Mardi 6 juin 2023
- Présidence de M. Rémy Pointereau, président -
La réunion est ouverte à 17 h 00
Audition de M. André Bernard, vice-président de Chambres d'agriculture France et président de la Chambre régionale d'agriculture de Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA)
M. Rémy Pointereau, président. - Merci d'avoir répondu à notre invitation. Le changement climatique conduit à mettre sous tension l'ensemble des utilisateurs de l'eau, on l'a vu avec la sécheresse estivale 2022, et la sécheresse hivernale 2023 risque d'entraîner une situation pire encore. Nous souhaitons prendre en compte cette nouvelle donne climatique et d'évaluer la pertinence de la politique publique de l'eau menée aujourd'hui dans notre pays, tant dans ses aspects quantitatifs que qualitatifs. Nous avons déjà auditionné des organismes agricoles, les coopératives, les semenciers, les syndicats d'irrigants.
Les objectifs sont-ils adaptés ? Les instruments juridiques, organisationnels ou encore financiers de la politique de l'eau sont-ils efficients et efficaces ? Que faut-il changer pour gérer au mieux la ressource en eau à l'échelle nationale, mais également territoriale, pour atteindre les objectifs de qualité et de quantité et pour assurer la conciliation de la pluralité des usages de l'eau ? Voici nos préoccupations.
Aujourd'hui nous voudrions vous entendre plus particulièrement sur l'usage agricole de l'eau, en mettant l'accent : sur l'irrigation et la problématique, que je sais sensible, des réserves de substitution ; sur la manière de mener à bien les concertations locales autour d'un usage raisonné de l'eau, qui assure à la fois la pérennité de l'activité agricole et le partage équitable d'une ressource qui se raréfie.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Merci pour votre disponibilité. J'évoque sommairement l'état de nos réflexions. Nous souhaitons conforter la gestion de l'eau par bassin, en s'appuyant sur les comités de bassin, non sans nous interroger sur la qualité de la gouvernance, qui n'est parfois pas suffisamment partagée. Nous pensons qu'il faut améliorer la connaissance de la ressource en eau, car nous avons constaté que l'état des nappes et leur fonctionnement n'étaient pas toujours bien connus. Il faut donc améliorer la collecte de données, mieux les analyser et s'en servir dans la gestion de l'eau. Nous soulignons aussi la nécessité d'études locales précises, parce que tout territoire, en réalité, est singulier. Nous avons également besoin de mieux connaitre la consommation d'eau. C'est nécessaire pour la négociation entre usages de la ressource, donc la bonne gouvernance. Tout ceci demande des investissements et des travaux. L'amélioration de la gouvernance passe aussi par une meilleure articulation avec les politiques territoriales, c'est-à-dire la prise en compte, par ces politiques locales, de la gouvernance par bassin, son accompagnement par l'échelon régional et par l'échelon européen. La place de la gestion de l'eau varie beaucoup selon les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet). Nous avons également constaté les interrogations des départements sur leur rôle depuis la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (Maptam), alors que nous savons tous l'importance décisive de l'ingénierie territoriale.
Nous voulons souligner qu'il y a aussi des marges de progrès sur la recherche et sur la science appliquée, pour traduire les acquis de la recherche en outils techniques appropriables sur le terrain. Tout ceci demande des moyens. Nous voulons aussi dire que la gestion de l'eau doit être incluse dans les documents d'urbanisme, schémas de cohérence territoriale (SCOT) et plans locaux d'urbanisme (PLU et PLUi), y compris les stratégies avec les eaux pluviales et la réutilisation des eaux usées. Enfin, nous pensons qu'il faut augmenter les zones de protection des captages, donc financer les services agricoles rendus, mais également renforcer les politiques d'acceptabilité et ce qui relève de l'économie circulaire, comme cela se fait en Île-de-France, et nous pensons bien sûr à la réutilisation des eaux usées.
Nous savons bien que tout cela est plus facile à dire qu'à faire, et demande de l'accompagnement, car les contraintes sont très importantes - et c'est de l'ensemble de ces points que nous voulons débattre avec vous.
