Mardi 6 juin 2023
- Présidence de Mme Laurence Harribey, vice-présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Audition de MM. Philippe Bouyoux, président, et Jean-Patrick Sales, vice-président pour le médicament, du Comité économique des produits de santé
Mme Laurence Harribey, présidente. - Nous poursuivons aujourd'hui les travaux de notre commission d'enquête sur la pénurie de médicaments et les choix de l'industrie pharmaceutique française en auditionnant à nouveau M. Philippe Bouyoux, président du Comité économique des produits de santé (CEPS), et M. Jean-Patrick Sales, vice-président chargé du médicament.
Votre première audition par la commission d'enquête, Messieurs, nous avait permis d'aborder de nombreux sujets relatifs à la fixation du prix et, plus largement, à la régulation des dépenses de médicaments.
Les industriels que nous avons auditionnés ayant mis en avant l'incidence du prix du médicament et, plus largement, de la rentabilité de certaines spécialités sur les difficultés d'approvisionnement constatées, nous avons souhaité vous réentendre aujourd'hui pour approfondir certaines des questions que nous avions abordées.
Dans le contexte d'inflation que nous connaissons, et alors que le Gouvernement a annoncé un « moratoire sur les baisses de prix », nous souhaiterions d'abord que cette audition permette d'approfondir la question du prix des médicaments matures et, surtout, de sa rigidité.
Auditionnée par notre commission d'enquête, l'organisation professionnelle des entreprises du médicament opérant en France, le Leem, a affirmé que l'article 28 de l'accord-cadre, permettant au CEPS d'accorder des hausses de prix lorsqu'il existe un risque important pesant sur la production ou la commercialisation d'un médicament, était « extrêmement peu » utilisé. Nous souhaitons que vous puissiez nous indiquer ce qu'il en est.
Par ailleurs, et alors qu'un nouveau critère de fixation du prix, tenant à la sécurité d'approvisionnement du marché français que garantit l'implantation des sites de production, a été ajouté par le législateur, nous souhaiterions que vous puissiez nous préciser dans quelle mesure les médicaments matures, d'ores et déjà inscrits au remboursement, peuvent en bénéficier. C'est une question qui m'a été posée lorsque j'ai visité l'unité de production d'Upsa à Agen.
Enfin, le produit de la clause de sauvegarde pour 2021 et 2022, récemment révélé, s'avère très supérieur aux années précédentes. De nombreux industriels que nous avons auditionnés ont souligné les difficultés soulevées par ce dispositif. Celui-ci ne tient compte ni de l'intérêt thérapeutique des médicaments qu'il frappe ni de leur criticité industrielle. Vous nous direz comment vous appréhendez la place prise par la clause de sauvegarde dans la régulation du médicament, et s'il faut rechercher un moyen d'en exonérer les médicaments les plus indispensables à la prise en charge des patients.
Sur l'ensemble de ces sujets cruciaux, je vais vous céder la parole pour un bref propos introductif. Puis Mme Laurence Cohen, rapporteure de notre commission d'enquête, vous posera une première série de questions.
Je précise que cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié.
Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à activer votre micro et prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Philippe Bouyoux et Jean-Patrick Sales prêtent serment.
M. Philippe Bouyoux, président, et Jean-Patrick Sales, vice-président pour le médicament, du Comité économique des produits de santé. - Nous avions déjà été auditionnés par votre commission il y a trois mois. Depuis, vous avez procédé à d'autres auditions, qui ont suscité d'autres interrogations. Il est donc tout à fait naturel de revenir devant vous à ce stade de vos travaux. Nous nous efforcerons évidemment de vous apporter toutes les informations utiles.
Vous avez évoqué trois sujets. Les deux premiers, relatifs à l'application de l'article 28 de l'accord-cadre de 2021 entre le CEPS et le Leem sur les hausses de prix, d'une part, et de l'article 65 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2022, qui autorise un différentiel de prix au titre de la sécurité d'approvisionnement que garantit la localisation des sites de production, d'autre part, sont de notre ressort. En revanche nous ne sommes pas directement compétents en ce qui concerne la clause de sauvegarde.
L'article 28 de l'accord-cadre permet au CEPS, à la demande d'une entreprise, de procéder à des hausses de prix.
Il y a eu plusieurs phases dans sa mise en oeuvre. Je serai quelque peu imprécis sur la datation, car, en fait, nous avons commencé à appliquer cet article un peu avant la signature de l'accord. Nous étions en effet parvenus à une entente sur ce point avec le Leem, avant sa signature formelle. Nous avons donc pu procéder, un peu avant ou un peu après la signature de cet accord-cadre, à des hausses de prix dont l'impact était significatif, car elles concernaient des classes thérapeutiques entières. L'article 28 vise des hausses de prix au cas par cas, il n'a pas une portée macroéconomique : son objet n'est pas de permettre des hausses de prix globales pour répondre à l'inflation. Il est toutefois précisé que le CEPS peut procéder à une hausse de prix pour tout ou partie d'une classe thérapeutique si plusieurs produits sont confrontés au même choc de coût. C'est ce que nous avons fait pour les immunoglobulines, à cause des tensions mondiales sur l'offre, pour les héparines à bas poids moléculaire (HBPM), en raison de la hausse des prix des produits dérivés du porc consécutive à l'épidémie de fièvre porcine africaine en Chine, et enfin pour les vaccins antigrippaux.
La procédure est la suivante : lorsqu'un laboratoire est confronté à des difficultés qui lui font envisager le retrait d'un produit du marché, il nous informe et dépose un dossier de demande de hausse de prix - en 2021, nous avons ainsi reçu une quinzaine de demandes. Nous examinons alors la situation, pour apprécier l'état du marché, le risque en cas de retrait du produit. On regarde notamment s'il existe des produits concurrents, des « comparateurs » : si un produit est unique, son retrait peut entraîner des risques ou une perte de chance pour les patients ; inversement, si des produits comparables existent, le risque sera moindre. On demande une documentation précise à l'entreprise pour qu'elle explique pourquoi la commercialisation du produit en France risque de ne plus être possible. On adresse à l'entreprise un template, une fiche de renseignements, pour détailler le choc de coût subi. Il s'agit en général d'un choc de coût.
Au début, nous avions une lecture stricte de l'article. Si des produits comparables existaient et que les entreprises qui les fabriquaient ne nous avaient pas sollicités, on estimait que le marché pouvait absorber un retrait éventuel du marché. Ensuite, on déterminait la hausse de prix que nous pouvions accorder : on demandait quel était le poste de coût qui avait augmenté ; on analysait en particulier le coût des matières premières et, éventuellement, d'autres coûts. Ainsi, on déterminait d'abord l'éligibilité, en fonction de l'existence ou non de produits comparables, avant de déterminer le surcoût, notamment des matières premières. La hausse de prix que nous accordions visait simplement à compenser l'impact du choc de coût. C'était une lecture simple de l'article, mais assez stricte. Nous avions cependant indiqué publiquement que, outre le surcoût des matières premières, nous pouvions aussi tenir compte du surcoût associé à une relocalisation.
Telle était la lecture stricte de l'accord. Toutefois, dès le début, nous avions introduit une clause à l'alinéa 5 pour pouvoir traiter de manière plus fine certaines situations. Cet alinéa prévoit que le CEPS peut prononcer une hausse de prix, même en présence de comparateurs, « pour un motif de santé publique ». Cette notion n'est pas précisée et demeure soumise à l'appréciation du comité : concrètement, dans ce cas, nous passons d'abord la parole en premier aux représentants de la direction générale de la santé, qui sont les plus à même d'apprécier les besoins et l'intérêt pour les patients de ces soins. Cet alinéa 5 permet d'augmenter les prix de toute une classe thérapeutique, et nous nous sommes appuyés sur lui pour augmenter le prix des immunoglobulines et des vaccins antigrippaux, ainsi que pour accorder plusieurs hausses en 2021 et 2022.
