Mercredi 7 juin 2023

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Proposition de loi visant à développer l'attractivité culturelle, touristique et économique des territoires via l'ouverture du mécénat culturel aux sociétés publiques locales - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Claude Raynal, président. - Nous examinons la proposition de loi visant à développer l'attractivité culturelle, touristique et économique des territoires via l'ouverture du mécénat culturel aux sociétés publiques locales (SPL), présentée par Mme Sylvie Robert, que je salue, et plusieurs de ses collègues.

M. Michel Canévet, rapporteur. - Je salue, moi aussi, la présence de Sylvie Robert, auteure de cette proposition de loi transpartisane portant sur le mécénat culturel des sociétés publiques locales.

Les SPL, qui ont été créées par la loi du 28 mai 2010 et sont près de 500 en France, font partie des quelques 1 400 entreprises publiques locales. Elles prennent la forme de sociétés anonymes réunissant au capital au moins deux collectivités locales et permettent une gestion exclusivement publique de certains services pour le compte des collectivités. Selon le dernier recensement, une cinquantaine d'entre elles agissent notamment dans le domaine de la culture et du patrimoine.

L'objet de cette proposition de loi est double : permettre l'éligibilité des SPL aux dispositions fiscales de l'article 238 bis du code général des impôts (CGI) ainsi que le financement au titre de cet article d'activités en faveur des patrimoines immobilier et immatériel.

La déduction fiscale au titre du mécénat représente environ 1 milliard d'euros. Je rappelle que les entreprises bénéficient d'une réduction d'impôts à hauteur de 60 %, dans la limite de 20 000 euros ou de 0,5 % du chiffre d'affaires hors taxe ; la réduction est de 40 % pour la fraction de dons dépassant 2 millions d'euros. Le mécénat culturel représentait, en 2021, avec 230 millions d'euros, le deuxième domaine à concentrer le plus de dons, derrière l'éducation et devant l'action sociale.

Il paraît logique que les SPL puissent, elles aussi, être éligibles aux dispositions de déduction fiscale. Actuellement, les réductions d'impôt ne concernent que les sociétés de capitaux dont les actionnaires sont l'État ou un ou plusieurs établissements publics nationaux, seuls ou conjointement avec une ou plusieurs collectivités territoriales. Élargir ce périmètre aux SPL permettrait aux dons qui leur sont versés de bénéficier dorénavant de ladite réduction d'impôt.

Cette proposition de loi me paraît empreinte de bon sens, car les collectivités locales, par l'intermédiaire des SPL, mènent à l'échelle locale une action d'intérêt général en faveur de la culture et du patrimoine, qu'il s'agisse de la promotion d'évènements culturels ou du financement de sites.

Les SPL sont administrées par des élus et ont des salariés. Il paraît, par conséquent, nécessaire que les élus aient bien connaissance d'éventuelles actions de mécénat d'entreprises au profit de la SPL qu'ils administrent ou surveillent pour éviter tout risque de conflit d'intérêts. C'est pourquoi je propose un amendement qui prévoit que le conseil d'administration ou le conseil de surveillance d'une SPL statue sur l'acceptation des dons consentis.

Mme Sylvie Robert, auteure de la proposition de loi. - Cette proposition de loi transpartisane découle d'un double constat.

Premièrement, les SPL n'existaient pas au moment de l'adoption de la loi relative au mécénat, aux associations et aux fondations, dite loi Aillagon, et elles se développent dans le domaine culturel. Ce dernier est donc en expansion, notamment grâce aux SPL et à l'actionnariat public.

Deuxièmement, l'activité culturelle a été bouleversée par la crise de la Covid et n'a pas encore retrouvé son niveau de 2019. Un certain nombre de directeurs généraux de SPL ont souligné que des acteurs économiques locaux étaient prêts à soutenir ces activités via des opérations de mécénat, même si le mécénat ne connaît pas actuellement une période florissante. Ces opérations seraient donc bienvenues pour développer des activités culturelles notamment.

Cette proposition de loi est également née du constat incongru que des collectivités locales qui recourent à une société de capitaux ne sont éligibles aux dispositions prévues par la loi Aillagon, qu'à la condition que l'État soit actionnaire de ces sociétés. Il s'agit donc là de rétablir la justice et l'égalité, et de faire confiance aux collectivités.

M. Antoine Lefèvre. - Vous avez souligné le caractère transpartisan de cette proposition de loi, nécessaire dans les territoires, à des fins d'équité.

Afin d'avoir une idée de l'ampleur du sujet, j'aimerais connaître la répartition géographique des SPL à vocation culturelle.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je salue les efforts louables de nos collègues pour trouver des solutions, mais permettez-moi de vous alerter sur un point.

Notre sujet concerne deux problématiques : l'égalité des chances, si je puis dire, et le financement des activités culturelles. La tendance consiste à rechercher des solutions qui permettent d'externaliser, mais l'argent public et les apports de mécènes resteront toujours nécessaires. Des problèmes de ressources vont donc se poser prochainement.

Je partage la préoccupation exprimée par M. le rapporteur et la vigilance dont témoigne son amendement. De nombreux élus sont susceptibles d'être concernés par les conflits d'intérêts. Toutefois, le contraste me paraît parfois exagéré entre quelques abus passés et l'obligation de se déporter dès qu'on est concerné de près ou de loin. Se pose là un problème de fonctionnement de notre démocratie.

M. Marc Laménie. - Quelle masse financière représentent les 468 SPL en termes de dons ? Les critères de déductibilité retenus par les services fiscaux sont-ils les mêmes que pour les dons versés aux associations loi 1901 ? Comme l'indique l'intitulé de la proposition de loi, il importe de développer l'attractivité culturelle, touristique et économique de nos territoires.

M. Pascal Savoldelli. - Il sera intéressant de voir quelle sera la position du Gouvernement sur ce texte.

Nous n'avons pas été sollicités pour cosigner cette proposition de loi transpartisane. C'est pourquoi, afin de définir notre vote dans l'hémicycle, j'ai plusieurs questions.

Premièrement, peut-on estimer l'apport de ce mécénat aux SPL ? Cette question se pose à l'horizon d'une décennie au moins. Quand on se penche sur le mécénat d'entreprise, qui représente 2,3 milliards d'euros à l'échelle du pays, on constate qu'un tiers des mécènes ne réclament pas leur réduction d'impôts. Je souhaite donc une projection pour mesurer l'intérêt de cette proposition de loi.

Par ailleurs, je m'interroge sur l'intérêt pour les collectivités de créer des SPL à vocation culturelle. Cet intérêt est-il uniquement d'ordre financier ?

Mme Christine Lavarde. - Je tiens à souligner qu'une SPL qui n'est pas à vocation culturelle peut malgré tout mener des actions de valorisation du patrimoine, qui pourraient faire l'objet d'un mécénat culturel. Je comprends que la proposition de loi ne les inclut pas eu égard à leur nature, mais cela est quelque peu dommage.

Dans mon territoire, une SPL existe pour gérer l'aménagement de l'île Seguin, c'est-à-dire le patrimoine des anciennes usines Renault. Un musée de la mémoire va être construit sur le site, ainsi que des murs d'enceinte de l'usine. Il s'agit donc bien de patrimoine, mais je crois avoir compris que la loi ne s'appliquerait pas dans ce cas concret.

Concernant l'amendement, il me semble que l'acceptation d'un don est clairement mentionnée dans les comptes fournis aux conseils d'administration. Je m'interroge donc sur la nécessité de la disposition proposée dans le code général des collectivités territoriales (CGCT).

M. Arnaud Bazin. - Cet amendement proposé par M. le rapporteur me semble bienvenu pour attirer l'attention des membres des conseils d'administration des SPL sur les risques de conflits d'intérêts. Il permettra de diffuser une culture de prévention au sein des SPL. Un vote peut être l'occasion pour un élu de se retirer des instances qui doivent délibérer.

M. Roger Karoutchi. - Je soutiens ce texte. Le Gouvernement prépare actuellement le projet de budget pour 2024, et mes échanges avec le ministère de la culture indiquent que les crédits d'État pour un certain nombre d'actions culturelles vont stagner, voire diminuer, car des économies sont nécessaires. Puisqu'une grande part de l'action culturelle a été transférée aux collectivités locales, celles-ci, et notamment les communes, vont être conduites à intervenir de plus en plus. Ce dispositif est par conséquent utile, et ce d'autant plus qu'il s'étend au patrimoine. Toute mesure qui favorise l'engagement des collectivités et des entreprises dans l'action culturelle est bienvenue pour lutter contre le désengagement inéluctable de l'État depuis cinq ou sept ans.

M. Vincent Éblé. - Cette proposition de loi s'inscrit dans une phase de notre action publique marquée par une raréfaction des crédits. Les processus de contribution volontaire, comme le mécénat, sont donc à valoriser. Cette volonté n'est pas tout à fait désintéressée, puisqu'elle permet des retombées en termes d'images ou de participation à des dynamiques territoriales. Nous aurions tort de limiter ces dynamiques aux seules actions conduites sous l'égide de l'État ou de ses grands opérateurs. Nous approuvons donc ce dispositif. Qui peut le plus peut le moins ! Nous ne sommes pas hostiles à l'élément de transparence que vous avez jugé utile d'apporter d'un point de vue juridique au travers de votre amendement, monsieur le rapporteur.

M. Bernard Delcros. - Nous soutenons évidemment cette proposition de loi qui marque à la fois une initiative en faveur de l'action culturelle dans les territoires, et une mesure d'équité. Je soutiens également l'amendement, qui constitue une mesure de transparence appréciable. Nous avons malgré tout conscience de créer par cette proposition de loi une niche fiscale supplémentaire dans un contexte de tensions sur les finances publiques.

M. Michel Canévet, rapporteur. - Le recours aux SPL est en hausse, ce qui illustre leur intérêt pour les collectivités. Celles-ci peuvent par ce moyen gérer un équipement ou mener une action sans avoir à passer par une procédure de mise en concurrence.

Concernant les déductions fiscales, monsieur Laménie, je rappelle que le taux de 66 % n'est valable que pour les particuliers. Les dons aux SPL concernent les entreprises ; je le répète, la défiscalisation est donc 60 % pour des dons allant jusqu'à 2 millions d'euros, et 40 % au-delà, dans la limite de 20 000 euros ou de 0,5 % du chiffre d'affaires hors taxes.

L'incidence financière de cette mesure sur les finances publiques est estimée par la fédération des élus des entreprises locales à 1,7 million d'euros.

Monsieur Savoldelli, nous espérons que la position du Gouvernement évoluera. Vous avez souligné que les entreprises mécènes ne recourent qu'en partie à la défiscalisation. Le plafonnement limite cette dernière. La réduction d'impôt est de 60 %, mais les sommes versées n'étant pas déductibles du bénéfice imposable, elle est donc en réalité de 35 %.

Madame Lavarde, si la SPL porte essentiellement sur des éléments patrimoniaux, elle devrait pouvoir être éligible aux dispositifs de défiscalisation. Ces derniers sont cependant liés à un certain nombre de conditions : la gestion désintéressée de l'organisme bénéficiaire et la présentation de spectacles, d'exposition, ou la réalisation d'opérations patrimoniales comme activité principale. Concernant la SPL relative à l'île Seguin, le facteur limitant serait sans doute la définition de l'action principale.

L'amendement est un amendement de précaution. Il nous paraît important que les élus soient informés et statuent sur la totalité des dons et versements aux SPL pour éviter tout risque de conflit d'intérêts les concernant. Leur seule mention au sein d'un rapport d'activité n'apparaît pas suffisante.

M. Karoutchi a évoqué la réduction à venir des crédits d'État : je partage totalement son opinion. Par cette proposition de loi, des acteurs privés pourront s'engager au bénéfice d'actions culturelles. Les collectivités territoriales sont aujourd'hui des acteurs importants en la matière ; il est donc logique qu'elles puissent bénéficier des mêmes dispositifs fiscaux que les organismes financés par l'État.

Je précise aussi que toutes les régions métropolitaines sont concernées par la présence de SPL, ainsi que La Réunion en outre-mer. Les régions présentant le plus de SPL à vocation culturelle sont l'Île-de-France, le Grand Est, le Centre-Val de Loire et les Hauts-de-France.

Je remercie Vincent Éblé et Bernard Delcros du soutien de leurs groupes.

Monsieur Delcros, vous craignez la création d'une niche fiscale supplémentaire ; il s'agit plutôt d'une extension de la niche fiscale existante. Le ministère de l'économie et des finances estime cependant qu'il pourrait ne pas y avoir de coût supplémentaire pour l'État, car il y aura plutôt un changement de bénéficiaires des crédits. Il estime le coût fiscal à 1,8 million d'euros, soit l'épaisseur du trait.

M. Claude Raynal, président. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, le rapporteur propose un périmètre indicatif de la proposition de loi visant à développer l'attractivité culturelle, touristique et économique des territoires via l'ouverture du mécénat culturel aux sociétés publiques locales.

Ce périmètre comprend les dispositions relatives au régime fiscal des dons versés aux sociétés publiques locales à vocation culturelle et patrimoniale ; à l'organisation des sociétés publiques locales à vocation culturelle et patrimoniale en vue de percevoir ces dons.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

L'article unique est adopté.

Après l'article unique

L'amendement COM-1 est adopté.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

La réunion est close à 10 h 10.

La réunion est ouverte à 10 h 30.

Fonds Marianne - Audition de M. Sébastien Jallet, préfet de l'Orne, ancien directeur de cabinet de Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté du 6 juillet 2020 au 20 mai 2022

M. Roger Karoutchi. - Nous avons appris la démission du préfet Christian Gravel, et nous avons entendu les déclarations de Marlène Schiappa sur la première version du rapport que l'Inspection générale de l'administration (IGA) vient de rendre publique, ainsi que les propos de plusieurs responsables politiques appelant à la démission de Mme Schiappa : est-ce que ce contexte modifie notre travail ?

M. Claude Raynal, président. - A ce stade, avec le rapporteur, nous ne pensons pas qu'il y ait lieu de modifier notre agenda.

Nous poursuivons les auditions de la mission d'information que notre commission a décidé de constituer sur la création du fonds Marianne, la sélection des projets subventionnés, le contrôle de leur exécution, et les résultats obtenus au regard des objectifs du fonds. Cette mission d'information a obtenu du Sénat de bénéficier des prérogatives des commissions d'enquête.

Nous entendons ce matin M. Sébastien Jallet, préfet de l'Orne, en sa qualité d'ancien directeur de cabinet de Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté.

Comme vous le savez, nous avons entendu ces dernières semaines le secrétaire général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), M. Christian Gravel, ainsi que les représentants de plusieurs associations ayant bénéficié des crédits du fonds Marianne. Nous attendons donc de votre audition que vous puissiez nous préciser la manière dont, à vos fonctions, vous avez suivi ce dossier, en lien d'une part avec la ministre et d'autre part avec les services sur lesquels elle avait autorité.

Avant de vous céder la parole pour un bref propos introductif, je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant une commission d'enquête est passible de sanctions pénales, qui peuvent aller, selon les circonstances, de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Sébastien Jallet prête serment.

M. Sébastien Jallet, ancien directeur de cabinet de Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté. Je vous remercie de m'entendre et de me donner l'occasion d'apporter ma part d'explication aux questions intéressant la gestion du fonds Marianne. J'ai été auditionné par la mission de contrôle de l'IGA, diligentée par le ministère de l'intérieur. Je serai logiquement entendu dans le cadre de l'information judiciaire ouverte par le Parquet national financier (PNF). J'ai été sollicité par les médias mais je n'ai pas donné suite, réservant mes réponses aux organismes et institutions saisis. Cette audition par votre commission d'enquête revêt donc pour moi une importance particulière car elle est sans doute la seule occasion qui me soit donnée de tenir une parole publique sur le fonds Marianne et plus globalement sur le sens et les modalités du contre-discours républicain.

Je suis préfet de l'Orne et, du 3 septembre 2020 au 31 janvier 2022, j'ai été directeur de cabinet de la ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté. Dans cette responsabilité, j'étais chargé des missions classiques d'un directeur de cabinet : la gestion de l'équipe du cabinet, composée de douze collaborateurs ; l'assistance de la ministre dans la définition de sa feuille de route et de ses orientations stratégiques ; le pilotage de la mise en oeuvre de cette feuille de route, avec les administrations placées sous l'autorité de la ministre ou mises à sa disposition ; enfin, j'assurais une fonction de liaison avec les autres ministères et avec Matignon sur l'ensemble de ces sujets. J'étais, au sein du cabinet, le seul à bénéficier de la délégation de signature de la ministre déléguée, et donc le seul à pouvoir, juridiquement, engager la décision ministérielle, dans un rapport de loyauté et de confiance avec la ministre. J'exerçais cette mission sur l'ensemble des champs d'intervention de la ministre : elle était en charge d'un ministère nouveau, le ministère délégué à la citoyenneté, placé auprès du ministre de l'Intérieur, avec des attributions importantes et d'une grande diversité.

Ces attributions recouvraient schématiquement deux grands domaines. D'abord, la protection des Français, avec des attributions de prévention de la délinquance et de la radicalisation, de lutte contre les dérives sectaires, mais également la mise en oeuvre des engagements du Grenelle des violences conjugales, ou encore, pour ce qui concerne l'action des forces de sécurité intérieure, la lutte contre le séparatisme. Ensuite, la deuxième ligne de force dans les attributions de la ministre avait trait aux valeurs de la République, avec la promotion de l'engagement citoyen, la politique de l'asile et d'accueil des réfugiés, la politique de l'intégration, la naturalisation, le déploiement de la nouvelle carte nationale d'identité électronique, et le portage interministériel de la laïcité. J'étais, en tant que directeur de cabinet, en charge de préparer et d'exécuter les décisions de la ministre sur l'ensemble de ces champs et je m'attachais à leur accorder une importance égale.

J'ai ainsi naturellement été en prise avec la mise en place d'une action nouvelle de contre-discours républicain et avec la mise en place du fonds Marianne. J'aimerais en quelques mots replacer cette démarche dans son contexte. À l'automne 2020, notre pays subit une vague d'attentats terroristes, avec, le 25 septembre, l'attentat de la rue Nicolas-Appert devant l'ancien siège de Charlie Hebdo ; le 16 octobre, l'attentat d'Eragny-sur-Oise ; le 29 octobre, l'attentat de la basilique de Nice. Ces attentats placent plus que jamais les pouvoirs publics dans une ardente obligation d'agir et de protéger les Français dans tous les domaines. Ce contexte est donc celui d'une mobilisation générale contre la haine en ligne, contre le cyber-islamisme, contre les idées séparatistes sur internet, lesquelles portent en germe, chez certains individus, des risques de basculement dans la radicalisation et la violence terroristes.

