité ou encore de normes comptables permettant d'accroitre l'autofinancement. Enfin, il faut changer la manière dont on considère la dette des collectivités quand le recours à l'emprunt vise à financer des investissements en faveur de l'environnement.
Cet accompagnement de la transition écologique nécessite surtout une visibilité pluriannuelle puisque ces investissements lourds ne peuvent s'inscrire que dans une temporalité longue allant souvent au-delà de la durée d'un mandat local.
Au-delà du financement, il existe des freins structurels à la transition écologique des collectivités qu'il est indispensable de lever.
Premièrement, les investissements aujourd'hui réalisés sont essentiellement axés sur la rénovation thermique. Or, la transition écologique des collectivités ne peut se résumer à ce seul domaine : les besoins sont également nombreux pour le traitement des déchets et eaux usées, la revégétalisation et reforestation, la protection de la faune et de la flore ou encore les énergies renouvelables.
La dotation de biodiversité et le fonds vert permettent de sortir de ce prisme mais présentent aussi des écueils.
En effet, la dotation de biodiversité ne concerne que 6 300 communes alors même que la protection de la biodiversité n'est pas une problématique spécifique aux seules communes situées dans un parc naturel.
Par ailleurs, si le fonds vert semble, en première intention, plus diversifié dans les projets qu'il vise à financer, une vigilance particulière doit être portée sur l'exécution de ces crédits puisque, selon le principe de fongibilité, des redéploiements entre axes pourront être effectués. Si cette fongibilité est une garantie pour une consommation intégrale et rapide des crédits elle fait courir le risque, déjà identifié pour les autres dotations, d'un financement essentiellement orienté vers la rénovation thermique ce que semble d'ailleurs déjà démontrer l'analyse des premiers dossiers déposés.
Deuxièmement, pour bien programmer les investissements à réaliser, il faut que les collectivités aient une connaissance précise de leur parc immobilier et foncier. Or, l'inventaire physique qui permet le recensement complet des biens est parfois encore inexistant. Il est très souvent partiel, succinct et insuffisamment renseigné. Ainsi, en l'absence de connaissance précise du parc immobilier et de son état, la moitié seulement des communes et des EPCI est dotée d'un plan pluriannuel d'investissements (PPI).
Enfin, la transition écologique des collectivités ne pourra être pleinement efficace sans un contrôle ex post des investissements. Or, à ce jour, un tel contrôle pour mesurer l'impact environnemental des investissements n'existe pas, les indicateurs se limitant à un simple suivi de l'avancement des projets.
Face à un manque de moyens, la mise en oeuvre de contrôles ex post est complexe à mettre en oeuvre. Cependant, il ne parait pas souhaitable d'engager plusieurs milliards d'euros de fonds publics sans pouvoir en mesurer l'efficacité.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Votre rapport démontre bien que les dotations « vertes » du Gouvernement constituent un habillage environnemental sympathique mais très imprécis dans la mesure où il y a un manque de connaissance réelle concernant les priorités qui doivent être fixées en raison, notamment, de l'absence d'une véritable méthode d'analyse.
Comme je l'ai déjà indiqué à I4CE, la méthode utilisée pour chiffrer les investissements est aujourd'hui unique, alors que l'on devrait adapter les méthodes d'analyse au contexte, pour proposer des alternatives pour le financement des investissements en faveur de la transition écologique. Il faut regarder ce qui a le plus d'impact sur le climat et le croiser en particulier avec les caractéristiques territoriales. Ce n'est effectivement pas la même chose d'intervenir sur des territoires à dominante agricole et rurale que d'intervenir dans des villes, quelle que soit leur taille : les bâtiments n'ont pas les mêmes fonctions et le patrimoine n'a pas les mêmes caractéristiques.
Alors qu'actuellement les dotations de l'État arrivent essentiellement par le biais du département ou de la région, il faudrait pouvoir développer des pactes territoriaux entre l'État et les collectivités, qui engloberaient, à un niveau de maille plus proche des acteurs locaux, l'ensemble des priorités, des projets et des financeurs. C'est d'ailleurs ce qui ressort des travaux du groupe du travail pluraliste constitué par le Président Larcher autour de François-Noël Buffet sur la décentralisation. Je m'interroge donc sur la méthode. Les collectivités vont devoir faire face à plusieurs murs d'investissements, pour la mobilité, pour la transition écologique, sans qu'il soit possible de tout financer.
Enfin, il ne faut pas s'étonner que le fonds vert se concentre sur les projets de rénovations thermiques puisque c'est un de ses objectifs. Il est donc normal que les collectivités s'orientent sur cet objectif qui obtient, pour l'heure, le plus de financement. Pour autant, il ne faudrait pas que le fonds vert ne serve qu'à la rénovation thermique pour des améliorations provisoires des bâtiments, sans tenir compte de l'ensemble de ce qui constituera les critères de demain. Ce qui est certain, c'est que le verdissement va avoir un lourd impact : on est en train de « charger notre sac à dos » pour les années à venir et cela nécessitera des choix.
M. Antoine Lefèvre. - Je partage l'avis de nos deux rapporteurs sur la complexité du système de subventionnement mis en oeuvre pour favoriser la transition écologique. Les élus locaux que nous représentons et nous-mêmes au sein des commissions DETR sommes un peu perdus au milieu du maquis des dotations. J'avais prévu une question sur la part respective de la DETR et de la DSIL dans les dispositifs de verdissement, mais ces éléments figurent dans le document qui nous a été remis, donc je n'insiste pas. Claude Raynal a insisté sur la nécessité d'un financement pluriannuel de la transition écologique. Concrètement, quelles sont les solutions en la matière pour favoriser cette logique de pluri annualité pour financer l'investissement des collectivités ?
M. Michel Canévet. - Il me paraît normal que des objectifs de transition énergétique soient intégrés aux contrats de relance et de transition énergétique (CRTE), qui formalisent la relation entre l'État et les collectivités territoriales. Pouvez-vous nous en dire plus ? Des progrès ont-ils été accomplis en ce sens ?
Pour connaitre l'état de la situation immobilière des collectivités, un bilan me semble nécessaire. Des conseils en économie partagée ou des bureaux d'étude existent, mais ne pourrait-il pas être élaboré un mécanisme permettant d'inciter les collectivités à procéder à ce bilan, indispensable pour analyser leurs besoins et établir leurs priorités d'investissements à réaliser ?
On parle beaucoup de rénovation thermique des bâtiments. Mais le sujet est plus large : l'éclairage public, par exemple, est aussi une question problématique pour les collectivités, a fortiori dans une période de tension sur les réseaux d'énergie. Beaucoup de dossiers concernent-ils autre chose que la rénovation thermique des bâtiments ?
Je plaide depuis longtemps pour que les collectivités bénéficient du FCTVA en année N - à tout le moins en année N+1 - et pas en année N+2 comme c'est actuellement le cas. Avez-vous des propositions à faire en la matière ?
Enfin, il est intéressant d'avoir un Fonds vert. Mais tous ceux qui l'ont approché m'ont fait part de la grande complexité administrative lors du dépôt des dossiers, de sorte que les communes rurales sont bien souvent dissuadées de solliciter ce fonds.
M. Stéphane Sautarel. - Le connaissance des collectivités sur leur patrimoine immobilier est en effet encore parcellaire. Il existe des programmes à l'échelle intercommunale - je pense aux programmes de rénovation énergétique des bâtiments (PREB) - établis par concertation, qui me semblent donner une visibilité pluriannuelle des besoins d'un territoire.
Je souhaite insister sur les problèmes de lisibilité sur les fonds d'investissement de l'État - DETR, DSIL, Fonds vert, etc qui sont aujourd'hui utilisés avec une grande fongibilité par les préfets. Les délais d'instruction et de notification que l'on observe aujourd'hui risquent d'avoir pour conséquence une faible consommation des crédits en 2023. De plus, les élus locaux n'ont connaissance des dossiers de DETR qu'en phase amont, alors que rien n'est encore décidé ; après quoi, ces dossiers leur échappent. Une gestion différente de ses fonds, sans revenir sur l'objectif de verdissement, serait-elle possible ?
Enfin, des dispositifs comme les contrats de relance et de transition énergétique (CRTE) ou « petites villes de demain » (PVD) bénéficient d'ingénierie, mais n'ont aucun financement propre. Tout au plus ont-ils priorité sur des financements existants - mais donc au détriment d'autres acteurs publics et d'autres projets n'entrant pas dans le cadre des contrats ou des politiques partenariales. Mais dans bien des cas, l'inscription d'un projet dans un CRTE ne donne aucune assurance de financement.
M. Charles Guené, rapporteur spécial. - Pour répondre au rapporteur général, je soulignerai que notre rapport se veut avant tout être un rapport d'alerte et nos dix recommandations vont d'ailleurs dans ce sens. Il est certain que nous pourrions aller beaucoup plus loin dans l'analyse des critères, de la typologie et des zonages des financements octroyés aux collectivités territoriales.
Je partage l'idée d'une nouvelle gouvernance pour arriver au verdissement des concours financiers. Pour fonctionner, cette gouvernance devra certes être nationale, pour discuter des critères et des partages des financements, mais elle devra impérativement se décliner au niveau régional et, surtout, au niveau départemental. Il sera tout aussi primordial que ces discussions s'inscrivent dans un cadre pluriannuel.
La problématique de la rénovation thermique des bâtiments est très présente dans les dossiers présentés par les collectivités et ceci s'explique par le fait que ces dossiers de rénovation thermique sont les plus « faciles » à finaliser pour les petites communes, qui ne disposent pas toujours de l'ingénierie nécessaire pour élaborer des dossiers plus complexes relevant d'autres problématiques liées à la transition écologique.
En revanche, pour répondre à Michel Canévet qui nous interrogeait à ce sujet, j'ai l'exemple, dans mon département, d'un syndicat d'éclairage public très bien organisé qui a consenti d'importants efforts pour faire en sorte que l'ensemble de ses membres passent à un éclairage à LED. Cela démontre bien qu'avec un peu d'ingénierie, et même dans les petites communes, les économies d'énergie peuvent être rapidement très élevées.
M. Claude Raynal, rapporteur spécial. - Antoine Lefèvre nous a parlé des moyens possibles pour développer les financements pluriannuels. Le plus simple et le plus rapide serait sans doute les CRTE, en les dotant d'un véritable volet financier, et c'est là tout l'enjeu.
Or, en réalité, les CRTE ont été conclus dans l'urgence préélectorale, dans une période où il fallait absolument montrer que le Gouvernement s'intéressait aux collectivités territoriales et à leurs projets. Les CRTE sont par conséquent de qualité variable. Certains sont de très bonne qualité car les projets étaient déjà bien avancés et les collectivités avaient travaillé en amont sur le contrat, le préfet ne faisant qu'agglomérer des projets déjà prévus, au besoin en procédant à quelques modifications à la marge. Dans d'autres territoires, cette urgence à agir a conduit à des CRTE rafistolés et non financés.
Les CRTE demeurent néanmoins le bon outil pour discuter des moyens financiers pluriannuels octroyés aux collectivités : rien n'interdit de les reprendre, de les retravailler et de mieux y intégrer les questions de transition écologique. C'est d'ailleurs primordial si l'État veut avancer sur ce sujet - d'autant que les collectivités sont prêtes - et c'est le meilleur moyen d'intégrer ces projets, de trouver des financements pluriannuels, tout en faisant attention à laisser une place suffisante aux autres types de projets. C'est la question du « tout ou rien » : comment arriver à avoir, à la fois, des enveloppes importantes pour soutenir la transition écologique des collectivités et, en même temps, laisser une part de l'enveloppe suffisante pour des projets différents ? Doter les CRTE d'un véritable volet financier est une première réponse, qui manque aujourd'hui à tous les échelons, intercommunal comme départemental et régional. Il y a un accord pour voter le CRTE mais, lorsqu'on adopte ensuite une approche plus concrète, opération par opération, le cadre financier apparaît bien lointain.
Il faudrait également que l'ensemble des financements soient concernés par cette logique pluriannuelle, en particulier le fonds vert ou ceux apportés par les agences et par les opérateurs dont nous avons parlé. Ce cadre pluriannuel devrait ainsi couvrir toute la période d'investissement, jusqu'à sa réalisation, et à tout le moins la durée du mandat, local ou présidentiel, si nous nous plaçons dans le cadre d'une discussion avec l'État.
Enfin, concernant le FCTVA nous ne proposons pas des versements en année N ou N+1 au lieu de versement en année N+2 comme c'est le cas actuellement. Notre approche vise plutôt à conditionner le versement du fonds à la nature des investissements. L'idée serait donc d'avoir des remboursements de TVA orientés sur des investissements verts plutôt que bruns à la condition, évidemment, que cette évolution ne soit pas, pour l'État, l'occasion de diminuer les versements totaux alloués aux communes.
M. Charles Guené, rapporteur spécial. - Pour répondre à la question de Stéphane Sautarel sur la consommation des crédits des dotations d'investissement, le risque de sous consommation est quasiment inexistant concernant les dotations classiques comme la dotation d'équipement des territoires ruraux (DTER) et la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL). En revanche, pour le fonds vert, le niveau de consommation reste une vraie question notamment car les services instructeurs sont très sollicités avec des moyens limités en termes d'expertise. L'autre aspect de ce sujet c'est qu'en raison du principe de fongibilité, le risque de ne financer que des investissements axés sur la rénovation thermique des bâtiments est réel.
Sur le FCTVA, il faudra surtout être vigilant à ne pas trop transformer cette « dotation » dans la mesure où, pour de nombreuses collectivités, notamment les plus petites, les versements de FCTVA sont un réel complément de financement, indispensable à la réalisation des projets.
M. Daniel Breuiller, président. - Nous allons donc passer au vote pour autoriser la publication de ce rapport et des recommandations.
La commission adopte les recommandations des rapporteurs spéciaux et autorise la publication de leur communication sous la forme d'un rapport d'information.
La réunion est close à 17 h 50.
Mercredi 5 juillet 2023
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Contrôle budgétaire - Établissements publics fonciers (EPF) et établissements publics d'aménagement (EPA) - Communication
M. Claude Raynal, président. - Nous entendons ce matin une communication de M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur spécial des crédits de la mission « Cohésion des territoires » (logement et urbanisme), sur les établissements publics fonciers (EPF) et les établissements publics d'aménagement (EPA).
M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur spécial. - J'ai souhaité, cette année, m'intéresser aux établissements publics fonciers (EPF) et aux établissements publics d'aménagement (EPA), car chacun de nous connaît bien ces établissements dans son territoire, mais peu de travaux ont été réalisés pour en donner une vision d'ensemble.
Ils jouent pourtant un rôle très important, souvent méconnu, en appui aux politiques de l'État mais aussi, voire surtout, des collectivités locales. Je vous rappelle que les EPF agissent en amont : institués sur l'ensemble d'un territoire, ils acquièrent des terrains et les conservent pendant quelques années, le temps de finaliser le montage d'une opération et de faire éventuellement des travaux de pré-aménagement. Les EPA, pour leur part, sont installés en général dans le cadre d'une opération d'intérêt national, donc pour un projet unique mais de grande envergure, où ils procèdent à des opérations d'aménagement avant de céder les terrains à des opérateurs.
