Mercredi 17 mai 2023
- Présidence de M. Gilbert-Luc Devinaz, président -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Audition de M. Marc Mortureux, directeur général de la Plateforme automobile (PFA)
M. Pierre Cuypers, président. - Mes chers collègues, je tiens tout d'abord à excuser le président de notre mission. Nous poursuivons les travaux de notre mission d'information sur le développement d'une filière de biocarburants, carburants synthétiques durables et hydrogène vert, en abordant cet après-midi les enjeux de la filière automobile.
Nous avons la chance de recevoir tout d'abord M. Marc Mortureux, directeur général de la Plateforme automobile (PFA), et M. Nicolas Le Bigot, directeur des affaires environnementales, techniques et réglementaires de la PFA.
La Plateforme automobile rassemble l'ensemble de la filière automobile en France, qu'il s'agisse des constructeurs, des équipementiers, des sous-traitants et des autres acteurs de la mobilité. La PFA représente quelque 4 000 entreprises du secteur automobile et s'appuie sur le réseau des associations régionales de l'industrie automobile, ainsi que sur les pôles de compétitivité. Plusieurs membres de la mission ont ainsi pu échanger avec le cluster CARA lors de notre déplacement à Lyon.
Messieurs, notre mission d'information comprend des membres issus de différentes commissions qui représentent l'ensemble des groupes politiques du Sénat. Le développement des filières de biocarburants, de carburants synthétiques durables et d'hydrogène vert représente un enjeu important pour permettre à la France et à l'Union européenne d'atteindre l'objectif de neutralité carbone à horizon 2050, mais aussi pour la souveraineté et la compétitivité de notre économie. La fin de la commercialisation des véhicules légers fonctionnant avec un moteur thermique à compter de 2035 a été au centre des discussions européennes récentes, l'Allemagne ayant notamment plaidé au cours de la dernière ligne droite en faveur des carburants synthétiques durables. Quant aux objectifs d'émission pour les poids lourds, les discussions ont débuté plus tardivement, et se poursuivent. Vous aborderez donc certainement les enjeux du basculement vers l'électricité pour les véhicules légers. Nous sommes nombreux à nous interroger sur les impacts de cette mesure, tant pour la filière automobile dans son ensemble que pour les usagers.
Nous nous interrogeons également sur les modalités de la transition vers ce nouveau paradigme et sur les amodiations éventuelles du cadre européen qui pourraient intervenir à l'occasion de la clause de revoyure prévue en 2026.
Nous avons compris par ailleurs que l'électricité ne permettrait pas de couvrir tous les besoins de la filière automobile et que le recours à d'autres types de carburants ou de vecteurs énergétiques serait nécessaire pour certains types de véhicules ou d'usages.
Notre rapporteur, M. Vincent Capo-Canellas, vous a adressé un questionnaire qui peut vous servir de guide, mais vous pouvez introduire votre propos comme vous le souhaitez.
Je passerai ensuite la parole à notre rapporteur, puis à l'ensemble de mes collègues ici présents afin qu'ils puissent vous relancer et vous poser un certain nombre de questions. Vous pourrez nous transmettre ultérieurement des réponses écrites aux questions qui vous ont été adressées et auxquelles vous n'auriez peut-être pas le temps de répondre.
M. Mortureux, vous avez la parole.
M. Marc Mortureux, directeur général de la Plateforme automobile. - Merci beaucoup, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs. Je suis ravi d'avoir l'occasion d'échanger avec vous sur ce beau sujet. Nous avons bien reçu le questionnaire et nous vous apporterons des éléments assez détaillés, car de nombreuses questions sont au coeur de nos préoccupations. La PFA a notamment pour rôle d'accompagner toute cette mutation.
Je vous propose de rappeler la situation de la filière et la trajectoire de l'interdiction des moteurs thermiques en 2035. Ensuite, nous viendrons plus précisément sur les questions des biocarburants et des e-fuels. Nous répondrons à vos questions.
En premier lieu, je commencerai en indiquant que l'automobile est probablement le seul secteur qui, depuis la crise du Covid-19, n'a pas retrouvé ses niveaux d'activité antérieurs. Nous avons connu une succession de crises : pandémie ; semi-conducteurs ; guerre en Ukraine, avec des conséquences assez lourdes sur l'explosion du coût des matières premières ; aujourd'hui l'énergie. Nous avons connu une chute historique du marché de plus de 30 %. Nous remontons un peu, en ce début d'année 2023, car les crises de semi-conducteurs sont en train de s'alléger. Nous restons néanmoins à - 25 % par rapport à 2019. Il est à noter que la conjoncture reste compliquée.
Dans ce contexte, nous connaissons une mutation sans précédent, avec cet acheminement vers le tout électrique en 2035. Je ne reviendrai pas sur tous les débats qui ont déjà eu lieu, mais il est certain qu'au niveau de l'automobile, nous sommes totalement d'accord pour aller vers l'électrique. C'est une très bonne solution pour toute une série d'usages. En revanche, et nous l'avons dit assez clairement dans le cadre des négociations européennes, nous nous interrogeons sur la possibilité d'en faire la solution unique. Nous considérons qu'une solution unique est toujours sujette à questionnements, et le fait que les pouvoirs publics imposent la technologie interpelle. De nombreuses conditions doivent être réunies pour atteindre ce résultat. Il ne dépend pas que du secteur automobile, mais également de toute une série d'éléments d'environnement en matière de souveraineté et d'enjeux de prix des véhicules.
Nous avons engagé des investissements considérables dans l'électrique. Je rappelle qu'en ce début d'année 2023, l'électrique représente un peu plus de 15 % de parts de marché. Ce taux s'élève à 23 % si l'on ajoute les hybrides rechargeables. Nous atteignons 45 % si nous incluons tous les types d'hybrides. La transition est donc clairement engagée, mais nous ne nous acheminons pas encore de façon naturelle vers le tout électrique. Nous constatons d'ailleurs un certain tassement en ce début d'année. Il est vrai que les véhicules électriques ont été principalement vendus à des gens qui possèdent au moins deux voitures. Ils disposent de possibilités pour se recharger et de revenus suffisants. Un des enjeux actuels pour atteindre les objectifs tracés est de toucher des populations de plus en plus larges, dans un contexte difficile. La trajectoire qui nous est imposée par la réglementation européenne conduit à viser au moins 50 % de véhicules 100 % électriques à horizon 2030.
Il nous reste donc un grand nombre de défis à relever. En outre, nous avons le sentiment que les messages passés à l'automne, liés à un possible manque d'électricité pendant l'hiver, n'aident pas à se convaincre que le basculement vers le véhicule électrique est nécessairement le bon choix.
Soyons clairs : nous sommes partis dans cette direction et nous devons maintenant réussir. Le choix de l'électrique est derrière nous. Vous avez évoqué le fait que les Allemands et d'autres pays ont remis en question le tout électrique, avec l'ouverture à des véhicules thermiques fonctionnant avec des carburants neutres en carbone. Je tiens à dire que cette ouverture, qui a été actée et qui se traduira des textes, ne change pas la donne à ce stade pour les constructeurs généralistes. De fait, ils sont déjà engagés dans cette trajectoire d'investissements massifs vers l'électrique. Il est important de gagner des parts de marché au plus vite.
De plus, cette petite ouverture contient de nombreuses incertitudes, du point de vue des constructeurs et de la filière automobile, sur la réalité du potentiel de marché possible de ces carburants neutres en carbone. À ce stade, nous sommes dans l'attente de précisions sur les aspects réglementaires. La Commission européenne doit présenter deux textes, l'un en juin et l'autre en septembre. Le premier doit préciser en quoi consiste un carburant neutre en carbone. Il doit également expliquer en quoi consiste un véhicule thermique qui fonctionne exclusivement avec des carburants neutres en carbone.
Le deuxième acte sera élaboré dans le cadre de la réglementation sur le CO2, car il s'agit d'ouvrir la possibilité d'autoriser au-delà de 2035 des véhicules qui ne fonctionneraient qu'avec des carburants neutres en carbone.
Il est donc important de comprendre le contenu exact de ces textes. Les débats seront certainement importants.
De plus, il est nécessaire de vérifier si l'automobile disposera de suffisamment de biocarburants ou d'e-fuel correspondant à la définition qui sera élaborée. Il est évident que la production sera destinée en priorité à des secteurs qui disposent d'un moins grand nombre d'alternatives que l'automobile (aéronautique, maritime). Le prix est un autre élément important et qui, à ce stade, n'a pas été défini.
Nous poursuivrons donc notre transition vers l'électrique. Néanmoins, nous percevons cette ouverture de manière positive, car nous avons toujours plaidé pour de la diversité technologique. La réglementation doit être la plus neutre possible sur la technologie à choisir, en fonction des objectifs donnés. Or, l'accessibilité de l'électrique pour tous les usages est une question légitime. Intrinsèquement, cette ouverture potentielle va dans le sens de ce que nous avons toujours défendu.
De plus, cette question de carburant neutre en carbone ouvre enfin une approche qui est en analyse de cycle de vie. Nous regrettons que la réglementation européenne pour les véhicules n'ait fixé des objectifs qui ne concernent que les émissions de CO2 à l'usage, du réservoir à la roue.