La création du fonds Marianne s'inscrit dans ce contexte et n'est qu'un élément d'une stratégie d'ensemble, arrêtée en conseil de défense et de sécurité nationale, à l'automne 2020, et qui se déploie dans plusieurs directions. Il y a, d'abord, le renforcement de la plateforme Pharos opérée par des policiers et des gendarmes, qui traite les signalements de contenus illicites sur internet pour incriminer les auteurs et demander le retrait de ces contenus auprès des opérateurs ; le ministre de l'Intérieur et la ministre déléguée renforcent sensiblement ses effectifs pour les porter de 30 policiers et gendarmes à 54 en quelques mois, pour assurer un fonctionnement 24 heures sur 24 et sept jours sur sept et pour renforcer la capacité à judiciariser les contenus illicites sur internet. Il y a eu aussi, en janvier 2021, la création du pôle national contre la haine en ligne au sein du parquet de Paris, pour renforcer la réponse pénale aux affaires les plus graves ou les plus complexes - un engagement qui relève du garde des Sceaux et de la Chancellerie, mais qui fait partie de cette stratégie d'ensemble portée par le Gouvernement. Cette stratégie passe également par la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, avec le renforcement des obligations des plateformes et la suppression des sites dits miroirs, qui répliquent les contenus interdits par la justice : les plateformes doivent désormais effacer ces sites et les déréférencer ; il y a eu aussi le principe de la comparution immédiate introduite pour les infractions les plus graves en matière de haine en ligne, telles que le délit de négationnisme ou d'incitation à la haine et à la violence ; cette loi a aussi créé un délit de mise en danger de la vie d'autrui par diffusion d'informations personnelles sur internet dans l'intention de nuire, une disposition prise en référence directe aux agissements dont avaient été victimes plusieurs personnes et le professeur de Conflans-Sainte-Honorine, en particulier, avec un délit puni de 3 ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende, sanctions majorées quand elles concernent une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public. Il y a eu également une mobilisation au niveau communautaire pour renforcer la législation européenne, avec l'adoption du règlement contre les contenus terroristes, en 2021, qui oblige les plateformes à supprimer en moins d'une heure les contenus à caractère terroriste, ainsi que les efforts déployés par la France pour promouvoir le projet de directive Digital Services Act.

C'est dans cette stratégie d'ensemble que s'inscrit la mise en place d'une action nouvelle de contre-discours républicain. Il y a donc bien une stratégie, laquelle sera, fin 2020, érigée au rang de réforme prioritaire du Gouvernement : elle fait partie des 73 réformes prioritaires du Gouvernement et sa coordination est confiée au ministre de l'Intérieur et à la ministre déléguée, sachant qu'elle est interministérielle, concernant bien sûr la Justice et le ministère chargé du numérique. Les ministres rendront compte régulièrement en Conseil des ministres de l'avancée de cette stratégie, ce sera le cas notamment le 12 janvier 2022 avec une communication sur les réformes prioritaires du ministère de l'intérieur, dans laquelle la ministre déléguée fait état des avancées et des enjeux en matière de lutte contre la haine en ligne et le cyber-islamisme.

M. Claude Raynal, président. - Merci pour ce rappel du contexte, le fonds Marianne fait partie d'une stratégie plus globale et il ne saurait répondre à lui seul de la lutte contre le cyber-islamisme. Notre mission se concentrera dans un premier temps sur l'élaboration même de ce fonds et sur son fonctionnement. Nous avons bien compris que le fonds Marianne ne constituait qu'une partie de la réponse à un sujet très large. D'où est venue, précisément, l'idée de mettre en place ce fonds, qui a eu l'idée de son nom, et qui a décidé de faire le lien avec le professeur assassiné à Conflans-Sainte-Honorine ?

M. Sébastien Jallet. - Dès l'automne 2020, il est acté par les instances compétentes la mise en place d'une action de contre-discours républicain...

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Quelles instances compétentes ?

M. Sébastien Jallet. - Je fais référence au conseil de défense et de sécurité nationale qui a adopté la stratégie d'ensemble contre la haine en ligne et le cyberislamisme, ainsi que le principe d'une action de contre-discours républicain. Cette démarche s'inspire pour partie de ce que les Britanniques ont mis en place depuis 2007 en créant le Research Information and Communications Unit (RICU), une unité constituée au sein du Home Office pour établir un contre-discours institutionnel, porté par une structure d'État, et un contre-discours sociétal, porté par des acteurs associatifs. Ce qui se met en place à l'automne 2020 s'inscrit sur ces deux axes, avec un contre-discours institutionnel, porté par le CIPDR, avec la création de l'unité de contre-discours républicain, auxquels des premiers postes sont affectés en novembre 2020 via des mises à disposition, jusqu'à compter une quinzaine d'agents en avril 2021 puis une vingtaine d'agents en octobre 2021...

M. Claude Raynal, président. - Le conseil de défense et de sécurité nationale, fin octobre, dit qu'il faut mettre en place un fonds dédié ?

M. Sébastien Jallet. - Nous sommes en effet fin octobre mais l'idée est d'abord de lancer un contre-discours républicain. Il comprend, en plus de son volet institutionnel, une démarche sociétale d'implication des acteurs associatifs, et cette idée est également initiée à l'automne 2020. Elle prend appui sur des acquis plus anciens puisque dès 2015, il y a la volonté d'accompagner la société civile dans la réaction à l'islamisme, avec l'initiative « Stop djihadisme », portée par le Service d'information du gouvernement que dirigeait le préfet Christian Gravel, ou encore avec des actions inscrites dans le plan national de prévention de la radicalisation de 2018. Mais il s'agit, à l'automne 2020, de changer d'échelle et d'agir vite, avec des partenaires associatifs. Le budget vers lequel on se tourne est assez naturellement le fonds interministériel pour la prévention de la délinquance et de la radicalisation (FIPDR), que la loi de finances pour 2021 vient de reconduire à 69 millions d'euros, son niveau de 2020. Cependant, une fois déduite la réserve de précaution, il reste 66 millions d'euros, et la ministre et moi-même faisons le constat que le FIPDR ne permet pas de financer l'appel à projet au niveau que nous envisageons. En effet, sur les 66 millions d'euros, 54 millions d'euros sont déconcentrés aux préfets pour financer des actions de proximité dans les territoires, de prévention de la délinquance dans les territoires, qui sont incompressibles et que nous ne voulons certainement pas réduire, et il y a aussi le programme de sécurisation des sites sensibles et des lieux de culte, pour 4 millions d'euros, que nous estimons également incompressible - et que nous allons même augmenter d'un million en gestion 2021. Les 8 millions d'euros du FIPDR, gérés au niveau national sont en forte tension, puisque nous devons financer sur cette enveloppe deux nouveaux appels à projets que la ministre entend conduire, le premier sur la lutte contre les dérives sectaires, pour un million d'euros et le second sur la lutte contre les atteintes à la dignité humaine, c'est-à-dire la polygamie, les mariages forcés et les certificats de virginité en référence à des dispositions inscrites dans le projet de loi confortant le respect des principes de la République. Nous constatons donc que, pour conduire des actions de contre-discours républicain sur internet, à la hauteur de nos ambitions, il nous faut trouver des moyens supplémentaires. C'est pourquoi nous ferraillons pour obtenir un report de crédits du FIPDR de 2020 sur 2021 et que nous obtenons de l'arbitrage du cabinet du Premier ministre, une décision de report de 4,8 millions d'euros, qui vont être affectés à deux priorités ministérielles : le contre-discours républicain, pour 2,5 millions d'euros, et le développement de la vidéo-protection. Si les crédits du fonds Marianne sont donc bien des crédits ordinaires du FIPDR, ils proviennent d'abord d'un report de crédits et d'un arbitrage du cabinet du Premier ministre.

La deuxième condition pour lancer un contre-discours sociétal était d'avoir des partenaires associatifs. Nous - c'est-à-dire le cabinet de la ministre déléguée, et le CIPDR - entreprenons alors de rencontrer des acteurs associatifs qui sont déjà connus ou qui se sont distingués pour leur action ou leur réflexion en matière de contre-discours sociétal, qu'il s'agisse de porter la riposte contre les campagnes d'influence de séparatistes en ligne ou de promouvoir, sur internet, les valeurs de la République. Nous allons le plus souvent ensemble, cabinet et administration, rencontrer ces associations, c'est la consigne que je passe à mes collaborateurs, je leur demande de voir, avec l'administration, les porteurs de projets potentiellement intéressants et intéressés, pour mesurer leur capacité à entrer sur des actions de contre-discours républicain. Ces rencontres et auditions ont lieu de l'automne 2020 au printemps 2021. J'aurai pour ma part l'occasion de voir deux acteurs associatifs avant le lancement du fonds Marianne - et mes collaborateurs en verront un nombre important, je n'en ai pas la liste précise, mais il y a plusieurs associations connues ou identifiées.

M. Claude Raynal, président. - Quelles sont ces deux associations que vous rencontrez ?

M. Sébastien Jallet. - Elles n'ont pas été citées dans vos travaux jusqu'ici et je ne souhaite pas divulguer leurs noms, pour ne pas exposer ces acteurs associatifs, mais je pourrai vous les dire à huis clos à la fin de cette audition.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Pourriez-vous être plus précis sur la période de ces rencontres ? Lorsque vous évoquez le printemps 2021, la période peut courir jusqu'au mois de juin, ce qui n'est pas la même chose que jusqu'au mois de mars...

M. Sébastien Jallet. - Les rencontres des acteurs associatifs, des chercheurs, des intellectuels, débutent en novembre 2020 et s'achèvent en avril 2021 quand la décision est prise de lancer l'appel à projets. Il y a donc des associations qui vont, avant l'appel à projets, déposer des demandes de subvention auprès du CIPDR, selon la démarche classique où la décision est discrétionnaire - ce qui ne veut pas dire que ces décisions de subvention ne sont pas réfléchies ni motivées, après instruction administrative. Il y a donc des demandes de subvention dès février 2021 qui sont déposées.

M. Claude Raynal, président. - Vous dites que ces décisions sont motivées, mais la motivation n'apparait pourtant dans aucun document transmis, elle ne laisse aucune trace, nous y reviendrons.

Ce que nous pouvons déjà retenir de ce que vous nous dites, c'est qu'il y a un travail sur le FIPDR traditionnel avec une enveloppe donnée, des associations qui, de manière classique, s'adressent au CIPDR, que certaines associations, déjà connues, sont sollicitées et qu'on réfléchit aux façons dont on pourrait faire davantage ou mieux sur internet. C'est en tout cas le contexte lorsqu'arrive le fonds Marianne : à quel moment et qui décide de faire cette appellation nouvelle, plutôt que de renforcer le FIPDR ? Pourquoi cette appellation nouvelle, dont le préfet Gravel a dit qu'elle était un « label de communication » ? Pourquoi n'est-on pas passé par une modalité d'action plus simple, qui aurait consisté à renforcer ce qu'on faisait déjà ?

M. Sébastien Jallet. - La décision de faire un appel à projets est prise début avril, je la rattache à une discussion que j'ai eue avec la ministre le 7 avril 2021 ; nous en informons alors le cabinet et l'administration. Nous le faisons pour deux raisons : nous constatons, après avoir rencontré et reçu pendant quatre à cinq mois les acteurs associatifs, que peu de projets associatifs ont été déposés pour porter le contre-discours sociétal, nous pensons que l'appel à projets est une manière pertinente de susciter davantage de projets et de partenariats ; ensuite nous pensons que l'appel à projets donnera plus de visibilité à cette démarche de contre-discours sociétal. Je ne saurais vous dire qui a proposé le nom, je n'en n'ai pas souvenir, ni de trace numérique dans mes archives. Le 7 avril, nous décidons d'en passer par un appel à projets et le nom est venu après.

Le fonds Marianne est effectivement une sorte de label, un préciput - comme on dit dans le jargon financier - de 2,5 millions d'euros réservés dans le FIPDR pour les actions de contre-discours en ligne. La décision est communiquée aux membres du cabinet, puis formellement à l'administration le 13 avril, lors de la réunion de coordination que nous tenons chaque mardi avec le CIPDR : je fais part de notre volonté de passer par un appel à projets et je demande à ce qu'un texte soit préparé à cette fin pour un lancement le 20 avril, avec communication de la ministre.

M. Claude Raynal, président. - Avant le 13 avril, le CIPDR ne travaille donc pas sur un appel à projets ? Ses responsables apprennent-ils seulement le 13 avril qu'il y aura un appel à projets ?

M. Sébastien Jallet. - Oui, c'est le 13 avril que le CIDPR en est informé officiellement, mais je pense qu'il y avait eu des discussions en préalable pour choisir le meilleur vecteur, entre le gré à gré, qui est la méthode traditionnelle pour les subventions du FIPDR, et l'appel à projets. Ces discussions ont eu lieu entre des membres de mon cabinet et l'équipe du CIDPR et son secrétaire général en particulier - nous avons pu en discuter, même si je n'ai pas de traces écrites, mais je sais que si nous avons abordé ces questions et si nous sommes passé du gré à gré à l'appel à projets, c'est pour les deux raisons que je vous ai indiquées : le nombre de projet associatifs et l'enjeu de visibilité.

M. Claude Raynal, président. - Quelles différences faites-vous entre le gré à gré et l'appel à projets ? La façon dont la sélection a été réalisée, c'est-à-dire sans critères précis d'évaluation, nous semble en réalité très proche du gré à gré.

M. Sébastien Jallet. - Il y a, à mon sens, plusieurs différences. La principale, c'est que l'appel à projets comporte, par construction, une dimension d'ouverture et d'appel à candidature, avec un texte d'appel qui précise les attendus, le cadre, l'objet, avec deux axes d'actions : la riposte à la propagande séparatiste et la promotion des valeurs de la République. Le dossier est normé, les pièces attendues sont connues, l'appel à projets suppose une démarche d'ouverture et de transparence sur le cadre, les critères et le calendrier. La seconde différence, c'est que l'appel à projets place de fait les candidats dans une démarche d'équité plus importante que dans le gré à gré, car tout le monde peut candidater et les critères d'appréciation sont connus et précisés avant la phase de sélection.

M. Claude Raynal, président. - On verra si, dans les cas d'espèce, ils ont été remplis.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - J'ai besoin de précision, il me semble qu'il y a une confusion entre le cabinet et l'administration. Vous dites qu'il y a eu une communication en interne le 13 avril, dans la réunion hebdomadaire de coordination ; or, jusqu'à maintenant, on avait entendu parler d'un comité de programmation : était-ce la même réunion, celle du mardi, ou bien une autre réunion, éventuellement le même jour ?

M. Sébastien Jallet. - Le 13 avril, il y avait la réunion hebdomadaire de coordination et c'est aussi ce jour-là que nous avons mis en place, pour la première fois je crois, le comité de programmation des crédits du FIPDR, dont la création avait été souhaitée pour structurer les échanges jusque-là informels entre le cabinet et le CIDPR sur les sujets budgétaires.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Il s'agit donc d'une seule et même réunion ou y a-t-il eu deux réunions ?

M. Sébastien Jallet. - Il s'est agi plutôt de la même réunion, qui s'est déroulée en deux temps, avec un temps pour la programmation budgétaire et un temps sur les autres sujets que nous traitons avec le CIPDR. Ce comité se réunira en tant que de besoin sur les questions budgétaires, j'ai souhaité le mettre en place pour donner de la collégialité et de la traçabilité dans le processus décisionnel quant à l'emploi des crédits budgétaires. Ce cadre se veut clair sur la répartition des rôles.

M. Claude Raynal, président. - Il nous a été indiqué qu'avec l'arrivée de Marlène Schiappa, le 6 juillet 2020, le processus de décision pour l'attribution des subventions du FIPDR était remonté du secrétaire général du CIPDR, au cabinet de la ministre déléguée : le secrétaire général adjoint nous l'a dit de manière très précise, indiquant que le circuit de décision qui était traditionnellement une responsabilité du secrétaire général devient avec l'arrivée de Mme Schiappa, une responsabilité du cabinet : le confirmez-vous ?

M. Sébastien Jallet. - Je ne sais pas quel parcours prenait la décision avant ma prise de fonctions, mais je vous confirme la volonté de la ministre et du cabinet de valider l'attribution des crédits du FIPDR. La ministre étant responsable, et en rendant compte devant la représentation nationale, il est légitime, normal et attendu qu'elle décide de l'emploi des crédits.

M. Claude Raynal, président. - L'antériorité n'était pas celle-là. Jusque-là, le ministre donnait une orientation, le cabinet veillait à ce que l'administration suive, mais les procédures elles-mêmes étaient aux mains de l'administration, donc à celles du secrétaire général du CIPDR, en particulier les appels à projets. Ce que je souhaite mettre en débat, c'est la légitimité du changement opéré par la ministre. Personne ne contestera que la ministre attende que sa politique soit appliquée, mais nous sommes là dans une nouvelle définition des rôles, c'est un peu différent, il y a là ce qui s'apparente à un changement de modèle de la décision, où tout remonte au cabinet...

M. Sébastien Jallet. - Il faut tenir compte du fait que la ministre est en charge d'un nouveau ministère délégué à la citoyenneté, qui recouvre pour la première fois les missions du CIPDR. C'est la première fois qu'un membre du gouvernement est chargé d'incarner, de porter la politique publique de prévention de la délinquance et de la radicalisation dans l'architecture du gouvernement - donc la ministre a à coeur de pouvoir fixer des orientations et de prioriser les choix budgétaires, elle nous demande de nous organiser en conséquence. Nous le faisons de manière claire. Le cabinet a un rôle d'orientation et de validation ; mais le recueil des demandes, leur instruction et les propositions de financement relèvent de l'administration, en l'occurrence le CIPDR, de même que la mise en forme des conventions et le suivi. Le cabinet a un rôle d'impulsion et de validation, pas d'instruction ni d'exécution.

M. Claude Raynal, président. - Vous dites que le cabinet valide, je dirais que l'administration propose, et que le cabinet dispose - et nous vous citerons tout à l'heure des cas très précis d'intervention du cabinet, qui le démontrent.

L'IGA vient de publier les premiers éléments de son rapport concernant la subvention versée à l'USEPPM, elle conclut que l'appel à projets n'a été « ni transparent, ni équitable ». Vous nous dites que le cabinet a validé cet appel à projets, c'est donc, si les mots ont un sens, que vous avez validé un processus qui n'a été ni transparent, ni équitable : comment réagissez-vous à cette conclusion de l'IGA ?

M. Sébastien Jallet. - Je n'ai pas d'observation personnelle à faire sur ce rapport : quand on est préfet, on lit les rapports de l'IGA, on intègre leurs recommandations et on les met en oeuvre - mais on ne les commente pas... Le calendrier est important, les deux démarches se sont chevauchées : jusqu'au 13 avril, des projets ont été déposés dans la formule classique du gré à gré ; ensuite, il y a eu la démarche de l'appel à projets, qui constitue une autre démarche. Le 13 avril même, plusieurs dossiers sont présentés, quatre d'entre eux proposaient des actions de contre-discours numérique : le choix est alors fait de reporter ces dossiers sur la procédure de l'appel à projets. Il n'y a pas eu de dossier retenu dans l'appel à projets qui ait fait l'objet d'une décision avant le déroulement de l'appel à projets. La procédure a donc été transparente et équitable, me semble-t-il : tous les candidats et lauréats ont vu leur demande appréciée plus tard, dans le cadre de l'appel à projet.