L'accès au foncier a toujours été un enjeu majeur et difficile des politiques locales. Il devient un enjeu politique de tout premier ordre dans les territoires avec la mise en oeuvre des objectifs de « zéro artificialisation nette » (ZAN), mais aussi face à la multiplication des risques et des normes afférentes : incendie, inondation, compensations environnementales et tant d'autres sujets. Multiples sont les contraintes qui doivent être prises en compte par les collectivités lorsqu'elles veulent développer le logement ou les activités économiques.
Les EPF et EPA, je l'ai bien constaté au cours des auditions et des déplacements que j'ai réalisés, constituent des outils irremplaçables avec deux grandes qualités au moins : d'une part, ils réunissent des compétences techniques, juridiques, financières dont la plupart des collectivités pourraient difficilement disposer toutes seules ; d'autre part, leur gouvernance donne toute leur voix aux collectivités, ce qui en fait des modèles d'établissements au service des projets locaux.
En un mot, ils mettent en oeuvre une véritable intelligence foncière, qui n'est pas une intelligence artificielle, mais une intelligence collective, au service du développement du logement et de l'activité locale.
C'est pourquoi je crois qu'ils peuvent constituer le coeur d'un pôle de conseil et d'action sur les questions foncières, au service des collectivités locales. C'est l'objet de la recommandation n° 1, qui résume en fait l'esprit de l'ensemble du rapport.
L'efficacité de ces établissements, en tant que force de conseil comme force d'action, repose sur leur capacité à atteindre une « masse critique » qui leur permet de réunir l'ensemble des métiers de l'action foncière ou de l'aménagement : les mutualisations entre établissements doivent être favorisées (recommandation n° 2).
Il est toutefois regrettable que des zones entières du territoire ne soient toujours pas couvertes par des EPF. Toutes les collectivités devraient avoir accès à un établissement public foncier, que celui-ci soit de niveau régional ou plus local. C'est l'objet de ma recommandation n° 3.
Si je n'ai pas évoqué jusqu'ici les différences entre les EPF d'État et les EPF locaux, c'est que leur fonction est très similaire, ainsi que les services qu'ils apportent aux collectivités. Même leur gouvernance est proche, car les collectivités locales sont très majoritaires non seulement dans leurs propres EPF, mais aussi dans les EPF d'État. La principale différence réside dans le fait que les EPF d'État, ainsi que les EPA, sont soumis à la tutelle ministérielle, qui nomme par exemple les directeurs généraux et les soumet à de nombreuses demandes parfois mal coordonnées : on pourrait certainement réduire le poids de cette tutelle, non pas en supprimant ce contrôle qui est nécessaire, mais en le rationalisant afin de libérer des ressources pour l'action de fond.
Après ces considérations d'ensemble sur le rôle même et l'organisation des EPF et EPA, j'en viens de manière plus détaillée aux compétences exercées par ces établissements. La multiplication des contraintes pesant sur l'action foncière, au premier rang desquelles se trouve le « ZAN », oblige à repenser leurs modes d'action.
Il faut penser à long terme, plus encore qu'autrefois : les collectivités doivent d'ores et déjà constituer des réserves foncières qui seront à l'abri de l'augmentation des coûts qui résultera probablement de la raréfaction progressive du foncier, tandis que l'augmentation des taux d'intérêt renchérit le coût des emprunts contractés pour acquérir ces terrains.
Le statut des EPF ne se prête pas toujours à une action de long terme, en particulier s'agissant des EPF d'État qui sont soumis à une demande de rotation plus rapide des terrains de la part de leur tutelle : en effet, plus ils portent un terrain longtemps, plus ils mettent du temps à rembourser leurs emprunts, qui sont comptés dans la dette publique.
Il faut donc favoriser un portage plus long, qui peut passer par la constitution de foncières : il y a des exemples très intéressants, par exemple à Genève où les terrains industriels sont en quelque sorte « distribués » par une fondation établie il y a plus de 60 ans, permettant de concilier la rareté des terrains avec un développement économique maîtrisé garantissant la prise en compte des priorités de politique publique.
Des évolutions ponctuelles des compétences seraient également utiles : Grand Paris Aménagement a des idées pour le renouvellement de zones pavillonnaires, où les outils juridiques sont insuffisants ; en Occitanie, c'est plutôt dans les zones rurales que l'EPF pourrait aller au-delà de ses compétences de base pour une action limitée d'aménagement, lorsque l'initiative privée fait défaut. Dans les deux cas, cela aurait du sens de s'appuyer sur un outil existant, en adaptant à la marge son cadre d'action en fonction des besoins des territoires.
Enfin, les EPF ont tout leur rôle à jouer sur les sites entourant les grandes gares nouvellement créées. La question des plus-values foncières autour de ces gares, qui échappent aux collectivités pour constituer des effets d'aubaine, a été évoquée hier lors de notre réunion sur les autorités organisatrices de la mobilité : l'une des clés réside dans une action résolue de maîtrise foncière, longtemps en avance, autour de ces sites, afin de favoriser la réalisation de logements ou de zones d'activité à des coûts raisonnables.
Toutefois, lorsqu'on parle d'action foncière, rien n'est possible sans un accès à des données fiables, exhaustives et récentes. J'ai trois recommandations qui vont dans ce sens. :
Il faut d'abord construire et consolider une carte de France des stocks fonciers. L'une des raisons de cette proposition est que le « ZAN », mais aussi les risques d'incendie ou d'inondation, risquent de rendre inconstructibles certaines parcelles, remettant en cause l'équilibre d'opérations pour lesquelles les établissements ont déjà acquis des terrains. Il me semble important d'avoir une vision d'ensemble et consolidée des stocks fonciers avec leur durée de portage.
Il faudrait aussi ouvrir plus largement aux EPF certaines bases de données, notamment sur les logements et les locaux d'activité vacants. Ces bases sont ouvertes à certains acteurs publics, mais un accès direct pour les EPF les aiderait à mieux identifier les vacances en termes de logements ou de commerces, sachant qu'une action rapide et donc un accès immédiat à l'information sont parfois nécessaires.
Enfin, pour la même raison de réactivité, certaines bases de données devraient être mises à jour plus rapidement. Des EPF m'ont ainsi fait état de la nécessité de bénéficier de versions plus récentes de la base D3VF, qui est une base améliorée par rapport à la base des demandes de valeur foncière publiée en open data.
Après avoir étudié ce que les EPF et les EPA font, et ce qu'ils devraient faire, il faut se demander avec quels moyens financiers ils peuvent y parvenir.
Le modèle économique des EPF est celui d'une montée en charge progressive, opération après opération : la cession d'un terrain aide en principe à financer l'acquisition d'un autre terrain. En réalité, la ressource fiscale, c'est-à-dire la taxe spéciale d'équipement ou TSE, demeure toujours nécessaire.
Quant aux EPA, c'est très différent car ils ne reçoivent pas la TSE, mais des subventions ponctuelles de l'État sur le programme 135 et de la part d'autres autorités. Leur objectif est l'équilibre sur l'ensemble de l'opération, grâce aux cessions de terrain à la fin.
Or la sobriété foncière bouleverse le modèle économique des établissements : les coûts de la construction et de la reconstruction en milieu déjà urbanisé sont beaucoup plus élevés que la construction sur des terrains naturels ou agricoles, surtout avec la multiplication des normes.
S'agissant de la TSE, en outre, une partie de son assiette a disparu avec la réforme de la fiscalité locale : elle a été remplacée par une dotation budgétaire d'un montant annuel de 175 millions d'euros, mais ce n'est guère satisfaisant. Le principe d'annualité budgétaire fait craindre en effet chaque année la remise en cause de la ressource, d'autant que le montant de celle-ci est fixe et ne s'adapte pas à l'accroissement du périmètre de l'établissement ou à l'extension du nombre des opérations. Je propose donc d'étudier les possibilités de remplacer la dotation budgétaire par une ressource fiscale dynamique et adaptée à l'évolution de l'action des EPF : c'était le cas jusqu'en 2020.
La TSE, comme nous l'avons vu en début d'année lors de l'examen d'une proposition de loi de M. Dantec sur la taxation des résidences secondaires, est en fait une surtaxe aux quatre taxes locales. Après la réforme de la fiscalité locale, elle pèse plus qu'auparavant, en proportion de son produit, sur les entreprises et beaucoup moins sur les résidents ; si l'EPF fixe le montant global du produit de la taxe, il serait utile que, au niveau local, il y ait un mécanisme, sous l'égide des collectivités, pour moduler la répartition de la TSE entre les différentes catégories de contribuables, en fonction des situations locales.
Enfin, un dernier point concerne certains dispositifs fiscaux dont bénéficient les EPF, sur lesquels ils m'ont alerté. D'une part, les particuliers bénéficient d'une exonération sur les plus-values lorsqu'ils cèdent un terrain à un EPF en vue de la construction de logements sociaux, mais les EPF doivent ensuite céder le terrain dans un délai de trois ans : ce délai trop bref rend le dispositif à peu près inopérant. Un autre sujet est celui de la TVA sur marge : selon une récente jurisprudence, la vente d'un terrain par un EPF à une collectivité risque d'être soumise à la TVA sur le prix total, et pas seulement sur les travaux d'amélioration que l'EPF a apportés, ce qui représenterait un coût en trésorerie pour la collectivité. Dans les deux cas, c'est le recours à l'EPF qui risque d'être remis en cause à cause d'imperfections du dispositif fiscal ; il faudrait que le prochain projet de loi de finances apporte des corrections.
Voilà le très bref résumé d'un travail de plusieurs mois et d'échanges très riches avec différents organismes, avec l'administration mais aussi avec l'ensemble des EPF et des EPA à travers des questionnaires.
Vous connaissez mon engagement autour de la mise en oeuvre du « zéro artificialisation nette », qui devient le combat d'une vie ; les aspects réglementaires seront, je l'espère, améliorés par la proposition de loi sur le sujet qui pourrait être adoptée définitivement la semaine prochaine en fonction des résultats de la commission mixte paritaire en cours. Nous devons aussi travailler aux aspects financiers, sur lesquels j'attends, là aussi, des propositions du Gouvernement dans le prochain projet de loi de finances.
Après les règles et les financements, il faut des acteurs de terrain : les établissements publics fonciers et les établissements publics d'aménagement en sont des piliers essentiels et je suis à votre disposition pour échanger sur les analyses et les propositions que je viens de vous présenter.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le rapporteur spécial a indiqué que le ZAN était « le combat d'une vie », combat qui semble pourtant sans fin. Je souhaite que son savoir-faire et sa pugnacité nous permettent d'aboutir à un compromis acceptable.
Un élu de l'intercommunalité du Grand Nancy, dont je suis issu, me disait que celui qui détenait le foncier tenait l'avenir. Nous disposons de bons outils qui ont pour intérêt de mettre autour de la table État et acteurs locaux. Toutefois, les EPF ont été les outils de certains territoires principalement urbains, parfois pendant un temps au-delà du raisonnable, ce qui permettait d'avoir des réserves foncières protégées et sous maîtrise publique. Les recommandations du rapporteur spécial, auxquelles je souscris, ont le mérite d'aller dans le sens d'une clarification pour assurer une maîtrise collective.
Comment ces outils et notamment l'EPF, parviennent-ils à s'articuler avec les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) ? Il existe de plus en plus de conflits d'usage pour la maîtrise du foncier entre la profession agricole et les besoins de développement et d'aménagement.
Le deuxième sujet me semble être celui de la maîtrise foncière de la transformation urbaine, soit de friches, soit de terrains bâtis délaissés. Quel est le regard du rapporteur spécial sur cet aspect ?
Ces outils sont là pour maîtriser le temps long. Or on reproche aujourd'hui aux projets d'être trop longs et d'entraîner des contraintes trop importantes et qui se multiplient. Comment mieux concilier la nécessité d'avoir d'une part un cadre d'action sur une temporalité étendue, suivant une vision prospective, et d'autre part d'améliorer la réponse aux projets qui doivent être conduits à un rythme plus rapide que celui auquel les opérateurs sont aujourd'hui soumis ?
M. Jean-François Rapin. - L'EPF est un outil à destination des collectivités qui est largement bien utilisé, en tout cas dans certains départements. Le rapporteur spécial a évoqué la question de la difficulté pour l'EPF, l'intercommunalité ou les communes d'assumer pleinement leurs transactions immobilières à partir du moment où le ZAN sera complètement en vigueur. Quelles seront les conséquences budgétaires ? Si l'EPF s'est rendu acquéreur d'un terrain pour le portage d'une intercommunalité ou d'une commune pour un projet de développement immobilier qui serait largement remis en cause, à quel prix l'EPF revend-il à la collectivité le terrain ? S'agit-il du prix d'achat du terrain ou du prix dévalorisé ? Le montant n'est évidemment pas le même lors de l'achat d'un terrain constructible sur lequel on veut réaliser un projet et pour la revente d'un terrain sur lequel on ne peut plus mener de projet et qui n'a donc plus la même valeur. S'il s'agit du prix d'achat, cela grève les finances des collectivités, s'il s'agit d'un prix inférieur cela grèvera le budget de l'EPF.
Mme Christine Lavarde. - Lors d'un contrôle budgétaire que j'avais réalisé, le Conservatoire du littoral, qui avait une position d'achat des terres assez similaire à celle d'un EPF, avait mis en avant son extrême difficulté à pouvoir disposer de la ressource financière lorsque se présente, très rarement, une opportunité d'achat de terrain. Les EPF font-ils face aux mêmes difficultés ?
M. Christian Bilhac. - Entre le ZAN, les aléas climatiques et les zones de protection, il y a de nombreuses difficultés quant au foncier ! Et il y a des inégalités importantes à ce sujet. Il y a des communes et des EPCI riches qui peuvent mener eux-mêmes une politique foncière car ils ont les moyens de la développer, tandis qu'il y en a d'autres qui le souhaitent, mais qui n'en ont pas ces moyens.
Dans la recommandation n° 3, vous dîtes qu'il faut supprimer les zones blanches. Je suis d'accord, mais j'ai une question sur les zones denses. On a dans certains endroits des superpositions entre plusieurs établissements publics fonciers. Quel est votre avis concernant cette superposition d'établissements fonciers sur un territoire ? Il y a beaucoup plus de facilités pour les établissements fonciers dans les zones métropolitaines, où il y a beaucoup d'activité et où l'on peut mener les projets rapidement, que dans les zones rurales où l'on est souvent ralenti, notamment par les procédures.
Je pense que le rôle des établissements fonciers n'est pas de prévoir l'avenir, car comme disait Antoine de Saint-Exupéry, il ne s'agit pas de prévoir l'avenir, mais de le permettre. Nous devons avoir l'humilité de reconnaître que nous ne savons pas quels seront les besoins fonciers, quels seront les équipements requis dans 20 ou 30 ans. Maîtriser le foncier, même sans projet immédiat, me semble donc quelque chose d'important. Couvrir toutes les zones blanches, c'est nécessaire, mais qu'en est-il des zones denses ?
