- Mardi 16 mai 2023
- Mission d'information sur le Fonds Marianne - Audition de M. Christian Gravel, secrétaire général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR)
- Mission d'information sur le fonds Marianne - Audition de M. Jean-Pierre Laffite, secrétaire général adjoint du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR)
- Mercredi 17 mai 2023
- Contrôle budgétaire - Financement du cinéma - Communication
- Projet de loi visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces - Examen du rapport et du texte de la commission
- Projet de loi relatif à l'industrie verte - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur
- Proposition de loi visant à développer l'attractivité culturelle, touristique et économique des territoires via l'ouverture du mécénat culturel aux sociétés publiques locales - Désignation d'un rapporteur
Mardi 16 mai 2023
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 14 h 30.
Mission d'information sur le Fonds Marianne - Audition de M. Christian Gravel, secrétaire général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR)
M. Claude Raynal, président. - Nous commençons cet après-midi les auditions de la mission d'information que notre commission a décidé de constituer sur la création du fonds Marianne, la sélection des projets subventionnés, le contrôle de leur exécution et les résultats obtenus au regard des objectifs fixés. Cette mission d'information a obtenu du Sénat de bénéficier des prérogatives des commissions d'enquête.
Monsieur Gravel, vous êtes préfet et secrétaire général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR). À ce titre, vous avez été en charge de l'organisation de l'appel à projets organisé dans le cadre du fonds Marianne et du suivi de sa mise en oeuvre. Votre audition est donc particulièrement attendue pour bien comprendre le fonctionnement de ce fonds.
Avant de vous donner la parole pour un bref propos liminaire dans lequel je vous propose d'évoquer les conditions de votre arrivée au secrétariat général, ainsi que la chronologie initiale ayant conduit à l'annonce de l'appel à projets relatif au fonds Marianne, je tiens à rappeler quelques éléments.
Tout d'abord, notre mission d'information, dotée des prérogatives des commissions d'enquête, comprend tous les membres de la commission des finances, qui pourront donc seuls intervenir lors de cette audition pour vous interroger. Cette audition est par ailleurs diffusée en direct sur le site internet du Sénat et fera l'objet d'un compte rendu publié.
Ensuite, par respect pour la famille de l'enseignant assassiné le 16 octobre 2020 et sa mémoire, je vous propose, mes chers collègues, que nous nous gardions d'évoquer son nom à l'appui de nos questionnements, qui se concentreront sur l'objet de notre enquête, à savoir le fonctionnement du fonds Marianne.
Je tiens par ailleurs à vous indiquer que M. le garde des sceaux a confirmé à M. le président du Sénat l''existence d'une information judiciaire en lien avec le fonds Marianne, sans préciser toutefois ni la nature ni le périmètre des poursuites engagées. Si cela nous permet de travailler, nous devrons néanmoins rester prudents pour ne pas interférer avec cette procédure : il ne nous reviendra en particulier à aucun moment de qualifier les faits qui nous sont soumis en référence à des infractions pénales, ce qui relèverait de la compétence exclusive de l'autorité judiciaire.
Je rappelle enfin qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller, selon les circonstances, de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite, monsieur le secrétaire général, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Christian Gravel prête serment.
M. Christian Gravel, secrétaire général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation. - Je souhaite d'abord vous faire part de mon soulagement. Depuis bientôt deux mois, beaucoup de choses ont été dites et écrites sur le fonds Marianne : des hypothèses, des allégations, des mensonges assez souvent, des calomnies trop souvent. Il appartient désormais à votre commission, mais aussi à l''inspection générale de l'administration et à la justice d'établir la vérité.
Cette vérité est d'autant plus nécessaire que tous les ennemis de la République font leur miel de contre-vérités pour tenter de mettre à bas une politique publique majeure et tous ceux qui la mettent en oeuvre.
Au cours des dernières semaines, le CIPDR a dû suivre l'émergence, le développement et les rebondissements de ce dossier en restant à distance. Aujourd'hui, la situation est différente. Votre exigence d'une prestation de serment engage autant qu'elle libère. Cette audition m'offre enfin l'opportunité de m'exprimer pleinement et clairement sur les faits incriminés.
Avant de répondre à toutes vos questions le plus précisément possible, permettez-moi d'ouvrir notre échange par de brèves considérations générales.
Le CIPDR a été créé en 2006 sous l'autorité du ministère de l'intérieur - à l'époque des faits, il dépendait de la ministre déléguée chargée de la citoyenneté.
À sa création, le périmètre du CIPDR était limité à la prévention de la délinquance. Ses compétences n'ont ensuite cessé de s'élargir, puisque trois missions essentielles à la sécurité de nos concitoyens se sont ajoutées à la prévention de la radicalisation : la lutte contre les séparatismes en 2014, la lutte contre les dérives sectaires en 2019 et la création d'une unité de contre-discours républicain en 2020.
Pour accompagner cette extension, les effectifs du CIPDR ont doublé entre 2020 et 2021, pour s'établir aujourd'hui autour d'une soixantaine d'équivalents temps plein (ETP).
Lorsque le CIPDR apprend le lancement d'un fonds Marianne, ses agents sont mobilisés sur cinq chantiers majeurs. Ils doivent en effet développer l'unité de contre-discours chargée d'analyser et de riposter en ligne, déployer la stratégie nationale de lutte contre les séparatismes en accompagnant l'ensemble des préfectures et décliner avec chacune d'entre d'elles la nouvelle stratégie nationale de prévention de la délinquance. Ils doivent également redoubler d'efforts en matière de lutte contre les dérives sectaires et enfin préparer, avec le parquet national antiterroriste et la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), le suivi des mineurs de retour de zones de Syrie.
Aussi nombreuses qu'essentielles, ces missions ont été portées par une équipe extrêmement investie sur tous les fronts. Je salue l'engagement, mais aussi le courage de ces agents, car nous avons à plusieurs reprises fait l'objet de menaces, dont l'une a été considérée par les services compétents comme « particulièrement sérieuse ». Malgré la surcharge de travail, nos agents ont pris en charge cette nouvelle mission.
Il me paraît essentiel d'expliquer l'opportunité des actions engagées dans le cadre du fonds Marianne. À la suite des attentats qui ont frappé la France fin 2020, les autorités publiques ont jugé nécessaire de renforcer les moyens mobilisés pour prévenir les processus de radicalisation sur la toile.
Complexes et multiformes, ces phénomènes ont pour base commune le rejet des principes qui fondent notre société et pour horizon possible le basculement dans le terrorisme. Défendre les valeurs de la République sur le web, c'est donc agir aux avant-postes. Le djihadisme n'est pas seulement le terrorisme ; c'est aussi la transmission d'idées, la volonté d'imposer une vision du monde, un modèle de société en opposition frontale avec la République et la démocratie.
L'État fait appel au secteur associatif parce que la parole publique est inaudible auprès des personnes les plus vulnérables aux processus de radicalisation. Conséquence d'une crise durable de l'autorité, ce discrédit est aujourd'hui aggravé par le déploiement exponentiel des thèses complotistes sur internet.
Surmonter la défiance de nos concitoyens les plus sceptiques exige donc de mobiliser des acteurs de proximité dont le capital de confiance est encore intact. Si la mobilisation du secteur associatif constitue un levier essentiel pour déployer sur internet un discours républicain crédible, rares sont les associations qui sont à la fois en mesure d'agir contre le séparatisme et de maîtriser les techniques de la communication digitale.
Malgré la promotion faite lors du lancement de l'appel à projets, le CIPDR n'a reçu que 73 candidatures - je rappelle qu'en France, le tissu associatif est constitué d'un million d'entités. Pour bien comprendre les choix faits et les problèmes rencontrés dans l'utilisation de ces crédits, il est capital d'avoir en tête que le réseau associatif est très faiblement développé sur ce créneau. Dans un écosystème aux dimensions aussi réduites, les acteurs se connaissent souvent. Les différents spécialistes et protagonistes de la prévention de la radicalisation ont pour beaucoup appris à se connaître.
La faible densité du secteur associatif a d'ailleurs eu un impact sur l'enveloppe allouée au fonds Marianne, puisque celle-ci a été réduite de 2,5 millions d'euros à 2 017 600 euros du fait du trop faible nombre de candidatures reçues.
Si l'on veut évaluer les actions du CIPDR, il faut également garder à l'esprit que le fonds Marianne repose sur le régime juridique, non pas de la commande publique, mais des subventions, ce qui emporte des conséquences déterminantes dans les modalités d'attribution et de contrôle de l'argent public.
Pour conclure, je souhaite souligner que les initiatives prises par les pouvoirs publics en matière de contre-discours, dans notre pays comme dans bien d'autres pays d'Europe, relèvent encore de l'expérimentation, car il s'agit d'un champ nouveau. Et comme pour toute expérimentation, certaines tentatives restent incertaines. Quelles que soient les précautions prises, la marge d'erreur ne peut jamais être réduite à zéro, même si le CIPDR et le cabinet de la ministre ont veillé à ce que les candidats retenus soient les meilleurs et que l'argent soit bien employé.
Dans le cadre de l'appel à projets organisé pour le fonds Marianne, 17 associations sur 73 ont finalement été sélectionnées pour bénéficier de ces subventions. Cela n'a jamais été dit, mais le bilan global est positif. Le soutien financier de l'État a permis de diffuser auprès de plusieurs centaines de milliers d'internautes, dont 358 000 abonnés, plus de 2 000 publications en tout genre - posts, threads, tweets, vidéos, podcasts, outils pédagogiques -, générant au total plus de 6 millions d'impressions sur les réseaux sociaux pour défendre notre modèle républicain.
Les interrogations et certains constats concernant deux associations entachent la démarche - nous nous y attarderons.
Bien avant la mobilisation médiatique, le CIPDR avait pris plusieurs mesures pour répondre aux dysfonctionnements, en tirer les enseignements, renforcer les moyens de contrôle et finalement, saisir le procureur. Il appartiendra à votre commission d'apprécier si l'action du CIPDR a été à la hauteur des missions confiées.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Pouvez-vous nous rappeler qui a été à l'initiative de la création du fonds Marianne ? La création de ce fonds a-t-elle été débattue au sein du secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance ? Le cas échéant, sur quels aspects - montant du fonds, objectifs poursuivis, organisation - le débat a-t-il porté ?
M. Christian Gravel. - Ce projet est le fruit de la volonté politique de la ministre déléguée chargée de la citoyenneté de l'époque, dont le cabinet a fait savoir au CIPDR que ce projet ambitieux devait être engagé. Il n'y a donc pas eu d'échange avec l'administration pour en déterminer les contours.
L'appellation « fonds Marianne » est au fond un label de communication, car les 2 017 600 euros débloqués à ce titre ont en fait été ponctionnés sur le programme « R » (radicalisation) du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD).
Pour répondre à votre question, monsieur le rapporteur, il s'agit d'une commande politique. Il n'y a pas eu de préparation en amont.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Comment le cahier des charges de l'appel à projets et son calendrier ont-ils été définis ? Vous avez évoqué le faible nombre de candidatures. Le délai de trois semaines qui a été accordé aux associations pour présenter un projet était très court. Vous paraissait-il suffisant pour leur permettre de présenter des projets structurés ?
M. Christian Gravel. - Le cabinet nous a informés de ce projet à l'occasion de l'une des réunions bilatérales qui réunissaient de manière hebdomadaire le cabinet et le CIPDR. Nous avons également évoqué le sujet le 13 avril 2021, à l'occasion d'un comité de programmation, instance qui réunit le cabinet et le CPIDR au cours de laquelle nous avons décidé de la nature des associations pouvant bénéficier des subventions et fixons le montant de celles-ci, avec toujours la validation politique du cabinet. Lors de cette réunion, nous apprenons qu'un certain nombre d'associations qui avaient postulé pour bénéficier de subventions pourraient « glisser » vers le fonds Marianne et nous avons confirmation qu'un appel à projets va être lancé dans les jours ou les semaines qui viennent.
Dans la foulée, une chargée de mission spécialisée sur ces questions de contre-discours sociétal élabore un document sous la houlette de sa responsable de service et après ma validation, nous le proposons au cabinet, qui le valide. Dès le lendemain, le 20 avril, la ministre déléguée annonce la création du fonds à l'occasion d'une interview, et nous diffusons ce document invitant l'ensemble du tissu associatif potentiellement intéressé à s'inscrire dans cette démarche.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Vous avez indiqué que lors de la réunion du 13 avril, certaines associations avaient été identifiées comme pouvant répondre à l'appel à projets. Certaines associations ont-elles été informées avant le 20 avril, et si oui, pour quelles raisons et de quelle manière ?
M. Christian Gravel. - Le cabinet souhaitait que l'ensemble de la sphère associative puisse être mobilisé au travers de ce projet. À l'occasion du comité de programmation, trois associations, qui avaient postulé pour bénéficier de subventions publiques avant l'appel à projets, - comme cela arrive très régulièrement, sachant que nous recevons des dizaines de demandes de subventions par an - avaient été identifiées comme étant susceptibles de postuler pour le fonds Marianne, en raison la nature de projets qu'elles avaient déposés.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Pouvez-vous nous indiquer quelles sont ces associations ?
M. Christian Gravel. - L'Union des sociétés d'éducation physique et de préparation militaire (USEPPM), France Fraternités et Fraternité Générale.
Ensuite, un calendrier avait été élaboré. Les candidatures devaient être déposées entre le 20 avril et le 10 mai.
Avec mon équipe, nous avions proposé un autre calendrier, car nous considérions qu'il fallait prévoir trois mois, du 1er mai jusqu'à fin juillet, pour effectuer ce travail dans des conditions optimales.
Le cabinet a demandé que ce calendrier soit accéléré et que la procédure complète s'étale sur cinq semaines, dont trois semaines pour le dépôt des candidatures - du 20 avril au 10 mai -, et deux semaines pour l'analyse des dossiers, le comité de sélection devant se réunir le 20 mai.
On peut comprendre la demande politique d'aller vite dans le contexte de l'époque. Nous étions en effet à quelques mois d'une vague d'attentats aussi insupportable que choquante. J'estime qu'il faut saluer le souci de se saisir de ce dossier et de travailler à la base du processus de radicalisation au travers d'internet, qui est devenu aujourd'hui l'un des canaux majeurs de diffusion d'un certain nombre d'idées antirépublicaines, et parfois, d'incitation à la violence.
Quoi qu'il en soit, nous avons demandé que cette opération se déroule selon un calendrier un peu plus long.
M. Claude Raynal, président. - Vous avez été saisis de la question lors de la réunion du 13 avril, et un cahier des charges a été diffusé dès le 20 avril. C'est plus que rapide - c'est même incroyable ! Comment avez-vous pu élaborer un cahier des charges solide dans un temps si réduit ?
Par ailleurs, si je vous rejoins sur la nécessité de se replacer dans le contexte de l'époque, cela me paraît quelque peu contradictoire avec l'idée selon laquelle le fonds Marianne serait un « label de communication ». Pourriez-vous revenir sur l'articulation entre ces deux points ?
M. Christian Gravel. - Je vous confirme qu'un délai d'une semaine est très court. Dès lors que ce projet a été porté à notre connaissance, la chargée de mission, qui maîtrise ces sujets et y travaille depuis des années, s'est consacrée à temps plein à la rédaction de ce cahier des charges, avec l'appui de sa hiérarchie et l'aide d'autres agents, notamment du pôle administratif et financier.
Je précise par ailleurs, pour lever tout malentendu, que quand j'ai évoqué un « label de communication », je ne renvoyais pas simplement le terme « communication » à son sens le plus caricatural. Je voulais aussi souligner ce qui fait au contraire à mes yeux la richesse de cette opération, à savoir la possibilité, au travers d'un appel à projets et d'un régime de subventions, lesquels permettent une certaine souplesse, de faire émerger des acteurs qui n'étaient pas connus de la sphère étatique, qui avaient des idées, et de leur donner la possibilité de faire des propositions.
L'écosystème associatif susceptible d'intervenir dans le champ de la prévention de la radicalisation est très restreint. Il ne paraissait donc pas absurde de faire savoir que l'État proposait des subventions pour accompagner le travail de fond de prévention et de lutte contre le séparatisme et la radicalisation sur le web, qui est aujourd'hui devenu le lieu où se construit l'opinion et de socialisation par excellence.
Comme je l'ai indiqué, il y avait déjà le FIPD et le fonds Marianne n'est pas un fonds nouveau qui aurait été créé avec de l'argent qui viendrait de je ne sais où- j'ai lu un certain nombre d'absurdités à ce sujet -. Tout cela s'inscrivait dans le FIPD et le fonds Marianne n'est pas un fonds au sens juridique du terme. Il s'agissait donc d'un « label de communication » dans la mesure où le lancement du fonds Marianne a permis de faire connaître l'opération, ce qui était à mes yeux légitime.
M. Claude Raynal, président. - Ces précisions sont utiles, car lors du lancement du fonds Marianne le 20 avril, le FIPD n'est pas cité. Tout cela est alors flou, le fonds Marianne est présenté comme un fonds « traditionnel » permettant de financer une action particulière en lui donnant un éclairage particulier.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Quels sont vos contacts avec le cabinet du ministre ? Qui vous donne les instructions ?
M. Christian Gravel. - Nous avions quatre interlocuteurs au cabinet pour le fonds Marianne comme pour tout autre sujet concernant le CPIDR : le directeur de cabinet, le conseiller spécial et deux chargés de mission. Nous rencontrions ces interlocuteurs formellement dans le cadre des réunions bilatérales hebdomadaires que j'évoquais précédemment et nous échangions très régulièrement, pour ne pas dire quotidiennement, par message électronique ou par téléphone.
M. Claude Raynal, président. - Plusieurs associations étaient déjà subventionnées par le FIPD. La subvention accordée au titre du fonds Marianne s'est-elle dans leur cas substituée à la subvention qui leur était versée antérieurement chaque année afin d'assurer un soutien financier dans la continuité, et si oui, la création du fonds Marianne a-t-elle changé quelque chose pour elles ? Des subventions nouvelles ont-elles réellement été versées pour financer des actions nouvelles ?
M. Christian Gravel. - Les deux cas existent. Des associations travaillaient déjà sur ces sujets. La moitié des 17 associations retenues étaient déjà connues du CIPDR, ce qui est un gage de confiance, puisque nous connaissions la solidité et la rigueur de ces acteurs. Nous avons donc pu prolonger notre partenariat avec ces acteurs et lui donner une nouvelle ampleur à cette occasion. Mais l'objectif était aussi de faire émerger des acteurs avec lesquels nous n'avions jamais eu l'occasion de travailler et qui, sans cet appel à projets, n'auraient peut-être pas fait la démarche de demander une subvention.
Le budget était significatif, même s'il était au départ de 2,5 millions d'euros et qu'il s'est finalement établi à un peu plus de 2 millions d'euros. Il fallait engager ce travail, et il faut absolument préserver ce volet de nos politiques publiques, car l'enjeu est beaucoup trop lourd.
M. Claude Raynal, président. - Nous sommes en 2023, comment les choses se poursuivent-elles ? L'objectif était de mettre en place des structures pérennes, et non pas de faire du « one-shot ». Cet objectif est-il atteint ?
M. Christian Gravel. - L'objectif était effectivement de faire émerger des projets pérennes.
L'association Alma est par exemple un partenaire historique du CIPDR et un acteur majeur dans notre champ. Depuis 2018, elle bénéficie de subventions substantielles pour mener des actions qui sont tout à fait à la hauteur de ces budgets et qui s'inscrivent dans le long terme. C'est la seule association susceptible d'intervenir dans des actions de contrôle du discours sociétal sur des sujets de défense de la République qui n'ait pas été formellement intégrée au fonds Marianne, car la subvention qui lui a été allouée pour 2021 avait déjà été actée dans le cadre du comité de programmation du 13 avril que j'évoquais.
Quoi qu'il en soit, les associations les plus importantes qui ont participé au fonds Marianne ont toutes demandé à s'inscrire dans une démarche pluriannuelle, avec des actions subventionnées chaque année.
M. Claude Raynal, président. - Je souhaite revenir sur le comité de sélection des projets, que vous avez abordé préventivement en indiquant que le régime juridique était celui applicable aux subventions. Vous deviez travailler dans un calendrier resserré, et avec un jury que j'ai qualifié d'un peu « endogène » puisqu'il était constitué uniquement de membres du CIPDR et du cabinet. Au regard des résultats obtenus, n'estimez-vous pas dommage de n'avoir pas fait appel à des personnes extérieures, par exemple à un spécialiste des réseaux sociaux ? Faire passer des messages à des ados sur des vidéos de 12 ou 13 minutes, c'est délicat...
M. Christian Gravel. - Je tiens à préciser qu'en dépit des contraintes de calendrier et de la surcharge de travail qui en a découlé, il n'y a eu aucune négligence. Tout a été fait comme il se devait.
Le comité de sélection était composé de trois membres du cabinet et de trois membres du CIPDR. Autant que je m'en souvienne, ce format permettait de rester, s'agissant d'une matière très sensible, entre, d'une part, ceux dont la vocation était de connaître le sujet et, d'autre part, l'autorité politique. Cette dernière, par définition, contribuait aux échanges puis décidait formellement des lauréats.
Avec humilité, je tiens à préciser que le CIPDR était compétent en matière de communication digitale. D'abord, la chargée de mission assurant pendant plusieurs mois le rôle de cheffe de projet connaissait très bien les questions liées aux contre-discours sociétaux en ligne, ayant travaillé quelques années sur de tels projets. Ensuite, la responsable du pôle métiers était issue du privé : elle avait été cadre d'une société reconnue sur la toile et connaissait ainsi les codes du Net. Enfin, votre serviteur a été directeur du service d'information du Gouvernement (SIG) pendant trois ans. Le digital y tenait une place importante, car nous l'avions considérablement développé à l'époque. De plus, j'ai été enseignant à Sciences Po sur les questions de communication, associant des experts à mes réflexions. Le CIPDR n'était donc pas déconnecté par rapport à ces enjeux.