M. Claude Raynal, président. - Vous sentez bien qu'il y a une difficulté, Monsieur le Préfet. Vous ne pouvez pas dire que l'IGA n'est qu'une structure interne, vous savez bien que le CIPDR va devoir apporter des réponses à ce rapport, ainsi que le ministère. Un rapport de l'IGA, c'est fait pour questionner, mais après les auditions que nous avons faites en particulier des responsables du CIPDR, j'avoue que je n'ai pas été si étonné de voir que l'IGA écrive que l'appel à projets ait été « ni transparent, ni équitable » - les inspecteurs ne posent pas la question, ils font un constat.

Nous allons essayer d'entrer plus avant dans ce dossier, avec ce qui concerne l'Union des sociétés d'éducation physique et de préparation militaire (USEPPM) et de l'un de ses membres, Mohamed Sifaoui, lequel s'est beaucoup exprimé dans les médias, contrairement à vous et à nous. Il dit qu'on est allé le chercher, que le cabinet de la ministre l'a contacté, sachant qu'il intervenait déjà sur des questions de formation au sein du CIPDR. Le cabinet a-t-il eu des contacts avec Mohamed Sifaoui avant la création du fonds Marianne ? Si oui, quelle en a été la teneur ?

M. Sébastien Jallet. - Vous citez un acteur connu sur ces sujets, qui fait, en quelque sorte, référence en matière de lutte contre l'islamisme et le cyber-islamisme, il faisait déjà du contre-discours sociétal à travers les réseaux sociaux et le site « Islamoscope », qu'il avait créé à titre personnel. À ce titre, il avait déjà été reçu par le cabinet de la ministre et par le CIPDR...

M. Claude Raynal, président. - Par vous-même ?

M. Sébastien Jallet. - Non, par le conseiller spécial de la ministre en charge de piloter les actions de contre-discours, éventuellement par d'autres membres du cabinet, à une ou plusieurs reprises, je ne saurais vous le dire avec précision, et par le CIPDR.

M. Claude Raynal, président. - À sa demande ?

M. Sébastien Jallet. - Je ne saurais vous le dire. Je pense qu'on l'a sollicité très certainement pour avoir un échange avec lui sur la façon dont il appréhende cette action publique nouvelle que nous commençons d'expérimenter. Nous avons besoin de rencontrer des acteurs, des chercheurs, des scientifiques, c'est une phase de consultation assez intense. La personne que vous avez citée va présenter un projet, début avril...

M. Claude Raynal, président. - Nous y reviendrons car nous avons des questions, dans un premier temps, sur la teneur des différentes rencontres que Mohamed Sifaoui a pu avoir avec le cabinet. Christian Gravel nous a dit avoir appris de la bouche de Mohamed Sifaoui, que l'USEPPM pourrait bénéficier du fonds Marianne, il nous a dit que cette information lui avait été communiquée comme venant de la ministre ou de son cabinet : quand donc ce premier rendez-vous a-t-il eu lieu ?

M. Sébastien Jallet. - Je dépose sous serment, et je vous dis qu'à ma connaissance, la ministre n'a pas reçu Mohamed Sifaoui ; je l'ai reçu pour le compte de la ministre le 22 avril 2021 à 15 h15, le rendez-vous avait été organisé par le secrétariat de la ministre, elle n'avait pas pu l'honorer pour des raisons d'agenda, je l'ai alors représentée, je suis très précis sur ce point. Mes collaborateurs ont pu rencontrer M. Sifaoui à plusieurs reprises précédemment, fin mars début avril, il y a eu une invitation à envisager un projet associatif pour obtenir un soutien du CIPDR. Ce projet a été déposé le 9 avril et le CIPDR, dans ses missions administratives de gestion des subventions, l'a entièrement géré.

M. Claude Raynal, président. - Nous allons y revenir. Le rapport de l'IGA indique qu'il y a eu six rencontres entre mars et avril 2021 avec le cabinet, dont une avec vous.

M. Sébastien Jallet. - Le rapport transcrit les propos d'un des protagonistes, mais une note en bas de page précise qu'il n'a pas été possible de vérifier le nombre et la nature des réunions qui se sont tenues.

M. Roger Karoutchi. - Une remarque générale : j'avoue être agacé par l'usage de l'expression à la mode de « contre-discours républicain », car elle fait croire que la République ferait face à un autre discours républicain, ce qui n'est pas du tout le cas : en réalité, il n'y a pas deux discours républicains, mais un discours qui l'est, et l'autre qui ne l'est pas - parce qu'il n'y a qu'une seule acception de la République.

Je me demande, ensuite, quelle expérience les associations bénéficiaires du fonds Marianne apportent de plus que les structures publiques ? Le Service d'information du Gouvernement organise des campagnes, il dispose d'un budget d'une quinzaine de millions d'euros, il emploie 90 personnes, auxquelles s'ajoutent les 60 agents du CIPDR. On a vu, pendant la pandémie, des campagnes sur les médias publics et les réseaux sociaux, qui étaient plutôt bien faites par les organismes publics. Pourquoi était-ce impossible ici ?

M. Sébastien Jallet. - Je vous rejoins, c'est vrai que les termes peuvent être équivoques et qu'il s'agit en réalité de conforter le discours contre les ennemis de la République. Nous avons deux modalités : un volet institutionnel et un volet sociétal. Nous avons mis la priorité sur l'institutionnel, avec la création, dès novembre 2020, de l'unité de contre-discours au sein du CIPDR, l'effort a été significatif puisque le Premier ministre annonce à l'automne 2020 le renforcement des services du ministère de l'intérieur contre la haine en ligne et le cyber-islamisme à hauteur de 100 emplois - c'est ce qui permettra de renforcer Pharos, certaines préfectures, mais aussi de prévoir 35 postes pour l'unité de contre-discours républicain au sein du CIPDR, dont 20 postes dès 2021. La priorité est donc bien mise sur le contre discours institutionnel, y compris en termes budgétaires. Cependant, le contre-discours institutionnel peut rencontrer des limites puisque le message intervient sur des comptes identifiés comme publics. Ce message émanant de structures publiques a moins de portée, en particulier auprès des jeunes, que s'il est porté par la société civile. Nous éprouvons donc le besoin de mobiliser la société civile, d'avoir des acteurs associatifs qui portent cette parole sur le sens de la République, sur la lutte contre les idées séparatistes, extrémistes et complotistes. D'autres pays l'ont fait, j'ai cité le Royaume-Uni, il y avait déjà des initiatives en France depuis 2015, nous voulions donc changer d'échelle et intervenir de façon plus volontariste avec un levier dédié et des partenaires plus à même de mobiliser la société civile, pour une parole qui soit plus entendue par ceux auxquels elle s'adresse.

M. Claude Raynal, président. - Une parole qui ne porte pas le sceau du ministère de l'intérieur...

M. Sébastien Jallet. - Pour le dire très clairement, oui.

M. Daniel Breuiller. - Peut-on envisager que Mohamed Sifaoui, contacte le secrétaire général du CIPDR pour lui annoncer qu'il sort du cabinet de la ministre et qu'il va recevoir une subvention pour participer à ce discours républicain ? Est-ce une initiative imaginable par l'un de vos collaborateurs d'indiquer de contacter le CIPDR avec un engagement de soutien ? Vous avez parlé de la collégialité de la décision et avez indiqué que vous n'avez rencontré M. Sifaoui que le 22 avril, mais M. Christian Gravel nous a dit que M. Mohamed Sifaoui serait venu le voir en lui disant qu'il aurait une subvention. Est-ce le cas ?

Ensuite, je trouve intéressante l'idée d'un contre-discours, mais j'ai le sentiment qu'il est construit au hasard des rencontres : est-ce qu'il y a eu une analyse des ressources disponibles avant de contacter tel ou tel et de lui proposer de participer au contre-discours républicain ?

M. Sébastien Jallet. - Nous mettons alors en place une action publique nouvelle, qui a peu de précédents. Nous le faisons en consultant des chercheurs, des intellectuels, des journalistes, des scientifiques - je pourrai vous en préciser la liste -, pour réfléchir à la mise en place dans les meilleures conditions de cette action. Nous rencontrons aussi des acteurs associatifs, certains sont invités à formaliser des projets, et à se rapprocher du CIPDR pour faire une demande de subvention, c'est ce qui se passe avec Mohamed Sifaoui : il est reçu à une ou plusieurs reprises, début avril par le cabinet et par le CIPDR, il propose le projet « iLaïc » et nous l'invitons, par mail, à se rapprocher du CIPDR pour déposer son dossier, après quoi c'est la phase administrative d'examen, d'instruction et de proposition. Aucun engagement d'aucune sorte n'a été alors pris, et, le 22 avril, quand je le reçois pour le compte de la ministre, je ne prends aucun engagement financier - on attend l'instruction par l'administration et la proposition de financement de l'administration pour se prononcer, ce qui interviendra en comité de sélection, le 21 ou le 22 mai.

Nous avons consulté de nombreux acteurs, y compris dans la préparation du projet de loi confortant les principes de la République, beaucoup d'acteurs, scientifiques, culturels, administratifs et politiques sur ces sujets et sur les moyens de mettre en place le contre-discours républicain, et je vous confirme que nous n'avons guère eu beaucoup de propositions.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - On comprend bien la difficulté pour l'État, cela nous a été dit par d'autres, cette difficulté à suivre des annonces politiques ambitieuses alors que le discours institutionnel ne passe pas aussi bien que souhaité, donc l'utilité d'aller chercher des associations. Pour moi, il y a beaucoup de confusions.

Je vais entrer dans le détail. Vous avez dit, et c'est dans le rapport de l'IGA, qu'il y aurait eu deux réunions où Mohamed Sifaoui dit avoir eu des échanges au moins de salutations avec la ministre : le confirmez-vous ? Sur quoi, dans ces deux cas précis, les échanges ont-ils porté et, oui ou non, a-t-il été question de subvention, et d'un montant ?

M. Sébastien Jallet. - Il y a eu avec M. Sifaoui un ou plusieurs rendez-vous avec le cabinet fin mars début avril pour évoquer l'enjeu du contre-discours et, dans un deuxième temps, pour qu'il présente son projet « iLaïc » au cabinet et au CIPDR ; la demande de subvention est déposée au CIPDR le 9 avril par l'USEPPM. Le 13 avril, nous examinons plusieurs dossiers en comité de programmation, instruits par le CIPDR, mais il y a peu de traces, malheureusement, de ce qui se dit dans ce comité.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Permettez-moi d'exprimer ma surprise de voir, sur un tel sujet et alors qu'il y a de telles procédures, l'absence de trace et de compte rendu sur ces réunions, alors même qu'on fait des annonces d'une telle importance...

M. Sébastien Jallet. - Je la comprends et je la partage, nous sommes alors dans une phase de mise en place et de structuration de ce processus décisionnel. Les choses vont s'améliorer ensuite, le processus sera beaucoup plus normalisé dans l'appel à projet sur les dérives sectaires.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je ne comprends toujours pas et je sens votre embarras, votre gêne. Je reviens sur ma question : M. Sifaoui dit avoir eu plusieurs réunions avec le cabinet et qu'à l'occasion de deux d'entre elles, il aurait salué la ministre : le confirmez-vous ? Quel a été le contenu de l'échange ? Vous parlez d'une réunion du 24 mars puis du 6 avril, j'essaie d'être précis dans la chronologie.

M. Sébastien Jallet. - Je vous confirme que la ministre n'a pas rencontré ni reçu M. Sifaoui le 22 avril à 15 h 15, c'est bien moi qui l'ai reçu, la ministre est passée le saluer, cursivement, elle ne s'est pas attardée, ni assise, elle n'a fait que le saluer cursivement.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - M. Sifaoui a eu une réunion le 24 mars 2021 avec Christophe Gravel et plusieurs membres du cabinet : y avez-vous participé ? Quel en a été le contenu ?

M. Sébastien Jallet. - Il y a eu une ou plusieurs réunions avec mon cabinet, je n'ai pas les dates précises, je n'y étais pas. Il y a eu une réunion d'échange général qui peut être celle de la fin mars et une deuxième réunion début avril sur le projet « iLaïc » présenté par M. Sifaoui.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous nous dites que vous n'étiez pas à la réunion du 24 mars, mais elle a bien eu lieu, avec un membre du cabinet que vous dirigez, et elle n'a pas laissé de traces. Il y a eu une autre réunion le 6 avril, avec M. Sifaoui et M. Gravel, mais aussi le conseiller du cabinet en charge des élus et des collectivités : quel en était l'objet ?

M. Sébastien Jallet. - Il y a très certainement une deuxième réunion début avril avec M. Sifaoui sur le projet « iLaïc », je n'ai pas la composition de cette réunion mais elle a dû se faire au niveau du conseiller référent, le conseiller spécial sur le contre-discours et le fonds Marianne.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - En tant que directeur de cabinet, vous n'avez pas connaissance des réunions organisées dans votre cabinet, ni de leur contenu ?

M. Sébastien Jallet. - C'était il y a plus de deux ans, il m'est difficile d'être très précis, sans trace numérique. Je vous l'ai dit de manière constante, il y a eu, effectivement, un ou plusieurs rendez-vous entre M. Sifaoui et mon cabinet.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - J'entends, mais vous êtes directeur de cabinet, vous avez la responsabilité des échanges sur un sujet qui est loin d'être mineur... Vous saviez que nous allons vous auditionner, c'était l'occasion de réunir le maximum d'éléments, je m'étonne que vous ne soyez pas plus précis, nous avons obtenu des informations précises par ailleurs, c'est aussi une question de transparence.

M. Sébastien Jallet. - Comme je vous l'ai dit, j'étais le seul, au cabinet, à disposer de la délégation de signature, je peux donc dire qu'il n'y a pas eu de décision prise lors de ces réunions avec mon cabinet, elles étaient d'information, pas de décision. L'USEPPM a ensuite déposé une demande de subvention, elle apparaît dans un tableau de suivi du comité de programmation du 13 avril. Cette demande n'est alors pas validée, et je demande à ce que le projet soit affiné, qu'on y associe des indicateurs de résultats et de réalisation précis, et nous renvoyons le dossier sur le fonds Marianne, de même que les autres projets de contre-discours numérique.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je poursuis. M. Sifaoui a donc eu plusieurs réunions avec le cabinet : quand donc l'USEPPM a-t-elle été abordée pour la première fois ?

M. Sébastien Jallet. - Je prends connaissance de cette association quand on aborde la demande de subvention, le 13 avril, en comité de programmation. Quand je reçois M. Sifaoui, ainsi qu'une autre personne, le 22 avril, avec le secrétariat du CIPDR, nous abordons le sujet du portage associatif, donc l'USEPPM ; je demande alors expressément à ce qu'on regarde et vérifie le sérieux de cette association, qui porte un nom et un objet social large, et qui n'est pas accompagnée alors par le CIPDR : je demande à vérifier si cette association est à la fois crédible et sérieuse.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous dites, donc, que vous n'apprenez l'existence de cette association que le 22 avril ?

M. Sébastien Jallet. - Non, le 13 avril, lors du comité de programmation.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Il y a eu au moins une réunion avant le 9 avril avec M. Sifaoui, est-ce que, comme cela a pu être dit, des membres du cabinet ont envoyé des messages à cette association pour l'inciter à préparer son projet ?

M. Sébastien Jallet. - L'appel à projets a été décidé après les rencontres avec M. Sifaoui et d'autres acteurs.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Après le 22 avril ?

M. Sébastien Jallet. - Non après début avril. Les questions que vous me posez sont extrêmement précises, alors que le sujet fait l'objet d'une information judiciaire par le parquet national financier. Le cadre est ici différent, avec des questions extrêmement précises, je n'ai pas avec moi tous les éléments de documentation qui me seraient nécessaires, je n'ai pas non plus l'appui d'un avocat : il me paraît délicat d'être dans cet exercice que je trouve légitime et auquel je me donne complètement, mais où je suis sans les garanties minimales de défense et de protection.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - J'entends votre objection, vous n'êtes pas ici dans une procédure judiciaire, mais dans le cadre d'une commission d'enquête, et nous essayons simplement de comprendre la matérialité des choses, nous avons besoin de comprendre la chronologie, il y a des enjeux politiques mais aussi de contrôle de l'action publique, des dépenses engagées. Il ne me parait ni inconvenant ni déplacé que nous nous assurions que les procédures ont bien été respectées - je vous sens agacé et sur la défensive, mais il y a de notre part une saine curiosité afin de disposer des faits les plus précis possibles.

M. Sébastien Jallet. - Je réponds à vos questions pour ce qui a été mon action. Le 13 avril, le projet auquel vous faites référence m'est présenté, la décision de subvention n'est pas encore prise. Dans votre audition du président de l'USEPPM, vous lui demandez si la décision de subvention est prise le 13 avril, il vous répond qu'il l'ignore. Mais il n'y a pas eu de décision prise le 13 avril, et aucune des associations lauréates du fonds Marianne ne sera avisée d'une décision en sa faveur à l'issue de cette réunion du 13 avril : j'insiste, c'est établi. Le 22 avril, quand je reçois M. Sifaoui pour la première fois et pour le compte de la ministre, nous échangeons sur son projet, il n'y a pas de compte rendu de notre réunion mais je peux vous assurer que je n'ai pris aucun engagement financier sur ce projet. Et tous les échanges qui ont lieu sur ce projet, entre le 9 avril, jour du dépôt de demande de subvention, et le 22 mai, jour du comité de sélection, tous ces échanges sont conduits par l'administration, par le CIPDR, chacun était dans son rôle.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - A l'issue de votre entretien du 22 avril, vous demandez au CIPDR de mener des investigations pour comprendre cette association, l'USEPPM, son objet et son sérieux. Les renseignements que vous avez obtenus vous ont rassuré, et conforté pour octroyer plus de 300 000 euros à cette association ?

M. Sébastien Jallet. - Oui, je ne me souviens plus si c'est avant ou après cet entretien du 22 avril, je demande expressément à mes collaborateurs et à l'administration de regarder ce qu'est cette association. La réponse m'est donnée le 22 mai en comité de sélection lorsque nous examinons les dossiers, j'en retiens que la présentation est positive, on met en avant le fait que cette association est reconnue d'utilité publique. Je n'ai pas moi-même la capacité de procéder à des contrôles sur des sujets comme celui-ci, je fais confiance à l'administration : j'ai passé une consigne, on me fait passer un retour positif, je considère que la réserve est levée. Ce qui s'est passé depuis peut me le faire regretter, mais j'ai alors posé la question et demandé les vérifications, et la réponse était positive.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Avez-vous été en contact avec l'association Reconstruire le commun, qui a également obtenu plus de 300 000 euros de subvention, avant l'appel à projet ? Si oui, quelle a été la teneur de vos échanges ?