M. Christian Klinger. - En tant qu'élus, on entend souvent que les EPF veulent acheter du foncier pour construire. Mais est-ce que les EPF peuvent acheter, par exemple un terrain maraicher, pour préserver une zone naturelle, et donc pour ne pas construire ?
M. Claude Raynal, président. - Le rapport est intéressant. Sur ces sujets-là, la formulation des recommandations est toujours compliquée. Prenons la recommandation n°7, par exemple, « mener une action foncière beaucoup plus volontariste dans les sites environnant les grandes gares nouvellement créées ». Le problème est qu'en réalité, dès que l'information qu'une gare va être créée à un endroit se diffuse, on constate aussitôt une augmentation des prix. Le pire est que lorsqu'un EPF veut acheter, l'évaluation des domaines tient compte de ces anticipations. Il n'utilise plus la référence des prix de marché dans le secteur, comme cela est le cas habituellement, mais les prix futurs. C'est compliqué, car il faut se positionner « avant l'information », et préempter immédiatement.
La recommandation n° 8, « Construire une carte de France des stocks fonciers ». Je pense qu'il s'agit d'une recommandation indiscutable, pour avoir une vue macro. Au-delà de ça, je me demande s'il ne serait pas opportun de formuler une recommandation qui dirait à tous les EPF de se préoccuper du ZAN, et de regarder comment protéger leurs acquisitions, car c'est un vrai sujet. Si vous ne pouvez plus valoriser votre foncier, vous vous retrouvez avec une perte dans l'EPF, qui revient vers les collectivités, car l'EPF ne fait que porter des missions pour le compte de collectivités. Il faudrait, me semble-t-il, encourager tous les EPF à se préoccuper de leur risque de portefeuille, par rapport au ZAN.
J'ai également une question sur la recommandation n°11, sur les quatre taxes locales. Quand on regarde comment doit être répartie la TSE, il y a deux masses en réalité, la taxe foncière et la cotisation foncière des entreprises, tandis que le reste est marginal. La taxe foncière sur le non bâti ne fait pratiquement pas de produit. Je m'interroge donc sur la répartition entre les quatre taxes locales. Est-ce que cela change vraiment quelque chose ? Il est néanmoins possible qu'il y ait des territoires où cela fait une vraie différence.
M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur spécial. - Le président Raynal se trompe rarement. En écho à une citation faite par le rapporteur général, cela me rappelle une phrase de Balzac : « qui terre a, guerre a ». Vous voyez que c'est d'une cruelle actualité.
Quelques éléments de réponse sur vos questions : le rapporteur général se demande comment des outils comme les EPF cohabitent avec d'autres outils comme les Safer. C'est un sujet important qui trouve des échos dans la proposition de loi visant à faciliter la mise en oeuvre des objectifs de « ZAN ». Il y a dans ce texte un article permettant de préempter pour des raisons de ZAN et qui viendrait percuter le droit de préemption des SAFER. En conséquence, un amendement supprimant le droit de préemption ZAN a été adopté à l'Assemblée nationale. Je souhaiterais le voir rétabli, peut-être avec une écriture différente.
Pour des zones périphériques avec des problématiques de recyclage urbain, il peut y avoir un conflit de compétences, qui n'empêche pas une légitimité de part et d'autre. Il faut donc que nous trouvions un point d'équilibre permettant à chacun de conserver son droit de préemption. Il nous parait important de muscler d'autres outils, comme l'EPF, mais également de conserver le droit de préemption urbain pour la situation spécifique des zones périphériques et du recyclage foncier.
Un préfet va bientôt rendre un rapport sur les friches industrielles car il y en a 160 000 hectares et ces dernières font l'objet d'une forte spéculation. Il faut absolument accompagner les élus pour garder la maitrise des friches.
C'est l'un des points saillants : le ZAN appelle vraiment à un renforcement de tous nos outils. Cela n'est pas du tout lié à une mise en cause des SAFER ou de leurs prérogatives, même s'il peut y avoir des conflits d'usage sur certains fonciers périphériques à tendance agricole.
Notre rapporteur général se demande aussi comment maitriser le temps long. Effectivement, faut-il muscler les EPF pour porter les sujets ZAN et d'autres sujets plus complexes ? Ce foncier va devenir encore plus complexe, réglementé et cher et va avoir besoin d'être porté de manière plus conséquente. Il va falloir faire évoluer les règles. Actuellement les EPF doivent porter puis libérer les terrains rapidement, ce qui n'est pas adapté.
Cela renvoie également à la question sur la manière dont est appréhendé le stock de foncier : si dans les stocks il y a du foncier qui devient non constructible, comment cela est-il pris en compte ? M. Rapin, l'EPF revend en général à la collectivité au prix d'acquisition auquel s'ajoutent les frais. C'est la collectivité qui porte le risque financier en cas de déclassement. Il y a un vrai risque.
M. Jean-François Rapin. - Cela pose un problème en termes de projets. Aujourd'hui, qui va prendre un risque puisqu'il n'y a aucune certitude sur le futur ? Il y a là un sujet de fond.
Jean-Baptiste Blanc, rapporteur spécial. - Très juste.
La tutelle exercée sur les EPF leur pose de plus en plus de problèmes. Il leur est demandé de produire du volume sans qu'il leur soit permis de dégager du résultat. En conséquence, il faut que cela tourne en permanence.
Mme Lavarde, la similitude avec les opérations des conservatoires est réelle. Est-ce que les ressources pour les EPF sont trop faibles ? La question est posée. Les EPF servent justement à agir lorsqu'il y a une opportunité, par la voie de la TSE et de l'emprunt qui permettent d'agir vite s'ils ont une information. D'où la proposition du rapport de renforcer l'accès aux données.
Pour la deuxième question : est-ce que les dotations, la TSE et les emprunts suffisent ? La réponse est pour l'instant oui, mais jusqu'à quand ? Surtout dans un contexte de foncier plus rare et plus cher.
Se pose également une autre question, qui est celle de savoir si nos outils, que nous devons renforcer, n'ont pas vocation à intervenir sur d'autres sujets. Ce qui m'a beaucoup frappé lors de mes déplacements c'est de voir que certains EPF, comme celui d'Occitanie, étaient appelés à porter beaucoup d'opérations complexes, comme la dépollution ou la reconquête d'une friche, d'une copropriété ou d'espaces naturels, parfois en lien avec des conseils départementaux ou l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU).
Nous voyons au regard des déclarations récentes du Président de la République que la rénovation des copropriétés est une des pistes sérieusement envisagées, ce qui est heureux.
Est-ce que les EPF sont des bons outils ? Oui. Est-ce qu'ils sont adaptés à l'époque plus complexe ? Oui pour l'instant. Est-ce qu'ils sont adaptés pour porter des politiques qui ne sont pas dans leur périmètre historique ? Je le pense, mais à condition de faire évoluer certains points, dont leur fiscalité.
La question des zones blanches et de la superposition est un double sujet épineux et crucial. Le seul cas observé de superposition était en Occitanie, avec un EPF au niveau régional et un autre au niveau local, situé à Perpignan, dotés de périmètres distincts et superposés. Dès lors, l'efficacité d'avoir une enclave au sein d'un EPF pose question. S'il est certain qu'il faut adapter la réponse aux territoires, le tout est de voir dans chaque situation si la superposition n'est pas contreproductive. En l'espèce, en Occitanie, cela semblait ne pas être le cas puisque il y a une continuité de l'action.
A contrario, nous avons vu dans certains territoires des demandes de mise en place de micro-foncières, de sorte que l'EPF régional était perçu comme trop éloigné et pas assez adapté aux territoires locaux. Dans ces cas-là, il faudrait donc mieux ajuster la réponse aux territoires, tout en veillant bien à éviter les cas de superpositions contreproductives. Il faut donc raisonner au cas par cas.
S'agissant des zones blanches, le point est de savoir si certains territoires n'ont vraiment pas besoin d'accompagnement public pour porter le foncier. Cela me semble périlleux. Il faut couvrir la carte de France d'EPF.
J'insiste toutefois sur un point : les EPF ne doivent pas se substituer au privé lorsque celui-ci est en capacité d'agir. L'action publique doit intervenir en complémentarité avec le privé, et uniquement lorsqu'il existe des carences et des sujets à porter.
Sur la question de l'achat d'un terrain maraicher par un EPF, il faut voir le cas d'espèce mais l'hypothèse ne me choque pas en soi. Toutefois, et dès lors qu'il y a un lien avec le monde agricole, un conflit est possible avec les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER). Cela dépend du cas précis.
En ce qui concerne les gares, il y a un énorme sujet, notamment en Île-de-France. Il y a en marge de ce sujet la question du logement, et plus particulièrement du besoin de se loger à proximité de son travail, ce qui est plus écologique. Les outils publics doivent donc être adaptés à ces problématiques dans le cadre d'un phénomène de spéculation dès qu'un projet de gare est annoncé. Certaines communes essaient d'être le plus volontariste possibles, avec les EPF à leurs côtés.
Ce que je propose dans mon rapport favorisera le portage long. La question se pose notamment de savoir si la taxe spéciale d'équipement (TSE) va suffire dans la mesure où elle est de plus en plus remplacée par des dotations.
Enfin la fiscalité locale pèse principalement sur deux catégories : les entreprises et les particuliers, dont l'importance varie selon les territoires.
Mme Sylvie Vermeillet. - Pouvez-vous revenir sur le risque lié à l'évolution de TVA sur marge ?
M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur spécial. - On s'interroge sur la portée d'une jurisprudence récente : la vente d'un terrain par un EPF risque d'être soumise à la TVA sur le prix total et non sur les seuls travaux d'amélioration apportés par l'EPF, ce qui pourrait poser des difficultés de trésorerie pour les collectivités. Il faudra avoir une expertise d'ici au prochain projet de loi de finances.
Mme Sylvie Vermeillet. - On pourrait comparer la fiscalité des EPF avec celle des SAFER : que la TVA porte sur les transformations, oui, mais pas sur le terrain en tant que tel.
La commission adopte les recommandations du rapporteur spécial et autorise la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.
Rapport relatif à la situation et aux perspectives des finances publiques - Audition de M. Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes
M. Claude Raynal, président. - Monsieur le Premier président, nous sommes heureux de vous retrouver pour que vous nous présentiez, comme chaque année, le rapport de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques. Je salue également toutes les personnes qui vous accompagnent, et notamment Mme la présidente de la première chambre.
À la lecture de votre rapport, la situation est plutôt sombre, comme les perspectives. Vous soulignez qu'en 2023 le déficit public devrait augmenter pour atteindre 4,9 points de PIB. Je note que le déficit de l'État, à lui seul, atteignait déjà 107 milliards d'euros à la fin du mois de mai 2023, soit 25 milliards d'euros de plus qu'à la même date en 2022.
Vous considérez que l'objectif de ramener le déficit à moins de 3 % du PIB en 2027 demeure atteignable, bien qu'il soit fondé sur des hypothèses macroéconomiques optimistes. D'une façon générale, nous serons tous intéressés de connaître votre analyse sur les écarts déjà observés entre le projet de loi de programmation des finances publiques examiné à l'automne dernier et les perspectives économiques et de finances publiques de moyen terme.
Votre rapport met également l'accent sur la procédure de revue des dépenses publiques, à laquelle vous apportez une contribution approfondie ; vous soulignez par exemple que certaines aides ne sont pas suffisamment ciblées - peut-être pourrez-vous nous en donner quelques exemples. Vous considérez que le volet « performance » de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) devrait être largement révisé, notamment en publiant massivement les données produites par l'administration. Il reste à savoir ce que le Gouvernement retiendra de cette revue des dépenses, car peu d'éléments ont filtré jusqu'à présent.
M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. - Je vous remercie beaucoup, monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, de m'avoir invité une fois de plus pour que je présente le rapport de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques (RSPFP), moment important pour la Cour et pour ses magistrats, qui sont particulièrement attachés à leur mission d'assistance au Parlement : nous sommes à votre disposition et, dans ces débats, nous sommes vos alliés.
Je souhaite saluer l'ensemble des artisans de ce rapport, avec à leur tête Mme Carine Camby, présidente de la première chambre.
Cette année, le RSPFP porte des messages particulièrement importants sur l'état toujours dégradé de nos finances publiques et sur la nécessité de nous projeter dans une trajectoire de redressement alors que le contexte économique a fortement évolué, mais non pour le meilleur, depuis l'année dernière.
La croissance ralentit et, même si la France, contrairement à l'Allemagne, semble avoir échappé à la récession, le dynamisme exceptionnel des rentrées fiscales qui nous a bien aidés, il faut le dire, en 2021 et en 2022 ne se répétera probablement pas une troisième année consécutive. Du côté des dépenses, l'inflation et la hausse des taux d'intérêt augmentent fortement la charge de la dette, qui mobilise une part croissante de nos ressources.
Je l'ai dit et je le redirai : si nous voulons préserver notre souveraineté budgétaire, si nous voulons restaurer nos marges de manoeuvre pour financer la transition écologique, si nous voulons pouvoir investir dans des domaines clés, il est indispensable d'assainir nos finances publiques. Le désendettement, vous le savez bien, n'est pas une fin en soi ; mais c'est un impératif pour les générations futures. Sa raison d'être est de préparer l'avenir.
Cette contribution est attendue, je le sais ; j'ai déjà eu l'occasion d'en présenter certains éléments aux Assises des finances publiques, le 19 juin dernier. Nous allons maintenant passer aux travaux pratiques : je dévoilerai demain matin neuf notes portant sur de grandes thématiques de politique publique auxquelles nous devons collectivement réfléchir.
Le rapport que je vais vous présenter comporte quatre chapitres, dont les trois premiers sont traditionnels s'agissant d'un RSPFP - ils portent successivement, sans surprise, sur les résultats 2022, sur l'exercice 2023 et sur la trajectoire pluriannuelle tracée par le programme de stabilité 2023-2027 -, tandis que le quatrième, plus novateur, est une contribution transversale, méthodologique, de la Cour des comptes à l'exercice des revues de dépenses. Il propose une grille d'analyse de la qualité de la dépense publique, qui est illustrée par de nombreux travaux récents des juridictions financières.
Le RSPFP de cette année est l'occasion de constater que le déficit demeure très élevé en 2022.
Je commencerai par dire quelques mots du « quoi qu'il en coûte », dont nous devons acter définitivement la fin, que l'on « trompette » depuis longtemps et qui devait intervenir en 2022. Mais la crise des prix de l'énergie et la guerre en Ukraine ont empêché ce retour à la normale des dépenses publiques ; l'inflation a atteint des niveaux que nous n'avions plus connus depuis les chocs pétroliers ; l'activité économique a ralenti fortement.
Le Gouvernement a choisi, cela se comprend, de protéger les ménages et les entreprises grâce à des dispositifs comme le bouclier tarifaire et les primes à la pompe. Si ces choix ont permis de préserver le pouvoir d'achat des ménages et la compétitivité des entreprises en atténuant le choc d'inflation, ils ont entretenu, du côté des finances publiques, une incontestable dynamique de dépense. Ce faisant, ils ont très fortement pesé sur notre déficit, qui est resté élevé, à 4,7 points de PIB.
