Mercredi 31 mai 2023
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 9 h 40.
Audition de MM. Jacques Toubon, ancien ministre de la culture et de la francophonie, et Paul de Sinety, délégué général à la langue française et aux langues de France, sur la situation de la francophonie à la veille de l'ouverture de la Cité internationale de la langue française et du trentième anniversaire de l'adoption de la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française
M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, notre réunion d'aujourd'hui porte sur un sujet que nous avons malheureusement trop peu l'occasion d'aborder : la francophonie. Il m'a semblé important que nous puissions nous en ressaisir, alors que la Cité internationale de la langue française de Villers-Cotterêts devait être inaugurée le 25 juin prochain, échéance qui a finalement été reportée à la fin de l'été.
Cette actualité, certes retardée, tombe néanmoins à point nommé puisque le groupe d'études « francophonie », rattaché à notre commission, vient d'être reconstitué, sous la nouvelle présidence de Yan Chantrel, dont je salue l'ambition du programme de travail.
Afin de nous éclairer sur les grands enjeux et défis qui se posent à la francophonie, nous avons l'honneur et le plaisir d'accueillir M. Jacques Toubon, en tant qu'ancien ministre de la culture et de la francophonie. M. de Sinety m'a d'ailleurs rappelé tout à l'heure que vous aviez été le seul ministre à la fois et de la culture et de la francophonie.
M. Jacques Toubon. - La francophonie est depuis les années 1970 une compétence et un service du Quai d'Orsay, que celui-ci a très jalousement pris le soin de conserver. Or les spécialistes de la culture et de la langue sont bien plus compétents que les diplomates sur ce sujet. J'ai réussi, en 1993, à obtenir du Premier ministre Édouard Balladur que le service de la francophonie soit rattaché - non pas hiérarchiquement mais pour usage - au ministère de la culture. Pendant deux ans, j'ai ainsi pu diriger le service de la francophonie et mener un certain nombre d'actions. En 1995, le Quai d'Orsay a repris les compétences de la francophonie. Nous n'avons alors plus entendu parler de la francophonie que comme un service de la diplomatie.
M. Laurent Lafon, président. - Si vous êtes présent aujourd'hui, c'est aussi parce que vous êtes l'auteur de la loi fondatrice du 4 août 1994, qui porte votre nom et dont nous fêterons l'année prochaine le trentième anniversaire.
Nous accueillons également M. Paul de Sinety, délégué général à la langue française et aux langues de France, que nous avons déjà reçu au sein de notre commission et qui vient de remettre au Parlement son rapport sur la langue française.
Plusieurs aspects me paraissent devoir être approfondis avec vous. D'abord, le contexte socio-économique, technologique, culturel et géopolitique dans lequel nous sommes et qui influe inévitablement sur la francophonie et ses contours. Je pense, par exemple, à l'échéance des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, qui constitue à la fois une chance pour la promotion de notre langue et un risque compte tenu de la prédominance de l'anglais dans ce genre de manifestation internationale.
Ensuite, les moyens dont l'État dispose ou devrait disposer pour assurer sa mission de garant de la langue française. Quel rôle devra jouer la future Cité internationale de la langue française qui, avant même son inauguration, est déjà décriée ? L'arsenal législatif que constitue la loi « Toubon » doit-il être actualisé pour tenir compte des évolutions technologiques - en particulier l'essor du numérique - et sociétales à l'oeuvre depuis son adoption ? L'enseignement du français, en France et à l'international, mérite-t-il d'être repensé, mieux doté, face à la concurrence de l'anglais mais aussi d'autres langues (comme le mandarin en Afrique) ?
Cette liste n'est pas exhaustive et je suis sûr que mes collègues ne manqueront pas de la préciser ou de la compléter. Messieurs, en vous remerciant de votre présence, je vous cède la parole pour un propos liminaire d'une dizaine de minutes chacun.
M. Jacques Toubon. - Je vous remercie de m'avoir convié à cette audition. Je sais que la commission de la culture du Sénat est très attentive aux sujets de la langue française et de la francophonie. A la veille des évènements que vous venez de citer, il me parait en effet très opportun de nous entretenir de ces sujets.
Au milieu de cette année 2023, je voudrais insister sur deux aspects.
Comme vous l'avez rappelé, quatre évènements majeurs vont nous obliger à prendre position. Il y a bien sûr le 30ème anniversaire de la loi. Il y a également les Jeux olympiques et paralympiques de Paris de 2024. Je rappelle que le français est à l'égal de l'anglais comme langue olympique et nous devrons donc veiller à ce que notre langue soit utilisée à égalité de l'anglais dans toute la communication des Jeux. Le Parlement a sur ce sujet un rôle essentiel à jouer : il faut que l'Assemblée nationale et le Sénat ensemble adoptent une résolution demandant au Gouvernement de faire respecter ces dispositions de la charte olympique, qui datent de 1920 et non pas de la loi Toubon... Par ailleurs, nous aurons un sommet de la francophonie en 2024. Enfin, à la fin de l'année 2023, se tiendra la coupe du monde de rugby. Or, il s'agit d'un évènement extrêmement populaire et ce sport est marqué par l'utilisation intensive de l'anglais. Certains rugbymen ont même le snobisme d'utiliser l'anglais plutôt que le français du sud-ouest... Il faut aussi se servir de cet évènement pour promouvoir le français. Plusieurs circonstances se présentent donc pour défendre la position du français mais aussi la diversité des langues. Je n'oublie pas non plus l'inauguration de la Cité internationale de Villers-Cotterêts.
S'agissant de la loi du 4 août 1994, quatre points méritent d'être étudiés de près.
Il faut d'abord déterminer si les sanctions prévues sont suffisantes et si elles sont suffisamment appliquées. La réponse est à l'évidence négative. Néanmoins, l'ancien Garde des sceaux que je suis sait que les magistrats font ce qu'ils veulent et que la séparation des pouvoirs et l'indépendance de la justice sont des principes au moins aussi importants que l'objectif de défense de la langue française. Afficher dans la loi une très forte augmentation des sanctions n'aboutirait pas nécessairement à leur meilleure application. Le Parlement pourrait néanmoins prendre des initiatives sur ce sujet.
Par ailleurs, je rappelle que le Conseil constitutionnel, saisi par le groupe socialiste de l'Assemblée nationale de l'époque avait déclaré non conforme l'article 2 de la loi du 4 août 1994, qui concernait l'application de la loi aux communications privées. Il est probablement impossible de surmonter cette jurisprudence constitutionnelle, mais il faudrait trouver les moyens de mettre néanmoins en oeuvre certains des éléments de cet article 2.
Il conviendrait ensuite de mener un travail sur le contenu de la langue. Je songe au travail formidable mené sur la terminologie. J'ai ici un document publié par la commission d'enrichissement de la langue française sur cinquante termes inventés entre 1972 et 2022. Sont ainsi mentionnés l'écocide, le crédit-bail ou encore la bientraitance animale. Il s'agit des mots du français de tous les jours, ce n'est pas destiné aux académiciens.
Enfin, ma dernière remarque sera évidente. Il faut adapter la loi à l'ère du numérique, des algorithmes et de l'intelligence artificielle. Il reste notamment à déterminer si l'intelligence artificielle générera du français, du nouveau français ou du globish. Il est capital que le souci de la langue apparaisse dans les textes destinés à l'économie numérique examinés au Parlement. Plus largement, il ne faut pas oublier un chapitre numérique dans le cas d'une révision de la loi du 4 août 1994.