M. Sébastien Jallet. - À ma connaissance, il n'y a pas eu de rencontre ni d'échanges entre cette association et le cabinet ou la ministre ; je ne connaissais pas cette association avant que nous examinions son projet le 22 mai en comité de sélection.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Avec d'autres associations finalement retenues, avez-vous eu des échanges préalables où vous auriez eu à arbitrer entre une orientation vers le fonds Marianne ou vers d'autres lignes du FIPDR ?

M. Sébastien Jallet. - Le fonds Marianne est consacré au contre-discours numérique, très peu d'associations financées par le FIPD étaient sur ce terrain-là. Les deux modalités de sélection se sont chevauchées, entre le gré à gré et l'appel à projets, mais les projets encore en instruction alors qu'on avait décidé de passer à l'appel à projets, n'ont pas fait l'objet de décision, car ils avaient vocation à être versés dans l'appel à projets.

M. Claude Raynal, président. - Le CIPDR, sur votre demande, a écrit l'appel à projets : l'avez-vous ensuite modifié, ou avez-vous demandé des modifications, et si oui, lesquelles ?

M. Sébastien Jallet. - Le 13 avril, je demande à l'administration de proposer un texte pour l'appel à projets. Il nous est assez vite communiqué, il y a un échange et des modifications sont apportées, en particulier sur le calendrier. Les délais sont courts, je l'assume bien volontiers, dans un contexte de menace terroriste élevée - le 23 avril 2021, a lieu l'attentat de Rambouillet, il y a des éléments de circonstances exceptionnelles qui justifient les délais très volontaristes qui ont été retenus. Nous prévoyons trois semaines, du 20 avril au 10 mai, pour le dépôt des dossiers de candidature, avec l'objectif de retenir des projets qui soient opérationnels dans les 45 jours suivant la notification de la subvention. J'exprime aussi la priorité qu'accorde la ministre à l'appel à projets entrant dans le fonds Marianne. Les délais sont courts, mais tenables : nous enregistrons plus de 70 dossiers, ce qui montre que des acteurs associatifs sont en capacité de répondre dans l'urgence.

M. Claude Raynal, président. - Vous avez en effet réduit les délais par rapport au premier projet : alors qu'initialement les dossiers pouvaient être déposés jusqu'au 30 juin, vous avez demandé à ce que les dossiers ne puissent être déposés que jusqu'au 10 mai. Autant nous comprenons le contexte dans lequel intervient la décision, autant le fonds Marianne n'est qu'un élément dans un ensemble. La mise en route rapide de l'appel à projet n'est pas de nature à contrer un risque immédiat. Le Gouvernement veut surtout montrer qu'il agit et l'on retrouve souvent, face à des attentats, une volonté d'afficher une réponse rapide. Cela peut s'accompagner d'un défaut de vigilance dans le choix des partenaires, c'est le cas lorsqu'une association dont le budget n'a jamais dépassé 50 000 euros annuels et demande au départ plus de 600 000 euros de subvention. Nous sommes hors-jeu en termes de capacité à faire... Si vous vous posiez aujourd'hui la question des délais, prendriez-vous la même décision ? Le fonds dont on parle finance plusieurs projets, mais en réalité quatre associations concentrent les deux-tiers des ressources : deux associations avec qui le CIPDR travaillait déjà, et deux associations qui ont été désignées dans l'urgence. C'est un aspect important de la question, qui me conduit à vous interroger : si c'était à refaire, diriez-vous que c'était une bonne méthode ?

M. Sébastien Jallet. - Le contexte est important, nous étions dans une obligation ardente d'agir, et nous l'avons fait dans tous les domaines. La plateforme Pharos a été renforcée en deux mois, l'unité de contre-discours républicain est mise en place en seulement quelques semaines, le pôle national contre la haine en ligne au sein du parquet de Paris a été créé en janvier 2021, le projet de loi confortant le respect des principes de la République a été examiné selon la procédure d'urgence... Nous avions l'obligation d'aller vite, avoir plus de temps aurait été préférable et je crois qu'un délai de 30 à 45 jours pour cet appel à projets aurait été raisonnable - 20 jours c'était court, mais pas intenable dans les circonstances exceptionnelles dans lesquelles nous étions à l'époque.

M. Claude Raynal, président. - Soit les associations font déjà ce type d'opération sur les réseaux sociaux, et l'appel à projets se contente de leur donner des moyens complémentaires, soit elles n'ont pas d'expérience en la matière mais souhaitent s'engager sur le sujet, et pensez-vous vraiment qu'elles puissent, en trois semaines, proposer un projet sérieux ? L'histoire ne donne pas raison à cette voie, ce n'est pas si simple de se lancer sur des projets qu'on ne connait pas, même en admettant que ces acteurs aient eu la volonté réelle d'avancer...

Vous avez fait une commande politique - l'expression est de Christian Gravel - à l'administration, ce qui est votre rôle. Le délai était court et l'administration aurait préféré avoir au moins trois mois, mais le cabinet va chercher Mohamed Sifaoui qui lui-même va chercher l'association dont nous parlons, parce que vous ne pouvez pas le financer, lui, directement - et les précautions minimales ne sont pas prises au sujet de celle-ci. Avec des délais si courts, on n'a guère d'autre choix que de se tourner vers ceux que l'on connait déjà, ceux qui sont dans les tuyaux, et on s'interdit d'aller chercher d'autres projets...

M. Sébastien Jallet. - Vous dites : « Vous êtes allés chercher Mohamed Sifaoui »...

M. Claude Raynal, président. - C'est lui qui le dit.

M. Sébastien Jallet. -...mais ce « vous » est très collectif, comme je vous le disais dès le début de cette audition, je ne souhaitais pas de dichotomie entre l'administration et le cabinet, et les acteurs étaient reçus ensemble. Nous avons avancé de concert.

M. Claude Raynal, président. - Ce n'est pas ce que dit Christian Gravel, qui dit que Mohamed Sifaoui l'a informé qu'il pourrait bénéficier du fonds Marianne au regard de ce que lui avait été dit par la ministre ou son cabinet...

M. Sébastien Jallet. - L'information judiciaire déterminera la façon dont les choses se sont passées précisément. La consigne que j'avais donnée, c'est que les acteurs soient reçus conjointement par le cabinet et par l'administration. Nous ne sommes pas allés chercher le projet de l'USEPPM. Nous avons réceptionné ce dossier, qui est d'ailleurs arrivé au CIPDR.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - La demande initiale de subvention portait sur trois ans et 1,5 million d'euros, dont 635 000 euros pour 2021. Le 13 avril, il est décidé d'accorder une subvention de 300 000 euros à l'association, qui est portée à 355 000 euros le 21 mai. Comment les choses se sont-elles passées ? Quels étaient les engagements initiaux de la ministre et du cabinet envers M. Sifaoui ? Pour quel motif la subvention a-t-elle été réduite à 300 000 euros ? Y a-t-il eu d'autres temps d'échanges entre le 22 avril et 21 mai - et si oui, avec qui ?

M. Sébastien Jallet. - Le 13 avril, plusieurs dossiers sont examinés, dont celui de l'USEPPM, mais aucune décision n'est prise, aucun engagement financier n'est pris, ni par le cabinet, ni, je le crois aussi, par l'administration. Le 13 avril, nous discutons du niveau de subvention demandé par l'USEPPM, qui parait sans rapport avec une association dont l'expérience est si récente, et nous demandons que le projet, déposé quatre jours avant, soit précisé. Il n'y a donc pas de décision prise, le président de l'USEPPM vous l'a dit lui-même. Ensuite, les échanges avec cette association sont le fait exclusif de l'administration, en charge de la gestion de l'appel à projets. Le projet revient le 22 mai en comité de sélection, quand nous examinons les propositions de l'administration pour déterminer les lauréats du fonds Marianne.

Je tiens à votre disposition une note de couverture de ce comité de sélection préparée par le CIPDR le 20 mai. Le 22 mai, je valide la proposition de l'administration de financer l'USEPPM à hauteur de 355 000 euros, avec une réponse qui n'est que verbale à la demande de vérification que j'ai formulé précédemment.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Dans le journal Libération du 2 juin dernier, il est fait état que Marlène Schiappa aurait présenté un mail du 6 février 2021 qu'elle aurait adressé à son cabinet, indiquant que la subvention accordée à M. Sifaoui lui semblait excessive. Elle aurait écrit : « 300 000 euros de l'État, ce serait énormissime » : confirmez-vous cette information, sachant que cette date du 6 février 2021 ne correspond pas à la chronologie dont nous parlons depuis tout à l'heure ?

M. Sébastien Jallet. - Le 6 février, cela me paraît totalement impossible. Il n'y a pas de projet déposé ou envisagé par l'USEPPM ou son principal porteur à cette date. Je ne sais pas à quoi cela peut faire référence. On est, je me permets de le signaler une nouvelle fois, sur des questions qui font l'objet d'une information judiciaire, avec des investigations qui portent sur l'USEPPM et vont conduire à des auditions. Il m'est difficile de vous répondre de manière aussi précise, dans ce format de la commission d'enquête parlementaire, sur des faits qui font l'objet d'information judiciaire. Je m'en excuse, mais ça ne me paraît pas compatible.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Si, à l'issue de l'audition, vous êtes en capacité de nous fournir des éléments complémentaires, factuels, de chronologie, nous les recevrons bien volontiers.

La ministre devait a priori présider le comité de sélection du 22 mai 2021. Ce ne fut finalement pas le cas. En connaissez-vous les raisons ?

M. Sébastien Jallet. - Il était prévu que la ministre vienne ouvrir la réunion du comité de sélection, le 22 mai à 10 heures, et qu'il y ait une communication qui marque l'arrivée à bon port de l'appel à projets du fonds Marianne. Pour des raisons que je n'ai plus à l'esprit, je n'ai pas souvenir que la ministre soit passée. La ministre n'a pas ouvert la réunion et j'ai été amené à la présider du début jusqu'à la fin pour son compte.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Il n'y a pas eu de grille de notation, de relevé de décision particulier. Avez-vous une raison à cela ?

M. Sébastien Jallet. - Nous avons, en entrée de réunion, cette note datée du 20 mai produite par l'administration et nous aurons, en sortie, une note du 31 mai qui recense les décisions prises sur le fonds Marianne. Cette réunion du 20 mai, que je préside, va durer sans doute autour d'une heure et demie. Nous allons valider presque intégralement les propositions faites par l'administration quant aux choix des lauréats et au niveau de financement qui leur est réservé. La note préparatoire fait état de 71 dossiers déposés, dont 47 éligibles ; 24 ont été écartés sur un critère territorial, car ils n'ont pas d'envergure nationale ou intéressent plusieurs régions ou départements. Ils ont donc été refusés par le CIPDR au stade de la recevabilité. Le passage de 47 dossiers éligibles à 22 qui sont présentés dans la note préparatoire, n'est pas explicité. Cette sélection peut tenir à la nature des actions proposées, puisqu'on souhaite soutenir exclusivement des actions en ligne mais également au fait que nous raisonnons sous enveloppe ; nous disposons de 2,5 millions d'euros disponibles pour le contre-discours sociétal. Avec les 22 dossiers priorisés par le CIPDR, nous sommes déjà au-dessus de cette enveloppe disponible. Il était de mon point de vue attendu et normal que le CIPDR opère ce travail d'instruction, de pré-sélection et de priorisation.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous avez donc travaillé dans un temps très contraint, assez court. Je conclus de ce que vous nous dites, que vous avez privilégié l'analyse à la consignation de certains éléments qui permettraient d'expliquer les montants et de les motiver. De quelle manière avez-vous procédé avec les associations qui n'ont pas été retenues ? Ont-elles été informées par une procédure particulière ?

M. Sébastien Jallet. - Les responsabilités entre l'administration et le cabinet étaient clairement reparties. La phase d'instruction et d'organisation administrative était confiée au CIPDR. Le cabinet de la ministre était là pour impulser puis pour valider. D'ailleurs, ce comité de programmation ou de sélection porte un nom qui n'est pas forcément adéquat puisqu'il fut un comité de validation, à quelques amodiations près, par rapport aux propositions faites par l'administration, que j'ai endossées, validées.

À l'issue du comité, nous étions convenus de ne pas rendre publique la liste des lauréats. Cette question a été discutée. Nous sommes tombés d'accord sur ce choix car il nous paraissait...

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Pardon, ce n'est pas la question. Nous avons déjà eu ce type de réponses. La question est de savoir comment les associations non-retenues ont été informées, sous quelle forme et dans quel délai ?

M. Sébastien Jallet. - Nous avions convenu qu'il y aurait un courrier de la ministre aux associations lauréates, ce qui a été fait. Je n'en ai pas de trace dans mes archives numériques mais je pense que cela a été fait. En tout cas, plusieurs personnes en ont témoigné dans le cadre de votre commission. Il était convenu que l'administration notifie aux candidats non-retenus le fait qu'ils n'étaient pas lauréats du fonds Marianne.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Le CIPDR s'était prononcé pour accorder une subvention de 100 000 euros à une association qui en avait sollicité 140 000. Mais sur une décision du cabinet, l'association n'a finalement rien obtenu. Pouvez-vous nous en expliquer les raisons ? Avez-vous souvenir de cette décision ?

M. Sébastien Jallet. - Je n'ai pas beaucoup d'éléments factuels à ma disposition, et je n'ai pas de souvenirs précis de ces échanges qui remontent à deux ans. Le souvenir que j'ai et les éléments dont je dispose, me permettent de dire que les propositions faites par l'administration ont été presque intégralement validées. Entre la note préparatoire et celle de sortie du comité, j'ai relevé très peu de différences.

M. Claude Raynal, président. - Comme pour tous les dossiers, pour cette association-là, il existe une note préalable du CIPDR qui indique que, le 21 mai, au comité de sélection, cette association est retenue. Mais il semblerait que, par un mail d'un membre du cabinet que vous dirigez daté du 2 juin, le financement soit retiré. Il y a donc eu un comité de sélection conclu par une décision favorable, puis dans les jours qui suivent, on constate encore des modifications qui se font hors du comité de sélection, par le cabinet de la ministre. Nous avons reçu un mail très clair à ce sujet qui indique qu'une association a été sortie des associations lauréates. Pouvez-vous nous confirmer cela ? Le comité de sélection n'a-t-il donc pas eu le dernier mot ?

M. Sébastien Jallet. - Le 22 mai, en comité de sélection, nous entrons en réunion avec une note du CIPDR qui propose quinze dossiers à validation et sept autres en annexe proposés pour discussion. Sur les quinze projets de la liste principale, nous les validons tous à l'exception d'un seul, qui sera écarté après discussion car si les actions proposées sont intéressantes et les porteurs du projet sont d'une grande qualité, il s'agit d'interventions en milieu scolaire qui ne sont pas des actions numériques. Sur les sept associations qui figurent dans l'annexe, trois vont être retenues en tant que lauréates, à des niveaux de financement inférieurs à ceux demandés pour des raisons budgétaires. Il y a une quatrième association de la liste annexe qui n'est donc pas proposée par le CIPDR en financement au titre du fonds Marianne, elle fait l'objet d'une discussion entre moi, mes collaborateurs, le secrétaire général du CIPDR et ses collaborateurs. Sur cette association que vous citez, dont la demande est de 140 000 euros, le comité de sélection, - dans les conclusions que j'en dresse à l'issue du comité -, la retient pour un montant de 100 000 euros.

Cette liste des lauréats est naturellement transmise à la ministre et nous avons sur cette association une réserve de la ministre en raison d'un historique de relations assez ancien. Par ailleurs, dans les jours qui précèdent ou qui suivent, à la fin du mois de mai, nous assistons à une mise en cause vis-à-vis de la ministre par voie de presse de la part d'un membre de l'association, qui conduit à cette décision de non-sélection. Il y a bien eu, sur les décisions arrêtées en comité de sélection, pour l'un de ses lauréats, une infirmation de la ministre.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous avez invoqué un problème d'enveloppe budgétaire. Je ne comprends pas ce dernier argument puisque l'enveloppe initiale n'a pas été consommée intégralement.

M. Sébastien Jallet. - Les 2,5 millions d'euros correspondent au montant consacré aux actions de contre-discours numérique et au fonds Marianne. Une association est retenue avant le lancement du fonds Marianne sur un projet déposé depuis déjà plusieurs mois, prêt à démarrer et qui va être financé sur une partie des crédits de l'enveloppe fonds Marianne. On est sur le contre-discours numérique, sociétal. Sur les 2,5 millions d'euros, 2 millions seront attribués dans le cadre de l'appel à projets du fonds Marianne, et 500 000 euros l'auront été hors appel à projets et avant le lancement de l'appel à projets pour une association qui portait déjà un projet très important et prêt à démarrer.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Dans le rapport de l'IGA, il est mentionné que la ministre déléguée se serait effacée du processus de décision une fois passé le lancement de l'appel à projets, le 20 avril. Vous venez de dire que vous avez eu, à l'issue du comité de sélection le 22 mai, une discussion et même une décision de la ministre. C'est en contradiction avec les éléments contenus dans le rapport de l'IGA.

M. Sébastien Jallet. - La ministre a lancé le fonds Marianne le 20 avril à l'occasion d'une interview de la presse ; c'est ce jour que l'appel à projets est lancé par le CIPDR de manière formelle et administrative. La ministre se tient en effet à l'écart du processus, elle ne rencontre pas de porteurs de projets, elle ne participe pas au comité de sélection le 22 mai, elle ne donne pas d'instructions particulières, ni collectives ni individuelles, sur le choix des lauréats. Il y a, en comité de sélection, une discussion importante autour de l'association que vous avez citée puisque l'administration ne propose pas de la financer ; mais à l'occasion du comité, il est envisagé de la financer. Il y a donc bien un point de discussion particulier au sujet de cette association qui n'est pas proposée par l'administration spontanément, que le comité, sous ma présidence, retient. C'est un point que je porte à l'arbitrage de la ministre. Elle fait connaître son arbitrage, qui est défavorable.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Certaines associations ont vu leurs subventions réduites. Bibliothèques Sans Frontières, par exemple, a obtenu environ la moitié de ce qu'elle sollicitait : 70 000 euros, contre 130 000 euros demandés. Je compare cette somme à celle qu'elle avait perçue l'année antérieure, qui était de 140 000 euros. Avez-vous des éléments susceptibles de nous éclairer sur ce point ?

M. Sébastien Jallet. - Non, j'étais dans une approche stratégique. J'entre dans ce comité avec une note préparatoire qui donne des éléments, mais pas tout l'historique. Nous nous appuyons sur l'administration pour faire ce travail. Je rappelle, c'est important, que nous avions créé une unité de contre-discours républicain au sein du CIPDR fin 2020. En avril 2021, l'unité compte 15 agents, et nous faisons confiance à notre administration. Nous avons veillé à ce qu'elle soit renforcée pour faire ce travail d'instruction, de priorisation, ce qu'elle a fait a priori.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Alma, qui est une association bien connue avec laquelle le système institutionnel travaille, n'a finalement pas été comptabilisée dans le fonds Marianne, alors même que plusieurs documents attestent qu'elle a tout d'abord été retenue. Pouvez-vous expliquer ce revirement ?