Si je qualifie ce déficit d'« élevé », c'est dans l'absolu, mais aussi en comparaison avec nos partenaires de la zone euro et au regard du fait que nos finances publiques ont bénéficié, en 2022, de facteurs conjoncturels plutôt favorables, qui auraient dû permettre de le réduire.
D'une part, les mesures de soutien liées à la crise sanitaire et les dépenses de relance ont diminué de 50 milliards d'euros, ce qui est considérable. Si les dépenses liées à la crise énergétique n'avaient pas pris le relais, cette diminution aurait ramené le déficit à un niveau nettement plus satisfaisant.
D'autre part, et comme en 2021, le dynamisme spontané des recettes publiques a été exceptionnel, au point que, malgré la poursuite des baisses d'impôts, qui ont atteint 50 milliards d'euros depuis 2017, le taux de prélèvements obligatoires a atteint en 2022 son plus haut niveau historique, à 45,4 % du PIB.
Pourquoi le déficit reste-t-il si élevé malgré ces facteurs conjoncturels plutôt favorables ? Il s'est passé que ce déficit reste, pour sa plus grande part - pour 4 points de PIB -, de nature structurelle, ce qui veut dire qu'il ne se résorbera pas du seul fait du redressement de l'économie. Il est vain d'attendre de je ne sais quel retour aux Trente Glorieuses l'effacement d'un déficit qui n'est pas conjoncturel.
Les concepts et les indicateurs utilisés dans le cadre de la gouvernance budgétaire européenne sont en cours de révision, mais je rappelle que ce déficit structurel, qui est l'élément clé du Pacte de stabilité et de croissance, devrait être beaucoup plus bas : l'objectif de moyen terme fixé par la loi de programmation des finances publiques (LPFP) pour les années 2018 à 2022 était de -0,4 % et la cible pour 2022 de -0,8 % ; on en est très loin. On voit à quel point les cicatrices de la crise sanitaire sont profondes.
Conséquence du déficit élevé, la dette publique, à 111,8 points de PIB, reste très supérieure à son niveau de 2019 : 14,2 points de PIB supplémentaires, de 2 375 milliards d'euros en 2019 à 2 950 milliards d'euros en 2022, soit une augmentation de 575 milliards d'euros en trois ans - et elle vient de dépasser les 3 000 milliards d'euros.
J'en viens maintenant à l'année 2023, qui aurait dû être la première année d'une trajectoire de redressement. D'après les prévisions du Gouvernement, on peut craindre qu'il s'agisse d'une année « blanche » ou, pour être plus aimable, de transition, en matière de redressement des finances publiques.
En effet, en 2023, les incertitudes économiques demeurent fortes et le déficit non seulement ne se réduira pas, mais devrait même repartir légèrement à la hausse, repoussant à 2024 le début de la décrue.
Si nous avons eu la chance de bénéficier d'un hiver doux, sans rupture d'approvisionnement sur le gaz, et alors que les prix de l'énergie ont très fortement diminué en début d'année, l'année 2023 demeure marquée par de nombreuses incertitudes, tant du point de vue géopolitique que du point de vue financier. Dans ce contexte, selon les prévisions du Gouvernement, notre croissance attendrait 1 % en 2023. Je rappelle que cette estimation est un peu supérieure à celle qui émane du consensus des économistes et du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), le chiffre retenu étant plutôt de 0,6 %.
Pour ce qui est des recettes publiques, elles devraient marquer cette année un net ralentissement en termes réels : le Gouvernement prévoit qu'elles pourraient croître de 4,3 %, ce qui serait sensiblement moins que la valeur du PIB, qui augmenterait, quant à elle, de 6,5 %. Ce décalage des recettes par rapport au PIB, accentué par les mesures votées de baisses d'impôts - je pense notamment à la suppression de la dernière tranche de la taxe d'habitation sur les résidences principales et à la première étape de la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) -, explique que le taux de prélèvements obligatoires devrait baisser d'un point pour s'établir à 44,3 %. Ces résultats sont dus, je l'ai dit, à une dynamique des recettes exceptionnellement forte : aucune maîtrise spécifique du désendettement n'est en cause...
La dépense publique, corrélativement, progresserait moins vite que l'inflation, du fait, je le disais, du repli des dépenses de soutien face à la crise sanitaire et de relance.
Au total, le déficit augmenterait à nouveau pour s'établir à 4,9 points de PIB, après 4,7 points de PIB en 2022 : stabilité, mais tendance à la hausse. Le déficit structurel demeurerait inchangé, à 4 points de PIB ; la dette atteindrait 109,6 points de PIB, soit un repli de plus de deux points dont on se réjouirait davantage s'il n'était exclusivement dû à l'effet de l'inflation sur le dénominateur - il ne traduit aucun effort de désendettement.
La conclusion de ce tableau est que l'année 2023 devrait être une année blanche en matière de redressement des finances publiques. Il n'y a pas grand-chose à attendre de ce point de vue ; le plateau reste très élevé, tout de même, au regard de la situation qui prévaut dans le reste des pays de la zone euro. La plupart d'entre eux sont entrés un peu moins ou substantiellement moins endettés que nous dans la crise du covid et font, à la sortie, un effort un peu plus marqué que le nôtre : s'ensuit une incontestable divergence.
J'en viens maintenant à la trajectoire 2023-2027 tracée par le programme de stabilité (PStab). J'ajoute par ailleurs qu'il est fondamental que nous puissions, que vous puissiez, disposer d'une loi de programmation des finances publiques à l'automne, cette trajectoire visant à tourner la page de la crise sanitaire. Le message de la Cour est simple : ramener le déficit à moins de 3 % du PIB - je veux dire à significativement moins de 3 % ; à cet égard, les objectifs du PStab sont plus ambitieux que ceux des premières moutures du projet de loi de programmation qui vous a été soumis à l'automne dernier. C'est un objectif atteignable, mais au prix d'un effort très substantiel sur la dépense publique, d'autant que le scénario macroéconomique qui sous-tend cet objectif est optimiste et que nous sommes donc à la merci d'une déception.
Je redis ma formule, presque un mantra : il faut fonder notre trajectoire sur un objectif ambitieux - 2,7 % de déficit en 2027 et placer la dette sur une trajectoire descendante, c'est ambitieux, mais ce n'est pas non plus la mer à boire... - et des hypothèses crédibles et réalistes. Il faut les deux ! C'est à cette aune-là qu'il faudra examiner le projet de loi de programmation des finances publiques.
Les crises sanitaire puis énergétique ont propulsé notre dette publique à des niveaux historiques. Il faut maintenant retrouver des marges de manoeuvre pour redresser nos finances publiques.
La Première ministre a annoncé voilà deux semaines, aux Assises des finances publiques, que le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 sera déposé à nouveau sur le bureau des assemblées en septembre. C'est absolument impératif, non seulement au regard de nos engagements européens, mais aussi pour ancrer, expliciter, étayer notre stratégie de finances publiques. Pour l'heure, nous nous fondons sur le PStab : c'est mieux que rien, mais ce n'est pas juridiquement solide.
Ce projet de loi de programmation des finances publiques devra apporter des réponses claires à trois enjeux majeurs.
Le premier est celui du risque d'une divergence française accrue au sein de la zone euro : la trajectoire proposée dans le PStab est moins ambitieuse que celle de nos principaux partenaires européens - en la matière, disons-le, nous sommes les moins ambitieux de tous.
Le deuxième enjeu est celui du réalisme des prévisions macroéconomiques utilisées pour construire cette trajectoire de retour sous les 3 %. J'ai déjà eu l'occasion de dire que les hypothèses macroéconomiques sur lesquelles se fonde le Gouvernement sont trop optimistes, concernant notamment la croissance potentielle : elles sont au-dessus de toutes les prévisions en la matière !
Le troisième enjeu est celui de la maîtrise des dépenses.
Je ne ferme jamais le débat sur l'impôt, instrument d'allocation et de redistribution. Mais compte tenu du niveau déjà atteint par nos prélèvements obligatoires, il me paraît difficile d'aller beaucoup plus haut et il est clair que la réduction du déficit reposera à titre principal sur un effort substantiel en matière de dépenses. Les ordres de grandeur sont connus : avec une croissance de la dépense publique en volume limitée à 0,4 % par an hors charges d'intérêt, c'est en réalité entre 10 et 12 milliards d'euros d'économies nettes qu'il faut réaliser chaque année, et ce alors que de nouvelles dépenses ont été annoncées. La crédibilité et le succès de cette démarche exigent donc que le projet qui vous sera soumis soit ambitieux et précis pour ce qui est des réformes de politiques publiques qui permettront de réaliser ces économies.
J'en viens donc au quatrième moment de mon intervention : la revue des dépenses à laquelle s'est engagé le Gouvernement, que la Cour propose d'emblée d'axer sur la qualité et sur les résultats.
Je le dis depuis longtemps - et à cet égard je suis satisfait d'avoir été sinon écouté, du moins entendu -, une telle revue est indispensable ; elle peut et doit être un instrument puissant au service des objectifs d'une programmation pluriannuelle réussie si elle est menée - chaque terme compte - avec détermination, dans la durée, si elle porte sur un périmètre large, si elle implique et responsabilise toutes les administrations publiques. À défaut, il faudra se contenter, plutôt que d'une revue des dépenses publiques, de quelque chose qui en aura l'apparence sans en avoir la réalité. J'ajoute qu'une revue des dépenses publiques n'est pas seulement ni d'abord un exercice budgétaire : c'est beaucoup plus ambitieux et exigeant que cela. La revue précède donc les économies, qui ne font que s'en déduire ; c'est donc l'inverse d'un mécanisme de rabot : c'est beaucoup plus intelligent.
Un tel exercice n'est en rien une nouveauté pour nos partenaires. Les organisations internationales, OCDE, FMI, Commission européenne, l'encouragent.
En France, on dénombre quatre tentatives passées : les audits de modernisation de l'État en 2005, la révision générale des politiques publiques (RGPP) en 2007, la modernisation de l'action publique (MAP) en 2012, le programme Action publique 2022 en 2017.
Ces démarches étaient pour l'essentiel limitées aux dépenses de fonctionnement courant de l'État et n'ont par conséquent abouti qu'à des résultats très modestes, comme l'atteste la dynamique de notre dépense publique, que nous n'avons jamais réussi à infléchir depuis cinquante ans, quel que soit l'indicateur utilisé.
La nouvelle génération de revues des dépenses doit en tirer les leçons, prendre acte des insuffisances de ces tentatives et être conçue, dès l'origine, comme un exercice beaucoup plus holistique et global. Elle doit être l'occasion de mettre en place une gouvernance des finances publiques saine et efficace, associant toutes les administrations publiques, l'État et ses opérateurs, la sécurité sociale et les collectivités territoriales, portant l'effort sur toutes les dépenses, qu'elles soient de fonctionnement ou d'investissement, dans tous les secteurs. Toutes les dépenses doivent ainsi être soumises à des exigences similaires de qualité et de soutenabilité.
Ainsi avons-nous placé la qualité de la dépense publique au coeur de notre contribution à cette revue des dépenses et identifié des pistes d'amélioration - tel est l'objet de ce chapitre 4, qui est assez original.
Ma conviction est que la réduction brutale et uniforme des dépenses publiques n'est pas une solution - j'ai déjà dit maintes fois que l'austérité était la pire des options et le rabot la pire des procédures. La recherche de la qualité et de l'efficience doit être la clé de la maîtrise de la dépense et de l'amélioration de nos politiques publiques.
Pourquoi soulever cette question de la qualité ? Je fais, comme beaucoup, le constat d'un paradoxe français de la dépense. Nous avons fait un choix depuis très longtemps : nous avons une préférence collective pour la dépense. Aussi notre dépense publique a-t-elle augmenté depuis 2008 de 28 % en volume et par habitant ; et elle ne cesse de croître. La dépense publique représente 58 % du PIB, soit huit points de plus que la moyenne européenne - c'est considérable. Je ne porte aucun jugement de valeur ; on pourrait accepter un tel niveau de dépense, à une condition : que la satisfaction des usagers soit à la hauteur.
Or on constate, depuis le début des années 2000, simultanément à cette montée de la dépense, un déclin de la satisfaction exprimée par nos concitoyens au sujet des services publics. Si notre système éducatif - je pense à notre classement dans le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa) - et notre politique du logement étaient unanimement considérés comme parfaits, on pourrait dire « alléluia ! ». Est-ce le cas ? Non. Les contribuables sont en droit d'interroger le rapport qualité-prix de nos politiques publiques : on peut dépenser beaucoup à condition de dépenser très bien, mais si la qualité de la dépense est approximative, alors on crée un hiatus, une contradiction, une frustration, une colère.
Nous avons donc réfléchi à la qualité de la dépense publique en partant de questions simples à trois étapes clés : conception, déploiement et évaluation de la dépense.
Pour ce qui concerne la conception des dispositifs de dépense, premièrement, il est nécessaire de mieux étayer leur valeur ajoutée au travers notamment d'un ciblage plus pertinent ; d'assigner à ces dépenses des objectifs plus clairs et mieux hiérarchisés ; de veiller à ce que ces dépenses soient cohérentes et non redondantes par rapport aux dispositifs existants. Il convient également de veiller plus rigoureusement à la cohérence des initiatives entre les différents niveaux d'administration et d'associer plus en amont et plus étroitement les parties prenantes. Par ailleurs, la « compatibilité climatique » de la dépense doit être vérifiée dès le moment de sa conception.
La mise en place des études d'impact obligatoires, en 2009, n'a pas non plus permis d'enrayer la dynamique de la dépense. Je défendrai donc une idée assez disruptive, à savoir la systématisation de la contre-expertise indépendante des études d'impact par un organisme du monde académique.
Deuxième niveau : le déploiement des dispositifs de dépense. Les crises récentes ont montré que l'administration était capable de dépenser vite, et même bien. Il faut aller plus loin et trouver le bon équilibre entre rapidité, d'une part, et, d'autre part, contrôle du paiement à bon droit et lutte contre la fraude. La Cour estime que la revue des dépenses doit intégrer ces deux dimensions.
Toujours au stade du déploiement, la Cour observe qu'une fois les crédits votés, la répartition des moyens entre services, entre territoires ou entre opérateurs - par exemple entre universités, entre tribunaux, entre collectivités territoriales - constitue un enjeu majeur. Ne nous contentons pas d'examiner une enveloppe globale : descendons un peu plus bas, d'autant plus que les systèmes actuels de répartition font montre d'une grande inertie et créent des inégalités entre territoires, car les dotations historiques sont privilégiées au détriment des besoins prioritaires.
Concernant le volet « performance », je vais être un peu rude : c'est l'administration, je le crains, qui conçoit ses propres indicateurs de performance à destination des corps de contrôle sous le regard indifférent des commanditaires politiques et du grand public. La voie que nous proposons, pour notre part, est celle d'une vaste ouverture, d'un grand coup d'air. Il faut franchir, en la matière, une étape audacieuse.
J'en termine, en bout de chaîne, par l'évaluation, troisième étape du cycle de la dépense. Elle est indispensable pour mesurer la performance et surtout pour susciter une boucle d'amélioration continue.