Par définition, il est toujours possible de faire mieux, ce qui est notre objectif. Des experts d'autres services auraient peut-être été nécessaires. Néanmoins, je tiens à mettre en avant les compétences et les qualités des membres du comité ; elles ont permis de parler de communication numérique en connaissance de cause.
M. Claude Raynal, président. - J'entends, mais, quand on voit les résultats obtenus, on peut s'interroger. Ne regrettez-vous pas que le comité de sélection ait été centré sur une équipe resserrée et n'ait pas bénéficié d'un regard extérieur permettant de confronter les points de vue ? Nous avons l'impression que ces six personnes qui travaillaient ensemble et connaissaient le sujet se mettaient d'accord assez facilement. Si vous aviez à réaliser une expérience similaire, n'ouvririez-vous pas le comité ?
Christian Gravel. - Si je devais m'impliquer dans une nouvelle opération de ce type, la première leçon que je tirerais de l'expérience précédente serait de respecter une temporalité permettant de travailler dans des conditions optimales. Incontestablement, dans le cadre du comité de sélection ou - nous en parlerons - du suivi, bénéficier d'un peu plus de temps nous aurait permis d'associer d'autres directions et aurait garanti une plus grande transversalité. Par définition, cette dernière aurait accru la qualité du travail réalisé même si nous avons accompli ce qui devait l'être avec les moyens qui étaient les nôtres, malgré la surcharge de travail, en étant extrêmement rigoureux sur tous les process, en amont et en aval. Concrètement, le fait de pouvoir se poser un minimum et de prendre le temps d'associer d'autres personnes aurait été le moyen d'optimiser le projet.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Diriez-vous que le manque d'ouverture du comité de sélection était lié à des délais courts et contraints ? Voyez-vous d'autres raisons ?
Christian Gravel. - De fait, si tout le monde avait eu plus de temps en matière de méthodologie et de process, nous aurions pu mener cela de manière plus « raisonnable » en associant d'autres acteurs au sein du ministère, en soutien. Les choses se sont faites rapidement.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - De manière trop rapide, je note. Vous parliez du budget annuel important, depuis 2018, de l'association Alma : pouvez-vous nous donner son montant ? Il ne dépend pas du fonds Marianne : avez-vous connaissance des raisons pour lesquelles l'association n'aurait pas répondu à cet appel à projets ?
Christian Gravel. - Cette association a touché une subvention de plus de 500 000 euros en 2018 et de plus de 350 000 euros en 2019. Je vous transmettrai les autres chiffres, que je n'ai plus en tête. Les montants sont donc très significatifs.
L'association n'apparaît pas formellement dans la liste des lauréats du fonds Marianne, car la subvention avait été actée par le cabinet à l'occasion du comité de programmation précédant le comité de sélection du fonds Marianne. La demande avait été instruite parce que nous connaissions bien Alma. Nous allions déjà verser une subvention équivalant à 500 000 euros. Cela avait été acté, il n'y avait donc pas de sens à faire participer l'association au fonds Marianne.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Sauf à prévoir de leur part des actions nouvelles, absentes du programme que vous aviez validé.
Christian Gravel. - Les actions de qualité proposées s'inscrivaient dans le prolongement de ce qui avait été prévu initialement. Alma apparaît dans certaines notes que vous avez dû recevoir ; je l'interprète comme une volonté de rendre cohérents le bilan et le suivi de l'ensemble des acteurs associatifs travaillant dans le cadre du contre-discours sociétal. Si quelqu'un avait voulu qu'Alma apparaisse formellement dans la liste des bénéficiaires du fonds, il n'y aurait eu aucun problème à la compléter, car les montants étaient passés de 2,5 millions d'euros à 2,017 millions d'euros.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Pour revenir au processus de sélection des projets subventionnés, il n'existait pas de grille de notation : quels sont les critères objectifs sur lesquels se sont appuyés vos analyses et vos choix ? Pour certains des projets transmis par des associations qui se résumaient à quelques éléments généraux, avez-vous demandé des éléments complémentaires avant de vous prononcer sur l'attribution de subventions ?
Pour des associations qui n'ont jamais eu à travailler avec le ministère, avez-vous organisé des échanges ou auditions afin de comprendre leur fonctionnement ? Si oui, sous quelle forme ? Avez-vous pu examiner tous les projets ? L'avez-vous fait de manière détaillée ? En avez-vous écarté et, le cas échant, pour quelles raisons ?
Christian Gravel. - Le processus de sélection a suivi trois étapes. Après la formalisation de l'appel à projets, nous avons reçu soixante-treize propositions provenant d'associations. Sur ces soixante-treize, une part importante ne répondait pas exactement aux principaux critères exigés, à savoir - je vous rappelle les deux axes - riposter aux acteurs extrémistes, séparatistes ou complotistes, et défendre et promouvoir les valeurs républicaines.
M. Claude Raynal, président. - Il n'existe pas de premier filtre administratif avant celui-ci, qui consiste à une analyse des projets sur le fond ?
Christian Gravel. - Je parlais bien du niveau administratif : ce travail est celui du CIPDR. Nous avons reçu les soixante-treize dossiers et le premier filtrage s'est fait aisément lorsque les principaux éléments déterminants apparaissant dans le cahier des charges de l'appel à projets n'étaient pas respectés, soit que la candidature était hors sujet, ne faisant référence à aucun des deux axes, soit que les associations souhaitaient s'engager dans des projets à caractère territorial alors qu'était exigé un rayonnement à l'échelle nationale. Cela explique le passage, en interne, à quarante-quatre projets.
Toujours au sein du CIPDR, les projets sont ensuite passés de quarante-quatre à vingt-trois. Nous sommes alors entrés dans des questions de fond. Nous avons déterminé la qualité des candidatures, l'intelligence des propositions, leur structuration. Nous avons essayé de nous renseigner sur le passé des associations ; il va de soi que de nombreuses associations travaillaient déjà avec le CIPDR, et réciproquement.
Par définition, quand il existe un historique en matière de partenariats de confiance et quand l'association est associée à des experts réputés tout en étant reconnue d'utilité publique, le préjugé est positif. Les dossiers sont étudiés, mais, malgré tout, le processus est accéléré.
La chargée de mission consacrée au fonds et le collège du pôle métiers ont échangé avant que l'équipe ne me présente une proposition. La liste est ainsi passée à vingt-trois associations, que nous avons proposées, avec le cabinet, au comité de sélection, qui en a sélectionné dix-sept pour devenir lauréats du fonds Marianne.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Avez-vous adressé des courriers aux associations non retenues pour les informer de cette décision et de vos motifs, ou les associations se sont-elles elles-mêmes adressées à vous pour avoir des explications ? Quelles ont été les réactions éventuelles ?
Christian Gravel. - Dans le cadre du régime juridique des subventions, rien ne nous oblige à rendre des comptes aux associations qui ne perçoivent pas de fonds. Elles ont reçu néanmoins l'information qu'elles n'étaient pas retenues. Quelques-unes ont demandé des précisions sur les raisons pourquoi leur projet n'avait pas été choisi dans la liste du fonds Marianne ; la chargée de mission les leur fournissait au travers d'échanges, souvent par téléphone. Je n'ai pas en tête la liste des associations. Elles étaient peut-être deux ou trois à s'être manifestées.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Les échanges étaient donc oraux, ne laissant pas de traces.
Christian Gravel. - Informels, oui.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous indiquez que le projet de l'association devait être développé. Pourtant, certains qui ont été retenus étaient succincts : la motivation tenait en une page.
La procédure ne vous astreint pas à mettre en place des tableaux d'évaluation ou des critères de notation, mais il est étonnant que vous n'ayez aucun compte rendu assurant la synthèse de ce processus de sélection. Votre administration n'est pourtant pas comparable à une association qui manquerait de moyens. Puisque vous engagez des moyens publics, un certain formalisme s'impose. Qu'est-ce qui explique que vous n'ayez pas d'éléments tangibles sur ce point ?
Christian Gravel. - Des notes précises rédigées par la cheffe de projet, dont vous avez eu connaissance, ont permis de faire un point à échéance régulière sur l'évolution du processus de sélection, jusqu'à l'étape du comité de sélection lui-même, comme l'atteste une note faisant office de compte rendu des avis. Le suivi par la collaboratrice concernée de l'ensemble du processus a donc été régulier, rendant compte de la sélection à la désignation des lauréats, de nos questionnements et, parfois, de la réévaluation des montants à la baisse lors du comité de sélection.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Mais dans ces comptes rendus n'apparaît pas la motivation des choix du comité.
Christian Gravel. - Il convient d'en tirer des leçons : il faudrait à l'avenir bénéficier d'un compte rendu exhaustif de ces réunions pour mieux saisir la logique des décisions pour chacune des associations, contrairement à ce qui a pu être le cas. Nous n'avons pas l'habitude d'envisager un tel document dans le cadre de réunions. Étant donné l'enjeu au moment du comité de sélection, je concède pleinement que nous aurions dû envisager collectivement un compte rendu accompagné de verbatim afin de saisir la logique derrière le choix des associations.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je partage vos propos et déplore ce constat. Nous suivons et évaluons la dépense publique. Quel que soit son montant, nos concitoyens attendent une même rigueur intellectuelle, juridique et administrative.
Christian Gravel. - Nous nous inscrivons dans la même philosophie, partageant le même sens des responsabilités. Même en l'absence d'un compte rendu exhaustif relatif au comité de sélection, nous avons agi avec rigueur. Les choix, au cours de nos échanges, ont été pesés.
J'ai compris il y a quelques jours que vous n'aviez pas reçu certaines pièces, notamment les fiches d'instruction exhaustives de quelques projets.
M. Claude Raynal, président. - Nous avons reçu ce que vous nous avez envoyé.
Christian Gravel. - C'est une erreur de notre part. Nous aurions notamment dû vous envoyer la fiche d'instruction relative à l'Union des sociétés d'éducation physique et de préparation au service militaire (USEPPM). Cette association ne s'est pas contentée d'une simple page : sa fiche d'instruction était en bonne et due forme. Elle avait plusieurs pages, elle était détaillée et étayée, ce qui nous a convaincus d'accorder la première subvention.
M. Claude Raynal, président. - Il est dommage de le découvrir en commission.
Christian Gravel. - Je ne peux que le regretter et m'en excuser.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Il est heureux que nous vous ayons invité, sinon nous aurions accusé La Poste...
Christian Gravel. - Loin de nous l'idée d'esquiver nos responsabilités : la faute est la nôtre. J'endosse totalement la responsabilité. Même sans cet échange, vous auriez reçu ces pièces.
M. Claude Raynal, président. - Certains documents importants qui auraient pu prouver que les demandes n'étaient pas formulées de manière très générale ne nous sont donc pas parvenus. Le seul compte-rendu que vous nous ayez envoyé fait mention de l'association Coexister avec l'unique commentaire suivant : il s'agit d'une association dont le « positionnement est explicitement en opposition avec la ligne gouvernementale ». C'est la seule association pour laquelle apparaît la raison derrière sa récusation. Or l'argument peut avoir plusieurs lectures... Quelle est la vôtre ?
Christian Gravel. - La rédaction peut prêter à confusion. Il va de soi que la posture de cette association n'est pas conforme à la ligne gouvernementale concernant l'enjeu majeur de la laïcité : la divergence est totale. Cette structure a tout à fait le droit de faire ce qu'elle veut ou presque à condition qu'elle respecte l'ordre public, mais son projet ne correspond en aucun cas à la ligne de l'exécutif sur la laïcité. Son approche est en lien avec des acteurs que nous ne considérons pas comme des défenseurs de la République et qui cherchent même, parfois, à l'affaiblir. Cette approche ne s'inscrit pas dans l'attachement qui est le nôtre au pacte républicain, à notre histoire et à nos lois. Coexister a été écartée du processus de sélection pour cette raison.
Il n'y a pas d'ambiguïté possible derrière l'expression d'« opposition avec la ligne gouvernementale », car, à ma connaissance, cette association ne défend pas un propos à caractère politique. Cela prouve que nous parlons seulement de la conception qu'on se fait de la laïcité. Notre idée était de ne pas s'engager dans une démarche qui viserait à promouvoir le contraire de la coexistence entre les uns et les autres. Nous veillons à ce que l'action des associations s'intègre dans le cadre républicain et rende prégnantes les notions de liberté, d'égalité et de fraternité, en évitant les logiques proches du décolonialisme ou des « Indigènes de la République » qui ne sont que trop claires quant à leur positionnement à l'égard de la ligne politique défendue par l'État, au sens neutre du terme.
M. Claude Raynal, président. - Dès lors, pourquoi ne pas avoir mis dans le cahier des charges la conception de la laïcité que vous entendiez défendre et avec laquelle les porteurs de projet auraient dû s'aligner ? Nous savons tous que les débats sur la notion de laïcité ont été longs et rudes ces dernières années, tantôt perçue comme trop ouverte, tantôt comme trop raide. Ne pensez-vous pas que cette discussion intellectuelle a sa place dans le débat ? Quand on veut tenir un contre-discours républicain et préparer les esprits à se construire leur propre opinion, ne faut-il pas laisser exister un débat sur la laïcité plutôt que fixer une ligne gouvernementale à laquelle se tenir, au risque d'être contre-productif ?
La laïcité est, dans certaines limites, une question ouverte chez ceux qui défendent la notion ; je ne parle pas du discours indigéniste. Il existe autant de laïcs et de citoyens que de visions de la laïcité.
Christian Gravel. - Je ne pense pas être le seul à défendre cette approche. Nous sommes évidemment partisans du pluralisme, fondement et joyau de la démocratie française. Les acteurs associatifs sont totalement libres de s'exprimer comme ils le souhaitent, mais l'idée est de ne pas accompagner financièrement au travers de fonds publics des actions et prises de parole que nous considérons comme ambiguës à l'égard de certains acteurs qui ne sont pas les principaux défenseurs de la République. Je n'en dirai pas plus, mais je suis ouvert à la discussion, et il faut être cohérent et soutenir une vision conforme à la laïcité, à l'esprit de la loi et à ce que nous défendons depuis plusieurs décennies.
M. Claude Raynal, président. - Ce débat nous entraînerait loin. L'enjeu était celui des critères d'attribution.
Christian Gravel. - Pour clore le sujet, nous n'avions pas défini la laïcité parce que nous sommes partisans du pluralisme. C'est l'esprit de l'appel à projets : faire émerger de nouveaux acteurs en favorisant de nouvelles méthodes. Contrairement à une commande publique, qui, elle, indique un cadre précis, l'appel à projets permet d'ouvrir le champ de tous les possibles. La seule limite que nous avions collectivement fixée était l'inscription dans notre conception de la République et de sa défense. Toutes les associations lauréates du fonds Marianne présentaient un large prisme en matière de vision et de définition de la laïcité, preuve que le pluralisme a été respecté.
M. Claude Raynal, président. - Les décisions d'attribution ont-elles été rendues à l'unanimité ? Un débat a-t-il eu lieu ?
Christian Gravel. - Des discussions se sont tenues, car nous sommes passés de vingt-trois à dix-sept projets. De plus, nous avons supprimé 20 % du budget prévu à l'origine. C'est la preuve que, contrairement à ce que j'ai pu entendre, nous ne voulions pas distribuer les fonds à nos amis : si nous avions voulu en abuser, il restait de la marge. Mon ton est ironique, car l'accusation est absurde : étant donné le nombre de dossiers reçus, nous aurions pu en retenir davantage. Lors de nos discussions, les approches ont été différentes, mais sans divergences frontales.
M. Claude Raynal, président. - À l'exception de celles que je mentionnerai à la fin de l'audition du fait des interrogations qu'elles suscitent, les deux associations les plus importantes, Civic Fab et Fraternité Générale, étaient déjà financées par le CIPDR avant l'appel à projets. La subvention « Marianne » a-t-elle été l'occasion de leur demander des actions supplémentaires ?
Christian Gravel. - Civic Fab est un acteur majeur qui a toujours travaillé consciencieusement, avec professionnalisme, répondant à toutes nos attentes. L'idée était d'accroître nos exigences dans le prolongement des actions menées pour leur donner plus d'ampleur, par exemple en proposant de nouveaux formats comme des vidéos spécifiquement consacrées à la prévention de la radicalisation. En effet, parler du djihadisme, de l'islamisme et de l'Islam radical n'avait pas encore été fait.
Je salue le courage de ces associations. S'attaquer à cette question peut avoir de lourdes conséquences : quelques experts que nous connaissons se sont retrouvés sous protection policière du simple fait d'avoir osé aborder ces sujets avec lucidité et objectivité, en France, en 2023, ce qui n'est pas le cas ailleurs.
Nous voulions démultiplier et faire monter en puissance les formats existants. Cela prouve l'intérêt de monter de tels projets.
M. Claude Raynal, président. - Sur l'exécution du fonds Marianne, vos procédures ont-elles été identiques pour toutes les subventions accordées par le CIPDR ? Des contrôles ont-ils eu lieu ? L'enjeu est de comprendre comment passer de quelques lignes de présentation à un projet réel de 300 000 euros. Le contrôle du fonds a-t-il été calqué sur ceux menés par le CIPDR ?
Christian Gravel. - Pour l'appel à projets, le régime juridique appliqué à nos procédures a été conforme à celui des subventions et de leur suivi.
Dans le cadre du fonds Marianne, une procédure spécifique a été élaborée en lien entre le pôle métiers et le pôle administratif et financier, sous la houlette de mon adjoint : nous avons mis en place des référents, des process et un circuit informatique permettant de trouver facilement, quel que soit le pôle, les éléments du dossier. L'objectif était que le suivi soit convenable et que nous puissions le cas échéant envisager des contrôles.
Cette procédure s'inscrivant dans le cadre du FIPD, nous avons demandé, comme nous le faisons régulièrement dans le cadre de subventions publiques, un compte rendu financier dans les six mois suivant la fin de l'exercice, une fois les comptes annuels ou états financiers approuvés et le rapport d'un commissaire aux comptes, si la structure reçoit un montant supérieur à 153 000 euros, fourni. Quand des problèmes se sont posés, nous avons pris les décisions à prendre, tant pour le fonds Marianne que pour les autres subventions attribuées par le CIPDR.
Mme Isabelle Briquet. - Les crédits attribués au titre du fonds Marianne visaient en partie des associations déjà financées par le programme radicalisation du FIPDR : ont-ils résulté de redéploiements internes au FIPD ou ont-ils correspondu à des crédits nouveaux ? À quel montant estimez-vous la reprise par le fonds Marianne de subventions déjà existantes de la part du FIPD ?
Christian Gravel. - Il ne s'agissait pas de fonds complémentaires, mais d'en rester aux fonds dédiés au programme R au sein du FIPD. C'est un simple fléchage et non un abondement du FIPD. Quant aux chiffres que vous demandez, je les calculerai avec mon équipe puis vous les transmettrez à la suite de l'audition.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Vous avez expliqué avoir manqué de rigueur dans la sélection. Je ne sais toujours pas quels ont été vos critères pour choisir quand attribuer ou ne pas attribuer des sommes de plusieurs centaines de milliers d'euros à certaines associations.
Christian Gravel. - Dans le cadre du régime juridique des subventions et des appels à projets, l'idée est de faire émerger des acteurs dont les ambitions peuvent être totalement différentes. Il n'est donc pas possible d'établir une grille d'analyse comme pour les marchés publics. Il s'agit de prendre en considération des projets divers, du fait de notre volonté de faire émerger des acteurs innovants.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Des acteurs « innovants » peuvent ne pas être des acteurs « nouveaux ». Peut-être les connaissiez-vous bien, comme Alma.
Christian Gravel. - Un acteur que nous connaissons déjà peut faire preuve d'innovation. La nature même de l'opération ne contribue pas à la simplicité et donc à une grille d'analyse commune.
Les montants attribués correspondent à la nature des projets proposés. Certains ont reçu des budgets importants, car nous les considérions comme suffisamment solides au regard des informations qui nous remontaient, de la connaissance des sujets et de la stratégie déployée. D'autres demandaient des subventions d'un montant considérablement plus faible. Nous n'allions pas nous-mêmes proposer une enveloppe supplémentaire.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - En somme, c'est le propre du régime des subventions : l'appréciation est réservée au comité, le pouvoir étant discrétionnaire.
Christian Gravel. - Vous savez mieux que moi que ce pouvoir discrétionnaire est lié au régime juridique des subventions.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Néanmoins, l'appel à projets a été lancé avec un certain éclat à la suite à un événement particulièrement odieux.
À partir de fin décembre 2021, des membres du cabinet commencent à s'évaporer. L'activité reprend à la fin de l'été 2022, à la suite des élections présidentielles. Une nouvelle secrétaire d'État chargée de la citoyenneté, Mme Backès, est nommée en juillet 2022. Comment s'est effectuée la transmission d'informations relatives au dispositif ? Une ou plusieurs réunions au sujet du fonds Marianne ont-elles été organisées ? Des questions au sujet du fonds Marianne ont-elles été posées ou a-t-il été laissé en sommeil ?
Christian Gravel. - Le dossier a deux ans. Je n'ai pas eu l'occasion d'en parler au moment de l'installation de la ministre. Lorsque les médias ont commencé à s'intéresser au sujet, son cabinet m'a demandé un point précis, ce que j'ai fait en relatant l'historique et les actions menées.
Des démarches ont alors été engagées par le CIPDR. Par exemple, l'USEPPM, qui est l'une des deux associations problématiques avec Reconstruire le commun, s'est vu refuser le versement d'une deuxième tranche de la subvention. Un contrôle de deuxième niveau a été lancé à son encontre. Il est en cours, des centaines de pièces étant étudiées par le contrôleur interne financier, poste que nous n'avions pas pendant plusieurs mois lors de la première phase du fonds Marianne. Une procédure article 40 a été engagée dans une adresse au procureur de la République.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je ne manque pas de m'interroger sur vos propos. Ce dossier est un étendard au regard d'un événement dramatique, pourtant, malgré la nouvelle ministre, c'est poste restante : il ne se passe rien jusqu'à ce que les médias fassent surgir un questionnement. Cela laisse perplexe.
Nous sommes là pour contrôler la bonne utilisation du fonds. J'ai reconstitué sa chronologie : à partir du 31 décembre 2021 jusqu'en septembre 2022, il ne se passe plus rien, comme si le temps était suspendu pendant une élection.