Puis le contexte macroéconomique a changé. L'inflation a entraîné la hausse d'un certain nombre de coûts. Les entreprises se sont alors tournées vers nous ; mais l'inflation est un phénomène macroéconomique et l'article 28 ne vise qu'à traiter des situations d'ordre microéconomique au cas par cas. Il fallait lever l'ambiguïté : c'est ce que nous avons fait et cet article ne sert qu'à traiter des situations microéconomiques.
L'application de cet article a suscité des frustrations, voire des critiques, de la part des entreprises : d'une part, parce que certaines demandes étaient déclarées inéligibles et, d'autre part, parce que les hausses de prix que nous accordions étaient inférieures à celles réclamées. Il fallait donc clarifier l'usage de cet article.
Les ministres ont alors annoncé publiquement des orientations en février pour demander formellement au CEPS de faire preuve de plus de flexibilité dans la mise en oeuvre de l'accord, notamment en faisant jouer l'alinéa 5 de l'article 28, qui permet de mettre en avant un motif de santé publique. Depuis, nous appliquons l'article avec plus de flexibilité pour déterminer l'éligibilité et en prenant en compte un ensemble plus large de coûts, c'est-à-dire tous les coûts liés à la production, sous réserve qu'ils soient bien documentés. Le nombre de demandes a fortement augmenté. Les frustrations perdurent, mais notre application de l'article est plus volontariste.
Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Je note que nos auditions sont suivies d'effet puisqu'on observe que l'alinéa 5 de l'article 28 est appliqué avec plus de flexibilité depuis votre précédente audition !
Votre mission est complexe et le personnel du comité n'est pas très nombreux. Quel temps faut-il au CEPS pour apprécier si un produit est éligible ou non au dispositif prévu par l'article 28 ? L'examen des demandes doit être à la fois minutieux et rapide, car il s'agit d'éviter la disparition d'un médicament. Je note d'ailleurs que vous avez indiqué que vous étiez sensible à ce dernier point : une des personnes que nous avons auditionnées s'était montrée sceptique sur ce point.
Les entreprises semblent faire peu de demandes sur la base de cet article : est-il bien connu ? Le dispositif est-il trop complexe ?
Que pensez-vous de l'introduction d'un nouveau critère relatif à la forme galénique du médicament dans cet article ?
M. Philippe Bouyoux - Le temps qu'il nous faut pour évaluer une demande est variable. Si le dossier est bien documenté, avec une indication précise de l'évolution des postes de coûts durant les dernières années, nous pouvons aller vite. Il arrive qu'une entreprise tarde à nous fournir ces informations, faute de disposer du personnel nécessaire pour répondre à nos demandes. Mais le CEPS ne peut accorder une hausse des prix s'il ne dispose pas de toutes les informations nécessaires... Nous n'avons pas d'autre choix, nous attendons que l'entreprise nous donne l'information.
Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Il y a donc une discrimination entre les grands laboratoires, qui ont les moyens de vous fournir cette information très vite, et les PME, qui ne les ont pas.
Mme Laurence Harribey, présidente. - C'est d'autant plus regrettable que les médicaments matures sont le plus souvent exploités par des PME.
M. Philippe Bouyoux. - Nous avons conscience de ce problème. Quand certains laboratoires sont capables de déposer simultanément des dizaines de dossiers, de petites entreprises ne déposent pas plus de deux dossiers, en demandant du temps pour les documenter. Mais - j'imagine que l'on vous a communiqué nos documents - les questions que nous posons sont très classiques. Nous cherchons, par exemple, à savoir sur quels postes de coûts l'entreprise a subi un choc et, à cela, la plupart des entreprises répondent.
Là où nous rencontrons des difficultés, c'est que de nombreux acteurs nous demandent en réalité autre chose, comme de les aider à surmonter une érosion de leur marge sur plusieurs décennies, due à de multiples facteurs, ou encore de leur permettre de rétablir un niveau de profitabilité en compensant le surcoût lié à l'application de la clause de sauvegarde pour les médicaments génériques - autrement dit, les conséquences d'une décision politique. Or l'article 28 n'a pas été écrit pour cela. Nous avons donc conscience de susciter certaines frustrations, mais nous ne donnons pas satisfaction à de telles demandes.
Dans certains cas, les entreprises nous disent aussi avoir du mal à documenter la hausse de coûts, mais nous préviennent que, de toute façon, la compensation de cette hausse ne suffira pas. Traiter ce type de revendications est évidemment complexe.
Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Combien d'entreprises ont eu recours à vous ?
M. Philippe Bouyoux. - Je ne sais pas répondre en nombre d'entreprises. Mais je peux vous dire que nous avons enregistré 45 dossiers depuis le mois de février, alors que nous avions comptabilisé 15 ou 17 demandes l'année dernière. Nous avons encore une douzaine de dossiers en cours d'examen - nous avons notamment le temps d'échange avec les entreprises pour préciser les demandes ; une vingtaine d'entre eux ont été déclarés non éligibles et dix à douze éligibles.
Mme Corinne Imbert. - Que représentent, en volume et en dépense pour l'assurance maladie, les augmentations de prix accordées en 2021 ? Plus largement, quelle influence est la vôtre, quelles sont vos relations avec le ministère et la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) au moment de l'élaboration du PLFSS ? On demande de continuels efforts de prix sur les dispositifs médicaux ou sur les médicaments au secteur du médicament... Alertez-vous, à un moment ou à un autre, sur le fait que cela n'est plus tenable ? Y a-t-il une enveloppe financière maximale établie pour l'activation de l'article 28 ?
M. Jean-Patrick Sales, vice-président pour le médicament du Comité économique des produits de santé. - Les montants accordés au titre de 2021 ne dépassent pas quelques millions d'euros. L'augmentation liée aux immunoglobulines représente 120 millions d'euros et celle qui est liée aux vaccins antigrippaux doit atteindre, pour une campagne, une quarantaine de millions d'euros.
M. Philippe Bouyoux. - Nous sommes sur des montants beaucoup plus modestes pour les 45 dossiers étudiés depuis février. Par ailleurs, nous ne sommes pas tenus par une enveloppe maximale pour ces hausses.
Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Venons-en à la clause de sauvegarde. À plusieurs reprises au cours des auditions, il nous a été dit que ce mécanisme était complexe et qu'il ne permettait pas de prévoir à l'avance combien il faudrait débourser. Par ailleurs, là encore, aucune différence n'est faite entre les entreprises, PME ou grands laboratoires étant traités à l'identique alors qu'ils n'ont pas les mêmes moyens. Peut-être faut-il réfléchir sur ce point...
Notre rapport dressera un constat, mais avancera aussi des recommandations pour essayer d'améliorer le système et limiter les pénuries, d'où un certain nombre de questions que je souhaite vous poser. Face à certaines « menaces » d'arrêts de production de médicaments matures du fait de la faiblesse des prix, peut-on envisager une révision de la tarification pour les médicaments essentiels chaque fois que le prix de vente est inférieur au prix de revient industriel ? Plus radicalement, peut-on envisager d'exclure les médicaments matures de la clause de sauvegarde, ceux-ci, si je ne m'abuse, n'ayant pas été initialement inclus dans le mécanisme ?
M. Philippe Bouyoux. - Le CEPS n'est pas directement à la manoeuvre sur la clause de sauvegarde, et l'on peut remarquer que vos questions conduisent très vite à deux sujets principaux : la régulation globale et la clause de sauvegarde. La logique du système est celle d'une régulation par baisses de prix, avec application éventuelle de la clause de sauvegarde : celle-ci n'intervient donc que si, pour une raison ou une autre, les baisses de prix ont été insuffisantes pour permettre un retour à la trajectoire fixée.