Je suis très heureux de parler de ces sujets avec vous et je terminerai en rappelant que nous sommes la 4ème ou la 5ème langue la plus parlée dans le monde. Un grand nombre de pays sont marqués par l'usage du français et ce n'est pas seulement un phénomène post-colonial. Au-delà de la francophonie, il s'agit de veiller à tenir notre rang partout où il y a des hommes et des femmes qui pensent que s'exprimer en français est mieux, sinon aussi bien, que de s'exprimer dans d'autres langues, et notamment dans la langue des publicités.
M. Paul de Sinety. - Merci monsieur le Président. C'est un grand honneur pour moi de m'exprimer après monsieur le ministre Jacques Toubon, à qui nous devons tout en ce qui concerne le cadre légal et la possibilité de pouvoir s'exprimer et d'accéder à des informations en français.
Je ne ferai pas un long exposé, l'objet de cette rencontre étant d'engager un dialogue avec vous. Je rappellerai simplement que l'État est engagé pour mettre en place une politique publique en matière linguistique à travers l'action de la délégation générale à la langue française et aux langues de France. Sa mission est précisément d'animer cette politique et la délégation contribue pleinement au projet formidable de la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts. Ce projet a pu être décrié mais a aussi été vivement encouragé. Il est appelé à illustrer les réalités de notre politique en matière linguistique.
Je voudrais aussi rappeler brièvement que la délégation générale à la langue française et aux langues de France est une administration de mission, placée auprès de la ministre de la culture, Mme Rima Abdul Malak. Elle veille à l'emploi en France du français - langue de notre République comme le précise l'article 2 de notre Constitution. Comme l'a rappelé Jacques Toubon, cette délégation contribue également à un enrichissement de notre langue, à travers un remarquable travail de terminologie, dont vous avez quelques exemples dans les brochures qui vous ont été distribuées.
Notre mission est aussi d'assurer la promotion des langues de France. On entend par là les langues régionales et les langues non territoriales, qui font partie du patrimoine de notre pays selon l'article 75-1 de notre Constitution. Nous contribuons également avec l'ensemble des services du ministère de la culture à la diffusion de notre langue et de la francophonie dans le monde.
Je trouve très intéressant le choix de la thématique de cette audition autour de la francophonie. Vous nous avez invités d'abord à parler de l'objet de la langue. C'est bien la langue qui fait la francophonie. S'il n'y a pas de politique concertée avec les autres ministères, au premier rang desquels se trouvent les ministères de l'Europe et des affaires étrangères et de l'éducation, il ne peut pas y avoir d'espace ni de dialogue francophones. Il ne peut y avoir de politique linguistique qui ne soit globale, croisant les approches nationales et internationales.
Vous avez souhaité nous interroger notamment sur le calendrier des grands évènements, en fonction d'un contexte « socio-économique, technologique, culturel et géopolitique sur la francophonie et ses contours ». Je rajouterai un enjeu à notre réflexion : le défi de l'intelligence artificielle, déjà esquissé par Jacques Toubon. Le grand défi de l'innovation pose la question de l'avenir de notre langue et plus largement du plurilinguisme. Comment l'Europe, la France et les espaces francophones vont-ils réagir face à ce défi de l'intelligence artificielle ?
S'agissant des Jeux olympiques et paralympiques, nous avons mis en place avec nos collègues du ministère des sports, le 22 novembre dernier, un groupe de travail interministériel et interinstitutionnel intitulé « Le français, langue du sport et de l'olympisme en France et dans le monde ». Ce groupe de travail associe des représentants des ministères de la culture, des sports, de l'Europe et des affaires étrangères, de l'éducation nationale et de la jeunesse, de la délégation interministérielle des Jeux olympiques et paralympiques, du Comité d'organisation des Jeux olympiques (COJO), des associations représentant les collectivités et les réseaux territoriaux et de l'ensemble des fédérations sportives.
Être vigilant est nécessaire pour que le français soit, au même titre que l'anglais, la langue de ce grand rendez-vous. Mais pour être encore plus concret, quatre thématiques ont été retenues pour agir et déboucher d'ici la fin de l'année sur des livrables et des recommandations. Les titres de ces thématiques sont évocateurs : « Entreprises du sport et francophonie », « Ressources pédagogiques au service des francophones ». Des « lexicosport » (« parlez-vous sport ? », « parlez-vous break ? ») ont été établis pour exprimer en français les réalités les plus contemporaines des disciplines sportives, et notamment du sport urbain. Des applications et des sites internet ont également été lancés pour que ces vocabulaires soient accessibles et empruntés par le plus grand nombre. Enfin, les collectivités territoriales seront mobilisées pour valoriser la langue française dans le cadre des Jeux olympiques et paralympiques.
Ces actions s'inscrivent dans le plan Héritage, dans le cadre des grands rendez-vous sportifs qui vont être mis en oeuvre en France. Elles sont appelées à devenir pérennes pour pouvoir être diffusées lors des prochains rendez-vous des Jeux olympiques et paralympiques. Je pense notamment aux rendez-vous de Los Angeles.
Le deuxième grand défi qui nous mobilise pleinement est celui de l'intelligence artificielle. Aujourd'hui, les technologies de la langue, les interfaces hommes/machines de l'intelligence artificielle prennent une place de plus en plus importante dans notre société. Une part croissante des contenus que nous lisons et entendons sont produits par des machines, d'autant plus avec la banalisation des agents conversationnels, comme ChatGPT, dont les cas d'usage sont sans limite et pour certains fortement médiatisées et problématiques. Nous devons réfléchir à l'avenir et à la forme des langues, qui se joue pour l'essentiel aujourd'hui à travers ces technologies.
C'est pour cette raison que le ministère de la culture, en lien très étroit avec le ministère de l'économie, le secrétariat d'État à la transition numérique et le coordinateur national pour l'intelligence artificielle, projette de réaliser un centre de références des technologies de la langue, intitulé Linguia, dédié au secteur du traitement automatique des langues, pour mieux accompagner le monde académique et industriel français, en particulier les près de 200 jeunes pousses qui représentent un savoir-faire d'excellence en France et que nous devons à tout prix accompagner. Ce centre, dont l'amorçage est prévu sur des crédits France 2030, pourrait être mis en lien avec le projet de la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts en 2025.
Il faut aller plus vite, plus haut, plus fort ou citius, altius, fortius, pour parler latin. Le marché des technologies est estimé, en 2022, à 341 milliards de dollars et est promis à une croissance annuelle de 27,6 % d'ici 2030 selon une étude de Market Research Future de septembre 2022. Ces chiffres précèdent l'arrivée de ChatGPT et sont donc très largement sous-estimés. Les acteurs majeurs aujourd'hui sont américains. Nous ne pouvons réagir de façon concrète et crédible qu'avec l'appui de l'ensemble des pays membres de l'Union européenne. C'est la raison pour laquelle, à la demande de Bruxelles, nous étudions la possibilité de la création d'un consortium industriel européen dédié aux technologies de la langue, qui permettra de développer des outils souverains et compétitifs, prenant en compte les spécificités linguistiques de chaque pays, naturellement en les conciliant avec nos enjeux de faible consommation énergétique. Notre pays possède des atouts extraordinaires pour se positionner comme chef de file européen : des infrastructures comme le super calculateur Jean Zay, une formation parmi les meilleures au monde de mathématiciens (on ne compte plus le nombre de médailles Fields françaises) ou encore des institutions de recherche dynamiques et pertinentes. Nous disposons d'un cadre idéal pour faire de l'intelligence artificielle européenne.