M. André Bernard, vice-président de Chambres d'agriculture France et président de la Chambre régionale d'agriculture de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Merci pour cette invitation. Je suis agriculteur en Vaucluse, et, outre mes responsabilités nationales, président de la chambre régionale de PACA et président des irrigants des régions de la Méditerranée. Dans le Sud de la France, nous prélevons peu dans les nappes phréatiques en profondeur, comme le font les Espagnols ou les Marocains, nous prélevons surtout de l'eau dans le Rhône et dans les rivières. Nous irriguons tous, cependant, parce que dans le Sud, on ne peut pas produire de légumes sans irriguer.
L'eau est chère, il faut savoir l'économiser, la partager, donc la sécuriser. C'est ce que nous faisons depuis longtemps : quand j'ai commencé mon activité, je prélevais dans le canal quelques heures par semaine et je tournais entre 5 000 et 7 000 mètres cubes par hectare ; aujourd'hui, on tourne à 2 500 à 3 000 mètres cubes à l'hectare, voilà ce qu'on a réussi à faire en une génération.
Vous m'interrogez sur le rôle des chambres d'agriculture en matière de gestion de l'eau. Premièrement, elles accompagnent les agriculteurs en conseil agronomique, pour les informer sur les pratiques agronomiques qui diminuent le besoin en eau, en particulier tout ce qui améliore le stockage de l'eau dans le sol avec des couverts végétaux qui stockent l'eau ou des paillages végétalisés au pied des vignes qui limitent l'évaporation - et ce qui évite les labours, sachant qu'en ne labourant pas, on a plus souvent besoin de glyphosate pour protéger les cultures...
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Avez-vous une évaluation de ces pratiques nouvelles ? Et de leur extension, selon les territoires ?
M. André Bernard - Les situations sont diverses et l'extension de ces pratiques n'est pas homogène, mais ce que l'on constate, c'est une prise de conscience globale que demain, il y aura moins d'eau, et que c'est un défi pour notre souveraineté alimentaire - sachant que la principale motivation des agriculteurs, c'est produire pour nourrir.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Nous le savons bien, et ce qui nous intéresse ici, c'est de savoir s'il y a des territoires qui sont moins avancés sur ce plan, et ce qu'il faudrait faire pour y accélérer ces pratiques.
M. André Bernard - Dans le Sud, on sait depuis bien longtemps qu'il faut économiser l'eau, parce que sans elle, on ne fait rien... Dans certains territoires, en particulier le Sud-Ouest, on a développé la culture de cette plante qui fait peur à tout le monde, le maïs, alors qu'elle est la plus efficiente sur le plan énergétique - mais elle a le défaut de demander de l'eau quand il n'en tombe pas. Il faut stocker cette eau pour la lui donner...
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Certes, mais ce qu'on voit aussi, c'est que les groupements plus avancés dans les pratiques agronomiques économes en eau ont plus d'initiatives, ils sont plus avancés dans la recherche de solutions, de même que ceux qui peuvent s'adosser à une filière agroalimentaire, qui ont la capacité pour mettre en oeuvre des solutions plus adaptées.
M. André Bernard - Certainement, le contrat assure la culture à son terme. Ce qu'on voit ces temps-ci, c'est que, faute d'être sûrs d'avoir de l'eau, des producteurs déclinent des propositions de contrats, c'est le cas pour la production de haricots verts en fin de saison, dans le Nord de la France : les agriculteurs ne savent pas s'ils auront de l'eau après avoir arrosé leurs pommes de terre cet été, alors ils préfèrent renoncer, et les industriels ne trouvent pas de haricots. C'est pareil pour certaines semences...
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Oui, nous devons placer les semences en priorité des usages, c'est effectivement une question importante.
M. André Bernard - Les chambres d'agriculture, deuxièmement, accompagnent les agriculteurs pour la mise en conformité de leurs installations, pour les déclarations de forage et les compteurs, et finalement pour la déclaration préalable du volume utilisable, ceci afin d'intervenir quand la demande est supérieure à la disponibilité de la ressource...
