Mercredi 7 juin 2023
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 10 h 00.
Proposition de loi relative à la prévisibilité de l'organisation des services de la navigation aérienne en cas de mouvement social et à l'adéquation entre l'ampleur de la grève et la réduction du trafic - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Jean-François Longeot, président. - Nous examinons le rapport d'Évelyne Perrot sur la proposition de loi relative à la prévisibilité de l'organisation des services de la navigation aérienne en cas de mouvement social et à l'adéquation entre l'ampleur de la grève et la réduction du trafic.
Cette proposition de loi a été déposée par Vincent Capo-Canellas, que je salue, et plusieurs de nos collègues. Elle vise à apporter une réponse pragmatique aux difficultés rencontrées par le système actuel d'encadrement du droit de grève des contrôleurs aériens. Aujourd'hui, la direction générale de l'aviation civile (DGAC) ne peut pas connaître exactement le nombre de contrôleurs participant à une grève. Elle est donc amenée à annuler préventivement de nombreux vols et, parfois, à procéder à d'autres annulations de dernière minute, très inconfortables.
Il en résulte une très difficile prévisibilité de l'organisation des services de la navigation aérienne en cas de mouvement social, et une forte disproportion entre l'ampleur de la grève et la réduction du trafic. Une grève faiblement suivie peut en effet mener à de nombreux abattements préventifs. Cette situation s'explique par le fait que les contrôleurs aériens n'ont aucune obligation de prévenir leur direction de leur participation au mouvement en amont de la grève, à la différence des travailleurs du transport terrestre régulier de voyageurs depuis 2007 et des autres travailleurs du secteur aérien depuis 2012.
La proposition de loi crée une obligation de ce type pour les contrôleurs aériens, tout en veillant à bien l'adapter aux spécificités de leur situation, comme le service minimum que leur direction peut déclencher en cas de grève.
Je laisserai le soin à notre excellent collègue, auteur du texte, Vincent Capo-Canellas, de nous détailler le contexte de l'élaboration de cette proposition de loi, ainsi que ses objectifs, puis Évelyne Perrot nous présentera les grandes lignes son rapport et ses propositions de modifications.
M. Vincent Capo-Canellas, auteur de la proposition de loi. - Le service public du contrôle aérien est essentiel au pays, car il nous permet de maîtriser et de contrôler notre espace aérien et est un élément clé pour la sécurité des vols.
En 2018, j'ai rédigé un rapport sur la modernisation du contrôle aérien ; sa tonalité était assez critique. Je mène actuellement un contrôle budgétaire sur le sujet. Je constate que les choses ont évolué, ce qui démontre que le rapport du Sénat a été utile. Cette proposition de loi s'inscrit dans la lignée de ce travail.
Les contrôleurs aériens sont soumis à des règles nécessaires à la continuité de ce service public essentiel au respect de la souveraineté du pays ; il leur revient en particulier d'assurer le survol du pays en toute sécurité, dans le contexte du ciel unique européen.
Les contrôleurs aériens ont été exemptés de la loi du 19 mars 2012 relative à l'organisation du service et à l'information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports, dite « loi Diard » : ils ne doivent pas se déclarer grévistes 48 heures à l'avance. En revanche, ils doivent assurer un service minimum, qui fonctionne assez mal. L'absence de prévisibilité conduit à des abattements importants souvent disproportionnés compte tenu du nombre réel de grévistes, d'où des nuisances pour les passagers et les compagnies. À l'inverse, la DGAC est parfois contrainte à des annulations de dernière minute si elle a sous-estimé le nombre de contrôleurs aériens en grève - c'est ce qui s'est d'ailleurs passé le 11 février dernier. Parfois, d'ailleurs, malgré les abattements, dans certains aéroports, il y a des annulations de dernière minute.
Il faut, à la fois, prévoir plus finement le nombre de grévistes et préserver le principe constitutionnel du droit de grève. J'ai essayé de parvenir à un équilibre : les contrôleurs doivent se déclarer grévistes à l'avance et la DGAC doit prévenir l'avant-veille du mouvement les agents faisant l'objet d'une astreinte. À l'heure actuelle, ils sont parfois astreints à la dernière minute, quand on constate en salle de contrôle que le nombre de contrôleurs est insuffisant. Il arrive aussi que ce soient les gendarmes qui les préviennent la veille pour le lendemain. Depuis le début de l'année, on compte quarante jours de grève : les contrôleurs eux-mêmes témoignent de la désorganisation de leur travail. En tout état de cause, le décret relatif au service minimum doit être revu parce qu'un certain nombre de terrains doivent y entrer pour répondre aux évolutions du trafic depuis sa parution.