Il y a également un autre sujet, qui concerne la diffusion sur internet de nos savoirs en langue française, à commencer par les contenus scientifiques. Nous allons réaliser une mission sur la découvrabilité des contenus scientifiques en français. Cette mission sera inscrite dans la prochaine rencontre alternée des deux Premiers ministres français et québécois d'ici la fin de l'année. Elle devra aussi déboucher sur des recommandations très concrètes pour permettre que notre langue soit encore une langue de diffusion, une langue d'influence et lui assurer ainsi, à travers l'ensemble des objets connectés et numériques, une pérennité crédible.
Vous m'avez interrogé sur le projet de Villers-Cotterêts, qui est selon moi une formidable opportunité pour incarner cette politique de la langue. Comme l'avait rappelé devant vous Philippe Bélaval, il s'agissait d'un projet de restauration du patrimoine. Le château de Villers-Cotterêts était l'un des plus grands scandales du patrimoine en France. Grâce à l'action décisive de l'État, le Centre des monuments nationaux a pu relever l'ensemble des bâtiments, afin d'y installer - suivant le souhait formulé par le Président de la République lors de son discours de mars 2018 sous la coupole de l'Institut de France - la Cité internationale de la langue française.
C'est une véritable opportunité qui permettra d'aller dans quatre directions pour notre politique linguistique. La première est celle d'une langue française comme langue de cohésion. Le territoire de Villers-Cotterêts, comme vous le savez, est marqué par un taux d'illettrisme important, à 13 %, soit près du double de la moyenne nationale. Le sud de l'Aisne est également marqué par le chômage et par un sentiment persistant de relégation au sein de la population. Comme cela a déjà été entrepris depuis deux ans, il s'agit de mettre en place des actions concrètes pour permettre aux habitants de ce territoire une meilleure appropriation de ce projet, en leur donnant la possibilité de mieux maitriser la langue française et de mieux y adhérer, à travers des programmes, des appels à projet, des festivals de la langue française...Bref, il s'agira de doter Villers-Cotterêts d'un équipement linguistique, de la même façon qu'un établissement culturel est doté d'un équipement culturel.
Le deuxième objectif linguistique de Villers-Cotterêts est de faire de la langue française une langue de création et d'attractivité. Cela passe par des résidences, une programmation culturelle, et par l'invitation de chercheurs et de créateurs qui ont pour matériaux premiers la langue française et la francophonie. C'est un enjeu très important pour l'attractivité au niveau international. Vous savez que l'organisation internationale de la francophonie et sa secrétaire générale Louise Mushikiwabo ont déjà signé des accords de partenariats avec le Centre des monuments nationaux. De nombreux échanges ont déjà lieu avec un grand nombre de partenaires francophones, avec le Québec et le Canada tout particulièrement.
Le troisième grand enjeu de politique linguistique est celui de la langue française comme langue d'innovation. J'en reviens ainsi au sujet qui doit nous mobiliser sur l'intelligence artificielle et le traitement automatique des langues.
Le choix de Villers-Cotterêts est aussi un choix très symbolique. Outre le fait qu'il s'agisse du lieu où fut signée l'ordonnance qui fit de la langue française la langue du droit, cette région est marquée par des difficultés socio-économiques. C'est aussi un grand défi à relever car c'est la première fois qu'on réalise une cité dédiée à la langue française. Il peut y avoir, comme pour tout enfantement, quelques difficultés et hésitations. Mais l'ambition est forte et d'importants moyens humains et financiers ont été engagés pour réussir cette entreprise. C'est une aventure passionnante, qui aura d'ailleurs pu influencer d'autres pays. Je songe ainsi à l'Espagne, où un centre dédié aux langues espagnoles est en cours de réalisation dans la vallée de la Rioja, avec un important investissement de l'État espagnol. Je pense aussi à l'initiative prise en Italie pour réaliser un centre de langue italienne, non loin de Florence. Les Allemands sont également très attentifs à ce sujet. Ces exemples prouvent qu'avec l'initiative de la Cité internationale de la langue française la France joue un rôle moteur pour engager et faire prendre conscience à nos partenaires les plus proches de l'urgence d'une politique linguistique.
Le ministre Jacques Toubon a rappelé l'importance du cadre légal ; je n'y reviendrai pas. Je citerai seulement quelques chiffres. Selon une récente enquête que nous avions commandée au Credoc, l'importance de ce cadre légal est bien prise en compte par nos concitoyens. Plus de deux tiers des Français sont attachés à la loi Toubon. Plus de la moitié des Français interrogés se voient gênés et agacés et d'une certaine façon discriminés lorsque l'on s'adresse à eux dans une autre langue que la langue française. La raison en est qu'il en va de la cohésion et du sentiment d'appartenance.
Les réussites sont notables : le cadre légal, l'obligation de traduire en français tous les produits de consommation, les dispositions sur la sécurité et la santé de nos concitoyens... Si l'on s'intéresse aux manquements de la loi du 4 août 1994, ceux-ci sont d'autant plus notables qu'ils sont particulièrement voyants. Ils concernent l'affichage publicitaire, le numérique, certaines ambigüités rédactionnelles, notamment sur l'article 14 portant sur les marques employées par les personnes publiques. Mais ces difficultés d'application n'empêchent pas la délégation générale à la langue française et aux langues de France d'agir en faveur du cadre légal. Nous sommes pleinement engagés dans un effort d'information et de sensibilisation au respect des principes de la loi Toubon, qui vise à responsabiliser les acteurs concernés, au premier rang desquels se trouvent les organismes publics.
Nous avons engagé un dialogue très étroit avec des instances de régulation, comme l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) ou l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP). La journée du 21 mars, à laquelle M. Toubon avait participé, ouverte par Jean-Marc Sauvé, vice-président honoraire du Conseil d'État, rassemblant plus de 450 participants à l'Institut de France, a permis de diffuser et de promouvoir ce rapport à la langue française. Elle a montré à quel point la société civile est engagée pour que vive ce cadre légal.
Il y a des champs prioritaires d'intervention : les sciences, la recherche, l'enseignement supérieur, la découvrabilité des contenus en ligne, le sport et l'olympisme, l'emploi du français dans les secteurs publics, les administrations, les grands institutions et les collectivités. Nous avons d'ores et déjà renforcé notre action au plan interministériel avec la mise en place de lettres de mission auprès du réseau des hauts fonctionnaires à la langue française, qui ne sont plus seulement chargés de l'enrichissement de la langue mais sont également chargés de la veille pour que le cadre légal soit respecté au sein de leurs ministères et des services publics.
Enfin, nous avons publié ce nouveau rapport au Parlement sur les politiques en faveur du français et du plurilinguisme. Il vise, avec une éditorialisation très claire, à informer le mieux possible la représentation nationale, mais aussi plus largement les élus et les décideurs, pour leur faire passer le message essentiel que la langue française est un objet politique.
M. Yan Chantrel. - Merci à vous pour ces très larges et très riches explications. Je veux saluer le travail effectué par la délégation générale pour la défense et la valorisation de notre langue.