Pour le coup, c'est bien le CEPS qui est en charge des baisses de prix, une démarche qu'il conduit au cas par cas. Nous sommes donc en situation de faire des choix sur les baisses de prix que nous demandons aux entreprises. Mais nous sommes confrontés, depuis quelques années, à des déclenchements de la clause de sauvegarde en dehors de toute hypothèse de baisses de prix insuffisantes, et ce dans des proportions de plus en plus importantes et, toujours, avec la dimension imprévisible de cette clause. Cette imprévisibilité, je le rappelle, est liée au fait que les données nécessaires pour déclencher le mécanisme ne sont décidées que tardivement. Tout le monde le reconnaît, c'est un problème pour les entreprises.
Il faut donc distinguer ces deux leviers et les logiques qui les sous-tendent : les baisses de prix, que nous décidons au cas par cas, et la clause de sauvegarde, qui relève de l'application de règles.
S'agissant de notre intervention dans les arbitrages du PLFSS, nous ne sommes pas en charge du calcul de ce que l'on appelle le « tendanciel », ni impliqués dans la discussion sur la trajectoire cible. Ces données, qui sont toutes prises en compte dans l'exercice de régulation, nous viennent du Parlement, à l'issue de la discussion du PLFSS.
Comment sommes-nous sollicités ? En juillet, en amont des arbitrages, nous commençons à travailler sur le plan de baisses de prix - nous savons qu'il y aura toujours des baisses de prix et il me semble normal qu'une fois un produit mis sur le marché, son prix puisse évoluer. Nous essayons, pour cela, d'identifier les classes thérapeutiques qui pourraient être concernées, en prenant en compte des critères légaux, notamment l'ancienneté, les baisses opérées l'année précédente ou l'évolution de la dépense dans un secteur donné. Nous communiquons alors la liste des classes identifiées au Leem et aux entreprises et, dès le mois d'août, entamons des échanges avec elles sur les pourcentages de baisse envisagés.
Simultanément, des discussions ont lieu au niveau interministériel. En général, on nous demande dans ce cadre un avis sur ce qui paraît faisable, au regard de l'ordre de grandeur établi en matière de baisses de prix et de l'exercice bottom-up - classe par classe et produit par produit - que nous sommes en train d'effectuer.
Mais, je le répète, depuis un an ou deux, nous sommes en difficulté, car l'annonce d'un montant de 800 millions d'euros atteignable par la voie conventionnelle - c'est un simple exemple - n'a pas la même portée si ce montant correspond à la régulation globale ou s'il faut s'attendre, derrière, à l'application d'une clause de sauvegarde. L'existence de ce risque affaiblit la motivation des entreprises à négocier avec nous.
Par ailleurs, dans l'exercice que nous faisons en matière de baisses de prix, suivant les instructions et orientations politiques qui nous sont données, nous pouvons décider d'épargner une classe donnée de produits.
Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Vous indiquez que l'ancienneté du médicament est un critère. Cela nous interroge, car, pour nous, c'est le service médical rendu qui est pertinent, indépendamment de l'ancienneté. Pourquoi un médicament efficace devrait-il subir une baisse de prix au titre, justement, de ce critère d'ancienneté ? La direction générale de la santé (DGS) intervient-elle dans le processus, par exemple pour vous signifier un enjeu de santé publique ?
M. Philippe Bouyoux. - La DGS siège au sein du comité, elle y exprime ses priorités en matière de santé publique et, en général, nous l'écoutons.
S'agissant des critères pris en compte, l'article L162-16-4 du code de la sécurité sociale définit les critères légaux de fixation du prix, puis de baisse du prix. Le premier des sept critères établis est « l'ancienneté de l'inscription de la spécialité concernée ou des médicaments à même visée thérapeutique sur la liste [...] ».
Mme Laurence Harribey, présidente. - Le raisonnement est donc de supposer que l'ancienneté du médicament permet de faire des économies d'échelle ou implique, de fait, un amortissement. Peut-être le modèle économique que l'on prend comme point de départ est-il problématique...
Mme Corinne Imbert. - Je souhaiterais une précision : pour les baisses de prix, travaillez-vous au cas par cas ou classe thérapeutique par classe thérapeutique ?
M. Philippe Bouyoux. - Lors de la construction du plan de baisses de prix, nous commençons par identifier les classes thérapeutiques que nous allons viser cette année-là. Puis nous entrons dans le détail et discutons entreprise par entreprise.
Mme Corinne Imbert. - Vous avez dit qu'il y aurait toujours un plan de baisses de prix. Cette affirmation est-elle immuable ? N'est-on pas en train d'entretenir les phénomènes de pénurie ? Cela explique mes questions, notamment sur vos échanges avec le ministère ou la Cnam. Le CEPS est l'expert en termes de prix et le prix est au coeur du sujet : faites-vous remonter la nécessité d'une pause dans les efforts demandés au secteur du médicament ?
Enfin, on a vu par le passé des déremboursements au cas par cas, mais aussi par classe thérapeutique. On en observe moins aujourd'hui. Qu'en est-il de la politique de déremboursement des médicaments ?
M. Philippe Bouyoux. - S'agissant de l'ancienneté, nous appliquons la loi et celle-ci dispose, non pas que le prix de vente « doit » être baissé, mais qu'il « peut » l'être, dès lors que certains critères sont remplis. C'est pourquoi, je vous l'ai indiqué, nous pouvons faire preuve de discernement lors des discussions avec les entreprises, lesquels peuvent arguer, par exemple, de problèmes de non-viabilité ou d'une part trop importante de leur portefeuille affectée par nos choix en termes de classes thérapeutiques. À nouveau, nous travaillons au cas par cas.
Cela étant, le premier critère qui nous est donné est bien celui de l'ancienneté. Mais cela signifie simplement qu'il y a une régulation, que l'État ne fixe pas un prix pour toujours : on peut procéder à des hausses de prix ; on doit pouvoir procéder à des baisses. Je rappelle que, sur un marché qui n'est pas administré, l'arrivée de nouveaux concurrents a de très fortes chances de perturber le modèle existant et d'entraîner une évolution à la baisse des prix. C'est ainsi que les choses se passent ! Nous comprenons donc qu'il faille préserver des marges sur les produits anciens, mais cela ne remet pas en cause une régulation prenant en compte un critère d'ancienneté.
Votre priorité est la lutte contre les pénuries et le soutien de certains produits ou classes thérapeutiques au titre des politiques de santé publique. J'y insiste, si des priorités gouvernementales sont exprimées, nous pouvons clairement en tenir compte dans la conception de nos plans de baisses de prix et il n'est pas interdit de les prendre également en considération au niveau de la clause de sauvegarde. Comme le montre le débat actuel sur l'intégration, ou pas, des produits génériques dans cette clause de sauvegarde, les évolutions peuvent passer tout autant par ce biais que par les discussions conventionnelles à l'occasion des comités de suivi des génériques. Plusieurs modalités sont envisageables.
Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Certes, si l'entreprise a déjà engrangé des marges importantes sur un médicament ancien, il peut paraître normal, tel que le marché est conçu, de voir le prix baisser. Mais le médicament, pour moi, n'est pas une marchandise et il faut tout de même prendre en compte le service médical rendu au titre des préoccupations de santé publique. Comme l'indique ma collègue Corinne Imbert, nous sommes pris en étau, avec une enveloppe fermée de l'Ondam et la clause de sauvegarde. Celle-ci est importante, mais ne faut-il pas l'aménager ? Ne faut-il pas en exclure les médicaments matures ?
M. Philippe Bouyoux. - Je ne connais pas l'historique de la clause de sauvegarde ni la définition d'un produit mature. C'est pourquoi j'emploie le terme « ancienneté ».
Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Je repose donc ma question : ne faut-il pas exclure les médicaments génériques ?