J'ai tenté de trouver une solution prenant en compte l'exaspération tant des passagers et des compagnies que celle des contrôleurs, qui admettent que le système actuel est à bout de souffle. Leur principal syndicat s'est déclaré disposé à évoluer en faveur d'un système de déclaration préalable. Bien sûr, le diable se cache dans les détails, mais j'ai cherché à parvenir à la solution la plus équilibrée possible. Le système actuel ne peut perdurer. C'est une tentative différente de celles menées à l'étranger : des pays interdisent à leurs contrôleurs de faire grève certains jours - je considère que ce n'est pas la bonne solution. Respectons nos principes tout en intégrant cette exigence de prévisibilité et d'adéquation entre l'ampleur du mouvement et la réduction du trafic. La modernisation de ce service public ne peut se faire qu'en respectant le dialogue social.
Mme Évelyne Perrot, rapporteure. - Nous sommes réunis aujourd'hui pour examiner la proposition de loi de notre collègue Vincent Capo-Canellas relative à la prévisibilité de l'organisation des services de la navigation aérienne en cas de mouvement social et à l'adéquation entre l'ampleur de la grève et la réduction du trafic.
Ce texte porte sur un sujet bien identifié par le grand public : les conséquences sur le trafic aérien des mouvements sociaux des contrôleurs aériens au sein de la DGAC.
Le cadre actuel de ces mouvements sociaux n'est pas satisfaisant. Bien que les organisations syndicales de la DGAC doivent déposer un préavis de grève cinq jours avant le début du mouvement, il est très difficile d'anticiper son ampleur réelle : la DGAC n'a actuellement aucun moyen de savoir avec précision combien d'agents y participeront.
Face à ces incertitudes, la DGAC réalise fréquemment des abattements de vols bien plus élevés que nécessaire afin d'éviter les annulations de dernière minute, dites « à chaud », qui sont les plus pénalisantes pour les compagnies aériennes et les passagers. La réduction du trafic consécutive à la grève est donc disproportionnée compte tenu de la participation parfois très faible du personnel au mouvement.
Le fonctionnement actuel est déroutant : il permet aux contrôleurs aériens d'annoncer qu'ils vont faire grève sans avoir besoin de réellement passer à l'action. Les abattements de vols ayant lieu avant le début du mouvement, les effets recherchés de la grève en termes de réduction de trafic sont déjà atteints avant même qu'elle commence.
Parfois, à l'inverse, la DGAC peut avoir une analyse trop optimiste de la situation et annuler en amont moins de vols que ce qui est nécessaire. Il faut alors procéder en urgence à des annulations « à chaud » qui désorganisent très fortement le trafic aérien. Des passagers déjà arrivés dans les terminaux, voire dans les avions, voient leur vol annulé. Cela peut donner lieu à des troubles à l'ordre public, en raison de la présence dans les aéroports de nombreuses personnes courroucées face à ces situations difficiles.
Cette incertitude est pénalisante pour les contrôleurs aériens eux-mêmes. En cas de grève, il est en effet possible de déclencher un dispositif de service minimum afin d'assurer la continuité du service public et une certaine partie des opérations, en particulier celles liées aux vols vers la Corse et les outre-mer et celles qui permettent le survol du territoire français. La DGAC est souvent obligée de le déclencher préventivement, alors que, in fine, le nombre de grévistes est faible, si bien qu'il n'aurait pas été nécessaire de le faire appliquer.
Le service minimum implique des réquisitions de personnel. Les contrôleurs réquisitionnés n'ont donc pas l'occasion de participer au mouvement de grève, quand bien même ils l'auraient voulu. En outre, lorsque le service minimum est déclenché, il n'est plus possible d'utiliser les souplesses habituelles pour assurer la conciliation entre vie professionnelle et vie privée.