Cela ne remet pas en cause le fait que le bilan de l'électrique est excellent, notamment en analyse de cycle de vie. En revanche, nous restons convaincus du fait que certaines alternatives peuvent être intéressantes. Nous avons toujours plaidé pour garder la possibilité de recourir aux hybrides rechargeables : des véhicules pour le trajet quotidien, qui fonctionnent exclusivement à l'électrique, n'ont pas besoin de grosses batteries. Je rappelle que l'empreinte carbone est importante lors de la construction des batteries. Lorsqu'il est nécessaire de faire des projets plus longs, nous utiliserions le thermique, qui pourrait fonctionner avec des carburants bas carbone. Le bilan serait intéressant et cette solution résoudrait la problématique des infrastructures de recharge, notamment pour gérer les pointes. Entrer dans un raisonnement sur le cycle de vie est donc intéressant.
Le troisième argument favorable à l'ouverture de ce débat est qu'il peut stimuler les investissements pour produire davantage de carburant bas carbone, indépendamment de notre échéance de 2035. Dans notre feuille de route de décarbonation, il est important de s'intéresser au parc de véhicules existant. Si nous arrivons à mettre sur le marché des carburants bas carbone compatibles avec les motorisations qui existent aujourd'hui sur le marché, les baisses de production de CO2 seront importantes. Je rappelle que nous vendons un peu moins de 2 millions de véhicules neufs par an, alors que le parc automobile est de 44 millions de véhicules. Un délai important est donc nécessaire pour faire évoluer le parc.
Par ailleurs, le cadre réglementaire européen prévoit des développements de carburants et de biocarburants. En ce qui nous concerne, nous parviendrions à prendre des décisions permettant d'aller au maximum de ce que ces réglementations permettent de faire. Cela aurait un effet positif sur la décarbonation du transport routier, aussi bien pour les véhicules légers que pour les véhicules lourds.
En février, la Commission européenne a présenté une proposition pour accélérer la trajectoire de baisse des émissions de CO2 pour les véhicules lourds. Nous parviendrons ainsi à faire baisser les émissions du réservoir à la roue à hauteur de 90 %. Comme pour les véhicules légers, la trajectoire doit s'accélérer vers des véhicules à zéro émission. Or, les écarts de prix sont encore plus importants que pour les véhicules particuliers. Là encore, des alternatives avec des carburants bas-carbone nous semblent intéressantes.
Voilà, en termes généraux, notre positionnement à ce stade. Nous ne prévoyons pas de dévier de cette trajectoire, car les investissements ont été engagés et parce que la réglementation nous y oblige. En outre, le bilan énergétique d'un véhicule à batterie est intéressant. Nous nous interrogeons toutefois sur un certain nombre d'usages. Toutes les alternatives doivent être étudiées et les décisions doivent être prises rapidement.
Vous avez évoqué la clause de revoyure prévue pour 2026. Elle doit être l'occasion de rouvrir le débat sur le raisonnement en analyse de cycle de vie. De fait, le constructeur doit faire baisser les émissions moyennes de CO2 par kilomètre parcouru, uniquement du réservoir à la roue. Le fait que le véhicule fonctionne avec des carburants bas-carbone ne présente aucun intérêt au regard de cette réglementation. Permettre une analyse plus large et plus cohérente est un enjeu de cette clause de revoyure.
M. Pierre Cuypers, président. - Merci. Quels éléments vous amènent à considérer que nous sommes sur le bon chemin quand nous allons vers le tout électrique ? En plus de la crise électrique de novembre et de décembre que vous avez citée, nous avons également eu une crise au mois de janvier. Nous sommes en situation de fragilité.
Quelle est votre vision par rapport au tout électrique ? Ne serait-il pas préférable de conserver le moteur thermique ?
M. Marc Mortureux. - Ma réponse sera très pragmatique. Nous nous sommes battus pour préserver la diversité technologique et pour préserver différentes énergies. Nous avons eu de nombreux échanges au niveau national et européen. On nous a reproché d'être tombés dans le « tout diesel » : nous avons le sentiment que nous tombons désormais dans le « tout électrique ».
La décision a été prise à un moment où nous identifiions tous les risques inerrants au tout électrique. La guerre en Ukraine était déjà engagée et les matières premières explosaient. Les conséquences sont bien plus lourdes pour le prix d'un véhicule électrique que pour le prix d'un véhicule thermique, car la batterie comporte des matériaux critiques et représente 40 % du prix.
La décision a été prise. Nous sommes des industriels et nous avons besoin de visibilité. Des investissements considérables ont été engagés et nous avons reçu des témoignages positifs sur l'usage d'un véhicule électrique. Si les propriétaires disposent d'une borne à domicile, si celle-ci est capable de recharger leur véhicule aux heures creuses, et si le trajet à parcourir n'est pas trop long, ce système peut être intéressant. En revanche, nous considérons que ce ne doit pas être une solution unique.
Maintenant que les investissements ont été engagés, nous devons réussir. Les pouvoirs publics ont décidé de cette trajectoire et l'industrie sait construire des véhicules électriques. La batterie est un enjeu, mais de très grands projets sont en cours. Notre difficulté principale est liée aux infrastructures de recharge, car pour les grands trajets, nous sommes encore trop éloignés du confort et de la flexibilité garantie par les véhicules thermiques. Nous devons donc nous en rapprocher.
Les questions de prix devront également être traitées. Le prix de l'électricité est maintenant deux fois plus élevé en Europe, et notamment en France, qu'en Chine et aux États-Unis. Nous observons une augmentation spectaculaire des importations des véhicules chinois, qui ont dix ans d'avance sur la chaîne de valeur de l'électrique.
Nous n'avons pas d'autre choix que de réduire les émissions de CO2. Nous devons surtout créer les conditions pour réussir et pour préserver notre industrie ; à ce sujet, nous avons besoin de règles plus équitables qu'elles ne le sont actuellement. D'autre part, nous devons créer les conditions d'acceptabilité pour les consommateurs. De nombreuses questions doivent encore être réglées pour que le plus grand nombre ait accès aux véhicules électriques.
M. Nicolas Le Bigot, directeur des affaires environnementales, techniques et réglementaires de la PFA. - Je voudrais ajouter que le véhicule électrique présente un véritable avantage par rapport au véhicule thermique au niveau de l'efficacité. Le rendement atteint au moins 90 %, alors qu'il est de l'ordre de 35 % pour une motorisation thermique. Cela signifie que plus on bascule vers l'électrification du transport français, moins on consomme d'énergie. Cela peut également être intéressant du point de vue de la facture énergétique.
M. Marc Mortureux. - De nombreux progrès ont été réalisés au niveau du carburant liquide. Néanmoins, le rendement énergétique d'un moteur thermique avoisine les 30 %. Un tiers de l'énergie initiale contenue dans le carburant sert à faire rouler le véhicule. En termes de bilan énergétique, la batterie est donc intéressante.
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - En premier lieu, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Nous comprenons que le débat est compliqué et qu'il est parfois difficile de s'exprimer quand on doit tenir compte d'un certain nombre de points de vue et des choix qui ont été opérés.
Vous vous interrogez à propos de certains usages. Devons-nous envisager de maintenir les moteurs thermiques pour des flottes de taxis, pour des flottes captives, pour la filière des travaux publics, pour certains éléments de la filière agricole, ou encore pour le transport routier ? Ou considérez-vous que le choix a été subi, et vous serez favorables à la possibilité d'ébrécher ce dogme en 2026 ? Je vous ai entendu dire que vous vous êtes battus pour garder la diversité technologique. Quel est le débat ? S'agit-il d'usages singuliers pour lesquels il sera nécessaire de préserver le moteur thermique ?
M. Marc Mortureux. - Je rappelle en premier lieu que nous menons ces travaux pour lutter contre le réchauffement climatique. Nous ne contestons pas le fait que c'est une de nos responsabilités. Nous devons contribuer fortement à l'atteinte des objectifs de l'accord de Paris.
Une fois encore, nous sommes pragmatiques. Pour des usages qui nécessitent des batteries très importantes, il semble intéressant de s'interroger sur les alternatives qui ont plus de sens. De fait, une grosse batterie comporte de nombreux matériaux critiques. La fabrication de la batterie génère de fortes émissions de CO2. Dans bien des cas, le bilan global est tout à fait favorable à l'électrique. Il est important de savoir que la fabrication du véhicule émet davantage de CO2. Le bilan reste favorable du fait que les émissions sont moins importantes lors de l'utilisation.
Nous nous intéressons principalement à l'analyse en cycle de vie, de manière rationnelle et de façon posée. Ensuite, il est également important de reconnaître que, selon le contenu carbone de l'électricité, les réponses ne seront pas les mêmes d'un pays à l'autre. Aujourd'hui, le bilan en Pologne n'est pas très satisfaisant, car l'électricité y est produite à partir de charbon. Elle est donc très carbonée. Or les décisions ont été prises au niveau européen.
Nous ne remettons pas du tout en cause la mise en place d'objectifs forts de réduction des émissions de CO2. Nous savons que le transport routier représente 30 % des émissions de CO2 en France. Nous n'avons pas le choix, c'est une de nos responsabilités. En outre, nous sommes fiers de faire partie d'une filière qui travaille concrètement, qui s'investit considérablement et qui dispose de solutions technologiques. Nous aurions néanmoins préféré que l'approche soit globale. Aujourd'hui, le contenu carbone de l'électricité n'est par véritablement pris en compte dans la localisation des investissements. De nombreuses batteries sont fabriquées en Pologne et en Hongrie, où le contenu carbone de l'électricité est très élevé. L'ensemble manque de cohérence.