M. Christian Gravel. - Le sujet a été brièvement abordé dans le cadre des actions menées sous le quinquennat précédent, mais, au moment de l'arrivée de la nouvelle ministre et de son équipe, nous n'avions connaissance d'aucun problème en particulier, de sorte que rien ne justifiait de le mentionner.
M. Claude Raynal, président. - Techniquement, nous comprenons bien ce que vous dites et je ne suis pas certain que la question s'adresse à vous. Vous connaissez bien le milieu et vous savez que le CIPDR communique peu sur les actions mises en place, dont certaines sont pourtant très utiles, par exemple sur la formation des préfets ou sur la formation dans le monde enseignant.
Toutefois, nous parlons du fonds Marianne comme d'une entité particulière par rapport à un événement aux répercussions politiques gravissimes. Par conséquent, le rapporteur s'étonne que, à l'arrivée de la nouvelle ministre, le dossier ait été traité comme un sujet parmi d'autres sans faire l'objet d'une attention particulière.
Pourtant, à l'époque où le fonds a été lancé, le nombre d'interventions de la ministre déléguée dans les médias a été considérable, donnant à penser que le Gouvernement se saisissait plus qu'auparavant de la question. Il apparaît donc clairement que le dossier faisait l'objet d'une sensibilité politique particulière.
Nous comprenons de ce que vous nous dites que, jusqu'au moment où la presse s'est saisie du dossier, le sujet n'existait pas au sein du cabinet de Mme Backès.
M. Christian Gravel. - Pour éviter tout malentendu, je répète que le sujet a bien évidemment été abordé à l'occasion de l'installation de la nouvelle équipe ministérielle, mais sans réunion ni note spécifique.
J'ai tout comme vous conscience de la gravité de la responsabilité qui nous incombe sur ce sujet et je peux vous garantir qu'il n'a donné lieu à aucune légèreté. À l'arrivée de la nouvelle équipe ministérielle, aucun problème n'est remonté à la surface. Nos équipes étaient en train d'engager en interne un processus de contrôle dans le cadre du délai de six mois qui était prévu. Jusqu'à la remontée des problèmes, que ce soit ou non par le biais des médias, nous n'avions pas de raison de revenir en détail sur ce dossier. J'ai présenté à la nouvelle équipe le travail qui avait été engagé, mais le dispositif n'avait pas vocation à être reproduit deux ou trois ans plus tard. Ce n'est que dans les trois derniers mois que l'USEPPM puis les médias ont évoqué des difficultés récurrentes et c'est alors que l'on a commencé à parler du dossier. Voilà ce qui s'est passé dans les faits, du point de vue de l'administration.
M. Claude Raynal, président. - Comment expliquez-vous le choix d'accorder à l'USEPPM la principale subvention du fonds Marianne - je parle du montant mentionné dans la convention, car celui-ci n'a pas été entièrement versé, nous y reviendrons - au titre du volet « Lutte contre la radicalisation », alors que les statuts de l'association, datant de 1920, ne font pas référence au sujet ? D'où cela vient-il ? Le projet est-il arrivé par votre intermédiaire ou bien par celle du cabinet de la ministre ? Comment une association apparemment sans lien avec le sujet et qui ne démontrait pas d'expérience particulière dans le domaine visé par ce fonds a-t-elle pu prétendre à une subvention du fonds Marianne ?
M. Christian Gravel. - Aucune association n'évoque explicitement dans ses statuts la lutte contre le séparatisme. Il s'agit plutôt de mentionner un travail sur l'esprit critique ou bien la promotion des valeurs.
M. Claude Raynal, président. - Mais si nous allons au-delà des statuts, cette association n'a jamais mené d'action en lien avec ce sujet.
M. Christian Gravel. - Certes, mais de manière générale les associations n'abordent pas le sujet aussi explicitement.
J'ai appris que l'USEPPM pourrait bénéficier du fonds Marianne lors d'un appel téléphonique de M. Sifaoui : il me dit sortir d'un rendez-vous avec la ministre, celle-ci lui avait parlé du fonds Marianne, en lui faisant comprendre que par son statut, son implication et son investissement il avait toute sa place pour y prétendre.
L'association est impliquée dans une forme de citoyenneté et d'engagement lié à la jeunesse de sorte qu'il ne m'a pas paru incongru qu'elle bénéficie du fonds. En outre, elle est reconnue d'utilité publique, statut qui atteste de son sérieux, de finances saines et d'un rayonnement d'action à l'échelle nationale. En 2016, par l'intermédiaire de ses chargés de mission « prévention », elle a travaillé sur la radicalisation. Raphaël Saint-Vincent, qui a oeuvré comme référent « prévention de la radicalisation » au sein de l'association m'a sollicité, alors que j'étais encore directeur du Service d'information du gouvernement (SIG) pour me présenter son livre Vivre sous la menace terroriste, dans lequel il développait l'idée d'une culture de sécurité à caractère préventif, après le choc terroriste subi en 2015. Il ne se présente pas comme un responsable de l'USEPPM - je ne retiens pas d'ailleurs que c'est cette association-là à l'époque -, mais je comprends a posteriori que l'association nourrissait une certaine sensibilité sur le sujet. Preuve est que l'ouvrage de Raphaël Saint-Vincent était d'ailleurs le fruit d'une collaboration avec l'Association française des victimes du terrorisme (AFVT) ; de mémoire, l'ensemble des sommes rassemblées par la vente de ce livre était censé être fléché vers l'AFVT.
En outre, au moment où le projet a été présenté en 2021, la présence de M. Sifaoui représentait une caution scientifique évidente, car il s'agit d'un expert reconnu. Son engagement, la qualité de ses connaissances et son courage ne pouvaient pas être remis en cause. Je tiens d'ailleurs à dire toute l'estime que j'ai pour cet homme, qui est sous protection policière depuis vingt ans, car il a risqué sa vie en infiltrant une cellule d'Al-Qaïda. Il a continué à porter son combat malgré les menaces de mort et le fait que sa vie en soit bouleversée. Le voir défendre ce projet constituait à mes yeux une caution scientifique majeure. Tous ces éléments ont justifié que l'association puisse bénéficier du soutien de l'État pour porter son action.
M. Claude Raynal, président. - Vous avez donc eu un premier contact avec M. Sifaoui, lors de la présentation de ce livre ?
M. Christian Gravel. - Non, c'est M. Saint-Vincent qui m'a sollicité en 2016 pour me présenter son livre, car je travaillais sur le sujet au sein du SIG, et il n'a pas mentionné alors l'USEPPM. C'est a posteriori que j'ai compris qu'il existait un lien inscrit dans la durée entre l'association et la lutte contre la radicalisation.
M. Claude Raynal, président. - Le document de réponse à l'appel à projet ne fait qu'une seule page, du moins selon les informations dont nous disposons pour l'instant. Avez-vous eu des éléments complémentaires ou bien la décision a-t-elle été prise à partir de ce document ? Vous n'avez eu qu'une semaine pour décider. Ce dossier faisait-il partie de ceux qui auraient pu bénéficier d'un autre type de subvention que le fonds Marianne ? En effet, il semble que le document ait été envoyé avant la date de lancement de l'appel à projets.
M. Christian Gravel. - Je regrette ce problème de transmission de document. Cela n'arrive pas tous les jours au sein de l'administration. Nous avons des missions lourdes et il se trouve que nous avons eu au même moment des demandes de documents de la part de la Cour des comptes, de l'Inspection générale de l'administration (IGA), de l'Assemblée nationale et du Sénat. Je regrette très sincèrement que ce document de six pages ne vous soit pas parvenu.
M. Claude Raynal, président. - Nous reviendrons plus tard sur cette question.
À quel moment avez-vous eu des éléments d'information complémentaires sur l'association avant la prise de décision ? Les avez-vous eus dans la semaine où tout a été décidé ?
M. Christian Gravel. - Le dossier complet, comprenant le document que vous auriez dû recevoir, a été envoyé quelques jours avant la tenue du comité de programmation, le 13 avril 2021. À la demande du cabinet de la ministre, il a été étudié dans le cadre du fonds Marianne. Le dossier de l'association Alma a bénéficié d'autres formes de subventions, mais celui porté par l'USEPPM, dont je précise à nouveau qu'il était complet, a glissé vers le fonds Marianne, un mois plus tard.
M. Claude Raynal, président. - Lors du processus de sélection de l'USEPPM, aviez-vous connaissance de l'identité des personnes qui allaient être rémunérées par la subvention ? Leurs CV vous avaient-ils été communiqués ? M. Sifaoui était connu de tous, mais qu'en est-il des autres ?
M. Christian Gravel. - Hormis M. Sifaoui, qui exerçait comme directeur de projet et qui touchait donc une partie de la subvention sous la forme d'un salaire - ce qui n'a rien de scandaleux étant donné le rôle qui est le sien pendant cette période -, je n'ai pas eu connaissance de l'identité de ceux qui avaient vocation à former l'équipe. On envisageait six postes. Je ne savais pas non plus que le président de l'association aurait le rôle de directeur administratif et financier. Je précise qu'il n'entre pas dans les fonctions de mon service que d'aller contrôler les individus qui ont vocation à travailler au sein d'une association. Cela relève d'autres services.
M. Claude Raynal, président. - Lesquels ?
M. Christian Gravel. - Ce travail relève du Trésor ou de la Cour des comptes, si nécessaire. Ce n'était pas à mon service de demander le CV de ceux qui allaient travailler dans l'association. Nous avons reçu un projet que nous avons considéré comme hautement qualitatif et qui semblait donner toute satisfaction sur le papier. Nous avons simplement constaté que six personnes étaient salariées et que le directeur du projet était clairement identifié.
M. Claude Raynal, président. - Initialement, il devait y avoir dix salariés.
M. Christian Gravel. - En réalité, il n'y en a eu que six.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - J'insiste en vous faisant part à nouveau de mon étonnement sur le fait que le document que nous avons reçu ne comporte qu'une seule page. Une conjonction d'événements nous porte à croire que le document comportera bientôt davantage de pages. La question ne date pas d'aujourd'hui et je crois deviner que certains candidats à l'attribution d'un soutien public de l'État aimeraient bien que leur dossier soit examiné par votre comité interministériel : n'envoyer qu'une seule page et obtenir plusieurs centaines de milliers d'euros de subventions paraît pour le moins inhabituel !
M. Sifaoui, journaliste rémunéré par l'USEPPM, a indiqué dans un communiqué publié sur Twitter, le 12 avril dernier, en réaction aux informations publiées dans la presse : « Je n'ai pas pris cette initiative spontanément. J'y ai été encouragé par des représentants des pouvoirs publics, notamment par les membres du cabinet de Mme Schiappa et par elle-même [...] je suis donc quelque peu scandalisé en constatant qu'elle participe gentiment au lynchage en feignant de ne pas me connaître et de ne pas connaître l'association [...]. Ce sont les membres du cabinet de Marlène Schiappa qui ont insisté pour que je prenne part à la riposte citoyenne ». Avez-vous eu connaissance de cette demande du cabinet et de la ministre ?
M. Christian Gravel. - Je ne comprends pas que vous puissiez laisser croire que nous aurions pris la décision d'accorder une subvention à cette association en nous appuyant sur un document d'une seule page. Je vous redis formellement et solennellement que vous auriez dû recevoir un autre document - je regrette infiniment que cela n'ait pas été le cas, compte tenu de l'importance de votre assemblée -, à savoir celui qui nous a permis en conscience de prendre cette décision. Il ne s'agit en aucun cas d'un seul feuillet de quelques lignes qui aurait suffi à débloquer d'un claquement de doigts 350 000 euros. Je ne peux pas laisser passer cela.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - C'est à tout le moins une erreur ou une faute hautement regrettable : tenons-nous en à cela pour l'instant.
M. Christian Gravel. - J'entends bien et je ne peux que regretter très sincèrement cette erreur. En revanche, compte tenu du contexte dans lequel les éléments vous ont été transmis, il me semble que vous pouvez aussi entendre qu'il a pu y avoir une erreur humaine.
Pour répondre à votre question, à la fin du mois d'avril 2021, M. Sifaoui m'a appelé au téléphone pour me dire qu'il sortait du bureau de la ministre déléguée, qui lui avait parlé de son projet d'engager ce qui porterait plus tard le nom de « fonds Marianne ».
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Il y a un problème de calendrier, car le dossier a été étudié courant avril.
M. Christian Gravel. - Pardonnez-moi, c'était à la fin du mois de mars. M. Sifaoui était pleinement satisfait de savoir que des subventions permettraient de porter des projets d'envergure dans le champ concerné. Il m'a également informé de ce que des réunions avaient eu lieu avec le cabinet de la ministre déléguée.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Probablement avec les mêmes personnes que celles que vous avez mentionnées précédemment ?
M. Christian Gravel. - Sans doute, puisqu'il s'agit de celles qui suivaient ce type de sujet. M. Sifaoui m'a indiqué qu'on lui avait demandé de réfléchir à un projet possible.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - On l'a mis pour ainsi dire dans les starting blocks et on lui a demandé de candidater.
M. Christian Gravel. - Il m'a dit clairement que c'était une bonne nouvelle et qu'il allait s'engager dans ce projet.
M. Claude Raynal, président. - Avez-vous vérifié ces informations auprès du cabinet ?
M. Christian Gravel. - Nous avons eu une réunion quelques jours plus tard avec le cabinet - c'était au début du mois d'avril - au cours de laquelle le fonds Marianne a été mentionné. J'ai donc compris que le dispositif était engagé. En outre, le projet de M. Sifaoui a aussi été évoqué à l'occasion du comité de programmation du 13 avril.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Il s'avère que, pour le projet de cette association, la part des salaires au regard des charges est nettement plus élevée que pour la plupart des autres associations. Cela vous a-t-il paru normal et conforme au cahier des charges de l'appel à projets ?
M. Christian Gravel. - Ce projet était le plus ambitieux et le plus courageux de ceux qui ont été présentés et le seul à envisager une confrontation directe avec des activistes extrémistes. M. Sifaoui, qui a une connaissance fine de ces réseaux, était une caution scientifique solide. L'essentiel du projet reposait objectivement sur la production intellectuelle : il s'agissait d'analyser, de concevoir et de diffuser des messages sur internet. Par conséquent, je n'ai pas été choqué par le fait qu'une partie importante des charges s'inscrive dans des rémunérations, car il s'agissait précisément de payer de l'intelligence pour pouvoir engager ce type de travaux, sans parler du courage qu'il fallait pour produire ces contenus. En effet, il n'y a pas eu, comme on l'a parfois entendu, que trois vidéos visionnées seulement quinze fois, mais l'association a produit cinq cents contenus. Certes, on peut toujours faire plus et mieux, mais il ne s'agissait là que du premier volet du projet.
M. Claude Raynal, président. - Dans le bilan financier et moral de l'association que vous nous avez transmis, je ne vois pas la mention de ces cinq cents contenus.
M. Christian Gravel. - Il y a eu près de cinq cents tweets, threads et productions.
M. Claude Raynal, président. - Disposez-vous de ces contenus ? Pour l'instant, ce qui nous a été transmis est d'une rare pauvreté.
M. Christian Gravel. - Nous ferons en sorte de vous transmettre tous les éléments du bilan. Tous ces contenus sont visibles sur les réseaux sociaux. Le premier volet du projet consistait à analyser l'écosystème avant d'engager très régulièrement des ripostes, à un rythme soutenu. Cela a été fait. Le deuxième volet prévoyait de construire un site internet et d'élaborer une encyclopédie numérique visant à agréger tous les contenus et éléments d'analyse permettant de fournir de la matière aux internautes qui souhaiteraient s'inscrire dans ce travail d'influence en ligne.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous reviendrons sur ce sujet.
D'après les échanges de courriels que vous nous avez fait parvenir, l'USEPPM vous a transmis personnellement et directement sa candidature. Le courriel vous est parvenu le 9 avril 2021, soit onze jours avant le lancement de l'appel à projets, ouvert du 20 avril au 10 mai. Comment expliquez-vous que vous ayez été le destinataire direct et unique de cet envoi ? Avez-vous reçu sur votre adresse les demandes d'autres associations ? Le cas échéant, lesquelles et pourquoi ?
M. Christian Gravel. - Lors de son appel téléphonique, en sortant du bureau de la ministre, M. Sifaoui m'a précisé qu'il reviendrait au CIPDR de gérer les dossiers. C'est donc - je le pense, mais n'en ai pas la certitude - que c'est sur la recommandation de M. Sifaoui que le président de l'association m'a envoyé directement le dossier.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Aucune autre association ne vous a envoyé avant le 20 avril de demande pour postuler au fonds Marianne ?
M. Christian Gravel. - Je n'ai pas reçu d'autres demandes d'association dans le cadre du fonds Marianne, mais je reçois régulièrement des courriels de la part de présidents d'association qui me relancent sur des demandes de subventions.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Hors fonds Marianne ?
M. Claude Raynal, président. - Revenons-en à la question des dix ou des six salariés. Quoi qu'il en soit, ils n'étaient pas salariés à temps complet.
M. Christian Gravel. - De mémoire, ils couvraient 4,8 équivalents temps plein (ETP).
M. Claude Raynal, président. - En réalité, il y a eu plutôt trois salariés, dont deux à mi-temps. La rectification pour passer de dix à six salariés est intervenue postérieurement à l'accord ; pourtant, elle n'a pas conduit à modifier le projet de convention. On aurait pu penser que la logique serait celle du « À moyens diminués, subvention diminuée ». Comment justifiez-vous cela ?
M. Christian Gravel. - C'est dans le cadre du contrôle a posteriori que nous avons compris qu'il y avait eu moins de salariés que prévu. Auparavant, l'information n'est pas remontée jusqu'à mon équipe, qui m'en aurait parlé.
M. Claude Raynal, président. - Pourtant cela figure dans le formulaire Cerfa qui vous a été envoyé par l'entreprise comme document officiel d'engagement. Il est clairement précisé qu'il n'y a que six salariés. Ensuite, leur nombre a été réduit à trois. Vous auriez pu être alerté au moins par le fait que l'on était passé de dix à six salariés.
M. Christian Gravel. - Je croyais que vous me parliez du passage de six à trois salariés, dont nous n'avons pas eu connaissance,...
M. Claude Raynal, président. - ...Avant le contrôle a posteriori, je l'ai bien compris.
Le contrôle sur pièces de l'USEPPM a été annoncé seulement le 17 mars 2023 à l'association, alors qu'elle aurait bénéficié du plus haut montant de subventions, si tous les fonds avaient été versés. En outre, l'association ne répondait pas aux mails de relance depuis plusieurs mois. Le lancement du contrôle sur pièces a été fait tardivement si l'on considère que d'autres associations ne présentant a priori aucune difficulté particulière ont été contrôlées avant l'USEPPM. Dans le cas de celle-ci, soit vous n'obteniez pas de réponse, soit l'on vous répondait que les sommes n'avaient pas été engagées. En effet, vous nous avez dit que vous aviez pris la décision de ne pas engager la deuxième partie de la subvention. Pour quelles raisons avez-vous pris cette décision ?
M. Christian Gravel. - Précisément, à cause de l'absence de réponse de l'association après un certain nombre de relances ou bien seulement de réponses partielles concernant des demandes de pièces qui devaient nous être remises dans le cadre du processus de contrôle de l'action. Une fois prise la décision de ne pas verser la deuxième partie de la subvention, le secrétaire général adjoint, M. Laffite, a appelé le président de l'association et a compris au cours de la discussion que le seuil des 60 % du budget prévisionnel n'avait pas été atteint. Par conséquent, quoi qu'il en soit, la deuxième tranche de la subvention n'aurait pas été versée. Toutefois, la décision a été prise avant même que nous ayons pris connaissance de ce critère budgétaire, en raison des difficultés que nous avions à obtenir des réponses, la situation s'étant aggravée dans la période de contrôle a posteriori.
M. Claude Raynal, président. - À quoi correspond le seuil des 60 % ?
M. Christian Gravel. - Il s'agit des 60 % du budget prévisionnel.
M. Claude Raynal, président. - Et donc pas des 60 % de la subvention ?
M. Christian Gravel. - Pardon, il s'agit bien des 60 % de la subvention.
M. Claude Raynal, président. - En réalité, le budget global de l'association pour cette opération n'est pas fondé uniquement sur votre subvention. Il y a des cofinanceurs, qui peuvent être des collectivités territoriales.
M. Christian Gravel. - Dans le projet, deux régions sont cofinanceurs.
M. Claude Raynal, président. - Mais à l'instant où vous exerciez votre contrôle, les cofinancements n'existaient pas et l'opération était donc bloquée, car l'association ne pouvait pas justifier des 60 % de la totalité du financement. C'est la raison pour laquelle la deuxième tranche de la subvention n'a pas pu être versée. La décision se justifiait par le fait que le plan de financement total n'étant pas réalisé, l'association ne pouvait pas prétendre à une tranche de subvention supplémentaire, par manque de cofinancements. Sommes-nous bien d'accord ?
M. Christian Gravel. - Il semble bien que le taux de 60 % porte sur notre subvention et que ce seuil n'ait pas été atteint. Le dossier mentionnait deux cofinanceurs de poids, à savoir les régions de l'Île-de-France et du Nord, ce qui contribuait à sa solidité. Or le soutien attendu, je vous le confirme, ne s'est pas concrétisé.
Le seuil a donc été fixé à 60 % de la subvention que nous devions accorder à l'association. Puisqu'il n'a pas été atteint, nous ne pouvions pas remettre la deuxième tranche de la subvention. La décision de ne pas la verser a d'abord relevé du constat d'un dysfonctionnement en termes d'information de leur côté.
M. Claude Raynal, président. - Notre lecture est un peu différente. Nous considérons que l'association devait démontrer qu'elle avait engagé plus de 60 % du projet pour pouvoir toucher le supplément de subvention.