Parfois, le service minimum peut être mis en place assez tardivement. Il est alors difficile de notifier leur réquisition aux contrôleurs : même si ces cas sont rares, les forces de l'ordre doivent alors s'en charger. Cette situation n'est évidemment pas pleinement satisfaisante.
Au cours des derniers mois, ce système a montré de façon très claire ses limites. Le 11 février dernier, des contrôleurs ont rejoint une grève de la fonction publique qui n'avait même pas été relayée en interne pas les syndicats de la DGAC. Il en a résulté de nombreuses annulations à chaud. Les semaines suivantes, le climat de travail s'est dégradé au sein de la DGAC, car le recours au service minimum s'est multiplié ; or la mise en oeuvre de ce dispositif est complexe et difficile, tant pour les contrôleurs aériens que pour leur direction.
Compte tenu de ce contexte, alors que la Coupe du monde de rugby et les Jeux olympiques approchent à grands pas, une réforme est plus que jamais nécessaire.
La proposition de loi tend donc à remédier à cette situation. Elle crée une obligation pour les contrôleurs aériens de se déclarer individuellement grévistes l'avant-veille du mouvement de grève à midi. Ils ont la possibilité de renoncer à leur participation au mouvement jusqu'à dix-huit heures le même jour.
Sur le fondement de ces informations, l'autorité administrative peut décider de recourir au service minimum. Elle dispose, pour ce faire, d'un délai contraint : jusqu'à dix-huit heures l'avant-veille du mouvement également. L'information contenue dans les déclarations lui permet aussi de déterminer avec précision le nombre de vols à annuler. Les adaptations du trafic aérien seront donc plus proportionnées à l'ampleur du mouvement, et les annulations à chaud évitées.
Cette déclaration individuelle s'inscrit dans le prolongement de réglementations existant déjà dans le secteur des transports : depuis 2007 dans le transport terrestre régulier de voyageurs, et depuis 2012 pour les autres travailleurs du secteur aérien. Les contrôleurs aériens n'ont pas, en effet, été inclus dans le champ de la « loi Diard » créant une obligation de déclaration individuelle de participation à la grève, car elle ne concernait que le secteur privé ; or les contrôleurs sont des agents de la fonction publique d'État. La proposition de loi reprend donc le principe de la « loi Diard », mais n'en constitue pas un simple calque puisqu'il était nécessaire de veiller à l'articulation entre la déclaration individuelle et le service minimum.
Le texte déposé par M. Capo-Canellas est équilibré et adapté au cadre d'exercice des contrôleurs aériens. Certes, il crée une obligation pour les contrôleurs - la déclaration individuelle -, mais également une obligation pour l'administration puisque le délai de déclenchement du service minimum est contraint. Le texte résout les principales difficultés du système actuel aussi bien pour les passagers, puisque moins de vols seront annulés préventivement et à chaud, mais aussi pour les contrôleurs aériens, puisque le service minimum sera déclenché moins souvent et plus tôt.
J'ai cherché à m'inscrire dans cette philosophie alliant recherche de l'équilibre et pragmatisme. En accord avec M. Capo-Canellas, je vous proposerai trois amendements : deux de nature rédactionnelle et un renforçant la protection des contrôleurs aériens contre des usages non autorisés de leurs déclarations.
Je vous proposerai un premier amendement sur la nature du préavis de grève à l'occasion duquel l'obligation de déclaration individuelle est mise en place. La rédaction initiale de l'article unique mentionne qu'il s'agit de grèves « concernant les personnels des services de la navigation aérienne ». Cette écriture pourrait laisser penser que le périmètre du champ d'application de l'article est restreint aux seuls préavis de grève internes à la DGAC. Or les grèves consécutives à un préavis national sont pourtant les plus fréquentes et celles qui ont l'impact le plus fort sur le trafic aérien. Il est donc nécessaire qu'elles soient incluses sans ambiguïté dans le périmètre de la proposition de loi.