Dans certains cas, le basculement vers l'électrique semble tout à fait compatible et peut même être positif. Dans d'autres cas, cela semble très compliqué, du fait du manque de flexibilité et parce que le poids des batteries sera trop important.
Si notre réponse peut paraître froide, c'est parce qu'elle n'est pas guidée par un choix idéologique. L'objectif est de réduire le plus possible les émissions de CO2. C'est à ce niveau que le débat sur les carburants bas-carbone nous semble être justifié.
M. Nicolas Le Bigot. - Pour les véhicules légers, l'électrification peut avoir du sens. La masse des marchandises transportées est relativement limitée. Lorsqu'on augmente la taille du véhicule utilitaire, il devient difficile de loger suffisamment de batteries pour répondre aux besoins des artisans. Nous sommes confrontés à un blocage technologique qui nous conduit à imaginer le recours à d'autres solutions, dont l'hydrogène avec une pile à combustible. Elle est encore onéreuse, mais nous ferons en sorte de la démocratiser, en particulier dans les véhicules utilitaires légers.
Sur la question du transport routier de marchandises, des acteurs européens se sont fortement engagés à électrifier leur gamme, y compris pour des véhicules de 44 tonnes. Ils souhaitent que les véhicules électriques représentent jusqu'à 80 % de leur gamme à l'horizon 2040. Évidemment, l'électrique apparaîtra principalement dans les camions de livraison urbaine et interurbaine. 20 % des véhicules seront réservés aux transports de longue distance et utiliseront de l'hydrogène avec une pile à combustible. D'autres solutions seront basées sur des carburants liquides décarbonés : huile végétale hydrotraitée, carburants de synthèse.
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - Merci pour ces éléments. Pensez-vous que les transporteurs auront des flottes avec trois modes de propulsion différents ? Cela semble relativement compliqué.
J'imagine que vous échangez avec les raffineurs et avec les distributeurs. De fait, derrière le choix technologique pour la gamme automobile au sens large, se profile la question du maintien des réseaux de distribution. Nous avons entendu dans cette mission le président-directeur général de TotalEnergies, qui nous a dit que dans certains pays, les réseaux de distribution ne sont plus considérés comme un négoce d'avenir et sont mis en vente.
Des discussions sont menées sur l'hydrogène et sur l'hybride rechargeable, qui aurait une deuxième jeunesse, avec des biocarburants ou des e-fuels. Nous pouvons également critiquer le choix d'aller très largement vers l'électrique. À l'inverse, on peut s'interroger sur la possibilité d'une telle diversité.
Dernier point : comment faites-vous dans le reste du monde ? De fait, vous ne produisez pas uniquement pour l'Europe. Est-il possible de se centrer sur l'électrique et de continuer à proposer un système de propulsion thermique dans le reste du monde ?
M. Marc Mortureux. - Merci beaucoup pour toutes ces questions, qui sont tout à fait pertinentes et que nous nous posons également.
Je confirme que nous échangeons avec les transporteurs routiers et qu'à ce stade, la situation est compliquée. Aujourd'hui, notre responsabilité est de développer l'offre de véhicules électriques. Toutes les solutions présentent des avantages et des inconvénients. Nous n'en sommes encore qu'au début pour les transports routiers, pour les poids lourds et pour les véhicules industriels. La proposition est sur la table du Parlement européen et du Conseil ; elle n'a pas encore été discutée. Cela pose de nombreuses questions, car des contraintes opérationnelles doivent être prises en compte. Nos échanges nous permettent de comprendre quels types de trajectoires peuvent être proposés. La diversité de solutions technologiques est nécessaire pendant les périodes de transition. Cela peut être considéré comme une contrainte ou comme une opportunité.
Vous avez évoqué l'avenir des stations-service, dans un contexte où les véhicules thermiques seront de moins en moins nombreux. Personnellement, j'estime que ce sujet n'a pas encore été suffisamment abordé, car cette réalité ne sera pas observée sur le très court terme. De fait, le thermique restera dominant pendant très longtemps. Cependant, la question devra être posée.
M. Pierre Cuypers, président. - Vous considérez donc que l'échéance de 2035 n'est pas tenable ?
M. Marc Mortureux. - L'échéance de 2035 ne concerne que les véhicules neufs. Cependant, en 2035, nous aurons encore de nombreux véhicules thermiques dans notre parc. C'est la raison pour laquelle la question ne se pose pas encore.
Nous sommes convaincus que de nouvelles innovations sont nécessaires pour atteindre la neutralité carbone. Nous espérons de nombreux progrès dans les batteries, dans l'hydrogène et dans les e-fuels. En outre, les investissements importants favorisent ces innovations. Il nous semble important que le choix soit opéré par les industriels, en fonction des contraintes et des échéances qui ont été fixées.
Dans le reste du monde, de nombreux constructeurs maintiennent les technologies thermiques et électriques. Le fait que l'électrique se développe partout est une bonne nouvelle. Les Américains étaient très en retard, mais ils s'y investissent de plus en plus. En revanche, ils ne s'acheminent pas vers une solution unique. Nous sommes toutefois sceptiques quant à la possibilité de maintenir le thermique en Europe, uniquement pour l'export. L'industrie est totalement mondialisée et, assez logiquement, les industriels investiront dans le thermique dans les pays où cette technologie présente des opportunités. Le désengagement progressif des acteurs du thermique nous inquiète. En France, environ 50 000 personnes auront de moins en moins de travail. En revanche, dans le reste du monde, les technologies thermiques continueront de se développer.
M. René-Paul Savary. - Merci. Vous avez répondu en partie à mes inquiétudes, mais vous m'en créez d'autres. Quand j'ai vu que la filière automobile partait tous azimuts, cela m'a interpellé. Vous venez de confirmer qu'effectivement, vous ne souhaitez pas mettre tous vos oeufs dans le même panier. Cela me rassure. En revanche, vous rappelez que les véhicules chinois ont dix ans d'avance. Je ne suis pas favorable à l'idée de mettre en place des aides pour que la population française acquière des véhicules chinois.
Je suis également préoccupé par le fait que les véhicules thermiques anciens sont revendus en Afrique du Nord. Ils continuent de polluer la planète pendant des années. Je me demande quels sont les gains lorsqu'on procède à un bilan global. Le fait que vous continuiez de vous investir dans la filière thermique me rassure. Pensez-vous que cette adaptation est possible et qu'elle nous permettra de garder nos voitures thermiques ?
M. Marc Mortureux. - Les Américains réservent les soutiens aux productions localisées aux États-Unis ou dans les pays avec lesquels ils signent des accords. Nous avons plaidé pour une politique semblable. L'Europe ne doit pas être l'idiot du village. Les Chinois bénéficient de subventions absolument considérables. Leur marché intérieur est immense et les moyens dont ils disposent sont également considérables. Nous ne mettons pas en place des conditions équitables.
La réflexion du gouvernement de réserver les bonus à des productions européennes nous semble positive. En revanche, si cela n'est pas explicitement exprimé, et si les critères se concentrent sur l'empreinte CO2 et sur les matières recyclées, nous risquons de nous trouver face à une usine à gaz. Il est important d'assumer la préférence européenne pour que notre industrie se reconvertisse. La progression des importations chinoises est spectaculaire, notamment depuis le début de l'année. Nous avons alerté pendant très longtemps à propos de ce risque. C'est un vrai sujet pour nous : nous pensons que si nous ne changeons pas fortement la donne, et si nous ne donnons pas à l'Europe les moyens de construire une industrie forte dans toutes les chaînes de valeur de l'électrique, nous serons confrontés à de très grandes difficultés.
Vous avez également mentionné les véhicules thermiques qui partent dans d'autres pays.
M. René-Paul Savary. - Exactement, et je souhaite ajouter une question à propos de l'avenir de l'hybride. Pendant des années, c'était une solution très intéressante. Désormais, on nous dit que c'est une technologie lourde et qui consomme trop. Dans ce délai, n'y a-t-il pas un temps pour l'hybride au biocarburant, en attendant de passer aux carburants neutres ? D'ici 10, 15 ou 20 ans, nous irons vers notre objectif de neutralité carbone. Actuellement, ces possibilités existent : pourquoi les constructeurs ne sont-ils pas engagés dans cette voie ? Quand nous achetons un véhicule hybride français, on nous de ne pas utiliser de biocarburant. On nous dit que ce n'est pas compatible. J'aimerais savoir s'il y a une volonté d'utiliser les biocarburants, en attendant des carburants plus neutres.
M. Nicolas Le Bigot. - Avant de répondre à votre question sur les véhicules hybrides, vous avez raison : il y a une fuite des véhicules âgés du territoire européen vers l'Afrique, mais également au sein même de l'Union européenne. Nos véhicules ont tendance à finir leur vie dans les pays de l'Est, car il est plus difficile d'y acquérir des véhicules neufs. Cela renforce la nécessité de travailler sur toutes les solutions qui permettent de décarboner les énergies liquides qui seront consommées par ces véhicules à l'échelle européenne. Nous savons que dans ces pays, l'électrification se fera plus lentement qu'ailleurs, car elle nécessitera des investissements sur les infrastructures de production d'électricité propre et de distribution. Ce sont des investissements colossaux et les délais nécessaires seront importants. De ce fait, il est intéressant de chercher toutes les solutions de décarbonation des véhicules thermiques, avec les agrocarburants, les biocarburants avancés et les carburants de synthèse, entre autres.