Quoi qu'il en soit, la subvention a en définitive servi à financer du salaire à plus de 80 %, ne laissant quasiment rien pour les actions sauf à considérer que celles-ci n'étaient que de nature intellectuelle, ce qui n'est pas exact, car il y avait aussi du contenu technique qui devait être réalisé.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - C'est sans doute la raison qui explique que l'association a peiné à vous envoyer un bilan tant quantitatif que qualitatif. Il y a eu très peu de communication entre l'USEPPM et le CIPDR entre mai 2022 et février 2023, alors que vous demandiez ce bilan. Vous nous avez dit avoir fait de nombreuses relances. Comment expliquez-vous l'absence totale de réponse de la part de l'association ?
M. Christian Gravel. - Si nous avions eu les moyens d'avoir un échange clair avec l'association, nous aurions pu prendre la mesure de la situation. La seule réponse qui nous a été donnée était que le président étant en train de monter une société et qu'il était donc très compliqué de le joindre. L'argument était assez faible compte tenu de nos relances répétées.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Il s'agit donc d'une sorte d'extinction des feux.
L'association finit par vous envoyer des documents le 15 février 2023. Elle avait indiqué dans son projet qu'elle recevrait un financement de 145 000 euros de la part des régions et 45 000 euros d'aides privées. Or elle n'a obtenu aucune de ces recettes et le fonds Marianne représentait finalement sa seule ressource.
De nombreuses charges ont été sous-exécutées. Les dépenses de la catégorie « autres services extérieurs » devaient représenter 177 100 euros, mais n'ont pas dépassé, en réalité, 31 000 euros, soit un taux d'exécution de 17 %. Alors que l'essentiel des dépenses de cette catégorie devaient être des dépenses de publicité et de publication, la plupart ont été basculées dans la catégorie « rémunérations intermédiaires et honoraires ».
Les charges de personnel ont en revanche fait l'objet d'une exécution à 87 % en 2022.
Dans ces conditions, peut-on considérer que l'objectif principal de la subvention a bien été atteint ?
M. Christian Gravel. - Une fois établis les éléments d'analyse issus de notre contrôle a posteriori, nous avons pris des mesures. Compte tenu des difficultés que nous avons eues pour obtenir les documents nécessaires au contrôle, nous avons refusé de verser la deuxième partie de la subvention. Nous avons aussi engagé un contrôle facultatif sur pièces, dit de deuxième niveau, pour que notre pôle administratif et financier puisse faire un point précis et identifier le cas échéant les abus qui auraient pu être opérés. Enfin, j'ai engagé la procédure de l'article 40, car des éléments convergents laissaient penser qu'il y avait eu un certain nombre de problèmes en matière de comptabilité.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Tout cela est bien léger ! Pour résumer, il a suffi que la ministre de l'époque porte sur les fonts baptismaux le fonds Marianne, puis en informe avant tout le monde une de ses connaissances afin qu'elle candidate ; son dossier est retenu et une subvention d'un montant très important est accordé à son association ; et tout cela a abouti au constat que 87 % de la subvention avait été utilisée pour des dépenses de personnel, ainsi qu'à une procédure au titre de l'article 40 du code de procédure pénale.
M. Claude Raynal, président. - Je souhaite revenir sur le déroulement du contrôle, qui a été très clair et qui prévoyait des délais : l'association avait jusqu'au mois de novembre 2022 pour fournir les éléments que vous lui demandiez. Elle n'en a donné que quelques-uns puis a cessé de répondre. Vous avez lancé la procédure de l'article 40 quatre mois après la fin du délai. En faisant cela, d'une part vous réagissiez au fait que les journalistes commençaient à s'emparer du sujet, d'autre part vous répondiez à une demande de la ministre qui souhaitait que vous signaliez la situation. Confirmez-vous cela ?
M. Christian Gravel. - La démarche de contrôle a été engagée avant l'emballement médiatique. Nous n'avons pas attendu que la presse se focalise sur le sujet pour engager les procédures de contrôle. Celles-ci s'appliquent à toutes les associations.
M. Claude Raynal, président. - Ma question portait sur le signalement, pas sur le contrôle.
M. Christian Gravel. - La décision du signalement était la mienne, dans la mesure où je suis le responsable administratif du projet. Je vous confirme qu'elle a été appuyée par la ministre. Celle-ci a d'ailleurs également souhaité faire un signalement pour une autre association dont nous parlerons ensuite.
M. Claude Raynal, président. - Pour résumer, comme l'a fait avant moi le rapporteur, on est parti d'une opération sur l'initiative de la ministre Schiappa qui a abouti à ce que l'on vous transmette un dossier dans le but qu'il soit retenu pour bénéficier du fonds Marianne. Et l'on finit par un signalement contre l'association en question. Avez-vous un jugement à porter sur cette situation ?
M. Christian Gravel. - Il est évident qu'elle est regrettable étant donné la nature du sujet et le contexte dans lequel elle s'inscrit. Toutefois, un travail a été réalisé et il y a eu cinq cents contenus produits, et accessoirement de grande qualité. Quant aux problèmes d'ordre comptable et financier, ils sont plus que regrettables.
Mme Isabelle Briquet. - Vous avez dit que vous considériez le projet comme « hautement qualitatif ». Au vu de son bilan, conservez-vous cette impression ?
M. Christian Gravel. - Qualitativement, le bilan est positif. L'USEPPM est la seule association à avoir fait ce à quoi elle s'était engagée, en s'inscrivant frontalement dans la riposte contre des acteurs dont certains sont dangereux. Quantitativement, on aurait pu espérer plus, notamment pour ce qui est des interactions et du nombre d'abonnés. Toutefois, une règle opère sur le web selon laquelle, quelles que soient la nature et la pertinence du projet, il faut toujours plus d'un an pour agréger une communauté numérique large et solide. Cette temporalité se retrouve dans tous les projets. L'association Alma, par exemple, qui dispose d'un soutien conséquent et pas simplement du CIPDR, a également produit des contenus de grande qualité. Or les résultats quant au nombre d'abonnés ont été équivalents à ceux de l'USEPPM, au bout d'un an. Il faut donc tenir compte du contexte dans lequel s'inscrit ce type d'action.
Qualitativement, le travail engagé a été de grande qualité. Le projet d'encyclopédie numérique n'a pas abouti, mais il était dès le départ envisagé sur plusieurs années. Le site internet a été créé sur lequel figurent des articles et des éléments de fond.
En revanche, les problèmes financiers sont en effet profondément regrettables. La justice fera son travail.
M. Dominique de Legge. - Vous avez mentionné le fait que les statuts de l'USEPPM dataient de 1920 et que l'association était reconnue d'utilité publique. Sauf erreur de ma part, il n'y a plus d'association pour la préparation militaire depuis les événements de la guerre d'Algérie. Peut-être auriez-vous dû davantage vous interroger sur les activités de cette association depuis la guerre d'Algérie et sur le fait que ses statuts n'avaient pas été mis en conformité avec les nouvelles activités qu'elle vous avait présentées ? Les associations reconnues d'utilité publique relèvent du ministère de l'intérieur et doivent être régulièrement contrôlées.
Vous nous avez dit que la prestation réalisée était majoritairement de nature intellectuelle tout en nous expliquant qu'il n'entrait pas dans votre champ de compétences de vérifier les CV des intervenants. J'en suis étonné, car dans le cas d'une prestation de nature intellectuelle, il est d'autant plus important de vérifier les compétences des intervenants. Or vous renvoyez cela à l'administration fiscale et à la Cour des comptes. Il me semble que, avant de verser une subvention d'un tel montant, on doit examiner le parcours de ceux qui vont être amenés à travailler. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce point ?
M. Christian Gravel. - À ma connaissance, cette association est toujours reconnue d'autorité publique, ce qui, compte tenu de la fiabilité du ministère dont dépend cette reconnaissance, est un gage de confiance. Ses statuts auraient certes pu être modifiés, mais je considère que cela ne relève pas de ma responsabilité de demander à l'association de les modifier. Ce qui compte pour moi, c'est que l'association travaille aujourd'hui sur les problématiques de la jeunesse et de la citoyenneté.
J'ai évoqué de manière très concrète tout à l'heure l'action amorcée en 2016 par l'un des responsables de cette association pour lutter contre le terrorisme et la radicalisation. Compte tenu de cet engagement, qui est directement lié à la question qui nous préoccupe et qui a été pris à un moment clé de notre histoire contemporaine, je ne pense pas que nous étions hors sujet.
Je rappelle en outre que l'association était dirigée par un expert reconnu, qui a fait figure de caution scientifique dans le cadre de l'appel à projets du fonds Marianne, une caution suffisamment forte pour nous rassurer sur la qualité des productions à venir.
Je vous invite à consulter les contenus réalisés, puisqu'ils sont toujours en ligne : je peux vous garantir qu'il n'est pas donné à tout le monde de mobiliser autant de connaissances et de faire preuve d'autant de pertinence, sauf justement à maîtriser parfaitement l'art de la riposte, ce qui est le cas ici.
Encore une fois, j'essaie de faire la part des choses entre le bilan que je viens de dresser et les divers éléments budgétaires et financiers que l'on a évoqués : ces deux sujets sont distincts, même s'ils concernent la même association.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - J'en viens à maintenant à l'association « Reconstruire le commun » qui a été créée quelques mois seulement avant le début de l'appel à projets, très peu de temps après l'annonce de la création du fonds Marianne. En réponse aux questions de Mediapart, vous auriez loué « l'intelligence » d'un projet « convaincant et parfaitement structuré ».
En 2020, l'association a bénéficié d'une subvention dite « de lancement » de 39 000 euros dans le cadre de l'enveloppe dédiée à la radicalisation du fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation. Pourriez-vous nous préciser les conditions dans lesquelles cette première subvention a été attribuée ? Quel en était l'objet exact ? Cette subvention visait-elle à aider l'association à se porter candidate par la suite à l'appel à projets du fonds Marianne ?
M. Christian Gravel. - En réponse à votre question, je me propose de retracer la genèse des relations entre le CIPDR et cette association.
Fin décembre 2020, après avoir suivi le conseil d'un universitaire reconnu, j'ai rencontré la présidente de l'association « Reconstruire le commun ». Il s'agit d'une femme dotée d'une grande intelligence, d'une vraie connaissance de l'ensemble des enjeux liés à l'actualité et d'une véritable conscience républicaine.
Cette dirigeante associative a, je le rappelle, fondé son association deux semaines après l'assassinat du professeur Paty : il me semble que très peu de structures ont su se mobiliser dans un tel laps de temps, ce qui atteste, encore une fois, de la très grande conscience républicaine de cette personne, dont l'objectif était - c'est le discours qui m'a été tenu - de faire face efficacement au délitement de nos sociétés et de défendre l'essentiel, à savoir nos principes.
Dans la foulée de la présentation de son projet, celle-ci m'a transmis une demande de subvention, à laquelle nous avons répondu positivement. Cette subvention de 39 000 euros avait tout simplement pour objet de donner à cette association les moyens de lancer des actions concrètes.
Je précise que le projet qui nous a été présenté était très abouti : l'association avait pour but de s'investir sur les réseaux sociaux et le web. C'est la raison pour laquelle nous avons accordé une subvention qui, même si elle a été versée en 2021, était destinée à couvrir des dépenses correspondant à la fin de l'exercice 2020.
La présidente de « Reconstruire le commun » a ensuite eu connaissance, comme beaucoup d'autres dirigeants d'associations, de la mise en place du fonds Marianne, ce qui l'a conduite à se porter candidate : son projet était d'envergure, très ambitieux et démontrait, sans ambiguïté possible, une véritable maîtrise de tout ce qui relève de la communication digitale - la directrice de projet était elle-même une experte du marketing et de la communication digitale.
Il s'agissait du reste du seul projet ambitieux défendu par des jeunes pour des jeunes : c'était la seule association dont les membres appartenaient à la tranche d'âge qui nous intéresse le plus, ce qui est un critère supplémentaire à prendre en compte. Compte tenu de nos échanges, de la qualité du projet, il nous a donc semblé envisageable de poursuivre la collaboration avec cette association.
Dernière remarque, « Reconstruire le commun » est en partie issue d'un collectif baptisé « On vous voit », qui a déjà démontré sa capacité à développer une vraie analyse intellectuelle des milieux séparatistes sur la toile et à riposter face à ce type d'acteurs.
Nous savions que, par le passé, ce collectif avait parfois diffusé des contenus à caractère politique. C'est pourquoi nous avions conditionné notre aide - la première subvention, qui a été versée avant la création du fonds Marianne - à cette association à l'absence de tout message de nature politique.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Est-ce vous qui avez décidé d'attribuer 39 000 euros à cette association nouvellement créée ?
M. Christian Gravel. - Une telle décision n'est pas unilatérale, mais collective, puisqu'elle est prise à l'occasion d'un comité de sélection comprenant six personnes. Elle a surtout été validée par le directeur de cabinet de la ministre. Je précise que la ministre devait venir à ce comité, mais c'est finalement son directeur de cabinet qui est venu.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je ne parlais pas du fonds Marianne, mais de la décision d'allouer une première subvention de 39 000 euros.
M. Christian Gravel. - Pardonnez-moi, je croyais que vous faisiez référence à une somme plus élevée. La décision à laquelle vous faites allusion relève du CIPDR, et de lui seul.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - « Reconstruire le commun » ne déclarait aucun salarié au moment de sa création, et son projet ne prévoyait aucun recrutement. Au vu du montant des subventions accordées, on aurait pu s'attendre à ce que davantage de personnes ressources soient employées par l'association.
Un membre de votre secrétariat général s'est d'ailleurs étonné, dans un certain nombre de mails adressés aux membres de l'unité de contre-discours républicain, que l'on octroie une subvention de 330 000 euros à une association dont aucun salarié n'était chargé de sa gestion financière. Partagez-vous cet étonnement ?
M. Christian Gravel. - Cette remarque atteste qu'en interne tout le monde pouvait s'exprimer librement et qu'aucune directive n'a été donnée pour que l'on taise tel ou tel point. Elle atteste aussi que chacun faisait son travail au sein de mon équipe : le secrétaire général adjoint du CIPDR, responsable de ce pôle administratif et financier, jouait pleinement son rôle, avec la rigueur qui caractérise ce magistrat de formation.
Je précise une fois de plus que la décision finale a été prise par un comité de sélection, et ce au vu des engagements pris par cette association, pour laquelle, naturellement, aucun bilan sur la manière dont avait été utilisée la première subvention versée ne pouvait être établi, étant donné qu'elle venait de se constituer et que chacun sait qu'un minimum de temps est nécessaire à une association avant qu'elle puisse exercer pleinement ses missions.
Le projet qui nous a été présenté dans le cadre de l'appel à projets du fonds Marianne a été suivi d'effets : l'association a salarié jusqu'à vingt-sept personnes, ce qui prouve incontestablement une utilisation des subventions conforme à notre plan de charge. Il va en outre de soi que le projet mené par cette association correspondait, au moins sur le papier, à ce qui nous avait été présenté et qu'il respectait l'ensemble des codes du web en vigueur aujourd'hui, conditions sine qua non du soutien de l'État.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Il ressort des éléments qui nous ont été transmis que les prestations fournies par « Reconstruire le commun » posent question.
Vous y avez fait allusion, cette association a produit
des contenus à caractère politique, dont il a été
question notamment lors d'une réunion ayant eu lieu le
1er mars 2022. Assistiez-vous à cette
réunion ? Que s'est-il passé
précisément ? Avez-vous donné des directives pour que
cela cesse ? Dans l'affirmative, ont-elles été
scrupuleusement respectées, et dans quel délai ?
M. Christian Gravel. - Le projet de « Reconstruire le commun » comportait quatre volets, qui ont conduit à la réalisation de cinquante-sept vidéos au total en un an, soit près de vingt-quatre heures de contenus à visionner.
Dans les six premiers mois d'existence du fonds Marianne, sachez que le suivi de l'association était réalisé par une cheffe de projet, qui exerçait cette mission à temps plein - j'en profite d'ailleurs pour la saluer, car, malgré sa charge de travail, celle-ci a su s'organiser et travailler de manière consciencieuse et professionnelle. Elle a finalement quitté le comité pour rejoindre une autre structure, et la charge de travail a été répartie entre quatre agents de mon équipe.
Or ces agents occupaient déjà eux-mêmes un poste à temps plein, a fortiori au sein de l'unité de contre-discours républicain, qui était alors en plein déploiement et soumise à une pression totalement justifiée, mais très forte. En plus de leur travail quotidien, ces quatre agents ont donc endossé une partie du travail consistant à suivre les associations ayant reçu des subventions du CIPDR.
L'agent chargé d'assurer le suivi plus particulier de « Reconstruire le commun » a formulé un certain nombre de remarques sur les premiers contenus produits, principalement sur leur aspect qualitatif. L'association a pris en considération nos remarques et a, à chaque fois que nous le lui avons demandé, parce que nous étions inquiets du faible taux d'engagement de ces contenus, reconsidéré sa ligne éditoriale. Elle a même opéré un changement de stratégie, en s'impliquant davantage dans le sponsoring, ce qui lui a permis de franchir un seuil décisif et de développer un certain nombre d'interactions sur le web.
Puis, à la fin du mois de février, notre agent s'est aperçu que l'association avait diffusé trois ou quatre contenus à caractère politique. Il m'en a alerté immédiatement : je lui ai alors demandé de convoquer les représentants de l'association, de sorte à leur communiquer nos observations, tant sur le plan qualitatif que sur le caractère hautement problématique des contenus politiques que nous avions identifiés.
La consigne que nous avons fait passer, à savoir qu'il était strictement interdit à l'association de s'associer, d'une manière ou d'une autre, à des contenus de nature politique, ne laissait place à aucune ambiguïté.
La présidente de l'association en a pris acte au mois de mars. La preuve en est que nous disposons d'une vidéo, si ce n'est pas deux, dans laquelle les chroniqueurs concernés par ce projet problématique ont eux-mêmes évoqué, de manière ironique, les risques que pourrait encourir la présidente de l'association s'ils persistaient à parler de politique. C'est bien la preuve que le message est passé, que notre consigne a circulé en interne et que nous avons correctement effectué notre travail de suivi et de contrôle.
À l'occasion d'un autre visionnage, l'agent concerné par le suivi de « Reconstruire le commun » s'est rendu compte que de nouveaux contenus politiques avaient été produits. J'ai alors demandé qu'on les convoque de nouveau, ce qui a été fait le 2 juin : lors de la réunion que j'ai présidée, je leur ai dit très clairement, très explicitement, très vigoureusement qu'il était intolérable de diffuser de tels contenus. Au moment où nous les avons convoqués, nous pensions encore que ces contenus étaient peu nombreux - je rappelle, en toute objectivité, que l'agent chargé du suivi de cette association était alors en surcharge de travail.
Cela étant, j'avais bien conscience à l'époque que ces dérives se produisaient en pleine période électorale, durant la campagne des élections législatives. Je connais un peu le code électoral : vous dire que j'étais contrarié ou en colère est un euphémisme...
Pour le reste, je le répète, le travail de l'association a donné satisfaction ; même si certaines choses auraient pu être améliorées, il était vraiment innovant.
Tout dernièrement - et c'était trop tard ! -, nous avons compris qu'en définitive de nombreux contenus de nature politique avaient été émis : j'ai donc moi-même déclenché une procédure pour obtenir le remboursement - total ou partiel - de la subvention allouée.
Au total, nous avons recensé dix pages correspondant au verbatim des contenus problématiques. Ce qui importe, au-delà du caractère intolérable de ces vidéos, qui découlent d'une forme d'insouciance et d'inconscience de quelques jeunes - cela ne concerne pas toute l'association - qui ont profité de l'occasion, c'est que le verbatim ne contient manifestement aucun contenu partisan faisant la promotion de tel ou tel candidat - je tiens ce verbatim à votre disposition si vous souhaitez vous en rendre compte par vous-même, ainsi que les seize heures de vidéo concernées.
À moins de faire preuve d'une malhonnêteté intellectuelle évidente, on ne peut pas sérieusement considérer que ces propos, quel que soit leur caractère intolérable, ont contribué à la campagne de tel ou tel candidat.
M. Claude Raynal, président. - Ce point ne relève pas du champ de compétence de notre commission d'enquête.
M. Christian Gravel. - Je profitais simplement de l'occasion qui m'était donnée de m'exprimer pour évoquer cette situation particulière.
M. Claude Raynal, président. - Nous n'irons pas plus loin, car ces faits font actuellement l'objet d'une procédure judiciaire.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Permettez-moi de vous faire remarquer qu'après une rapide vérification, et sauf erreur de ma part, les comptes de l'association ne laissent pas clairement, voire pas du tout apparaître qu'elle rémunérait vingt-sept salariés au titre de l'exercice 2022.
M. Christian Gravel. - Je vous confirme pourtant que l'association a bien salarié jusqu'à vingt-sept personnes.
M. Claude Raynal, président. - En plus des différents documents que vous ne manquerez pas de nous communiquer, je vous remercie de nous adresser le verbatim dont vous venez de parler : il nous évitera le visionnage de ces seize heures de vidéos.
Vous venez de nous expliquer que les problèmes que vous avez détectés l'ont été assez tôt. Pour autant, malgré l'absence de prise en compte de vos remarques par l'association durant plusieurs mois, vous n'avez pas hésité à verser les 25 % de subvention restant à « Reconstruire le commun » : comment expliquer ce mystère ?
M. Christian Gravel. - Il ne s'agit pas d'un mystère, mais d'un enchaînement de circonstances.
Revenons-en à l'historique des faits.
À la suite de nos critiques sur la qualité de certains contenus - je ne parle pas là des contenus politiques -, un certain nombre d'échanges ont eu lieu entre le pôle « métiers » et le pôle administratif et financier du CIPDR, afin de déterminer s'il serait envisageable de reconsidérer le versement de la seconde tranche de la subvention.
À l'époque - je suppose que vous en reparlerez avec Jean-Pierre Laffite -, le pôle administratif et financier a estimé que tout était en règle sur un plan budgétaire, dans la mesure où toutes les pièces avaient été transmises en temps et en heure, conformément à ce qui était prévu, et on a dépassé le seuil des 60 %. Dès lors, nous en sommes arrivés à la conclusion que, si l'on ne versait pas la totalité de cette subvention, on s'exposait de fait à un contentieux que nous étions presque sûr de perdre.