M. Sébastien Jallet: - Dans les documents qui ont été communiqués pour le comité de sélection, il est, je crois, mentionné expressément que la décision a été prise préalablement, et hors appel à projets, lors du comité de programmation du 13 avril, me semble-t-il. On est sur un projet qui a été déposé auprès du CIPDR, je crois début février. Ce projet très travaillé concernait un média en ligne en direction des jeunes dans les quartiers populaires. J'avais eu l'occasion, à l'automne 2020, de recevoir le directeur de l'association et plusieurs de ses collaborateurs, avec le secrétaire général du CIPDR et plusieurs membres du cabinet, afin que le projet nous soit présenté. Ce dernier paraissait très ambitieux et pertinent. Il est déposé en demande de subvention début février et nous décidons de le valider début avril, grâce aux crédits que nous avons réussi à mobiliser pour le contre-discours sociétal, c'est-à-dire 2,5 millions d'euros. On est hors appel à projets, ce qui montre bien qu'il y a deux phases distinctes : le gré à gré, où l'on choisit directement les projets, puis il y aura l'appel à projets, vers lequel sont alors renvoyés tous les projets, y compris ceux qui ont été déposés avant.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Ce qui n'a pas empêché la ministre d'adresser un courrier de félicitations à cette association, un courrier signé et qui présente une mention manuscrite précisant qu'elle était lauréate du fonds Marianne.

M. Sébastien Jallet. - Effectivement, c'est une erreur matérielle, ou une confusion, qui s'explique par le fait que nous sommes sur le budget de 2,5 millions d'euros alloué au contre-discours numérique. L'association que vous avez citée est financée grâce à ces crédits et sera suivie, comme les 17 lauréats du fonds Marianne, de manière plus importante quant à ses réalisations.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous parlez de confusion, je suis d'accord : ce fonctionnement est particulièrement confus.

Deux associations sont aujourd'hui pointées du doigt. La première, l'USEPPM, dont le budget habituel est de 50 000 euros, dont l'objectif est assez éloigné de la cause que vous défendez avec le fonds Marianne ; elle demande 1,5 million d'euros sur trois ans. La seconde association n'a pas d'existence propre, elle est en création, mais elle se voit accorder plus de 300 000 euros de subvention. Pensez-vous que rien n'a échappé à la vigilance, tant de l'administration que du cabinet ?

M. Sébastien Jallet. - Au vu du rapport de l'IGA, la réponse est claire. Il y a deux ans, dans le contexte d'urgence attentat et de mobilisation générale, on se voit soumettre des projets présentés et instruits par une administration professionnelle, renforcée spécifiquement dans cette optique. Le 22 mai, on prend ces décisions lors du comité de sélection avec un niveau de sécurité important.

Nonobstant, nous allons tenir, alors même que ce n'est pas forcément la mission du cabinet, à opérer un suivi précis de l'action de ce lauréat. Je vais provoquer une réunion de suivi six mois après la sélection des projets, le 14 décembre, pour vérifier où nous en sommes.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous parlez d'un « niveau de sécurité important », mais reconnaissez que les faits prouvent une erreur.

Dans le fonctionnement habituel des associations, lorsqu'une subvention est sollicitée auprès d'une collectivité, même pour des sommes modestes, des éléments de bilan sont exigés. Vous nous dites que dans le cas du fonds Marianne, au regard de l'urgence, une association sans existence propre depuis longtemps a obtenu une somme de plus de 300 000 euros sans que cela ne soulève beaucoup de questions au regard de l'importance et de la gravité du sujet...

M. Sébastien Jallet. - Je m'appuie, dans la fonction qui était la mienne à l'époque, sur le travail et les propositions de l'administration. Je n'ai que ces éléments d'appréciation.

M. Claude Raynal, président. - Nous n'arrivons pas à être très convaincus, car le fonds Marianne n'est en aucun cas une réponse appropriée à un risque d'attentat. L'action du fonds Marianne peut avoir du sens, se construit dans le long terme. D'ailleurs, les objectifs du fonds vont dans ce sens ; le cahier des charges souligne la nécessité de trouver des co-financements pour faire perdurer son action. La vitesse, en réalité, relève de l'impératif de la communication et tient à la nécessité de répondre vite à l'opinion publique sur des sujets aussi graves. Quand on regarde comment se sont faits l'appel à projets et la sélection des associations, quand on constate que des modifications ont encore lieu après le comité de sélection, on donne raison à l'IGA qui estime que l'appel à projets n'a été « ni transparent, ni équitable ». Il faudra tirer de cette expérience quelques règles pour l'avenir.

Vous avez expliqué que le cabinet avait participé au suivi de la réalisation des projets. La procédure de suivi était-elle la même que pour les autres subventions accordées au titre du FIPDR ?

M. Sébastien Jallet. - Je souhaite apporter une remarque sur le constat posé d'un appel à projet « ni transparent, ni équitable ». Je n'ai pas d'avis personnel. Je souhaite juste souligner que sur le contre-discours, nous avions deux possibilités : l'appel à projets ou le gré à gré. Entre les deux, l'appel à projets présente le meilleur degré de transparence et d'équité. Nous aurions pu procéder différemment et faire de gré à gré ; nous n'aurions pas ces critiques aujourd'hui, qui sont certainement fondées pour certaines. Le fait de choisir l'appel à projets n'a pas été fait par refus de la transparence et d'équité, bien au contraire. On peut, ensuite, discuter du résultat.

M. Claude Raynal, président. - Oui, nous ne sommes pas là pour discuter des intentions... Pouvez-vous répondre à la question concernant la procédure de suivi ?

M. Sébastien Jallet. - La phase de suivi relève de la responsabilité de l'administration, premièrement pour formaliser une décision de financement via un acte attributif, - l'arrêté aux conventions attributives de subventions -, en revenant vers le cabinet en cas de difficultés ou de modifications à apporter ; puis pour réaliser un suivi d'impact, puisqu'il est question d'une action publique nouvelle et de montants significatifs pour certains. Contrairement à ce que nous faisons pour les partenaires nationaux classiques, le cabinet demande au CIPDR d'assurer un suivi fin des réalisations. C'est dans ce contexte que je provoque la réunion de suivi du 14 décembre 2021, qui sera précédée d'une note préparatoire la veille. Cette dernière, comme les échanges qui ont lieu en réunion de suivi, ne contient aucune alerte ni difficulté particulière sur les dix-sept lauréats du fonds Marianne et les associations qui s'y rattachent. Sa tonalité est positive, y compris sur l'USEPPM et Reconstruire le commun. Il est fait mention d'un décalage pour certaines associations, dont l'USEPPM, dans le calendrier de réalisations, ce qui était compréhensible à ce stade. Jusqu'à mon départ du cabinet début 2022, je ne reçois aucune alerte, ni en interne, ni venant de l'extérieur. Je crois que ce sera le cas jusqu'au terme du mandat de Marlène Schiappa au ministère de l'intérieur.

M. Claude Raynal, président. - Vous avez sans doute suivi les auditions de certaines associations, elles rapportent des éléments complexes sur le lien entre le ministère et les associations au sujet des subventions. S'il y avait bien l'idée au départ d'avoir des co-financeurs, les projets des associations ont été intégralement financés par le ministère de l'intérieur. On y trouve des remarques telles que : « on ne peut pas être considéré comme des prestataires de service du ministère de l'intérieur ». La frontière entre verser des subventions et préserver l'autonomie des associations paraît étroite. Avez-vous un commentaire à ce sujet ? Comment envisagez-vous le contrôle de l'exécution pour qu'il soit utile ? Dans les faits, vous n'avez d'ailleurs pas été alerté sur quoi que ce soit...

M. Sébastien Jallet. - Il est important de souligner qu'il ne s'agit pas d'une prestation de services, mais d'un projet associatif dont les termes et engagements n'ont pas été dictés ou commandés par l'administration ou le ministère. Le projet associatif est une réponse à un appel à projets qui fixe certains objectifs, mais le projet reste celui de l'association. Dans cette relation entre l'association et l'administration ou le ministère, il me paraît important qu'il y ait des engagements précis de réalisation, qu'on sache ce qu'on finance. C'est sur la base de ces éléments-là, même succinctement présentés en comité de sélection, que nous nous prononçons sur le niveau de financement. On s'appuie aussi sur quelques principes généraux qui valent sans qu'on ait besoin de les préciser, parmi lesquels la neutralité et l'impartialité de l'action publique. Il n'est pas concevable qu'on puisse, avec des fonds publics, soutenir des actions qui s'insèrent dans le débat politique ou démocratique. Je fais référence aux reproches adressés à une association parmi les 17 du fonds marianne. C'est une ligne rouge absolue que nous avons fixée et qui vaut de manière générale : ne pas intervenir avec le contre-discours républicain dans le champ électoral ou démocratique.

M. Claude Raynal, président. - Pourquoi n'y a-t-il eu qu'une mise en garde orale, malgré les signalements du CIPDR qui sont peut-être remontés jusqu'à vous ? Pourquoi le financeur n'a-t-il adressé aucun écrit à l'association?

M. Sébastien Jallet. - Il s'agit d'une règle générale qui vaut absolument pour l'administration, et donc pour nos services : pas d'interférence avec le champ politique. C'est important puisqu'on est sur un champ de contre-discours qui relève du débat public et peut facilement entrer en résonnance avec le débat politique. C'est pourquoi on ne prend pas part à des discussions de nature électorale ou démocratique.

M. Claude Raynal, président. - Et donc : pourquoi cette absence d'écrit ?

M. Sébastien Jallet. - Je ne saurais pas vous le dire. Je n'ai pas d'alerte particulière tant que je suis en responsabilité au sein du cabinet de Mme Schiappa. Je crois qu'il n'y en aura pas non plus jusqu'à ce que la ministre déléguée quitte ce ministère en avril ou mai 2022. Ce sont des débordements qui ont donné lieu à des réactions, me semble-t-il, si j'ai bien écouté les auditions précédentes.

M. Claude Raynal, président. - Sur ce point, nous n'avons pas les mêmes retours des associations et du CIPDR. Le fonds Marianne est lancé avec force. La ministre fait le tour des plateaux de télévision pour porter le message du Gouvernement en termes de réaction. Par la suite, la communication ayant eu lieu, le silence se fait. Un point d'étape est fixé pour novembre 2021, peut-être même à l'Élysée selon les échos que nous en avons eu...Au final, cette réunion n'a pas lieu et il n'y a plus de communication autour du fonds Marianne. Pourquoi ce silence ?

M. Sébastien Jallet. - Je ne peux pas me prononcer sur ce qui s'est passé après mon départ du cabinet. Il y avait sur le fonds Marianne une impulsion, donnée par la ministre, avec de nombreux projets portés par des associations connues ou non, une grande variété, un grand pluralisme d'acteurs. Nous n'avons pas pu organiser d'initiatives de communication avec les lauréats car nous avons tenu à ne pas les marquer d'un soutien de l'État. L'objectif de fond reste d'inscrire cette action dans la durée. Le fonds Marianne est un fonds d'amorçage en 2021, et dont l'enjeu était que ces actions de contre-discours numérique, dès 2022 et pour les années suivantes, fassent partie des actions conventionnelles de droit commun soutenues par l'administration du ministère de l'intérieur. Je ne saurais pas vous répondre sur ce qui a été fait au-delà de mon départ.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Rien n'empêchait les actions de communication puisque celles-ci s'inscrivaient dans l'appel à projets du fonds Marianne.

Je souhaite aussi clarifier le sujet des relations entre le CIPDR, le cabinet sous votre autorité, et la ministre. Confirmez-vous que le CIPDR a préparé et que le cabinet n'est intervenu à aucun moment dans la sélection des associations qui a été proposée au comité du 22 mai 2021 ?

M. Sébastien Jallet. - La répartition des rôles est bien celle-ci. Le cabinet, pour le compte de la ministre, impulse, répercute, valide ou modifie les propositions. L'administration réceptionne les dossiers de demandes de subventions, les instruit, échange avec les porteurs de projets, priorise et propose un nouveau de financement.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Il existe donc une zone de flou entre la publication définitive et le comité de sélection, dont vous avez dit qu'il était avant tout un comité de validation. Une intervention politique a lieu par la suite pour modifier des montants ou rejeter des candidatures préalablement validées : nous sommes preneurs de tous les éléments que vous pourrez nous communiquer sur ce point. Au regard de l'importance du sujet et des valeurs fortes portées par le fonds, on ne peut que considérer que les conditions de lancement et la gestion du fonds sont pour le moins confuses.

M. Sébastien Jallet. - Il est vrai que l'absence de formalisation des échanges et des décisions dans des documents rédigés et signés est pénalisant pour retranscrire le processus, les différentes étapes et les décisions prises. L'essentiel de ce qui vous est rapporté repose sur les témoignages, les souvenirs, les échanges entre les différents acteurs. Ce qui fait foi, me semble-t-il, ce sont les décisions prises et formalisées dans les actes attributifs de subventions par l'administration, après échange avec le cabinet de la ministre.

Je confirme que le comité de sélection a pour l'essentiel validé les propositions faites par l'administration après instruction des dossiers déposés par les porteurs de projets. Il y a eu quelques amodiations apportées en comité de sélection sur la liste complémentaire. Il y a eu un dossier de la liste complémentaire, que vous avez évoqué et que le comité de sélection a remis en liste principale et qui a été porté à l'arbitrage de la ministre : c'est ce que j'ai réussi à retracer après beaucoup de recherches et de consultations pour comprendre précisément le déroulement des faits.

Mme Isabelle Briquet. - Certaines associations écartées de la sélection travaillaient de longue date avec le CIPDR. Si M. Mohamed Sifaoui était connu du CIPDR, ce n'était pas le cas de l'USEPPM, qui n'avait jamais fait de demande de subventions. Cette association n'oeuvre pas directement dans le cadre fixé par le fonds Marianne, et pourtant, en première intention, sa demande de subvention est douze fois supérieure à son budget annuel moyen, de 50 000 euros. Cette situation n'a-t-elle fait poser aucune question de la part du cabinet ?

M. Philippe Dominati. - La notion de « cabinet » est vague. Combien de personnes au sein du cabinet s'occupaient concrètement du fonds Marianne ? Quels étaient les pouvoirs dont étaient investis les différents acteurs ?

M. Sébastien Jallet. - Le cabinet a reçu à plusieurs reprises la personne qui a été citée, et non pas l'association. Ce n'est que cette personne, ce n'est pas l'USEPPM, qui ne sera pas reçue au cabinet et avec laquelle il n'y aura pas de relation particulière, y compris par téléphone ou par mail. Quand je reçois pour le compte de la ministre la personne qui a été citée, le 22 avril, c'est bien la personne que je reçois, et non pas l'association. L'USEPPM n'a pas été reçue, elle a été gérée intégralement par l'administration à partir du dépôt de sa demande de subvention. Dès la première présentation du projet, le 13 avril en comité de programmation, on marque immédiatement des réserves quant au montant demandé par l'association, on demande à ce que le projet soit affiné par le porteur de projet, au vu d'engagements qui peuvent être pris et de vérifications à opérer sur le statut de l'association. Nous avons donc été, vis-à-vis de cette association, dans une approche rationnelle, prudente. Nous n'avons pas pris pour argent comptant ce qui était demandé par cette association. La suite a été gérée par l'administration.

Aucune personne au cabinet n'était spécifiquement en charge du fonds Marianne. Il n'y avait pas de « conseiller fonds Marianne ». Le sujet du contre-discours était suivi, en termes de portefeuille de compétences, par deux conseillers principalement : le conseiller spécial de la ministre, sur une partie très minoritaire de son temps, et le conseiller prévention de la délinquance et promotion de la citoyenneté, là aussi sur une partie très minoritaire de son temps. Le sujet n'était pas secondaire ou périphérique, et j'attache une égale importance à tous les chantiers que la ministre avait en responsabilités, mais celui-ci, une fois passée la phase d'impulsion, relevait pour l'essentiel de missions administratives de préparation et d'exécution.

Concernant la question centrale de la délégation dans les cabinets ministériels, la ministre pourra sans doute vous l'indiquer, j'avais au sein du cabinet une délégation de signature. J'étais le seul à en bénéficier, j'étais le seul collaborateur qui était fondé à engager, vis-à-vis de l'administration et des tiers, des décisions de la ministre. Je rendais compte, bien entendu, de toutes les décisions importantes de manière régulière pour ce que j'étais amené à dire ou faire en son nom.

M. Claude Raynal, président. - Merci pour toutes ces précisions.

La réunion est close à 13 h 10.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est ouverte à 14 heures.

Contrôle budgétaire - Prêts garantis par l'État : mieux comprendre les risques pour le budget de l'État - Communication

M. Claude Raynal, président. - En ce début d'après-midi, nous entendons Jérôme Bascher, rapporteur spécial de la mission « Engagements financiers de l'État », qui va nous présenter les conclusions de son contrôle budgétaire sur le risque associé aux prêts garantis par l'État (PGE).

M. Jérôme Bascher, rapporteur spécial. - Ce contrôle budgétaire s'inscrit dans la continuité des travaux de notre rapporteur général, en particulier son rapport sur la sortie des PGE de mai 2021. L'idée de mener un travail sur le sujet est née lors de l'examen du dernier projet de loi de finances : les estimations de pertes brutes liées aux PGE pour 2023, s'élevant à 1,9 milliard d'euros, ne paraissaient pas être en accord avec les prévisions économiques très optimistes du Gouvernement. Un autre point avait attiré mon attention : l'annulation, dans le deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2022, de 2 milliards d'euros sur les 3,5 milliards initialement prévus sur le programme 114 « Appels en garantie » de la mission « Engagements financiers de l'État ».

Le dispositif des PGE est fondé sur un système ingénieux car indolore, au moins temporairement, pour les finances publiques : l'État est sollicité uniquement au moment de l'appel en garantie.

Alors que nous arrivons à mi-parcours - les PGE ont été créés en 2020, ils doivent, du moins pour ceux qui n'ont pas fait l'objet de restructuration, être remboursés au plus tard en 2026 - je tiens tout d'abord à accorder un satisfecit face à la réactivité et la capacité d'adaptation des pouvoirs publics dans la mise en oeuvre des PGE. Annoncés par le Président de la République dès son allocution du 16 mars 2020, ils ont en effet été mis en place en l'espace d'une dizaine de jours. Il faut à cet égard saluer le rôle de la direction générale du Trésor, à la manoeuvre dans la conception du dispositif voté par le Parlement à l'article 6 de la loi de finances rectificative du 23 mars 2020 et mis en application par un arrêté du même jour - on aimerait qu'une telle rapidité d'application des lois soit la norme. La Commission européenne avait mis en place un cadre temporaire le 19 mars 2020, permettant de déployer le dispositif des PGE.

Les PGE avaient été conçus pour une crise d'un trimestre. Pour tenir compte de l'évolution de l'épidémie et de ses conséquences économiques, il a fallu adapter le dispositif. Initialement censés durer jusqu'au 31 décembre 2020, les PGE ont ainsi été prolongés jusqu'au 30 juin 2022 pour les PGE « classiques », et au 31 décembre 2023 pour les PGE « Résilience ». Ces derniers n'ont rencontré qu'un succès mitigé, suggérant une faible utilité du dispositif.