Nous-mêmes, constructeurs automobiles, dans un esprit d'écoconception, nous aurons tendance à les faire durer le plus longtemps possible et à les remettre à jour au cours de leur vie, au fil de leurs propriétaires successifs. C'est très positif, car cela permet de ne pas produire un autre véhicule neuf qui, lui aussi, aura une empreinte carbone du fait de sa production. Nous sommes dans une logique d'économie circulaire et d'économie de fonctionnalité.
Deuxième élément concernant l'hybride. D'une part, nous nous sommes aperçus que les principaux utilisateurs de véhicules hybrides rechargeables sont les flottes de véhicules d'entreprises. Elles n'ont pas toujours mis à la disposition de leurs salariés tous les moyens d'utiliser ces véhicules correctement, en les rechargeant. À l'inverse, elles ont fourni des cartes carburant à leurs salariés, pour qu'ils s'approvisionnent en essence dans les stations-service. De ce fait, ces véhicules sont très peu utilisés en mode 100 % électrique. Aujourd'hui, la Commission européenne nous dit qu'elle utilisera les données d'usage réelles de ces véhicules pour les homologuer au niveau de leur performance CO2, ce qui signifie que nous retiendrons leur usage principalement en mode thermique pour définir la valeur CO2. Or, dans l'homologation, on retient que ce véhicule est utilisé à 75 % du temps en mode 100 % électrique. Si nous mettons en oeuvre cette mesure, l'intérêt CO2 pour le constructeur automobile n'existe plus.
La question du flex est un autre sujet. Nous devons avoir à l'esprit que des développements de plusieurs dizaines de millions d'euros sont nécessaires pour développer un moteur flex fuel. À ce stade, le carburant E85 est surtout un carburant franco-français. Il est difficile d'imaginer des développements qui ne pourront être rentabilisés que sur le marché français. En 2006, le gouvernement a demandé aux constructeurs automobiles de proposer des versions flex fuel dans leur gamme. Or, cela s'est avéré être un échec commercial. Les résultats ont été satisfaisants en France, mais, au global, cela n'a pas permis de rentabiliser les investissements.
Nous ne sommes pas très favorables aux kits, parce qu'en-dehors du kit, le véhicule n'a pas été homologué pour recevoir ce carburant. Nous avons des contraintes sur les matériaux et sur les risques d'impacts sur la dépollution du véhicule, avec des émissions qui pourraient être un peu plus élevées. Cependant, nous constatons que les poses de kits sont relativement nombreuses, du fait sans doute d'un intérêt économique pour le consommateur.
M. René-Paul Savary. - Il y a un intérêt économique et écologique. À date, il me semble que c'est le véhicule le moins polluant.
M. Nicolas Le Bigot. - Il est doté d'une petite batterie. L'impact carbone de la production de la batterie est réduit. Il présente également un intérêt au niveau du carburant. Cela n'enlève rien aux informations que j'ai apportées à propos des coûts de développement. Les ventes étant centrées sur le marché français, ils seraient très peu rentabilisés. En outre, les constructeurs ne tirent aucun avantage, au regard de la réponse à la réglementation sur les émissions de CO2, à utiliser un carburant E85.
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - Vous avez mentionné le soutien des États-Unis et de la Chine. Vous les avez comparés à ce que font l'Union européenne et la France. Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce sujet ? Nous observons tous l'Inflation Reduction Act (IRA), nous nous interrogeons sur les productions chinoises et japonaises. Quelles mesures souhaitez-vous que les pouvoirs publics étudient, pour participer à la transition environnementale et garantir le maintien des emplois dans la filière ? Quel est l'impact du passage à l'électrique ?
M. Marc Mortureux. - L'IRA américain présente l'avantage d'être un dispositif très pragmatique. Il est facile de le mettre en place et il est efficace pour déclencher les décisions en investissements par toute une série d'acteurs. En tant que tel, côté automobile, nous ne sommes pas véritablement inquiétés par les États-Unis. En revanche, l'IRA américain nous incite à nous poser des questions au niveau de l'Europe, dans un contexte d'importation de véhicules chinois. Les droits de douane ne représentent que 10 % en Europe, alors qu'ils sont de 27,5 % aux États-Unis. Ils ont donc pris des dispositions de nature assez différente.
En Europe, notre problème est le cumul de toute une série d'éléments qui ne nous sont pas favorables. Au-delà des structures de coûts et de compétitivité qui existent depuis longtemps, notre grande difficulté aujourd'hui est liée au coût de l'énergie. Il est entre deux et trois fois plus élevé qu'ailleurs dans le monde. C'est un véritable sujet.
Nous nous acheminons vers une décarbonation qui nous amènera à utiliser de l'acier décarboné et de l'aluminium décarboné. Ces matières premières sont onéreuses. Une des difficultés auxquelles nous sommes confrontés est liée au mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Ce mécanisme ne couvre que les matières premières et l'énergie. De ce fait, un constructeur souhaitant fabriquer des pièces en Europe devra acheter de l'acier décarboné à un prix plus élevé, ou le faire parvenir d'autres pays et il sera alors soumis au mécanisme d'ajustement aux frontières. Il est donc plus intéressant d'acquérir des pièces et des composants fabriqués à l'extérieur de l'Europe, à un prix moins élevé. Les constructeurs échapperont alors au mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Ce mode de fonctionnement favorise la délocalisation de toute une série d'activités de sous-traitance pour l'automobile.
Le bonus est un outil efficace qui permet de privilégier les productions européennes. Les crédits d'impôt apportent des soutiens équivalents à ceux du Canada et des États-Unis. Nous sommes confrontés à un problème général de niveau de structure de charge. Renault a décidé d'implanter toute la fabrication de ses véhicules électriques dans le Nord de la France : c'est une belle opportunité et c'est une chance pour le pays. Notre sujet est : parviendrons-nous à fabriquer des véhicules électriques de qualité à un prix abordable ? Toutes les mesures qui permettent de réduire les coûts sont très importantes pour réussir cette transition, notamment parce que la concurrence est importante. Nous avons besoin de mesures exceptionnelles pour donner le temps à notre industrie de devenir compétitive. Nous devons créer les écosystèmes les plus complets possible. Nous devons disposer de tous les maillons en amont et fournir la matière permettant de développer des composants actifs.
Mme Béatrice Gosselin. - Pour être en adéquation avec les objectifs de l'Accord de Paris et avec les incitations pressantes des politiques des gouvernements européens, vous avez fait le choix de l'électrique, et quasiment du tout électrique. À quel moment y a-t-il eu cet élan vers le tout électrique ?
Vous avez également mentionné le cycle de vie. Je considère qu'en réfléchissant en termes de cycle de vie, les dés sont moins pipés, car tous les éléments entrent en jeu. L'achat de pièces déjà constituées à l'étranger pour éviter de payer des taxes fait également partie de ce cycle de vie.
Vous semblez dire que les Américains sont bien plus pragmatiques. Qu'est-ce qui empêche les Européens d'être également pragmatiques ?
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - Je tiens à prolonger la question de ma collègue. À plusieurs occasions, vous avez fait allusion à la possibilité de rouvrir le sujet de l'analyse en cycle de vie. L'industrie est-elle prête à mener ce combat ? Quels sont les prérequis pour y parvenir ? Qu'en attendez-vous ? En procédant par analyse de cycle de vie, la priorité sera-t-elle inversée, de l'électrique vers les carburants de synthèse ?
M. Marc Mortureux. - En 2017, Nicolas Hulot, alors ministre de l'écologie, a annoncé la fin des moteurs thermiques pour 2040. Quand je suis arrivé à la PFA, au début de l'année 2018, nous ne comptions encore qu'1 % de véhicules électriques. Il était alors nécessaire de débuter au plus vite. C'est ainsi que nous avons orienté collectivement l'ensemble de la filière vers cet objectif, sans aucun état d'âme. Le contrat de filière que nous avons mis en place en 2018 s'est révélé utile, parce qu'il nous a permis de maintenir un discours relativement constant.
Entre-temps, le phénomène s'est fortement accéléré, au point de nous acheminer vers le tout électrique, qui n'était pas notre position. Nous n'avons toutefois pas été pris de revers et les entreprises sont parvenues à s'adapter.
Vous m'avez posé la question de l'impact de cette transition vers l'électrique. De nombreuses études nous amènent à anticiper 70 000 pertes d'emplois. Des emplois seront créés, mais le bilan global restera défavorable dans le domaine industriel. En parallèle, la fabrication et l'installation de bornes de recharge seront de nouvelles activités. Nous nous battons pour créer les conditions nécessaires pour recréer ces nouvelles chaînes de valeurs.
Nous avons besoin d'efforts considérables de transition dans les compétences nécessaires. Les évolutions sont possibles à condition de bien les anticiper. Nous sommes dans cette démarche, mais elle est douloureuse et compliquée.
L'Europe est formidable, mais complexe. Nous fonctionnons sur la base de compromis et cela aboutit à des dispositions qui ne sont pas toujours visibles. Au niveau de l'analyse en cycle de vie, nous avons un atout considérable, qui est l'électricité décarbonée. Aujourd'hui, notre partenaire allemand n'est pas très performant sur le sujet. Il est difficile de convaincre de l'intérêt d'implanter les nouveaux processus qui sont très consommateurs d'énergie dans un pays comme la France, parce que l'énergie est décarbonée. La réglementation européenne, telle qu'elle est dans l'automobile, ne tient pas vraiment compte de la localisation. Il est important d'intégrer l'ensemble de ces dimensions. Les investissements dans le domaine de l'énergie, et notamment du nucléaire, sont extrêmement importants pour nous.