Au moment de prendre notre décision, nous n'avions de plus pas connaissance de toutes les dérives de l'association. Jusqu'à dernièrement, il y a encore quelques semaines, nous n'avions pas perçu l'ampleur des dégâts liés à ces contenus à caractère politique. Si cela avait été le cas, nous aurions évidemment été en mesure de démontrer la violation substantielle du projet. Aussi, nous aurions pu refuser de verser le reste de la subvention, tout en engageant des procédures sans attendre.
Ne l'oublions pas - je le répète -, l'agent chargé du suivi de « Reconstruire le commun » avait à l'époque un tel travail qu'il n'a pu visionner que quelques-unes des cinquante-sept vidéos produites par l'association, si bien qu'il n'a pas décelé l'ampleur du problème. À partir du moment où nous en avons pris connaissance, tout a été fait pour le résoudre et rectifier ce qui devait l'être.
M. Claude Raynal, président. - Encore une fois, vous admettrez que tout cela peut sembler surprenant : nous ne nous expliquons pas pourquoi, après que vous avez adressé des mises en garde très explicites à cette association, qui n'en a pas du tout tenu compte, vous avez finalement décidé de verser ce complément.
Nous nous posons une autre question : à quelle date la procédure de remboursement a-t-elle été engagée ?
M. Christian Gravel. - Nous l'avons envisagé dès que nous avons été avertis de l'étendue de ces dérives politiques, mais le processus n'a été formellement engagé que la semaine dernière.
Vous imaginez bien que nous n'avions collectivement aucun intérêt à ce que les choses se déroulent ainsi.
M. Claude Raynal, président. - Je n'ai rien dit de tel.
M. Christian Gravel. - Comme je le disais dans mon propos liminaire, la lutte contre le séparatisme et la radicalisation constitue encore un champ expérimental. Dans ce domaine, on ne fait pas de pari : on s'engage. Nous considérions, cabinet comme administration, que nous pouvions faire confiance à cette association, étant donné les gages qui nous était donnés à l'époque, et compte tenu de notre volonté de faire émerger de nouveaux acteurs pour aborder ces sujets.
S'il y a bien une personne qui est profondément affectée par cette situation, c'est votre serviteur...
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'engagement n'exclut ni la sobriété ni la rigueur.
Après l'avoir encouragée, vous êtes contraint aujourd'hui de réclamer un remboursement à cette association. À combien estimez-vous le montant du remboursement que vous sollicitez ?
M. Christian Gravel. - La procédure étant en cours, nous allons déterminer très rapidement le montant que nous pourrions exiger de l'association. Cette évaluation étant en cours, je préfère ne pas vous donner de chiffres à ce stade.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je vous serais reconnaissant de nous faire connaître ce montant dans des délais relativement brefs.
Aucun document mentionnant un échange écrit en 2023 entre « Reconstruire le commun » et le CIPDR n'a été transmis à la commission de finances. Le dernier échange reçu écrit remonte à novembre 2022. Comment expliquez-vous cela ? Vous venez de nous dire que vous avez engagé une démarche de remboursement la semaine dernière. Comment expliquez-vous cette lenteur ?
M. Christian Gravel. - L'association et l'agent chargé de son suivi ont bien eu des échanges par écrit, notamment par SMS et par mail. L'organisation de réunions formelles et l'envoi de convocations démontrent qui plus est notre volonté d'établir un cadre très clair, de faire passer des messages tout aussi clairs concernant les dérives constatées à différents niveaux.
Dans les faits, la procédure de remboursement a été engagée quelques semaines après que l'on eut constaté l'étendue des dégâts.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous confirmez-vous l'absence d'écrit depuis le mois de novembre 2022 et l'absence de réunion formelle depuis le mois de juin 2022 ? Nous avons besoin de disposer de preuves concernant les démarches entreprises par le CIPDR, du moins de celles que vous venez d'évoquer.
Je ne vous cache pas que je suis étonné de la nature des relations que votre comité a nouées avec ces associations, surtout quand on connaît le contrôle parfois tatillon effectué par des administrations dont les moyens sont pourtant bien moindres que les vôtres.
M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie pour vos réponses, monsieur le secrétaire général. Nous vous recontacterons si nous estimons que des réponses écrites complémentaires nous semblent nécessaires.
En définitive, vous le reconnaîtrez, les deux projets expérimentaux, qui ont mobilisé chacun des budgets significatifs, ont abouti à un résultat qui pose question : un signalement, pour l'un, et une demande de remboursement, pour l'autre.
Souhaitez-vous ajouter quelques mots ?
M. Christian Gravel. - Sachez que cette situation ne me fait pas rire. Loin de là !
Je sais que quand je parle d'expérimentation, certains pensent que c'est une manière pour moi d'esquiver le débat.
Si l'on se place dans une démarche comparative, si l'on regarde ce qu'il se passe à l'échelle de l'Europe, on découvre que les Britanniques, par exemple, qui ont été les premiers à mener des actions de contre-discours sociétal en ligne, ont commis plusieurs erreurs. Ils ont ainsi été jusqu'à financer des salafistes quiétistes, considérant qu'il s'agissait là du seul moyen de contrer les salafistes djihadistes. Je vous laisse imaginer le résultat...
En France, en 2014, les pouvoirs publics ont fait confiance à une prétendue spécialiste des questions de radicalisation. Je crois même que deux de vos collègues sénateurs ont cosigné un rapport sur le sujet et relevé un certain nombre d'irrégularités : ils se sont étonnés notamment de l'importance des sommes versées à une seule et même structure.
Rappelons-nous encore du centre de déradicalisation de Pontourny.
Bref, en vous répondant aujourd'hui, je n'ai à aucun moment cherché à échapper à mes responsabilités. Confronté à la réalité de ces phénomènes, à leur dynamique, je revendique le fait que nous devons expérimenter, faire émerger de nouveaux acteurs.
Les projets concernés présentaient toutes les garanties nécessaires en termes de structuration, de pertinence et de connaissance et d'analyse des codes de l'internet.
Le reste n'appelle pas d'autre commentaire : j'en suis le premier affecté, moi qui suis un serviteur de l'État. J'ai bien trop conscience de la valeur à la fois des deniers publics et de la responsabilité qui est la nôtre dans la lutte contre la radicalisation.
Pour finir, je tiens à remercier les associations qui se sont engagées avec nous pour leur courage. Je peux vous assurer que certaines d'entre elles vivent mal aujourd'hui le fait que la liste complète des structures financées par le fonds ait été diffusée dans les médias ; quelques-unes ont même songé à cesser leur activité, car elles ne souhaitent pas que leur action soit placée sous le sceau de la lutte contre le séparatisme et la radicalisation. Leurs membres ont peur du cyberharcèlement et des menaces.
Je veux également féliciter et remercier mon équipe qui, quelle que soit la surcharge de travail qui a été la sienne, a toujours su agir avec professionnalisme et rigueur. Elle a accompli sa mission, y compris pour ce qui est du suivi du fonds Marianne.
M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie.
La réunion est close à 18 h 30.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Mission d'information sur le fonds Marianne - Audition de M. Jean-Pierre Laffite, secrétaire général adjoint du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR)
M. Claude Raynal, président. - Nous poursuivons les auditions de la mission d'information de notre commission sur la création du fonds Marianne, la sélection des projets subventionnés, le contrôle de leur exécution et les résultats obtenus au regard des objectifs du fonds. Cette mission d'information a obtenu du Sénat de bénéficier des prérogatives des commissions d'enquête.
Monsieur Jean-Pierre Laffite, vous êtes magistrat et secrétaire général adjoint du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR). À ce titre, vous avez participé au contrôle de l'exécution du fonds Marianne. Votre audition nous est donc apparue complémentaire à celle de M. Christian Gravel.
Avant d'évoquer la phase de contrôle, nous avons relevé que vous ne faisiez pas partie du comité de sélection des projets. Savez-vous comment sa composition a été arrêtée ? Y a-t-il une raison pour laquelle vous n'en faisiez pas partie ? Avez-vous tout de même participé à la sélection des projets et, plus généralement, quel était votre rôle dans la préparation du fonds ?
Avant de vous donner la parole, je rappelle que seuls les membres de la commission des finances peuvent intervenir lors de cette audition pour interroger la personne auditionnée. L'audition est par ailleurs diffusée en direct sur le site internet du Sénat et fera l'objet d'un compte rendu publié.
Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues par le code pénal.
Monsieur le secrétaire général adjoint, je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Pierre Laffite prête serment.
M. Jean-Pierre Laffite, secrétaire général adjoint du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation. - À vos questions liminaires, ma réponse est négative : je n'ai pas participé à la rédaction de l'appel à projets. Je n'ai pas pris part à la définition de la composition du comité de sélection, et je n'ai pas non plus participé à ce comité, comme vous l'avez relevé.
Je n'ai pas de raison précise à vous donner, mais mon analyse personnelle est la suivante : j'étais chargé depuis le 17 décembre 2020, soit quatre mois plus tôt, des fonctions de secrétaire général adjoint, qui correspondent à des fonctions essentiellement financières et budgétaires. Or, le cabinet de la ministre déléguée considérait sans doute que la finalité du fonds était la communication sur les réseaux sociaux, thématique sur laquelle je n'ai aucune compétence. C'est probablement la raison pour laquelle la composition que vous avez mentionnée, que je ne connaissais pas - je l'ai découverte à l'occasion des investigations qui ont été menées - ne comportait pas cette dimension, ce qui soulève, de mon point de vue, certaines questions.
Toujours est-il que, si je n'ai pas participé à la rédaction de l'appel à projets proprement dit, j'ai pris part à une organisation interne au sein du secrétariat général. J'en ai ainsi été informé le 13 avril 2021, lors d'une réunion du comité de programmation, distinct du comité de sélection du fonds Marianne. Le cabinet de la ministre y avait annoncé, non pas un, mais trois appels à projets : l'un pour le fonds Marianne, sur la thématique du contre-discours républicain, un autre sur la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), rattachée quelques mois auparavant, en juillet 2020, au secrétariat général du CIPDR, et un troisième appel à projet sur les actions de lutte contre les atteintes à la dignité humaine, notamment les mariages forcés. Ce dernier n'a jamais eu lieu, et n'a fait l'objet d'aucune traduction budgétaire ni politique.
Ce 13 avril 2021, étant informé du projet - l'appel à projets Marianne serait annoncé le 20 avril -, j'ai pris l'initiative de réunir les acteurs, au sein du service - je ne parle pas du cabinet -, dont il me semblait qu'ils seraient concernés par ces trois appels à projets. C'était le cas de trois pôles métiers, c'est-à-dire de services au CIPDR traitant de différentes politiques publiques - ils se distinguent du pôle administratif et financier, qui sont des pôles support, dont j'ai la responsabilité depuis décembre 2020. Ainsi, il s'agissait de l'unité de contre-discours républicain (UCDR) - vous savez le contexte dans lequel l'autorité politique a confié sa création au secrétaire général -, de la Miviludes, qui n'est pas un pôle à proprement parler, mais est rattachée à la personne du secrétaire général, et du pôle de lutte contre l'islamisme radical et le communautarisme, qui a changé de nom depuis. Toutefois, ce pôle était concerné par le troisième appel à projets, qui n'a pas abouti.
J'ai rédigé le compte rendu de cette réunion, que j'ai envoyé au préfet le 22 avril. J'avais alors deux objectifs, car je sentais venir des difficultés : résoudre le problème d'organisation et assurer le respect des process. Je ne sais pas si cela a été mentionné lors de l'audition précédente, mais le secrétariat général du CIPDR a défini le process de distribution des subventions publiques dans un document élaboré en 2017. En effet, en 2016, pour la première fois, les crédits du Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) ont été confiés en gestion directe au secrétariat général, en application de la loi du 29 décembre 2015 de finances pour 2016, à la suite de la suppression de l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (Acsé), qui gérait le FIPD en notre nom, car nous n'avions pas de pôle administratif.
C'est dans ces conditions complexes, en 2016, qu'il a fallu créer l'ébauche d'un pôle financier, alors que nous n'avions aucun fonctionnaire doté de compétences budgétaires. En 2017, avec le recrutement d'un secrétaire général adjoint, le ministère de l'intérieur a mis en place la politique de contrôle des risques avec, notamment, un logigramme sous le format d'un tableau Excel. Il définit qui fait quoi pour gérer les subventions en central. Le document a été révisé en 2018 et en 2019, et c'est cette dernière version qui s'est appliquée en 2021, au moment du lancement de l'appel à projets du fonds Marianne. Elle ne me semblait d'ailleurs plus à jour, j'ai dû y retravailler récemment. En effet, entretemps, sans doute entre la fin 2020 et avril 2021, le cabinet de Mme Schiappa avait décidé d'élever à son niveau la prise de décision sur l'attribution des crédits pour les subventions en central. Jusqu'alors, le secrétaire général en décidait seul, pour les actions d'une certaine ampleur, en réunion du comité de programmation.
C'est pourquoi ont été mis en place les comités de programmation ministériels, dont le premier semble être celui du 13 avril 2021. Je n'ai pas trouvé trace d'un précédent. Le 22 avril 2021, j'ai donc réuni les acteurs métiers pour rappeler les règles du logigramme, qui comportait alors douze étapes - il y en a quatorze désormais - qui organisent, en résumé : la réception de la demande, l'instruction du dossier, la réception des pièces, la mise en forme des actes attributifs de subvention, qui relèvent de mon service, le contrôle de l'exécution et la réception des documents des pôles métiers et des associations, qui rendent compte - c'est la loi - de l'exécution, tout est défini. Or, ce 22 avril 2021, parmi ces trois pôles, un seul agent connaissait la matière : c'est elle qui allait instruire les dossiers du fonds Marianne. Elle avait en effet l'habitude, depuis environ deux ans, d'instruire des dossiers de demande de subvention, notamment sur le contre-discours républicain : c'était son domaine.
Tel n'était pas le cas des deux autres pôles, notamment la Miviludes, qui n'a jamais été concernée par les subventions, que ce soit leur statut juridique ou les pièces à demander. Tout était à faire. C'était la raison de cette réunion, au cours de laquelle j'ai également demandé aux responsables des pôles métiers de désigner un référent. En effet, je pressentais des difficultés de ressources humaines, parce que le pôle que je dirige avait - et aurait encore pour plusieurs mois - un effectif très tendu. Un référent sera donc désigné pour la Miviludes, mais pas pour le pôle instruisant les dossiers du fonds Marianne, puisque j'estimais, je pense à raison, que l'agent était déjà formé.
C'est dans cette organisation interne que se situe mon rôle. Même s'il n'y a eu que deux appels à projets formalisés en 2021, c'est cette année qui a constitué le record du nombre de demandes de subventions instruites au niveau central. J'ai fourni récemment ces éléments à la Cour des comptes, qui a passé six mois dans nos locaux pour mener une étude. Nous en avons ainsi enregistré une centaine - 98 il me semble -, contre une cinquantaine l'année précédente et une trentaine habituellement.
Mon pôle comporte deux agents. Nous en avons recruté un troisième en mars, mais il gère le budget de fonctionnement, et n'a donc pas de compétences dans ce domaine. Les deux autres ont des compétences distinctes. L'un est chargé du budget opérationnel de programme (BOP), la racine des crédits du FIPD, afin de les déléguer au niveau central, mais surtout en préfecture : ceux-ci représentaient, en 2021, 54 millions d'euros, sur un total d'environ 65 millions d'euros. Le second agent met en forme l'ensemble des dossiers du fonds Marianne, tels qu'ils résultent de l'arbitrage du 21 mai. En réalité, c'est cette dernière personne qui était chargée de mettre en forme les 98 dossiers de l'année 2021. Une exception toutefois : à l'été 2021, compte tenu d'une masse de travail qui déstabilisait le service, l'agent instruisant les dossiers du fonds Marianne, qui appartenait donc à un autre pôle, a accepté de mettre en forme un certain nombre de conventions budgétaires attributives de subvention, afin de soulager mon service, qui n'était pas en mesure de traiter tous les actes dans les délais.
Autour du 10 décembre de chaque année, la direction de l'évaluation de la performance, de l'achat, des finances et de l'immobilier (Depafi) du ministère de l'intérieur rappelle qu'approche la date limite de clôture des autorisations d'engagement (AE) et des crédits de paiement (CP). Ainsi, pour anticiper cette échéance, elle m'a soumis dès juillet, pour contrôle, des dossiers rattachés au fonds Marianne.
C'est alors que je découvre le contenu des demandes de subvention, à l'exception de celui de l'Union des sociétés d'éducation physique et de préparation militaire (USEPPM). En effet, cette association, le 9 avril 2021, donc avant la connaissance publique de l'appel à projets, avait envoyé au secrétaire général - c'est la compréhension que j'en ai - une demande de subvention pour des sommes très importantes : 635 000 euros. J'ai fait part de ma surprise par mail, s'agissant d'une association que nous n'avions jamais financée et que je ne connaissais pas, indépendamment de son ancienneté.
En outre, son budget prévisionnel mentionnait un excédent au bénéfice de l'association. Un excédent raisonnable est certes autorisé, mais celui-là me semblait suffisamment significatif pour que j'en fasse part au secrétaire général, lui indiquant que cela me semblait inacceptable.
Le comité de programmation, le 13 avril 2021, a examiné cette demande, avec un montant alors arbitré de 300 000 euros. Cela apparaît dans un tableau restitué après la réunion. Ce dossier a ensuite intégré - pour des raisons peut-être commentées il y a un instant - l'appel à projets du fonds Marianne, dans des conditions que je ne maîtrise pas pleinement. Un montant de 355 000 euros a été arbitré le 21 mai. Ce dossier est donc le seul dont j'ai eu connaissance du contenu avant la réception des 71 dossiers dont l'agent devait assurer l'instruction.
J'ai découvert les autres dossiers au moment de la formalisation des actes attributifs, c'est-à-dire la mise en forme, assurée par mon pôle et par l'agent qui apportait son aide. Il y a deux types d'actes, selon les montants, en application de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, modifiée en 2014. En deçà d'un seuil de 23 000 euros, l'acte est unilatéral, en l'occurrence un arrêté attributif signé par le secrétaire général. Au-delà, il s'agit d'une convention bilatérale, plus exigeante dans sa formalisation et le contrôle, avec double signature. La plupart des dossiers de l'appel à projets sont dans ce cas, avec deux arrêtés pour quinze conventions.
C'est alors que je vois apparaître les montants arbitrés. Ce qui attire mon attention - des mails de ma part en attestent - est celui, significatif, accordé à l'association Reconstruire le commun. Elle avait déjà été financée, à hauteur de 39 000 euros, dans des conditions assez compliquées. Dans mes mails, j'indique que cette association, récente, a bénéficié d'un montant important. De plus, les Cerfa de demande de subvention comportent de nombreux critères, dont les moyens humains de la structure qui seront utilisés pour gérer l'argent. S'il n'y a personne, cela interroge. Or, c'était le cas pour Reconstruire le commun. Certes, certains bénévoles peuvent avoir cette compétence - c'est toute la complexité des associations. Néanmoins, un effectif de 1 ou 0,5 équivalent temps plein (ETP) apparaissant dans le Cerfa pour 330 000 euros demandés, sans être un critère dirimant, m'alerte. J'ai donc notifié l'instructrice du dossier et mon pôle.
M. Claude Raynal, président. - Avant de poursuivre, M. le rapporteur va vous demander quelques compléments. Nous avons reçu copie d'un certain nombre de vos mails, qui vont dans le sens de ce que vous évoquez.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous avez récapitulé vos fonctions depuis votre arrivée en 2020 et le rôle des comités ministériels de programmation, à commencer par celui qui s'est réuni 13 avril 2021. La procédure administrative et juridique, avec les douze étapes à suivre, est donc bien établie.
M. Jean-Pierre Laffite. - Je vous le confirme.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Voilà qui éclaircit les choses.
Vous avez ensuite mentionné qu'une seule personne disposait des compétences budgétaires et comptables : quel est son nom ?
M. Jean-Pierre Laffite. - Dans le pôle métier concerné, l'agent qui avait une formation et la connaissance des dossiers est Charlotte Collonge. C'est elle qui en a instruit la totalité.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - C'est bien ce que j'imaginais. On voit qu'il y a un lien lorsqu'elle quitte le service.
L'USEPPM, avant même le lancement officiel du fonds Marianne, a adressé au comité interministériel une demande de subvention de 635 000 euros. Vous nous avez fait part du manque d'information, pour un montant si élevé, avec un excédent significatif dans la présentation comptable. Pourriez-vous réexpliquer comment nous en sommes arrivés aux 335 000 euros, avec donc une diminution de près de 300 000 euros ?
M. Jean-Pierre Laffite. - Le comité de programmation ministériel du 13 avril a pris la décision de rabattre sensiblement cette prétention, dans un contexte dont je ne me souviens plus.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Il prend la décision de retirer 300 000 euros, laissant 335 000 euros.
Vous avez indiqué que la procédure laisse la main au CIPDR jusqu'à 23 000 euros. Au-delà, ce n'est plus discrétionnaire, avec une convention et la double signature. Vous avez mentionné le versement de 39 000 euros dans des conditions difficiles : pourriez-vous nous préciser le contexte ?
M. Jean-Pierre Laffite. - Je pense que je n'étais pas présent à ce moment-là, car cela s'est passé à la fin de l'année 2020, alors que je n'avais pas encore les responsabilités qui sont les miennes. On a eu des difficultés pour identifier l'acte juridique ayant abouti à la délivrance de cette somme - je vous rassure, il existe bien. Il y a eu une décision, dont je n'ai pas retrouvé la trace - elle a bien été prise, puisque la convention a été passée, avec la signature du secrétaire général et de la présidente de l'association -, qui date du 28 décembre 2020. Or, cette date correspond à un moment où il n'y a plus de crédits disponibles : c'est le plus mauvais moment pour attribuer une subvention.
