- Mercredi 5 juillet 2023
- Projet de loi autorisant l'approbation du premier amendement à la convention adoptée à Espoo le 25 février 1991 sur l'évaluation de l'impact sur l'environnement dans un contexte transfrontière et du protocole à la convention adoptée à Espoo le 25 février 1991 sur l'évaluation de l'impact sur l'environnement dans un contexte transfrontière relatif à l'évaluation stratégique environnementale - Examen du rapport et du texte de la commission
- Projet de loi autorisant la ratification de la résolution A.1152 (32) relative aux amendements à la convention du 6 mars 1948 portant création de l'Organisation maritime internationale - Examen du rapport et du texte de la commission
- Projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense - Désignation des candidats pour faire partie de la commission mixte paritaire
- Projet de Contrat d'objectifs et de performance (COP) de Campus France (2023-2025) - Examen du rapport d'information
- Bilan de sa première année au secrétariat d'État au développement - Audition de Mme Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères
- « Les nouveaux équilibres stratégiques en Amérique du sud » - Examen du rapport d'information
Mercredi 5 juillet 2023
- Présidence de M. Christian Cambon, président -
La réunion est ouverte à 9 h 05.
Projet de loi autorisant l'approbation du premier amendement à la convention adoptée à Espoo le 25 février 1991 sur l'évaluation de l'impact sur l'environnement dans un contexte transfrontière et du protocole à la convention adoptée à Espoo le 25 février 1991 sur l'évaluation de l'impact sur l'environnement dans un contexte transfrontière relatif à l'évaluation stratégique environnementale - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Bernard Fournier, rapporteur. - Le projet de loi qui nous intéresse ce matin se rapporte à la convention signée en 1991 à Espoo, en Finlande, relative à l'évaluation de l'impact sur l'environnement dans un contexte transfrontière. Cette convention instaure la pratique d'une information et d'une consultation des pays voisins dès lors qu'un projet d'infrastructure, d'équipement ou d'installation industrielle est conduit par un État partie à la convention, et que ce projet peut emporter des conséquences transfrontalières sur l'environnement. La convention d'Espoo contient une liste non exhaustive de travaux et d'installations concernés par ses stipulations ; il s'agit, par exemple, de projets de construction de raffineries pétrolières, de centrales nucléaires, d'installations d'élimination de déchets, d'aéroports, d'autoroutes, etc.
La France a notamment appliqué cette convention avec la Suisse dans le cadre de projets autoroutiers, ainsi qu'avec le Royaume-Uni et la Belgique dans le cadre de projets d'éoliennes en mer.
Deux textes complémentaires à la convention d'Espoo sont soumis aujourd'hui à notre examen : d'une part, le premier amendement à la convention adopté le 27 février 2001, et d'autre part, un protocole - dit « protocole de Kiev » - adopté le 21 mai 2003.
Le premier amendement a pour objet d'ouvrir aux organisations et autres associations non gouvernementales la possibilité de participer aux procédures d'évaluation.
Par ailleurs, l'amendement permettra aux États tiers à la Commission économique pour l'Europe des Nations unies (CEE-ONU) d'adhérer à la convention, sous réserve de l'accord de la réunion des parties. En effet, à ce jour, l'adhésion à la convention d'Espoo n'est ouverte qu'aux cinquante-six États membres de la CEE-ONU, à savoir les pays européens, le Canada, les États-Unis, Israël, la Turquie, et les anciennes républiques soviétiques du Caucase et d'Asie centrale.
Les apports du premier amendement sont donc essentiels pour sensibiliser le public aux questions environnementales et promouvoir une meilleure mise en oeuvre de la législation en ce domaine.
Il convient de préciser que cet amendement est entré en vigueur en 2014 mais n'est pas encore opérationnel ; pour ce faire, tous les États qui étaient parties à la convention d'Espoo le 27 février 2001 - date d'adoption de l'amendement - doivent l'avoir ratifié. À cet égard, quatre ratifications sont toujours attendues : celles de l'Arménie, de la Belgique, de la Macédoine du Nord et du Royaume-Uni. La France, quant à elle, n'a ratifié la convention d'Espoo qu'en juin 2001 ; par conséquent, sa ratification du premier amendement n'aura aucun effet sur son caractère opérationnel.
S'agissant à présent du protocole de Kiev, il permet d'assurer une meilleure prise en compte de l'environnement, y compris de ses incidences sur la santé humaine, lors de l'évaluation et de l'adoption des plans et des programmes destinés à promouvoir le développement durable, tant au niveau national que transfrontalier. Ainsi, le champ d'application du protocole est plus large que celui de la convention d'Espoo puisque celle-ci se limite au seul contexte transfrontière.
Le dispositif prévu par le protocole de Kiev comprend notamment l'élaboration d'un rapport environnemental, un processus de participation du public et de consultation des autorités responsables de l'environnement et de la santé, ainsi que des consultations transfrontières. Le résultat de ces travaux doit être pris en compte dans les plans et les programmes concernés.
Ainsi, tout plan ou programme susceptible d'avoir des incidences notables sur l'environnement d'un autre État doit lui être notifié. L'État « touché » peut alors demander à prendre part aux consultations transfrontières organisées par l'État d'origine. Les États, ainsi que leurs populations, sont donc associés à l'élaboration dudit plan ou programme.
Pour conclure, ces deux textes contribuent au renforcement des politiques de protection de l'environnement et à l'amélioration de leur efficacité. Bien que l'essentiel des obligations de ces deux textes soient couvertes par des directives européennes et déjà transposées en droit français, la France est régulièrement sollicitée pour les ratifier. L'approbation de ces textes reste donc nécessaire, pour des raisons essentiellement politiques, même s'ils ont été signés il y a plus de vingt ans.
Notre commission pointe régulièrement le retard pris par l'exécutif dans la ratification de certains accords ou traités internationaux. Le Gouvernement doit s'employer à ratifier le plus rapidement possible les instruments multilatéraux : il y va de la crédibilité de notre pays et des engagements que nous prenons vis-à-vis de nos partenaires, quel que soit le domaine concerné.
À la lumière de ces observations, je préconise l'adoption de ce projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale le 15 mars 2023. Son examen en séance publique au Sénat est prévu le jeudi 13 juillet, selon la procédure d'examen simplifié, ce à quoi la conférence des présidents, de même que votre rapporteur, a souscrit.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - À l'instar du rapporteur, je déplore le retard pris par le Gouvernement dans la ratification de certaines conventions internationales. Ce défaut de diligence nuit à l'image de la France ; mes interlocuteurs à l'étranger s'en plaignent régulièrement.
La Macédoine du Nord avait demandé à notre pays de ratifier rapidement le protocole au traité de l'Atlantique Nord relatif à son accession, ce qui n'allait pas de soi. Peut-être aurions-nous dû, par réciprocité, solliciter de sa part la ratification du premier amendement à la convention d'Espoo qui ne présente aucune difficulté pour elle.
Le projet de loi est adopté, à l'unanimité, sans modification.
Projet de loi autorisant la ratification de la résolution A.1152 (32) relative aux amendements à la convention du 6 mars 1948 portant création de l'Organisation maritime internationale - Examen du rapport et du texte de la commission
Mme Vivette Lopez, rapporteure - Nous examinons aujourd'hui le projet de loi autorisant la ratification de la résolution A. 1152 (32) relative aux amendements à la convention du 6 mars 1948 portant création de l'Organisation maritime internationale (OMI), adoptée le 8 décembre 2021, à l'occasion de la 32ème session de l'Organisation.
Cette révision des statuts a pour objectif de renforcer la représentativité au sein du Conseil de l'OMI et de permettre à ce dernier de contribuer davantage aux travaux de fond de l'Organisation.
L'OMI, créée par une convention de 1948, entrée en vigueur en 1958, est l'institution spécialisée des Nations Unies chargée d'assurer la sécurité et la sûreté des transports maritimes et de prévenir la pollution des mers et de l'atmosphère par les navires.
Elle est aujourd'hui composée de 174 États membres et de 3 membres associés.
Elle se compose d'une Assemblée, organe politique de l'organisation, qui réunit tous les deux ans les États membres. Cette assemblée élit les membres d'un Conseil, pour une durée de 2 ans. Il s'agit de l'organe exécutif de l'OMI. Il est à noter que la France est membre du Conseil de l'OMI, sans discontinuité, depuis la création de l'institution en 1948.
L'OMI est également constituée de 5 comités techniques et de 7 sous-comités.
Le processus décisionnel au sein de l'OMI est complexe en raison de la technicité des normes et du nombre important d'États concernés. Il est basé sur le consensus et le vote est l'exception.
La présente révision concerne le Conseil de l'OMI. En effet, à l'occasion de l'adoption du plan stratégique pour la période 2018-2023, il a été jugé utile de réformer cet organe afin d'améliorer sa contribution aux travaux de l'OMI. Un groupe de travail a ainsi été constitué, aboutissant à l'adoption des présents amendements par l'Assemblée le 8 décembre 2021.
Trois changements sont prévus.
Premièrement, il a été décidé d'augmenter le nombre de membres au sein du Conseil de 40 à 52. Le nombre de membres avait déjà été augmenté à 5 reprises dans le passé, au fur et à mesure que de nouveaux États adhéraient à l'OMI.
Depuis la dernière augmentation en 2003 et l'adhésion de nouveaux États à l'OMI, le taux de représentation des membres au sein du Conseil est passé de 25 % à 23 %. Le passage à 52 membres permettra de passer à un taux de 29 % et aussi d'assurer une meilleure représentation de petits États en développement ayant d'importants intérêts maritimes, comme les États insulaires.
Le deuxième changement notable consiste à allonger la durée du mandat des membres du Conseil de deux à quatre ans. En effet, la durée du mandat de deux ans a pour conséquence que les États membres sont en quasi permanence en campagne pour se faire élire. Le passage à un mandat de quatre ans permettra aux États membres de libérer davantage de temps aux questions de fond et d'économiser des frais de campagne.
Le troisième changement opéré est plus symbolique. Aujourd'hui, les langues officielles sont, comme il est d'usage dans les autres institutions des Nations Unies, l'anglais, l'espagnol, le français, l'arabe, le chinois et le russe. Or, jusque-là, seuls faisaient foi les textes adoptés en langue anglaise, espagnole et française. L'ajout des trois autres langues est donc tout à fait légitime et conforme à la défense du multilinguisme soutenu par la France.
Ces trois évolutions vont dans le sens de ce qui est observé dans les organes exécutifs des autres institutions spécialisées des Nations Unies.
Dans ces conditions, l'approbation de cet accord par notre assemblée ne présente à mes yeux que des avantages, tant pour la France, que pour le bon fonctionnement de l'institution, ce qui nous a été confirmé par Geneviève Jean-Van Rossum, Ambassadrice, représentante permanente de la France à l'OMI.
Il faudra toutefois rester vigilent sur un point : l'augmentation du nombre des membres au sein du Conseil pourrait entrainer un changement des rapports de force en son sein en rendant les États en développement mieux représentés, et peut être même majoritaires. Il faudra alors veiller que nos intérêts ne soient pas desservis, notamment sur les sujets environnementaux à propos desquels nos positions peuvent diverger.
La présente résolution prévoit une entrée en vigueur 12 mois après sa ratification par deux tiers des États membres de l'OMI. À ce jour, 16 États l'ont ratifiée. (Honduras, Norvège, Malte, Malaisie, Espagne, Singapour, Pays-Bas, Canada, Thaïlande, Danemark, Arabie Saoudite, Finlande, Suède, Belgique, Antigue-et-Barbade).
On est loin du compte, mais la ratification rapide par la France confortera son image au sein de l'OMI comme celui d'un État membre particulièrement impliqué dans les travaux de l'Organisation.
En conséquence, je préconise l'adoption de ce projet de loi, dont le Sénat est saisi en deuxième. Son examen est prévu en séance publique le jeudi 13 juillet 2023, selon la procédure simplifiée, ce à quoi la conférence des présidents, de même que votre rapporteur, a souscrit.