Les initiatives prises pour contenir le risque de non-remboursement des PGE et mieux détecter les entreprises en difficulté doivent aussi être saluées. Elles se situent dans la droite ligne des recommandations préconisées par notre rapporteur général il y a deux ans. J'y reviendrai.

Globalement, les PGE ont permis une préservation des intérêts de l'État et des entreprises aux différentes étapes du prêt. La phase d'octroi a essentiellement reposé sur les banques. Avec une quotité garantie par l'État comprise, selon la taille de l'entreprise, entre 70 et 90 % du montant du prêt et un délai de carence de deux mois à compter de son octroi, celles-ci ont supporté une partie du risque de crédit, ce qui les a dissuadées de prêter à des entreprises non viables. Lorsque les banques refusaient, il était possible de se tourner vers le médiateur du crédit mais, au moins, les prêts ont été accordés dans de bonnes conditions. Les entreprises « zombies » n'ont pas concentré plus de 4 % du total des PGE octroyés.

Lors de la phase d'octroi, Bpifrance - dont les relations avec les banques sont régies, sur le sujet des PGE, par un acte d'adhésion - a été chargée de vérifier le respect des conditions d'éligibilité des entreprises et de plafonnement du montant des prêts en fonction du chiffre d'affaires. Cela a bien fonctionné, avec la mise en place d'une plateforme, et un gabarit de fichier normalisé, dans le cadre d'un système informatique rénové.

Je veux ici aussi saluer le travail de cette structure, qui n'a pourtant pas encore été compensée pour l'ensemble des dépenses qu'elle a engagées. En effet, une telle compensation avait été exclue lors de la création du dispositif pour des raisons d'appels d'offre, et le défraiement prévu depuis a été conditionné à la signature, encore en attente, de la convention de gestion du PGE entre Bpifrance et le Trésor. L'État a « oublié » de payer ; il convient de compenser rapidement et au juste niveau Bpifrance pour les dépenses engagées au titre du suivi et de la gestion des PGE pour le compte de l'État. C'est l'objet de la recommandation n° 2.

Ces prêts sont ensuite amortis. Pour laisser une certaine marge de manoeuvre aux entreprises, un différé d'amortissement d'un an avait été initialement prévu, et complété en janvier 2021 par la possibilité de bénéficier d'un différé d'un an supplémentaire, toujours dans la limite d'une durée de prêt de six ans. De nombreuses entreprises ont demandé ces prêts sans les utiliser. Beaucoup ont pioché dans leur trésorerie, en sachant qu'elles avaient par ailleurs le PGE. Cela leur permet de se préserver une soupape, avec un prêt dont le taux d'intérêt est plus faible que les taux actuels.

Par ailleurs, des facilités ont ultérieurement été aménagées pour les entreprises en difficulté, rendant possible la prolongation du prêt au-delà de six ans avec l'accord de la Commission européenne : le juge peut décider le report ou l'échelonnement de deux ans des sommes dues (le prêt dure donc huit ans), une restructuration amiable sous l'égide du juge et des procédures judiciaires peuvent aussi conduire à la prolongation du PGE sans limitation de durée (dans les faits, les plans se limitent à dix ans), et le recours à la médiation du crédit pour les PGE inférieurs à 50 000 euros peut donner lieu à un étalement du prêt jusqu'à quatre années supplémentaires.

Ces dispositions ne sont pas sans rappeler la recommandation n° 7 du rapport « Husson » sur les PGE : « maintenir, avec l'autorisation de la Commission européenne, la garantie de l'État en cas de restructuration d'endettement s'étendant au-delà de la limite de six ans prévue pour les PGE, afin d'inciter davantage à l'étalement des dettes d'une entreprise en difficulté ».

Au 31 janvier 2023, 143,8 milliards d'euros de PGE avaient été octroyés ; 50,7 milliards d'euros avaient été remboursés, et le capital restant dû s'élevait à 93,1 milliards d'euros.

Enfin, en cas d'événement de crédit, la banque peut effectuer un appel en garantie. Celui-ci est en général séquencé en un versement provisionnel - où l'État n'accorde qu'une partie du montant de l'indemnisation - et un versement final, intervenant une fois toutes les diligences de recouvrement possibles, amiables ou judiciaires, utilisées. Ces demandes d'indemnisation donnent encore lieu à un contrôle documentaire par Bpifrance. À cette occasion, si le montant indemnisable constaté lors d'une indemnisation finale est supérieur au montant du versement provisionnel net effectué, la différence entre les deux montants est payée au prêteur. Dans le cas contraire, il reverse le trop-perçu à Bpifrance, qui le reverse à l'État. C'est un système un peu compliqué, et dont la traçabilité n'est encore pas totalement assurée. Ainsi, le budget de l'État n'est que progressivement mobilisé dans le cadre de ce processus.

Au 31 janvier 2023, 1,83 milliard d'euros avait été appelé en garantie au titre des PGE, mais ce montant ne représente qu'une perte brute, qui ne suffit pas à apprécier l'impact budgétaire des PGE. La perte nette pour l'État se compose en effet de la perte brute liée à l'appel en garantie, diminuée du trop-perçu, mais surtout de la commission versée à l'État - et comprise dans le taux du prêt - en échange de sa garantie. Jusqu'à aujourd'hui, cette commission était légèrement supérieure à la perte brute : ainsi, jusqu'en 2022, l'État était bénéficiaire net, mais il devrait être perdant à partir de 2023.

Si le risque budgétaire est maîtrisé, des points de vigilance demeurent sur les petites entreprises et certains secteurs. Les différentes estimations réalisées depuis la mise en oeuvre des PGE ont anticipé des pertes nettes comprises entre 1,4 et 5,3 milliards d'euros. La plus optimiste date de janvier 2022 ; depuis, la dégradation de la situation macroéconomique associée notamment au conflit russo-ukrainien a entraîné une hausse des pertes nettes anticipées, qui ne devraient toutefois pas dépasser 3,6 milliards d'euros sur la durée du dispositif en 2030, ce qui demeure limité.

En effet, malgré la remontée des taux et l'inflation, en particulier sur les prix de l'énergie qui constituent une part significative des coûts de production, les entreprises parviennent à afficher des taux de marge élevés - 33,5 % au deuxième trimestre 2023. Ainsi, le nombre de défaillances d'entreprises, s'il augmente, demeure mesuré : fin avril 2023, il s'élevait à 46 000 sur 12 mois, soit 5 000 de moins que sur l'année 2019, où le niveau était déjà particulièrement bas. Si l'endettement des entreprises françaises demeure élevé, les indicateurs relatifs aux restes à recouvrer par les Unions de recouvrement des cotisations de Sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf) indiquent aussi une santé financière des entreprises rassurante. Cela dit, il faut noter que l'augmentation des défaillances est peu cohérente avec les prévisions macroéconomiques optimistes du Gouvernement annoncées en PLF 2023.

Toutefois, des points de vigilance existent : le niveau de défaillances des TPE (hors microentreprises) et des PME (ETI exclues), s'il demeure raisonnable, a significativement augmenté par rapport à 2019 alors que ces types d'entreprises concentrent l'essentiel des PGE et du capital restant dû. Les très petites entreprises, surtout celles de moins de dix salariés, sont très mal suivies et se trouvent souvent en difficulté. Parmi les nombreuses entreprises qui ferment aujourd'hui dans le domaine de l'habillement, ce sont souvent les toutes petites entreprises qui sont concernées. La proportion de TPE-PME craignant de ne pouvoir rembourser leur PGE est ainsi passée de 7 à 9 % entre février 2023 et mai 2023 - retrouvant ainsi son niveau d'avril 2022.

Les secteurs de l'hébergement-restauration, de l'industrie manufacturière et dans une moindre mesure le secteur du bâtiment doivent faire l'objet d'une attention particulière du point de vue du risque PGE.

Enfin, dans la mesure où 72 % des encours des PGE ont des échéances finales sur 2026, il est possible de s'attendre à une vague d'appels en garantie cette année-là.

L'accompagnement des entreprises en difficulté a été renforcé dans le cadre de la crise sanitaire. Si nous ne sommes pas tout à fait dans les clous de la recommandation n° 3 du rapport Husson, qui préconisait de transformer le CODEFI en comité partenarial de financement des entreprises en sortie de crise, on s'en rapproche ! Seul bémol : les Urssaf ne sont pas encore vraiment dans la boucle. Elles décident parfois le recouvrement de créances reportées, mais cela se fait sans réelle discussion avec les autres services de l'État sur le territoire, ce qui met en difficulté certaines petites entreprises.

Par ailleurs, un dispositif de repérage des entreprises en difficulté sur la base de leurs données, Signaux Faibles - « start-up d'État » constituée d'une dizaine de data scientists - se déploie progressivement sur le territoire de façon à faciliter le travail d'accompagnement offert aux entreprises en difficulté par les agents publics. Même si l'impact budgétaire en serait sans doute faible, il conviendrait, à terme, d'élargir les missions de Signaux Faibles pour leur permettre de s'intéresser aux petites entreprises.

La Banque de France réalise deux fois par an une estimation des pertes liées aux PGE pour le compte de la direction générale du Trésor. Elle pourrait le faire désormais sur base trimestrielle. La transmission de ces estimations au Parlement, ainsi que l'introduction de précisions concernant l'évolution du capital restant dû par cote de crédit dans les documents budgétaires, lui permettrait de mieux appréhender le risque budgétaire associé aux PGE. Il s'agit de mes recommandations n° 1 et n° 3.

La transmission des estimations au Parlement ainsi que l'obtention de précisions sur l'évolution du capital restant dû permettraient de mieux appréhender le risque associé aux PGE, c'est l'objet des première et troisième recommandations.

Les estimations de la Banque de France sont robustes. Toutefois, certaines hypothèses sous-jacentes, ou « scénario de référence », de ce modèle sont définies par la direction générale du Trésor : à partir de juillet 2022, il a ainsi été décidé de calquer le rythme de défaillances attendues sur la période 2022-2028 sur celui observé entre 2009 et 2015. On comprend la nécessité d'arrêter un scenario de référence vraisemblable mais rien n'indique a priori que la tendance des défaillances sur la période 2022-2028 sera en adéquation avec les estimations formulées sur la base des chiffres de la période 2009-2015. Il y a là un problème de modélisation et un problème d'actualisation des données, car le contexte économique a beaucoup changé par rapport à la période 2009-2015.

Au surplus, comme les remboursements sont consacrés aux PGE et aux Urssaf, les modélisations élaborées par la Banque de France pourraient s'avérer insuffisantes, mais il est trop tôt pour l'affirmer.

Enfin, la certification des comptes 2022 menée par la Cour des comptes a permis d'identifier un dernier sujet : dans les comptes de l'État, les engagements hors bilan dus aux PGE sont évalués à 81 milliards d'euros (dont 5 milliards de provision pour risques) alors que la Banque de France, pour réaliser ses dernières estimations, s'était fondée sur un encours garanti restant de 90 milliards d'euros. 9 milliards d'écart, ça fait beaucoup...

Le fichier Bpifrance transmis à l'administration pour déterminer les estimations d'engagement hors bilan renseignerait en effet, en cas d'anomalie sur un montant de capital restant dû, un montant de 0, tandis que la Banque de France redresserait les données pour réaliser ses estimations de pertes dues aux PGE. Il y a un souci d'harmonisation des données. Cela fait tout de même trois ans, donc il est temps de remédier. Certes, la qualité des estimations n'en paraît pas fondamentalement affectée, mais il semble indispensable de raccorder les données utilisées par la Banque de France pour élaborer ces estimations avec celles retenues par l'État pour calculer le montant des engagements hors bilan : c'est ma huitième recommandation.

Au total, les PGE constituent un dispositif, qui été construit dans des délais très restreints, mais qui a plutôt permis d'atteindre les objectifs. Les recommandations du Rapporteur général, dans son rapport de mai 2021 ont été, il faut le souligner, plutôt suivies d'effet.

Les résultats de ce contrôle sont plutôt rassurants. Le risque budgétaire n'est pas démesuré pour l'État : 3,6 milliards d'euros sur un encours d'environ 144 milliards d'euros, on est sur un ratio assez classique finalement.

Le risque pourrait toutefois être encore réduit grâce à un meilleur repérage et un meilleur accompagnement des entreprises en difficulté - notamment les plus petites. Si je récapitule, c'est un bon dispositif mais on peut faire mieux sur l'information du Parlement, pour lui permettre d'appréhender correctement l'évolution du risque, et sur la cohérence des données prises en compte par les différents organismes.

M. Claude Raynal, président. - Merci pour cette présentation optimiste, on aurait pu craindre davantage encore que 3,6 milliards d'euros de pertes.

M. Jean-François HUSSON, rapporteur général. - Au regard de l'analyse qui est faite, il semble que nos précautions étaient justifiées et qu'elles ont finalement permis à nos craintes de ne pas se traduire concrètement, c'est tant mieux. Si les choses restent en l'état, les PGE auront permis un retournement efficace de conjoncture. Les taux d'intérêt assez élevés que nous connaissons en ce moment ont plutôt incité les entreprises à s'appuyer sur les conditions d'emprunt relativement avantageuses que l'État leur garantissait, donc elles se sont bien approprié le dispositif et cela a eu un impact économique positif, mais il faut maintenant souhaiter qu'elles ne fassent pas comme l'État, en vivant un peu sous perfusion, et que leur retour aux conditions normales du marché s'opère rapidement.

L'État, au final, a bien protégé ses intérêts. Nous émettions des doutes lorsque le Gouverneur de la Banque de France, au moins à deux reprises, a minimisé le risque d'un défaut massif de remboursement. Force est de constater que ça n'a pas eu lieu. Il faudra maintenant voir l'étendue des dégâts de la crise, à terme, sur le tissu économique et le nombre de défaillances d'entreprises, mais c'est un autre sujet. Sur le seul aspect budgétaire et sur la question des finances publiques, le dispositif a en tout cas bien joué son rôle. En revanche, j'en tire la conclusion que lorsque nous mettons en place des mesures d'accompagnement des entreprises qui supposent l'intervention de plusieurs acteurs institutionnels, on peut faire mieux quant à leur articulation. Les Urssaf restent trop en vase clos alors qu'elles devraient davantage inscrire leur action dans un écosystème institutionnel qui demande une bonne fluidité entre tous les intervenants.

M. Marc Laménie. - Le capital restant dû, à savoir 93 milliards d'euros, ce n'est pas négligeable. Quelles seront les modalités d'accompagnement des entreprises en difficulté, en particulier des petites entreprises, pour rembourser ?

M. Arnaud Bazin. - Le remboursement des prêts se fait-il systématiquement in fine ou y a-t-il des remboursements intermédiaires ? Il a été question d'amortissement à un moment, donc je souhaiterais que notre rapporteur puisse clarifier ce point.

Par ailleurs, si j'ai bien saisi, certaines entreprises ont rempli le contrat d'emprunt mais n'ont pas forcément sollicité le décaissement des sommes. A-t-on une idée du volume que représente ce cas de figure et, le cas échéant, cette somme s'ajoute-t-elle aux 89 milliards, d'autant que des décaissements peuvent encore être sollicités jusqu'à la fin de l'année, voire même des contrats ?

Sur le fond, se pose aujourd'hui la question de l'évaluation du dispositif. On voit certes qu'il y a eu moins de faillites qu'attendu mais comment peut-on apprécier le fait que c'est ce dispositif en particulier qui aurait réellement permis d'éviter le pire en cette période de crise ? Certaines entreprises ont en effet cherché à bénéficier du mécanisme par simple précaution mais ne s'en sont pas servi. Enfin, dans le prolongement du dernier point évoqué par le Rapporteur général, au vu du succès rencontré par le dispositif, existe-t-il une tentation de pérenniser certains aspects du mécanisme, pour les conserver hors période de crise, par exemple lorsque des tensions sectorielles apparaissent ?

M. Vincent Capo-Canellas. - Comme Arnaud Bazin, je m'interroge sur les leçons que l'on peut tirer pour l'avenir de ce type d'outils, que ce soit en période de crise d'un autre type, ou de manière durable. Faut-il imaginer un dispositif pérennisé et le cas échéant, reformaté ? Est-ce comme cela qu'il faut interpréter les conclusions positives du rapporteur ?

Sans aller jusqu'à parler d'effet d'aubaine, notre rapporteur a souligné qu'il existait des entreprises ayant sans doute arbitré en faveur de ce prêt en se disant que c'était moins compliqué que de négocier avec une banque et surtout que le taux consenti était fort avantageux en période d'inflation, alors qu'elles n'étaient pas particulièrement frappées par la crise. Ces entreprises sont enclines à solliciter la prorogation du dispositif. Est-on en mesure d'évaluer la part des entreprises concernées par cette situation ? Y aurait-il un intérêt pour l'État à être plus strict dans l'accès au PGE en le réservant désormais aux entreprises en ayant réellement besoin, et cela vous semble-t-il techniquement faisable ?

M. Michel Canévet. - Parmi les mesures analogues prises par le Gouvernement pour permettre aux entreprises de franchir cette période difficile, figurait également l'octroi de délais concernant les règlements fiscaux auprès des directions départementales et générale des finances publiques (DDFiP et DGFiP) et les règlements sociaux auprès de l'Urssaf. Un certain nombre de signaux sur ce point montrent que tous les risques ne sont pas écartés pour les entreprises. Notre rapporteur dispose-t-il d'éléments à ce sujet ?

M. Claude Raynal, président. - J'ai vu passer des propositions du Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) concernant le non remboursement des PGE dans le cadre de règlement d'entreprises. Cela constitue un mauvais signal : si le CIRI pousse à ne pas rembourser le PGE parce que l'entreprise se porte mal, et que cela permettrait de relancer le secteur, je crains que cela crée des disparités entre les entreprises. Je pense en particulier aux TPE, on a tous en tête l'exemple des boulangers en ce moment, qui ont des difficultés pour rembourser et qui pourraient être tentés de s'appuyer sur les arguments du CIRI pour ne pas rembourser. Je crains un effet boule de neige. Est-ce que le rapporteur dispose d'informations sur l'ampleur et sur la réalité ou non de ce phénomène, et sur les positions officielles sur le sujet?

M. Jérôme Bascher, rapporteur spécial. - Pour répondre au rapporteur général, mais aussi à M. Bazin, certaines entreprises déposent leur bilan avant d'être défaillantes, ce qui n'est parfois pas indiqué dans les statistiques générales. Ce sujet a été évoqué avec le médiateur du crédit, Frédéric Visnovsky. Il faut y prendre garde. La croissance n'est pas là et les entreprises cessent leurs activités pour faire autre chose.

M. Laménie, en cas de défaillance, on demande une restructuration du prêt, soit amiable, soit judiciaire, soit en ayant recours à la médiation du crédit. La dette peut être étalée sur une durée allant jusqu'à quatre années supplémentaires. Aujourd'hui, c'est l'hôtellerie-restauration et l'industrie manufacturière qui rencontrent le plus de problèmes. Le capital restant dû y est respectivement de 8 et 11,4 milliards d'euros.