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Nous connaissons tout cela, et ce qui nous intéresse, c'est de savoir pourquoi certaines chambres d'agriculture font moins bien leur travail que d'autres...
M. André Bernard - L'organisation nationale des chambres d'agriculture est l'émanation des 90 chambres d'agriculture, chacune est autonome, libre d'agir comme elle l'entend : dans notre organisation, c'est le terrain qui commande, nous n'avons rien à imposer aux chambres d'agriculture. C'est comme avec le permis de conduire : si certains conduisent sans permis, ils le font à leurs risque et péril, difficile de les en empêcher a priori... Notre rôle, c'est d'accompagner les chambres, pas de les commander.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - On constate tout de même des écarts importants de consommation d'eau entre régions, parce que maintenant on connaît mieux l'utilisation de la ressource, cela pose bien un problème...
M. André Bernard - C'est vrai, mais les choses avancent. Quand j'ai commencé il y a 22 ans et que j'expliquais qu'il fallait déclarer ses forages, on me prenait souvent pour un fou, je disais qu'une démarche était entreprise, que ça ne coûtait pas grand-chose et que ça sécurisait les choses, on ne me suivait pas toujours pour autant. Certains ont continué comme ils le faisaient avant, et certains se sont d'ailleurs fait prendre, avec des conséquences importantes pour eux. Nous avons accompagné les agriculteurs pour leur faciliter les choses, nous avons pris une part administrative, mais certains agriculteurs ne nous ont pas suivis et nous ne sommes pas des gendarmes, ce n'est pas à nous de leur imposer leur comportement. D'ailleurs, l'État ferait mieux d'aller chercher ceux qui ne se conforment pas, plutôt que focaliser ses contrôles sur ceux qui ont déclaré leurs forages.
La troisième fonction des chambres d'agriculture est de représenter la profession agricole dans les instances où elle est associée, comme les projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE), les Schémas d'aménagement et de gestion de l'eau (SAGE), les comités sécheresse, les Agences de l'eau, le Conseil national de l'eau (CNE).
Vous faisiez allusion aux comités de bassin et aux Agences de l'eau. Il y a pléthore de participants - mais pas assez de professionnels, on parle des consommateurs, mais les agriculteurs aussi sont des consommateurs, et ces instances ne représentent pas assez les professionnels, je vous le dis directement, on passe trop de temps dans ces instances à discuter de choses qui n'en valent pas la peine et pendant ce temps-là, l'économie nous dépasse...
Nous aidons aussi les agriculteurs qui irriguent, à maîtriser les nouvelles technologies de pilotage de l'irrigation, les techniques ont beaucoup progressé en la matière, on est capable aujourd'hui de viser bien plus précisément les plantes, de moduler l'irrigation en fonction des besoins de la zone de confort de la plante, cela économise la ressource.
Voilà pour les trois fonctions de notre chambre nationale : l'accompagnement au montage de dossiers administratifs, la représentation du monde agricole et la diffusion des meilleures techniques d'irrigation.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Il y a eu des annonces gouvernementales, en particulier avec le Plan eau. Il semble que dans les discussions avec le monde agricole, ce dernier accepte de diminuer la consommation d'eau par hectare, ce qui ne veut pas forcément dire qu'il y aura plus d'hectares irrigués - quelle est votre position ?
M. André Bernard - Je vous l'ai dit : économie, partage, sécurité, ce qui implique de rendre l'usage de l'eau le plus efficace possible. Cependant, avec le changement climatique, même s'il tombe autant d'eau dans l'année, la pluie sera moins régulière, moins prévisible, alors que la plante, elle, continuera à avoir besoin d'eau, ce qui invite au stockage. Il tombe 500 milliards de mètres cubes d'eau chaque année sur la France, l'agriculture en consomme 3 milliards pour l'irrigation, c'est moins de 1 %...
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Ce qui compte, c'est la ressource disponible. !