Le projet de loi est adopté, à l'unanimité, sans modification.
Projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense - Désignation des candidats pour faire partie de la commission mixte paritaire
La commission soumet au Sénat la nomination de MM. Christian Cambon, Pascal Allizard, Cédric Perrin, Olivier Cigolotti, Rachid Temal, Jean-Marc Todeschini et Ludovic Haye comme membres titulaires, et de MM. Philippe Paul, Dominique de Legge, François-Noël Buffet, Michel Canévet, Yannick Vaugrenard, André Guiol et Pierre Laurent comme membres suppléants de l'éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.
Projet de Contrat d'objectifs et de performance (COP) de Campus France (2023-2025) - Examen du rapport d'information
M. Christian Cambon, président. - Nous examinons maintenant le rapport d'information de Ronan Le Gleut et André Vallini sur le contrat d'objectifs et de performance 2023-2025 de Campus France.
M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - Le présent contrat d'objectifs et de performance (COP) de Campus France couvre la période 2023 à 2025. Le précédent contrat, qui comportait un volet consacré aux moyens, portait pour sa part sur la période 2018-2020. Pendant près de trois ans, l'activité de l'opérateur n'était donc couverte par aucune convention.
Outre un retard de « rédaction », le présent COP a également subi un retard, plus contestable, de « transmission ». En effet, si la finalisation de ce contrat est intervenue en fin d'année 2022, celui-ci n'a été transmis aux commissions chargées des affaires étrangères de l'Assemblée nationale et du Sénat que le 12 juin 2023, soit à quelques semaines seulement de la fin de la session ordinaire. Nous ne pouvons que regretter cette méthode qui ne nous permet pas de travailler dans de bonnes conditions.
Sur le fond, le présent COP s'inscrit très largement dans la continuité du contrat d'objectifs et de moyens 2018-2020 et les évolutions qui y ont été apportées nous semblent aller dans le bon sens.
Je laisse la parole à André Vallini pour une présentation plus précise des objectifs et du volet « performance » du présent COP.
M. André Vallini, rapporteur. - Le présent contrat vise tout d'abord à adapter la stratégie de Campus France aux bouleversements induits par la Covid sur les mobilités internationales étudiantes.
La pandémie s'est traduite par une « panne du moteur asiatique des mobilités », alors que l'Asie est la première zone d'origine des étudiants internationaux en mobilité. Une baisse de 50 % des candidatures chinoises et de 20 % sur l'ensemble de la zone Asie a ainsi été constatée.
La crise de la Covid a aussi entraîné le développement des formations numériques qu'il convient de prendre en compte.
Le Brexit constitue également un bouleversement significatif qui s'est traduit par une chute d'attractivité du Royaume-Uni vis-à-vis des étudiants européens.
Enfin, la guerre en Ukraine a dans une large mesure interrompu les flux avec la Russie. Elle est en outre à l'origine d'une augmentation de l'inflation, à l'origine de répercussions sur le fonctionnement de la structure et potentiellement la vie des bénéficiaires.
S'agissant des objectifs assignés à l'opérateur, nous souscrivons globalement aux objectifs prioritaires qui nous ont été présentés en audition et sous objectifs fixés dans ce contrat. Six « actions » qui seront mises en oeuvre dans le cadre du COP 2023-2025 méritent d'être plus particulièrement mentionnées.
Premièrement, l'identification de zones géographiques prioritaires. Le présent COP prévoit un effort particulier à destination de l'Indopacifique, de l'Union européenne, des pays du voisinage et du continent Africain.
Cet effort de priorisation géographique va dans le bon sens alors que, comme nous l'a rappelé la directrice générale de Campus France en audition, certains pays font l'objet d'une concurrence intense pour accueillir les étudiants qui en sont originaires. Cela est notamment le cas de l'Inde. La France doit donc consacrer un effort particulier à destination de ces zones pour se maintenir dans la concurrence internationale.
Deuxièmement, un ciblage « qualitatif » sur les profils d'excellence. L'objectif d'augmentation du nombre de mobilités entrantes doit s'accompagner d'un renforcement ou, a minima, d'un maintien du niveau des étudiants accueillis.
Troisièmement, l'accompagnement de la stratégie « Bienvenue en France », qui a été lancée en novembre 2018 et qui vise notamment l'accueil de 500 000 étudiants internationaux à l'horizon 2027 ainsi que le doublement du nombre de bourses versées par le MEAE.
Quatrièmement, un effort particulier à destination de l'accueil des étudiantes, qui devra permettre un rééquilibrage géographique, en termes de niveau d'études et de domaines d'études.
Cinquièmement, un effort de simplification. En particulier, il est prévu la refonte des bourses du Gouvernement français sous une appellation unique : « France Excellence ». Le principal objectif de ce changement de nom est de doter ces bourses d'une identité unique de marque, sur le modèle des bourses américaines Fulbright et d'améliorer ainsi la visibilité de l'offre française de bourses à travers un nom facilement compréhensible pour les anglophones.
Enfin, sixièmement, un pilotage administratif et financier visant une amélioration de l'efficience de l'opérateur.
Les objectifs figurant dans le présent COP fixent donc un cap clair pour l'opérateur jusqu'en 2025 et nous y souscrivons.
S'agissant de la partie « performance » de ce COP, celle-ci nous semble comprendre un nombre important d'indicateurs de « moyens » ou de « gestion », qui ne permettent pas de mesurer réellement l'atteinte de ces objectifs.
Ainsi, pratiquement aucun indicateur n'est prévu concernant la mise en oeuvre de la stratégie « Bienvenue en France », qui constitue pourtant le pilier de la politique d'accueil des étudiants internationaux.
De même, les objectifs contenus dans le COP en termes de provenance géographique ne sont abordés qu'à travers le prisme des actions de promotions mises en oeuvre dans les pays prioritaires.
Si cette situation n'est pas totalement satisfaisante, elle s'explique cependant par la pluralité d'acteurs intervenant dans le cadre de la politique d'accueil des étudiants étrangers dont la « valeur ajoutée » ne peut pas nécessairement être isolée.
Les résultats consolidés enregistrés par cette politique devraient théoriquement transparaître dans les documents budgétaires. Nous constatons cependant que les indicateurs figurant dans ces derniers ne permettent pas non plus de mesurer son efficacité au regard des objectifs figurant dans le COP.
Une évolution du dispositif de performance devra donc être envisagée à terme afin de permettre d'en assurer le suivi.
Je repasse la parole à Ronan Le Gleut pour des observations plus générales sur les compétences de Campus France et la politique française d'accueil des étudiants étrangers.
M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - J'aborderai tout d'abord la question des compétences de l'opérateur et leurs perspectives d'évolution.
En premier lieu, les prérogatives de Campus France nous semblent comporter, à l'heure actuelle, quelques « zones grises ». Ainsi, Campus France ne dispose d'aucun mandat pour accompagner les jeunes français de l'étranger venant étudier en France, Or cette problématique n'est par ailleurs traitée par d'autres services.
Au regard du choc administratif voire culturel que peuvent rencontrer ces jeunes, qui peuvent avoir effectué toute leur scolarité à l'étranger, un accompagnement par l'opérateur devrait être envisagé, lequel devra se traduire par une évolution de ses moyens.
Je précise à cet égard que Campus France intervient déjà auprès des étudiants de Nouvelle-Calédonie, alors que cela n'est pas prévu dans le décret de 2011 qui fixe les compétences de l'agence.
Par ailleurs, le présent COP n'évoque pas la stratégie CAP 2030, qui prévoit un doublement des effectifs d'élèves du réseau de l'Agence pour l'enseignement du français à l'étranger (AEFE), censés atteindre 700 000 élèves à l'horizon 2030. Or les élèves des établissements de l'AEFE, dont le nombre s'est élevé à près de 400 000 à la rentrée 2022 contre 377 000 l'année précédente, choisissent pour plus de la moitié d'entre- eux, une fois bacheliers, d'intégrer le supérieur français. L'augmentation attendue du nombre d'élèves scolarisés au sein du réseau de l'AEFE aura donc vraisemblablement des répercussions sur l'activité de l'opérateur.
En second lieu, si le transfert de la gestion de la plateforme « Études en France » à Campus France qui est prévu dans la cadre du COP peut constituer une mesure de simplification utile, celui-ci nécessitera une réorganisation de l'agence et un réexamen de ses moyens.
Je conclus par quelques observations générales sur la politique d'accueil des étudiants étrangers.
Selon l'Unesco, en 2020 la France occupait la 6e place des pays d'accueil alors qu'elle figurait à la 7e place l'année précédente. Cette évolution, qui peut sembler favorable, résulte en réalité d'une mesure de périmètre, la Russie ayant été retirée du classement en raison de la non-observance de la méthodologie de l'Unesco.
En effet, si le nombre d'étudiants étrangers accueillis par la France est en augmentation, il croît cependant moins vite que dans d'autres pays.
Or, à l'heure où la présence française est contestée, comme cela a pu être le cas au Mali ou au Burkina Faso au cours des derniers mois, l'accueil d'étudiants étrangers qui, de retour dans leur pays d'origine sont autant d' « ambassadeurs » de la France à travers le monde, constitue un formidable levier d'influence, qu'il convient de renforcer. À titre d'exemple, la France est le premier pays de destination des étudiants des pays d'Afrique subsaharienne, dont le nombre a dépassé celui des étudiants issus de pays d'Afrique du nord.
Le renforcement de l'attractivité de notre pays passe, comme nous l'a rappelé la directrice générale de Campus France, par un travail en profondeur sur l'amélioration des conditions d'accueil des étudiants étrangers.
Mes chers collègues, sous bénéfice de ces observations, nous vous proposons d'émettre un avis favorable sur ce contrat d'objectifs et de performance.
M. André Gattolin. - Je suis membre du conseil d'administration de Campus France. Je m'interroge sur la stratégie poursuivie avec cette politique : que souhaitons-nous faire ? Certes un objectif quantitatif est fixé, accueillir 500 000 étudiants étrangers à l'horizon 2027, et des priorités géographiques ont été définies. Mais nous ignorons le coût de cette politique et combien elle rapporte. Il y a quelques années, Olivier Cadic a soulevé le fait que le budget de l'Agence française de développement (AFD) comprenait une ligne significative destinée au financement d'une aide en faveur de l'accueil d'étudiants chinois. La présence d'étudiants chinois dans le contexte actuel de contrôle dont ils font l'objet est problématique. Je lis dans le compte-rendu de la visite d'État en Chine, que le Gouvernement veut relancer massivement l'accueil de ces étudiants. Mais quels moyens met-on derrière en termes de suivi ? Je suis favorable à ce que l'on favorise la venue d'étudiants issus de pays en développement, cela fait en effet partie de notre politique d'influence. Mais je m'interroge sur l'opportunité de cette politique lorsqu'elle concerne des étudiants venus de pays développés, alors que l'enseignement supérieur français est pratiquement gratuit. Dans le cadre de la mission d'information « Influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français et leurs incidences », j'ai interrogé la directrice générale de Campus France sur ces sujets et je n'ai pas l'impression qu'il y ait une stratégie rodée.
La mixité des origines géographiques des étudiants est certes utile pour l'ensemble des étudiants, mais avez-vous une idée du coût budgétaire que cela représente et ce que cela rapporte, en termes de frais d'inscription par exemple, alors que certaines universités peinent à trouver des places pour une partie de nos étudiants ?
Cela résulte plus globalement de la faiblesse des moyens mis sur l'enseignement supérieur dans notre pays.