Nous avons en effet relancé le groupe d'études sur la francophonie. Nous avons identifié de nombreux champs. Vous avez rappelé les obligations de concertation en matière de politique de francophonie ; elle ne doit pas être limitée à un seul ministère. On constate un manque de stratégie et de vision pour permettre de mieux exploiter en termes économiques, culturels, universitaires l'espace que représente la francophonie. D'après différentes sources, on évalue à 700 millions le nombre de francophones en 2050. 85 % d'entre eux seront en Afrique, la majorité sera très jeune et elle s'informera massivement sur les réseaux sociaux, où peuvent être diffusés des messages qui ne sont pas toujours très favorables à la France...Il faut permettre de créer un sentiment d'appartenance à cet espace vaste qu'est la francophonie.
Je rappelle que nous disposons d'un réseau très dense, avec des établissements d'enseignement partout dans le monde. Dans ceux-ci, deux tiers des personnes inscrites ne sont pas françaises, mais sont des résidents locaux. Je n'oublie pas les Alliances françaises, les Instituts français qui permettent à beaucoup de personnes d'apprendre le français. Nous y faisons la promotion des études supérieures en France à travers Campus France.
Notre grande difficulté est que nous avons une politique de visas qui va à contre-courant de tous ces investissements. Notre politique est quasiment schizophrénique. Nous formons massivement, mais nous refusons ensuite à ces personnes de suivre des études supérieures en France. Imaginez l'humiliation que subissent ces personnes ! Elles se tournent alors vers d'autres pays, en commençant par le Royaume-Uni et le Canada, qui les accueillent à bras ouverts, heureux de pouvoir bénéficier de personnes formées par le système français. Les visas sont désormais entre les mains du ministère de l'intérieur. Ce n'était pas le cas auparavant. Pendant de très nombreuses années, il s'agissait d'une attribution du ministère des affaires étrangères.
M. Jacques Toubon. - Cela date de 2008 et d'une décision de Brice Hortefeux.
M. Yan Chantrel. - Si l'on veut une vision et une politique de développement dans cet espace, qui peut être un levier économique - Jacques Attali rappelle que 8 % de la population potentielle se trouverait dans l'espace francophone -, il faut assurer des politiques cohérentes en la matière et non contre-productives. On le voit aussi avec la politique des visas au Maroc. Ce n'est pas le seul pays concerné. Je fais beaucoup de déplacements dans l'espace francophone en tant que parlementaire représentant les Français établis hors de France. C'est toujours un crève-coeur de voir ces personnes amoureuses de la France - souvent des chercheurs et des artistes -, qui ne peuvent pas aller dans notre pays, simplement pour des questions de visas alors qu'ils rejoignaient la France sans aucun problème les années précédentes.
Vous avez également soulevé un autre point, qui est encore minoré en France. Il s'agit de la découvrabilité des offres culturelles francophones sur les plateformes numériques. Il y a une invisibilisation de l'offre culturelle en français sur Netflix et Disney + notamment. Nous n'avons pas la maitrise sur leur algorithme. Ce qui compte n'est pas tant la présence de contenus francophones dans les catalogues - qui sont très importants - mais d'assurer que ces contenus soient visibles. Le Canada a récemment voté la loi C11 qui oblige les plateformes et les réseaux sociaux à promouvoir le contenu canadien et également à y contribuer. Si on veut valoriser l'espace francophone, il faut valoriser sa diversité de contenus. Avez-vous une réflexion sur ces sujets ? La technique semble aller plus vite que le législateur, avec notamment l'intelligence artificielle qui accélère encore plus les enjeux liés au numérique. Avez-vous des propositions pour valoriser les productions francophones et en améliorer la visibilité sur les plateformes ?
M. Pierre Ouzoulias. - Mon propos concernera l'usage du français dans la science. Nous le savons, la langue n'est pas seulement un vecteur de communication, elle est aussi un mode de réflexion. Les langues ne sont pas totalement interchangeables. Comme vous l'avez justement rappelé, la langue est vivante quand elle est utilisée dans tous les secteurs de l'activité humaine. Avec ma collègue Laure Darcos, nous avons inscrit dans la loi de programmation de la recherche plusieurs dispositifs sur l'usage du français. Leur mise en oeuvre par les opérateurs de la recherche est quasi nulle. De grands dirigeants de la recherche nous ont expliqué que la bataille du français était perdue et qu'il fallait accepter que les chercheurs s'expriment en anglais.
La raison ne tient pas à la diffusion. Même en étant critique avec l'intelligence artificielle, il faut convenir que n'importe quel article peut être traduit en français afin d'en comprendre l'essentiel. La raison tient plutôt à la domination anglo-saxonne sur les vecteurs de la publication scientifique. De grandes revues tiennent complétement le marché de la publication et ne souhaitent pas ouvrir leurs colonnes à d'autres langues que l'anglais - ou plutôt que le globish.
Pour que la France redevienne une langue scientifique - ce qu'elle a été pendant longtemps - tout un travail doit être mené sur l'économie de la publication, qui réclame des efforts importants. Cela implique un changement total de la part du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, dans le cadre de l'évaluation des travaux scientifiques. Nous avons essayé de le faire à la commission à propos du Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres). Nous aurions besoin de votre relais pour expliquer que cela n'est pas accessoire, mais bien fondamental pour l'usage du français.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Je voudrais saluer Jacques Toubon et le travail immense et fondateur réalisé avec sa loi, qui est une référence. Peut-être négligeons-nous de faire vivre plus souvent cette loi pour promouvoir et défendre notre langue.
Certes, le Gouvernement a des projets tels que Villers-Cotterêts. Mais je m'interroge sur la cohérence des actes. Pas plus tard que la semaine dernière, le slogan retenu par le ministère des affaires étrangères pour la promotion de l'attractivité de notre économie est « Choose France », comme si « Choisissez la France » n'était pas assez transparent...Ce n'est pas la première fois qu'il y a de la part de ce ministère ce genre de positionnement. J'avais, il y a deux ans, eu l'occasion de m'en ouvrir à Jean-Yves Le Drian. Le tir n'a pas du tout été corrigé. Je sais que M. de Sinety était monté au créneau.
La francophonie numérique doit, selon moi, passer des investissements à réaliser en France, mais aussi et surtout en Europe, en faveur des nouvelles technologies. Nous sommes bien sûr très en deçà des États-Unis en la matière et nos investissements se sont réduits comme peau de chagrin ces dernières années. Dans le plan d'action 2030 « Une boussole numérique pour l'Europe », il n'y a pas de dispositif prévu sur ce sujet. Dans le cadre du sommet de l'avenir, qui se tiendra en septembre 2024 à l'initiative du Secrétaire général de l'ONU, il a été proposé la signature d'un pacte numérique mondial. Une grande concertation a été lancée avec les gouvernements, la société civile et les entreprises. L'Assemblée parlementaire de la francophonie (APF) a interrogé l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) sur ce sujet. Nous devrions tous collectivement s'emparer de cette perspective pour faire vivre les valeurs de la diversité linguistique.
Mme Laurence Garnier. - Merci à M. Toubon et à M. de Sinety de nous avoir fait partager ce matin cette passion de la langue française.
Je voudrais revenir sur la place du français dans l'entreprise, qui me parait un enjeu absolument majeur. Je suis issu du monde de l'industrie automobile française, qui est touchée comme toutes les industries par les anglicismes qui l'ont envahi au cours de ces dernières décennies. L'enjeu est particulièrement fort car derrière les changements de mots, il y a des changements de pratiques, de méthodes, de « management » - je ne sais pas quel terme académique conviendrait - et de culture d'entreprise.