De nombreux acteurs se sont fortement tournés vers l'hydrogène comme une alternative aux batteries. Pour produire de l'hydrogène décarboné, nous avons besoin d'énergie. Or, nous en manquons actuellement. Un ralentissement est donc observé dans cet élan. Les ambitions affichées ne sont plus aussi fortes, car nous ne sommes pas sûrs de disposer d'une quantité d'hydrogène décarboné suffisante.
M. Pierre Cuypers, président. - Vous avez mentionné les véhicules chinois qui arrivent sur notre territoire. Je n'en connais pas. S'agit-il de véhicules de marques françaises fabriqués en Chine ?
Au niveau de la R&D, des efforts communs ont-ils été effectués ? Pourquoi les Chinois sont-ils plus performants que nous ?
M. Marc Mortureux. - Les marques chinoises sont relativement récentes. MG était britannique ; c'est désormais une marque chinoise. Du fait de la pénurie de semi-conducteurs, certains loueurs ne parvenaient plus à se fournir auprès de leurs fournisseurs traditionnels. Ils ont commencé à acheter des composants chinois. BYD est un géant dans le domaine de l'énergie. Vous ne connaissez pas encore ces marques, mais elles reprennent progressivement des parts de marché considérables sur le marché chinois.
Nous ne connaissons pas encore la part d'importations en provenance de la Chine et la part d'investissements des Chinois en Europe. De nombreux acteurs émergent.
Tesla a beaucoup importé de Chine vers l'Europe. La Dacia Spring est également produite en Chine. D'autres marques occidentales commencent à fabriquer en Chine.
Tout n'est pas perdu, car il y a un attachement à la marque. Peugeot, Citroën, Renault : ces marques ont de la valeur. Si nous parvenons à constituer une chaîne de valeur compétitive, l'attachement à la marque est réel. Nous devons donc nous mobiliser très fortement et très rapidement.
De grands projets ont été mis en place. Ils ont un volet industriel et un volet R&D. Nous nous trouvons rapidement sur des sujets compétitifs : aujourd'hui, un des grands aspects est le Software Design Vehicle. En parallèle de la transition énergétique, la transition digitale est également spectaculaire. Les fonctionnalités sont de plus en plus complexes et ce sera un élément de différenciation supplémentaire. Les Chinois sont également très avancés sur ces sujets.
La R&D s'intéresse également à l'économie circulaire et au recyclage des batteries. Si nous ne parvenons pas à les retraiter en Europe, elles repartiront en Chine.
M. Pierre Cuypers, président. - Merci pour ce moment d'échanges. Souhaitons que, tous ensemble, nous parvenions à construire les bons mécanismes pour aboutir. Le sujet des approvisionnements en matières premières m'inquiète néanmoins.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. Jean-Luc Brossard, vice-président Automotive Research & Advanced Engineering de Stellantis
M. Pierre Cuypers, vice-président. - Bonjour Messieurs. Nous sommes très heureux de vous accueillir ici, dans le cadre de la mission d'information sur le développement d'une filière de biocarburants, carburants synthétiques durables et d'hydrogène vert. En premier lieu, je tiens à excuser le président de notre mission, qui du fait de difficultés de transport, a été obligé de partir plus tôt que prévu.
Nous recevons le groupe Stellantis, qui est représenté par M. Jean Luc Brossard, vice-président en charge de la recherche automobile et de l'ingénierie avancée, et par M. Jean-Pascal Viat, délégué en charge des affaires publiques pour la France.
Monsieur Brossard, vous supervisez les questions relatives aux technologies vertes, à l'énergie et à l'analyse du cycle de vie. Vous représentez le groupe Stellantis au sein de l'association Hydrogène Europe et vous êtes coordinateur pour la Plateforme automobile (PFA) des programmes concernant les véhicules à faible empreinte environnementale et à l'analyse en cycle de vie. Vous avez enfin récemment été élu président du comité des constructeurs français automobiles.
Je remercie le groupe Stellantis d'avoir accepté notre invitation. Un autre groupe français, que nous avons également sollicité, a refusé de venir s'exprimer devant cette mission. Nous le regrettons vivement.
Messieurs, notre mission d'information comprend des membres issus de différentes commissions qui représentent l'ensemble des groupes politiques du Sénat. Le développement des filières de biocarburants, de carburants synthétiques durables et d'hydrogène vert représente un enjeu important pour permettre à la France et à l'Union européenne d'atteindre l'objectif de neutralité carbone à horizon 2050, mais aussi pour notre souveraineté et la compétitivité de notre économie. La fin de la commercialisation des véhicules légers fonctionnant avec un moteur thermique à compter de 2035 a été au centre des discussions européennes récentes, l'Allemagne ayant notamment plaidé au cours de la dernière ligne droite en faveur des carburants synthétiques durables. Quant aux objectifs d'émission pour les poids lourds, les discussions ont débuté plus tardivement et se poursuivent. Vous aborderez donc certainement les enjeux du basculement vers l'électricité pour les véhicules légers. Nous sommes nombreux à nous interroger sur les impacts de cette mesure, tant pour la filière automobile dans son ensemble que pour les usagers.
Nous nous interrogeons également sur les modalités de la transition vers ce nouveau paradigme et sur les amodiations éventuelles du cadre européen qui pourraient intervenir à l'occasion de la clause de revoyure prévue en 2026.
Nous avons compris par ailleurs que l'électricité ne permettrait pas de couvrir tous les besoins de la filière automobile et que le recours à d'autres types de carburants ou de vecteurs énergétiques seraient nécessaires pour certains types de véhicules ou d'usages.
Carlos Tavares, le directeur général de Stellantis, a lui-même tenu des propos critiques sur le tout-électrique, puisqu'il a encore appelé à la fin du mois de février à sortir du dogme de l'électricité. Vous nous direz comment votre groupe affine sa stratégie, en prenant en compte l'ensemble des marchés mondiaux. Car si la fin de la commercialisation de véhicules particuliers à moteurs thermiques se confirme en Europe à compter de 2035, un groupe comme le vôtre ne peut pas ignorer les autres marchés mondiaux.
Notre rapporteur, M. Vincent Capo-Canellas, vous a adressé un questionnaire qui peut vous servir de guide, mais vous pouvez introduire votre propos comme vous le souhaitez.
Je passerai ensuite la parole à notre rapporteur, puis à l'ensemble de mes collègues afin qu'ils puissent vous relancer et vous poser un certain nombre de questions. Monsieur Brossard, vous avez la parole.
M. Jean-Luc Brossard, vice-président Automotive Research & Advanced Engineering de Stellantis. - Merci pour cette introduction et pour la mise en contexte. Stellantis s'est engagé dans une ambition forte sur la réduction de l'empreinte environnementale. Pour cela, le groupe a mis en place un plan - Dare Forward 2030 - visant à atteindre la neutralité carbone en 2038. À l'échelle de l'automobile, qui est une industrie de temps long, cet objectif est très ambitieux. Dans cette perspective, nous avons pris la décision de ne vendre que des véhicules électriques en Europe à horizon 2030. Les véhicules électriques peuvent être à batterie et à hydrogène avec une pile à combustible. Aux États-Unis, 50 % de nos ventes seront électriques à horizon 2030. Nous pouvons annoncer 60 modèles électriques nouveaux en 2030. Stellantis est un groupe qui possède 14 marques. Des 208, des 2008, des DS3 et des Fiat 500 sont déjà proposées en modèle électrique. Cette année, nous lancerons la 308, la 3008 et la 5008 dans des versions fortement électrifiées.
Dans votre introduction, vous avez mentionné une action sur les émissions de carbone. Cependant, notre objectif environnemental ne concerne pas uniquement le carbone. Le choix de passer à des véhicules électriques a également été guidé par la notion de qualité de l'air. Bientôt, plus de 80 % de nos concitoyens vivront dans des zones proches des villes. La qualité de l'air est donc fondamentale. Or, pour garantir la qualité de l'air, il est nécessaire de disposer d'un véhicule électrique. Seuls les véhicules électriques à batteries et ceux à hydrogène le permettent. C'est un élément important. La trajectoire a déjà été dessinée. Si, de plus, nous prenons en compte la norme telle qu'elle a été convenue en Europe, une baisse de 55 % des émissions de CO2 devra avoir lieu entre 2021 et 2030 pour les véhicules particuliers. Cette baisse devra atteindre 50 % pour les véhicules utilitaires légers. Pour les véhicules lourds, la baisse devra être de 45 %. Cet objectif à lui seul impose une très forte électrification de nos gammes. Pour respecter la baisse de 55 % à horizon 2030, plus de 70 % des véhicules en Europe devront être capables de rouler à zéro émission.
Le reste à produire, en véhicules autres que véhicules électriques, est faible. Nous devons donc raisonner par les usages. La plupart de nos concitoyens ne parcourent pas de longues distances. Le véhicule électrique répond à ces besoins. Il est toutefois nécessaire de disposer d'une énergie décarbonée. Par chance, en France, nous sommes bien positionnés de ce point de vue. De plus, il sera important de mettre en place les infrastructures nécessaires pour sécuriser ces usages. La première ambition du groupe Stellantis est d'accompagner une mobilité électrique dès 2030, avec une infrastructure de bornes de recharge électrique, de stations de ravitaillement ou de points de recharge en hydrogène décarboné. C'est un point fondamental.