M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - Ces observations sont globales et portent sur des problématiques qui excèdent de beaucoup le champ du COP. La question de l'évaluation du coût me semble légitime. Au-delà du levier d'influence, il faut prendre en compte le fait que nous sommes confrontés à une véritable « guerre des cerveaux » à l'échelle internationale. Certains secteurs, comme l'intelligence artificielle, la cybersécurité, les biotechnologies, etc. font face à une pénurie de main-d'oeuvre qualifiée. L'entreprise Google s'est par exemple implantée à Zurich pour attirer des cerveaux au niveau européen car elle ne trouvait plus ces compétences aux États-Unis. Il peut y avoir un intérêt réel pour nos entreprises de combler ces pénuries en formant chez nous les esprits les plus brillants.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je suis aussi au conseil d'administration de Campus France. Je comprends l'intervention d'André Gattolin mais la question qu'il soulève me semble essentiellement liée à la problématique du suivi de ces étudiants. Les étudiants chinois sont d'importants relais d'influence. Il faut simplement connaître les études qu'ils vont mener et disposer d'un droit de regard sur la sélection.
Je pense que la question centrale est celle de l'accueil. Je soulève cette problématique pratiquement lors de chaque conseil d'administration. J'ai étudié aux États-Unis et j'ai pu constater la différence considérable entre les États-Unis, où il existe des services qui suivent les étudiants internationaux, et la France, où il n'y a bien souvent aucun suivi. Si Google s'est implantée à Zurich, ce n'est vraisemblablement pas parce qu'il n'y avait plus la ressource humaine aux États-Unis, où il existe des formations exceptionnelles, mais pour capter d'autres « cerveaux » et en priver, dans une certaine mesure, les États européens.
Des progrès ont été réalisés par Campus France dans ce domaine et les pays étrangers nous font part de leur satisfaction.
Comme les rapporteurs, j'estime qu'il faut également faire des efforts en faveur des jeunes Français du réseau de l'AEFE.
M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - La visite du centre Google de Zurich que j'évoquais à l'instant a eu lieu dans le cadre des travaux du groupe d'amitié France-Suisse. L'entreprise nous a expliqué qu'il n'y avait plus de ressource humaine aux États-Unis : toutes les grandes entreprises ont épuisé le vivier. Google a dû quitter le territoire américain pour pallier cette difficulté. Dans le centre de Zurich, il était frappant de constater que tous les Français que nous avons rencontrés étaient polytechniciens. Les autres salariés étrangers venaient par ailleurs des meilleures universités du continent.
S'agissant de l'accueil, cette problématique est évoquée dans le rapport. La stratégie Bienvenue en France a apporté des éléments de réponse, mais il convient de poursuivre cet effort et, je le répète, d'améliorer aussi l'accueil des jeunes Français établis hors de France intégrant l'enseignement supérieur français.
Bilan de sa première année au secrétariat d'État au développement - Audition de Mme Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères
M. Christian Cambon, président. - Nous procédons ce matin à l'audition de Mme Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée du développement, de la francophonie et des partenariats internationaux.
C'est la première fois, madame la secrétaire d'État, que nous avons le plaisir de vous entendre en séance plénière. Cette audition revêt une importance particulière pour nous dans la mesure où nous souhaitions depuis longtemps faire un point avec vous sur l'aide publique au développement (APD), dont les crédits, en hausse continue, sont désormais aussi importants que nos moyens consacrés à la diplomatie. Il était donc essentiel que nous puissions avoir, sur cette politique très importante, un interlocuteur ministériel dédié.
Nous souhaiterions évoquer plusieurs points avec vous.
Le Conseil présidentiel du développement (CPD) réuni le 5 mai dernier a décidé de nouvelles orientations, faisant la part belle à la lutte contre le changement climatique. La sortie du charbon et le financement des énergies renouvelables dans les pays en voie de développement constituent même le premier de la liste d'objectifs validés par le Président de la République, liste dans laquelle nous sommes aussi heureux de trouver l'éducation et la formation des professeurs, ou encore la souveraineté alimentaire en Afrique. Le relevé de décisions met également l'accent sur une nouvelle stratégie d'« investissements solidaires et durables » (ISD). Où réside la nouveauté de cette approche ? Quels sont ses liens avec le nouveau pacte financier issu du sommet de Paris des 22 et 23 juin derniers ?
Ces nouveaux objectifs doivent être déclinés dans le prochain Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid), que nous attendons toujours, le dernier datant de 2018. Comment ce comité s'articulera-t-il avec le CPD, qui fixe ses propres objectifs et indicateurs ?
Par ailleurs, la Cour des comptes, dans un récent rapport relatif à la comparaison des politiques française, allemande et britannique d'aide publique au développement, a considéré que, par comparaison avec nos voisins, nos investissements multilatéraux étaient insuffisamment fléchés vers les priorités établies pour ces politiques. Prévoyez-vous de faire évoluer la doctrine française sur ce point en fléchant davantage nos contributions non obligatoires, et ce afin de reprendre le contrôle sur nos financements ?
Enfin, il est inconcevable que la commission d'évaluation ne soit pas en activité deux ans après sa création par la loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. Après l'étrange épisode de la dernière loi de finances sur la question de l'attribution, ou non, de la présidence de cette commission au Premier président de la Cour des comptes, où en sommes-nous aujourd'hui ?
Ce premier exposé de quelques interrogations sera complété par nos rapporteurs, Hugues Saury et Rachid Temal. Je vous donne d'abord la parole pour un exposé liminaire, qui sera suivi d'une séance de questions et réponses.
Mme Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée du développement, de la francophonie et des partenariats internationaux. - Avant d'entrer dans le vif des sujets, j'aimerais vous témoigner, à vous et aux élus locaux que vous représentez, mon soutien et ma solidarité face aux événements des derniers jours. Dans ces moments où la démocratie est attaquée, vous jouez un rôle indispensable et courageux pour amener du dialogue, apaiser la situation et trouver des solutions de fond. Ces événements nous rappellent l'impératif d'être unis en toutes circonstances pour répondre aux préoccupations de nos concitoyens.
J'aimerais donc échanger avec vous sur l'action que je mène au service de la politique étrangère du Gouvernement, auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, Catherine Colonna.
Le monde est en train de changer. Les crises se superposent et de grandes visions s'affrontent. Le risque est grand d'une fracturation, qui conduirait à un monde du chacun pour soi. Nos concitoyens sont très préoccupés, ils nous demandent d'agir en matière de lutte contre les inégalités, de lutte contre le changement climatique ou d'accès aux services publics. Mais ces préoccupations sont universelles, pas uniquement françaises : tous les États sont confrontés à des enjeux similaires, comme je le constate au cours de mes nombreux déplacements.
Dans ce contexte, il faut apporter des réponses au plan national, bien sûr, mais aussi agir à l'international, car, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est l'heure de l'interdépendance.
Nous devons faire un choix, et le choix qu'a fait le Président de la République, c'est de refuser le repli, la perte de l'autre, c'est de nous ouvrir, c'est d'accepter la nouvelle donne, bâtir des solutions et chercher des alliés pour donner du poids à la vision française du monde.
Pour cela, il faut parler à tous. Le monde ne se décide plus au G7 ; il n'y a plus de petits pays ou de partenaires négligeables. Nous devons donc nouer avec chacun des partenariats, permettant de défendre nos intérêts économiques, nos intérêts en matière de biens publics mondiaux ou de stabilité de nos pays voisins. Il faut aller partout pour convaincre : pour être fort aujourd'hui, il faut avoir des alliés.
Tel est le sens de ma mission : bâtir les partenariats internationaux dont nous avons besoin pour relever les défis et défendre nos intérêts.
Quelle est la méthode mise en oeuvre ? Voyant que nous devons parler à tous, je me rends partout pour renforcer nos partenariats stratégiques et réfléchir, sujet par sujet, à la façon dont nous pouvons mieux coopérer avec chaque pays. Ainsi, depuis ma nomination en mai 2022, je me suis déplacée dans plus de 55 pays, y compris là où nous ne sommes jamais allés, pour rencontrer les dirigeants et les acteurs de la société civile. J'ai participé à tous les grands rendez-vous européens ou internationaux.
Je suis par exemple allée en Papouasie-Nouvelle-Guinée et au Vanuatu, île du Pacifique qui n'avait plus reçu de ministre français depuis quatre décennies. Au cours de ces visites, nous avons approfondi notre partenariat sur la préservation de l'environnement, mais aussi notre partenariat dans le cadre de notre stratégie pour l'Indopacifique et de l'intégration régionale de nos territoires d'outre-mer.
Première ministre française à me rendre sur cette île, j'ai également noué une relation forte avec la Première ministre de la Barbade, Mme Mia Mottley. Cette visite nous a permis de renforcer considérablement l'ambition et l'écho du sommet pour un nouveau pacte financier mondial, qui s'est tenu voilà deux semaines à Paris.
Dans ce dialogue qu'il faut entretenir avec tout le monde, il faut aussi user d'une posture différente. Nous, Français, devons être à l'écoute, dans le dialogue, dans le respect de l'autre ; nous devons parler à chacun en partenaire égal, en ayant l'humilité d'apprendre des autres. Comme je l'ai souvent dit, la France n'a rien à imposer nulle part : il faut négocier et proposer des solutions.
Bien sûr, le plus central de nos partenariats internationaux est celui qui nous lie au continent africain.
Depuis 2017, le Président de la République a mis son renouveau au coeur de sa politique étrangère. Nous sommes effectivement convaincus que ce continent est notre premier partenaire pour favoriser la croissance et relever les défis globaux, que notre relation avec l'Europe et la relation entre l'Europe et l'Afrique sont au coeur des enjeux géopolitiques actuels et à venir. C'est par l'axe euro-africain que nous pourrons peser dans le monde.
Pour autant, il n'y a plus de pré carré ou d'exclusivité. Les pays africains choisissent aujourd'hui leurs partenaires - et c'est tant mieux. Il nous revient donc, face aux discours anti-français, de leur montrer la richesse des partenariats que nous pouvons leur offrir, au niveau tant français qu'européen, avec des partenariats à 360 degrés incluant sécurité, développement, actions humanitaires, économiques et culturelles. Nous devons avoir le courage de répondre aux questions qui nous sont posées, dire clairement qui nous sommes et quels sont nos intérêts. C'est ce que je fais lors de chacun de mes déplacements, parfois dans des conditions particulièrement difficiles, comme lorsque je me suis rendue au Burkina Faso pour parler aux autorités de transition ou en République démocratique du Congo pour défendre l'image de notre pays, accusé de collusion avec le Rwanda.
Enfin, mon action marque bien sûr l'engagement français dans les instances multilatérales. Rien que cette année, nous avons annoncé une contribution historique de 1,8 milliard d'euros au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Nous avons participé, avec nos partenaires européens, à un accord historique pour la création du fonds « pertes et dommages » lors de la COP 27. Nous avons organisé avec le Gabon le One forest summit, ayant permis d'accroître la mobilisation internationale pour la préservation des forêts tropicales. Nous préparons, avec le Costa Rica, la conférence de l'ONU pour les océans, prévue à Nice en 2025.
Mais la France est aussi présente pour jouer un rôle moteur et engager des initiatives multilatérales nouvelles et originales, comme l'initiative Covax pendant la pandémie ou la coalition pour la protection de 30 % des terres et mers, rejointes par plus de 100 pays.
Le meilleur exemple de notre politique de partenariats internationaux est le sommet pour un nouveau pacte financier mondial, qui s'est tenu la semaine dernière et a réuni, pour la première fois, le monde du développement et le monde des finances. Plus de 50 chefs d'État, des centaines d'acteurs politiques, associatifs, économiques se sont retrouvés à Paris pour affirmer que personne ne doit avoir à choisir entre la lutte contre la pauvreté et la lutte contre le changement climatique. C'est là l'atout de la France, mesdames, messieurs les sénateurs : être une force d'équilibre, qui peut réunir tout le monde et mobiliser autour de défis communs. La présence de tant de partenaires à ce sommet prouve que nous sommes reconnus pour cela. Je n'entrerai pas dans le détail, mais, à Paris, de nombreuses avancées concrètes ont été obtenues, des engagements passés ont été tenus, des coalitions ont été formées. Ce sommet a créé une dynamique politique, que nous allons poursuivre et amplifier lors des prochains rendez-vous internationaux.