Vous avez sans doute lu l'excellente pièce Par-dessus bord de Michel Vinaver, qui décrit magnifiquement comment une entreprise qui veut vendre du papier toilette bleu-blanc-rouge finit par céder à l'anglicisation des pratiques et des méthodes. Je n'en dis pas plus, ne voulant pas « spoiler » la pièce ...
Quels outils concrets pouvez-vous mettre à disposition des entreprises françaises qui voudraient s'emparer de ces enjeux ? Nous avons évoqué l'État et les collectivités mais qu'en est-il des entreprises ? Quels moyens peuvent leur être apportés pour développer l'amour de la langue française et de la culture de l'entreprise à la française ?
M. Paul de Sinety. - Madame la sénatrice, je ne vais pas divulgâcher ma réponse !
M. Olivier Paccaud. - Merci messieurs pour vos propos passionnants.
Pour faire plaisir à ma collègue Catherine Morin-Desailly, je dirais que la « start-up nation », chère à un éminent Français, peut être fière de sa langue. Ce n'est pas seulement un trésor patrimonial, c'est aussi un vecteur d'influence et de rayonnement international. C'est une véritable arme en matière de « soft power » - il faudrait bien sûr utiliser un autre terme.
J'ai beaucoup apprécié votre développement sur Villers-Cotterêts. Il se trouve que je suis élu de l'Oise, département limitrophe de l'Aisne où se trouve cette ville. Vous avez commencé en précisant qu'il s'agissait d'une zone un peu « arriérée », bien que vous ayez corrigé votre propos par la suite. N'oubliez pas que près de Villers-Cotterêts se trouvent Château-Thierry, ville de naissance de La Fontaine, Pierrefonds, Compiègne...Vous avez insisté sur le rôle que les collectivités locales peuvent désormais avoir en matière de soutien à la langue. Je citerai le très beau festival « Paroles », créé récemment par l'agglomération de la région de Compiègne et par les communautés de communes Retz-en-Valois et des lisières de l'Oise.
Il est vrai que le projet de Villers-Cotterêts est épatant et j'ai moi-même été bluffé. Cela va être un outil formidable pour développer la francophonie et disposer d'un site fixé dans la pierre. J'ai regardé avec un peu de malice le livret que vous nous avez distribué. J'ai appris qu'on disait pause au lieu de freeze et qu'en français on disait break au lieu de breakdance...
Ma question, plutôt anecdotique, concerne les acronymes. Notre langue les multiplie. Certes, ils ne sont pas nés avec le XXIème siècle - mon ami Pierre Ouzoulias pourra vous parler du SPQR, Senatus poupulusque Romanus. Mais aujourd'hui ces acronymes se trouvent partout. Selon vous, cette submersion d'acronymes contribue-t-elle à un enrichissement ou à un appauvrissement de la langue ?
Mme Elsa Schalck. - Monsieur le ministre, monsieur le délégué général, c'est à mon tour de vous remercier pour vos propos et pour votre engagement pour la promotion et la défense de notre belle langue française. Nous le savons, notre langue est partie intégrante de notre identité, de notre patrimoine, de notre culture. Elle constitue également un facteur de cohésion au sein de notre société, elle permet de créer des liens et facilite les compréhensions et les échanges.
Je salue ici l'existence de notre groupe d'études sur la francophonie. La langue française, parlée par plus de 320 millions de locuteurs principaux, est la cinquième langue au monde. Des institutions comme l'Assemblée parlementaire de la francophonie oeuvrent pour que perdure ce patrimoine commun et sensibilisent les jeunes générations à l'apprentissage de la langue française. Sur le plan national, nous voyons bien comment la loi Toubon a permis de garantir fortement à nos concitoyens un droit au français, dans la vie au quotidien, au travail, mais également afin de rendre la langue française accessible.
Vous avez évoqué les enjeux du numérique et de l'intelligence artificielle mais nous voyons aussi les atteintes portées à langue française par les anglicismes. Je voudrais vous sonder sur une autre atteinte, celle du développement de l'écriture dite inclusive. À titre personnel, je considère que l'écriture inclusive exclut davantage qu'elle n'inclut. Pourtant, nous la voyons fleurir de plus en plus. L'actualité récente nous livre encore une parfaite illustration. Dans le cadre d'un examen universitaire, des pronoms qui n'existent pas ont été utilisés. L'écriture inclusive se retrouve dans de plus en plus de documents officiels de municipalités. Je la vois même fleurir dans des règlements intérieurs de la ville de Strasbourg. Je vois bien, avec l'utilisation du point médian, à quel point l'écriture inclusive complexifie notre langue et la rend peu accessible. Je m'inquiète vraiment de cette évolution. Je voudrais donc vous entendre sur point, d'autant que M. de Sinety a parlé d'une érosion de notre langue. Je n'oublie pas enfin la lutte contre l'illettrisme.
M. Max Brisson. - En préambule, je voudrais dire mon respect et mon admiration pour monsieur le ministre et ma reconnaissance pour le travail de monsieur le délégué général.
À l'exception d'Elsa Schalck, je trouve mes collègues relativement « soft » - si j'ose dire - dans leurs interventions. Je suis stupéfait du décalage entre le discours tenu ici et la réalité. Je doute qu'un renforcement du cadre légal (encore faudrait-il qu'il soit appliqué, comme l'a rappelé M. Toubon) ou des outils (comme évoqué par Laurence Garnier) puissent suffire s'il n'y a pas de volonté politique. Je suis choqué de l'abandon de toute volonté de défense de la langue française d'une grande partie de nos élites.
Vous avez parlé de langue de cohésion. Je voudrais bien vous suivre, à condition que ceux qui tiennent le haut du pavé médiatique - que ce soient les élites politiques, économiques, culturelles ou universitaires - montrent l'exemple. Le dernier snobisme est aujourd'hui de parler anglais. Avec tout le respect que j'ai pour vous M. de Sinety, il me semble que votre discours sur la cohésion reste très éloigné des réalités. Cela nous rappelle une vérité, que j'ai connue en tant qu'élu du pays basque : dans les rapports linguistiques, il y a les dominants et les dominés. Il y a des rapports de force, qui ne seront à notre avantage que s'il y a une forte mobilisation politique. S'il n'y a pas de mobilisation de nos élites, s'il n'y a pas de prise de conscience, je doute que les moyens qui sont les vôtres, M. le délégué général, soient à la hauteur du défi qui est le nôtre. Comme le rappelait Jacques Chirac en son temps, il s'agit d'un défi pour la diversité culturelle de notre monde et donc pour sa richesse.
M. le ministre, vous êtes l'auteur d'une loi qui fêtera bientôt ses 30 ans. Vous connaissez bien les Pyrénées Atlantiques, pour y avoir servi. Permettez-vous de vous signaler que la loi Toubon m'a laissé parfois un goût amer. Je l'ai vu servie par des hauts fonctionnaires parfois avec zèle quand il s'agissait d'imposer la langue française face aux langues régionales. Je voyais rarement ce même zèle quand il s'agissait de combattre la domination anglaise sur la signalétique dans les rues de Pau ou de Bayonne. Haro sur le basque ou le gascon et larges facilités données à l'invasion de la langue anglaise, pourvu que le business puisse fonctionner !