Avec la clause de revoyure, une analyse sur la neutralité technologique doit être opérée au niveau européen, si nous trouvons une solution technique neutre en carbone. Cela donnera peut-être la possibilité de l'utiliser en 2035. Mais comme je l'ai dit, peu d'usages ne seront pas couverts par nos propositions, pour les véhicules légers et pour les véhicules utilitaires légers.
Il est important de noter que les solutions alternatives de combustion ne répondent pas à la problématique de qualité de l'air, même dans le cas des biocarburants, des biogaz ou des e-fuels. Le traitement de la dépollution sera relativement lourd, avec des réchauffages de catalytiques, des systèmes SCR (selective catalytic reduction) et des filtres à particules. Les solutions seront mieux-disantes que les solutions actuelles, mais resteront polluantes. Elles représenteront un risque pour la santé publique.
Une solution alternative post-2035, si elle existe, est intéressante pour répondre à des usages intensifs. Nous considérons qu'une solution mixte entre électrique et hydrogène avec pile à combustible (fuel cell) le permet. Depuis 2023, nous proposons des fourgons et des vans (Opel Vivaro, Peugeot Partners, Citroën Jumpy) qui sont déjà des solutions hybrides, avec des batteries supérieures à 10 kWh embarquées et une pile à combustible de 40kW. Cela permet d'utiliser le système à hydrogène pour l'énergie et la batterie pour la puissance. Ainsi, les autonomies sont significatives. Un van consomme environ 1,2 kg d'hydrogène par kilomètre. S'il embarque entre 5 et 6 kg d'hydrogène, il disposera donc d'une autonomie comprise entre 500 et 600 kilomètres, ce qui est proche de l'habitude client actuelle. En outre, cette solution est dotée d'un système de remplissage rapide (entre trois et quatre minutes), ce qui n'est pas le cas des véhicules électriques. Nous avons donc des solutions, mais nous sommes ouverts à toute autre proposition.
Au sujet de la clause de revoyure, il sera important de définir le terme « neutre en carbone ». De fait, aucune solution n'est neutre en carbone. Même les véhicules équipés de batteries ne le sont pas. Dans nos analyses industrielles, nous étudions les impacts « du berceau à la tombe ». Si l'on prend en compte tous les procédés, dont l'extraction des matières premières, la transformation, la production des véhicules et les usages, voire le recyclage, aucune solution ne répond totalement aux attentes (zéro émission, zéro carbone). Cela n'existe pas.
Si l'on raisonne au niveau européen, selon le texte, la notion de zéro carbone est « zéro égale zéro ». Avant la clause de revoyure, seules les solutions à batteries ou à hydrogène respectent le texte européen. Pour les camions, la situation est différente. Nous avons réétudié le texte. À l'origine, un camion qui consomme 1 gramme de CO2 par kWh était considéré neutre en carbone, ou très faiblement carboné. Nous l'avons ensuite rapporté à la tonne embarquée. La limite est désormais de 5 grammes. Ceci permet des usages intensifs pour des véhicules lourds. Le carburant qui peut être utilisé est l'hydrogène.
Le carburant synthétique, à la fin de la chaîne, doit être décarboné. Pour être un carburant décarboné, il doit être produit à partir d'électricité décarbonée. Il est donc nécessaire de passer par la phase hydrogène. Ensuite, un gaz de type méthanol est élaboré, en associant du carbone. Celui-ci doit toutefois être capturé. Des installations industrielles sont nécessaires pour capturer le carbone. Si l'on prend en compte le CO2 nécessaire pour la réalisation des implantations industrielles, il y aura nécessairement une consommation de CO2.
Après avoir associé la capture de CO2 à l'hydrogène, il est nécessaire de le renforcer pour obtenir un carburant lourd qui puisse être transporté. L'intérêt du fuel lourd est lié à la facilité de stockage et de transport. En revanche, de grandes quantités d'énergie sont nécessaires. Entre un véhicule électrique à batteries et un véhicule électrique à hydrogène, le coefficient de consommation d'énergie est compris entre 2 et 3. Pour un e-fuel, le coefficient est de 5. Vous comprendrez qu'en ajoutant des étapes entre l'hydrogène et le e-fuel, le coût est plus élevé.
En réponse à la proposition faite par la Commission européenne et par le gouvernement américain, Stellantis propose de développer intensivement les véhicules électriques pour les usages qui le permettent. Pour les véhicules qui ne le permettent pas, le groupe proposera de développer des situations à hydrogène.
Vous avez évoqué les biocarburants et d'autres systèmes. En Europe, il est nécessaire de prendre en compte l'offre et la demande. S'il n'y a pas d'offre, il n'y aura pas d'usage de ces solutions. Aucun constructeur automobile ne propose un véhicule léger au gaz à partir de 2025. Il n'y aura pas d'offre ; le client ne pourra donc pas acheter. Nous ne disposons pas des technologies nécessaires dans nos plans. Les technologies que nous privilégions sont l'électrique, l'hydrogène et des solutions plus accessibles, pour aller jusqu'en 2035. Nous sommes très favorables à des solutions hybridées. Elles n'ont pas bénéficié du soutien de l'institution publique que nous souhaitions, mais elles sont importantes et économiquement accessibles.
Vous m'avez demandé quelles sont les attentes par rapport au système. J'en ai déjà parlé : nos principales attentes sont l'énergie décarbonée et des infrastructures.
Au niveau national, nous avons proposé 100 000 stations de recharge électrique publiques. Nous avons passé ce cap dès le mois de mars 2023. C'est un nombre satisfaisant pour le parc actuel. Cependant, l'ensemble des constructeurs automobiles en Europe proposeront également de nouveaux modèles ; de ce fait, entre 400 000 et 600 000 points de recharge seront nécessaires. L'infrastructure doit donc être multipliée par 5 à horizon 2030.
Nous nous considérons comme un des principaux acteurs au niveau du développement de l'électricité et de la mobilité électrique. Nous travaillons sur ce sujet depuis des années. Plusieurs de nos véhicules sont en tête des ventes. 22 % de nos ventes sont des véhicules électriques. Pourtant, la France ne compte que 21 % de véhicules électriques et de véhicules hybrides rechargeables. Le groupe Stellantis, le groupe Volkswagen et d'autres grands groupes qui ont pris le virage sont en avance.
Vous avez mentionné le fait que Carlos Tavares a demandé de sortir du dogme du véhicule électrique. Il est important de ne pas donner LA solution. Parce qu'il n'y a pas une seule solution. Nous devons traiter le sujet au travers de nos usages. Même si nous avons déjà pris la décision de décarboner l'ensemble de l'entreprise et les usages de nos produits, et si nous nous sommes orientés vers l'électrique, il est possible de nous intéresser à d'autres possibilités. L'innovation a toujours permis de trouver des solutions.
Carlos Tavares souhaite que vous nous donniez des objectifs techniques : nous proposerons des solutions. Ayons également une approche bien plus réaliste, avec une analyse des cycles de vie « du berceau à la tombe ». Prenons en compte tout l'écosystème : l'énergie, l'infrastructure, etc.
Il s'est également exprimé sur les e-fuels dernièrement. Nous devons avoir en tête le fait que notre parc vendu aujourd'hui ne représente que 5 % du parc roulant. 95 % de véhicules continuent de rouler avec les moteurs qu'ils avaient les années précédentes. Si nous voulons vraiment agir en faveur de la décarbonation, nous devons absolument nous occuper du parc roulant. Il est d'ailleurs relativement vieillissant et la majorité des véhicules qui roulent se trouvent en CRIT'AIR 3 ou plus.
Les biocarburants sont bien plus adaptés au parc roulant. Il est fondamental que ces solutions permettent un « drop-in » et que des carburants moins polluants soient proposés sur des véhicules actuels. L'impact sur le réchauffement climatique sera immédiat. La solution des biocarburants et des e-fuels est adaptée au parc actuel. En outre, s'ils sont disponibles en quantités suffisantes, cette solution sera adaptée pour des usages très intensifs.
Par ailleurs, les moteurs d'aujourd'hui permettent d'augmenter les taux de biocarburants dans les carburants actuels. Les moteurs construits il y a moins de cinq ans sont compatibles avec le B20 et le E30. Carlos Tavares a demandé d'effectuer des tests sur 28 moteurs. Si l'essence de demain est utilisée à la place de l'essence actuelle, ces moteurs auront les mêmes caractéristiques de pollution et les mêmes prestations de fonctionnement que celles qu'attendent les clients.
Si des usages ne peuvent pas être assurés par l'électrique et par l'hydrogène, de nouvelles opportunités seront étudiées. Elles ne constituent cependant pas une stratégie de développement. Les développements de moteurs thermiques ne sont plus pris en compte, ni au sein de Stellantis, ni chez Renault.
Le sujet de l'accessibilité à la mobilité doit également être pris en compte. Les prochains modèles proposeront des quantités de batteries embarquées différentes. Le client aura la possibilité de payer en fonction de l'autonomie dont il a besoin. Sur les segments C, les propositions seront de l'ordre de 40 à 60 kWh embarqués. Sur les segments haut de gamme, il sera possible de proposer des valeurs très importantes. En revanche, sur de petites voitures, 20 kWh embarqués suffisent : un roulage urbain ou périurbain consomme moins de 20 kWh pour 100 km. Il est néanmoins nécessaire que l'infrastructure soit en place.