Au-delà de la méthode - et de la fierté que je ressens à appartenir à cette grande Nation -, il y a l'outil, c'est-à-dire, à la fois, notre politique d'aide publique au développement, la francophonie et notre place au sein de l'Union européenne.
La politique d'aide publique au développement est un outil central dans notre politique étrangère. Depuis 2017, l'APD a connu une hausse historique, la France étant désormais le quatrième bailleur mondial dans ce domaine. Cela doit avoir un impact positif sur notre image, notre influence, nos intérêts, et je voudrais remercier les rapporteurs pour avis de votre commission, MM. Hugues Saury et Rachid Temal, pour leur travail sur ce sujet dans le cadre de l'examen de la loi de finances pour 2023.
Notre politique de développement doit mieux répondre aux enjeux du monde actuel. C'est pourquoi le 5 mai, lors du Conseil présidentiel du développement, le Président de la République nous a fixé deux orientations, que le Cicid doit conforter. J'ai beaucoup échangé autour de ces axes avec les parlementaires, les élus locaux et la société civile.
Nous voulons, dans un contexte budgétaire particulièrement difficile, mieux aligner notre politique d'aide publique au développement à nos intérêts, nos valeurs et nos priorités politiques, en assumant la construction de partenariats plus transactionnels. Nous voulons renforcer notre agilité, notamment en repensant la répartition géographique de notre action pour nous diriger vers des pays comme la Zambie, qui veut travailler avec nous, ou la Papouasie-Nouvelle-Guinée, acteur clé du Pacifique. Il faut par ailleurs actualiser nos priorités thématiques, en particulier en prenant mieux en compte les questions de vulnérabilité climatique ou de soutien à l'entreprenariat et à la formation professionnelle. Enfin, nous devons bien sûr moderniser nos instruments et nos moyens d'action, en vue, notamment, de mobiliser davantage le secteur privé et la jeunesse de notre pays.
La francophonie est un autre outil de création de partenariats. Elle m'est chère et je sais, d'après nos échanges, que plusieurs d'entre vous lui accordent beaucoup d'importance.
Grâce au plan Langue française et plurilinguisme, lancé en 2018 par le Président de la République, nous faisons déjà énormément pour le rayonnement et l'apprentissage de notre langue.
Plusieurs rendez-vous importants nous attendent dans les prochains mois, à commencer par l'ouverture prochaine de la Cité internationale de la langue française et par la tenue en octobre 2024 du sommet de l'Organisation internationale de la Francophonie, que notre pays aura l'honneur d'accueillir. J'aurai à coeur d'oeuvrer pour que ce sommet permette de nouvelles avancées, notamment pour mieux faire connaître aux Français les opportunités offertes par cet espace francophone de 88 pays en termes d'emplois, d'éducation, de formation, d'entreprenariat, de coopération scientifique, de développement d'outils numériques. J'aurai besoin de vous pour faire vivre la francophonie partout.
Comme je le rappelle sans cesse, nos partenariats doivent aussi être pensés au niveau européen. Je le dis, non pas seulement du fait de mon parcours, mais parce que, si je me suis engagée en politique, c'est pour défendre l'Europe, une Europe géopolitique qui porte sa voix et ses valeurs partout, qui agit et pèse à 27.
Ce fut par exemple l'objectif du sommet entre l'Union européenne et l'Union africaine qui a été organisé, sous la présidence française, en février 2021 à Bruxelles. C'est aussi l'objectif du plan « Global gateway », prévoyant 300 milliards d'euros d'investissement, dont 150 milliards d'euros pour l'Afrique.
Enfin, nous avons tous une part à prendre dans la construction de nos partenariats internationaux. Ces derniers ne s'établissent pas uniquement entre États, entre gouvernements ; ils se jouent à tous les niveaux - entreprises, scientifiques, associations, artistes - et, bien sûr, ils passent aussi par nos parlementaires, à travers la diplomatie que ceux-ci mettent en oeuvre, et par nos collectivités territoriales. Nous avons tous un rôle à jouer ; nous devons tous répondre à cette envie de France, qui est une réalité. Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a une envie de France ! Nous devons être fiers de notre pays !
J'entretiens avec vous, notamment avec votre président, des échanges réguliers. Vos idées, les préoccupations que vous nous faites remonter, nos discussions me sont très précieuses. Ma porte vous est toujours ouverte, notamment pour lier nos territoires à l'action internationale, mais aussi parce que j'ai l'envie de vous associer, y compris à mes déplacements. Face aux défis vertigineux, il faut être unis, il faut agir ensemble. Au-delà de nos couleurs politiques, nous sommes tous l'équipe France !
M. Hugues Saury, rapporteur pour avis sur les programmes 110 et 209 de la mission « Aide publique au développement ». - je vous remercie de votre présence et de vos propos, madame la secrétaire d'État. Je vous rassure, nous sommes tous fiers de notre pays !
Lors des débats sur la loi du 4 août 2021, nous nous étions tous accordés sur le fait que la lutte contre la pauvreté - manger, se soigner, s'éduquer - était la priorité des priorités. Pour cela, nous avions identifié 19 pays prioritaires : 18 pays africains et Haïti. Or, il semble que, par décision du Conseil présidentiel du développement, le Cicid ne désignera plus une liste de pays prioritaires. Dans le même temps, vous insistez sur le partenariat avec les pays du continent africain, ce qui me semble légèrement contradictoire. Les objectifs de lutte contre le changement climatique, certes essentiels, mais qui concernent moins les pays les plus pauvres, ne risquent-ils pas de faire passer les objectifs de lutte contre la pauvreté au second plan ?
S'agissant du rapport de la Cour des comptes, celle-ci est comme souvent critique quant au contrôle de l'Agence française de développement (AFD), qui apparaît à ses yeux comme une sorte d'agency à l'américaine, participant à la conception d'une politique publique tout en étant partie prenante dans son application. La Cour des comptes juge que le contrôle rapproché auquel tentent de se soumettre les deux ministères compétents est difficile, au vu, notamment, des moyens humains disponibles. Elle suggère d'alléger les procédures de compte rendu à court terme et de mettre en place un examen approfondi des projets engagés tous les deux ans. Nous estimons pour notre part que le suivi des activités de l'agence doit être renforcé. Votre nomination à un poste de secrétaire d'État dédié va-t-il, comme nous l'espérions, dans ce sens ? Que pensez-vous de cette idée d'examen approfondi ? Ce rôle pourrait-il être confié à la nouvelle commission d'évaluation, si celle-ci voit enfin le jour ?
En outre, le rapport met en avant le caractère inadéquat de l'organisation de l'APD dans les pays destinataires, avec un conseiller de coopération et d'action culturelle (Cocac) censé conseiller l'ambassadeur, mais ayant très peu de moyens financiers par rapport au directeur local de l'AFD. La Cour des comptes suggère de mettre fin à cette situation insatisfaisante, en faisant officiellement de ce dernier le conseiller de l'ambassadeur en matière de développement. Qu'en pensez-vous ? Cela ne permettrait-il pas d'harmoniser l'action de l'AFD avec les priorités du Quai d'Orsay, en renforçant l'autorité de l'ambassadeur sur l'agence ?
Le débat sur la taxe sur les transactions financières (TTF) a été récemment relancé au Parlement européen. La France ne semble pas très allante sur le sujet, car une TTF européenne aurait sans doute un taux plus élevé ou une assiette plus large que l'actuelle TTF française. Pouvez-vous nous en dire plus ?
M. Christian Cambon, président. - Je vois un certain décalage entre vos propos et les positions de la commission. Je veux bien, par exemple, que l'on donne priorité au climat, mais, pour rencontrer régulièrement des représentants de certains pays, leurs priorités restent de fournir à leur population de quoi manger, se soigner et s'éduquer. Je souhaite donc que vous puissiez donner clairement votre sentiment sur la première question de notre rapporteur.
Mme Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d'État. - L'organisation du sommet pour un nouveau pacte financier mondial visait précisément à ne pas opposer la lutte contre le changement climatique et la lutte contre la pauvreté. Le changement climatique entraîne des déplacements, de l'instabilité et, en conséquence, de la pauvreté. Il ne faut donc pas opposer ces deux luttes, et c'est précisément autour de cette question que les acteurs des Nations unies et du monde des finances sont venus travailler.
S'agissant des pays prioritaires, il a été décidé dans le cadre du CPD de placer au coeur de notre action les pays les moins avancés, qui concentrent les besoins, les défis, les crises et représentent une très grande part de la population mondiale en situation d'extrême pauvreté. Si vous consultez la liste de ces pays, vous constaterez que les 19 pays évoqués figurent dans cette nouvelle cible élargie. Cela prouve par ailleurs que la réduction de la pauvreté reste l'un de nos objectifs principaux.
Par ailleurs, le Président de la République, le Gouvernement et moi-même sommes très attachés à un pilotage politique efficace, cohérent et lisible par tous, afin que l'action de l'AFD, opérateur placé sous la tutelle de l'État, soit bien alignée avec nos priorités, nos valeurs et nos intérêts. Tous les deux mois environ, je tiens le comité de suivi de l'AFD avec la direction générale du trésor et la direction générale de la mondialisation, de la culture, de l'enseignement et du développement international. Nous pilotons finement la répartition géographique des crédits budgétaires. S'ajoute à cela le conseil d'administration de l'agence, dans lequel le Parlement est représenté.
Je suis par ailleurs très attachée au renforcement du pilotage de notre dispositif sur le terrain via nos ambassadeurs. Notre expertise est importante, mais il faut encore travailler à la coordination. Je ne suis pas favorable à la proposition de donner le rôle de Cocac au directeur local de l'AFD. En revanche, le Président de la République a demandé que l'ambassadeur, en qualité de chef d'orchestre, voie son rôle renforcé et qu'il ait les moyens d'agir vite.
Enfin, vous le savez très bien, notre pays est pionnier en matière de taxation innovante pour financer la solidarité internationale, comme le montrent la taxe de solidarité sur les billets d'avion du président Jacques Chirac et, depuis 2012, la taxe sur les transactions financières, dont une part importante finance notre action en matière de santé mondiale et notre action climatique à l'international. L'enjeu est désormais d'enclencher une dynamique internationale, notamment en élargissant la réflexion sur d'autres sujets, comme, par exemple, la taxation du secteur maritime. Après la tenue du sommet pour un nouveau pacte financier mondial, nous allons porter notre action sur la promotion de la TTF.
M. Rachid Temal, rapporteur pour avis sur les programmes 110 et 209 de la mission « Aide publique au développement ». - Je croyais, madame la secrétaire d'État, - c'est en tout cas ce que l'on m'a appris - que le Parlement faisait la loi et qu'ensuite elle s'appliquait. Malheureusement, l'application de la loi du 4 août 2021, dans laquelle nous avons fixé un certain nombre d'objectifs, n'intéresse de toute évidence pas grand monde ! Quelques semaines après son adoption, on nous a proposé un contrat d'objectifs et de moyens (COM) ne reprenant absolument pas les priorités que nous avions établies. Les rapports demandés par le Parlement n'ont pratiquement jamais été remis. Le Cicid se réunit quand il peut, quand il veut ou quand le Président de la République le souhaite. Un Conseil présidentiel du développement vient s'ajouter à l'ensemble. À quoi tout cela sert puisque, en définitive, la loi du 4 août 2021 n'est pas appliquée, voire allégrement contournée ? D'où cette question : quand allez-vous lancer la réflexion sur une nouvelle loi de programmation ? Vu la lenteur de certains travaux, on peut espérer être au rendez-vous de l'échéance de 2025 en commençant maintenant...
Par ailleurs, c'est selon moi quand on ne veut pas mettre en oeuvre de pilotage politique que l'on crée une commission d'évaluation. Or, à l'heure actuelle, nous n'avons ni l'un ni l'autre ! J'aimerais donc connaître le montant des crédits des ministères sur l'aide publique au développement, au regard des crédits de l'AFD.