M. Philippe Bouyoux. - Les baisses que nous prononçons sur les produits génériques sont décidées dans un cadre conventionnel, en lien avec les règles établies dans l'accord-cadre. Le récent moratoire et les hausses ciblées annoncées sont liés au choix des représentants des entreprises de boycotter ces discussions, ce qu'ils ont dû, j'imagine, revendiquer devant votre commission. Je regrette ce boycott. Notre cadre conventionnel fonctionne et je souhaite que nous puissions reprendre nos travaux à l'avenir. J'ai d'ailleurs été frappé par des propos que j'ai jugés excessifs, en tout cas tels qu'ils ont été reportés par une agence de presse : nous travaillons dans une véritable logique de négociations, avec un point d'entrée et un point de sortie ; il semble qu'un représentant de l'association Générique même médicament (Gemme) ait utilisé des mots très durs à notre égard, au cours d'une audition que vous avez conduite, en faisant mine de considérer que ce que nous avions mis sur la table comme point d'entrée était un point de sortie que nous cherchions à imposer. Les choses ne fonctionnent pas ainsi : notre but est de négocier !
Le retrait des produits génériques de la clause de sauvegarde relève d'un choix politique. Le CEPS ne fait que prendre en considération les objectifs fixés et trouver des solutions en agissant sur une assiette de produits : si celle-ci se réduit, l'exercice se complexifiera, car il faudra envisager une plus forte sollicitation des produits concernés.
Mme Corinne Imbert. - Les règles de majoration de prix fixées dans le cadre de l'article 65 de la LFSS pour 2022 pour les médicaments produits en Europe ou sur le territoire national ne concernent que les nouveaux médicaments. Envisagez-vous une application sur des médicaments anciens ? Si oui, dans quel délai ?
M. Philippe Bouyoux. - Aucune distinction n'est établie dans la loi, mais il y en a une dans le mode opératoire qui a été retenu après de longues discussions au sein du comité : l'article 65 est appliqué sur des produits en primo-inscription ; nous n'avons pas d'équivalent sur des produits déjà existants, que ce soit pour prononcer des hausses de prix ou ne pas prononcer de baisses dans le cadre d'un plan de baisses de prix.
Comment procédons-nous ? Pour les produits existants, l'article 28 de l'accord-cadre fournit une base opérationnelle lorsque l'entreprise qui les produit fait état d'un risque important qui menace la sécurité de l'approvisionnement - l'expression « capacités d'approvisionnement » figure d'ailleurs dans cet article, tandis que l'article 65 de la LFSS pour 2022 mentionne la « sécurité de l'approvisionnement ». La hausse de prix à laquelle il sera possible de procéder en application de l'article 28 ne sera pas forcément celle de 15 % permise par l'article 65 de la LFSS : elle dépend de la hausse des coûts. C'est pourquoi je ne sais pas quel article est le plus avantageux. Quand nous instruisons les demandes en application de l'article 65, nous tenons compte de la « sécurité d'approvisionnement du marché français que garantit l'implantation des sites de production ». Le comité apprécie d'abord s'il y a un enjeu de sécurité d'approvisionnement, si le médicament est essentiel, puis on procède à une analyse - largement conduite par la direction générale des entreprises - de la chaîne de valeur, pour identifier où le principe actif est produit, où le médicament est fabriqué et où il est conditionné. Dans ce cadre, les hausses qui peuvent être octroyées peuvent aller jusqu'à 15 % : si le principe actif est fabriqué en Chine, que le médicament est produit au Maroc et que le conditionnement a lieu en France, la hausse de prix ne sera pas de 15 %. Nous avons une grille de calcul. Selon les cas, le mode de calcul de l'article 28 peut donc se révéler plus avantageux pour l'entreprise que celui de l'article 65, et inversement. Tout dépend des cas. Dans le cadre de l'article 28, on demande aux entreprises de documenter la hausse des coûts, car si ceux-ci n'augmentent pas, l'urgence est peut-être moindre.
- Présidence de Mme Annick Jacquemet, vice-présidente -
Mme Corinne Imbert. - Ce n'est pas l'esprit de l'article 65 de la LFSS, qui vise à éviter les ruptures d'approvisionnement, à faciliter la relocalisation de la production, etc. La loi ne fait pas de distinction entre les médicaments nouveaux et anciens. Vous n'avez conçu votre doctrine d'application de la loi que pour les médicaments nouveaux : pour les anciens, il ne reste que l'article 28 de l'accord-cadre. Il y a donc une inégalité de traitement entre les deux catégories.
Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Il y a une contradiction en effet. On milite tous pour la relocalisation, mais les entreprises qui relocalisent ne bénéficient pas d'un traitement plus favorable.
M. Philippe Bouyoux. - Si. L'article 28 de l'accord-cadre vise avant tout à prévenir les ruptures d'approvisionnement. L'article 65 de la LFSS prévoit qu'il est tenu compte de « la sécurité d'approvisionnement du marché français que garantit l'implantation des sites de production ». Dès lors, si une entreprise nous sollicite au titre de l'article 28 en invoquant la sécurité d'approvisionnement et en mettant en avant sa chaîne de valeur, avec une production ou une relocalisation en France, nous prenons cette dimension en compte. Dès le début, avant la rédaction de l'article 65 de la LFSS et alors même que ce n'était pas inscrit explicitement à l'article 28, nous avons communiqué sur le fait que les coûts de relocalisation pouvaient être prise en compte. La lettre d'orientation du Gouvernement au CEPS de 2021 nous demandait en effet d'avoir à l'esprit l'enjeu de la sécurité d'approvisionnement dans chacune de nos décisions. Il existe sans doute un besoin de clarification sur la manière dont nous pouvons mobiliser l'article 65 pour des produits existants. Nous devons travailler sur cette question. Les membres du CEPS, notamment la direction générale des entreprises, ont ce sujet en tête et réfléchissent à la façon de l'écrire dans la doctrine du CEPS.
Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Je voudrais vous interroger sur le pilotage de la politique du médicament. Nous avons eu le sentiment, lors de nos auditions, qu'il était un petit peu confus. Ne serait-il pas pertinent de créer un secrétariat général dédié au médicament pour animer cette politique de manière centralisée, sous l'égide du Premier ministre ou du ministre de la santé ? Beaucoup d'acteurs interviennent dans le secteur du médicament et on a parfois l'impression que les décisions tardent...
M. Philippe Bouyoux. - Vous me demandez de m'élever au-dessus de ma condition. Je n'ai pas la légitimité pour répondre à cette question. Oui, il y a beaucoup d'acteurs, mais nous devons tenir compte de nombreuses dimensions. Les injonctions sont contradictoires : la politique du médicament doit garantir à la fois l'accès des patients aux soins dans les meilleures conditions, la pérennité des produits matures, la juste reconnaissance de l'innovation, tout en tenant compte de la dimension industrielle et en respectant le cadre budgétaire fixé par l'Ondam ! Autant d'objectifs différents qui réclament des niveaux d'expertise différents.
Le comité n'a pas l'expertise scientifique, qui est le champ de la Haute Autorité de santé, mais il est capable de s'exprimer sur différents registres, comprenant en son sein des représentants de la direction générale de la santé, de la direction générale des entreprises, de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, de la direction de la sécurité sociale, etc. Nous couvrons donc un champ très large et, si des progrès sont possibles, rassembler autant de dimensions dans le cadre d'un système complexe, avec des enjeux importants et portant sur des registres très différents, est un exercice délicat. À nouveau, je n'ai pas de recommandation à formuler sur la gouvernance.
Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Je vous remercie.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 10 h 50.
Mercredi 7 juin 2023
- Présidence de Mme Laurence Harribey, vice-présidente -
La réunion est ouverte à 13 h 40.