M. André Bernard - Vous abondez dans mon sens : l'eau circule, il faut la stocker pour la rendre disponible. C'est ce que nous faisons depuis toujours dans le Sud de la France et aujourd'hui, en Provence, 80 % de l'eau consommée a été stockée et transportée. Si nous n'avions pas les équipements pour le faire, notre belle région ne serait pas habitée comme elle l'est et vous n'y viendriez pas en vacances... Les inondations récentes en Italie ne se seraient pas produites si les Italiens disposaient, sur le Pô, d'un équipement comme nous en avons à Serre-Ponçon. Nous avons dompté la Durance, notre « fleuve fou » - on le dit comme on dit que le Mistral est le « vent fou » -, nous subissons moins d'inondations grâce à nos équipements de stockage et nous avons pu passer l'an dernier à l'abri de la sécheresse grâce à la réserve de Serre-Ponçon, qui se reconstitue et qui nous fait regarder cette année avec une certaine sérénité, malgré les aléas de la météo.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Nous ne sommes pas fermés à l'aménagement de retenues stratégiques, qui freinent l'eau et offrent des aménités environnementales, nous sommes même convaincus qu'il y a une voie de ce côté-là.
M. André Bernard - Là où il y a de l'eau, il y a de la vie, et sans eau, pas de vie. Nos anciens ont su capter et retenir cette eau qui tombe de façon irrégulière, c'est une histoire ancienne. Nous avons désormais Serre-Ponçon, nous avons de quoi domestiquer l'eau tout en respectant le milieu, nous sommes les premiers environnementalistes, y compris lorsque nous laissons quelques fuites dans nos réseaux de goutte à goutte pour que les insectes et le gibier s'y abreuvent, parce qu'avec des réseaux tout enterrés, ce n'est plus possible...
M. Rémy Pointereau, président. - Le goutte à goutte vaut pour certaines cultures, pas pour toutes...
M. André Bernard - Certes, le goutte à goutte ne convient pas à toutes les cultures, mais davantage que ce qu'on croit, il y a des pratiques intéressantes qui méritent le détour. Nous avons des goutte à goutte enterrés à 80 cm de profondeur dans la vigne, cela donne de bons résultats surtout s'il y a un couvert végétal qui fait écran thermique, on a encore beaucoup à comprendre et à imaginer - mais la solution, ce n'est pas moins d'eau pour l'agriculture, même si on peut en économiser à l'hectare.
M. Rémy Pointereau, président. - Certains préconisent des changements de cultures...
M. André Bernard - Pour cultiver par exemple des cactus ?
M. Rémy Pointereau, président. - Non, du sorgho.
M. André Bernard - Le sorgho peut être une solution pour quelques parcelles pas arrosables, mais ce n'est pas une solution à l'échelle de nos problèmes. Il faut bien voir que le maïs est bien plus efficient en termes d'énergie, et c'est bien de cela qu'il s'agit, nous avons à produire de l'énergie et le maïs est bien supérieur sur ce plan.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Les facteurs sont nombreux à jouer un rôle, de l'évolution des semences, à celle de l'arrosage, il faut avancer partout, c'est pourquoi la recherche est importante.
M. André Bernard - Je vous l'accorde, et c'est pourquoi nous avons besoin de moyens. Or, une partie des fonds que l'agriculture génère ne retourne pas à l'agriculture : c'est le cas avec le compte d'affectation spéciale pour le développement agricole et rural (Casdar) : sur ses 150 millions de recettes, qui sont abondées par la taxe sur le chiffre d'affaires de l'agriculture, nous ne pouvons disposer que de 125 millions d'euros, il manque 25 millions d'euros qui devraient revenir aux chambres d'agriculture pour soutenir les agriculteurs, mais le plafond fixé à 125 millions d'euros nous en empêche et ce n'est pas normal - ici nous ne demandons pas des fonds supplémentaires, mais juste à pouvoir appliquer la règle telle qu'elle a été définie, c'est-à-dire utiliser pour l'agriculture les fonds venus intégralement de notre activité...