Je suis persuadé que la loi Toubon-Lamassoure a été largement détournée de sa finalité par des fonctionnaires zélés au nom d'un jacobinisme dépassé. Nous aurions pu pourtant nous retrouver autour d'un combat pour la diversité. Le combat pour nos langues de France et celui pour la langue française constituent un seul et même combat, celui du pluralisme, pour un monde de diversité et non un monde dominé par le globish.
M. Bernard Fialaire. - Dans le prolongement des deux dernières interventions, je souhaiterais reprendre votre rapport sur la langue française. Vous y indiquez que la loi Toubon érige la langue française comme « la langue de l'enseignement, des examens et concours, ainsi que des thèses et mémoires dans les établissements publics et privés d'enseignement ». Or, il me semble que l'article 11 de la loi Toubon, qui contenait ces dispositions, a été abrogé. Je souhaiterais donc savoir ce qu'il en est aujourd'hui pour ces obligations d'utilisation de la langue française, alors même que la liberté académique s'applique également.
M. Jacques Grosperrin. - Je voudrais aller dans le sens de Max Brisson.
La création de la Cité internationale de la langue française devait coûter 185 millions d'euros mais le chiffre est désormais passé à 209 millions d'euros. L'ouverture, prévue le 25 juin, est décalée. M. le délégué général, vous parlez d'un choix symbolique, sur un territoire ayant des difficultés socio-économiques, avec un maire - il ne faut pas l'oublier -appartenant au Rassemblement national. Je m'interroge : cette symbolique culturelle doit-elle avoir un coût aussi élevé ?
Vous parlez également de formidables opportunités. Le directeur de la Cité évoque, quant à lui, l'opportunité d' « avoir une excuse pour parler français ». Faut-il véritablement une excuse pour parler français et avoir un lieu pour pouvoir le faire ?
J'irai dans le sens de M. Toubon. Les Jeux olympiques seront un moment dédié pour parler français. Votre appel à une résolution du Parlement a bien été entendu. Faut-il augmenter les sanctions ? Je n'en suis pas persuadé. En revanche, les moments de réunion où les peuples se rencontrent peuvent être des moments formidables.
La question n'est pas seulement celle de la francophonie. C'est aussi parler français en France. Sous le prétexte de la liberté pédagogique, on laisse des chefs d'établissement ou des professeurs proposer des examens en écriture inclusive. Comment le créateur de loi du 4 août 1994 réagit-il ? Cela pose aussi des problèmes à tous nos élèves étrangers, qui doivent apprendre le français en écriture inclusive alors que notre langue est déjà compliquée.
M. le ministre, que reste-t-il de votre loi 30 ans après son adoption ? Vous avez indiqué votre regret sur les communications privées. Avez-vous d'autres regrets ? Avez-vous des pistes d'évolution ?
Mme Sylvie Robert. - Messieurs, je vous remercie pour vos propos.
Connaissez-vous le nom de la secrétaire d'État à la francophonie ? J'attends vos réponses... Je voudrais vraiment remercier le Président Lafon d'avoir organisé cette audition. Aujourd'hui, peu de monde considère l'enjeu de la langue comme un enjeu politique majeur. Nous perdons en influence, alors que la langue française est un élément de diplomatie culturelle extrêmement important. Or, personne ne s'y intéresse véritablement.
J'invite tous mes collègues à visiter le magnifique château de Villers-Cotterêts, superbement restauré. J'y ai passé deux jours et je trouve que c'est une réalisation absolument remarquable. Le chef de l'État a voulu que cette cité soit la quintessence de cet enjeu politique de défense de nos langues en France. M. le délégué général, vous avez très justement rappelé les enjeux. Ils sont cruciaux. Il y a la question de l'ancrage territorial, de la création, de l'innovation. Quel est, selon vous, l'élément déterminant dans le projet de Villers-Cotterêts qui fera que le pari sera réussi ? Il devait y avoir un hôtel, il n'y en aura pas. Il n'y a pas non plus de résidence pour les artistes ou les chercheurs. Au regard du contexte extrêmement préoccupant, pensez-vous que ce projet pourra évoluer ?
M. Pierre-Antoine Levi. - Monsieur le ministre, la loi que vous avez mise en place il y a quasiment 30 ans, interdit l'usage de tout anglicisme par toute personne morale de droit public et toute personne privée chargée d'une mission de droit public. Cependant, avec l'ère numérique et la prévalence de l'anglais sur Internet, cette loi semble rencontrer de nombreux défis. Comment envisagez-vous l'application de cette loi à l'ère du numérique ? Pensez-vous que la loi Toubon mérite des modifications ou des adaptations pour répondre aux défis actuels ?
Ma deuxième question porte sur la publicité. La loi Toubon cible toutes les formes de publicité, à l'exception des communications par voie électronique. Cette exception semble de plus en plus problématique à mesure que les communications numériques deviennent un vecteur de plus en plus important pour la publicité et l'information. Messieurs, quelle est votre opinion sur cette exception ? Pensez-vous qu'elle devrait être abordée dans une future révision de la loi Toubon ? Si oui, comment imaginez-vous que cela pourrait être fait de manière à respecter à la fois la liberté d'expression et l'intégrité de la langue française ?
M. Cédric Vial. - Vous avez rappelé que la francophonie était rattachée au ministère des affaires étrangères. Ma question est simple, la réponse l'est peut-être un peu moins. Comment voyez-vous l'avenir de la francophonie, avec l'extinction progressive de l'influence française en Afrique ? Comment concilier une politique francophone efficace avec une perte d'influence importante sur le continent africain notamment, mais aussi dans l'Indo-Pacifique ?
On a parlé, sans utiliser le terme, de grand remplacement du français par l'anglais dans un certain nombre de domaines. L'anglais est-il encore l'ennemi comme au temps de l'adoption de la loi Toubon ou est-ce le français lui-même, avec les dérives de l'écriture inclusive ou encore les lacunes en orthographe ? La pratique du français en France ne pose-t-elle pas un problème majeur à la défense et à la promotion du français à l'extérieur de la France ?
Sur un ton plus sarcastique, je me demande si la première cible de la politique de la francophonie ne devrait pas être la politique intérieure plutôt que la politique extérieure. Faut-il rattacher la francophonie non plus au ministère des affaires étrangères mais au ministère de l'intérieur ?
M. Laurent Lafon, président. - La francophonie peut nous mener loin dans la réflexion politique et sociétale ! Ces nombreuses questions, aux sujets divers, montrent l'attachement de notre commission à ce sujet.
La présidence de la réunion est assurée par le vice-président, Max Brisson.
M. Jacques Toubon. - Vous avez abordé de nombreux sujets. J'apporterai mon opinion sur certains d'entre eux et je laisserai Paul de Sinety compléter.
Nous devons absolument appliquer notre politique de la langue au monde numérique. Vous êtes bien placés pour réfléchir soit à une extension de la loi Toubon, soit à de nouvelles dispositions. Il en est de l'intelligence artificielle comme de la langue d'Ésope ; elle peut amener le meilleur comme le pire. Je lisais récemment un article sur le travail fait avec l'intelligence artificielle sur les langues africaines. Avec ChatGPT, on envisage de lancer une entreprise de traduction automatique des 2000 langues africaines. On se retrouvera avec un outil qui permettra non pas d'amener à l'uniformisation, mais au contraire à la diversité. Nous avons un effort à faire pour que la francophonie, non seulement dépasse la diplomatie, mais entre également dans la technologie. C'est un des avantages de la Cité internationale de Villers-Cotterêts puisqu'y sera associée toute une politique d'innovation au service de notre langue.