Audition de membres de la mission sur la régulation et le financement des produits de santé
Mme Laurence Harribey, présidente. - Mes chers collègues, nous poursuivons aujourd'hui les travaux de notre commission d'enquête sur la pénurie de médicaments et les choix de l'industrie pharmaceutique française en auditionnant des représentants de la mission interministérielle « sur les mécanismes de régulation et de financement des produits de santé », dont l'installation fut annoncée par la Première ministre Élisabeth Borne le 25 janvier 2023, soit quelques jours avant la constitution de notre propre commission d'enquête, le 1er février.
Les calendriers de nos travaux respectifs coïncident donc presque exactement : alors que vous devez rendre votre rapport à la fin du mois de juillet, quelques semaines après le nôtre, il était naturel que nous vous entendions, d'autant que vous étiez chargés de formuler des « premières pistes » « sous trois mois », donc fin avril.
La question de la régulation économique du médicament est apparue, au fil des nombreuses auditions que nous avons conduites ces derniers mois, comme un volet essentiel de toute réflexion sur les voies et moyens d'une lutte efficace et victorieuse contre les tensions d'approvisionnement et les pénuries, phénomène devenu endémique dans notre pays depuis près d'une décennie.
Installée alors que la « feuille de route 2019-2022 » avait vécu, sa mise en oeuvre ayant été ralentie, pour ne pas dire compromise, par la crise sanitaire de la covid-19, votre mission a précisément pour tâche de faire ce que la feuille de route ne faisait pas, à savoir s'attaquer aux racines du problème de l'indisponibilité chronique, en France, de certains médicaments essentiels : si, en effet, les grands axes de la feuille de route étaient exclusivement d'ordre organisationnel et informationnel, il s'agit désormais non plus simplement de gérer les pénuries lorsqu'elles surviennent, mais, en amont, d'en prévenir purement et simplement l'apparition.
À cette fin, vous avez été explicitement chargés de travailler aux modalités concrètes d'activation de ces leviers de nature économique et industrielle que sont la relocalisation de la production des médicaments les plus critiques, le renforcement de notre tissu productif, la reconquête de notre souveraineté sanitaire. Vous avez été chargés de réfléchir, corrélativement, à une éventuelle refonte de la politique de prix administrés qui fait la spécificité du médicament, ce bien proprement hors du commun. Sa tarification fait en effet, depuis longtemps l'objet de vifs débats, qu'il s'agisse de déplorer le prix exorbitant de certains produits innovants ou de critiquer les effets délétères des économies demandées aux exploitants de spécialités qui, bien qu'anciennes, restent essentielles dans l'arsenal thérapeutique de nos médecins.
Sur toutes ces questions, nous souhaitons recueillir vos premières conclusions et les confronter aux pistes que nous ont permis de dégager, de notre côté, quatre mois d'enquête durant lesquels nous avons tâché d'oeuvrer à un décloisonnement de la réflexion et des politiques publiques du médicament, trop souvent menées en silos.
Nous recevons donc cet après-midi deux des six personnalités auxquelles la Première ministre a confié cette mission :
- Mme Magali Léo, désignée en tant que « responsable du plaidoyer au sein d'une association de patients », en l'occurrence des patients atteints de maladies rénales chroniques, l'association Renaloo, dont nous avons par ailleurs auditionné la fondatrice et présidente le 1er mars dernier : vous êtes également membre du comité d'information sur les produits de santé de l'ANSM et du conseil de la CNAM, mais aussi, quoiqu'en réserve durant le temps de la mission, membre du board de Nextep, cabinet de conseil en affaires publiques spécialisé dans le domaine de la santé ;
- M. Frédéric Collet, désigné en tant qu'« ambassadeur France 2030 » : vous avez surtout été, de 2017 à 2022, président de Novartis France et, de mars 2019 à juin 2022, président du Leem, l'organisation professionnelle représentative des entreprises pharmaceutiques opérant en France que nous avons auditionnée.
Je vous remercie, madame, monsieur, de vous être mobilisés. Il importait évidemment que je précise « d'où » exactement vous parlez, des critiques s'étant régulièrement exprimées, depuis l'installation de la mission, sur sa composition et, notamment, sur l'absence en son sein de représentants des professionnels de santé.
Je vais donc vous céder la parole pour un bref propos introductif. Mme Laurence Cohen, rapporteure de notre commission d'enquête, vous posera ensuite une première série de questions.
Je précise que cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié.
Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal. Je précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».
Mme Léo et M. Collet prêtent serment.
Mme Magali Léo, responsable du plaidoyer au sein d'une association de patients. - Je vous remercie de cette audition et ce temps de partage sur les travaux à date de la mission. Je commencerai par un propos introductif autour du cadre très large de la mission. La lettre de mission qui nous a été adressée comporte une série de volets qui portent sur des sujets variés, mais tous liés, autour de l'accès aux médicaments et aux dispositifs médicaux : la mission porte à la fois sur la régulation et le financement des médicaments et des dispositifs médicaux et est à l'initiative de la Première ministre. Nous avons reçu cette lettre de mission en janvier 2023. Les pénuries sont un thème, mais ne sont pas l'objet exclusif de notre mission.
Nos travaux interviennent dans un contexte critique, marqué par de fortes contraintes sanitaires, sociales, environnementales et géopolitiques. Dans ce champ de contraintes, nous devons formuler des propositions cohérentes, s'appuyant sur un bilan et un diagnostic partagé, étayés par des données, qui requièrent un important travail de suivi et d'analyse, afin d'assurer d'une part les conditions d'accès aux soins et d'autre part l'attractivité et l'autonomie industrielles de notre pays, ainsi que la comptabilité budgétaire de ces mesures, dans le contexte perturbé par la crise sanitaire.
À la demande de la Première ministre, nous travaillons sur un bilan général de la situation, en particulier sur l'impact des leviers de régulation. Nous formulerons des propositions sur l'évolution de ces dispositifs de régulation en abordant notamment les questions de la contribution à l'efficience des soins des solutions innovantes, de leur tarification, de la juste prescription et de la pertinence des soins.
Nous envisageons également de faire le point sur la gouvernance, avec notamment la question de la gestion pluriannuelle des dépenses d'assurance-maladie, et aborderons la question du soutien à l'innovation, de son accès, de sa contribution et de son financement, sans oublier la contribution européenne à ces travaux, considérée dans le cadre d'une comparaison internationale.
La question des ruptures et des tensions d'approvisionnement n'est pas au coeur de notre mission, mais nous l'expertisons toutefois puisqu'elle est citée dans la lettre de mission.
Concernant la composition de la mission, des critiques ont effectivement été formulées lors de la mise en place de notre mission. Nous constituons un comité d'experts qualifiés dans des domaines complémentaires : nous sommes tous fortement engagés, depuis de nombreuses années, sur les sujets liés à la santé. Nous avons tous un même engagement personnel dans nos parcours pour défendre l'accès de tous les patients aux traitements qui leur sont indiqués, dans le respect du contrat social. La nature et la qualité de nos débats confirment cette diversité et cette complémentarité de nos expertises et de nos parcours.
Pour ma part, je précise que je ne fais plus partie ni du comité d'information et de produits de santé de l'ANSM ni du conseil de la Caisse nationale d'assurance-maladie. Je suis déportée de mon mandat du board de Nextep pendant la mission.
Sur le fonctionnement, ce travail est très exigeant et nous occupe beaucoup. Nous effectuons de nombreuses recherches et avons mené plus de 110 auditions, et d'autres sont encore prévues. Nous engageons des réflexions de manière collégiale, sans lead d'une personne qualifiée sur les autres. Les travaux sont collégiaux, avec beaucoup de coconstruction et de réflexion collective.
Nos travaux sont en cours et nous ne pourrons vous présenter nos pistes, raison pour laquelle nous n'avons pas souhaité remettre de rapport intermédiaire au mois d'avril. Le travail est long, lent et compliqué : il requiert de prendre en compte les avis de nombreuses parties prenantes que nous avons sollicitées ou qui se rapprochent spontanément de notre mission pour être auditionnées. Nous avons besoin d'entendre l'ensemble des parties prenantes et ne pourrons vous présenter ce jour les pistes sur lesquelles nous travaillons. Nous pouvons toutefois vous présenter des éléments de cadrage et de grandes orientations.