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Le plafond de dépenses n'a pas évolué ?
M. André Bernard - Non, il n'a pas évolué depuis dix ans et c'est pourquoi nous demandons qu'il soit revalorisé. Nous sommes en pleine capacité d'aider les agriculteurs, ces moyens devraient nous revenir.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Cela fait effectivement partie des moyens alloués à l'amélioration de la gestion de l'eau. Il faudrait également mieux contractualiser avec les régions, avec l'Union européenne, faire moins d'appels à projets et définir des enveloppes pérennes, mais plus agiles : qu'en pensez-vous ?
M. André Bernard - Pour l'irrigation, nous utilisons le fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), mais pas le Fonds européen de développement régional (Feder), alors que nos voisins espagnols et portugais y recourent. Il faut que dans la prochaine programmation du Feder, on inscrive clairement la possibilité de sécuriser l'eau sur le territoire, pour tous les usages, en réservant les moyens du Feader pour les usages proprement agricoles. On peut même imaginer qu'en recourant à l'agrivoltaïsme, qui génère de l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau (Ifer) et en l'articulant avec un recours au Feder pour sécuriser l'accès à l'eau pour tous les usages, on puisse améliorer la gestion de l'eau sans contribution de l'État, c'est aussi dans cette direction qu'il faut travailler.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Il y a une clarification législative sur le photovoltaïsme.
M. André Bernard - Oui, les choses avancent.
Mme Florence Blatrix Contat. - La protection des captages devient un sujet. Il y a eu le problème du S-métolachlore. Nous savons que d'autres pollutions seront à déplorer. On nous dit que les captages concerneraient seulement 3 % de la surface agricole utile (SAU), nous le confirmez-vous ? Et si l'on veut les protéger, quelles contreparties peut-on imaginer ?
M. André Bernard - Je n'ai pas le chiffre précis, mais je crois que c'est dans cette proportion, de 3 %, c'est minime. Attention, cependant, cela peut concerner des exploitations en entier. Si l'on aggrave les contraintes, on pousse encore plus au départ, avec les drames que l'on connait. Il faut accompagner les pratiques encourageantes et je crois plus à la carotte qu'au bâton, il vaut mieux encourager qu'envoyer des contrôleurs : pourquoi pas un crédit d'impôt pour les pratiques vertueuses, comme il en existe pour le bio ?
Sur les pollutions liées aux captages, nous sommes peu concernés dans le Sud de la France parce que nous avons très peu de captages, mais on sait aussi que des molécules utilisées par le passé mettent du temps à se disperser, parfois plusieurs décennies. Nous avons collectivement fait des erreurs, les agriculteurs sont très loin d'être les seuls, voyez ce qu'on faisait avec l'amiante, avec les voitures...
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Dans ma commune, la consommation d'eau s'établit aux alentours de 300 000 mètres cubes par an, pour 4 200 habitants, c'est l'équivalent de ce que consomment cinq exploitations agricoles. Comment mieux économiser l'eau ? Avez-vous une idée de l'investissement moyen que représente le passage de l'enrouleur au goutte à goutte ? Ce serait utile de le savoir, parce qu'on nous oppose vite que le changement de technique est trop coûteux...
M. André Bernard - C'est difficile à chiffrer, car cela dépend des cultures.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Il serait effectivement utile de savoir ce qu'il faut faire pour parvenir à une gestion optimisée, nous verrions ensuite comment accompagner au mieux.
M. André Bernard - Le coût d'un système de goutte à goutte dépend aussi de la taille de la parcelle et même de sa forme.
M. Éric Gold. - La région PACA compte 300 kilomètres de côtes : avez-vous pensé à dessaliniser l'eau de mer, comme le font d'autres pays ?