Vous m'avez interrogé sur la politique des visas, notamment s'agissant de l'Afrique. Cela me remet en mémoire une conversation avec le Président Chirac lors d'une réunion de travail à l'Élysée en 1995. Abordant la question du droit des étrangers et des titres de séjour, Jacques Chirac se tourne vers moi et me dit « Mais pourquoi faudrait-il des papiers ? Pourquoi les Africains ne viendraient-ils pas en France comme ils le veulent ? ». Je lui réponds qu'il y a des règles, un droit à respecter. Il me coupe : « Arrêtez avec vos arguties juridiques ! ». Il avait une vision très universaliste. Aujourd'hui, nous avons pris le chemin inverse, en valorisant l'identitarisme, les frontières... Plus je fais de petites boites et plus celles-ci sont étanches, mieux je me trouve.
Je suis favorable au projet de Villers-Cotterêts et je pense, contrairement à ce que beaucoup craignent, que cela va réussir et que ce ne sera pas un château vide. Villers-Cotterêts, c'est aussi le général Dumas et Alexandre Dumas, soit l'auteur français le plus lu dans le monde. Il faut exploiter cette dimension, qui est extrêmement porteur. Il faut s'inspirer de la réussite du château de Chaumont, devenu un centre d'arts et de nature. À la différence de Villers-Cotterêts, Chaumont est un établissement public régional, ce qui explique probablement son succès. Nous pouvons nous inspirer de ce qui a été fait par sa directrice Chantal Colleu-Dumond.
Une question, qui est récurrente, a été posée sur la place du français dans les sciences et dans les revues scientifiques. Il est vrai que la loi Fioraso de 2013 a mis en cause l'article 11 de la loi du 4 août 1994. Un travail doit être fait et devrait passer par des moyens plus importants consacrés aux traductions. Je ne suis pas totalement pessimiste sur ce sujet et je pense que beaucoup de nos scientifiques et de nos chercheurs tiennent encore bon la rampe.
S'agissant de la communication institutionnelle, je vous renvoie à un travail réalisé par l'Académie française début 2022, mais publié seulement à la fin de l'année dernière. Je vous en livre un extrait : « Ainsi, la propagation massive et continue d'un vocabulaire anglo-américain souvent dénaturé, considéré à tort comme bien connu du public général et d'emploi quasi universel, a pour conséquence contradictoire le risque d'un appauvrissement en proportion du lexique français, et d'une discrimination croissante entre les publics. En effet, la volonté d'atteindre une « cible », paradoxalement aussi étendue qu'indifférenciée, procède d'une illusion : on ne touche en fait qu'une frange réduite, privilégiée, éduquée de la population, maîtrisant les langues étrangères et notamment l'anglais, seule une proportion restreinte des usagers et consommateurs étant en mesure d'appréhender pleinement le discours en vogue, sans pour autant unanimement l'apprécier. C'est justement dans l'insuffisante prise en compte des attentes et des possibilités du public le plus large que résident les difficultés constatées » par la commission de l'Académie française. »
Ce propos est tout à fait en phase avec ce que nous disons ce matin. La loi sur la langue n'est pas une loi élitiste, qui distinguerait les personnes parlant anglais - qui travailleraient - et les personnes parlant français - qui auraient le temps de lire le dernier prix Goncourt. Au contraire, cette loi est un instrument de cohésion, à destination du grand public. Je cite à nouveau le rapport de l'Académie sur la communication institutionnelle en langue française : « Il s'ensuit pour la population française et francophone le risque d'une double fracture linguistique : sociale d'une part, le fossé se creusant entre les publics, suivant qu'ils sont imprégnés ou non des nouveaux codes de langage, et générationnelle d'autre part, les plus jeunes étant particulièrement perméables aux usages numériques et mieux à même de les assimiler ».
Je voudrais indiquer que « spoiler » est, à l'origine, un mot français. On pourrait même le prononcer « s'poiler »...Plus de 60 % de la langue anglaise vient de l'autre côté de la Manche. Il y a donc une relativité à trouver dans la guerre des langues.
Je laisserai à Paul de Sinety le soin de parler de l'écriture inclusive. Ma loi, comme vous le savez, ne dit pas quel français il faut parler ; elle oblige seulement à parler français. Vous pouvez parler le français de la banlieue ou le français du Parlement - il est spécial et j'ai souvent eu beaucoup d'amusement à lire les comptes rendus parlementaires. Les fonctionnaires des comptes rendus ont eux aussi des tics de langage. Je songe ici aux comptes rendus analytiques, c'est-à-dire ceux qui consistent à retranscrire en dix lignes ce qui a pris une heure de débat. C'est un exercice intellectuellement et linguistiquement absolument fabuleux. Je rends hommage à ceux qui le font.
Je me bats contre tout fixisme en matière de langue. Le fixisme, c'est le déclin. Le mouvement, c'est l'avenir. Il ne faut pas que la promotion de la langue française soit l'apanage des conservateurs et que les progressistes soient contre. Cela m'avait d'ailleurs surpris que ce soit le groupe socialiste qui saisisse le Conseil constitutionnel en 1994, faisant tomber l'article 2. Cela m'avait d'autant plus étonné que cette loi était un avatar de la loi préparée par Catherine Tasca un an auparavant.
L'utilisation de l'anglais relève d'un certain snobisme. Il y a deux façons d'utiliser l'anglais. La première est un avachissement via l'utilisation de mots passe partout qui amène au globish. La seconde consiste à parler l'anglais des affaires et des personnes qui voyagent.
Je terminerai mes remarques en citant le philosophe Jacques Derrida : « C'est ma langue mais elle ne m'appartient pas ». Si l'on veut que le français soit porteur de notre nation, de notre citoyenneté, de notre politique, de notre économie, il ne faut pas qu'elle nous appartienne ; il faut que nous sachions qu'elle peut être utilisée par d'autres. Je pourrais aussi terminer avec les propos de l'académicienne Barbara Cassin : « Aujourd'hui, la loi Toubon, qui contraint à l'usage du français, favorise en même temps l'enrichissement terminologique et la traduction. La bague de fer, qu'est le français colonial, peut devenir butin de guerre et langue d'émancipation ». Je termine par là où j'ai commencé, c'est-à-dire en me tournant vers les 500, 600, 700 millions de personnes pour lesquels la langue française ne nous appartient pas et qui en seront les porteurs dans les décennies qui viennent.
M. Paul de Sinety. - Barbara Cassin fait partie du commissariat scientifique de la Cité internationale de la langue française, sous la direction de Xavier North, au côté duquel travaillent également Zev Gouravieh et Hassan Kouyaté, également directeur du festival dédié à la francophonie à Limoges. Contre l'idée naïve et dangereuse d'un fixisme de la langue, je trouve aussi intéressante une autre citation de Barbara Cassin : « Une langue pure, ça pue ». Elle est plus triviale, vous m'en excuserez, mais elle montre bien que la langue est dans un mouvement permanent. Sans le dialogue qu'elle peut entretenir avec les autres langues, elle ne peut pas s'enrichir.