Au titre des personnes et organisations auditionnées, se trouvent évidemment les administrations, dont le CEPS, les organisations représentant les patients et usagers du système de santé, le Président de la conférence nationale de santé, les acteurs industriels et économiques de la chaîne du produit de santé, des acteurs du soin, particulièrement les professionnels de santé (médecins et pharmaciens), des économistes, des experts des données, de la prospective et de l'environnement de la santé.
Nous consacrons beaucoup de temps à analyser les données produites par les parties prenantes (administration, industriels et associations de patients). Les débats de ce comité sont réguliers. Nos recommandations seront adressées au nom de la mission et rédigées de manière coconstruites. Elles ne sont toutefois pas finalisées. Nous remettrons notre rapport définitif fin juillet.
M. Frédéric Collet, « ambassadeur France 2030 ». - Je n'avais pas mesuré à quel point nos travaux étaient parallèles. J'imagine que vous avez également réalisé beaucoup d'auditions. Comme notre lecture de mission est extrêmement large, il est difficile, après plus de 110 auditions et 200 heures d'entretiens, de faire cette synthèse.
Je ferais deux constats.
Nous sommes frappés par l'attention extrêmement forte que suscite notre travail de la part de tous les acteurs que nous rencontrons : nous sommes beaucoup sollicités et sentons que l'attente est extrêmement forte, tant des acteurs de l'administration que des décideurs, des spécialistes, des acteurs de santé et des représentants des patients. Nous espérons ne pas décevoir ces attentes. Nous sommes également frappés de la volonté de bien faire de tous les acteurs que nous rencontrons. Tant l'administration que les professionnels de santé et l'industrie comprennent des personnes très engagées, avec une réelle volonté de bien faire, parfois en gérant des injonctions contradictoires.
Nous dressons un constat convergent sur le fait que le système se trouve un peu à bout de souffle. Si les solutions, suggestions, initiatives et préconisations divergent selon les acteurs, le constat est similaire et établit que le système tel qu'il est ne fonctionne plus.
Nous observons une rupture extrêmement forte et inédite, depuis une date difficile à définir dans le temps, mais sans doute depuis deux ans. Elle n'est pas uniquement liée à la crise de la covid qui a toutefois fonctionné comme un révélateur et un accélérateur. Cette rupture s'explique par un phénomène démographique, lié au vieillissement de la population, avec des maladies chroniques, mais aussi par une vague d'innovations sans précédent, avec une fertilité de la recherche, notamment dans le domaine du cancer, visible au congrès international de l'American society of clinical oncology (ASCO), qui fonde de grands espoirs pour les patients et pour les professionnels de santé. Nous observons également un phénomène d'internationalisation : la santé est véritablement internationale, tout au long de sa chaîne (recherche, développement clinique, industrialisation, accès, prix, fourniture). La tension sur les prix a toujours existé, mais elle a été accentuée avec les effets de l'inflation. L'inflation, jusque-là contenue, ne jouait pas sur la rentabilité de certains produits ou entreprises. L'inflation touche maintenant le secteur, avec la question du prix régulé qui lui est spécifique. Nous observons parallèlement un fort resserrement de la contrainte budgétaire, avec un impact post-crise particulièrement important en France, mais aussi une crise de l'attractivité industrielle.
En conséquence, une tension sans précédent existe sur le plan sanitaire et budgétaire, avec des outils qui nous semblent véritablement inadaptés au contexte. Ainsi, le rythme de croissance de la dépense réelle et tendancielle n'est ni soutenable ni connecté avec celle de l'ONDAM. L'équation s'avère donc extrêmement complexe, pour préserver l'accès aux patients français aux traitements dont ils ont besoin en toutes circonstances.
Les tensions sont internationales et tous les pays sont confrontés aux mêmes difficultés.
Par ailleurs, nous constatons, avec cette internationalisation, un changement des conditions d'accès et des rapports entre les acteurs, avec une très forte évolution du volume de soin consommé dans le monde - moins en France qui a contenu la dépense de santé par patient et en volume.
Mme Laurence Harribey, présidente. - Je vous propose de privilégier l'échange au constat que nous établissons également.
M. Frédéric Collet. - Je souhaite souligner un autre point : si de nombreux éléments sont partagés entre les différents pays, nous sommes confrontés à un héritage de choix stratégiques et politiques distincts. En France, la régulation est principalement intervenue sur les prix et sur la valeur, de manière historique dans les budgets. Avec succès, l'ONDAM a été contenu depuis des années. A contrario, les deux autres leviers sur les volumes ont été moins activés que dans d'autres pays. L'encadrement de la prescription médicale est un levier moins activé que dans d'autres pays, ainsi que l'effet de structure, notamment dans l'optimisation du générique et du biosimilaire. Des réserves d'économies peuvent donc être mieux utilisées et mieux exploitées.
La question environnementale nous préoccupe et fait partie de notre lettre de mission puisque 10 % de l'empreinte carbone en France provient du secteur de la santé.
Le système est aujourd'hui soumis à une tension extrême qui requiert des choix politiques et collectifs forts pour préserver l'accès aux traitements et optimiser la contribution de ces traitements, ce qui passe par une meilleure maîtrise médicalisée, par une meilleure exploitation des réserves d'économies, par une meilleure identification et un meilleur suivi de l'apport des traitements innovants pour le système de santé et par un système général dans lequel la croissance du secteur doit être envisagée.
Enfin, le système de régulation et de financement est extrêmement complexe, très mal compris, et il suscite des critiques violentes de différents acteurs, tout en étant incompréhensible pour les patients et pour les professionnels de santé. La tension ne concerne plus seulement les experts, mais touche plus généralement les acteurs et requiert de revoir le partage de l'information et la symétrie de l'information, mais aussi la représentation des patients dans cet environnement, afin de mieux les intégrer.
Mme Laurence Harribey, présidente. - Nous partageons les éléments du constat et souhaitons donc approfondir les échanges. Je vous remercie et donne immédiatement la parole à notre rapporteure, Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen, rapporteure. - La composition de votre collectif interroge effectivement quant à votre indépendance vis-à-vis du secteur pharmaceutique puisque vous avez tous les six, ou avez eu, des liens d'intérêt importants avec ce secteur. Ce point n'est pas anodin dans le contexte de la mission.
À aucun moment, dans vos remarques, vous ne semblez interroger le modèle économique. Parler d'une meilleure maîtrise médicalisée constitue un élément parmi d'autres, mais ne paraît pas essentiel. Les pénuries de médicaments touchent actuellement l'ensemble des pays, avec plus ou moins de vivacité, et la France est particulièrement touchée, pour des médicaments de plus en plus nombreux. Des médicaments d'usage plus courant, notamment pédiatriques, sont en pénurie, ce qui a suscité un fort émoi dans la population. Toutes les classes thérapeutiques sont concernées et il convient donc d'interroger le système économique : depuis trente ans, l'industrie a été délocalisée, pour des raisons de rentabilité financière, avec le souhait de s'implanter dans des pays à moindre coût au niveau social et environnemental. Les exigences diffèrent aujourd'hui et la France appelle à relocaliser certaines industries, notamment pharmaceutiques, en coordination au niveau européen. Quelles réflexions avez-vous sur ce questionnement précis ?