Où en sommes-nous du rapport entre dons et prêts ?
Je rappelle en outre que la TTF a été spécifiquement créée pour l'aide publique au développement. Allez-vous enfin faire en sorte que tout ou partie significative de ces recettes, au moins 50% peut-être, soient attribuées à cette politique ?
Comment comprendre que l'on nous impose une commission d'évaluation - qui ne s'est toujours pas réunie -, avec un rattachement à la Cour des comptes et des amendements contradictoires soutenus par le Gouvernement quant à sa présidence ? Tout cela est d'un ridicule achevé !
Enfin, je m'interroge sur certaines de nos positions. La France va-t-elle ouvertement condamner les agissements du Rwanda, qui aide et finance le M23, groupe auteur de massacres dans l'est de la République démocratique du Congo ? S'agissant de la Nouvelle-Calédonie, allons-nous soutenir l'intégration sur l'arc mélanésien ? Par ailleurs, que prépare la France au regard de l'évolution de la présence de la milice Wagner en Afrique ?
Mme Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d'État. - Comme vous, je respecte pleinement le rôle du Parlement. La commission d'évaluation est une avancée majeure de la loi du 4 août 2021, le Gouvernement s'est mobilisé pour la mettre en place, les décrets d'application ont été publiés en mai 2022. Le ministère des affaires étrangères finalise les nominations pour le collège d'experts et nous échangeons à cette fin avec la Cour des comptes ; cependant, le schéma de gouvernance doit être accepté par tous, c'est une condition pour travailler dans la sérénité. Nous prenons en compte la perspective du dépôt d'un texte législatif pour aboutir, sachez en tout cas que le ministère de l'Europe et des affaires étrangères souhaite une mise en place rapide de cette commission.
Vous me dites que nous n'aurions pas de ligne politique en matière d'aide publique au développement ? Je vous rappelle que les agences sont certes sous tutelle, mais qu'elles ont aussi leurs initiatives. Surtout, nous poursuivons l'objectif de consacrer 0,7 % du RNB à l'aide publique au développement, tel qu'il est inscrit dans la loi du 4 août 2021, alors même que bien des choses ont changé dans le monde en deux ans et malgré les difficultés budgétaires nouvelles. La France est d'ailleurs dans le peloton de tête pour l'aide publique au développement, avec 15 milliards d'euros, c'est ce qui intéresse nos partenaires du sud, ils attendent de nous des projets concrets, beaucoup plus que de gagner des places dans les comparaisons internationales.
Le monde a changé avec l'agression russe en Ukraine, elle a des conséquences profondes et c'est pourquoi j'ai voulu réunir un Cicid, le dernier s'est tenu il y a cinq ans : c'est une décision politique que de le réunir. En cinq ans, nous avons accru nos moyens d'aide publique au développement, d'un milliard d'euros, et avec 0,15 % du RNB à l'aide aux pays les moins avancés, nous sommes parmi ceux qui fléchons le mieux l'aide publique au développement vers les pays les plus pauvres, pour une aide concrète à de grands projets.
Je me suis rendue plusieurs fois en Afrique comme médecin, comme députée, je peux témoigner que la situation dans la région des grands lacs est une source d'inquiétude sur le plan international - et que la France y a une position cohérente avec ses principes. Le Président de la République parle à ses homologues de la région, une médiation est en cours, conduite par le Kenya et l'Angola, nous avons condamné le soutien au groupe M23, nous suivons la situation de près et nous vous en tiendrons informés.
En janvier dernier, des experts indépendants mandatés par le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies ont confirmé que le groupe Wagner est un groupe criminel, mafieux, dont l'objectif est de piller les ressources des pays où il intervient, au détriment de ces pays et au prix de souffrances atroces pour les populations. Nous le disons aux pays qui choisissent le groupe Wagner, certains d'entre eux commencent à regretter de s'être associés à ce groupe criminel, certains veulent s'en dissocier - et des voisins du Mali s'inquiètent vivement des suites de cette prédation, voilà à quoi nous assistons s'agissant de la présence du groupe Wagner au Sahel.
M. Christian Cambon, président. - La commission d'évaluation parlementaire est une grande avancée que l'on doit au Sénat. Cependant, elle a été rattachée à la Cour des comptes, on nous l'a imposé ; et un amendement a prévu que cette commission élise son président, ce que le président de la Cour des comptes refuse, au motif que la présidence d'une commission confiée à la Cour ne saurait résulter d'une élection ; il l'a écrit au président Bourlanges, dans des termes peu amènes, aussi sommes-nous dans une impasse. J'en ai discuté la semaine dernière avec Catherine Colonna, il semble qu'il n'y ait pas d'autre issue que législative, dès lors que le secrétariat général du Gouvernement n'a pas signalé, en amont, le fait qu'une présidence exercée par la Cour des comptes ne pouvait résulter d'une élection. Jean-Louis Bourlanges a proposé un rattachement au ministère des affaires étrangères, Bercy le refuse, pour des raisons de contrôle budgétaire... Il faut sortir de cette situation qui peut s'éterniser, au point que nous ne verrions jamais cette commission se constituer. J'en ai alerté le président du Sénat et il a, à ma demande, bloqué les nominations de son ressort. Il va falloir que la Première ministre se saisisse du sujet, pour déposer un projet de loi, ou bien nous déposerons une proposition de loi. Il faut que le Parlement contrôle les projets de développement et l'AFD, qui gère 13 milliards d'euros, nous sommes dans notre rôle.
Mme Marie-Arlette Carlotti. - Il était temps que l'on se rencontre, avant le Cicid du 13 juillet et après les annonces présidentielles, qui ont inquiété plutôt que rassuré. Pour nous, l'essentiel est que les engagements de la loi du 4 août 2021 soient respectés, elle a été adoptée à l'unanimité et le moins qu'on puisse attendre, c'est qu'elle soit appliquée, intégralement. Nous pensons d'abord, bien entendu, à la trajectoire financière de l'aide publique au développement : nous avions prévu 0,7 % du RNB pour 2025, vous présentez cet objectif comme « une boussole », c'est inquiétant.
Le conseil présidentiel du mois de mai dernier, ensuite, dans les dix priorités qu'il a énoncées, n'a pas eu un mot pour les organisations de la société civile, alors que nous avons besoin de travailler sur le long terme avec les associations : nous voyons bien que vous voulez travailler davantage avec le privé, mais le Cicid du 13 juillet va-t-il conforter le travail avec la société civile ?
Le 8 mars dernier, vous avez annoncé la création d'un fonds de soutien aux organisations féministes, avec 120 millions d'euros sur trois ans : ce fonds sera-t-il pérennisé ?
Vous engagez-vous à ce que le Cicid ne conditionne pas l'APD à la politique migratoire ?
Quel a été l'utilité du Sommet de Paris pour un nouveau pacte financier mondial, dès lors que les États-Unis n'y ont pas participé ? Il y a de forts besoins de financement, nous sommes pour l'innovation en la matière, la taxe sur les billets d'avion est une bonne chose, il faut aller plus loin, en taxant par exemple les transports maritimes au nom du principe pollueur-payeur, ou encore les transactions financières. Nous avons défendu plus de dons et moins de prêts pour les pays les moins avancés, allez-vous continuer dans cette direction ? Des États africains sont au bord du gouffre, ils ont trop emprunté à la Chine : pour retrouver un peu de crédibilité auprès des pays africains, la France ne devrait-elle pas aider à trouver des solutions, y compris auprès de l'Union Européenne ?
Nous avons l'impression que le Gouvernement se moque de nous. Dans la loi du 4 août 2021, nous avions prévu un rapport annuel du Gouvernement sur l'aide publique au développement : rien. Le Gouvernement devait, avant fin 2022, remettre un tableau actualisé sur les cibles : rien non plus. Et nous avions prévu aussi un débat parlementaire : ici encore, rien n'est venu !
Mme Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d'État. - À écouter certaines interventions, on croirait que le Gouvernement ne fait rien... Au Sommet de Paris pour un nouveau pacte financier mondial, il y a eu quatre groupes de travail sur la dette, je suis fière du travail du Club de Paris, il est reconnu par tous les pays africains - le Mozambique et le Ghana, qui sont très endettés, le disent clairement. Comment pérenniser les mécanismes vertueux dans le cadre du pacte financier mondial ? Nous recherchons des pistes. De même, nous travaillons sur l'innovation, car l'argent public ne peut résoudre toute la pauvreté du monde. Nous mobilisons le privé, nous sommes également exemplaires sur la TTF. Il faut compter, aussi, avec ce que fait l'Union européenne, qui a un grand programme d'infrastructures doté de 150 milliards d'euros pour l'Afrique. Curieusement, nous ne sommes pas capables d'en être fiers, nous ne mettons pas suffisamment cette action en avant, alors que nous aidons des projets pour l'éducation, pour la formation, pour la sécurité - il faut le dire davantage.
Il est faux de dire, ensuite, que le Sommet de Paris pour un nouveau pacte financier mondial se soit déroulé sans les États-Unis : Janet Yellen, la secrétaire d'État au Trésor, était avec nous dès le début, son administration a travaillé pendant quatre mois à la préparation - et ce que l'on constate, c'est que le langage du Sommet est repris par les États-Unis, ce qui est souhaitable puisqu'on ne peut guère avancer loin sans les Américains sur le sujet de la dette.
Nous ne ferions pas assez avec la société civile ? Je viens de la société civile, j'ai consacré un rapport à la participation de la société civile dans l'aide publique au développement, je le tiens à votre disposition. Quant au fonds de soutien aux organisations féministes, il a été lancé en 2019 avec 120 millions d'euros sur trois ans, j'ai annoncé sa poursuite en septembre dernier depuis New-York, cette pérennisation est aussi à mettre à notre actif. Nous avons soutenu plus de 1 000 organisations féministes, quatre sur cinq sont en Afrique, nous avons mobilisé 133 millions d'euros depuis 2020 - tout ceci est très concret.
M. François Patriat. - Je peux vous rassurer : nous n'avons pas le sentiment que le Gouvernement ne fasse rien. La guerre en Ukraine, avec son incidence directe sur le blocage du trafic maritime en mer Noire, a montré la fragilité des circuits d'approvisionnement alimentaire de bien des pays du sud, dépendants des céréales russes et ukrainiennes. Quel rôle joue la France contre l'insécurité alimentaire ?
Mme Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d'État. - Effectivement, l'agression russe a montré l'importance de la sécurité et de la souveraineté alimentaires, dont la France a fait une priorité. En mars 2022, alors que j'étais députée européenne, le Président de la République a lancé un plan dans le cadre de l'initiative européenne FARM (Food and Agricultural Resilience Mission), pour soutenir les pays les plus touchés par la crise alimentaire mondiale. Nous aidons aussi les pays du sud sur le long terme, en mobilisant le secteur privé pour développer l'agro-écologie et structurer les filières agricoles. La France a quintuplé son aide alimentaire, à 150 millions d'euros, pour agir en particulier contre la mal nutrition maternelle et infantile. Nous nous sommes engagés également dans le sommet « Nutrition pour la croissance », qui développe des programmes d'alimentation scolaire, c'est très important en Afrique ; nous allons accueillir première réunion mondiale cet automne sur le sujet, vous y êtes tous invités.
M. Jacques Le Nay. - En janvier dernier, la France et l'Allemagne décidaient de coopérer plus étroitement lors de crise mondiale, ainsi qu'au sujet de la réforme de la Banque mondiale. Considérez-vous que les efforts internationaux en matière de développement, et plus particulièrement européens, sont suffisamment coordonnés et complémentaires ?
Deux stratégies ont guidé l'action de la France en matière d'aide au développement depuis 2018, puisque la stratégie « prévention, résilience et paix durable » a complété la stratégie humanitaire de notre pays : est-ce que le Gouvernement va actualiser sa stratégie, en tirant les conclusions sur la période écoulée ?