L'automobile est une industrie de volume. Un développement massif de voitures électriques permet de faire baisser les coûts et Stellantis a pour objectif de faire baisser les siens de 40 %. Actuellement, le coût d'achat est relativement élevé mais le coût d'usage est plus faible, malgré les hausses récentes observées dans le coût de l'énergie. Des économies importantes peuvent être réalisées si l'utilisateur recharge sa voiture au travail ou à son domicile. Sur l'autoroute, le prix de la recharge est très élevé (jusqu'à 1,05 euro par kWh). La consommation peut atteindre 30, voire 40 kWh pour 100 km. Si l'utilisateur n'embarque que 60 kWh à bord de son véhicule, il devra s'arrêter au bout de deux heures. Le coût de la recharge rapide sur autoroute est semblable à la recharge de carburant.
Nous avons l'ambition de faire baisser le coût complet et le coût facial des véhicules électriques à horizon 2030. Néanmoins, le coût facial sera toujours supérieur au coût facial actuel d'un véhicule. Il ne sera pas possible de proposer un coût inférieur à 100 euros par kWh. Actuellement, le surcoût est compris entre 3 000 et 5 000 euros. En revanche, dans son usage, le coût sera bien moins élevé, à condition d'être capable de contrôler le prix de l'électricité. De plus, la voiture électrique sera toujours plus vertueuse que la voiture thermique. Cela est d'autant plus vrai si l'électricité utilisée est décarbonée.
L'Allemagne et la Pologne ont des grammes de CO2 au kWh produit très importants (sept fois plus qu'en France). Cependant, ces pays seront obligés de passer à des énergies renouvelables.
Vous m'avez demandé mon avis à propos du fait que la Commission ne considère les émissions de CO2 que du réservoir à la roue. Nous sommes favorables à une analyse du cycle de vie, en prenant en compte toute la chaîne de production et d'usage. Néanmoins, cela est très difficile à mesurer. Nous comprenons qu'un travail important sera nécessaire pour garantir une homogénéité. Au niveau de la filière automobile, nous avons produit une méthodologie de référence pour aborder l'analyse cycle de vie. De fait, selon la manière dont nous analysons les données sur le cycle de vie, les résultats seront contradictoires. Il est fondamental de mener une analyse critique sur les données. Nous souhaitons montrer quelle méthodologie doit être mise en place pour que les mesures soient correctement effectuées. Nous n'accepterons des communications sur l'impact environnemental que si une méthodologie et une base de données sont certifiées. C'est d'ailleurs ce que souhaite l'Europe.
La concurrence chinoise est un vrai débat. Auparavant, nous maîtrisions la technologie des moteurs thermiques. En France, nous maîtrisions particulièrement le développement et la fabrication des moteurs diesel. Nous sommes désormais en pleine transition. Cette transition nous impose d'aller vers une électrification massive. Nous devons le reconnaître : dans ce domaine, les Chinois ont pris le virage avant nous. En premier lieu, ils ont l'avantage de disposer de matériaux critiques et stratégiques sur leur propre sol. Ils ont exploité des mines pour les extraire. Ils ont également fortement investi. Ils ont compris que le moteur électrique était sur le point d'arriver et ont arrêté de se concentrer sur les moteurs thermiques.
Les mines de cobalt, en République du Congo, représentent environ 80 % de la production mondiale. Or, 80 % des investissements dans ce pays sont chinois. En outre, les usines de raffinage se trouvent surtout en Chine.
Un nombre important de véhicules électriques seront mis sur le marché. La France s'est engagée à produire 2 millions de véhicules électrifiés en 2030. Il est plus probable que l'on atteigne entre 1,7 et 1,8 million de véhicules. La problématique de tenir ces engagements n'est pas de tenir la date, mais de donner le cap. De la même manière, 100 000 bornes de recharge en 2021 étaient un objectif ambitieux, mais ce cap a été passé en 2023. Si nous n'avions pas fixé ce cap de 100 000 bornes en 2021, je ne pense pas que nous en serions à 100 000 en 2023. Le problème n'est donc pas de savoir si nous parviendrons à produire une telle quantité de véhicules en 2030, en 2032 ou en 2033. Le plus important est que nous sommes sur la bonne voie.
De ce fait, nous aurons besoin d'une grande quantité de batteries et de matériaux critiques. Si nous prenons en compte que 2 millions de véhicules embarqueront 50 kWh, nous aurons besoin de 100 GWh. Nous devrons donc construire au moins 3 gigafactories. Par chance, la construction de quatre gigafactories est prévue dans les Hauts-de-France. Nous nous mettons donc en ordre de bataille pour produire ; de la même manière, nous devrons nous mettre en ordre de bataille pour recycler les batteries en fin de vie et pour retraiter les matériaux que nous récupérerons. Le recyclage et le raffinage seront fondamentaux en Europe dans les prochaines années.
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - Monsieur Brossard, je suis ravi de vous recevoir devant la mission. Nous sommes sensibles à l'intérêt que vous portez à nos travaux. Vous avez présenté un plaidoyer en faveur du véhicule électrique. Vous avez confirmé que vous vous orientez vers l'électricité et l'hydrogène. J'ai entendu que les usages permettront de comprendre jusqu'où vous irez avec l'hydrogène. Jusqu'à présent, nous n'avions pas l'impression que Stellantis était à la pointe dans le domaine de l'hydrogène.
Quand vous abordez l'hybride, vous mentionnez aussi bien les batteries que les piles à combustible. Je comprends donc « batteries électriques et hydrogène ». Or, c'est un type d'hybride que nous voyons peu jusqu'à présent. Nous souhaitons savoir si vous y croyez, et pour quel type d'usage.
Au sujet des carburants et des e-fuels, je comprends qu'ils sont une solution pour décarboner le parc existant. Nous vous remercions de le dire, car c'est une orientation pragmatique. Merci de nous rappeler que 95 % du parc restent en l'état. Nous devons donc nous en préoccuper. L'idée de carburant et de e-fuel pour le parc existant vous paraît-elle partagée par les pouvoirs publics ? Jusqu'où pouvons-nous aller ?
Nous déplorons que l'analyse du cycle de vie n'ait pas été dominante jusqu'à présent. Êtes-vous prêt à mener ce combat ? Selon vous, peut-il être gagné ? Quelles conséquences attendez-vous ?
M. Jean-Luc Brossard. - Il est vrai que je n'ai pas beaucoup parlé de l'hydrogène. C'est un choix stratégique que Stellantis a effectué il y a plusieurs années. Nous avons commencé à présenter nos piles à combustibles en 2006 : c'est donc un sujet que nous connaissons. L'hydrogène ne présente d'intérêt que s'il est vert. Aujourd'hui, des acteurs s'engagent sur cette voie, soit par le biais de l'électrolyse associée à des énergies renouvelables, soit par le biais d'électrolyse associée à de l'énergie nucléaire, soit par le biais de la biomasse. L'écosystème s'est mis en route.
Nous avons toujours considéré que tous les usages ne seront pas couverts par le roulage électrique. Nous avons vérifié dans quels domaines nous pouvions rentabiliser nos investissements. Pour l'hydrogène, les profit pools sont liés aux usages intensifs : véhicules utilitaires légers, flottes (dont taxis), bus, camions à usages très intensifs.
En ce qui nous concerne, nous nous positionnons sur les véhicules utilitaires légers. Nous avons développé un véhicule utilitaire il y a environ trois ans : il est déjà en vente.
Notre positionnement stratégique est mis en évidence par nos investissements. Pour les véhicules électriques, nous avons effectué des investissements. Nous sommes actionnaires de ACC, qui a pour objectif de produire 120 GWh de batteries par an en Europe sur trois sites : un site à Douvrin, en France, un site à Kaiserslautern et un site à Firmino. Ces trois sites se trouvent à proximité de nos usines terminales.
Aujourd'hui, les utilitaires à hydrogène sont produits à Rüsselsheim. La démarche n'est pas encore totalement industrielle, car nous produisons un véhicule électrique en France, nous le transportons en Allemagne, nous démontons le moteur électrique et la batterie et nous les remplaçons par des réservoirs d'hydrogène et une pile à combustible. Ce véhicule peut être vendu, mais il reste cher. Je rappelle que le marché automobile est une industrie de volume.
Carlos Tavares s'est engagé à transférer les productions à Hordain en 2024, sur les mêmes lignes que les véhicules électriques. Il a également déclaré que nous fabriquerons 5 000 véhicules électriques en 2024, 10 000 en 2025 et 30 000 au cours de la deuxième moitié de la décennie. Si une entreprise souhaite mettre en avant ses actions sur la décarbonation, elle n'a pas d'autre solution que de s'orienter vers ces véhicules. Les clients sont donc demandeurs. Un partenariat a été mis en place avec Engie pour les stations.
150 millions d'euros viennent d'être investis dans Symbio. Cet investissement est la preuve que Carlos Tavares croit en la solution hydrogène.