Je vous proposerai un deuxième amendement rédactionnel de clarification. On pourrait en effet déduire de la rédaction initiale que l'information des passagers concerne uniquement « l'organisation de l'activité durant la grève dans les conditions prévues au présent article », et donc les seuls cas pour lesquels l'administration a recours au service minimum. Or l'information transmise aux passagers peut s'étendre, d'une part, aux vols concernés par le service minimum, et, d'autre part, en cas de grève de faible ampleur ne nécessitant pas sa mise en place, aux vols affectés par la grève. La formulation que je vous propose permet de clarifier le texte en précisant que l'information des passagers englobe bien les adaptations du trafic aérien consécutives à un mouvement de grève, quelles que soient leurs modalités.
Enfin, je vous proposerai un troisième amendement pour introduire la mention selon laquelle les déclarations individuelles sont protégées par le secret professionnel. Cet amendement renforce la confidentialité des déclarations individuelles des agents qui participent au mouvement de grève. Il aligne la protection de ces déclarations sur celles, analogues, qui sont transmises à leurs employeurs par les personnels du secteur aérien entrant dans le périmètre de la « loi Diard ».
Ces trois amendements s'inscrivent parfaitement dans l'esprit d'équilibre qui anime cette proposition de loi. Ils en améliorent la clarté et renforcent la protection essentielle des contrôleurs aériens contre tout mésusage qui pourrait être fait de leur déclaration individuelle.
M. Bruno Belin. - Je salue la présentation de la rapporteure et j'apporte mon soutien total à l'initiative de Vincent Capo-Canellas. Une telle initiative est nécessaire. L'aviation civile est un secteur essentiel de notre économie, et notamment pour le tourisme ; elle participe de l'aménagement du territoire.
Au cours du premier trimestre 2023, 440 000 passagers ont été laissés « en rade », en raison de l'annulation de leur vol : ce n'est pas acceptable. Cela dit, nous respectons pleinement le droit de grève et le dialogue social.
Notre pays accueillera prochainement de grands événements internationaux. Le vol et l'arrivée à l'aéroport seront les premières images que les visiteurs retiendront de notre pays. Évitons les problèmes que certains de nos collègues ont encore rencontrés hier en atterrissant dans l'un des aéroports parisiens.
J'entends souvent dire que l'aviation serait nocive pour l'environnement. Mais elle joue un grand rôle dans nos territoires : les aéroports de province sont très utiles, notamment lors du transfert de greffes. Le Salon du Bourget aura lieu dans quelques jours : notre soutien à l'aviation civile est essentiel.
Les compagnies aériennes s'inquiètent des projets de taxes sur leur activité pour financer le secteur ferroviaire. Qui paiera en dernier ressort ? Le contribuable ou l'usager. Or elles font de gros efforts, en promouvant notamment l'utilisation des biocarburants durables d'aviation. Il faut soutenir le développement de cette filière dans notre pays.
M. Gilbert-Luc Devinaz. - Je remercie notre rapporteure pour sa présentation.
Avec Vincent Capo-Canellas, nous travaillons en bonne entente au sein de la mission d'information portant sur le thème : « Le développement d'une filière de biocarburants, carburants synthétiques durables et hydrogène vert ». Tel n'est pas le sujet du jour. Toutefois, dès lors qu'on souhaite décarboner nos activités et protéger la biodiversité, l'aviation n'apparaît pas comme le plus mauvais des modes de transport : le secteur a de grandes perspectives devant lui.
J'en viens à la proposition de loi en discussion : sur le fond, nous ne sommes pas en désaccord. Nous comptons quarante jours de grève ces dernières semaines et la journée du 11 février dernier a perturbé l'ensemble du trafic européen. La gestion de ce mouvement a été catastrophique. Les syndicats avaient fourni plusieurs éléments d'information à leur direction : ce jour-là, le service minimum n'a pas été appliqué, ce qui explique en grande partie les problèmes que nous avons rencontrés. À l'inverse, lors des autres jours de mobilisation, la DGAC y a eu recours alors que peu de contrôleurs étaient en grève.
Les réquisitions sont difficiles à vivre pour les agents. Toutefois, je ne suis pas persuadé qu'obliger ces derniers à transmettre leur souhait à la direction 48 heures avant améliorerait les choses. C'est la définition du service minimum qu'il faut revoir. Celui-ci est déjà une restriction du droit de grève. Certes, le syndicat majoritaire des contrôleurs aériens n'est pas forcément opposé à ce texte, toutefois, toutes les organisations syndicales s'accordent sur la nécessité de revoir la définition du service minimum qui date d'un décret de 1985.