Mme Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d'État. - La réforme de la Banque mondiale est portée par les États-Unis, j'ai suivi certaines discussions en tant que parlementaire européenne et je témoigne qu'avec l'Allemagne en particulier, nous allons dans la même direction. Une réunion s'est tenue en avril dernier, elle a constitué une première étape importante ; les gouverneurs ont retenu deux points communs : l'intégration des biens publics mondiaux dans le champ d'intervention de la Banque mondiale, et l'adoption d'un premier paquet financier augmentant de 50 milliards de dollars sa capacité de prêts sur les 10 prochaines années. Le processus de réforme va être long, nous partageons nos objectifs avec les autres Européens, le nouveau président de la Banque mondiale a été élu avec notre soutien, il arrive à un moment crucial pour la Banque et avec la volonté de faire avancer la réforme par des mesures ambitieuses, nous travaillons main dans la main avec l'Allemagne.
Quant à notre stratégie humanitaire, il reviendra au prochain Cicid de confirmer son caractère prioritaire - nous sommes présents partout dans le monde - et d'en augmenter les moyens.
Mme Michelle Gréaume. - Par une lettre du 13 mars dernier adressée à François Rebsamen, président de Cités Unies France, au sujet de la coopération décentralisée entre la France et le Mali, Catherine Colonna a remis en question les projets de coopération portés par certaines collectivités au motif que le gouvernement malien a interdit par décret tout projet de développement bénéficiant d'un financement de la France. Outre le fait que ce décret malien a été pris après la décision de la France, comme l'ont regretté à juste titre les organisations humanitaires, de suspendre toutes les aides au développement au Mali, je rappelle qu'une collectivité territoriale ne relève pas du droit international mais du droit interne : une commune agit en son nom propre, elle n'est pas liée à la politique étrangère de la France tant que la commune respecte les traités et accords de la France.
Cette lettre, Madame la Ministre, me met donc profondément mal à l'aise : en demandant aux collectivités de redéployer les aides initialement prévues au Mali vers d'autres pays, le Gouvernement donne le sentiment d'un retour à la logique archaïque d'une tutelle de l'État sur les collectivités. Or, les collectivités décident en toute souveraineté - et à l'abri de toute pression - de la poursuite ou non de leurs actions de solidarité internationale. Il n'est pas souhaitable que le pouvoir français lie les collectivités territoriales aux turpitudes et variations de la politique étrangère de la France de manière directe et contribue ainsi à les discréditer au Mali et dans la sous-région.
Confirmez-vous l'impossibilité pour nos communes de poursuivre leurs projets de coopération décentralisée vers le Mali ?
Mme Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d'État. - Les collectivités territoriales ont un rôle très important dans la coopération internationale. Vous m'interrogez sur leur rôle au Mali, vous savez combien la situation est difficile dans ce pays pour l'aide publique au développement, depuis que la junte s'est alliée au groupe Wagner ; nous avons considéré que les risques de détournement des financements y étaient devenus trop importants pour poursuivre l'aide publique au développement. Nous avons aussi décidé de maintenir notre aide d'urgence et notre aide humanitaire, mais les Maliens y ont mis fin, avec le décret que vous mentionnez : ce n'est pas nous qui avons décidé cette suspension, c'est la décision d'un pays souverain, quand bien même elle est en défaveur de sa population. Nous avons fait beaucoup pour aider le Mali, avec 100 millions d'euros d'aide humanitaire, avec le soutien militaire, mais nous devons nous adapter à la nouvelle donne - et je ne peux guère vous dire autre chose aujourd'hui que notre coopération décentralisée sera étudiée au cas par cas.
M. Guillaume Gontard. - Dans la loi du 4 août 2021, nous avions prévu que d'ici 2025, 85 % des projets d'aide publique au développement devraient avoir pour objectif principal ou significatif l'égalité entre les hommes et les femmes : où en sommes-nous ? Quelle transparence dans les décisions de soutien ? Quel recours à la société civile ?
Ensuite, le financement du parc national de Kahuzi-Biega, en République démocratique du Congo (RDC) a été suspendu : ce projet est-il abandonné ?
Mme Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d'État. - L'égalité entre les hommes et les femmes est une priorité depuis 2017, c'est aussi l'objectif du fonds de soutien aux organisations féministes dont j'ai déjà parlé - et l'État fixe aussi des objectifs très clairs en la matière à ses agences. Nous sommes au rendez-vous, nous avons engagé 249 projets spécifiques, 20 % des projets de l'AFD font de cette égalité leur objectif principal, par exemple des programmes dédiés de prise en charge de victimes de violences sexistes ou conjugales.
Le soutien au parc national de Kahuzi-Biega national, en RDC, a été annulé. Le gouvernement congolais nous avait sollicités, mais nous avons eu des soupçons sur le respect des populations autochtones, nous avons donc décidé de demander à l'AFD de suspendre l'instruction, puis nous avons abandonné ce projet, par respect des droits humains. Cela ne remet pas en cause la protection des milieux naturels, nous avons organisé en mars un sommet sur le bassin du Congo.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je vous remercie pour vos propos, nous avions besoin d'un dialogue différencié en matière d'aide publique au développement, certains États nous en veulent et j'apprécie votre humilité devant cette situation.
Je vous remercie aussi de dire qu'il est important de vous appuyer sur les parlementaires, nous pouvons vous aider. J'étais en Papouasie-Nouvelle Guinée récemment, j'y ai constaté la faiblesse de notre présence, il n'y a pas d'Alliance française dans l'archipel, aucun enseignement de notre langue, y compris pour les diplomates - je le déplore et je tenais à faire passer ce message.
Je m'inquiète, également, de notre si faible présence en Ukraine. Je m'y suis rendue deux fois depuis le début de l'agression russe, j'ai pu y constater une véritable attente des Ukrainiens vis-à-vis de la France, mais aussi combien nous étions absents pour la reconstruction du pays, contrairement aux Allemands et aux Britanniques, c'est inadmissible. L'Ukraine ne devrait plus être classée en zone rouge, la situation n'y est pas si dangereuse partout, il est temps de faire passer le pays en zone orange. L'AFD, ensuite, n'a pas de mandat en Ukraine, alors qu'elle a ouvert un bureau en Moldavie : il faut la missionner, c'est urgent, merci de nous y aider, ou bien nous ne rattraperons pas notre retard en Ukraine !
Mme Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d'État. - Je ne répondrai pas sur l'Ukraine, la ministre suit directement la situation, un envoyé spécial a été nommé sur la reconstruction.
Je comprends votre demande que l'AFD intervienne aussi en Ukraine, mais il faut cependant ne pas prêter le flanc à ceux qui nous reprochent de faire deux poids, deux mesures - il faut considérer le monde dans son ensemble et voir par exemple qu'en Afrique, on met en avant qu'il y a eu 600 000 morts en Éthiopie, c'est un enjeu considérable. Nous sommes tous mobilisés pour la reconstruction de l'Ukraine, avec la Banque publique d'investissement (BPI), la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd), mais pour ce qui est de l'AFD, il faut compter avec le risque d'effet d'éviction pour des projets concernant d'autres pays.
M. Joël Guerriau. - Dans la période actuelle, il ne faut pas mettre de l'huile sur le feu. Or, la porte-parole du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme interpelle la France et lui demande de s'attaquer aux questions de racisme au sein des forces de l'ordre. Nous en avons été très choqués. Quel est votre point de vue sur ce sujet ?
Mme Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d'État. - Il me semble, monsieur le sénateur, que c'est le ministre de l'intérieur qu'il faut interpeller sur cette question.
M. Christian Cambon, président. - Je vous remercie, madame la secrétaire d'État. L'audition est effectivement « tonique » car nous évoquons un sujet que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées porte depuis longtemps. Nous éprouvons tout de même un sentiment général d'insatisfaction vis-à-vis de l'action du Gouvernement, qui a selon nous insuffisamment pris en compte notre travail sur la loi du 4 août 2021. À cet égard, la commission d'experts est un véritable abcès, mais, de manière générale, nous avons toujours eu du mal à imprimer notre point de vue, par exemple lors des auditions du directeur général de l'AFD. Or, nous l'avons déjà souligné à de multiples reprises, au vu des problèmes qui se posent dans le reste du monde, le fait que l'AFD prête des centaines de millions d'euros à la Chine n'est pas sans soulever des interrogations... Une fois de plus, le Parlement, conformément à sa vocation constitutionnelle, demande un meilleur contrôle de toutes ces actions. Il faut donc veiller à ce que les informations soient transmises à nos rapporteurs et faire en sorte que cette loi du 4 août 2021 soit enfin appliquée. À travers la diplomatie parlementaire et notre soutien au travail des collectivités territoriales, nous essayons d'avancer dans le bon sens, mais nous avons l'impression de parler dans le vide.
Mme Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d'État. - À mon tour, je vous remercie pour cette audition et répète que je suis prête à travailler avec vous.
L'un des intervenants a dénoncé une absence de contrôle politique. Nous sommes, je le rappelle, dans un secteur où de nombreux acteurs interviennent. Je fais tous les efforts pour les réunir autour de la table et les faire se coordonner, mais, comme vous le savez, il y a des habitudes et des prés carrés.
Bien sûr, la loi doit être respectée. Mais le CPD et le Cicid ne s'y opposent pas. J'ai encouragé le premier car il permettait d'avancer dans l'esprit de la loi et offrait un moyen d'intéresser tout le monde, notamment la société civile.
J'espère également que la commission d'évaluation pourra être investie le plus rapidement possible. J'ai insisté lors du CPD sur l'importance d'avoir un retour des deux ministères.
Je peux en tout cas vous garantir que mon engagement est total.
M. Christian Cambon, président. - Nous souhaitons que vous puissiez imposer votre autorité à tous ces organismes, en particulier à l'AFD. C'est une agence très richement dotée ; il convient donc que l'autorité ministérielle soit respectée. Si, de surcroît, on parvient à faire appliquer la loi, cela viendra nourrir notre dialogue.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
« Les nouveaux équilibres stratégiques en Amérique du sud » - Examen du rapport d'information
M. Christian Cambon, président. - Nous examinons désormais le rapport d'information réalisé à la suite de la mission effectuée au Brésil, au Suriname et au Guyana, à laquelle participaient nos collègues Joëlle Garriaud-Maylam, André Vallini, Catherine Dumas, Philippe Folliot et Nicole Duranton.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur. - Douze ans après le dernier rapport consacré par notre commission au Brésil, il apparaissait indispensable de mener de nouveaux travaux sur ce pays tant celui-ci a connu d'importants bouleversements politiques au cours de la décennie écoulée : destitution de la Présidente Dilma Rousseff en août 2016, accession au pouvoir du dirigeant d'extrême-droite Jair Bolsonaro en 2018, et élection, pour un troisième mandat, de Luiz Inácio Lula da Silva en octobre 2022.
Ces alternances ont eu des répercussions importantes tant à l'intérieur des frontières du pays, en matières économique, sociale et environnementale, qu'en dehors, en raison de la place qu'il était parvenu à occuper à la fin des années 2010 au niveau régional comme international.
L'objectif de notre mission d'information était double. Il s'agissait tout d'abord d'établir un bilan de la situation économique, sociale et politique du Brésil à l'amorce de la troisième présidence Lula, tout en identifiant les axes possibles de renforcement de la relation bilatérale. Il s'agissait ensuite d'analyser les atouts et les défis que représente la présence de la France en Amérique du Sud en se penchant sur les relations qu'elle entretient avec ses voisins du Plateau des Guyanes, immédiats, comme le Brésil et le Suriname, ou plus lointains, comme le Guyana, et sur les pistes d'approfondissement de ces derniers.
Dans cette perspective, notre délégation, qu'André Vallini et moi avions l'honneur de conduire, et qui était également composée de Catherine Dumas, Philippe Folliot et Nicole Duranton, que je tiens à remercier pour leur participation à ce travail commun, s'est rendue à Rio de Janeiro, sur la base navale d'Itaguaí - symbole de la coopération franco-brésilienne en matière de défense - à Brasilia, Macapá, Oiapoque, Cayenne, puis à Paramaribo, capitale du Suriname, et enfin Georgetown, capitale du Guyana.