M. André Bernard - Nous n'en sommes pas là. L'équipement de Serre-Ponçon nous met à l'abri du manque d'eau à proprement parler, ce n'est donc pas notre préoccupation majeure. Le système va évoluer, et ce qui nous préoccupe, par exemple, c'est la question de la réutilisation de l'eau : on nous invite à réutiliser l'eau, mais comme les terres agricoles ne sont pas toujours proches des villes, comment stocker l'eau des stations d'épuration et l'acheminer là où on en a besoin, au moment où on en a besoin ? Je crois qu'il vaut mieux économiser l'eau et stocker l'eau qui circule, c'est plus raisonnable, et utiliser l'eau venue des stations d'épuration plutôt pour d'autres usages, comme le lavage des voiries ou l'entretien des jardins. Surtout que l'eau utilisée pour l'alimentation doit être garantie, cela va coûter cher...
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Elle ne coûte pas si cher, actuellement.
M. André Bernard - D'accord, mais que faites-vous des résidus de médicaments ?
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Ils sont déjà dans l'eau que vous prélevez...
M. André Bernard - C'est vrai, mais ils sont bien dilués, cela a été prévu... Il y a certes une expérimentation pour renforcer le traitement des eaux à la sortie des hôpitaux, pour avoir ensuite à traiter moins de volume d'eau, mais quelle que soit la solution qu'on pourra retenir, elle aura un coût.
M. Rémy Pointereau. - Cela peut être valable éventuellement pour les grandes cultures, même s'il faut prendre en compte le coût des canalisations.
M. André Bernard - Je fais le choix de la qualité et mes cahiers des charges m'interdisent d'utiliser de l'eau venue des stations d'épuration. On m'interroge même sur la qualité de l'eau du Rhône avec laquelle j'ai arrosé mon blé...
Mme Évelyne Perrot. - Parce que vous avez arrosé votre blé ?
M. André Bernard - Cette année oui, nous avons dû arroser y compris les pois chiches, car nous avons eu deux mois sans pluie, c'est le climat méditerranéen. J'aurais préféré ne pas avoir à arroser, les charges sont fortes, mais sans cet arrosage, nous n'aurions pas eu le rendement que nous attendons.
Mme Évelyne Perrot. - Vous dites préserver l'autonomie de chaque chambre d'agriculture, mais ne pensez-vous pas qu'il vous faudrait réfléchir ensemble à l'usage de l'eau ? Je comprends qu'il faille arroser les tomates, mais pas le blé : peut-être faudrait-il mieux répartir les cultures, selon les territoires... Chez moi, on en vient à arroser les pommes de terre, cela ne va pas.
M. André Bernard - Si vous connaissez à l'avance les numéros du Loto, merci de me les dire : avec la météo, c'est pareil, nous la subissons. Cette année nous étions en déficit pluviométrique au mois d'octobre, puis il a beaucoup plu et nous nous étions en excès en décembre, puis nous n'avons plus eu de pluie de janvier à mai, les céréales n'ont pas poussé, ni les pois chiches, puis nous avons eu de nouveau un excès de pluie. Dans les Hauts-de France, la situation est différente. La météo est déréglée, c'est une raison supplémentaire pour drainer et stocker l'eau, car c'est à cette condition que nous pourrons écarter les caprices du climat et assurer notre mission de nourrir la population.
M. Rémy Pointereau, président. - Les conditions changent aussi selon la structure du sol.
M. André Bernard - C'est vrai, le non-labour enrichit le sol, mais après un moment sans labour, des espèces deviennent incontrôlables, ce qui rend utile l'usage de glyphosates... Les choses sont plus complexes que l'imaginent les donneurs de leçons...
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Nous assistons à des variations météorologiques plus fortes, c'est une raison supplémentaire pour mieux connaitre la ressource en eau et avoir une approche stratégique. Il manque aussi la régulation du marché, pour mieux vendre les productions. On a vu de bons résultats par exemple pour le chanvre, encore faut-il que le marché soit organisé, sinon une bonne idée n'aboutit pas.
M. André Bernard - Certains s'y sont essayés et ont échoué.
Mme Évelyne Perrot. - Chez moi, ça s'est bien passé.
M. André Bernard - Oui, parce qu'une filière s'est organisée. Mais notre mission première, c'est de produire de la nourriture, on peut le faire sans irrigation, mais pas à la même échelle que lorsqu'on irrigue.