Cette loi va faire peser sur ce personnel deux obligations : la déclaration individuelle et le service minimum. Or, le syndicat majoritaire souhaite conditionner la déclaration préalable individuelle de participation à la modification des modalités du service minimum. Avec ce texte, on met la charrue avant les boeufs par rapport à ce qu'attend le personnel. En l'état, nous ne voterons donc pas cette proposition de loi.
M. Gérard Lahellec. - J'ai participé à la gestion des activités civiles sur des petits aéroports régionaux ; à cette occasion, j'ai vécu quelques conflits sociaux, qui ne concernaient pas uniquement les contrôleurs aériens : ils touchaient aussi les gestionnaires d'aéroport et les compagnies aériennes.
Je me suis rendu au Centre en route de la navigation aérienne (CRNA) de Loperhet, dans le Finistère : 525 salariés de l'aviation civile y sont employés, dont 300 contrôleurs aériens. Le CRNA gère 400 000 kilomètres carrés du territoire métropolitain, ainsi que 17 radars, dont trois sont situés en Espagne et deux en Irlande. Les salariés m'ont fait remarquer que l'on parlait de leur métier seulement lors des mouvements de grève. Or ces personnels très qualifiés ont passé le concours de l'École nationale de l'aviation civile : ce sont non pas des sauvageons, mais des gens civilisés et responsables, qui exercent leur droit de grève de façon raisonnable.
Cela dit, je souscris aux propos déjà tenus sur la journée du 11 février dernier : pourquoi un événement exceptionnel a-t-il créé autant de désordre ? Selon un proverbe breton, un talus a toujours deux côtés : une seule catégorie de professionnels ne saurait à elle seule être tenue pour responsable de la situation, tandis que l'administration assurerait quant à elle la bonne gestion de ses missions. D'un incident, on fait une loi : je ne suis pas d'accord avec cette posture, bien trop fréquente.
Certes, le droit de grève est très embêtant : s'il n'existait pas, on ne serait pas confronté à ce type de problème. Le législateur a créé le préavis dont le but est d'éviter le conflit : la durée du préavis doit être mise à profit pour négocier et tenter de régler le problème.
Hier, le secteur aérien comptait plus de grévistes que le secteur ferroviaire. On ne réglera pas le problème à coup de lois. Le groupe CRCE ne votera pas ce texte.
M. Stéphane Demilly. - Les récents mouvements de grève ont fortement touché les déplacements dans notre pays, comme en témoigne la journée du 11 février dernier, au cours de laquelle la grève s'est invitée par surprise à l'aéroport d'Orly. Ce jour-là, un vol sur deux a été cloué sur sol, au grand dam des voyageurs déjà présents, et dans un délai très court : la DGAC a annoncé la mise en place d'abattements à 12 heures 30 pour une mise en application à 13 heures.
Les conséquences de ces grèves ont été très dures pour les compagnies aériennes françaises. La Fédération nationale de l'aviation et de ses métiers (Fnam), par ailleurs très favorable à ce texte - à l'instar du syndicat des pilotes d'Air France, que j'ai rencontré - dénombre plus de 40 jours de grève depuis le début de l'année, plus de 3 000 vols annulés par anticipation à Orly, 600 vols annulés à chaud et 470 000 passagers empêchés de voyager sur les aéroports parisiens au premier trimestre 2023. Selon Eurocontrol, 75 % des retards du ciel européen au cours du mois de mars sont attribuables au contrôle aérien français. Le coût des annulations est estimé à 8 millions d'euros par jour en moyenne pour les exploitants.
Ces chiffres témoignent de l'ampleur de la catastrophe économique et réputationnelle pour notre pays. Cela n'est plus acceptable : cessons d'être dépendants de cet État dans l'État. Le groupe Union Centriste est très favorable à cette proposition de loi, d'autant que le transport aérien se relève à peine de la plus grave crise de son histoire.
Gilles de Robien avait beaucoup travaillé sur l'introduction d'un service minimum dans le secteur ferroviaire. Des tentatives ont-elles été menées dans d'autres secteurs ?