M. Bazin, il y a certes des prêts in fine, mais principalement des prêts à amortissement. L'État ne peut pas revenir sur les contrats, qui sont souscrits entre l'entreprise et une banque. Le mécanisme fonctionne plutôt bien.

S'agissant des décaissements, il n'y a pas de données parce que la banque dit que le prêt a été octroyé, mais pas la somme qui a été décaissée.

Au Royaume-Uni, le prêt est garanti à 100 %, ce qui a pu encourager les établissements de crédit à être moins regardants dans l'octroi des prêts. Il vaut mieux partager les risques, comme ce qui a été fait en France : la banque connaît le client et peut évaluer les risques.

M. Canévet, les DDFiP et l'Urssaf ne se parlent pas, c'est un vrai problème sur lequel les entreprises m'ont alerté.

M. le Président, le CIRI considère que la dette relative au PGE ne doit pas être « juniorisée », c'est-à-dire qu'elle doit bien être honorée. Il faut éviter l'effet de contagion. C'est en tout cas une question que j'ai posée au CIRI, qui dit faire attention au problème.

M. Claude Raynal, président. - Je connais une entreprise dont les PGE ont été divisés par deux.

M. Jérôme Bascher. - Cela suppose normalement que les autres prêts le soient aussi.

M. Claude Raynal, président. - Je m'inquiète en tout cas à ce sujet. Des petites entreprises se demandent pourquoi une entreprise relativement grosse peut bénéficier de ce type de mesure. Il serait bon que le CIRI définisse une position claire.

La commission adopte les recommandations du rapporteur spécial et autorise la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

La réunion est close à  14 h 50.

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Fonds Marianne - Audition de M. Julien Marion, directeur de cabinet de Mme Sonia Backès, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté

M. Claude Raynal, président. - Nous poursuivons les auditions de la mission d'information que notre commission a décidé de constituer sur la création du fonds Marianne, la sélection des projets subventionnés, le contrôle de leur exécution et les résultats obtenus au regard des objectifs du fonds. Cette mission d'information a obtenu du Sénat de bénéficier des prérogatives des commissions d'enquête.

Nous entendons à présent M. Julien Marion, directeur de cabinet de Mme Sonia Backès, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté.

Nous savons, monsieur le directeur, que vous êtes arrivé dans vos fonctions bien après le lancement du fonds Marianne, alors que son exécution était largement engagée. Toutefois, il nous est apparu nécessaire de vous entendre, dans la mesure où nous nous intéressons tout autant au démarrage de cette opération qu'à son déroulement et à son contrôle dans le temps. Il est également important de savoir quels éléments d'information vous avez obtenus à votre arrivée et quelles suites vous avez souhaité y donner.

Avant de vous céder la parole pour un bref propos introductif, je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Julien Marion prête serment.

M. Julien Marion, directeur de cabinet de Mme Sonia Backès, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté. -J'occupe depuis le 13 juillet 2022 les fonctions de directeur de cabinet de Mme Sonia Backès, qui a été nommée secrétaire d'État chargée de la citoyenneté auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, le 4 juillet 2022.

Tout d'abord, la première alerte qui est remontée au cabinet de la secrétaire d'État au sujet du fonds Marianne est très récente, puisqu'elle date du mois de mars 2023.

Ensuite, à compter de cette date, la conduite que j'ai mise en oeuvre à la demande de la secrétaire d'État peut se résumer en deux mots : transparence et réactivité. Vous en avez eu un exemple pas plus tard qu'hier avec la publication du rapport de l'inspection générale de l'administration (IGA) concernant la subvention versée à l'Union des sociétés d'éducation physique et de préparation militaire - l'association USEPPM -, publication à la suite de laquelle le secrétaire général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) a démissionné.

Enfin, derrière les dysfonctionnements, les manquements et sans doute les fautes qui ont entouré la gestion du fonds Marianne, il y a une politique publique qui vise le contre-discours républicain et dont il faut rappeler le caractère inédit ainsi que le contexte dans lequel elle a vu le jour. En effet, elle résulte d'une prise de conscience collective de la nécessité pour la puissance publique d'investir de nouveaux champs d'intervention, en particulier celui des réseaux sociaux, où doit désormais se mener le combat contre des personnes ou des structures qui s'en prennent de manière méthodique et déterminée aux valeurs et aux institutions de la République. Cette politique me semble indispensable, même si elle mérite sans doute d'être affinée.

M. Claude Raynal, président. - Dans les semaines qui ont suivi la nomination de Mme Sonia Backès, le nouveau cabinet a-t-il eu une réunion ou un entretien avec le secrétaire général du CIPDR au sujet du fonds Marianne ? Avez-vous a minima eu un document ou une note des services relative à ce fonds ?

M. Julien Marion. - La règle intangible et immuable veut que, quand un membre du Gouvernement quitte ses fonctions, il est tenu de verser les archives de son cabinet à la mission des archives nationales du ministère dont il dépend. Cette règle s'est appliquée lorsque Mme Schiappa a quitté ses fonctions de ministre déléguée. Par conséquent, quand il arrive dans son ministère, le membre du Gouvernement nouvellement nommé n'y trouve pas les archives du cabinet précédent. Cette règle est rappelée de manière invariable à chaque remaniement ministériel. Elle s'est donc appliquée, lorsque Sonia Backès a pris ses fonctions de secrétaire d'État, le 4 juillet 2022.

Je précise que, entre le 16 mai 2022, date du départ de Mme Schiappa, et la nomination de Mme Backès dans des fonctions similaires, il s'est écoulé un laps de temps de six semaines.

Pour autant, quand un membre du Gouvernement est nommé, l'usage veut qu'il trouve à son arrivée ce qu'on appelle le « dossier ministre », qui est constitué par les services sur lesquels il a autorité. Il s'agit de lui présenter les équipes, les organigrammes, les enjeux et les points d'actualité qui relèvent de son périmètre ministériel.

Quand Sonia Backès est arrivée dans ses fonctions, et moi à ses côtés comme directeur de cabinet quelques jours après, nous avons donc trouvé ce « dossier ministre » pour partie composé par la production du secrétaire général du CIPDR. Or il n'y figurait pas de note ni d'éléments relatifs au fonds Marianne.

Quant aux échanges ou aux entretiens qui auraient pu avoir lieu en complément de ce dossier, Sonia Backès a en effet rencontré le secrétaire général du CIPDR très rapidement après son arrivée et j'ai fait de même, quelques jours plus tard, lorsque j'ai pris mes fonctions de directeur de cabinet. Lors de ces échanges, le fonds Marianne n'a pas été mentionné et n'a fait l'objet d'aucun signalement particulier.

Il en a été de même dans la deuxième quinzaine de juillet, lorsque j'ai pu échanger avec celui qui m'a précédé dans les fonctions de directeur de cabinet - vous l'avez entendu en audition, ce matin.

Il n'y a donc pas eu, ni par écrit ni à l'occasion des échanges qui ont pu avoir lieu, de signalement particulier à propos du fonds Marianne.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Est-ce que cela a pu vous étonner ou vous inquiéter ? Est-il normal qu'il puisse y avoir des oublis de cette importance ?

M. Claude Raynal, président. - Pour compléter, connaissiez-vous le fonds Marianne en arrivant au ministère ? Auriez-vous pu entendre parler du dossier en tant que simple citoyen ?

M. Julien Marion. - Je n'avais pas connaissance de l'existence du fonds Marianne lorsque j'ai pris mes fonctions auprès de la secrétaire d'État.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - On peut donc penser que, au moment de la transmission des dossiers entre les deux cabinets, le fonds Marianne n'était pas un sujet de préoccupation.

M. Julien Marion. - Oui. Cela peut s'expliquer par le fait que Sonia Backès et son cabinet se sont installés plus d'un an après le lancement du fonds Marianne. Entre-temps, le secrétariat général du CIPDR avait mis en oeuvre toute une série d'initiatives ; or l'actualité politique se périme assez rapidement, comme vous le savez.

Autrement dit, le fonds Marianne a connu une impulsion politique au moment de son lancement, en avril 2021, puis sa mise en oeuvre et son exécution ont été internalisées par les services de l'administration, ce qui n'a rien d'anormal. D'où sans doute l'absence d'alerte, plus d'un an après son lancement.

M. Claude Raynal, président. - Si ni Mme Backès ni vous-même n'aviez la mémoire du dossier, on peut comprendre que vous n'ayez pas posé de question sur ce sujet. Toutefois, le fonds Marianne avait été lancé à grand renfort de communication comme une action portant sur le discours contre-républicain. En effet, il s'agissait pour le Gouvernement de mettre en oeuvre une traduction politique de ce qui s'était produit en octobre 2020 en montrant sa volonté d'agir. En réalité, le rapport de l'IGA a montré que le fonds Marianne n'était rien de plus qu'une sorte de fléchage du fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (FIPDR).

M. Julien Marion. - Ou un label.

M. Claude Raynal, président. - On aurait pu se contenter de dire que l'on consacrerait plus de moyens, dans le cadre du FIPDR, pour mener certaines actions précises. Cela aurait suffi à montrer l'action de l'État. On a donc délibérément choisi de faire du fonds Marianne une opération spécifique. Or, cette opération a été menée avec difficulté sous l'ancienne ministre, puis plus du tout à l'arrivée de la nouvelle secrétaire d'État, hormis dans le cadre du CIPDR, sans que cela constitue un sujet de préoccupation particulier.

Une particularité du CIPDR tient à ce que pendant très longtemps son secrétaire général a été en charge de la sélection des projets, du cahier des charges et des appels à projets, le cabinet ministériel se contentant de faire des remarques d'ajustement.

Or, au moment où Mme Schiappa est devenue ministre déléguée, le cabinet a demandé non seulement que l'information sur les projets lui soit remontée, mais aussi que la décision lui revienne. Le CIPDR continuerait donc d'étudier les projets, mais la décision finale reviendrait au cabinet, ce qui constituait une manière nouvelle de procéder. Ce nouveau mode de fonctionnement a-t-il suscité des interrogations ?

M. Julien Marion. - Le mode de fonctionnement que vous venez de décrire s'est poursuivi après l'entrée en fonction de Sonia Backès. Cette répartition des rôles entre l'autorité politique et l'autorité administrative n'a rien d'anormal. Dans l'administration, certains services instruisent et vérifient les dossiers avant de les soumettre à la validation de l'autorité politique. Le FIPD représente une enveloppe d'un peu plus de 80 millions d'euros, dont les crédits sont à 80 % déconcentrés, les 20 % restants relevant d'une enveloppe centrale qui servent à financer des projets de nature variable correspondant à des priorités. La double intervention de l'administration et du politique n'est donc pas illogique : les services administratifs instruisent les dossiers et veillent à la régularité des procédures avant de soumettre le fruit de leurs travaux à la validation du politique.

Lorsque j'ai été chargé de valider des projets, dans l'écrasante majorité des cas, il s'agissait vraiment d'une validation, c'est-à-dire que j'ai acté la proposition faite par les services. Il a pu m'arriver de demander un complément d'information ou bien de retirer des projets qui ne correspondaient pas aux attentes. Toutefois, à aucun moment le cabinet de la secrétaire d'État n'a injecté dans le processus des dossiers nouveaux qui n'auraient pas été préalablement instruits par les services.

Je rappelle par ailleurs que le FIPD est un fonds budgétaire dont l'enveloppe centrale est structurellement soumise à une forte tension budgétaire. Des demandes d'intervention parviennent au ministre de l'intérieur ou à la secrétaire d'État, qui portent sur des financements au titre des crédits centraux ou déconcentrés, de sorte qu'il est normal que le cabinet veille à ce que ces interventions soient prises en compte. Par conséquent, la répartition des rôles ne me semble pas choquante, dès lors que chacun reste dans le sien.

M. Claude Raynal, président. - Vous avez veillé à préciser que vous n'injectiez pas de projets qui seraient d'abord passés par le filtre ministériel avant d'arriver à l'administration. En effet, faire passer un dossier par l'intermédiaire de la secrétaire d'État ou du cabinet n'a rien d'anodin. Cela crée une sorte de pression morale sur l'administration.

M. Julien Marion. - Je tiens à lever tout malentendu. Il peut arriver que des dossiers de demande de financement au titre du FIPDR arrivent directement au cabinet de la secrétaire d'État par l'intermédiaire des élus. Il n'y a rien d'anormal à cela. Dans ce cas, nous transmettons systématiquement les dossiers aux services pour qu'ils les examinent.

M. Claude Raynal, président. - Le 10 octobre 2022, le préfet Gravel a fait parvenir une note à la secrétaire d'État chargée de la citoyenneté, dans laquelle il expliquait les raisons pour lesquelles la liste des lauréats n'avait pas été rendue publique, ainsi que celles pour lesquelles une démarche avait été engagée pour ne pas les mentionner dans le jaune budgétaire sur le soutien de l'État aux associations. Il est fait mention dans cette note d'une demande de la presse pour obtenir la liste des lauréats. Pouvez-vous nous rappeler le contexte dans lequel cette note a été rédigée ? Qui en a été à l'origine ? Le cabinet a-t-il lui-même été sollicité ? Quelles ont été les suites données à cette note ?

M. Julien Marion. - À la fin du mois de septembre 2022, le conseiller pour la presse et la communication de la secrétaire d'État a porté à ma connaissance un article de l'hebdomadaire Marianne sur le fonds du même nom daté du 30 juin 2022. C'était la première fois que l'on me signalait ce fonds de manière précise. J'ai donc demandé au secrétaire général du CIPDR de me faire un point détaillé sur le fonds Marianne, d'où la note à laquelle vous faites référence ; celle-ci ne contenait aucune forme d'alerte sur la mise en oeuvre des actions financées par le fonds.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Dans une note du 14 octobre 2022, M. Gravel a transmis au cabinet le détail des projets du fonds Marianne. S'agissait-il d'un complément à la note du 10 octobre ? Cette seconde note répondait-elle pleinement à la commande qui était la vôtre ?

M. Julien Marion. - La première note que m'a transmise Christian Gravel se bornait à une description très formelle du processus et ne disait rien des actions menées ni des bénéficiaires du fonds Marianne. Elle m'a donc semblé insuffisante et j'ai demandé des éléments complémentaires. La seconde note entrait davantage dans le détail et dressait un bilan très positif des actions financées par le fonds avec une très légère nuance sur un projet particulier porté par l'association Reconstruire le commun, qui faisait état de difficultés sur les contenus éditoriaux.

J'ai demandé des éclaircissements sur cette mention un peu sibylline et le secrétaire général du CIPDR m'a répondu qu'il avait pu y avoir des difficultés sur certains contenus publiés par cette association, dont il avait recadré les dirigeants au mois de juin 2022, de sorte que le problème était réglé. Cette réserve étant levée, j'ai donc considéré qu'il n'y avait pas lieu de s'inquiéter sur la mise en oeuvre des actions financées au titre du fonds Marianne.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Au moment de la nomination de Mme Sonia Backès, des difficultés avaient déjà été identifiées avec une association puisque le secrétaire général du CIPDR avait constaté que des contenus produits par l'association Reconstruire le commun visaient des personnalités politiques ou étaient sans lien avec les objectifs du fonds Marianne. Si j'ai bien compris, vous n'aviez pas eu d'information particulière à ce sujet.

M. Julien Marion. - Je vous le confirme.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - L'USEPPM a reçu la subvention la plus importante parmi toutes celles qui ont été attribuées dans le cadre du fonds Marianne : initialement très élevée, celle-ci a été considérablement réduite, passant d'un projet de 1,5 million d'euros à 335 000 euros. L'association ne répondait plus aux relances envoyées en interne depuis novembre 2022. Avez-vous été averti de la situation et à quel moment ? Comment avez-vous réagi ?

M. Julien Marion. - Les premières alertes que j'ai reçues à propos du fonds Marianne datent de mars 2023 et elles concernaient l'USEPPM.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Par conséquent, les relances envoyées depuis novembre 2022 n'avaient pas été portées à la connaissance de la secrétaire d'État ?

M. Julien Marion. - C'est le travail de l'administration de s'assurer qu'un porteur de projet s'acquitte de ses obligations en transmettant dans les délais les documents requis. Ce genre d'information n'a pas forcément besoin de remonter jusqu'au cabinet.

Le 22 mars 2023, les journalistes qui étaient à l'origine de la première sortie médiatique sur le fonds Marianne nous ont contactés pour nous faire part de la suite de leurs travaux et de leurs soupçons d'irrégularité à propos d'une association en particulier. Je découvre les éléments à ce moment-là.

Le secrétaire général du CIPDR m'avait averti quelques jours auparavant, le 17 mars, dans une note où il faisait état de difficultés à obtenir de la part de l'association les pièces justificatives relatives à la conduite des actions financées au titre du fonds Marianne.

Dans le même temps, la nouvelle gouvernance de l'USEPPM m'a fait parvenir des mails indiquant qu'elle découvrait avec étonnement certaines irrégularités. Tout cela est convergeant avec ce que me disaient les journalistes.

J'ai immédiatement rendu compte de la situation à la secrétaire d'État. Quarante-huit heures plus tard, soit le 24 mars 2023, à la demande de la secrétaire d'État, j'ai prévenu l'inspection générale de l'administration qu'elle serait saisie d'une mission sur le versement de la subvention à l'USEPPM, car à cette date nous n'avons une alerte que pour cette association. Dans le même temps, toujours à la demande de la secrétaire d'État, j'ai demandé au secrétaire général du CIPDR de saisir le procureur de la République sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale. Ces deux procédures ont été lancées le 24 mars 2023 et formalisées le 29 mars 2023.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - C'est donc vous qui avez déclenché les deux procédures ?

M. Julien Marion. - Je l'ai fait à la demande de la secrétaire d'État.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - L'ordre était donc politique.

M. Julien Marion. - Absolument. Dès que j'ai rendu compte à Sonia Backès de la présomption assez forte d'irrégularités dans le cadre du versement d'une subvention à une association, sa réaction a obéi à deux mots d'ordre : transparence et réactivité.

M. Claude Raynal, président. - Y a-t-il eu une réaction de la part du secrétaire général du CIPDR à votre demande de saisine au titre de l'article 40 ? En effet, le projet de l'association a vu le jour dans le cadre d'une relation directe entre M. Sifaoui et le cabinet de la ministre ; puis le dossier a été directement transmis au secrétariat général avant même l'annonce de la création du fonds Marianne. Compte tenu de ce contexte particulier, le secrétaire général a-t-il réagi d'une manière ou d'une autre à l'utilisation de l'article 40 ?

M. Julien Marion. - Le secrétaire général du CIPDR n'a fait aucune difficulté. Je me rappelle très précisément qu'il m'a dit découvrir les irrégularités qui étaient pointées.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Toutefois les premières relances envoyées à l'association remontent à novembre 2022.