Mon service dresse des tableaux de suivi de chaque convention, avec la date de délivrance du premier acompte et du solde, quand il y en a un. Y est mentionnée la convention, en 2020, mais aussi le fait que la somme a été « basculée » en 2021, pour des raisons budgétaires : lorsque le secrétaire général du ministère de l'intérieur nous a notifié les crédits, nous les avons donc attribués au titre de l'année 2021.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Une subvention est donc attribuée le 28 décembre 2020, alors qu'il n'y a plus de crédits, et le versement est fait au titre de l'année suivante. Cela limite-t-il le contrôle ?
M. Jean-Pierre Laffite. - La situation est en tout cas discutable, mais on ne s'en est rendu compte que plus tard, voire trop tard, sans remettre en cause l'attribution. La convention, signée en 2020, aurait dû permettre l'imputation des charges sur l'exercice 2020. Or, l'exécution, et donc la dépense, a eu lieu en 2021 : nous avons donc recherché un avenant. C'est assez courant : notamment durant la crise sanitaire, de nombreuses associations, faute d'avoir exécuté leur action en 2020 ou 2021, ont signé des avenants pour prolonger la durée d'exécution. Nous n'avons pas retrouvé trace, pour ce dossier, d'un avenant qui aurait encadré juridiquement la prolongation. Pourtant, c'est ce qui s'est passé. Le compte rendu financier, obligation légale, atteste de l'exécution de ces 39 000 euros : il s'agissait de créer le site internet de cette association, instituée en octobre 2020, et de promouvoir certains dispositifs sur les réseaux sociaux. Les comptes rendus, formellement, montrent que cette action a bien eu lieu, je n'ai pas de raison de le remettre en cause. C'est ce basculement entre les deux exercices budgétaires qui a complexifié les choses.
Nous aurions sans doute dû contrôler, avant le 21 mai 2021, le contenu des demandes de subvention, avec l'appui d'autres acteurs que le seul agent, qui devait instruire 71 dossiers, ce qui est considérable. Cela n'a pas eu lieu, pour deux raisons. D'abord, je n'ai pas été associé à cette phase de préparation et d'instruction des dossiers. Ensuite, nous avions un agent qui, hors de ses fonctions directes, a apporté cet appui pendant des années, qui était un référent de contrôle interne financier (RCIF). Cet agent était chargé de suivre et contrôler le processus de dépense, par sondage - il serait impossible de contrôler 100 subventions par an - pour s'assurer du respect du logigramme en douze étapes par les agents internes, mais il effectuait aussi le contrôle de deuxième niveau, de la réalité des dépenses, justificatifs et factures à l'appui.
Or, entre février 2021, le lancement du fonds Marianne, et septembre 2022, il n'y a plus eu d'agent en service. J'ai participé au recrutement de son remplaçant, qui me semblait indispensable, mais cela a été très compliqué : l'essentiel des nombreux candidats, issus du privé - banque, audit, assurances -, ne maîtrisait pas le budget de l'État. Nous avons finalement recruté une personne qui est d'ailleurs en train de contrôler plusieurs des associations dont nous avons parlé depuis mars 2023.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Bien qu'expérimenté, vous êtes nommé depuis peu au moment de la mise en place du fonds Marianne, avec certaines difficultés et l'absence totale de la personne qui assure le contrôle interne et financier durant 18 mois. En outre, la personne-ressource dans le pôle du comité quitte ses fonctions en fin d'année 2021. Voilà des indices sur des difficultés que nous constatons.
Vous ne faites pas partie du comité de sélection, vous intervenez après. Cela étant, confirmez-vous bien que, avec la réunion du 22 avril, le processus en douze étapes est bien appliqué pour l'ensemble du fonds Marianne ?
M. Jean-Pierre Laffite. - J'en tiens le compte rendu, dont j'ai une version imprimée avec moi, à votre disposition, mais il s'agissait d'un simple rappel. En mai ou en juin, nous avons mis en place une formation spécifique au bénéfice d'un agent de la Miviludes. Nous avons donc expliqué à cette personne, qui allait instruire tous les dossiers de l'appel à projets de la lutte contre les dérives sectaires, comment recevoir une demande de subvention et examiner son contenu pour repérer des incohérences, voire des absurdités, dont l'excédent possible dans un budget prévisionnel, ou l'absence de ressource humaine pour gérer les crédits. Cette formation a eu lieu, avec quelques réunions et un document, mais il s'agit bien de la Miviludes, pas du fonds Marianne, pour lequel j'estimais que l'agent avait la compétence, malgré la masse de travail que cela représentait.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Nous relevons néanmoins, dans des mails de juin et juillet 2021, vos interrogations sur l'octroi d'une subvention de 330 000 euros à Reconstruire le commun. Vous vous étonniez alors de sa création récente, sans salarié ni prévision de recrutement. Était-ce une première pour vous ? Comment les destinataires de vos messages ont-ils réagi ? Quelles mesures ont été prises ?
M. Jean-Pierre Laffite. - C'est la règle budgétaire : une fois l'acte décidé au niveau ministériel, rédigé et signé par les deux parties, il devient engagement juridique (EJ). Il doit donc avoir une traduction budgétaire dans l'application Chorus. Nos conventions prévoient l'engagement de 100 % des AE et la consommation d'une partie des CP. Nous avons donc versé l'argent, malgré mes remarques.
Attention, ce n'est pas parce qu'une association n'a pas de salarié qu'elle ne peut pas gérer les montants, notamment avec ses bénévoles. En outre, le document prévoyait non pas des recrutements, mais le recours à des prestataires, ce qui est classique et est une traduction de l'action. Ce n'est donc pas inconcevable, mais c'est un élément d'alerte. C'est pourquoi, comme je l'indiquais dans un de mes mails, que j'estimais que cela méritait un contrôle a posteriori sur la réalité de la consommation des crédits, notamment de deuxième niveau, sur un échantillon de pièces justificatives.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - C'était donc une alerte.
M. Jean-Pierre Laffite. - En effet.
M. Claude Raynal, président. - Le visa est donc donné et l'opération démarre. Pourriez-vous nous parler de l'exécution du fonds Marianne, après la sélection des projets et les premiers versements ? Quels contrôles avez-vous menés ? Étaient-ils sur pièce ou prenaient-ils une autre forme ? Leurs modalités étaient-elles semblables à ceux concernant d'autres associations, comme dans le cadre du fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (FIDPR) ?
M. Jean-Pierre Laffite. - Le contrôle des dix-sept dossiers de l'appel à projets doit être et a été, je pense, identique à celui des autres actions financées. Il est double, avec tout d'abord le contrôle métier. C'était le fond du problème pour Reconstruire le commun, même si j'avoue, à nouveau, n'avoir aucune compétence en matière de communication digitale. C'est le rôle du pôle métier.
Le contrôle est ensuite budgétaire, qui prend deux formes. Il prend tout d'abord une forme conventionnelle - l'article 4 du modèle de convention le mentionne - qui tend à contrôler l'état déclaratif de dépenses avant de délivrer le solde de la subvention. Cela ne concerne pas les dossiers inférieurs à 23 000 euros, pour lesquels nous appliquons la règle AE=CP : dans ce cas, nous délivrons en même temps et unilatéralement la totalité des AE et des CP. Pour les conventions, un acompte de 75 % permet de lancer l'action. Ensuite, le contrôle a lieu sur deux documents : une attestation sur l'honneur du responsable de la structure financée, qui doit indiquer qu'elle a atteint un taux de dépense du budget prévisionnel égal à au moins 60 %, ainsi qu'un tableau normalisé, que nous fournissons, récapitulant charges et produits prévisionnels et réalisés. Ces montants déclaratifs justifient le taux de 60 % du budget de départ. C'est sur la base, au minimum, de ces deux documents que nous décidons du versement du solde de 25 %.
À ce stade, tout est déclaratif, sans contrôle sur pièces. Toutefois, en tant que pénaliste, je rappelle qu'une attestation sur l'honneur fausse peut poser des difficultés et l'application des sanctions contre le faux et l'usage de faux.
M. Claude Raynal, président. - Sur les dix-sept associations, combien ont-elles posé problème au stade du contrôle budgétaire ? N'y en a-t-il bien que deux ? Pour celles-ci, le problème était-il de nature budgétaire, ou bien sur le contenu de l'action ?
M. Jean-Pierre Laffite. - J'ai décrit le contrôle conventionnel. Il y a aussi un contrôle légal, relevant de l'article 10 de la loi du 12 avril 2000, modifiée en 2014 avec, pour la première fois dans la loi française, la définition d'une subvention. Cet article prévoit un compte rendu financier (CERFi) : la structure bénéficiaire, en clôture d'action, atteste de la conformité de la dépense à la subvention accordée. Là encore, le document est déclaratif, avec les mêmes conséquences pénales. Ce document est imposé.
Dans les dossiers de l'appel à projets du fonds Marianne, mis à part dans deux cas - mais nous sommes encore dans les délais pour fournir les CERFi -, la totalité des dossiers a été fournie, même avec certains retards. Il n'y a donc pas d'absence totale de coopération d'une association. En revanche, les difficultés, sur le plan budgétaire, surgissent pour une association, l'USEPPM.
En effet, la loi prévoit que le CERFi est fourni dans les six mois suivant la clôture de l'exercice budgétaire pour lequel la subvention a été accordée. Nos conventions sont plus exigeantes : elles prévoient un délai de six mois après l'achèvement de l'action, ce qui peut être plus court. Or, pour l'USEPPM, le point de départ de ce délai a été considéré, peut-être à tort, comme étant le 31 mai 2022, en raison d'une demande d'avenant pour prolonger de trois mois le délai d'exécution de l'action, du 28 février au 31 mai 2022. Or si le secrétaire général en a accepté le principe, nous n'avons pas retrouvé trace d'un document signé par le président de l'association, malgré une relance.
Le CERFi aurait donc dû être fourni dans les six mois; or tel n'était toujours pas le cas en février 2023. C'est alors que je suis intervenu, avant donc que les difficultés n'éclatent publiquement. En effet, le 14 février, le pôle métier UCDR m'a alerté. Alors que c'est ce pôle qui doit recevoir les documents budgétaires avant de les transmettre à celui dont j'ai la responsabilité, cela faisait plusieurs mois qu'il n'arrivait pas à en obtenir la restitution. Le 14 février donc, le responsable du pôle m'a alerté de l'impossibilité d'obtenir le CERFi de l'USEPPM. J'ai réussi à joindre par téléphone Cyril Karunagaran, président de l'association, alors qu'il semble qu'il ne répondait pas à mes collègues, pour lui faire remarquer que nous n'avons pas reçu le compte rendu financier. Surtout, à cette occasion, je découvre que les autres documents, qui ont bien été fournis en 2022 - état des dépenses notamment - révèlent que le seuil de 60 % n'a jamais été atteint. J'ai donc indiqué au président de l'association qu'on ne pouvait verser le solde en l'état, pour des raisons conventionnelles.
Je lui ai demandé par mail de me transmettre ce CERFi, ce qu'il aurait dû faire au plus tard en novembre 2022. Je lui ai aussi enjoint, l'action étant terminée et afin de prévenir tout contentieux, de renoncer expressément au solde. C'est ce qu'il a fait, en envoyant le document le lendemain, le 15 février, tout en indiquant qu'il renonçait au solde. Il y a donc bien un problème budgétaire.
M. Claude Raynal, président. - S'il y a eu un décalage de novembre à février, est-ce donc bien le temps entre le moment où le pôle métier notifiait un retard et celui où il vous indique qu'il n'arriverait pas à obtenir les documents ?
M. Jean-Pierre Laffite. - Exactement.
M. Claude Raynal, président. - Vous avez mené un contrôle budgétaire approfondi sur une autre association, Civic Fab. Finalement, plutôt que deux associations avec des problèmes avérés - ceux d'ordre budgétaire relevés en février 2023, et les difficultés de contenus, ayant transpiré jusqu'à votre service, de Reconstruire en commun - c'est plutôt une troisième qui est contrôlée. Est-ce bien logique ?
M. Jean-Pierre Laffite. - Civic Fab posait une autre difficulté : ses documents budgétaires montrent que nous n'aurions pas dû lui verser le solde.
M. Claude Raynal, président. - Elle n'atteignait pas les 60 % ?
M. Jean-Pierre Laffite. - En effet. J'avais donné des instructions pour ne pas le faire, mais une action malencontreuse d'un agent a conduit à le verser - j'en prends ma responsabilité. Avec le nouveau référent de contrôle interne financier (RCIF) arrivé en septembre 2022, nous avons examiné, en novembre, les dossiers posant problème. Comme j'avais indiqué par écrit que, compte tenu de ce versement, il y aurait matière à contrôler Civic Fab, nous l'avons retenue, avec deux autres.
M. Claude Raynal, président. - Voilà qui explique pourquoi elle était mentionnée.
Mme Sylvie Vermeillet. - Puisque, pour les deux associations concernées, le montant des subventions dépassait les 153 000 euros, avez-vous vérifié dans votre procédure de contrôle si un commissaire aux comptes avait été nommé ?
M. Jean-Pierre Laffite. - Quand on dépasse les 153 000 euros, il est obligatoire de verser au dossier que nous demandons les comptes annuels, soit un bilan sous forme de plan comptable associatif, et le rapport d'un commissaire aux comptes. Je ne peux affirmer que cette obligation ait été respectée par l'ensemble des dossiers : je n'ai pas en tête la totalité du contenu de chacun. En dessous de 153 000 euros, un simple état financier est exigé.
M. Jean-François Husson, rapporteur- Pour revenir à l'USEPPM, vous évoquiez votre réaction du 14 février 2023, suivie, un mois après, d'une prise de contact pour informer l'association d'un contrôle sur pièce. Aviez-vous des craintes concernant le fonctionnement de cette structure ?
M. Jean-Pierre Laffite. - Le 14 ou le 15 mars 2023, nous avons reçu son compte rendu financier. Il s'agit d'un Cerfa, c'est-à-dire d'un document formalisé, normalisé, qui contraint la rédaction. À la lecture, j'ai noté que la première partie relative au bilan quantitatif - voire qualitatif - de l'action n'était pas remplie. J'ai signalé par courriel ce manquement, sans recevoir de réponse. Après plusieurs jours et plusieurs relances, constatant l'absence de réaction et l'omission d'autres documents, à savoir le rapport du commissaire aux comptes et les bilans de 2021 et 2022, j'ai annoncé qu'un contrôle sur pièce serait effectué en application de l'article 8 de la convention.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Votre réaction aurait été provoquée par l'absence d'éléments relatifs au bilan d'action : vous avez jugé le dossier insuffisant. Si, d'aventure, il était assuré que ce bilan avait alors été jugé positif, quelle serait votre réaction ? Confirmeriez-vous que ce serait inexact ?
M. Jean-Pierre Laffite. - Je ne peux rien affirmer sur le fond : je ne maîtrise pas précisément le sujet. Des tableaux devant être remplis et des indications fournies dans des documents normalisés, apprécier le contenu même de l'action nécessite de faire intervenir des personnes au sein de nos services plus à même d'exprimer un avis. Je n'ai pas à juger. En revanche, concernant non pas l'USEPPM, mais l'autre association, si la réalisation de l'action s'écartait de l'objet défini dans la convention, il y aurait matière à remettre en cause l'attribution de la subvention.
Dans le cas de l'USEPPM, le problème est budgétaire. Même si les dirigeants de l'association avaient rempli correctement le bilan du compte rendu financier figurant dans la première partie, cela n'aurait rien changé au non-versement du solde : ils ne remplissaient pas les conditions conventionnelles.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Cette association donne lieu à des inquiétudes pour plusieurs raisons au regard de son exécution financière pour 2021 et 2022. En effet, elle indique une subvention de 145 000 euros de la part des régions ainsi qu'une aide privée autour de 45 000 euros, et certaines charges sont sous-exécutées. De plus, les charges qui sont relatives au personnel représentent au global 87 % de l'exécution en 2022 : le bilan de l'association ne se réduit-il donc pas à de telles dépenses ?
M. Jean-Pierre Laffite. -Il faut prendre de la distance par rapport à ces signaux d'alerte. En soi, le fait de payer des personnes pour travailler sur les réseaux sociaux n'est pas choquant. Il faut prendre en compte l'achat de matériel, les imputations de charges fixes comme la location d'un local ou une partie de l'assurance si le montant est raisonnable et adapté.
De mémoire, les charges de personnel figuraient dans la demande même de subvention, qui présentait une indication précise des recrutements de salariés. Les noms n'apparaissaient pas, mais ils ne figurent jamais dans ces demandes. Dans la dernière version du document reçu, il me semble que le recrutement concernait six personnes : deux contrats à durée indéterminée et quatre à durée déterminée. Il n'était pas incohérent qu'une large partie de la subvention serve à recruter, entre autres, des community managers. Je n'avais pas instruit le dossier à ce stade, donc je n'avais pas précisément connaissance de ce qu'allaient représenter ces charges, mais elles n'étaient pas incohérentes.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Bénéficiez-vous déjà d'une première évaluation concernant le contrôle que vous avez lancé à la mi-mars 2023 ?
M. Jean-Pierre Laffite. - Même si plus de 200 documents ont été fournis, pour le moment, je ne peux guère émettre d'affirmations. De nombreux bulletins de salaire y figurent. J'avais demandé - je suis parti du service depuis - qu'on ne s'en satisfasse pas, étant donné le contexte : je souhaitais que l'on dispose également des contrats de travail. Je ne les ai pas vus. Certains bulletins de salaire sont manifestement en lien avec deux personnes identifiées dans l'association.
Les montants figurent dans un tableau synoptique qui classe par année la totalité des charges, car, en plus des contrôles, l'article 6 de la convention vise à la mise en place d'un outil analytique. L'association nous a bien restitué des tableaux Excel où sont classés par année et par catégorie les montants associés aux différentes charges. Reste à vérifier s'ils correspondent à l'action financée. On y voit apparaître des salaires ; les deux plus importants sont d'un peu plus de 3 000 euros, le plus élevé étant compris entre 3 500 et 3 900 euros. Ils sont présents sur plusieurs mois à partir de la délivrance des premiers crédits de paiement en juin 2021.
M. Claude Raynal, président. - Des réunions se sont tenues au sujet de l'association Reconstruire le commun à propos des contenus et messages présentés comme politiques. Avez-vous été associé à cette réflexion ?
M. Jean-Pierre Laffite. - Pas sous cette forme. On m'a demandé de participer à une réunion en mars 2022, me semble-t-il, où, dans mes souvenirs, l'aspect politique n'a pas du tout été abordé. Il l'a peut-être été de manière incidente, mais ce n'était pas le sujet. L'enjeu était celui de la faible pénétration sur les réseaux sociaux, posant la question de la qualité du produit : le nombre d'adhérents était assez faible. Il s'agissait de déterminer s'il était possible de remettre en cause le montant de la subvention, ce qui était compliqué, car l'acte était signé. Pour ce faire, il aurait fallu que l'association s'éloigne de l'objet même de la convention.
Pour donner un autre exemple qui révèle l'absence de méthodologie de contrôle avant la prise de décision, une rubrique de la convention est nommée « Critères d'évaluation ». Ces critères ont été acceptés, car ils sont un copié-collé du Cerfa : sauf difficulté majeure, lors de la mise en forme de l'acte attributif, les termes du formulaire de demande de subvention sont repris et annexés à la convention. Or, dans ces « Critères d'évaluation », les termes acceptés le 21 mai 2021 lors du comité de sélection sont vagues, voire très vagues. L'un d'entre eux est l'« évaluation qualitative » : la traduction qui en a été faite dans la convention est : « évaluation qualitative »...
Avec un critère de cette nature, il est extrêmement compliqué de remettre en cause le non-respect de l'évaluation prévue dans la convention. J'avais dit lors de cette réunion qu'il fallait opérer un suivi de l'association, mais que la remise en cause du principe même de la subvention était complexe. Un acte ayant été signé par chacune des parties, nous risquions un contentieux délicat.
Quoi qu'il en soit, même s'il a pu apparaître de manière incidente, le contenu politique n'a pas été le point central de nos échanges en mars 2022. Je n'ai pas été associé aux échanges où cet enjeu a surgi de manière bien plus nette : je les ai découverts par la suite.
M. Claude Raynal, président. - Finalement, les 25 % restants ont été versés.
M. Jean-Pierre Laffite. - Oui.
M. Claude Raynal, président. - Globalement, les conditions financières et administratives étaient remplies, même si celles qui sont liées au fond étaient un peu ténues. Après avoir décaissé les fonds et constaté que les difficultés se poursuivaient, une demande de remboursement a été faite.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Pouvez-vous décrire comment la procédure de remboursement est menée ? Avez-vous une estimation du montant de la subvention qui pourrait faire l'objet d'une demande de remboursement ?
M. Jean-Pierre Laffite. - Les conventions prévoient deux méthodes : soit l'État émet un titre de perception à l'issue d'une procédure contradictoire, soit - mais la procédure est plus complexe et plus rare - l'on impute le trop-perçu sur le montant de la subvention si un renouvellement est prévu l'année suivante. Ce dispositif est expressément prévu dans l'un des articles de la convention. Dans le cas qui nous concerne, nous sommes dans le cas classique de l'émission d'un titre de perception.
À ce stade, je ne peux pas vous indiquer le montant de la restitution au profit de l'État. Il s'agit pour l'instant de calculer très précisément l'imputation budgétaire qu'ont représentée pour la subvention toutes les prestations qui se sont écartées de l'objet de la convention. Selon mes collègues qui travaillent en lien avec les réseaux sociaux, ce calcul est a priori possible, car dans la convention les montants figurent par prestation : on sait, par exemple, que la réalisation d'une vidéo coûte 6 000 euros. Il est donc possible de calculer précisément le coût, et ce dans un cadre contradictoire. J'ai lancé la procédure il y a trois ou quatre jours et nous attendons les observations de la partie adverse.
Mme Isabelle Briquet. - Une subvention de 39 000 euros a été versée au début de 2021. Lors de la précédente audition, M. Gravel a précisé qu'elle devait servir à accompagner le lancement de l'association Reconstruire le commun. Ce choix s'inscrit en contradiction avec l'objet même du fonds interministériel de prévention de la délinquance, qui vise à financer des projets, mais pas directement des structures. Qu'est-ce qui a justifié la dérogation dont a bénéficié l'association Reconstruire le commun ? Les subventions du fonds Marianne à cette association, ainsi qu'à l'USEPPM, ont-elles couvert une part supérieure à 10 % du fonctionnement administratif des deux associations ? Autrement dit, a-t-on financé des projets ou bien des structures associatives ?