Les industriels nous indiquent que les prix des produits matures sont particulièrement bas, ce qui expliquerait les pénuries. Or, dans d'autres pays, où les médicaments ont un prix plus élevé, comme en Suisse, des pénuries sont également observées. Les causes sont donc plurifactorielles. Nous rendrons notre rapport début juillet et voulons disposer d'éléments plus précis sur la régulation au niveau des prix. Vous avez évoqué les mécanismes de régulation financière : le dispositif de la clause de sauvegarde est problématique puisqu'il n'est pas prévisible pour les industriels qui ne savent qu'après coup, la somme qu'ils doivent débourser. Nous établissons sur ce point une différence entre les grands laboratoires qui dégagent des milliards d'euros et les PME qui se retrouvent en difficulté. Avez-vous une réflexion sur cette clause de sauvegarde ? Avez-vous étudié la possibilité de sortir les produits matures de son assiette ? Cette idée pourrait-elle aider à lutter contre les pénuries ? Le législateur a ajouté un critère de fixation du prix des médicaments qui tient à la sécurité d'approvisionnement du marché français que garantit l'implantation des sites de production, avec le critère industriel. Ce bonus doit-il, selon vous, s'appliquer aux médicaments innovants comme aux médicaments matures ? Enfin, le CEPS a élaboré une doctrine qui ne prévoit l'application du critère industriel qu'aux produits nouvellement inscrits. Pensez-vous que la doctrine est bonne ou qu'elle rate la cible du législateur en excluant les produits matures qui concentrent l'essentiel des difficultés d'approvisionnement ? La majorité des pénuries touche plutôt les produits matures. Nous avons tous été choqués par l'envolée du prix de traitements dits innovants : cette course à des prix pharaoniques ne pourra perdurer.
Mme Magali Léo. - Je vous remercie pour vos questions. Les membres de notre mission ont effectué des carrières dans le privé, mais ont eu précédemment de grandes carrières dans le public et ont mené des missions importantes au niveau des différentes directions ministérielles. Notre engagement et notre expertise nous rassemblent. Les questions relatives au choix de la composition de la mission devraient être adressées au cabinet de la Première ministre qui a choisi les personnalités qualifiées. J'ai accepté rapidement, avec beaucoup d'enthousiasme, de faire partie de cette mission, aux côtés de mes collègues, considérant l'enjeu social extrêmement fort et le niveau d'engagement des associations de patients sur les différents thèmes de la mission. Il me semblait donc très important, à titre personnel, de faire partie de cette mission et de porter la voix des patients.
Vous adressez un sujet majeur autour du modèle économique : c'est un des attendus de la mission et nous l'interrogeons évidemment puisqu'il est au coeur des mesures que nous expertisons et des propositions que nous analysons. Le modèle économique repose sur la régulation des volumes, sur de nouveaux mécanismes autour du prix et sur l'évolution de ces outils de régulation qui sont datés, voire dépassés, et montrent que notre système est à bout de souffle, avec un niveau de dépenses de santé qui ne sera probablement bientôt plus soutenable, en poursuivant sur ce tendanciel, et avec une vague d'innovations qui arrivent et seront sans doute associées à des prix élevés.
Notre système de santé est nettement fragilisé par les éléments cités, dans un contexte inflationniste qui ne facilite rien. La mission nous a été confiée pour que nous réfléchissions sans dogmatisme et sans limites. Nous nous autorisons ainsi à aller assez loin et à être assez disruptifs dans les propositions formulées. La maîtrise médicalisée constitue, pour nous, un élément assez central dans la régulation et dans le nouveau modèle économique, avec un véritable sujet autour des volumes de prescriptions et de médicaments consommés. Ces volumes sont variables selon les classes thérapeutiques, mais la France se trouve parmi les consommateurs de médicaments les plus importants en Europe. Un sujet se pose donc autour de la sobriété des prescriptions : en France, seules 23 % des ordonnances se font sans médicament, contre 70 % en Suède. Cet exemple montre qu'il existe un sujet autour de la culture du médicament en France. Il nous paraît donc essentiel de travailler sur les volumes, même si cela n'occulte pas les sujets très épineux, sensibles et complexes autour du prix. Nous avons réalisé une analyse assez approfondie sur le montant M et la clause de sauvegarde dont les effets sont dénoncés par leur manque de prévisibilité. Ce dispositif était prévu comme un rattrapage, ou une solution de dernier recours, et non comme un mécanisme de régulation a priori, ce qu'il est en train de devenir. Nous réfléchissons à une refonte du système, afin qu'il soit plus vertueux, qu'il ne décourage pas l'accès aux innovations et l'accès précoce des patients aux innovations. L'équilibre est compliqué à trouver.
M. Frédéric Collet. - La question européenne constitue effectivement un enjeu. 45 % du marché de la santé est construit aux États-Unis : le poids des États-Unis est donc très important et les décisions qui s'y appliquent sont uniformes. À l'inverse, l'Europe est encore assez morcelée : l'Europe a enregistré un certain nombre de succès, en particulier avec l'AMM. L'Europe progresse également dans le domaine de l'évaluation des technologies de santé (HTA), en commençant par le cancer, avec la volonté d'harmoniser cette évaluation. La crise de la covid a démontré la capacité de l'Europe à se mobiliser sur des causes communes, notamment dans le cadre de l'achat commun de vaccins. Nous devons regarder les possibilités de mieux coordonner l'action européenne, en particulier pour assurer l'approvisionnement et l'accès à certains traitements.
Vous évoquez ensuite la clause de sauvegarde. Le mécanisme a perdu son esprit originel : compte tenu de l'écart entre la croissance naturelle et la croissance régulée, la clause de sauvegarde prend une dimension nouvelle. Cette clause est confrontée à un certain nombre de difficultés, dont une forte iniquité, puisque l'ensemble du secteur y contribue de manière uniforme. Nous recherchons des solutions pour que la clause de sauvegarde retrouve son esprit originel tout en conservant une régulation puisque les dépenses de santé doivent être contrôlées et en activant d'autres leviers, afin de l'ajuster pour la rendre moins inéquitable.
Concernant la sécurité des approvisionnements et le critère industriel qui s'applique de manière différente aux médicaments matures et innovants, nous n'avons pas tranché. Le tissu français comprend des entreprises très différentes : d'une part des entreprises, souvent françaises, avec une empreinte industrielle forte en France, qui sont positionnées sur des produits matures, dont il faut préserver les conditions d'équilibre, et d'autre part des entreprises plus innovantes, souvent internationales, avec des empreintes industrielles moins fortes. La question des pénuries n'est pas nouvelle : elle se pose depuis au moins une dizaine d'années, même si elle prend aujourd'hui une nouvelle amplitude puisqu'elle est internationale et a des causes différentes. De nombreuses actions ont déjà été menées : la reconnaissance industrielle est un des sujets, mais ne sera pas le seul.
Mme Laurence Harribey, présidente. - Nous sommes un peu interpellés par nos échanges : nous comprenons que vous ne voulez pas aller plus loin dans la présentation de futures préconisations ; vous restez donc sur des généralités et notre échange s'avère donc assez frustrant.
Lorsque la rapporteure indique qu'il existe un problème de composition dans votre mission, elle ne remet pas en cause la conviction personnelle de chacun de ces membres. Mais nous sommes toujours le produit culturel de notre propre parcours et le fait que vos parcours soient similaires, au sein de la commission, conduit à augmenter le risque que vos réponses soient biaisées. Nous ne remettons absolument pas en cause l'engagement de chacun.
Vous indiquez que vous vous orientez vers des recommandations relatives à la maîtrise médicale, la meilleure exploitation des gisements d'économies et le meilleur suivi des traitements : je ne vois rien de disruptif dans vos propos, alors que vous affirmez que vous vous permettez de l'être. Si vos propositions se structurent autour de ces trois éléments, j'émets des doutes sur leur caractère disruptif.