Nous plaidons pour inclure dans le dispositif juridique des nouveaux programmes de dépense une clause d'évaluation systématique.
Cette grille d'analyse de la « qualité » proposée par la Cour permet de constater certains progrès accomplis - heureusement ! - depuis une quinzaine d'années, la simplification et la numérisation notamment, mais aussi d'identifier de nombreuses voies d'amélioration. Si elle porte sur l'ensemble des dépenses, sans rien exclure a priori, si elle responsabilise toutes les administrations, si elle s'inscrit dans la durée, si elle reste sous-tendue par une volonté politique forte, alors la revue des dépenses pourra être un levier de l'amélioration de la qualité de la dépense publique et de sa soutenabilité.
À défaut, nous produirons un document qui, quoique utile sur le plan financier, ne traitera pas les problèmes à la racine, ne permettra pas d'améliorer les politiques publiques et la satisfaction à l'égard des services publics et nous placera chaque année face à un exercice budgétaire assez brutal, assez fruste et en définitive totalement frustrant.
Il est donc temps de passer à l'action. C'est pourquoi la Cour est plus que jamais à la disposition du pouvoir législatif, du pouvoir exécutif et des citoyens. Comme je l'ai dit, je rendrai publiques, demain, neuf notes thématiques portant sur neuf domaines d'action prioritaires : les dépenses fiscales, les aides aux entreprises en temps de crise, la transition écologique, l'éducation, les forces de sécurité intérieure, les relations financières avec les collectivités, la formation professionnelle, le logement et les soins de ville.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je vous remercie, monsieur le Premier président, vous et votre brillante équipe.
Je partage votre constat : on ne saurait dire « alléluia ! ». Vous nous avez apporté le kit complet du « prêt-à-bien-dépenser » : nous essaierons d'en faire bon usage. Vous avez appelé à bousculer les habitudes et les conservatismes ; c'est exactement ce à quoi nous nous sommes évertués lors de l'examen du dernier projet de loi de programmation des finances publiques, et le Gouvernement nous a opposé une fin de non-recevoir. J'entends qu'il consulte dans la perspective du dépôt d'un nouveau texte, mais chat échaudé craint l'eau froide. Les propositions du Sénat, à l'automne, avaient été accueillies sous les appellations de « rigueur affreuse » et de « brutalité ».
J'ai appris que, dans la vie publique, ce que l'on ne fait pas aujourd'hui se révèle plus douloureux quand on finit par s'y atteler ; or les compteurs sont tous à peu près au rouge. Plus nous laissons nos comptes publics dériver, plus l'effort que nous aurons à réaliser sera difficile à mettre en oeuvre et à accepter par nos concitoyens. Dans ce véritable marathon qu'est le redressement des finances publiques, nous partons en queue de peloton et lestés par nos mauvais résultats passés.
Je souscris à vos propos, monsieur le Premier président. Je regrette et je m'inquiète que la situation ne se soit pas améliorée, pour des raisons exogènes qui, bien que compréhensibles, n'empêchent pas d'essayer de tenir la dépense. Outre ces problèmes strictement budgétaires, nous sommes confrontés à des problèmes de cohésion et de dégradation du climat social. L'alerte donnée voilà quelques mois par une agence de notation avait été prise de haut ; il faudra bien répondre, néanmoins, à la préoccupation générale qui s'exprime.
Je poserai maintenant deux questions.
Premièrement, plusieurs lois de programmation ont été récemment examinées pour certains secteurs. De tels textes obtiennent généralement un large assentiment, ce qui laisse espérer une mise en oeuvre aisée. Mais ces nouvelles lois de programmation n'avaient pas été prises en compte, pour l'essentiel d'entre elles, dans le projet de loi de programmation des finances publiques présenté à l'automne dernier : on se retrouve en porte-à-faux. À cet égard, qu'en est-il selon vous de notre capacité à tenir malgré tout la trajectoire ainsi proposée ?
Deuxièmement, les opérateurs publics, sujet qui intéresse le Sénat depuis un certain temps, sont au nombre de 500 environ, captent plus de 76 milliards d'euros de subventions et représentent 400 000 emplois. Certains d'entre eux sont chargés du versement d'aides publiques ; il arrive que certains échappent à une bonne maîtrise de nos comptes publics. Quelle est l'analyse de la Cour sur ce qui peut s'apparenter parfois à du dévoiement de la dépense publique et rendre plus difficile la maîtrise et la visibilité auxquelles nous aspirons tous ?
M. Pierre Moscovici. - Pour répondre tout d'abord à la question du président Raynal, vous trouverez dans les neuf notes publiées demain beaucoup d'exemples d'aides non ciblées ou mal ciblées.
Je citerai les aides à la rénovation énergétique, par exemple MaPrimeRénov', dispositif sur lequel la Cour des comptes a publié en 2021 un « audit flash ». Les gains en consommation énergétique ne sont pas mesurés et ne conditionnent pas l'aide ; sans que ce constat remette en cause la pertinence qu'il y a à aider à l'adaptation des logements au réchauffement climatique, un problème de ciblage se pose très clairement.
Je pourrais citer aussi le chèque énergie, trop largement distribué, qui a servi à soutenir le pouvoir d'achat plutôt que de remplir sa finalité initiale.
Je mentionnerai enfin les soutiens à l'apprentissage, qui ont pris la forme, pendant la crise sanitaire, d'une aide exceptionnelle à l'embauche d'apprentis. On constate que ces soutiens ont plutôt favorisé les diplômés dans l'insertion sur le marché du travail. Le nombre d'apprentis a explosé, passant de 305 000 en 2017 à 837 000 en 2022 ; on pourrait s'en féliciter davantage si le dispositif n'avait pas laissé de côté ceux qui en auraient eu le plus grand besoin.
Monsieur le rapporteur général, le Haut Conseil des finances publiques, que je préside également, est désormais saisi des projets de loi de programmation sectorielle. Vous avez vous-mêmes débattu récemment de trois projets de loi de ce type : le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi), le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030. Ces trois textes représentent quelque 20 % du nouveau périmètre de dépenses de l'État ; ainsi 20 % des dépenses de l'État ont-ils en quelque sorte été sanctuarisés. Ces trois lois exprimant des priorités de politique publique, elles sont plutôt « expansives ». Puisque l'on veut par ailleurs limiter la croissance de la dépense publique à 0,4 % en volume par an, cela signifie que l'effort de limitation doit porter sur tout le reste, et doit être, dans les domaines où il s'applique, plus important encore. D'où ce chiffre de 12 milliards d'euros d'économies par an, 60 milliards en tout, sur la période de la trajectoire. Une loi de programmation d'ensemble est donc plus que jamais nécessaire pour dessiner une cohérence et définir secteur par secteur où il faut mettre en oeuvre les réformes.
Les opérateurs publics sont au nombre de 438 en 2023 ; ils reçoivent 76,6 milliards d'euros de subventions. La Cour a déjà rappelé le besoin de renforcer leur tutelle via des contrats d'objectifs et de moyens. Seuls 22 % d'entre eux sont dotés d'un tel contrat. Le plus problématique est que leur activité ne soit pas contrôlée. Quatre contrats d'objectifs et de moyen ont été conclus depuis 2022 : c'est très peu.
Les opérateurs de l'État ne doivent pas échapper à la revue des dépenses, laquelle ne fait sens que si elle est vraiment holistique, c'est-à-dire si elle touche à la fois l'État et ses opérateurs, la sécurité sociale, les collectivités territoriales, les dépenses de fonctionnement, les dépenses d'investissement. L'exercice est difficile, mais indispensable : il faut sortir de cette spirale annuelle de débats budgétaires auxquels fait défaut la granularité nécessaire.
M. Claude Raynal, président. - La méthode que vous préconisez, une méthode d'analyse globale des politiques publiques, paraît de bon sens. Beaucoup d'élus locaux la pratiquent ou l'ont pratiquée : quand un nouveau maire prend ses fonctions, il remet généralement à plat l'ensemble des politiques municipales. C'est donc un exercice que nous connaissons. Pour l'avoir pratiqué dans ma ville, une petite ville de 30 000 habitants, je peux vous dire qu'il m'avait fallu plus d'un an pour le faire dans de bonnes conditions d'écoute de la population.
Quel pourrait être selon vous l'horizon temporel de la méthode que vous proposez ? Et comment celle-ci s'articulerait-elle avec les économies qui sont nécessaires à court terme pour améliorer le déficit public ? La démarche holistique que vous présentez étant extrêmement lourde, quelle serait la durée d'un tel processus ?
M. Vincent Delahaye. - Je vous remercie pour cette analyse que l'on ne peut que partager et pour les éléments de méthode que vous avez exposés.
Dans la réalité, néanmoins, on ne sent pas une détermination très forte en la matière : la revue annoncée est très limitée. Sur l'inscription dans la durée, je suis très dubitatif également. Il serait intéressant que nous disposions, pour chaque texte, d'études d'impact beaucoup plus sérieuses et solides.
J'invite par ailleurs la Cour à comparer les études d'impact avec ce qui s'est passé après application des lois : une telle évaluation serait opportune.
Vous nous avez transmis un graphique très intéressant sur l'évolution de la dépense publique depuis 2010. Elle est exprimée en pourcentage du PIB ; j'aurais bien aimé voir également les chiffres en milliards d'euros. On y observe qu'en 2020, 2021 et 2022 la dépense publique reste très nettement au-dessus de son niveau moyen d'avant-crise. Pour ce qui est du déficit, le solde lié aux « mesures ponctuelles et temporaires » n'est en 2021, 2022 et 2023 que de - 0,1 point de PIB : je suis un peu surpris, d'autant que dans le même temps le déficit structurel a baissé d'un point, de 5 points de PIB à 4 points de PIB, entre 2021 et 2022, sans que la raison soit indiquée.
L'Allemagne prévoit, pour 2024, une baisse de 6 % de la dépense dans tous les domaines à l'exception de la défense et une baisse du déficit de 2,5 points de PIB. Serait-il possible que la France soit aussi rigoureuse ?
Mme Sylvie Vermeillet. - Je vous remercie, monsieur le Premier président, pour vos analyses.
Les opérateurs d'État sont-ils un gisement important d'économies au sein de la fonction publique ? La décentralisation a eu pour effet de transférer beaucoup d'agents à ces opérateurs, que nous maîtrisons très mal. Auriez-vous une méthode à conseiller pour recenser les doublons, et éventuellement pour les supprimer ?
M. Bernard Delcros. - À mon tour de vous remercier, monsieur le Premier président, pour ces constats et analyses.
L'objectif de ramener le déficit public à 2,7 points de PIB en 2027 vous paraît atteignable. Peut-il être atteint par le seul levier des finances publiques, compte tenu de la nécessité de financer les nouvelles dépenses liées à la transition énergétique et écologique ?
Vous avez évoqué un besoin net d'économies de 10 à 12 milliards d'euros par an. Tenez-vous compte, pour établir ce chiffre, des crédits déjà engagés dans les différentes lois de programmation, qui représentent 20 % du périmètre des dépenses de l'État ?
Vous dites que les collectivités territoriales doivent prendre leur part de cet effort de réduction des dépenses publiques ; pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet ?
Dernière observation : les dépenses militaires ne sont pas les mêmes en France et dans les autres pays de l'Union européenne ; il faudrait à cet égard pondérer l'analyse.
M. Pascal Savoldelli. - Je vous remercie moi aussi, monsieur le Premier président, pour ces analyses, dont nous ne tirons pas forcément tous les mêmes conclusions...
Je commencerai par poser une question technique : quelle est la différence entre l'inflation sous-jacente et l'inflation totale ?
Vous évoquez par ailleurs, dans le document que vous nous avez transmis, au chapitre de la « nécessité de revues de dépenses au champ large responsabilisant tous les acteurs », les collectivités territoriales. Ce champ de la dépense publique mérite des recommandations précises : quelles sont celles de la Cour des comptes ?
Dans le même document, il est question d'une « singularité française en matière de dépense publique entre 2000 et 2022 ». Il serait utile que la Cour fasse à ce sujet une étude : où va l'augmentation du volume de nos dépenses publiques ? Vous avez évoqué des critères d'efficience. Le premier destinataire de nos politiques publiques doit être l'usager, autrement dit le citoyen. Dans quelle mesure, par exemple, la dépense publique va-t-elle aux entreprises et aux marchés financiers ?
Mme Christine Lavarde. - Merci pour ce rapport, monsieur le Premier président.
Le Sénat a rejeté, ce lundi, le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2022 et a confirmé son rejet du projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2021. Quelles conséquences ces votes vont-ils avoir, s'ils en ont, sur les prochains projets de loi de finances ?
Sur l'évaluation, je partage tout ce que vous écrivez. Ne faudrait-il pas envisager de préciser, dans la prochaine loi de programmation des finances publiques, quels sont les outils de mesure et les données à collecter pour réaliser les études d'impact, dont tout le monde s'accorde à dire qu'elles sont très perfectibles ?
M. Didier Rambaud. - Je m'interroge sur le rôle des lois de programmation sectorielles : comment peut-on maîtriser les dépenses publiques dès lors que l'on est lié par des lois de programmation ? On sait qu'aujourd'hui tout ministre rêve d'avoir sa loi de programmation...
Une revue de l'ensemble des dépenses publiques est nécessaire, dites-vous. Quid des collectivités territoriales ? Le Sénat est très chatouilleux sur ce point... Peut-on les considérer de la même manière que la sécurité sociale et que l'État, étant entendu qu'elles ont l'obligation de voter leur budget en équilibre ? Les collectivités ont l'impression d'avoir beaucoup donné ces dernières années, beaucoup plus que l'État ou que la sécurité sociale : les dotations globales de fonctionnement ont été amputées de 14 milliards d'euros entre 2010 et 2017.
M. Christian Bilhac. - À la lecture de ce rapport, on ne peut qu'être d'accord avec le Premier président de la Cour des comptes.
Dans ce pays où l'on aime tout commémorer, ne serait-il pas bon de commémorer quarante ans de décentralisation et cinquante ans de déficit budgétaire ? Cela mériterait d'être salué...
Dans ce millefeuille de la dépense, c'est la crème, et non la pâte, qu'il faut combattre. Avec chaque couche de pâte va une couche de crème ; c'est le cas dans toutes les administrations... Songez aux sports : la pâte, c'est le sportif ; la crème, c'est l'administration, c'est-à-dire le ministère. Idem pour la région, pour le département, pour l'« interco », pour la commune : il y a la pâte et il y a la crème ! Si l'on supprime ne serait-ce que la moitié de la crème, on aura déjà avancé.
Malheureusement, on n'en prend pas le chemin. Il y a dix ans, il existait des routes nationales et des routes départementales. J'imaginais qu'il serait bon que toutes les routes soient départementales : on aurait économisé toute la « crème » autour des routes nationales. Que nenni ! Aux routes nationales et aux routes départementales se sont ajoutées les routes régionales et les routes métropolitaines ! Et voilà deux pots de crème supplémentaires : réjouissons-nous !
Monsieur le Premier président, vous dites que tout le monde doit participer à l'effort. Je mets un petit bémol sur les collectivités. Il faudra certes qu'elles participent, mais en supprimant la « crème », donc sans rogner sur les services aux usagers.