M. Jean-Pierre Laffite. - L'objet du fonds interministériel est défini dans la loi, ce qui n'est pas le cas de tous les programmes budgétaires de l'État. La loi du 5 mars 2007 prévoit, dans son article 5, que le FIPD finance des actions de prévention de la délinquance et de la radicalisation. Je n'ai pas trouvé trace des conditions dans lesquelles la décision d'attribuer cette subvention de 39 000 euros a été prise, mais la convention a bel et bien été passée. De mon point de vue, elle prévoyait que la subvention aurait pour objet non pas le fonctionnement de l'association, mais la création d'un site internet avec des contenus. Il s'agissait donc bien d'une action et la convention était, formellement, régulière.
M. Claude Raynal, président. - Pour le dire autrement, il s'agissait d'une action faite dans le cadre du lancement d'une association.
M. Daniel Breuiller. - Est-il fréquent d'attribuer une subvention et de signer une convention avec une association qui n'a pas d'existence préalable ? J'ai été maire pendant vingt ans et je n'ai jamais subventionné d'association sans preuve préalable de sa constitution. Or je comprends là qu'il s'agit d'accompagner la création de l'association. Aurais-je mal interprété vos propos ?
Vous avez décrit avec rigueur l'élaboration pour vos collaborateurs d'un processus très fin de suivi des attributions de subvention et d'analyse des dossiers de candidature. Vous avez indiqué que, en 2020, le cabinet de Mme Schiappa avait fait remonter à son niveau l'attribution des subventions. Le cabinet ministériel a-t-il été soumis à ce suivi, selon les procédures définies par votre direction ?
M. Jean-Pierre Laffite. - Le document qui faisait référence lorsque l'appel à projets a été lancé datait de 2019 et n'avait pas été remis à jour. Le cabinet ministériel n'apparaissait donc pas dans ce document, d'où la difficulté à laquelle nous avons été confrontés. Lorsque, en avril 2021, le cabinet a élevé à son niveau la prise de décision, le document n'était donc pas à jour ; j'ai depuis procédé à cette mise à jour, il y a quelques jours.
Je n'ai pas d'observation à faire concernant le lancement de l'association, car je n'ai pas participé à la prise de décision. Je ne peux que constater qu'une convention a été signée, le 28 décembre 2020, avec une association dont l'existence très brève ne pouvait qu'interroger - j'ai écrit un mail à ce sujet - dès lors que l'on choisissait de lui attribuer non pas 39 000 euros, mais 330 000 euros. Je ne peux que constater la situation : l'association a été créée en octobre 2020, en décembre de la même année elle a reçu 39 000 euros, puis en avril plus de 300 000 euros.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous nous avez dit que les subventions dans le cadre du fonds Marianne relevaient initialement du CIPDR avant de passer sous compétence ministérielle à l'arrivée de la nouvelle ministre. Cela vous paraît-il justifié encore aujourd'hui ? Connaissez-vous les raisons de ce changement ? Compte tenu du montant des subventions, qui peut être très élevé, vous semble-t-il bon que leur attribution relève d'une décision ministérielle ?
M. Jean-Pierre Laffite. - Je n'ai pas à juger d'une décision ministérielle. Toutefois, un certain nombre d'éléments font que l'on peut s'interroger sur ce sujet. Ainsi, qui est l'ordonnateur de la dépense ? C'est le secrétaire général et non pas la ministre qui est responsable du budget opérationnel de programme et qui signe les actes attributifs.
Il faut toutefois se rappeler que, en 2020, il y a eu un changement radical dans les relations entre le ministère et l'administration, car pour la première fois, le décret d'attribution de la ministre épouse toutes les compétences de notre service. Cela a contribué à créer un lien très fort entre la ministre et notre service administratif, dont on a parfois du mal à qualifier les missions. En effet, le secrétariat général du CIPDR distribue des crédits, mais il rédige aussi des stratégies nationales.
Il faut également prendre en compte un autre aspect, qui relève, si je puis dire, davantage de l'humain que de l'aspect administratif et budgétaire : lorsque le cabinet de la nouvelle ministre s'est formé, deux de nos collègues, membres du secrétariat général, y ont été intégrés. Or, ils avaient participé au comité de programmation précédent et connaissaient son fonctionnement. Sans être affirmatif, il me semblerait assez logique qu'ils aient expliqué la gestion des crédits centraux du FIPD, de sorte que le cabinet a pu trouver logique de faire intervenir un regard politique compte tenu de l'incidence de cette gestion sur les crédits de l'État.
M. Claude Raynal, président. - D'un point de vue technique, pouvez-vous nous préciser ce qu'est le seuil de 60 % pour obtenir le complément de subvention : faut-il justifier de 60 % de la consommation de la subvention ou de 60 % de la réalisation du programme ?
M. Jean-Pierre Laffite. - Le seuil est fixé à 60 % des dépenses prévisionnelles qui figurent dans la demande de subvention.
M. Claude Raynal, président. - Nous vous remercions pour toutes les précisions que vous nous avez apportées.
La réunion est close à 18 h 30.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Mercredi 17 mai 2023
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Contrôle budgétaire - Financement du cinéma - Communication
M. Claude Raynal, président. - M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial de la mission « Médias, livre et industries culturelles », nous présente ce matin les conclusions de son contrôle budgétaire sur le financement public du cinéma.
M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial de la mission « Médias, livre et industries culturelles ». - La présentation de ce rapport intervient alors que le festival de Cannes démarre. Que dire sur le cinéma français ?
Il y a trois ans, le fonctionnement du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) faisait l'objet d'un certain nombre de critiques. J'ai donc souhaité savoir ce qui ne fonctionnait pas dans le financement public du cinéma français et j'ai pour cela reçu des représentants de tous les acteurs de la filière. J'ai rarement vu une corporation faire bloc à ce point : chacun émet des réserves, mais tous prônent d'une même voix qu'il ne faut toucher à rien, de peur de faire s'écrouler l'édifice.
Le cinéma français se porte mieux que celui de nos voisins : plus 280 films ont été agréés en 2022 dans notre pays par le CNC et ont donc eu accès aux financements publics. Les Italiens, les Espagnols et les Allemands ont eu un grand cinéma dans les années 1970 et 1980, mais il s'est effondré depuis : les productions et les ventes à l'international sont désormais rares. Par conséquent, le cinéma français n'allant pas si mal, on nous recommande de ne toucher à rien.
Si l'on additionne les subventions directes, les avantages fiscaux en tous genres et les prêts ou garanties de prêts publics le financement public du cinéma se chiffre à 1,7 milliard d'euros par an. Ce montant n'intègre pas les interventions à venir dans le cadre du plan France 2030 ou celles, passées, dans le cadre du plan de relance. Or, les films français attirent de moins en moins de spectateurs : entre 2014 et 2019, le nombre de spectateurs par film agréé par le CNC a chuté 30 %. De nombreux films sont financés de manière publique mais ne sortent pas dans les salles ou bien font des scores dits « d'estime », n'attirant qu'entre 10 000 et 20 000 spectateurs.
La situation n'est donc pas si simple, mais la corporation fait bloc : si l'on diminue le montant des subventions et des aides en tous genres, le cinéma français risque de subir le même déclin que le cinéma italien, espagnol ou allemand. En outre, les représentants de la filière comparent avec un peu de mauvaise foi le cinéma français, dans toute sa diversité, avec des cinémas plus puissants et massifs. Selon eux, le cinéma français couvre toutes les cases - films d'art et d'essai, films grand public, films d'aventure ou films romantiques - et si l'on réduit les avantages fiscaux ou les aides financières, ne sortiront plus que des films grand public de type américain, à savoir les seuls qui trouveront à se financer. Le cinéma d'art et d'essai serait, dans ces conditions, voué à disparaître.
Je considère que cette position est excessive et que certains éléments méritent d'être revus : ainsi, les avantages fiscaux accordés par les Sociétés de financement de l'industrie cinématographique et de l'audiovisuel (Sofica) ou le crédit d'impôt cinéma sont devenus considérables. En réalité, la question à laquelle nous devons répondre consiste à savoir si nous sommes capables d'avoir un cinéma diversifié sans pour autant que cela donne lieu à un investissement à perte.
Sans avoir la réponse définitive à cette question, j'ai émis un certain nombre de propositions dans le rapport qui vous est soumis. Je ne suis pas convaincu que le CNC y sera favorable, mais il faudra bien un jour faire bouger les lignes. Le Sénat a voté des dispositions, notamment sur la manière de prélever les taxes, que le Gouvernement n'a pas reprises.
Les critiques sur le CNC ont cessé avec la crise sanitaire : en effet, le CNC a alors déversé « un pognon de dingue » pour couvrir, voire surcouvrir, tous les acteurs de la filière.
On ne trouve aucun film français en 2022 dans le classement des dix premiers films qui ont attiré le plus grand nombre de spectateurs. Globalement, la production cinématographique est financée à 31 % par des fonds publics. En 2021, le montant de la dépense publique, budgétaire et fiscale, en faveur de la production cinématographique a atteint 747 millions d'euros, hors mesures d'urgence et plan de relance. Si l'on élargit la focale à l'ensemble du secteur, soit la production mais aussi la distribution et l'exploitation, en intégrant notamment les aides de l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (Ifcic) et celles de Bpifrance, l'intervention publique et son exposition au risque dans le secteur du cinéma a représenté en 2021 environ 1,7 milliard d'euros.
Durant la crise sanitaire, le CNC a versé près de 270 millions d'euros à l'ensemble de la filière. 63 % de ces crédits ont été fléchés vers les salles afin d'éviter qu'elles ne ferment définitivement. La mission « Plan de relance » a prévu, par ailleurs, 165 millions d'euros à destination du CNC sur la période 2021-2022, ce qui lui a notamment permis de passer la crise sanitaire.
Le CNC, créé en 1946, est une institution - un État dans l'État - qui ne bénéficie d'aucun crédit budgétaire, mais qui récupère les taxes : la taxe sur les services de télévision, la taxe sur les services de télévision due par les distributeurs de services, la taxe sur la diffusion vidéo et la taxe sur les entrées de salle. Ces quatre taxes devraient représenter un montant de 710 millions d'euros en 2023.
Il était prévu en loi de finances pour 2020 que la collecte des taxes serait assurée directement par Bercy et non plus par le CNC. Il est en effet aberrant que celui qui distribue les subventions soit aussi celui qui collecte les taxes. La mesure a finalement été supprimée en loi de finances pour 2023, de sorte que la situation reste la même. Le Sénat s'était opposé lors de l'examen du texte au maintien de ce statu quo. En effet, en transférant la collecte à Bercy, les coûts de fonctionnement du CNC auraient pourtant diminué.
Le CNC intervient par le biais de son fonds de soutien pour distribuer des aides, automatiques et sélectives, qui peuvent représenter jusqu'à 70 % du financement d'un projet de film. Cela a permis de conserver la diversité du cinéma français, mais 280 films par an, compte tenu du nombre de films étrangers qui s'y ajoutent, cela représente plus que ce que les salles peuvent diffuser, dans un contexte marqué, par ailleurs, par l'émergence des plateformes. Celles-ci contribuent au financement public du cinéma à hauteur de 50 millions d'euros par an, mais elles sont probablement aussi en partie responsables de la baisse de fréquentation des salles de cinéma et elles bénéficient d'un accès au fonds de soutien du CNC et aux crédits d'impôt. En réalité, le financement du cinéma n'y gagne pas.
Dans la mesure où l'une des taxes prélevées par le CNC porte sur les entrées de salle, dès lors qu'un film américain enregistre 5 millions d'entrées en France, le CNC y gagne. Les grands films étrangers participent au financement du cinéma français dans un système en circuit clos.
Les films français sont par ailleurs moins rentables qu'autrefois. Il a suffi de sept à huit ans, entre 2012 et 2019, pour que l'on passe de 1,7 million à 1,2 million d'euros de recettes moyennes par film.
L'Ifcic est un autre financeur, qui fonctionne en tant qu'établissement de crédit en accordant des financements sous la forme de garanties bancaires ou de prêts. L'encours des prêts garantis octroyés à la production et à la distribution cinématographiques atteignait 600 millions d'euros à la fin de 2021. Il s'agit donc d'un acteur considérable pour le financement des films.
Plus récemment, Bpifrance a commencé à soutenir les aspects techniques et matériels liés à la production de films sous la forme de prêts, de garanties de prêts ou d'actions en fonds propres pour un montant de 238 millions d'euros en 2022 . Ce montant couvre à la fois les entreprises de la filière cinématographique et celles de l'audiovisuel.
L'action de ces deux acteurs nous incite à proposer qu'on les rapproche pour former un fonds d'investissement unifié qui déchargerait progressivement l'État du financement de la prise de risque artistique par des outils budgétaires. Ce fonds d'investissement pourrait être abondé par la réactivation de certains financements du CNC en faveur de l'Ifcic, selon ce que décidera le Gouvernement.
J'ajoute que le plan France 2030, supervisé par le CNC, constitue un autre apport, avec un appui massif sur les conditions de tournage. En effet, au tournant des années 2000, les films français étaient souvent réalisés, produits et tournés en Europe de l'Est, car les coûts y étaient moindres. Puis, le CNC a participé à l'élaboration de crédits d'impôts pour la relocalisation des tournages en France, avec succès. Il faut ainsi mentionner deux crédits d'impôt au montant dynamique : le crédit d'impôt pour les dépenses de production cinématographique, autrement appelé « crédit d'impôt cinéma », qui représente 160 millions d'euros par an, et le crédit d'impôt pour les dépenses de production de films et oeuvres audiovisuelles étrangers, dit « crédit d'impôt international », qui représente 120 millions d'euros. Ces avantages fiscaux visent à attirer le tournage de grands films étrangers, notamment à Paris, dont ils donnent une image parfois embellie.
Depuis vingt à vingt-cinq ans, les collectivités territoriales ont également mis en place des aides, qu'il s'agisse des régions ou même des départements et des métropoles, afin que l'on vienne tourner des films sur leur territoire. Les interventions publiques se sont donc multipliées pour obtenir la relocalisation des tournages.
Les acteurs publics interviennent désormais pour financer la construction de très grands studios. En effet, les studios classiques, comme ceux de Boulogne autrefois, ne suffisent plus et il s'agit de développer les lieux de tournage en France.
Le plan France 2030 devrait ainsi consacrer 350 millions d'euros de subventions à la filière du cinéma et de l'audiovisuel. Quelque 175 dossiers de candidature ont été déposés pour des investissements privés qui devraient atteindre 3 milliards d'euros et qui seront complétés par des investissements publics à hauteur de 1 million d'euros.
Au final, d'importants efforts ont été réalisés pour réduire la délocalisation des tournages, dont les résultats sont probants, puisque seuls 10 % des tournages de productions françaises sont réalisés à l'étranger.
Les productions éligibles à ces dispositifs fiscaux laissent cependant sceptique. En effet, certains films de qualité ne pourraient pas se faire sans les aides publiques. Mais d'autres, comme Astérix et Obélix, L'Empire du Milieu ou Les Trois Mousquetaires, bénéficient du crédit d'impôt cinéma, alors qu'ils sont largement soutenus par des sociétés de production et qu'ils sont sûrs de trouver leur public. Faut-il soutenir de la même manière des films de qualité qui sont difficiles à réaliser et d'autres dont on sait d'emblée qu'ils seront rentables et équilibrés financièrement ?
On me rétorque qu'il reste difficile de décider si tel ou tel film est de qualité et doit être subventionné. En effet, certains films qui avaient peu de chances de trouver leur public ont finalement attiré 200 000 à 300 000 spectateurs, ce qui a permis de couvrir leurs coûts. S'agissant des aides directes, en général, il revient aux commissions qui siègent au sein du CNC d'opérer des choix pour une partie d'entre elles. Mais, en ce qui concerne les dispositifs d'avantages fiscaux, ils s'appliquent de manière quasi automatique.
Les Sofica jouent également un rôle particulier. Il s'agit de sociétés de financement qui reposent sur la collecte de fonds privés consacrés à la production de films. Elles fonctionnent de manière classique, mais progressivement la réduction d'impôt pour les souscripteurs est devenue considérable : longtemps autour de 30 %, elle a été portée à 36 % dès lors que les Sofica s'engagent à consacrer 10 % de leurs investissements à la souscription au capital sociétaire de réalisation et, depuis 2017, elle peut atteindre 48 %, dès lors que 10 % des investissements sont dédiés à la souscription au capital de sociétés de réalisation participant au développement d'oeuvres audiovisuelles, de fiction, de documentaires ou d'animation.
Les douze Sofica agréées en 2022 ont, bien évidemment, pris les engagements nécessaires pour bénéficier de cette déduction fiscale à un taux de 48 %. Ces sociétés n'ont pas un rôle clé dans le financement du cinéma. Elles ont investi 32 millions d'euros dans la production en 2021, ce qui reste modeste par rapport aux autres acteurs. Toutefois, cette niche fiscale semble de plus en plus curieuse, même si les acteurs nous répètent qu'il ne faut rien changer. Rappelons que jusqu'en 2017 les Sofica fonctionnaient très bien sans bénéficier d'une déduction fiscale de cette ampleur. Les avantages fiscaux dont bénéficient les Sofica pourraient donc être revus.
Après la création du CNC en 1946, la filière du cinéma a obtenu progressivement la création de systèmes d'aide supplémentaires. Le cinéma français se porte mieux que celui des pays voisins et le CNC s'empresse de s'ériger en modèle envié par tous. Toutefois, la Corée du Sud est le seul pays à avoir mis en place l'équivalent d'un CNC ; il est vrai que le cinéma sud-coréen se porte beaucoup mieux, depuis lors.
En conclusion, le cinéma français va bien, mais à quel prix ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je remercie le rapporteur spécial, qui nous a fait le panégyrique d'un certain nombre de films dans les titres de son rapport. Il ouvre un questionnement sur les moyens dont dispose l'industrie du cinéma et plus largement les industries créatives. On mesure le rôle important et la place éminente, voire politique, du CNC dans les modalités de financement et d'accompagnement de ces industries.
Le rapport s'achève par sept recommandations. Nous constatons que des moyens supplémentaires ont été dégagés pour le cinéma et il est donc utile de nous interroger sur le niveau de financement public qu'il convient de maintenir, compte tenu du taux de fiscalité élevé dans notre pays et du montant important des dépenses publiques. Des dispositifs d'aide nouveaux ont été mis en place par Bpifrance et dans le cadre du plan France 2030. Évitons de nous arc-bouter sur l'acquis et sachons prendre en compte ces évolutions. Le rôle des collectivités territoriales s'est accru. Je souscris entièrement aux propositions du rapporteur spécial, qui nous incite à ouvrir une réflexion sur certains points. Nous pourrons nous en inspirer lors des prochaines discussions budgétaires.
M. Claude Raynal, président. - Merci pour votre présentation qui témoigne de vos qualités reconnues de précision et de synthèse.
Lorsque vous chiffrez le montant du financement public à 1,7 milliard d'euros, cela comprend-il les aides des collectivités territoriales ?
Vous avez abordé le sujet de la contribution des blockbusters américains au cinéma français grâce au nombre d'entrées en salle. Je trouve que c'est plutôt un bon système que je comparerais volontiers à la TVA sur les produits importés : le produit de la taxe sert ensuite à la production française. Il n'y a là rien de choquant.
Je suis sinon réservé sur votre deuxième recommandation, qui porte sur le transfert de la gestion des taxes à Bercy. Je comprends parfaitement les réticences des professionnels du cinéma, car une fois le produit des taxes entré à Bercy, il sera compliqué de l'en faire sortir à l'identique, si je puis le dire ainsi.
Enfin, sur la relocalisation des tournages en France et le financement de grands studios, l'expérience s'est autrefois soldée par un échec. Pouvons-nous créer de grands studios sans que cela soit un échec ?
M. Antoine Lefèvre. - Les collectivités territoriales, départements et régions, fournissent une part importante du financement public. Quel volume représentent ces aides pour le cinéma ? Elles ne sont pas négligeables, à en croire les logos des régions qui figurent à la fin des génériques.
Mme Vanina Paoli-Gagin. - À hauteur de 1,7 milliard d'euros, le montant des dépenses publiques pour le cinéma est important et je suis surprise de ne pas trouver en regard le montant des recettes générées. C'est dans leur aspect dynamique qu'il faut analyser les dépenses publiques.
Quant au cinéma sud-coréen, il fait largement appel à l'investissement privé. L'industrie du capital-risque culturel privé vient abonder ce qui fait figure d'équivalent de notre CNC. Le modèle est donc différent du nôtre.
M. Michel Canévet. - Je félicite le rapporteur pour son travail, qui ouvre des pistes pour réduire la dépense publique en général.
Quels sont les frais de gestion du CNC ? Les dépenses du fonds de soutien ont représenté 425 millions d'euros cette année. Le produit des taxes s'élève à 710 millions d'euros. Les dépenses de soutien représentent donc un peu moins de 60 % du produit des taxes. À quoi sont employés les 40 % qui restent ? J'espère qu'il ne s'agit pas des frais de gestion du dispositif...
Les films peuvent être subventionnés de 40 % à 70 % et le crédit d'impôt sur les dépenses peut aller jusqu'à 30 millions d'euros. Celui-ci s'applique-t-il aussi aux dépenses financées par une subvention du CNC ?
Enfin, je souscris à la recommandation n° 6 : alors qu'un certain nombre de films réalisent des profits extraordinaires, nous devrions nous poser la question de savoir s'ils ont vraiment besoin qu'on les accompagne en les faisant bénéficier de dispositifs fiscaux avantageux. J'espère que des propositions pourront être formulées lors de la prochaine session budgétaire.
M. Jean-Michel Arnaud. - Je souligne aussi la qualité de ce rapport et de la présentation de notre collègue Roger Karoutchi.
L'accompagnement en matière d'allègement des charges sociales liées au statut des intermittents du spectacle constitue une part importante dans le financement de la production cinématographique française. Il faudrait intégrer cette charge allégée dans le calcul, si l'on veut se faire une idée exacte du montant de l'aide publique apportée à notre cinéma.