Mme Marie-Claude Varaillas. - Pensez-vous qu'il faille davantage encadrer l'agrivoltaïsme ? Beaucoup de paysans bénéficient de fermages et leurs propriétaires pourraient préférer la location à des électriciens, qu'à des paysans : qu'en pensez-vous ?
M. André Bernard - L'agrivoltaïsme associe la production agricole et la production électrique...
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Avec un plafond de production électrique à 20 % du chiffre d'affaires ?
M. André Bernard - Je ne connais pas ce plafond. Dans mon exploitation, j'ai mis à disposition d'un électricien, pendant trente ans, le toit d'une serre qu'il m'a construite, je ne touche rien de l'électricité que ses panneaux produisent, mais j'ai gratuitement une serre qui coûte 4 millions d'euros. Chacun s'y retrouve...
Le photovoltaïque sans production agricole, par contre, nous n'y sommes pas favorables. S'il doit y en avoir, ce que nous redoutons, nous pensons alors qu'il faut réguler. Nous proposons que pour les cinq premiers hectares, le propriétaire récupère toute la rémunération ; et qu'au-delà, il reçoive 1 000 euros l'hectare de fermage, et que le reste passe aux agriculteurs, sous contrôle du préfet, pour financer des projets au bénéfice de l'agriculture sur le territoire, ceci pour que l'agriculture reste sur le territoire. Je suis pragmatique, je veux que l'espace agricole puisse bénéficier aux agriculteurs, plutôt qu'aux entreprises du CAC 40 qui viennent faire du photovoltaïque - et je ne suis pas communiste...
Mme Marie-Claude Varaillas. - Je le suis, moi, et ce que vous me dites me va bien...
M. André Bernard - Je suis pragmatique...
M. Daniel Breuiller. - J'ai entendu votre plaidoyer pour l'agriculture et vous avez dit que vous étiez un défenseur de l'environnement - j'en suis touché parce que je suis moi-même un écologiste, et quand je vous écoute, je mesure à quel point vous êtes impacté par le changement climatique. J'ai sursauté, cependant, à votre propos sur le fait qu'il y aurait trop de monde dans les PTGE, parce que pour rappel, ce sont les consommateurs qui paient 80 % de la dépollution des eaux ! En Île-de-France, le syndicat des eaux va consacrer un milliard d'euros à la dépollution, je sais bien que tout ne vient pas de l'agriculture, mais si nous pouvions mettre cet argent dans la production, nous nous en porterions mieux. Comment percevez-vous les pressions sur l'usage des pesticides ? Pensez-vous à des mesures d'accompagnement, qui feraient qu'on n'ait plus à traiter ce problème en aval, avec les affrontements que l'on sait ? Il faut diminuer les intrants et privilégier des circuits courts, c'est dans ce sens qu'il faut travailler. Quant au maïs, je vous rappelle qu'on en exporte beaucoup...
M. André Bernard - On en importe aussi, et on en utilise dans les cosmétiques, et dans l'alimentation... Comment faire pour que l'agriculture ait moins d'impact sur l'environnement ? Le Varenne agricole de l'eau a défini plusieurs volets : d'abord le volet assurantiel, pour mieux protéger les agriculteurs contre le changement climatique, et nous avançons à grands pas sur ce sujet ; ensuite, l'amélioration de la performance agricole, pour développer des variétés plus résistantes au changement climatique, on le fait, on gagne en précision avec la robotique, on va diminuer les désherbants chimiques, une révolution est en cours, elle nécessite de la mise au point et de la vulgarisation auprès des agriculteurs. Le prix des robots est élevé, parce qu'ils sont le fruit de longues recherches, il faut les diffuser pour en diminuer les prix. Il y a eu aussi de grands progrès sur les variétés résistantes et tolérantes aux maladies, des plantes qui résistent aux ravageurs et qui peuvent de ce fait, rester au champ, et c'est la recherche qui propose ces solutions. L'État doit accompagner le mouvement pour que nous en bénéficions - au lieu de quoi sa tendance est de nous sanctionner, ce qui fait disparaitre la petite agriculture et même des variétés de légumes.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Où en est la négociation sur l'usage agricole de l'eau ?