Vous voulez travailler sur les volumes, sans vous interdire une réflexion sur les prix, ce qui me semble très réducteur par rapport au constat que vous établissez sur la complexité du système. Votre lettre de mission comprend le renforcement de notre tissu productif, l'attractivité des territoires, pour les industriels et la relocalisation de produits de santé stratégiques, et l'équilibre et l'équité dans la répartition des efforts. Comment conjuguez-vous ces éléments ? Si vous ne pouvez pas aller plus loin, nous le comprendrons et arrêterons nos échanges. Vous pourrez nous transmettre un complément écrit. Nous ne pouvons continuer ainsi puisque nous avons également conduit plus de 50 entretiens et nous sommes déplacés sur le terrain : nous connaissons les tenants et aboutissants et sommes surtout intéressés par les propositions puisque nous ne réalisons pas un exercice universitaire.
Je trouve que ce que vous dites est très révélateur de la composition de la mission, puisque cinq personnes sur six proviennent du monde du business, sans donner un sens péjoratif au terme. Je ne vois pas en quoi vous pouvez être disruptifs, mais vous pouvez nous contredire. J'aimerais que vous nous disiez un mot sur les éléments que j'ai cités.
M. Frédéric Collet. - Nous ne sommes pas là pour débattre de la composition de la mission dont nous ne sommes pas responsables. Parmi nous, deux personnes ont une formation en santé. Je suis le seul à avoir un parcours exclusivement dans le domaine de l'entreprise. Quatre personnes ont un parcours dans la haute administration et dans la santé. Nos débats ne sont en aucun cas dirigés par l'un d'entre nous : la discussion est collégiale.
Il nous reste une vingtaine d'entretiens à conduire et nous avons encore besoin de temps pour réaliser le travail de synthèse des 200 heures d'auditions et rédiger la dizaine de chapitres qui couvriront les différents champs, au-delà de ceux que j'ai évoqués.
Notre mission portait sur les mécanismes de régulation et de financement des produits de santé, incluant l'accès, les aspects industriels et l'équilibre budgétaire, et la question de la régulation et de l'activation des leviers est essentielle. Nous devons nous pencher sur les trois leviers que sont la régulation par les prix - très utilisée -, la régulation relative par les volumes et la maîtrise médicalisée, bien moins utilisée, et le levier de structure, moins employé, afin d'assurer l'accès aux traitements matures et aux traitements innovants.
Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Pour la maîtrise médicalisée, proposerez-vous un accroissement du reste à charge des patients, qui est actuellement en France le plus faible des pays de l'OCDE ?
Vous parlez par ailleurs de la réduction des volumes alors que seulement 46 % des hommes français sont en bonne santé à 65 ans contre 77 % en Suède. Je me réfère ici au rapport d'information de notre collègue ici présente, Mélanie Vogel, sur la sécurité sociale écologique.
Êtes-vous favorables à l'idée, appliquée au Royaume-Uni, qui veut qu'un patient n'est plus éligible à certaines thérapies, au-delà d'un certain âge ?
Nous sommes dans une commission d'enquête et vous pouvez avoir des réserves sur la transmission directe de l'audition : vous pourrez répondre par écrit par la suite.
Mme Magali Léo. - Nous ne nous orientons pas vers l'augmentation d'un reste à charge des patients. Concernant les solutions disruptives que j'évoquais, nous avons un intérêt poussé pour les pratiques professionnelles, le respect par les professionnels des recommandations de bonnes pratiques, les consommations de soins élevées, la polymédication des personnes âgées, l'ampleur des accidents iatrogènes en France. Nous avons donc effectivement un sujet autour des prescriptions et autour de la consommation de médicaments qui pose des problèmes de santé publique. L'approche repose plus sur la santé publique que sur les économies, même si les enjeux sont liés. Nous souhaitons rechercher des gains d'efficience en qualité comme en dépenses sur les pratiques professionnelles. Notre sujet porte donc plus sur les pratiques professionnelles que sur le reste à charge des patients : nous devons documenter les écarts de pratiques et trouver des solutions dans différentes sphères qui relèvent des sciences sociales, de la formation des professionnels de santé, de l'acculturation à un certain nombre de sujets et d'une meilleure information et appréhension des recommandations publiques ou scientifiques, rendues par exemple par les sociétés savantes.
L'état de santé d'une population ne tient pas au nombre de boîtes de médicaments consommés, voire inversement. Les déterminants de la santé sont bien plus larges que l'accès aux médicaments et aux soins et tiennent à des causes environnementales et sociétales. Notre système de santé et notre dispositif de prise en charge, avec le régime des affections de longue durée (ALD), couvrent des besoins de santé importants, mais d'autres facteurs entrent en ligne de compte.
M. Frédéric Collet. - Le budget global par Français en matière de consommation de produits de santé a baissé et la France se trouve aujourd'hui dans la moyenne européenne, par les effets de la régulation, des prix, des génériques, tandis que le volume d'unités consommées par Français reste parmi les plus élevés d'Europe, derrière l'Allemagne. Ce phénomène doit probablement être mieux encadré.
Deux systèmes existent, avec les systèmes nordiques et allemand qui fonctionnent par la contrainte et l'encadrement tandis que le système français fonctionne par le financement. Ainsi, le générique s'est beaucoup développé en France, parce que les pharmaciens s'y sont mis et qu'ils y avaient un intérêt - et la question se posera prochainement sur les biosimilaires. Un médecin allemand dispose d'un budget annuel et doit rendre des comptes s'il le dépasse. Notre système fonctionne plus par soutien financier que par la contrainte. Nous pouvons nous demander si le soutien financier doit s'inscrire dans le temps, une fois le geste pris, ou s'il pourrait se transformer en un autre geste, voire disparaître. Ce point constitue une spécificité.
Mme Laurence Cohen, rapporteure. - J'entends que des chapitres de votre mission restent à compléter. S'il est nécessaire d'avoir une consommation de médicaments qui corresponde aux besoins de santé de chaque patient et qui doit être encadrée, il me semble que notre échange montre qu'il est plus facile d'explorer cette piste, qui n'engagerait pas financièrement l'État, que de remettre en cause le système économique dont vous avez pourtant tous les deux indiqué qu'il était à bout de souffle. Dans la restitution présentée, je vous invite à veiller à éviter un déséquilibre, puisqu'un système à bout de souffle devrait être revisité.
Mme Magali Léo. - Je souhaite ajouter un point relatif à la maîtrise médicalisée des dépenses et des prix : nous sommes dans un contexte particulier puisqu'une réforme de la tarification des soins est annoncée, ainsi qu'une réforme des parcours, avec des travaux au long cours qui pourraient produire des résultats intéressants sur l'amélioration du parcours de soin des patients. Nous sommes attentifs au déroulement de ces travaux puisque nous pourrions imaginer des dispositifs de prise en charge complètement rénovés, qui incluraient des prises en charge hospitalières, ambulatoires, médicamenteuses, pour améliorer les parcours des patients.
Nous n'avons pas mentionné un élément qui se trouve pourtant au coeur de nos préoccupations. Vous avez évoqué le critère industriel dans la fixation des prix, mais un critère nous semble capital sur les données de vie réelle. Nous pensons qu'il est très important de réfléchir à une meilleure prise en compte des données de vie réelle, que ce soit des données de qualité de vie ou des données médico-économiques pour l'évaluation ex post des produits de santé. Nous analysons les dispositifs existants, les limites des agences pour en tenir compte et les exigences méthodologiques qui doivent accompagner l'amplification de ces données et de leur prise en compte dans les mécanismes futurs de régulation.
Mme Laurence Harribey, présidente. - Vous pouvez nous communiquer des documents complémentaires pour éclairer nos travaux, en dehors de cette audition diffusée en direct sur notre site. Je vous invite à entendre nos remarques et vous remercie de votre participation.
Mes chers collègues, je vous indique que l'audition du ministre de la santé et de la prévention se tiendra le jeudi 15 juin à 9 heures. Nous devrons ensuite rédiger des préconisations afin de présenter nos travaux au début du mois de juillet.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 14 h 40.