Je commencerai cette présentation par un état des lieux de la situation économique et sociale du Brésil, de sa politique étrangère et des évolutions attendues à la suite de l'élection du Président Lula avant de laisser André Vallini vous présenter les perspectives concernant la relation et la coopération transfrontalière. Catherine Dumas abordera quant à elle les relations de la France avec ses autres voisins du Plateau des Guyanes que sont le Suriname et le Guyana.
Au cours de la première décennie des années 2000, le Brésil a connu une amélioration significative de sa situation économique marquée notamment par un taux de croissance élevé et une baisse du taux de chômage. Cette période s'est en outre caractérisée par une distribution plus équitable des revenus du travail. À cette « décennie dorée » a toutefois succédé une « décennie perdue », caractérisée par une croissance atone et une dégradation des finances publiques brésiliennes.
Depuis la récession de 2015-2016, les inégalités et la pauvreté sont en outre reparties à la hausse. Le Brésil compterait ainsi à l'heure actuelle plus de 30 millions de personnes souffrant de la faim. Pays parmi les plus inégalitaires du monde, le Brésil est marqué par une forte polarisation de sa société.
Les élections d'octobre 2022 ont clairement mis en évidence un clivage entre les valeurs prônées par le camp bolsonariste : travail, famille traditionnelle, religion, notamment évangélique ; et celles portées par Lula et ses alliés : lutte contre les inégalités et les discriminations, dialogue, protection de l'environnement.
Une semaine après l'investiture du nouveau Président, le 8 janvier 2023, des milliers de partisans de Jair Bolsonaro réclamant un coup d'État militaire se sont ainsi livrés à des actes de vandalisme dans la capitale fédérale, Brasilia.
Afin d'atténuer les clivages entre ces « deux Brésil », le Président Lula a fait de la lutte contre la pauvreté et de la réduction des inégalités les priorités de son Gouvernement, en rupture avec la politique menée par son prédécesseur. Ce volontarisme du nouveau Président dans le domaine social s'est traduit par le retour de plusieurs mesures emblématiques de ses premiers mandats telles que les programmes « Bolsa Família » et « Minha Casa Minha Vida ». Le nouvel exécutif a également annoncé la mise en oeuvre d'une importante réforme fiscale qui verra notamment la création d'une TVA actuellement inexistante.
En matière environnementale, conformément aux promesses faites durant la campagne, le Président Lula, qui s'est engagé à atteindre une déforestation nette nulle d'ici 2030, a pris différentes mesures pour combattre la déforestation telles que la création d'un ministère de l'environnement ou encore la mobilisation de l'armée pour lutter contre l'orpaillage illégal. Lula a également fait de la protection des peuples autochtones l'une des priorités de son Gouvernement, appelant dans son discours d'investiture à révoquer, je cite, « toutes les injustices commises à l'encontre des peuples autochtones ».
Le Gouvernement Lula III doit cependant composer avec un Congrès qui lui est majoritairement défavorable, le parti conservateur de Jair Bolsonaro et ses alliés y détenant la majorité. L'unité nationale manifestée au lendemain du 8 janvier 2023 associée à un certain pragmatisme et une souplesse des partis brésiliens, habitués aux gouvernements de coalition, devraient faciliter l'adoption de certaines réformes. En matière environnementale cependant, le secteur de l'agro négoce, bien représenté au sein du Congrès, pourrait constituer un frein au volontarisme du nouvel exécutif.
En matière de politique étrangère, au niveau régional tout d'abord, les premiers mandats du Président Lula ont été marqués par l'affirmation progressive de ce que l'on peut qualifier d'« hégémonie consensuelle » brésilienne sur le sous-continent.
Si, durant la présidence Bolsonaro, le Brésil s'est détourné de l'Amérique latine au profit d'un rapprochement avec les États-Unis, le Président Lula a clairement affirmé son souhait de relancer le processus d'intégration régionale. L'une des premières décisions prises par le nouvel exécutif a ainsi consisté à réintégrer la Communauté d'États Latino-Américains et Caraïbes (CELAC) le 5 janvier 2023. Dès le 23 janvier 2023, Lula s'est en outre rendu en Argentine pour assister au VIIe sommet de l'organisation. Enfin, le 30 mai 2023, un sommet des chefs d'État du continent sud-américain s'est réuni à Brasilia, témoignant de l'engagement du nouvel exécutif dans l'intensification des liens entre pays du d'Amérique du Sud.
Au niveau international, au début de la décennie 2010, le Brésil s'était imposé comme le porte-parole du « Sud Global » parvenant à en affirmer la place sur la scène internationale.
Cette volonté de rééquilibrage des relations internationales au profit des pays du Sud demeure un marqueur fort de la politique étrangère du Gouvernement Lula III. Dans le domaine économique et monétaire, celle-ci se traduit par un narratif appelant à une « dédollarisation » de l'économie mondiale, à une réforme de l'architecture financière internationale et à un assouplissement des conditions de remboursement des dettes des pays du Sud.
Le « non-alignement » sur le bloc occidental qui sous-tend la politique étrangère du Brésil a cependant pu être perçu comme ambigu, en particulier dans le contexte de la guerre en Ukraine. S'il refuse d'appliquer des sanctions à l'encontre de la Russie tant que celles-ci n'auront pas été décidées par le Conseil de sécurité de l'ONU - au sein duquel la Russie, membre permanent, dispose d'un droit de veto - ou de livrer des armes à l'Ukraine, le Brésil a cependant voté en faveur de la plupart des résolutions de l'Assemblée générale des Nations unies. Le pays entend ainsi assumer un rôle de médiateur dans ce conflit, proposant la création d'un « club de la paix » qui réunirait des pays non occidentaux pour servir d'intermédiaire entre les belligérants.
Je termine en évoquant la question des relations entre l'Union européenne (UE) et le Brésil. Leur évolution dépend évidemment pour partie du futur de l'accord d'association négocié depuis 1999. Dans la perspective de sa présidence de l'UE intervenue le 1er juillet 2023, l'Espagne avait émis le souhait que les discussions puissent aboutir d'ici le sommet UE-CELAC qui se tiendra les 17 et 18 juillet 2023. Ce calendrier, déjà optimiste en début d'année 2023, semble désormais impossible compte tenu du report de la deuxième session de négociation de l'instrument additionnel.
S'il peut sembler excessif de considérer qu'un éventuel échec des discussions sur cet accord ancrera définitivement le Brésil à la Chine, compte tenu des relations commerciales qui existent déjà entre les deux pays, et sans méconnaître les problématiques soulevées par cet accord, qui sont d'ailleurs bien rappelées dans un projet de résolution déposé fin juin au Sénat, nous considérons cependant qu'il convient de poursuivre les discussions sur ce sujet en prenant notamment en compte le volontarisme de Brasilia en matière environnementale, dans la mesure où il nous semble que cet accord contribuera au renforcement du lien unissant le Brésil au pays occidentaux.
Je laisse maintenant la parole à André Vallini pour une présentation des perspectives concernant les relations bilatérales franco-brésiliennes et la coopération transfrontalière.
M. André Vallini, rapporteur. - L'amitié entre la France et le Brésil est profonde et ancienne. La France et le Brésil ont ainsi développé d'importantes coopérations dans des domaines variés.
La France est en ainsi le principal partenaire européen du Brésil dans le domaine universitaire. Dès les années 1930, des intellectuels éminents tels que Fernand Braudel ou Claude Lévi-Strauss ont contribué à établir des liens entre les deux pays en participant à la fondation de l'Université de São Paulo, qui est aujourd'hui la première université d'Amérique latine.
Au niveau économique, le Brésil est également un partenaire majeur de la France au sein de la sphère émergente. En termes de flux, le Brésil est la 10e destination des investissements directs à l'étranger (IDE) français et le 1er grand pays émergent. Par ailleurs, la quasi-totalité des sociétés du CAC 40 - 39 sur 40 - dispose d'au moins une filiale au Brésil.
Les relations franco-brésiliennes en matière d'investissements laissent cependant apparaître un important déséquilibre. Nous estimons par conséquent qu'un certain rééquilibrage des flux d'investissements devrait être recherché pour les années à venir. Nous proposons ainsi la mise en place d'un accompagnement renforcé des entreprises brésiliennes envisageant de s'implanter en France. Ce sujet, comme l'ensemble des aspects de la relation économique franco-brésilienne, pourrait être utilement abordé au sein d'une instance permettant un dialogue bilatéral de haut niveau régulier sur les sujets économiques et financiers, dont nous proposons la création.
La coopération franco-brésilienne s'exerce aussi dans le cadre de l'action de l'Agence française de développement (AFD) dans le pays. La stratégie brésilienne de l'AFD pour la période 2018-2022 avait pour principal objectif d'accompagner la transition du pays vers un modèle de développement bas carbone via l'appui aux territoires et le développement de partenariats, avec le système financier public brésilien notamment.
Après 16 ans de présence de l'AFD au Brésil, le pays est devenu le 5e partenaire au monde du Groupe avec 2,3 milliards d'euros engagés depuis 2007. L'action de l'AFD reste cependant majoritairement concentrée dans les régions Sud et Sud Est plus prospères. Nous estimons par conséquent nécessaire que celle-ci se tourne davantage vers le Nord et le Nord Est brésiliens, plus pauvres.
S'agissant des relations diplomatiques entre nos deux pays, après une période de tension sous l'ère Bolsonaro l'élection du Président Lula ouvre incontestablement un nouveau chapitre. Nous ne pouvons que nous réjouir de ces « retrouvailles » entre nos deux pays, pour reprendre l'expression de Catherine Colonna.
Cette volonté de renouer des liens nourris et réguliers avec la France a été systématiquement rappelée lors des entretiens que nous avons eus. L'accueil chaleureux et enthousiaste qui nous a été réservé est d'ailleurs le meilleur témoignage de cette volonté de renforcer nos relations.
Cette main tendue doit être saisie rapidement alors que plusieurs de nos alliés et compétiteurs ont déjà opéré un rapprochement, parfois plus marqué, avec ce « nouveau Brésil ». Quelques exemples : alors que plusieurs chefs d'État, dont le Roi d'Espagne et les Présidents du Portugal et de l'Allemagne, ou encore le Vice-Président chinois ont assisté à l'investiture du Président Lula, la France n'y était représentée que par le ministre délégué chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger.
Le Président Lula a par ailleurs accueilli plusieurs visites officielles depuis son élection : le Chancelier allemand Olaf Scholz s'est ainsi rendu à Brasilia dès le mois de janvier 2023, promettant le versement de 200 millions d'euros pour la protection de l'Amazonie. Le ministre des affaires étrangères russes, Sergueï Lavrov, a également été reçu par son homologue brésilien Mauro Vieira puis le Président Lula en avril 2023.
Lors de la visite de Catherine Colonna au Brésil en février dernier, les Brésiliens pensaient obtenir une date pour une visite du Président de la République et des annonces concernant des investissements français dans leur pays. Ils n'ont eu ni l'un ni l'autre.
Nous estimons par conséquent que la relance des relations bilatérales devrait désormais se concrétiser par un geste fort côté français, avec une visite présidentielle dès 2023. Le sommet des pays d'Amazonie, qui se tiendra au mois d'août prochain et auquel le Président Lula a invité son homologue français, pourrait constituer une opportunité de visite présidentielle, à laquelle devrait rapidement succéder une visite d'État permettant l'établissement d'une feuille de route concrète, visant en particulier à donner un nouveau souffle au partenariat stratégique de 2006.
Dans le domaine de la défense, celui-ci s'est matérialisé par un plan d'actions conclu en 2008, qui a notamment donné lieu à d'importants contrats dans les domaines naval, aéronautique et spatial. Dans le domaine naval plus spécifiquement, un ambitieux programme de transfert de technologie a été signé en 2009. Celui-ci repose sur deux piliers : la construction d'un chantier et d'une base navale à Itaguaí et la construction de 4 sous-marins conventionnels de type Scorpène dans les chantiers d'Itaguaí et l'assistance à la construction d'un sous-marin à propulsion nucléaire.