L'hybride rechargeable n'est pas nécessairement lié à l'utilisation de moteurs thermiques. Le terme « hybride » signifie que deux types de propulsions ou de vecteurs énergétiques sont utilisés. Nous devons trouver un équilibre entre le coût et l'énergie embarquée. L'avantage de la solution hybride qui permet un roulage en électrique est qu'elle apporte des appels de puissance et qu'on peut rouler à zéro émission de carbone dans des contextes urbains. Le meilleur équilibre est un mixte entre batterie et pile à combustible. Avec l'augmentation de la production, les prix baisseront de 40 à 50 %. Des adaptations seront alors possibles. À terme, si l'hydrogène est décarboné, si son prix est inférieur à 4 euros le kg, et si le coût des réservoirs et des piles baisse, il deviendra plus intéressant d'utiliser la pile à combustible. Les piles à combustibles seront de plus en plus puissantes et les batteries deviendront bien plus faibles.
À date, 80 % de nos usages de mobilité sont assurés par des véhicules électriques. Demain, nous aurons 80 % d'électrique et 15 % de mixte entre électrique et hydrogène.
Les technologies évoluent. Cependant, à date et pour les dix prochaines années, le lithium-ion reste la meilleure solution pour 80 % des usages. À notre sens, la meilleure solution pour les compléments est l'association entre batterie et pile à combustible.
Pour les véhicules lourds, des usages peuvent être plus intéressants. Nous pouvons envisager la combustion à hydrogène. De nombreuses entreprises travaillent sur ce projet actuellement. Globalement, grâce à l'opportunité et à l'ouverture de la norme, cette solution, même si elle n'est pas zéro émission, est intéressante pour les usages intensifs.
Pour des véhicules neufs, les technologies les plus intéressantes sont, dans l'ordre : batterie, batterie combinée avec pile à combustible (fuel cell), hydrogène. Les carburants synthétiques correspondent à l'étape suivante. Techniquement, si nous sommes capables de capturer le CO2 proprement et facilement, ce n'est pas une mauvaise solution, car elle présente l'avantage du stockage et du transport. L'aéronautique sera certainement un des secteurs qui aura rapidement besoin de carburant synthétique embarqué et sécurisé.
Nous devons cependant nous demander si nous disposerons de quantités suffisantes. Les solutions de carburants alternatifs sont complexes. En outre, il est nécessaire d'avoir accès à de l'énergie renouvelable, à de l'électrolyse et à de l'eau. Il faut être capable de le stocker et de le transporter. Nous avons besoin de soleil et de fermes de photovoltaïque. De telles conditions sont réunies en Arabie Saoudite. Ces solutions doivent être étudiées, mais à date, ce ne sont pas les meilleures. Notre groupe industriel a pour objectif d'étudier toutes les solutions. Ensuite, il choisit la plus pertinente.
Les biocarburants et les e-fuels sont-ils la solution pour décarboner le parc existant ? C'est un message que nous avons du mal à faire passer. Nous sommes entendus, mais pas écoutés. Il est bien plus facile de contrôler les ventes. Pourtant, nous le répétons régulièrement. Notre parc, qui à date, est encore majoritairement diesel, le restera pendant plusieurs années. Même si nous tenons tous nos objectifs de vente, le parc en 2030 gardera 80 % de véhicules anciens et thermiques. Certaines voitures ont une durée de vie supérieure à vingt ans.
Si l'on veut véritablement agir vite sur l'impact du réchauffement climatique, nous devons nous occuper de ces voitures. Les pétroliers ne doivent pas nous dire qu'ils attendent de savoir combien de voitures thermiques continueront de circuler pour décider d'investir dans des solutions alternatives. Les pétroliers n'investiront pas pour des voitures à vendre, mais pour des voitures qui roulent déjà. Ils connaissent le parc : il est donc nécessaire de faire pression. Nous devons convaincre l'ensemble des acteurs de la nécessité de s'occuper du parc.
Nous sommes favorables à l'analyse en cycle de vie. Nous devons nous donner les moyens de définir des modèles, afin de prendre les meilleures décisions en fonction des différents scénarios.
L'industrie automobile a investi plusieurs dizaines de millions d'euros depuis 2009 pour mettre en place ces modèles, qui tournent en permanence. Ils permettent de bénéficier de visions prospectives et de différents scénarios et ils nous aident à établir notre stratégie. Dans le cadre du groupement scientifique sur l'électromobilité qui regroupe l'IFPEN, Renault, Stellantis et ARAMCO, nous avons complété l'information par le biais de modèles mathématiques qui nous permettent de définir l'impact et le coût carbone de l'ensemble de ces scénarios. Nous prenons en compte la problématique des matières, des extractions et certains autres sujets. Avec les pétroliers, nous étudions la réalité de la décarbonation de leurs carburants à chacune des étapes des trajectoires que nous définissons. Pour nos choix industriels, nous prenons en compte ce sujet.
Je viens de commettre une erreur que je reproche à tout le monde. De fait, nous ne parlons que de carbone. Or, l'analyse en cycle de vie est une démarche multicritères. Nous devons prendre en compte le réchauffement climatique et les gaz à effet de serre, la consommation d'eau, l'acidité, les matériaux et d'autres éléments. Avec le Centre commun de recherche (JRC), nous avons défini 16 critères en Europe. Si l'on prend en considération le retraitement des déchets, vous comprendrez que les différents types d'énergies n'ont pas les mêmes caractéristiques. L'énergie nucléaire est certes décarbonée, mais elle présente des inconvénients sur d'autres critères. En vérité, aucun vecteur énergétique ne respecte tout le spectre.
Nous devons donc établir une synthèse de chacun des éléments. L'extraction du lithium n'a pas du tout le même impact dans les salars : au Chili, les producteurs de lithium ont désertifié la région dans un rayon de 100 km. Si l'on étudie les extractions sur des roches dures, les consommations d'énergie sont différentes. Si l'on prend en compte la production de lithium en géothermie, des différences seront également observées. L'analyse portant sur le cycle de vie et les impacts sur l'environnement ne doit pas se limiter à l'extraction du lithium. Localement, toutes les actions ont des impacts.
Les industriels essaient d'avoir la vision la plus exhaustive pour s'orienter dans les axes stratégiques. Le cap qui a été donné par Carlos Tavares est « net zéro en 2038 ». Tous nos choix d'investissements et de productions sont effectués en fonction de ce cap.
Je considère qu'il est très difficile de réglementer l'analyse en cycle de vie. En outre, comme vous le savez, c'est une démarche et une méthodologie qui est très facile à utiliser a posteriori. En prospective, il est impossible de prendre en compte tous les éléments. Nous ne travaillons que sur la base d'hypothèses. Le transport des matériaux est un sujet difficile à maitriser : un matériel produit en République du Congo part en avion en Chine pour être raffiné ; il est ensuite envoyé dans un autre pays pour passer par une transformation supplémentaire. Des ONG ont démontré qu'ils font plusieurs fois le tour de la Terre.
La méthode en analyse cycle de vie est donc plus adaptée à un process connu et maîtrisé. Ai-je répondu à votre question ?
M. Pierre Cuypers, président. - Vous êtes généreux en explications. Merci beaucoup. Nous avons beaucoup appris. Nous avons rencontré M. Patrick Pouyanné, le président-directeur général de TotalEnergie. Il nous a demandé de ne jamais abandonner le moteur thermique. Il reste essentiel et doit utiliser des carburants décarbonés. Carlos Tavares, quant à lui, déclare que le « tout électrique » n'est pas une solution.
Le fait que vous considériez important de tenir compte des usages m'intéresse. C'est vrai. Nous ne pourrons pas avoir une énergie unique pour tout. J'aurais aimé connaître votre analyse économique sur les énergies consommées pour les énergies produites. Vous ne pourrez pas nous répondre aujourd'hui, mais peut-être aurez-vous la possibilité de nous envoyer une note et des documents.
Le monde dans lequel nous vivons est compliqué. Nous avons de nombreuses solutions. Votre groupe me semble être d'une complexité extraordinaire. Son chiffre d'affaires est fabuleux. Est-il aussi compétitif que les Chinois ?
M. Jean-Luc Brossard. - Au niveau mondial, un groupe comme Stellantis est un groupe global. Nous comptons un peu moins de 300 000 personnes, dans 171 pays. La pérennité de notre activité est liée à notre capacité à être le moins sensible possible aux aléas géopolitiques. Nous devons donc nous implanter partout. Les sociétés qui résistent dans le monde automobile doivent vendre dans le monde entier. Ce n'est pas l'Europe qui a fait gagner le plus d'argent à Stellantis cette année. Notre chiffre d'affaires provient principalement des États-Unis. Nous devons donc garder un raisonnement global.
M. Pierre Cuypers, président. - Merci. J'ai une dernière question : est-on propriétaire des batteries lorsqu'on achète un véhicule ? Quelle est leur durée de vie ? Il fut un temps où les batteries étaient échangeables. Ce n'est plus le cas.
M. Jean-Luc Brossard. - Oui et non. Les batteries pèsent très lourd (300 kg minimum). Il faut donc des infrastructures. De plus, pour que ce système fonctionne, nous avons besoin de standardisation. À partir du moment où on est dans un monde libéral et compétitif, ce n'est pas possible. Nous devrions tous raisonner collectivement autour du bien commun. La politique d'énergie doit donc être imposée. Actuellement, les grandes évolutions qui sont très impactantes et très intrusives sur les architectures et sur les infrastructures ont du mal à déboucher.
M. Pierre Cuypers, président. - Je vous remercie pour le temps que vous avez consacré au Sénat.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 19 h 30.