M. Julien Marion. - À ce moment-là, M. Gravel faisait état des difficultés que rencontraient ses services pour obtenir les justificatifs permettant le versement de la deuxième tranche de la subvention. Rien ne laissait apparaître alors les faits qui ont été documentés dans le rapport de l'IGA. Il faut distinguer la difficulté à entrer en contact avec les responsables de l'association et la difficulté à obtenir les documents et les éléments de bilan qui permettraient de déclencher le versement de la deuxième tranche de la subvention.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Il était prévu initialement qu'un bilan d'étape interviendrait six mois après l'attribution de la subvention. En novembre 2022, on est bien au-delà du délai.

M. Claude Raynal, président. - Plusieurs éléments sont surprenants. Certaines associations qui travaillaient déjà avec le CIPDR ont obtenu, grâce au fonds Marianne, une subvention supplémentaire, mais celles qui ont touché les subventions les plus importantes sont deux associations nouvelles, qui souhaitaient intervenir sur les réseaux sociaux et qui étaient caractérisées par la faiblesse de leurs fonds propres et de leur budget - 50 000 euros de budget annuel pour l'une, dont le projet initialement estimé à 635 000 euros a finalement obtenu une subvention de 355 000 euros ; une création ex nihilo pour l'autre. Le règlement prévoyait que les deux associations trouvent des cofinancements afin de poursuivre leur projet à plus long terme sans subvention, mais elles ne les ont pas trouvés. Que pensez-vous de tout cela ?

M. Julien Marion. - Les alertes circonstanciées que nous avions reçues entre la fin du mois de mars et le début du mois d'avril 2023 ont d'abord porté sur une puis sur deux des dix-sept associations qui ont bénéficié du fonds Marianne. En réponse à ces alertes, la secrétaire d'État a commencé par demander la saisine de l'inspection générale de l'administration, d'abord pour faire toute la lumière sur la situation de l'USEPPM, qui est la première à avoir fait l'objet d'une alerte, puis quelques jours après, lorsque des signalements sont remontés pour une autre association, elle a demandé immédiatement l'extension de l'enquête à l'ensemble des associations financées au titre du fonds Marianne. Le rapport de l'IGA sur ce dernier aspect n'a pas encore été remis.

M. Claude Raynal, président. - Il est prévu pour la fin du mois de juin.

Dans le rapport qu'elle a remis sur l'USEPPM, l'inspection générale de l'administration recommande d'émettre un titre exécutoire en vue de la restitution de la somme de 127 476 euros, équivalant aux postes de dépenses ne correspondant pas à la convention ou ayant été payés après la fin de celle-ci ; de prendre acte des manquements aux obligations statutaires relevés par la mission ; et de compléter la saisine du procureur de la République.

Quelles suites envisagez-vous de donner à ces trois recommandations ?

M. Julien Marion. - Le communiqué qui a été mis en ligne hier sur le site du ministère de l'intérieur en marge de la publication du rapport répond à votre question : les trois recommandations seront mises en oeuvre. Toutefois, ce ne sont pas les mêmes personnes qui s'en chargeront.

En effet, la restitution d'une part significative de la subvention reçue par l'USEPPM - soit la première recommandation - relève des missions du SG-CIPDR. L'IGA a facilité sa mise en oeuvre en détaillant le plus possible le processus à suivre.

Quant aux conséquences à tirer des manquements disciplinaires observés, cela relève de l'autorité administrative, en particulier du secrétaire général du CIPDR. Cette deuxième recommandation sera mise en oeuvre lorsque le deuxième rapport de l'IGA aura été rendu, car l'autorité politique qui a commandité ces deux rapports doit avoir une vision globale de la situation. Une fois le second rapport remis, des poursuites disciplinaires pourront être engagées, dans le strict respect du contradictoire.

Enfin, la troisième recommandation relève des agents publics qui sont à l'origine du constat des manquements susceptibles de recevoir une qualification pénale, à savoir les inspecteurs de l'IGA qui ont rédigé le rapport.

M. Claude Raynal, président. - Une procédure de contrôle a été engagée au début du mois de mai dernier à l'encontre de l'association Reconstruire le commun ; elle pourrait donner lieu à une demande de remboursement. Cette décision a-t-elle été prise sur votre initiative ? N'intervient-elle pas trop tardivement compte tenu des révélations et des enquêtes récentes ?

M. Julien Marion. - Je ne crois pas que cette procédure intervienne trop tardivement. En effet, le préalable indispensable à l'engagement d'une telle action est d'établir la matérialité des faits : sans cela, on ne pourrait pas demander à une association dont les moyens sont limités de restituer des sommes d'un montant important.

Quand nous avons reçu une alerte sur l'association Reconstruire le commun, entre la fin du mois de mars et le début du mois d'avril - alerte qui se concrétise par des échanges que nous avons avec des journalistes de Médiapart -, conformément au souhait de la secrétaire d'État et comme pour l'USEPPM, j'ai demandé au secrétaire général du CIPDR de m'envoyer une note détaillée et circonstanciée sur les contenus à caractère politique pouvant s'éloigner de l'action financée par le fonds Marianne. Les équipes du CIPDR ont dû pour cela visionner des dizaines d'heures de production vidéo, ce qui selon moi justifie le délai. La note, qui est parvenue au cabinet dix jours plus tard, entre le 7 avril et le 10 avril, retranscrivait des propos à caractère politique. En prenant connaissance de ces éléments, j'ai constaté un écart manifeste par rapport à l'objet de la mission financée et la secrétaire d'État m'a demandé, en conséquence, de faire instruire par les services du CIPDR une procédure de restitution partielle de la subvention, conformément à ce qui était prévu dans la convention initiale.

Le deuxième rapport de l'IGA devrait établir les faits de manière aussi rigoureuse que le précédent.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Plusieurs associations nous ont indiqué qu'elles ne se considéraient pas comme « les prestataires de service du ministère de l'intérieur ». Que pensez-vous de cette formule ? Comment percevez-vous la relation que doivent entretenir le secrétariat général du CIPDR et les associations qui sont financées par le FIPD ?

M. Julien Marion. - Je m'associe à la réaction des acteurs associatifs que vous venez de citer. En effet, il ne serait pas juste de les considérer comme « les prestataires du ministère de l'intérieur ».

Cela renvoie à notre volonté de développer une politique de présence active sur les réseaux sociaux, même si l'expression de « contre-discours républicain » n'a pas forcément vos faveurs. Le constat reste que certaines personnes professent des discours hostiles à la République, à ses valeurs les plus précieuses et à ses institutions, et que leur combat se mène sur les réseaux sociaux et non plus dans les lieux de culte, s'adressant notamment aux plus jeunes de nos concitoyens. C'est donc sur ce terrain que nous devons agir pour diffuser un discours autre en utilisant les règles et les codes propres aux réseaux sociaux. Or l'administration n'a pas forcément les outils adéquats pour être suffisamment réactive et présente sur les réseaux sociaux, de sorte que nous devons nous appuyer sur des acteurs qui maîtrisent ces codes et savent s'adapter. En suivant les règles habituelles de l'administration, on peine à atteindre la cible.

Par conséquent, la puissance publique a identifié un besoin mais a fait le constat qu'elle n'était pas assez outillée pour y répondre, de sorte qu'elle a choisi de s'appuyer sur des acteurs associatifs, auxquels il revient de déterminer les modalités d'action les plus adaptées - ce n'est pas le rôle de l'administration.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Il existe deux types de convention possibles avec les associations : le gré à gré, notamment quand il s'agit d'acteurs associatifs solides, dont on connaît les pratiques, et l'appel à projet. Dans un cas comme dans l'autre, le cadre d'action est bien défini. Compte tenu de l'expérience quelque peu défaillante à laquelle nous nous intéressons, envisagez-vous de modifier le dispositif en prévoyant des conventions qui limiteraient davantage le cadre d'action des acteurs tout en leur laissant une marge de liberté ?

M. Julien Marion. - À l'évidence, il faudra tirer des enseignements de la manière dont ont été déployées les actions financées au titre du fonds Marianne. Les deux rapports de l'inspection générale de l'administration et les travaux que mène votre commission contribueront à nous éclairer.

Toutefois, je rappelle que nous parlons d'une politique publique nouvelle, qui a été créée ex nihilo, dans le contexte particulier de l'année 2020. La lucidité a posteriori est toujours confortable, mais fait rarement évoluer la situation. Nous veillerons à identifier les dysfonctionnements, mais nous devons poursuivre cette politique publique, qui est indispensable. Nous le ferons en nous armant de garde-fous, afin de faire preuve de plus de rigueur à l'avenir.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - En effet, il est toujours plus facile de refaire le match. Toutefois, si l'on se remet dans le contexte, on constate qu'il y a un fossé entre les événements qui constituent la genèse du fonds Marianne - je rappelle qu'il a été créé dans un délai raccourci pour frapper l'opinion et montrer la détermination sans faille de l'État - et le relais pris par les associations.

L'appel à projet témoignait d'un manque de rigueur certain : six personnes se sont réunies dans une sorte d'entre soi, l'appréciation des experts a été peu sollicitée et il n'y a pas eu de compte rendu pour témoigner de la manière dont les décisions ont été prises. Envisagez-vous de mettre en place des procédures plus solides juridiquement ?

M. Julien Marion. - Le rapport de l'inspection générale de l'administration, qui a été rendu public hier, met en évidence des lacunes dans le suivi administratif des dossiers. Il faudra en effet y remédier. La secrétaire d'État a très clairement manifesté son intention de le faire.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Selon vous, le cabinet ministériel doit-il être représenté dans le comité de sélection ou de validation ?

M. Julien Marion. - Cela ne me choque pas que l'autorité politique soit amenée à connaître et à valider les propositions qui sont faites par l'administration, dès lors que celles-ci concernent la politique publique que j'ai mentionnée.

M. Claude Raynal, président. - La sélection et la validation d'un projet constituent, il me semble, deux étapes différentes.

M. Julien Marion. - J'ai bien parlé de validation.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Dans les conventions d'attribution des subventions du FIPDR, prévoyez-vous d'exclure certaines pratiques ou tout au moins de garantir la conformité des actions avec les attentes du ministère ? En effet, dans le cas de certaines associations, les actions menées étaient très éloignées de l'objectif défini pour le fonds Marianne. Envisagez-vous un cadre plus rigoureux pour le dispositif tout en laissant une certaine liberté aux opérateurs qui seront sélectionnés ?

M. Julien Marion. - De ce que j'en vois, le travail d'instruction conduit par les équipes du CIPDR s'agissant de l'attribution de subventions au titre du FIPDR est mené avec rigueur. Les fonctionnaires s'attachent à vérifier la conformité des actions financées avec les objectifs fixés et le respect des règles formelles. Il peut y avoir des exceptions, mais je ne voudrais pas que ce dossier jette une ombre excessive sur la rigueur dont ils font preuve au quotidien.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Nous sommes au Parlement, pas au tribunal : c'est bien la chronologie, la matérialité des faits, d'éventuelles mauvaises décisions ou des pratiques trop souples que nous essayons d'établir.

Certaines associations subventionnées, on le voit, avaient des budgets faméliques et ont été soudainement propulsées dans des domaines qu'elles ne connaissaient pas, avec des budgets très élevés. L'une d'entre elles venait même tout juste de naître. Tout s'est fait pratiquement ex nihilo, alors que, souvent, il faut une antériorité, un budget, un conseil d'administration, etc., pour obtenir le soutien financier de collectivités locales. Envisagez-vous de tenir compte de règles en la matière, une règle d'antériorité plus précisément, ce qui permettrait d'avoir des garanties ?

M. Julien Marion. - Les règles que vous venez de rappeler en matière d'éléments à apporter en appui d'une demande de subvention - publication de comptes, instances dirigeantes, etc. - existent. Il suffit de les mettre en oeuvre.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous dites donc qu'il y a eu défaillance...

M. Julien Marion. - Je constate, à la lecture du rapport de l'IGA, que le contrôle du respect de ces critères a été insuffisant pour ce qui concerne l'USEPPM. Nous verrons ce que dira le deuxième rapport de l'IGA.

M. Claude Raynal, président. - Je suis toujours un peu étonné de voir des projets se lancer sans budget bouclé. On est sur un projet d'une certaine ampleur ; on prévoit 35 % de financement en dehors du FIPDR et on démarre à l'aveugle, avec une première subvention accordée d'un montant tout de même significatif, sans même un courrier confirmant une démarche engagée ! Ensuite, on se rend compte que l'on n'a pas le budget pour mener l'action à son terme. C'est presque écrit ! Cela a dû vous heurter aussi...

M. Julien Marion. - Je le répète, les constats du rapport de l'IGA sur le traitement du dossier de l'USEPPM sont assez sévères.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous dites que les règles de contrôle et de suivi existent, mais n'ont pas été respectées. Envisagez-vous néanmoins certaines évolutions de ces règles ? C'est une question parfaitement ouverte. On sait bien qu'il faut un équilibre en la matière et que l'on ne peut pas se retrouver à passer plus de temps à contrôler une action qu'à la mettre en oeuvre. Mais on pourrait aussi envisager d'agir différemment quand on fait le pari de la nouveauté et que l'on traite avec des associations que l'on ne connaît pas.

M. Julien Marion. - Effectivement, il faut trouver le juste équilibre entre le contrôle, qui ne doit pas être étouffant, et la nécessité d'« impulser » sans cesse des actions. C'est un équilibre précaire. Certes, il est plus facile à trouver avec des opérateurs associatifs connus, solides, assis sur une antériorité dans le travail avec l'administration, mais cela ne doit pas empêcher de trouver de nouveaux partenaires, sinon on s'enferme dans une forme de confort. Nous sommes ici dans un domaine - les réseaux sociaux - où tout bouge beaucoup, où les acteurs les plus performants ne sont pas forcément les plus visibles. C'est un défi pour l'administration.

M. Claude Raynal, président. - Vous êtes également directeur adjoint du cabinet du ministre de l'intérieur. Celui-ci vous a-t-il interrogé sur le sujet ?

M. Julien Marion. - Il a été informé par la secrétaire d'État de l'existence d'alertes dès la fin du mois de mars et le début du mois d'avril, et s'est exprimé en réponse à une question d'actualité au gouvernement à l'Assemblée nationale. Il est bien sûr informé. Je rappelle également, comme cela a été dit en introduction, que le pilotage du secrétariat général du CIPDR relève de la secrétaire d'État, qui l'opère au quotidien.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - M. Christian Gravel, en ouverture de son audition, a évoqué une « commande politique ». J'imagine, vu l'importance du sujet, qui n'est pas tout à fait mineur au regard de l'événement à l'origine de la création du fonds Marianne, qu'il y a eu des temps de validation - entre la secrétaire d'État et le ministre - et un suivi. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce circuit d'échanges et de validation ?

M. Julien Marion. - Je ne peux pas répondre à votre question sur la commande politique, car ni moi ni la secrétaire d'État n'étions en fonction à ce moment-là.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Peut-être y a-t-il des traces ?

M. Julien Marion. - Comme cela a été dit par plusieurs des personnes que vous avez auditionnées, la politique de contre-discours républicain émane d'une décision du Président de la République, dans le contexte très particulier de la fin de l'année 2020.

M. Vincent Éblé. - Je voulais vous réinterroger sur le point particulier du processus de validation de subventionnements, pour des montants non négligeables, au bénéfice d'associations tout juste créées. J'ai présidé pendant onze ans une importante collectivité locale française, qui distribuait des subventions par centaines, par milliers, pour des montants excessivement raisonnables. Parfois, ils ne dépassaient pas quelques centaines d'euros. Je n'ai jamais vu, en onze ans, une association qui ne soit pas en capacité de fournir a minima des comptes arrêtés sur un exercice. On ne subventionne jamais une association sur sa première année d'existence, cela me semble être la moindre des précautions. Ce point particulier a-t-il été méconnu ? Ou n'existe-t-il pas en tant que tel et doit-on l'intégrer dans l'arsenal législatif ou réglementaire ?

M. Marc Laménie. - Nous soutenons bien évidemment la défense des valeurs de la République. Mais ce qui peut interpeller, c'est de voir apparaître des noms d'associations que nous ne connaissons pas du tout, dès lors qu'elles n'interviennent que sur les réseaux sociaux, alors que nos territoires et départements respectifs comptent de nombreuses associations. Comment était composé le comité de sélection des dossiers ? Quel est le résultat des actions menées ?

M. Daniel Breuiller. - Vous avez évoqué la rigueur de l'instruction des équipes du CIPDR. Ce que je comprends à ce stade, c'est que des défaillances ont été constatées sur deux associations semblant avoir été orientées vers le fonds Marianne par le cabinet. Je ne vois donc que deux explications : soit il y a eu une défaillance administrative, ce qui entre en contradiction avec la rigueur mise en avant ; soit la volonté politique était telle que l'administration s'est sentie tenue d'instruire le dossier, y compris sans exercer sa rigueur habituelle. Quelle est votre analyse sur ce point ?

Par ailleurs, peut-on mettre en place en trois semaines une stratégie d'ampleur de contre-discours républicain sur des réseaux sociaux ? Un sujet aussi important, un objectif aussi ambitieux ne demandent-t-ils pas plus de temps d'analyse et de construction ?

M. Thierry Cozic. - Vous avez de l'expérience en cabinets ministériels. Existe-t-il une doctrine en matière d'attribution des subventions de l'État aux associations ? Le Premier ministre ou son secrétariat donnent-t-il des instructions précises aux ministères ? Des documents types sont-ils prévus ? Des contrôles ? Si une telle doctrine n'existait pas, ce genre d'affaires ne rendrait-il pas pertinente l'élaboration de recommandations pour avancer en ce sens ?

M. Julien Marion. - Je ne peux pas commenter les circonstances dans lesquelles les lauréats ont été choisis en avril 2021, n'étant pas en fonction à l'époque. Au-delà de la question particulière de cet appel à projets, des règles juridiques régissent l'octroi de subventions publiques ; leur respect ne se discute pas.

Je suis également au regret de ne pas pouvoir répondre au sénateur Marc Laménie. Sa question sur la composition du comité de sélection porte sur des faits bien antérieurs à ma prise de fonctions. Elle me semble néanmoins avoir été évoquée lors d'auditions précédentes.

Je suis tenu, pour les mêmes raisons, de faire la même réponse à la question concernant les deux associations les plus importantes.

S'agissant des capacités à construire une stratégie de contre-discours républicain en trois semaines, il me semble important de préciser que la stratégie en la matière, telle que voulue par le Président de la République, ne se résume pas au seul fonds Marianne. Elle porte sur d'autres actions, qui s'inscrivent dans la durée.

Existe-t-il une doctrine dans l'attribution des subventions ? Il existe des règles juridiques et des impulsions politiques, données par les membres du Gouvernement. Je rappelle tout de même une évidence : l'écrasante majorité des subventions accordées dans notre pays le sont par des acteurs locaux, et c'est heureux ! L'attribution de subventions au niveau central est l'exception. Le respect des règles vaut bien évidemment pour tous les échelons, mais l'évidence, c'est bien que l'octroi de subventions obéit d'abord à des réalités locales.

M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie.

La réunion est close à 18 heures.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.