Je ne suis pas tout à fait de votre avis sur l'absence de vision globale concernant la stratégie de la politique de la langue et de la francophonie. Comme je l'ai rappelé, un plan très ambitieux a été prévu pour la langue française et le plurilinguisme, porté par le chef de l'État en mars 2018. Il propose, de façon concrète, un certain nombre de mesures à prendre pour faire vivre la langue dans une perspective d'ouverture, et dans une dynamique en faveur du plurilinguisme. C'est probablement la première fois depuis le général de Gaulle qu'un président de la République prend le sujet à bras-le-corps et tâche d'apporter des réponses. Il faut le saluer. Un travail interministériel renforcé se met en place, avec des réunions régulières. Nous travaillons très étroitement avec les services de la secrétaire d'État à la francophonie Chrysoula Zacharopoulou, qui fait un travail remarquable. Nous travaillons aussi étroitement avec le ministère de l'éducation nationale et avec les opérateurs en charge de ces sujets. Je vous invite à solliciter une autre audition concernant le bilan du plan présidentiel. Vous pourrez constater que nous avons beaucoup avancé sur un grand nombre de sujets.
S'agissant de l'usage du français dans les sciences, je ne considère pas du tout - à la différence peut-être d'autres voix - que la bataille soit perdue. Concernant les sciences humaines et sociales, je suis optimiste : la langue française restera un outil fondamental puisqu'elle constitue en tant que tel un objet de recherche. Dans les sciences exactes, on constate en effet un recul très fort de la pratique et de l'emploi du français. En vérité, ce n'est pas tant la diffusion des études en anglais qui me préoccupe, mais plutôt qu'on ne soit plus en mesure de créer en français. C'est la langue qui porte une vision du monde. À partir du moment où l'on n'a plus la capacité d'exprimer en premier dans sa langue les réalités les plus modernes, la langue s'étiole et se folklorise.
Il y a tout de même des signaux intéressants. Je songe à l'initiative d'Helsinki, prise en 2019, en faveur de la science ouverte, au nom d'une démocratisation et d'un partage des savoirs et du rôle du citoyen. Un certain nombre de pays, pourtant de tradition anglo-saxonne, ont demandé à ce qu'on puisse enfin traduire les communications savantes dans la langue de la personne à qui l'on s'adresse. Il y a une prise de conscience. Des pays qu'on n'attendait pas sur ce sujet, comme la Norvège, les Pays-Bas et les pays baltes, revendiquent désormais une réutilisation de leurs langues.
Par ailleurs, j'insiste également sur la mission sur la découvrabilité des contenus scientifiques que nous allons mettre en oeuvre et qui s'inscrit dans le cadre d'un dialogue franco-québécois. J'en profite pour tirer mon chapeau au Québec, qui encore une fois est en avance sur ces sujets. Un ministère de la langue française y a été créé il y a un an. Le cadre légal y a été réformé, la loi 101 ayant été abrogée au profit d'une loi 96 beaucoup plus dynamique et contraignante quant à l'emploi du français. Notre mission commune devra permettre d'imaginer les conditions d'un espace collaboratif en langue française dans le domaine scientifique. Doivent être mis à disposition des outils de traduction automatique et des outils rédactionnels. L'avenir des sciences expérimentales exactes se jouera dans la capacité que nous aurons à favoriser la traduction en anglais en permettant aux chercheurs de reprendre la langue française comme langue de travail.
Dans le cadre de l'OIF, nous sommes tous engagés pour une stratégie numérique ambitieuse. J'ai évoqué la démarche entreprise au niveau européen. Nous allons également adopter une démarche similaire au plan francophone. Le sommet de Djerba, à l'automne dernier, a donné comme perspective des objectifs très précis concernant la francophonie numérique et scientifique. Nous allons tenir ces objectifs. Ils seront valorisés lors du prochain sommet de la francophonie, qui se tiendra en France, notamment à Villers-Cotterêts.
Qu'est ce qui fera que Villers-Cotterêts sera une réussite ? Vous avez déjà un premier témoignage avec celui - enthousiaste - de Jacques Toubon, visiteur dont on ne peut pas douter de l'impartialité. Un sujet me parait majeur, il s'agit du parcours permanent. Nous allons proposer sur 1 300 mètres carrés un parcours interactif dédié à la langue française, dans son histoire, dans son lien constitutif avec la nation, dans son expansion, dans son enrichissement grâce aux espaces des mondes francophones. Toutes leurs places seront aussi accordées au plurilinguisme ainsi qu'aux langues régionales.
M. le sénateur Brisson, je suis de votre avis : nous avons été beaucoup trop jacobins par le passé et nous avons eu tendance à considérer que les langues régionales étaient des patois. Il suffit de se référer à l'ouvrage tristement célèbre de l'abbé Grégoire de 1794 Rapport sur la nécessité et les moyens d'anéantir le patois et d'universaliser l'usage de la langue française. La machine jacobine a été extrêmement lourde et redoutable pour les langues régionales. Le projet de Villers-Cotterêts donne une place à la langue française, à son histoire, dans toute sa diversité (la francophonie) mais également dans son dialogue avec les autres langues, y compris et d'abord avec celles employées sur le territoire de la République.
Avec la création en mars 2022 d'un Conseil national des langues et cultures régionales, voulue par le Premier ministre Jean Castex, une nouvelle instance de dialogue entre les acteurs des langues régionales et l'État a été mis en place. Son secrétariat général a été confié à la délégation générale à la langue française et aux langues de France. Nous devons, à la fin du mois de juillet, tenir notre prochaine session, qui sera présidée par la ministre de la culture Rima Abdul Malak. Cette instance permettra d'accompagner des projets tangibles et concrets.
S'agissant de l'écriture inclusive, je me cantonnerai aux textes réglementaires. La circulaire du Premier ministre Édouard Philippe du 21 novembre 2017 promeut la féminisation des noms de métiers, le recours systématique à la double flexion dans les actes de recrutement et les avis de vacances publiés au Journal officiel, et exclut le point médian. L'irritant est bien le point médian et, sur ce sujet, les textes réglementaires sont très clairs. Par ailleurs, une circulaire du 6 mai 2021, provenant cette fois du ministre de l'éducation nationale Jean-Michel Blanquer, énonce les mêmes principes pour les actes administratifs et les pratiques d'enseignement et prohibe dans tous les cas le point médian. On en revient à ce qu'indiquait Jacques Toubon. Notre rôle n'est pas de nous prononcer sur le corpus d'une langue ni sur son illusoire pureté. Notre objectif est d'être vigilant afin que ce bien commun qu'est notre langue soit accessible et maitrisable par tous. Or, le point médian constitue un obstacle indéniable à l'accès et à la maitrise de la langue.
M. Max Brisson, président. - Il nous reste, monsieur le ministre, monsieur le délégué général à vous remercier pour cet échange de grande qualité.
Oui, la langue française ne nous appartient pas et appartient à l'humanité. Mais nous avons envers elle des devoirs particuliers. Oui, nous souhaitons tous la réussite de la Cité internationale de Villers-Cotterêts. Nous sommes capables, au sein de la commission de la culture du Sénat, de dépasser les oppositions partisanes. Cela vous aurait été peut-être bien utile en 1994 !
Comme vous l'avez constaté, notre combat est commun pour une langue en mouvement, qui soit aussi une langue de cohésion. Nous ne souhaitons pas que la langue française, qui a longtemps été une langue d'unité, devienne une langue de fracture et de discrimination.
Cette réunion a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 h 30.