Je me demande par ailleurs si l'usager, ou le contribuable, comme on voudra, est capable de distinguer un prélèvement obligatoire d'un prélèvement « obligé ». Adhérer à une mutuelle santé, par exemple, n'est certes pas obligatoire, mais c'est obligé !
En matière d'évaluation de la qualité de la dépense, les logiciels de la direction générale des finances publiques (DGFiP) sont quelque peu dépassés : elle évalue la dépense, mais non les recettes induites. La Cour envisage-t-elle un rapport sur les niches fiscales ?
Mme Isabelle Briquet. - Je vous remercie, monsieur le Premier président, pour la pertinence des analyses de la Cour.
Je vous rejoins quand vous dites que l'austérité est la pire des solutions et que le rabot n'est pas la bonne méthode. Nous en avons la preuve avec l'application de cette logique, depuis des années, au sein de l'administration territoriale de l'État. Résultat : il faut réarmer les services de l'État pour préserver les compétences, qui au fil du temps diminuent dangereusement, et pour garantir un service public minimal.
Vous plaidez pour dépenser mieux. Mais, compte tenu de l'équation budgétaire qu'il nous faut résoudre et du déficit important de notre pays, n'est-il pas temps de soulever aussi la question des recettes en mettant fin au désengagement fiscal continu engagé par l'État depuis plusieurs années ?
M. Stéphane Sautarel. - Cette présentation confirme la dégradation de nos comptes en 2022 et l'absence d'évolution en 2023.
Vous nous présentez une méthodologie pour rendre la dépense plus efficace et en diminuer l'inertie. Il y a là en effet, avec ce dernier point, l'une de nos principales difficultés : nous avons beaucoup de mal à interrompre une politique publique déjà amorcée lorsque nous définissons de nouvelles priorités.
Je regrette que vous ne partagiez pas avec nous les neuf fiches que vous avez évoquées - nous les découvrirons demain -, en particulier celle qui a trait à la dépense fiscale. Quoi qu'il en soit d'un éventuel rapport sur les niches fiscales, je suis en effet convaincu que les dépenses fiscales et sociales constituent des gisements majeurs et pourraient faire l'objet d'une nouvelle méthodologie, reposant notamment sur l'instauration de projets bornés dans le temps. Pouvez-vous nous donner des pistes à ce sujet ? « Dans chaque niche, il y a un chien », je le sais bien. Mais il est temps que nous nous emparions sérieusement de cette question.
M. Gérard Longuet. - Je vous remercie, monsieur le Premier président, pour votre rapport.
Vous envisagez une stratégie en faveur de la « bonne » dépense. Quelles alliances imaginez-vous pour porter ce projet, que personne, absolument personne, ne défend aujourd'hui dans notre pays ? La raison de ce rejet est parfaitement évidente à la lecture de vos trois « orientations assumées ». Vous plaidez, tout d'abord, pour une « gouvernance budgétaire plus moderne dans l'usage de la donnée », ce qui équivaut à mieux faire connaître nos services publics, dont nous nous vantions il y a encore quelques années. Nous découvrons à cette occasion que ceux-ci sont tous désormais profondément dégradés. J'ai à l'esprit le service public de l'enseignement scolaire, puisque je suis chargé depuis dix ans du rapport spécial de cette mission au sein de notre commission : les enseignants sont mal payés et les résultats sont médiocres.
Vous envisagez, ensuite, une gouvernance « plus transparente et plus participative ».
En général, la transparence met en lumière des inégalités de traitement, géographiques ou catégorielles, qui donnent toujours lieu à un alignement « vers le haut », c'est-à-dire vers la dépense.
Quant à l'idée d'une gouvernance participative, elle ne séduira que ceux de nos concitoyens qui sont déjà « accros » à la dépense publique, désireux de l'augmenter encore. Quelle est donc votre stratégie d'alliance ?
M. Michel Canévet. - Je souhaite à mon tour remercier M. le Premier président pour sa présentation liminaire et pour le rapport qui nous est présenté aujourd'hui.
Vous indiquez, page 110 du rapport, qu'une « maîtrise de la dépense devant impliquer davantage les collectivités territoriales » est souhaitable. Comme nombre de mes collègues, j'ai plutôt le sentiment que les ressources desdites collectivités ont diminué ces dernières années - je pense notamment aux dotations - en même temps que leur pouvoir de lever l'impôt, puisqu'une partie des impôts locaux ont été supprimés, et alors même que leurs dépenses continuent de croître.
Lundi prochain marquera d'ailleurs la création du service public de la petite enfance (SPPE), qui sera source de dépenses supplémentaires - on sait que les crèches coûtent très cher, comme les établissements d'accueil pour personnes en situation de handicap ou pour personnes âgées, aux collectivités territoriales. Comment leur demanderait-on davantage alors même qu'elles doivent équilibrer leurs comptes ?
Vous évoquez, dans le document qui nous a été présenté, « une évaluation indépendante de la dépense ». Pareille évaluation est en effet absolument nécessaire. Comment la concevez-vous ? Vous avez pointé l'importance de l'évaluation académique à laquelle recourent les Allemands, et à laquelle nous pourrions recourir également. Mais la Cour des comptes n'est-elle pas elle-même une instance d'évaluation indépendante ? Doit-on conclure de votre présentation que la Cour ne remplit pas la mission qui est la sienne ?
Je poserai une dernière question en ma qualité de rapporteur spécial de la mission « Aide publique au développement » (APD) : nous avons voté, voilà deux ans, la création d'une commission indépendante d'évaluation de l'aide publique au développement, placée sous l'égide de la Cour des comptes et inscrite dans la loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. Cette commission a-t-elle bien été mise en place ? Le cas échéant, quel est le bilan de son activité ?
M. Philippe Dominati. - Monsieur le Premier président, j'ai suivi vos propos introductifs avec beaucoup d'intérêt. Je commencerai par rebondir sur la question de M. le rapporteur général : au Parlement, au sein des commissions des finances du Sénat et de l'Assemblée nationale, comme à la Cour des comptes, domine année après année le sentiment d'une certaine redondance, traduction, peut-être, d'une certaine impuissance à maîtriser la dépense publique.
Il y a dix ans, le Parlement débattait de la « règle d'or » et de sa possible inscription dans la Constitution. Le gouvernement dont vous étiez membre a finalement fait voter une loi organique, puis le sujet est passé de mode. Quel est votre sentiment concernant cette occasion manquée, ou non, d'inscrire la règle d'or dans la Constitution ? La situation aurait-elle été différente aujourd'hui ? Cette mesure visait-elle à faire oeuvre de pédagogie à l'endroit de nos concitoyens ? Aujourd'hui, alors même que l'on constate la dégradation de nos finances publiques, cette préoccupation que nous avions alors n'est plus du tout à l'ordre du jour.
M. Pierre Moscovici. - Je vous remercie pour ces questions qui, comme toutes celles qui émanent de votre assemblée, sont aussi précises que profondes.
Je vais regrouper les réponses que je souhaitais faire aux questions de MM. Raynal, Longuet et Dominati, car elles relèvent toutes d'un important sujet de méthode. La Cour des comptes est à sa place : cette institution de la République, inscrite dans la Constitution, a pour mission d'informer le citoyen. Elle se trouve à égale distance du Gouvernement et du Parlement ; elle est donc votre alliée.
Malgré tout, je ne crois ni au gouvernement des juges ni au gouvernement des experts. Autrement dit, les magistrats de la Cour des comptes ne sont pas des décideurs ; les décisions publiques, dans ce pays, sont prises par d'autres : l'exécutif et le législatif.
Néanmoins, je l'ai dit, notre mission consiste à informer en étayant le débat public par des analyses objectives et chiffrées, qui vous aident ensuite à prendre des décisions éclairées. S'il est vrai que nous répétons souvent les mêmes choses, j'y vois non pas un symptôme d'impuissance, mais la volonté d'insister sur des messages utiles et nécessaires, dont il faudra bien qu'ils soient entendus avant qu'ils ne s'imposent par eux-mêmes. Je ne souhaite pas voir la France contrainte par sa situation financière à agir dans l'urgence, c'est-à-dire dans les pires conditions. Il faut donc anticiper.
C'est pourquoi nous répétons, tout en essayant de varier les plaisirs. À cet égard, j'y insiste, le chapitre 4, sur les revues des dépenses publiques, est tout à fait novateur, sans précédent dans la littérature administrative et académique.
À partir de là, comment avancer ? Je ne dirai que quelques mots sur l'année 2012 et sur la règle d'or. J'exerçais alors un autre métier : j'étais des vôtres, un homme politique ; je ne le suis plus. Et je suis attaché à l'indépendance et à l'impartialité qui sont attachées à mes fonctions de Premier président de la Cour des comptes.
À l'époque, j'ai souvenir que l'inscription de la règle d'or dans la Constitution avait été écartée en raison d'une situation des finances publiques déjà difficile : crise financière, déficit supérieur à 5 % du PIB, croissance à zéro... Une règle d'or n'aurait pas été efficace dans un tel contexte ; pis, son effet austéritaire aurait été si fort qu'elle aurait dégradé une croissance déjà nulle. C'est pourquoi nous avions préféré créer le Haut Conseil des finances publiques et modifier la loi organique relative aux lois de finances.
Mon seul regret est le suivant : le HCFP est doté d'un mandat trop étroit et de moyens trop limités pour être ce que les Anglo-Saxons appellent un « watch dog », un « chien de garde », véritablement puissant. J'estime donc qu'il faudra renforcer ses moyens d'action. Quand nous serons saisis d'une modification de la gouvernance des finances publiques européennes, la loi organique devra nécessairement être révisée et le rôle des institutions budgétaires indépendantes réformé. Puisque l'appropriation nationale sera plus forte, le contrôle national devra l'être aussi.
Je ferme cette parenthèse pour répondre à la question de M. Raynal. La revue des dépenses doit bel et bien être permanente et déboucher sur des décisions. Dans certains pays, comme au Canada, cette revue est intégrée dans les politiques publiques dès leur conception, par le biais des études d'impact.
Concevoir et mettre en oeuvre une telle revue prend sans doute du temps, bien que nous ne partions pas de rien : nous pouvons nous appuyer sur les administrations publiques, sur la direction générale des finances publiques, sur les inspections générales, sur la Cour des comptes, ainsi que sur de nombreux organismes académiques. Je le répète : la finalité n'est pas budgétaire ; mon sujet n'est pas de préparer le PLF pour 2024.
En revanche, il convient d'instituer un dispositif pluriannuel, donc durable, associant tous les acteurs concernés. J'en profite pour préciser que la Cour des comptes ne formule aucune proposition d'économies concernant les collectivités territoriales : elle dresse simplement le constat que la situation des finances publiques de certaines d'entre elles est plus avantageuse que celle de l'État. Autrement dit, nous ne ciblons pas précisément les efforts à faire ; nous disons que la revue des dépenses publiques doit concerner tout le monde.
J'ai bien conscience que nous nous lançons dans cette affaire sans alliés, mais cette révolution culturelle n'en reste pas moins indispensable. À défaut, nous finirons par être rattrapés par la patrouille. La note de la France n'a toujours pas été dégradée par les agences de notation ; dont acte. Cela va-t-il durer ? Je l'espère, mais il faut que l'état de nos finances publiques s'améliore véritablement, ce qui suppose des mesures structurelles.
Si nous ne changeons pas de braquet, si nous nous obstinons dans une logique dépensière, nous serons condamnés, année après année, à empiler les mesures budgétaires bricolées en catastrophe - soit du rabot soit du ciblage - et de plus en plus douloureuses. Bon courage au Gouvernement et au Parlement pour trouver 10 milliards d'euros d'économies à réaliser chaque année dans le strict cadre de l'exercice budgétaire ! Bon courage aussi, le cas échéant, pour susciter de la satisfaction, alors même qu'en matière de politiques publiques les besoins sont évidents.
Les notes publiées demain incluent d'ailleurs un certain nombre de pistes méthodologiques. Et le meilleur allié de la Cour n'est peut-être autre que le Parlement en tant qu'il exerce sa mission d'évaluation et de contrôle.
Des assises des finances publiques ont eu lieu ; j'y suis intervenu. Que l'on débatte enfin des finances publiques, c'est tant mieux ; que le Gouvernement choisisse pour mot d'ordre le désendettement, c'est tant mieux aussi - il était temps ! Que des économies soient annoncées, c'est encore tant mieux. Disons-le néanmoins : des assises ambitieuses ne sauraient se résumer à une demi-journée passée ensemble et à quelques mesures budgétaires. Il y faut une revue durable, partagée, transparente, fondée sur une amélioration des études d'impact. Monsieur Longuet, il n'est point besoin d'espérer pour entreprendre : le rôle de la Cour est d'enfoncer son clou et de faire son chemin !
Le rôle du système politique, auquel la Cour des comptes est étrangère - elle est une institution de la République, mais non une institution politique -, c'est d'aller plus loin. Je suis frappé par notre absence d'ambition à ce sujet, car, à écarter des mesures intelligentes et nécessaires, nous nous plaçons dans une situation plus inconfortable et l'insatisfaction de nos concitoyens ne fait que croître.
Au sujet des études d'impact en matière sociale, la Cour des comptes a publié un référé en 2018. J'en citerai cinq recommandations généralisables, qui mériteraient d'être suivies : garantir la traçabilité des différentes étapes de la prise de décision ; s'assurer que l'expérimentation a été envisagée parmi les options proposées dans le cadre des études d'impact législatives ; évaluer l'impact budgétaire des amendements du Gouvernement ; faire figurer dans les études d'impact législatives des objectifs chiffrés qui serviront à l'évaluation ultérieure de la politique ; compléter les bases d'évaluation en cas de changement substantiel dans l'économie du projet de loi.
Madame Vermeillet, pour ce qui est des opérateurs de l'État, nous ne prétendons pas apporter une réponse budgétaire ; nous nous contentons de souligner qu'ils ne sauraient échapper à la revue.
Je réponds à M. Savoldelli sur l'inflation sous-jacente : elle est calculée hors énergie et hors éléments volatils.
Les conséquences de la non-adoption des lois de règlement sont à la fois relativement mineures et extrêmement importantes. Elles sont mineures dans la mesure où la seule conséquence juridique est celle du report du solde des comptes spéciaux, qui est de droit aux termes de la LOLF, et de l'affectation du résultat comptable au bilan de l'État.
Cette situation emporte néanmoins une conséquence de moyen terme qui peut être extrêmement lourde : à partir de 2024, donc à partir du printemps prochain, en l'absence de loi de règlement, le Haut Conseil des finances publiques ne sera plus en mesure de mesurer les écarts significatifs entre la loi de règlement et la loi de programmation des finances publiques. La loi de programmation des finances publiques 2018-2022 était obsolète, mais elle avait du moins le mérite d'exister...
Si le Haut Conseil n'est plus en position de dresser ce constat, il pourrait - cela dépend, entre autres, de son président - déclarer qu'il n'est pas en état de rendre un avis pertinent. Et le Conseil constitutionnel pourrait - cela dépend de lui - considérer que l'absence d'avis du HCFP fait peser un risque d'inconstitutionnalité sur les lois de finances. C'est la raison pour laquelle, depuis des mois, je donne l'alerte : l'absence d'une loi de programmation des finances publiques pose un problème juridique qui pourrait s'avérer majeur au moment de la prochaine loi de règlement.