J'imagine que cette proposition de loi a été élaborée en concertation avec la DGAC et les syndicats. Les compagnies aériennes et les aéroports français y ont-ils été associés ?
M. Jacques Fernique. - Compte tenu de la teneur de nos débats, il est clair que nos votes ne seront pas identiques. Toutefois, le diagnostic est partagé : le cadre actuel a montré ses limites, notamment lors des récents conflits sociaux.
Si ce texte est adopté, un nouveau dispositif - la déclaration individuelle - compléterait les règles relatives au service minimum, définies par un décret datant des années 1980. Ce dernier n'est plus adapté : le service minimum s'applique à Deauville, mais pas à Montpellier. Nous devons privilégier une réforme d'ensemble si nous voulons adopter une position équilibrée : adopter ce texte sans réécrire le décret n'est pas une démarche satisfaisante. Pis, cela accentuerait le déséquilibre : notre groupe ne votera pas cette proposition de loi.
Mme Nadège Havet. - Je remercie la rapporteure pour son travail. La continuité du service public et le respect du droit de grève sont respectés : notre groupe votera ce texte.
M. Didier Mandelli. - Notre groupe votera également cette proposition de loi.
Je partage la nécessité d'engager une réflexion sur le service minimum - je lui préfère d'ailleurs la notion de service nécessaire.
Mme Évelyne Perrot, rapporteure. - Monsieur Lahellec, nous n'avons pas attendu la journée du 11 février dernier pour travailler sur ce problème.
Les contrôleurs aériens ont suivi le mouvement contre la réforme des retraites. Or ils ne sont pas concernés : c'était une grève de soutien.
Mes échanges avec la DGAC et les syndicats ont été de grande qualité. J'ai veillé à préserver le droit de grève. Nous avons construit cette proposition de loi ensemble.
À cette occasion, j'ai découvert que la gestion des aéroports était très complexe : c'est un millefeuille extraordinaire. Les différences de salaires sont énormes : à cet égard, nous avons besoin des syndicats. Des stewards ou des hôtesses de l'air des compagnies low cost touchent des salaires de misère.
Lorsque je les ai rencontrés, les dirigeants d'Air France m'ont indiqué qu'ils ne rencontraient pas de problèmes de recrutement. Toutefois, ils ont connu des moments très difficiles durant la crise sanitaire. Aujourd'hui, ils multiplient les efforts pour acheter des avions de nouvelle génération et investir dans les biocarburants. Ils ont besoin de nous : nous devons leur offrir un ciel français sans problème.
M. Vincent Capo-Canellas. - Merci à la rapporteure, qui a mené un travail conséquent sur un sujet complexe.
Ce service public travaille tout le temps, y compris la nuit. Je vous laisse imaginer les difficultés si l'on attendait 4 heures du matin pour recenser les présents et procéder, le cas échéant, aux réquisitions. Aujourd'hui, un modus vivendi s'est imposé : les contrôleurs assurent la sécurité des vols et contribuent à la réduction des émissions de carbone avec les routes droites. Or les avions évitent la France, car il est impossible de gérer la prévisibilité des vols : les émissions de CO2 sont donc plus importantes.
Chacun reconnaît que nous pouvons progresser. Cela dit, comment concilier le service minimum et ce nouveau dispositif ? Le système actuel est baroque : Montpellier ne figure pas dans le décret relatif au service minimum, contrairement à Limoges. En outre, le système de réquisitions est très ancien. Il fonctionne parce que personne ne le conteste. Pour les syndicats, le système est relativement aisé. Il y a un préavis, souvent externe à la DGAC, l'administration abat des vols, et, finalement, peu de fonctionnaires sont grévistes car l'effet est déjà là. Personne ne comprend à l'étranger ce système qui pousse à des abattements disproportionnés. La DGAC est critiquable : le 11 février dernier, elle n'a pas déployé le service minimum, et il y a eu de nombreuses annulations « à chaud ».