Nous appelons à préparer dès maintenant l'après 2025, date de mise en service du dernier sous-marin conventionnel.
Plusieurs axes de relance de ce partenariat pourraient être envisagés : étudier les possibilités de renforcement de l'appui français aux autorités brésiliennes dans la construction d'un sous-marin à propulsion nucléaire, même si nous sommes évidemment conscients des problématiques que cela soulève ; utilisation d'Itaguai comme d'un « relais » en Amérique latine pour la vente de sous-marins de type Scorpène qui seraient construits au Brésil ; ou encore conclusion d'un partenariat dans le domaine terrestre avec, par exemple, la livraison de systèmes CAESAR qui s'accompagnerait de la maintenance et d'actions de formation.
Les relations franco-brésiliennes comprennent en outre une dimension transfrontalière qui ne doit pas être négligée, le Brésil étant, je le rappelle, notre voisin par le département de la Guyane. Nous partageons d'ailleurs avec ce pays notre plus longue frontière terrestre : plus de 700 km.
La coopération transfrontalière dans les domaines militaires - en particulier en matière de lutte contre la pêche ou l'orpaillage illégaux -, judiciaire et policier est déjà intense. Certaines mesures pourraient cependant être prises pour en renforcer la portée, telles que l'organisation de patrouilles conjointes à la frontière, un renforcement de la coopération judiciaire en matière pénale visant à une meilleure exécution des commissions rogatoires émises par les juges français à l'égard de ressortissants brésiliens ou encore le renforcement de la coopération dans le domaine de la protection de l'environnement via le développement de contacts entre magistrats et policiers spécialisés ou de coopérations techniques.
Par ailleurs, l'État de l'Amapá, frontalier de la Guyane, ne peut actuellement pas bénéficier du soutien de l'AFD en raison de sa situation financière. Une solution pourrait consister en un financement intermédié. C'est pourquoi nous encourageons l'AFD à rechercher un partenaire bancaire qui permettrait d'apporter un soutien financier à l'État d'Amapá. Plusieurs thématiques pourraient plus spécifiquement faire l'objet d'un soutien français. Outre la protection de l'environnement et le secteur culturel, l'aide au développement pourrait contribuer au financement d'infrastructures touristiques, qui font défaut à l'Amapá alors que cet État jouit d'un fort potentiel touristique du fait de la présence de la forêt Amazonienne.
Au cours du déplacement, les autorités nationales comme locales brésiliennes ont par ailleurs systématiquement soulevé la question de l'obligation pour les Brésiliens souhaitant se rendre en Guyane de disposer d'un visa, alors qu'une telle obligation n'existe pas pour se rendre sur le territoire métropolitain et que les Guyanais sont, de leur côté, exemptés de visa pour franchir la frontière. Cette problématique des visas constitue un « irritant » majeur des relations franco-brésiliennes, auquel nous estimons qu'il convient d'apporter une solution rapidement.
Je laisse maintenant la parole à Catherine Dumas pour vous présenter les relations qu'entretient la France avec ses autres voisins du Plateau des Guyanes que sont le Suriname et le Guyana, ainsi que leurs perspectives d'approfondissement.
Mme Catherine Dumas. - Selon les mots de Thierry Queffelec, préfet de la Guyane, le département de la Guyane représente « la France en Amérique Latine ». Avec ses voisins, notre pays partage les innombrables atouts de la région du Plateau des Guyanes. Mais il est également confronté aux mêmes problématiques : augmentation de la criminalité, difficulté à assurer la protection d'un territoire vaste et souvent peu accessible, problématiques environnementales...
Ces enjeux, dans une large mesure régionaux, appellent une réponse coordonnée avec nos voisins. André Vallini vient d'exposer les perspectives de renforcement de la coopération transfrontalière franco-brésilienne, j'aborderai pour ma part les relations que nous entretenons avec notre voisin immédiat qu'est le Suriname et plus lointain qu'est le Guyana.
S'agissant du Suriname, depuis 2020, le pays fait face à une grave crise économique qui l'a contraint à faire défaut sur sa dette extérieure. L'existence de gisements pétroliers offshore, dont les niveaux sont actuellement en cours d'estimation, pourrait, à moyen terme, apporter une réponse à la crise traversée par le pays.
Des liens bien établis existent déjà entre la France et le Suriname, pays avec lequel nous partageons une frontière de plus de 500km. Leur renforcement nous semble cependant envisageable dans au moins 4 domaines.
Premièrement, il nous semble indispensable de clore définitivement le contentieux frontalier entre nos deux pays. Un protocole d'accord pour la reconnaissance de la frontière sur le Maroni-Lawa a été conclu le 15 mars 2021, qui doit mettre un terme à l'essentiel de ce différend territorial. Néanmoins, si celui-ci a déjà été ratifié par le France, cela n'est pas encore le cas côté surinamais. Nous appelons par conséquent le Gouvernement à encourager les autorités surinamaises à ratifier ce protocole. Une fois cet accord ratifié, il conviendra d'aboutir rapidement à un accord sur la 4e section de la frontière afin de mettre un terme définitif à ce contentieux.
Deuxièmement, en matière de défense, au-delà des coopérations déjà nombreuses dans ce domaine, en particulier avec les forces armées en Guyane, la France pourrait apporter un soutien logistique aux forces surinamaises, en envisageant par exemple des cessions de matériels, qu'il s'agisse de véhicules, de moyens de communication, ou encore d'équipements individuels.
Troisièmement, si deux conventions importantes ont été signées en 2006 et 2021 dans les domaines policiers et en matière pénale, nous avons toutefois constaté que la question de la lutte contre les activités illicites à la frontière entre le Suriname et le département de la Guyane demeurait un sujet de préoccupation. Plusieurs pistes de renforcement de la coopération franco surinamaise nous semblent envisageables en la matière, telles que l'entrée en vigueur rapide de l'accord de coopération judiciaire signé il y a deux ans, la mise en place d'une convention de transfèrement de personnes condamnées ou encore l'augmentation du nombre de patrouilles communes sur le Maroni.
Quatrièmement, dans le domaine économique, des marges importantes existent, la valeur des échanges franco-surinamais de 2022 ne représentant que 30 % de ceux de 2015. Les échanges entre nos deux pays pourraient cependant croître avec la construction d'une cale-sèche à Albina qui vient de débuter et qui permettra la circulation d'un bac beaucoup plus important que celui actuellement en circulation.
Des opportunités commerciales semblent également exister en matière de défense, le Gouvernement surinamais envisageant des investissements dans son outil de défense.
Une intervention de l'AFD en faveur du secteur privé surinamais, via sa filiale Proparco, nous semble enfin devoir être étudiée.
J'en viens maintenant aux relations franco-guyaniennes et à leurs perspectives de développement.
Jusqu'à récemment, le Guyana, ancienne colonie britannique ayant accédé à l'indépendance en 1966, était le pays le plus pauvre d'Amérique du Sud. La découverte d'importants gisements de pétrole en mer par l'américain ExxonMobil en 2015 a cependant grandement rebattu les cartes.
Avec près de 11,5 milliards de barils équivalents de pétrole, le pays possèderait ainsi les deuxièmes plus grandes réserves de pétrole par habitant au monde. Sa production de pétrole pourrait ainsi atteindre 1,2 million de barils par jour d'ici 2027.
Le Guyana a enregistré le plus fort taux de croissance mondiale en 2022, + 57,8 %, comme cela avait déjà été le cas en 2020, + 43,5 %. Selon les projections du Fonds monétaire international, en 2027, le produit intérieur brut (PIB) par habitant en dollars parité de pouvoir d'achat devrait dépasser 90 000 dollars, ce qui placerait le pays au 6e rang mondial, juste devant la Suisse.
Face à ces niveaux de croissance exceptionnels, pour l'essentiel liés aux revenus tirés de ses gisements pétroliers, les autorités guyaniennes ne cachent pas leur ambition de faire de leur pays les Émirats arabes unis ou le Qatar de la prochaine décennie.
L'exemple vénézuélien a cependant illustré l'absence de corrélation systématique entre abondance de ressources en hydrocarbures et développement économique de même que le rôle crucial joué par les choix des autorités en matière économique et sociale.
Les politiques publiques mises en oeuvre par l'actuel Gouvernement guyanien seront donc déterminantes dans le modèle de développement du pays pour les années à venir. Cette « manne » pétrolière devra ainsi servir au développement d'autres secteurs d'activité, en particulier l'agriculture et l'agroalimentaire. Elle devra également profiter à l'ensemble de la population, dont près de 40 % vit encore sous le seuil de pauvreté.
Face aux bouleversements économiques traversés par le Guyana, le pays suscite l'intérêt de nombreux pays et investisseurs. Dans ce contexte, la France peut encore se positionner comme un partenaire majeur du Guyana. Cela suppose cependant que notre relation avec ce pays ne se limite pas à des déclarations d'intention mais se traduise rapidement en actes.
En premier lieu, si la hausse du niveau de vie des Guyaniens se traduit par une baisse de la criminalité, le pays demeure confronté aux défis de la criminalité organisée : pêche et orpaillages illégaux et trafics de stupéfiants, en particulier la cocaïne à destination de l'Amérique du Nord et de l'Europe. Le Président Ali, que nous avons rencontré, a ainsi appelé à un renforcement de la coopération franco-guyanienne en matière de lutte contre la criminalité, proposition que nous ne pouvons que soutenir.
En deuxième lieu, nous avons pu constater qu'en dépit de l'augmentation significative de son PIB au cours des dernières années, les besoins en infrastructures et en services du Guyana demeurent très élevés. Le pays offre donc d'importantes opportunités économiques pour les entreprises françaises sous réserve qu'elles y investissent dès maintenant. Nous nous sommes cependant aperçus qu'en dépit des efforts déployés par l'Ambassade de France au Suriname et au Guyana, les entreprises françaises étaient encore peu représentées dans ce pays.
Nous appelons par conséquent à multiplier les initiatives à destination de nos entreprises afin de leur faire prendre conscience des opportunités commerciales offertes par le Guyana.
En troisième lieu, lors des entretiens que nous avons conduits à Georgetown, les autorités guyaniennes nous ont toutes indiqué regretter l'impossibilité pour les Guyaniens d'effectuer les démarches pour obtenir un visa pour la France depuis leur territoire.
En effet, aucun pays de l'Union européenne ne disposant, à l'heure actuelle, d'une ambassade à Georgetown, les Guyaniens doivent se rendre au Suriname pour y déposer leur demande de visa Schengen. L'Ambassadeur de France au Suriname et au Guyana nous a indiqué réfléchir à une solution technique permettant de répondre à cette problématique. Nous ne pouvons que soutenir cette démarche et appeler à une résolution rapide de ce sujet.
Enfin, en quatrième lieu, si l'ouverture d'une ambassade au Suriname également compétente pour le Guyana et la mise en place d'une antenne diplomatique à l'automne 2023 constituent des signaux importants et salués par les autorités guyaniennes que nous avons rencontrées, nous estimons cependant nécessaire d'aller plus loin en ouvrant une ambassade de plein exercice à Georgetown, à l'instar de ce qu'ont pu faire d'autres pays tels que les États-Unis, la Chine ou la Russie.
En effet, si la France ne prend pas rapidement l'initiative, nos concurrents ont déjà fait, ou feront dans un futur proche, à n'en pas douter, preuve de davantage de clairvoyance.
Je conclus en insistant sur le fait que la France doit se positionner comme un partenaire clé du Guyana et que la présence française sur le Plateau des Guyanes est un atout qui doit être consolidé. Enfin, je souhaiterais remercier, au nom de la délégation, les forces armées en Guyane sans qui nous n'aurions pas pu effectuer cette mission.