Vous m'avez également interrogé sur le rôle de la Cour des comptes. L'une de nos missions, inscrite dans la Constitution, est bel et bien d'évaluer les politiques publiques. C'est pourquoi, depuis ma prise de fonction, j'ai pris la décision d'augmenter la part que représente cette attribution dans la répartition de nos ressources : de 4 % ou 5 % à mon arrivée, elle est de 7 % ou 8 % aujourd'hui et sera de 20 % en 2025.
Mais nous n'agissons pas seuls et, en la matière, il ne faut jamais prétendre à l'hégémonie, encore moins au monopole. Une évaluation de politique publique de la Cour des comptes se fait d'ailleurs toujours en collaboration avec des laboratoires académiques. En France, entre 30 et 40 laboratoires ont développé une telle expertise. Nous avons publié 33 enquêtes évaluatives ces dernières années, mais nous ne prétendons pas pour autant faire une évaluation globale - personne ne le pourrait : il y faudrait un organisme d'une taille déraisonnable.
Où va la dépense publique ? La charge de la dette représente à elle seule 58 milliards d'euros ; quant à l'augmentation de la dépense, elle est pour l'essentiel due à l'évolution des prestations sociales.
Madame Briquet, la compétence de la Cour des comptes porte sur les dépenses davantage que sur les recettes. Pour ce qui concerne les recettes, nous ne sommes pas démunis pour autant : je vous renvoie au Conseil des prélèvements obligatoires, que je préside également. Je vous livrerai néanmoins un sentiment qui n'est pas nouveau : il y a dix ans, alors que j'étais ministre des finances, j'avais prononcé les mots de « ras-le-bol fiscal ». J'avais employé cette formule dans un contexte précis qui avait vu se succéder une loi de finances, une loi de financement de la sécurité sociale puis deux lois de finances rectificatives qui toutes comprenaient des mesures fiscales importantes, rendues sans doute incontournables par l'impératif de réduire les déficits. Mais point trop n'en faut : une fois, ça va ; deux fois, bonjour les dégâts !
Je reste en définitive, madame la sénatrice, tout à fait fidèle à l'idée qu'alors j'avais formulée : quand le taux de prélèvements obligatoire tourne autour de 45 % du PIB, l'arme fiscale comme instrument de régulation conjoncturel doit être maniée avec la plus grande prudence. Une forme de stabilité s'impose, car il y va du consentement à l'impôt, des plus fortunés comme des couches populaires. Je l'ai constaté, quand j'étais député, dans le Doubs, à Sochaux, où l'augmentation des impôts n'était guère populaire parmi les ouvriers.
Cela ne veut pas dire qu'il faut s'interdire de recourir à l'arme fiscale, comme instrument de redistribution ou comme outil de la transition écologique par exemple. Néanmoins, si l'objectif est de réduire les déficits, je ne recommande pas d'en passer par là. D'autres leviers existent : la lutte contre la fraude, l'augmentation des recettes via la recherche de la croissance potentielle, la réduction des dépenses fiscales, qui atteignent tout de même 94 milliards d'euros. Je vous renvoie à ce propos à l'une des notes que nous publierons demain : nous proposons que ces dépenses fiscales fassent l'objet d'une revue régulière, d'un plafond réellement contraignant et d'une limitation dans le temps.
Enfin, monsieur Canévet, vous me tendez une perche en évoquant la commission APD. Celle-ci ne concerne pas principalement la commission des finances ; elle représente en tout cas pour moi, depuis deux ans, un véritable casse-tête, dont je ne suis absolument pas responsable. Cette commission est une « institution associée » à la Cour des comptes, à l'instar du HCFP et du CPO. Le Sénat, dans sa grande sagesse, avait d'ailleurs souhaité en aligner le fonctionnement sur celui du Haut Conseil des finances publiques. En tant que Premier président de la Cour des comptes, qui est une institution indépendante et non une administration, je ne saurais faire office de secrétaire administratif pour quelque organisme que ce soit. Je préside toutes les institutions associées à la Cour des comptes, ce qui ne veut pas dire que j'en suis le dictateur ; les membres du Haut Conseil des finances publiques sont nommés par diverses instances, dont le président du Sénat et le président de la commission des finances du Sénat.
Depuis deux ans, je demande que soit observé le parallélisme des formes entre le Haut Conseil et la commission APD ; tel était d'ailleurs l'intention du législateur. Pour des raisons assez obscures, cette demande essuie un refus. Nous ne parvenons donc pas à mettre en place cette commission. C'est absurde : j'ai les crédits et j'ai les effectifs. Je ne saurais dire les motifs de cet achoppement, que je déplore. Je vous ferai volontiers parvenir, monsieur le sénateur, le courrier que j'ai transmis à vos collègues de la commission des affaires étrangères ; vous y comprendrez l'objet de mon ire.
M. Claude Raynal, président. - Merci, monsieur le Premier président, pour ces précisions. Nous attendons donc la publication de vos propositions.
M. Pierre Moscovici. - Elles vous seront adressées dès demain matin.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Contrôle budgétaire - Flotte d'aéronefs bombardiers d'eau de la sécurité civile - Communication
Claude Raynal, président. - Nous entendons ce matin une communication de M. Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial, sur la flotte d'aéronefs bombardiers d'eau de la sécurité civile.
Jean Pierre Vogel. - Vous le savez, la flotte d'aéronefs bombardiers d'eau de la sécurité civile est un sujet qui me tient à coeur. Le rapport que je vous présente ce matin s'inscrit dans la lignée de mon travail de contrôle sur la lutte contre les feux de forêt, présenté en septembre 2019 devant notre commission, et dans lequel j'avais exposé la nécessité de renforcer nos moyens aériens de lutte anti-incendie. Les feux ravageurs de l'été 2022 ont de nouveaux rappelé l'intérêt pour un pays comme la France, dont près d'un tiers du territoire est couvert par les forêts, de disposer d'une flotte suffisante pour lutter efficacement contre les incendies.
Il me semble tout d'abord important de souligner que la France dispose d'une flotte performante. Sa doctrine d'intervention, basée notamment sur l'attaque des feux naissants et le survol des zones à risque dans le cadre du guet aérien armé (GAAr), permet de contenir près de 89,5 % de feux avant que ceux-ci ne dépassent un hectare. Toutefois, le réchauffement climatique implique une multiplication des risques de départ de feu, ce qui conduit à une sollicitation croissante de nos moyens aériens de lutte anti-incendie. Dans ce contexte, la flotte de bombardiers d'eau de la sécurité civile doit d'une part, être redimensionnée pour absorber la hausse structurelle d'activité impliquée par l'intensification et l'extension géographique du risque incendie ; et d'autre part, être renouvelée, pour éviter que le vieillissement de certains appareils, et notamment des Canadair, ne conduise à une baisse de la disponibilité des avions induite par la multiplication des opérations maintenance, voire à une immobilisation de certains appareils, comme c'est le cas en Grèce ou en Espagne.
Il est dès lors essentiel pour l'État de disposer d'une stratégie pluriannuelle d'investissement dans ses moyens aériens. Or, cette stratégie manque aujourd'hui manifestement de clarté, comme le montrent les incohérences entourant les annonces sur le renouvellement de la flotte de Canadair : le président de la République a annoncé en octobre 2022 un renouvellement complet de cette flotte ainsi que son extension à 16 appareils, contre 12 actuellement, à l'horizon 2027. Or, dans le cadre de mes auditions, le ministère de l'intérieur a en parallèle indiqué que la France ne pourrait espérer obtenir la livraison de plus de deux appareils dans les cinq prochaines années.
Cet exemple met en évidence un défaut de visibilité voire d'anticipation du Gouvernement sur les perspectives de renouvellement de notre flotte de lutte contre les feux. Il me semble en effet primordial que la stratégie d'investissement du Gouvernement dans ses moyens aériens soit clarifiée et formalisée. Cette stratégie ne doit pas se limiter au seul volet capacitaire, mais s'inscrire dans une logique plus large intégrant les implications du redimensionnement de la flotte sur des enjeux tels que les besoins de recrutement des nouveaux pilotes, l'extension du maillage de stations de ravitaillement des bombardiers en produit retardant, ou le dimensionnement des infrastructures de maintenance des appareils.
Je souhaiterais m'attarder sur la question du renouvellement de la flotte de Canadair, dont le vieillissement, déjà identifié dans mes travaux précédents, a suscité beaucoup de réactions en marge de la saison « feux de forêt » de l'été 2022.
La flotte française devrait prochainement être renforcée par deux appareils dans le cadre d'une commande mutualisée au niveau de l'Union européenne et intégralement financée par le programme RescEU. Cette commande pourrait en outre être assortie de la livraison de deux autres appareils, financés sur fonds nationaux.
Toutefois, une incertitude subsiste autour des délais de production de ces nouveaux Canadair, dont la date de livraison estimée a déjà plusieurs fois été repoussée, en raison notamment de la décision tardive du constructeur De Havilland de relancer la chaîne de production. Selon le ministère de l'intérieur, les premiers appareils ne seront pas livrés avant 2027, et il n'est pas exclu que cette date soit de nouveau repoussée. En effet, avant d'envisager la production effective de ces avions, De Havilland devra monter une nouvelle chaîne d'assemblage au Canada, recruter du personnel qualifié, et obtenir la certification des nouveaux modèles de Canadair.
Cette incertitude sur les délais de livraison est préoccupante : dans la mesure où De Havilland bénéficie d'une situation de monopole sur le marché du bombardier d'eau amphibie, la France et ses partenaires européens se trouvent aujourd'hui en situation de dépendance vis-à-vis de ce constructeur, alors que le renouvellement de leurs moyens aériens est une priorité. Il n'existe en effet à ce jour aucun autre industriel susceptible de produire un avion amphibie bombardier d'eau dans les prochaines années et de concurrencer les Canadair à court terme. La direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) a certes identifié plusieurs projets intéressants, mais ceux-ci sont pour la plupart à un stade embryonnaire et ne peuvent espérer voir le jour avant plusieurs années.
Il est donc essentiel que la France et ses partenaires de l'Union européenne engagent une réflexion pour se doter d'une véritable capacité de production d'un appareil bombardier d'eau en Europe. La constitution d'un « champion » européen du bombardier d'eau me semble en effet présenter un double enjeu de concurrence et d'indépendance.
Dans ce contexte d'incertitude sur les perspectives de livraison des Canadair, la DGSCGC est contrainte d'identifier d'autres pistes pour augmenter la force de frappe de sa flotte de lutte contre les feux.
À cet égard, le ministre de l'intérieur a annoncé en avril dernier le renforcement de la flotte pour l'été 2023, par la location de plusieurs appareils, qui seront essentiellement prépositionnés dans le Sud-Ouest du pays. Le recours à la location peut en effet constituer une piste intéressante de renforcement de la flotte pour répondre à une forte activité à court terme, mais elle ne peut selon moi représenter une solution pérenne. Tout d'abord, la location d'aéronefs peut susciter des difficultés d'intégration des équipages mis à disposition par les sociétés de location dans le dispositif opérationnel. Ces pilotes ne sont souvent pas francophones, ce qui peut impliquer des difficultés de communication avec les équipages de la flotte permanente, qui auraient par exemple conduit lors de l'été 2022 à plusieurs largages non autorisés. Par ailleurs, la location de ces appareils est coûteuse : la DGSCGC a en effet consacré, pour la seule année 2022, 14 millions d'euros à la location d'hélicoptères lourds bombardiers d'eau, alors que le coût unitaire d'acquisition de cet appareil est estimé à 25 millions d'euros.
La DGSCGC a en effet recours depuis 2020 à la location de ce type d'appareils, dont l'efficacité fait aujourd'hui l'unanimité auprès de l'ensemble des acteurs de la sécurité civile. Il serait désormais intéressant que la DGSCGC puisse acquérir des hélicoptères lourds bombardiers d'eau en propre. À cet égard France devrait bénéficier de la commande d'un appareil de ce type, dans le cadre d'une commande mutualisée au niveau européen, qui pourrait se concrétiser dès cette année, pour une livraison envisagée en 2026. Je m'en félicite, d'autant plus que la France pourrait ensuite bénéficier, d'après la Commission européenne, d'une autre livraison dans le cadre d'une deuxième vague de commandes. Je précise toutefois que ces hélicoptères sont complémentaires des avions bombardiers d'eau et n'ont dès lors pas vocation à s'y substituer, ou à compenser les éventuels retards de livraison des Canadair.
Dans l'attente de l'acquisition de nouveaux aéronefs, la DGSCGC doit identifier des moyens d'optimiser la gestion de la flotte existante, à travers deux vecteurs principaux : le recrutement des pilotes et une meilleure couverture du territoire par les moyens aériens existants.
Le recrutement des pilotes constitue en effet un prérequis à l'extension de la flotte. Or, le recrutement et la fidélisation de ces pilotes suscitent des difficultés. La profession de personnel navigant de la sécurité civile souffre d'un manque d'attractivité, lié à des conditions de travail particulièrement contraignantes, mais aussi, à des rémunérations environ trois fois inférieures à celles des pilotes de l'aviation commerciale. Par ailleurs, la DGSCGC souffre d'un déficit d'instructeurs chargés de la formation des commandants de bord, lié aux rigidités des conditions d'accès à cette fonction. La signature d'un protocole entre le ministre de l'intérieur et les représentants des pilotes le 11 avril dernier a permis d'apporter des solutions encourageantes, qui se seraient déjà traduites par une augmentation du nombre de candidatures.
J'en viens maintenant à la couverture du territoire par la flotte existante, qui constitue une source de préoccupation majeure dans un contexte où des zones historiquement épargnées par les départs de feux, tels que le Sud-Ouest, sont aujourd'hui de plus en plus exposées à ce phénomène. J'insisterai sur la question de l'ouverture d'une deuxième base aérienne, qui a suscité de nombreux débats en marge des incendies qui ont frappé le pays l'été dernier. Il ressort de mes auditions que l'ouverture d'une nouvelle base au dimensionnement comparable à celle de Nîmes ne serait pas pertinente, au regard de la multiplication des coûts de maintenance et de ressources humaines qu'elle impliquerait. En revanche l'organisation de détachements systématiques d'appareils pendant l'été sur des bases aériennes préexistantes me semble être une solution plus efficiente, et devrait selon moi être privilégiée.
Enfin, je conclurai mon propos en soulignant l'importance de la coopération entre les services départementaux d'incendies et de secours (SDIS) et les moyens aériens nationaux. Les SDIS de territoires historiquement exposés au risque incendie ont aujourd'hui recours à la location de moyens aériens propres. Ces aéronefs, souvent équipés de petites capacités de largage, sont particulièrement utiles pour attaquer les feux naissants, et leur articulation avec les moyens nationaux est satisfaisante. Toutefois, le recours à des moyens aériens par les SDIS ne doit évidemment pas inciter l'État à réduire son investissement dans les moyens aériens nationaux.