Il faut bien sûr revoir ce décret, qui date de 1985. Pour le moment, le Gouvernement ne dit rien de ses intentions et joue la carte de la prudence, mais je suis sûr qu'il souscrit à notre constat. Je ne suis pas l'avocat des compagnies, et certainement pas de Ryanair. Cela dit, une pétition a recueilli 1,6 million de signatures et la Commission européenne a saisi la DGAC pour lui demander des réponses et une évolution du système. Dès lors, soit on trouve nous-mêmes la solution, soit on nous en imposera une autre, moins équilibrée. Si cette proposition de loi est votée, il y aura une révision du décret, car elle est, en tout état de cause, inévitable. Cela se fera par le biais d'un décret pris en Conseil d'État, qui ne manquera pas de veiller au respect du droit de grève.
Monsieur Belin, il est effectivement essentiel de décarboner le secteur aérien, qui est très utile pour nos territoires.
Monsieur Devinaz, les récentes grèves ont causé deux millions de minutes de retard ; si la proposition de loi avait été en vigueur, ce chiffre aurait été beaucoup moins important. La corrélation entre le nombre de grévistes, qui aurait peut-être été plus élevé, et les perturbations aurait été plus forte.
Monsieur Lahellec, ma proposition de loi n'est pas la première du genre : Bruno Retailleau avait déposé une proposition de loi visant à assurer l'effectivité du droit au transport, à améliorer les droits des usagers et à répondre aux besoins essentiels du pays en cas de grève. Celle-ci avait été votée par le Sénat. Notre collègue Joël Guerriau avait lui aussi rédigé un texte. En ce qui me concerne, j'essaie d'équilibrer les choses : j'impose à la DGAC de tenir compte de la situation des contrôleurs et de leur notifier leur astreinte à l'avance.
Monsieur Demilly, les compagnies et l'ensemble des aéroports ont été consultés.
Je remercie enfin Nadège Havet et Didier Mandelli pour leurs prises de position.
Mme Évelyne Perrot, rapporteure. - Il me reste à vous soumettre un périmètre pour l'établissement du texte au regard de l'article 45 de la Constitution et de l'article 44 bis du Règlement du Sénat s'agissant des cavaliers législatifs.
Je vous propose de retenir dans le périmètre du texte les dispositions relatives : aux modalités d'exercice du droit de grève du personnel des services de la navigation aérienne, aux modalités d'organisation du service en cas de grève au sein des services de la navigation aérienne et à l'information des passagers et des organisations syndicales en cas de grève au sein des services de la navigation aérienne.
Il en est ainsi décidé.
Mme Évelyne Perrot, rapporteure. - L'amendement COM-1 vise à lever une ambiguïté du texte initial. Le renvoi, à l'alinéa 2, aux « personnels des services de la navigation aérienne » pourrait être interprété comme restreignant le périmètre du champ d'application de l'article aux seuls préavis de grève internes à la DGAC, et pourrait sembler exclure les préavis de grève nationaux de la fonction publique. Les grèves consécutives à un préavis national sont pourtant les plus fréquentes et aussi les plus nombreuses : ce sont elles qui ont l'impact le plus fort sur le trafic aérien. Il est donc nécessaire qu'elles soient incluses sans ambiguïté dans le périmètre de la proposition de loi.
L'amendement COM-1 est adopté.
Mme Évelyne Perrot, rapporteure. - L'amendement COM-2 tend à répondre à une imprécision du texte initial. On pourrait en effet déduire de la rédaction de la première phrase de l'alinéa 6 que l'information des passagers concerne uniquement « l'organisation de l'activité durant la grève dans les conditions prévues au présent article », et donc seulement le cas de la mise en place d'un service minimum.
Or l'information transmise aux passagers peut concerner, d'une part, les vols concernés par le service minimum, et, d'autre part, en cas de grève de faible ampleur ne nécessitant pas sa mise en place, les vols affectés par la grève. Cette nouvelle formulation permet de clarifier le texte en précisant que l'information des passagers concerne bien les adaptations du trafic aérien consécutives au mouvement de grève, quelles que soient ces adaptations.
L'amendement COM-2 est adopté.
Mme Évelyne Perrot, rapporteure. - L'amendement COM-3 vise à protéger la confidentialité des déclarations individuelles des agents qui participent au mouvement de grève. Il aligne la protection de ces déclarations sur le régime des déclarations analogues déjà transmises à leurs employeurs par les personnels du secteur aérien entrant dans le périmètre de la « loi Diard ».
L'amendement COM-3 est adopté.
L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
La réunion est close à 10 h 55.