M. André Bernard - Sur les trois groupes de travail que nous avons mis en place en région Sud, celui sur « L'eau et le changement climatique » a fait le plus de propositions, et ce thème a été mis en avant par neuf régions sur treize.
S'il y a des sujets sur lesquels il est difficile d'agir, les paysans ne comprennent pas qu'ils ne puissent pas stocker de l'eau alors qu'elle leur est nécessaire. L'eau ruisselle, les particuliers sont invités à la stocker, mais quand le paysan veut stocker 5 000 mètres cubes pour ses quelques hectares de culture, c'est non. Celui qui a 50 vaches et 50 hectares, il ne s'en sort pas ; s'il veut labourer quatre ou cinq hectares de son exploitation et prélever 5 millimètres d'eau sur ces cinq hectares, il s'en sortira et il aura son autonomie fourragère, mais il ne pourrait pas le faire. Cette année on a de la chance : il a plu dans les zones d'élevage, c'est une bonne nouvelle, mais ce n'est pas tout le temps comme ça. Je signale que les deux-tiers des dossiers indemnisés par le fonds de calamité agricole sont liés à la sécheresse, et que 80 % des sommes vont aux éleveurs, parce qu'ils manquent de foin... ceci ne se produirait pas s'il y avait de l'irrigation.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Vous l'avez dit, il peut y avoir de l'intérêt à stocker de l'eau à bon escient. Mais prélever dans la nappe phréatique, ce n'est pas la même chose...
M. André Bernard - Dans les territoires à nappe haute où il n'y a pas de ruisseau ni de rivière, il est tout à fait possible d'en prélever, puisque sinon l'eau part, elle circule - un peu comme il est possible de prélever de l'eau dans une éponge quand elle est gorgée d'eau.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Non, la nappe se met alors sous pression et va se dégrader, nous n'allons pas refaire ici le débat, il y a des stratégies d'action qui sont préférables au prélèvement.
M. André Bernard - Si le sol garde la nappe, on peut stocker. Du reste, il n'y a pas un modèle, mais des territoires.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Effectivement, nous sommes tous d'accord sur ce point.
M. André Bernard - Mes collègues des Hauts-de-France ne comprennent pas l'interdiction, puisque leur nappe va remonter...
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Cela montre bien l'utilité de mieux connaitre les nappes...
Mme Évelyne Perrot. - Vous vous dites serein pour votre région, mais j'étais à Serre-Ponçon l'été dernier et l'eau avait bien descendu, de même que j'ai rencontré des Camarguais inquiets pour leur approvisionnement en eau...
M. André Bernard - Il y a eu des erreurs de gestion l'été dernier, qui ont amplifié les problèmes. La commission exécutive de la Durance, née d'une loi de 1907, répartit l'eau entre les agriculteurs et la ville de Marseille, sous l'autorité du préfet ; nous étions en tension dès le mois de mars, nous avons perdu trois mètres de niveau pour préserver le débit normal pour Marseille, comme s'il n'y avait pas de sécheresse. En fait, les références ne sont pas adaptées à la situation actuelle, mais allez le faire comprendre à la direction régionale de l'environnement, de l'agriculture et du logement (Dreal)...
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Il faut aussi préserver le milieu naturel.
M. André Bernard - Certainement, et je vous invite à regarder du côté du bétonnage, de la pollution environnementale, de l'industrie, des médicaments, des particules fines de pneumatiques. Regardez les eaux du Rhône, on dit qu'elles sont polluées par les agriculteurs parce que c'est plus simple de taper sur les agriculteurs que sur les industries, mais il faut regarder dans le détail, vous verrez ce qu'il en est réellement.
M. Rémy Pointereau, président. - Merci pour cet échange des plus intéressants.
La réunion est close à 18 h 20.