Il me semble également important de rappeler que les avions ne peuvent éteindre les feux à eux seuls. L'action des pilotes de bombardiers d'eau doit en effet s'articuler efficacement avec celle des sapeurs-pompiers mobilisés au sol. J'avais relevé dans mon rapport de 2016 sur le réseau Antares l'absence d'interopérabilité entre ce réseau de communication utilisé par les SDIS et le système de radiocommunication des pilotes de la flotte aérienne. Il en résulte des difficultés opérationnelles auxquelles le réseau Radio du Futur (RFF), dont le déploiement est attendu en 2024, apportera, je l'espère, des solutions.
Jean-François Husson, rapporteur général. - Il s'agit d'un sujet de spécialiste, mais qui nous a donné l'occasion, dans les derniers débats budgétaires, au regard des incendies plus nombreux et plus intenses depuis quelques années, de constater un problème d'inadéquation des moyens, notamment pour ce qui concernent la lutte contre les incendies par voie aérienne. J'ai été surpris, récemment, d'entendre des annonces ministérielles faisant état d'accélération d'investissements à court terme, puisque dans le cadre du dernier budget, j'avais bien en tête l'horizon de l'année 2027 pour franchir un pas nouveau, comme le rappelait Jean Pierre Vogel.
Merci d'avoir mis sur la table la question d'une approche européenne et, dans ce cadre, le sujet de la souveraineté. Quelles sont les chances d'aboutir à un résultat viable, à quelle échéance et avec quelle augmentation de moyens ?
J'ai une deuxième question. J'avais été frappé, il y a quelques temps, en allant en Corse, de voir un déploiement de la surveillance en zone montagneuse, avec des pompiers prépositionnés un peu partout, avec des camions, en situation d'observation tout au long de la journée. La question qui se pose est celle de l'intervention, une fois que les incendies sont déclarés. Avant d'avoir des flottes avec de bonnes capacités, et je le demande car je connais notre capacité d'initiative en matière de sécurité civile et de protection des biens, y a-t-il un accroissement des moyens des SDIS sur la surveillance en permanence ? Je devine que cela supposerait une mobilisation nouvelle : les effectifs le permettent-ils ? Les services départementaux peuvent-ils le financer facilement ? J'avais noté que des colonnes de renfort viennent désormais souvent du nord de la Loire pour prêter main forte à leurs départements voisins dans la lutte contre les incendies de forêt.
Michel Canévet. - Merci et félicitations au rapporteur spécial pour nous avoir livré ces informations sur un sujet qui nous préoccupe toujours sur la période estivale. Malgré une vétusté assez forte, le taux de disponibilité des avions semble assez bon. Pouvez-vous le confirmer ? Un taux de 90 % sur des avions qui ont en général 25 ans est tout à fait remarquable !
S'agissant de l'implantation des bases aériennes, je remercie le rapporteur spécial d'avoir pris une position très claire visant à conserver à Nîmes la seule base permanente sur le territoire national. Je pense qu'on doit pouvoir orienter les décisions du ministère de l'Intérieur sur le sujet par une analyse parlementaire.
On peut compléter les moyens avioniques du Sud par des hélicoptères. Ainsi, le conseil départemental du Finistère a décidé de louer pendant l'été un hélicoptère bombardier d'eau pour faire face à d'éventuels besoins en Bretagne. D'autres initiatives ont-elles été menées en ce sens sur le territoire national ?
Philippe Dominati. - Je souhaitais profiter de l'expertise de notre rapporteur, qui nous alimente chaque année sur cette problématique pour lui faire part d'une inquiétude, soulevée par le Rapporteur général, concernant le monopole du Canadair. Le constructeur De Havilland devrait lancer une chaine de fabrication, mais les délais apparaissent relativement longs, sans que l'on sache vraiment si ce projet va aboutir.
Dans l'intervalle, les pays européens n'ont pas de solution alternative, et je souhaiterais savoir si les autres entreprises, comme ATR, Airbus ou autre travaillaient à des projets alternatifs sérieux ? Des réflexions sont-elles engagées ?
Deuxièmement, concernant les hélicoptères, j'ai eu l'occasion de voir en Grèce l'efficacité des hélicoptères bombardiers d'eau. N'est-ce pas le moyen de substitution en attendant le nouveau Canadair qui, même s'il est très efficace, pourrait n'être pas remplacé immédiatement.
Jean-Michel Arnaud. - Je tiens à rappeler l'urgence au regard de la situation dramatique que nous avons connue l'an dernier. Vous avez défendu l'idée de consolider la base de Nîmes dans votre réflexion. D'après les directeurs de SDIS, notamment dans le Sud-ouest, il y a un vrai débat sur le sujet de la capacité de projection des bombardiers à partir de cette base. Il s'agit de pouvoir se projeter rapidement, tant du point de vue logistique qu'humain, pour prévenir et résorber les départs de feu. Quelles sont les orientations de la DGSCGC ? Des garanties ont-elles été apportées pour ne pas réduire les dotations du Sud-est de la France, au profit d'autres secteurs ?
Par ailleurs, beaucoup de discours et d'intentions ont été entendus sur la stratégie européenne sur les bombardiers d'eau. Où en est-on dans la coordination entre États membres de l'Union européenne ? Les négociations avancent-elles ou sommes-nous dans les palabres de la coordination intergouvernementale ?
Enfin, je souhaiterais interroger le rapporteur sur l'analyse et l'inventaire des moyens disponibles dans les pays du sud de l'Union européenne, et singulièrement en France, en Italie et en Grèce. Des moyens peuvent-ils être aiguillés vers la France en cas de problèmes urgents ? A-t-on progressé dans la coordination ?
Claude Raynal, président. - Je me demande si l'idée d'avoir un bombardier d'eau européen a du sens car, au-delà du concept de souveraineté, très populaire aujourd'hui, la question réside dans le nombre d'avions par rapport au prix de ces appareils. Je me souviens de la création de l'A400M sur lequel Airbus est parti d'une base militaire faible et où la question de la rentabilité a toujours été très complexe. Au regard des besoins des différentes armées, la rentabilité de ces appareils est nulle. Je me demande donc s'il y a un marché pour plus d'un avionneur. Il serait intéressant de disposer d'un programme de commandes au niveau mondial, en incluant l'Amérique du Nord, l'Europe voire l'Inde, pour avoir la certitude d'avoir toujours des avions actualisés, avec un vrai suivi dans le temps. Je le formule comme une interrogation pour notre rapporteur spécial.
Jean Pierre Vogel. - Le marché mondial est estimé à un besoin de 300 appareils dont une centaine en Europe. Il s'agit donc d'un marché de niche qui, d'après certains constructeurs, est peu intéressant, sauf à adapter des avions existants avec des kits de largage d'eau, comme ce que propose Airbus avec l'A400M. Concernant De Havilland, les prix annoncés représentent plus d'un milliard d'euros pour relancer la chaîne de production, qui implique par ailleurs le recrutement de personnel spécialisé et la certification des nouveaux modèles d'appareils. Il faut rappeler que De Havilland n'a jamais construit de Canadair, dans la mesure où il a en racheté les plans après les dernières livraisons d'appareils, ce qui suscite des interrogations sur sa capacité à livrer les appareils rapidement. Le président de la République n'a pas été prudent en affirmant qu'ils seraient livrés pour 2027 et en annonçant un accroissement de la flotte de douze à seize avions. De Havilland attendait d'avoir vingt commandes pour pouvoir relancer la chaine de fabrication. Il y en a aujourd'hui vingt-deux, mais on ne sait à quel moment la chaîne de fabrication sera effectivement relancée. Si l'on dispose d'un ou deux avions avant 2030, ce sera, selon moi, le grand maximum.
Pour répondre au rapporteur général, l'échéance de renouvellement ne sera sans doute pas avant 2027, peut-être même 2030. Le prépositionnement des moyens et le GAAr permettent effectivement de détecter les départs de feu. La stratégie de la France en matière de départ de feu s'appuie sur l'intervention sur les feux naissants pour éviter qu'ils se propagent. Une nouvelle météo a été mise en place, la « météo des forêts », et permet la veille ou l'avant-veille de prépositionner non seulement les moyens aériens, mais aussi des moyens de détection de départ de feu. Je précise par ailleurs que le GAAr consiste à survoler des zones à risque, avec des avions équipés de produit retardant pour intervenir en cas de départ de feu.
Certains départements utilisent également des drones. Il sera peut-être possible, compte tenu des évolutions technologiques, d'avoir à l'avenir des drones porteurs d'eau, mais cela poserait des problématiques de législation aérienne, avec des contraintes importantes. Dans un département que je connais bien, la Sarthe, département le plus boisé des Pays-de-la-Loire, des caméras de vidéo-détection de départs de feux de forêt ont été installées sur des points hauts qui surveillent l'ensemble du département, avec un système d'intelligence artificielle capable de détecter les départs de feu. Elles sont complétées par des caméras de levée de doute, plus performantes, qui ont la faculté de zoomer et déterminer exactement la localisation du départ de feu. Ce type d'équipement permet, de plus, de dissuader d'éventuels départs de feu volontaires en identifiant des plaques d'immatriculations.
Concernant la question de Michel Canévet sur le taux de disponibilité, les taux annoncés doivent être nuancés, dans la mesure où ils ne prennent pas en compte les immobilisations du fait d'une dégradation survenue en opération. Dans cette situation, les avions ne sont pas opérationnels mais ne sont pas comptés dans le taux d'indisponibilité. Il y a donc un taux de disponibilité contractuelle, avec la société de maintenance, Sabena Technics, mais le taux de disponibilité réel est en deçà de celui qui est annoncé.
Concernant la location d'hélicoptères, les SDIS de certains départementaux du Sud louent des avions Air Tractor et des hélicoptères légers, qui leur permettent d'attaquer les feux naissants. Une fois que le feu se propage, les moyens aériens des SDIS ne sont plus suffisants. Cela fonctionne plutôt bien, mais il y a un risque que l'État se décharge sur les SDIS, en réduisant son investissement dans ses moyens nationaux. Les moyens mobilisés par les SDIS sont toutefois indispensables en attendant le renforcement de la flotte nationale.
Pour répondre à Philippe Dominati sur le monopole de De Havilland, nous sommes effectivement pieds et poings liés, et il s'agit d'un marché de niche ce qui rend difficile l'émergence d'un concurrent. Il y a tout de même plusieurs projets en cours de développement. Concernant l'A400M d'Airbus, l'idée serait plutôt de les doter d'un kit de largage, pour que les appareils de l'Armée de l'Air puissent être sollicités en cas d'évènement exceptionnel. Cela avait fait polémique, car Airbus a beaucoup communiqué sur le sujet, mais on a reproché à l'appareil un effet « pulvérisation » qui serait peu opérant dans la mesure où la lutte contre les feux nécessite plutôt un largage de masse. L'effet « pulvérisation » pourrait toutefois être intéressant pour larguer du produit retardant. L'A400M disposerait d'une capacité d'intervention de nuit, contrairement aux Canadair, ce qui présente un réel intérêt. Je précise que l'A400M n'aurait de toute façon pas vocation à se substituer aux Canadair. Le Falcon 2000 de Dassault pourrait également être équipé d'un réservoir ventral de 3 500 à 4 000 litres d'eau, avec la possibilité de se poser sur des pistes très courtes et d'intervenir la nuit. Il serait utile pour effectuer des missions de GAAr, compte tenu de sa vitesse. Je mentionnerai également le Seagle de Roafour, qui est un avion amphibie qui disposerait d'une capacité de largage de 12 000 litres d'eau, soit le double des Canadair. Cet appareil serait équipé de foils, pour éviter que l'avion soit en contact avec l'eau au moment de l'écopage, ce qui faciliterait le ravitaillement sur des plans d'eau agités. Cet appareil n'est toutefois que dans une phase de conception et de recherche de financements publics. Il ne pourra donc pas être produit avant 2030, voire beaucoup plus tard. La DGSCGC s'intéresserait aussi à un projet développé par des ingénieurs d'Airbus qui évoluent au sein d'un petit consortium d'industriels européens, ainsi qu'à un projet italien de bombardier d'eau.
Tous ces projets restent toutefois à l'état embryonnaire, et il y également toutes les étapes de certification à prendre en compte dans les délais de production. On peut aussi se demander s'il y a un intérêt à une trop grande diversification la flotte pour les pilotes, qui se spécialisent sur un avion en particulier.
J'ai eu l'occasion de visiter la base aérienne de Nîmes, et on m'a expliqué qu'il n'était pas envisageable de construire une nouvelle base similaire à Bordeaux. Cela impliquerait des surcoûts de maintenance et en ressources humaines trop importants, ainsi que des difficultés d'approvisionnement en pièces détachées. L'année dernière, un Canadair avait été immobilisé pour pouvoir y prélever des pièces nécessaires au maintien en condition opérationnelle des autres appareils : il n'y avait en effet pas assez de pièces de maintenance pour l'ensemble de la flotte. Il ne me semble donc pas pertinent d'avoir une seconde base aérienne permanente.
Par contre, il serait intéressant d'avoir des détachements d'appareils pendant la période estivale, notamment d'appareils loués, comme ce sera le cas cet été. Ces aéronefs loués sont souvent pilotés par des équipages étrangers, et il est compliqué d'intégrer des avions dont les équipages ne sont pas francophones dans le dispositif aérien. C'est pourquoi les équipages d'appareils loués seront prépositionnés à la base aérienne de Bordeaux, et les appareils de la flotte permanente resteront à Nîmes. Ces détachements permanents permettent d'assurer les opérations de maintenance plus légères, qui garantissent la disponibilité opérationnelle des appareils, alors que les opérations de maintenance lourdes sont réalisées pendant l'hiver à Nîmes.
Concernant les moyens de solidarité européenne, la France a bénéficié l'année dernière du renfort de deux Canadair grecs, deux Canadair italiens et deux Air Tractor suédois. Il y a toutefois un besoin de renforcement de la flotte européenne, dans le cadre du dispositif RescEU. La France intervient aussi auprès d'autres pays en cas de besoin, mais compte tenu de la généralisation du risque, il est compliqué d'affaiblir la flotte d'un pays pour renforcer celle d'un autre. Le constat est similaire pour les colonnes de renfort du Nord ou du Centre de la France, qui doivent prêter main forte à leurs voisins du Sud ou dans des pays étrangers, alors que le risque incendie s'étend dans tout le pays.
Il faudrait donc que la DGSCGC ait une programmation très claire du renouvellement des moyens aériens, car on a l'impression que les décisions sont prises au coup par coup, en fonction des feux qui se déclarent pendant la période estivale et des annonces présidentielles ou gouvernementales. Il nous faut aussi de la visibilité sur les besoins en moyens humains, avec notamment l'enjeu de la formation de nouveaux pilotes. Il en manque actuellement une dizaine, et avec l'extension à venir de la flotte, il y aura davantage de besoins. Compte tenu du manque d'attractivité de la profession, le recrutement de ces pilotes pose des difficultés.
Claude Raynal, président. - Je vous remercie.
La commission adopte les recommandations du rapporteur spécial et autorise la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.
La réunion est close à 12 h 10.