Vous avez mentionné la possibilité de différencier l'attribution de l'aide publique en fonction de la nature des films et vous posiez la question de savoir ce qu'était un cinéma d'auteur par rapport à un cinéma grand public. Une classification existe au sein du CNC sous la forme de l'agrément « salle d'art et d'essai ». Pourquoi ne pas s'en servir pour affiner l'attribution des aides en la rééquilibrant en faveur de ces salles ?
Le financement des collectivités locales a été mentionné à plusieurs reprises. Il serait intéressant de mesurer précisément l'apport des finances publiques locales au financement global du cinéma français.
J'aimerais avoir plus d'informations quant au développement du réseau de distribution des salles. Dans nos territoires respectifs, certains propriétaires de salles de cinéma ont des projets de développement importants, notamment dans des villes de taille intermédiaire, à l'image de ce qu'ont pu faire les libraires dans un autre domaine. J'aimerais comprendre la logique économique de ce développement : si le public n'augmente pas à due proportion, le réseau des salles de cinéma risque d'être surdimensionné, ce qui aura des conséquences sur l'avenir du financement public du cinéma, y compris dans sa dernière chaîne de production, à savoir la distribution et les salles de cinéma.
M. Didier Rambaud. - Je salue l'originalité de ce rapport.
Quel regard portez-vous sur l'état du parc des salles de cinéma dans notre pays ? Quand on est maire d'une petite commune, on considère la présence d'un cinéma comme un facteur d'attractivité contribuant aussi au développement d'une certaine économie locale. Dans le cadre du dispositif Petites Villes de demain, de nombreux maires souhaitent réhabiliter leurs salles de cinéma. Est-ce un bon choix compte tenu de l'explosion des plateformes ? Le CNC contribue-t-il au financement de l'équipement des salles de cinéma ?
M. Philippe Dominati. - L'apport des collectivités territoriales dans le cinéma français est important et cela pose question. En effet, le cinéma est un milieu d'entre-soi et les films peuvent se faire pour des raisons alimentaires. Le financement public de l'État est complété par une multitude de subventions en provenance des collectivités territoriales. Cela me rappelle la problématique qui existait dans le milieu du sport, il y a quelques années, lorsque les collectivités territoriales subventionnaient les clubs de football régionaux. Les grands clubs de football professionnels recevaient du département et de la municipalité des subventions importantes tout comme les petits clubs pour lesquels ces aides étaient nécessaires ; et l'on n'arrivait pas à distinguer entre les deux. L'État a fini par interdire ce type de subvention.
Ne faudrait-il pas réguler de la même manière l'afflux des finances publiques de la part des collectivités territoriales en faveur du cinéma ? Faut-il centraliser ou décentraliser ? Quoi qu'il en soit, il faudrait un arbitre, car le montant du financement public représente une somme importante pour le contribuable.
M. Jérôme Bascher. - M. Karoutchi nous dit que le CNC est un modèle que de nombreux pays nous envient, mais d'autres modèles existent comme Hollywood ou Bollywood, qui sont les deux premiers cinémas du monde. La percée du cinéma indien sur le continent asiatique est colossale.
Les salles de cinéma ont moins de succès que la télévision lorsque l'on veut voir des films. Je me félicite donc que les régions se battent pour avoir des tournages sur leur territoire ou bien pour que des téléfilms auxquels elles servent de décor aient la meilleure audience possible - par exemple, la série télévisée « Meurtre à... ».
Jusqu'en 2005, tous les tournages se faisaient à l'étranger. Je me félicite de la relocalisation des tournages, qui offre des retombées aux régions, notamment à travers la publicité touristique. Le premier grand tournage relocalisé a été celui du Da Vinci Code en 2005, au Louvre.
La recommandation n° 4 sur l'Ifcic, Bpifrance et le CNC est intéressante et novatrice. Il faudrait creuser l'idée.
M. Sébastien Meurant. - Je m'interroge sur les retombées économiques et le nombre d'emplois liés à l'industrie cinématographique.
En ce qui concerne le financement des collectivités territoriales et de l'État, on a du mal à consolider les chiffres.
La recommandation n° 4 est très intéressante : elle vise à remplacer un investissement public par un investissement privé. Je suis partagé sur le sujet, car certains établissements publics sont profitables et d'autres moins. En outre, certaines petites collectivités se retrouvent à devoir financer leur cinéma, ce qui peut être compliqué dans la mesure où notre taux de prélèvement est supérieur à celui des autres pays.
M. Rémi Féraud. - Vous dites que le monde du cinéma ne souhaite pas que l'on touche au CNC. La comparaison avec la politique du logement est éclairante sur ce point : en effet, en 2017, on a établi le constat que l'on y consacrait des moyens onéreux pour des résultats très imparfaits, de sorte qu'on les a largement remis en cause, avec pour résultat que la situation a empiré.
Que propose le monde du cinéma ? S'agit-il simplement de ne rien changer ou bien y a-t-il des demandes particulières et comment les acteurs de la filière perçoivent-ils les propositions que vous faites ?
M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. - Quelques chiffres : on estime le montant de l'apport financier des collectivités territoriales à 96 millions d'euros par an, qui sont intégrés dans les 1,7 milliard d'euros de financement public du cinéma français.
Il est difficile de mesurer le montant des recettes qui proviennent du cinéma. En 2021, le nombre d'entrées au cinéma pour des films français a représenté 670 millions d'euros, ce qui n'est pas considérable. Quelles sont les retombées en matière d'emploi ? Il est difficile de dire qu'elles sont liées au financement public du cinéma, car on peut imaginer que les acteurs seraient quand même acteurs si le CNC n'existait pas. On estime que la part des emplois liés à l'ensemble des activités cinématographiques représente 1 % du nombre d'emplois actifs en France.
Faut-il prendre en compte les allègements de charges liés au statut des intermittents ? Je ne le crois pas, car les intermittents travaillent dans le milieu du spectacle et pas seulement du cinéma. Le soutien aux intermittents est donc assuré non pas par le CNC, mais par d'autres structures.
On compte 2 028 cinémas en France et 1 671 communes disposent d'au moins un établissement. Parmi ceux-ci, 233 sont des multiplexes. Je précise qu'un multiplexe est toujours moins coûteux et plus rentable qu'un autre type de salle.
Le président Raynal considère que transférer la gestion des taxes à Bercy n'est pas une bonne solution, mais le cinéma est une activité économique comme une autre en France. Or c'est le seul système économique français dans lequel celui qui attribue les subventions est aussi celui qui collecte les taxes. Le Sénat a par ailleurs approuvé, il y a quelques années, le principe d'un transfert de la collecte des taxes à Bercy proposé par le Gouvernement. Cette proposition n'a bien évidemment pas reçu l'agrément du CNC.
Monsieur Bascher, la capacité de financement privé aux États-Unis et en Inde est nettement supérieure à ce qu'elle est en France. Je ne dis pas que le CNC est le seul modèle valable. Je rappelle que le cinéma français des années 1930 était classé parmi les meilleurs au monde, et cela sans CNC. Bien évidemment, les temps ont changé.
Quant aux frais de gestion du CNC, ils représentent 55 à 56 millions d'euros par an, le reste servant à soutenir la production, l'exploitation ou la distribution, mais aussi l'audiovisuel et les jeux vidéo. Ces frais de gestion ne sont pas démesurés par rapport au système du financement public.
Plusieurs tentatives de créer de grands studios de cinéma, notamment dans le sud de la France, ont été des échecs. Les projets sont désormais plus raisonnables. Dans la mesure où l'on délocalise de moins en moins, la volonté de développer ces studios existe. Certes, le cinéma fonctionne en vase clos, mais les intervenants que nous avons rencontrés nous ont expliqué qu'un grand acteur, un grand producteur ou un grand réalisateur avait forcément un accès privilégié au pouvoir exécutif. Si un acteur très médiatisé rencontre le Président de la République ou le Premier ministre, il peut pratiquement obtenir tout ce qu'il veut.
En revanche, on peut essayer de rationaliser un système qui s'est démultiplié à l'excès et de prévoir davantage de contrôle et de suivi. Dans les sondages, il apparaît que tous les citoyens rêvent qu'il y ait un cinéma dans leur ville, quand bien même ils n'iraient pas. Les collectivités territoriales ont-elles raison ou non de soutenir la création cinématographique ? Aucun maire ne considère qu'il serait négatif de mentionner dans son bilan le fait qu'il y a un cinéma dans sa ville.
La commission adopte les recommandations du rapporteur spécial et autorise la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.
La réunion est close à 12 heures.
Projet de loi visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Claude Raynal, président. - Nous en venons à l'examen du rapport d'Albéric de Montgolfier et à l'élaboration du texte de la commission sur le projet de loi visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces.
Je vous rappelle que notre commission a délégué l'examen au fond des articles 1er à 5, 8 et 11 à la commission des lois au regard des compétences de celle-ci. Nous accueillons donc son rapporteur pour avis, Alain Richard, qui va nous présenter la manière dont la commission des lois a examiné ce texte.
M. Alain Richard, rapporteur pour avis de la commission des lois. - Le texte dont nous débattons fait suite à une annulation du Conseil constitutionnel. Le code des douanes comporte des mesures coercitives, des pouvoirs de contrôle très intrusifs et, malgré des modifications ponctuelles fréquentes, lesquelles dégradent d'ailleurs substantiellement la lisibilité du code - une recodification est indispensable -, les dispositifs les plus intrusifs n'ont pas bénéficié des inflexions en faveur des droits de la défense et de la personne qui ont marqué l'évolution du code de procédure pénale. On observe donc un décalage important.
Le code des douanes a été affecté par trois déclarations d'inconstitutionalité au motif qu'il est dépourvu de garanties des droits de la personne. La dernière en date de ces décisions concerne l'article 60 du code relatif aux « visites douanières », c'est-à-dire aux fouilles. Elle sera applicable au 1er septembre 2023. C'est pourquoi, en examinant ce projet de loi, qui ne s'attaque qu'à quelques articles du code, nous avons dû ajouter quelques précautions. Ainsi, nous avons croisé les procédures douanières avec celles de la justice. Ces procédures permettent de retenir les personnes en faisant obstacle à leur liberté de mouvement, de procéder à la fouille intrusive de biens particuliers, notamment de véhicules. Les termes ne sont pas les termes usuels - la fouille s'appelle une visite douanière et la perquisition s'appelle une visite domiciliaire douanière -, mais ce sont les mêmes pouvoirs. La mission de la commission des lois a donc consisté à tenir compte des spécificités des procédures douanières - il y a une logistique importante, les fouilles ont souvent lieu en espace public -, en laissant des marges d'opération au personnel douanier, mais également à faire en sorte que l'on informe le procureur des mesures les plus contraignantes, avec le droit pour celui-ci de s'y opposer.
Le ministre des finances et le ministre en charge des comptes publics proposent de renforcer certains pouvoirs d'intervention des douaniers pour améliorer l'efficacité de leur mission, en particulier pour la recherche des trafics de stupéfiants. Est ainsi prévu un droit de saisie de données informatiques en cas de visite douanière : les douaniers auraient le droit d'ouvrir les téléphones et ordinateurs et de récupérer les données ; c'est un pouvoir intrusif équivalent à celui de la police judiciaire, mais il faut l'encadrer. Il est en outre proposé une expérimentation, parce que les modalités de transport de stupéfiants ont évolué : il y a maintenant des convois, avec un véhicule précurseur chargé de repérer les contrôles. Les experts du renseignement douanier estiment qu'avec un système de lecture des plaques le long des axes principaux, ils pourraient détecter ces convois et prendre les trafiquants en flagrant délit. Or cela implique de conserver les numéros de tous les véhicules qui transitent et de les conserver au-delà du délai normal, qui est de quinze jours, jusqu'à quatre mois, pour croiser régulièrement les plaques. Nous proposons un encadrement strict de cette expérimentation ; il faut s'assurer que ce contrôle ne servira qu'à détecter les convois.
Voilà sur quoi portent les amendements adoptés par la commission des lois.
Nous avons reçu hier soir une note de la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) indiquant que certains des cas d'information du parquet pouvaient entraîner des difficultés pour le déroulement des fouilles. La direction des affaires juridiques de Bercy n'a pas été utilisée pour écrire le texte ; ce n'est pas la première fois que je l'observe. Or les analyses juridiques des douaniers posent problème et le ministre tient à ce que ses troupes n'aient pas l'impression qu'on les empêche de travailler. Nous y avons été attentifs, mais le fait de les sortir de leur bulle juridique est susceptible de soulever quelques incompréhensions.
M. Claude Raynal, président. - Cette délégation au fond à la commission des lois était essentielle, en raison de l'inconstitutionalité régulièrement relevée sur ces textes. L'objectif est que ce projet de loi soit validé par le Conseil constitutionnel, tout en maintenant des capacités d'intervention correctes pour les agents des douanes. C'est un équilibre difficile.
M. Philippe Dominati. - Lorsque j'ai écrit mon rapport d'information sur la direction centrale de la police judiciaire, dans lequel j'aborde le rôle et les missions de l'Office antistupéfiants (Ofast), j'ai constaté des interférences entre le ministère des finances et celui de l'intérieur dans la lutte contre les stupéfiants et les délits financiers. La section financière de la police judiciaire est très affaiblie par rapport à Bercy, mais l'Ofast était plus performant que les services de Bercy dans la lutte contre la drogue.
Je retrouve dans vos propos la tentation de Bercy de rééquilibrer ses pouvoirs par rapport aux services du ministère de l'intérieur. Ce n'est pas sain pour l'État et la répartition des compétences. Pour les délits financiers, il y a un savoir-faire de Bercy, mais pour la drogue, il faudrait laisser à l'intérieur sa primauté.
M. Marc Laménie. - Vous avez rappelé l'enjeu crucial de la lutte contre les trafics de drogue. Des dispositions de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) concernaient la gendarmerie et la police nationales, mais l'administration des douanes a aussi un rôle important à jouer et elle interagit avec les forces de sécurité dans ce domaine. Cette loi ainsi que la loi du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (Loppsi 2) prévoyaient un travail en commun de ces services pour lutter contre ces formes de délinquance. Disposez-vous d'éléments de bilan sur cette coopération ?
M. Michel Canévet. - J'ai participé avec les douanes à une opération de contrôle, sur l'A11. J'ai pu constater que ces opérations ne sont pas faciles ; il passe chaque jour dans ce secteur 18 000 camions et 100 000 voitures. La tâche des douaniers est difficile, mais elle est importante, car le trafic de stupéfiants, la contrefaçon et le blanchiment d'argent exigent une présence visible sur le terrain. Le développement de ces trafics qui minent notre société est indéniable et il faut les endiguer.
Ma préoccupation porte sur la capacité des douanes à agir. Beaucoup de trafics se font via la France entre les pays du nord de l'Europe, où les conteneurs sont débarqués, et ceux du sud. Or je ne suis pas sûr que les douanes aient les moyens juridiques de mener des contrôles efficaces. Ne faut-il pas leur donner plus de marge de manoeuvre et de souplesse ?
M. Daniel Breuiller. - J'ai découvert qu'il n'existait pas de code de procédure douanière, comme il existe un code de procédure pénale. À mon sens, cela peut conduire à avoir des procédures différentes selon les territoires et donc à fragiliser certaines actions. Que pensez-vous de l'absence d'un code de procédure douanière ?
M. Sébastien Meurant. - L'article 60 du code des douanes, sur lequel a porté la censure du Conseil constitutionnel, était le principal outil des douanes. Voilà des décennies que l'on démantèle nos frontières et nos douanes. Les douaniers contrôlent une infime partie des trafics. Les marchandises passent sans difficulté et l'on affaiblit pourtant le principal outil d'action des douanes.
Vous avez indiqué qu'il fallait aviser le procureur des contrôles et que celui-ci pourrait s'y opposer. On veut « donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces », mais n'est-on pas en train de casser leurs moyens d'action contre les anciennes menaces ?
M. Alain Richard, rapporteur pour avis. - J'ai omis de préciser que la douane applique non seulement le code des douanes français mais encore le droit de l'Union européenne. L'essentiel des procédures de contrôle et des droits est encadré par un règlement européen d'application générale.
MM. Dominati et Laménie posent la question de la relation des douanes avec la police nationale. Il reste une forte spécificité de la douane, avec un contrôle organisé des flux de marchandises, la fouille, qui donne lieu à des techniques sophistiquées de radiographie pour détecter des marchandises cachées à travers la tôle d'une voiture ou d'un conteneur. Il y a donc matière à avoir un service spécialisé. Pour les stupéfiants comme pour l'assainissement, il y a la sortie et le transport : la gestion des stupéfiants sur le territoire relève de la police nationale et la gestion du transport en provenance de l'extérieur relève de la douane.
Vous avez également évoqué le risque que l'autorité judiciaire freine les contrôles, mais c'est bien toute la contrariété de l'État de droit. Toutes les questions prioritaires de constitutionalité qui ont conduit à l'annulation d'articles du code des douanes ont été certes introduites par des avocats de grands trafiquants, mais l'État de droit et les procédures protègent aussi les coupables...
En l'espèce, le souci du Gouvernement est de n'introduire un contrôle judiciaire que pour s'assurer que la fouille se déroule dans le respect des droits de la personne et non pour y faire obstacle. Les cas pour lesquels le procureur sera avisé seront ceux dans lesquels on exercera des pouvoirs de contrôle intrusifs importants. On indique que le procureur peut s'y opposer, mais il ne le fera que s'il considère qu'il y a une erreur importante. Il appliquera la loi : si le contrôle est justifié, il laissera les douaniers agir.
Monsieur Breuiller, tant les infractions douanières que les procédures sont définies dans le code des douanes. C'est justement parce que ces articles sont défectueux que nous examinons ce texte et je recommande fortement de soutenir l'habilitation à recodifier ce code, ce qui rendra le texte plus lisible et permettra de détecter des anomalies constitutionnelles. Je ne crois pas qu'il faille écrire un code à part.
Enfin, les douanes font aussi de la police administrative, de la prévention - des fouilles au hasard -, et non seulement de la recherche ciblée sur un individu. Il faut qu'ils puissent dissuader, en s'installant au bord d'une route ou dans une gare ou un aéroport, pour que le public sache qu'il peut y avoir des contrôles inopinés, non liés à une détection préalable d'une infraction. C'est l'équivalent du contrôle d'identité de la police administrative. Néanmoins, même ces opérations doivent faire l'objet d'un avis de la justice.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Alain Richard a présenté les motivations de ce texte et le délai laissé par le Conseil constitutionnel pour tirer les conséquences de la déclaration de non-conformité à la Constitution de l'article 60 du code des douanes, relatif au droit de visite : nous avons jusqu'au 1er septembre pour en proposer une nouvelle rédaction.
Il me revient de vous présenter les articles 6, 7, 9, 10, 12, 13, 14, 15 et 16, les autres articles ayant été délégués au fond à la commission des lois et présentés par Alain Richard.
Ce texte est à la fois technique et opérationnel. Mes travaux ont donc été guidés par une volonté très claire : encadrer sans entraver. Nous devons concilier la protection des droits et libertés avec l'objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d'infraction. Les agents des douanes ont des prérogatives spécifiques qui se justifient par la nature même des infractions douanières, qui se distinguent par leur caractère fugace.
J'en viens aux articles du texte, et je commencerai par les deux dispositions visant spécifiquement le contrôle des flux financiers.
L'article 6 crée un dispositif de retenue temporaire d'argent liquide circulant à l'intérieur du territoire, lorsqu'il existe des indices que cet argent est lié à une activité criminelle telle que le terrorisme, le trafic de stupéfiants ou la fraude fiscale grave. Ce dispositif se veut le pendant des retenues temporaires applicables aux flux d'argent liquide en provenance ou à destination de l'étranger. Vous avez tous en tête les panneaux affichés dans les aéroports, qui vous demandent de déclarer à la douane tout transport d'argent liquide supérieur à 10 000 euros. Ce n'est pas interdit, mais cela doit être déclaré. Cela s'applique aujourd'hui aux passages de frontières, avec la possibilité de retenir l'argent liquide en cas de manquement aux obligations déclaratives ou en cas d'indices de lien avec une activité criminelle. Il s'agit maintenant de créer une retenue temporaire pour l'argent circulant sur le territoire national.
Je suis très favorable à cette disposition ; Claude Nougein et moi-même avions fait cette recommandation dans notre rapport sur la douane face au trafic de stupéfiants. Dans des ports comme celui du Havre, les agents des douanes ne peuvent pas tout contrôler, on a parfois l'impression qu'ils ne peuvent contrôler que 0,1 % des conteneurs. Il est extrêmement difficile de contrôler la totalité des marchandises, en raison des limites des moyens humains et pour ne pas créer une embolie aux frontières. Il faut donc aussi pouvoir agir sur les flux financiers : on ne peut en effet pas lutter contre les flux de marchandises illicites si on ne lutte pas en parallèle contre les flux financiers, avec un effet dissuasif plus fort. Or, lors de nos travaux, la Douane nous avait indiqué que, si elle découvrait, lors d'un contrôle sur le territoire, une somme d'argent suspecte, elle ne pouvait pas la retenir, même si elle était quasiment sûre que c'est lié au trafic de stupéfiants. Elle pouvait seulement dénoncer les faits au procureur de la République, avec le risque que les fonds disparaissent... Avec cette mesure, il y aura une possibilité de retenue temporaire des fonds.
Typiquement, quand une personne transporte de la drogue en provenance de Guyane et repart ensuite avec son paiement, la somme ne peut pas être retenue par les douaniers le temps de procéder aux vérifications nécessaires. Un moyen d'assécher le trafic est la retenue financière, d'autant plus que les organisations criminelles se sont adaptées aux contrôles aux frontières et les contournent en passant par des collecteurs de fonds sur le territoire.
Bien sûr, il faut que cette retenue temporaire soit encadrée. C'est le cas : la retenue ne pourra pas être opérée sans indice d'un lien avec une activité criminelle, sa durée sera limitée à trente jours renouvelables jusqu'à un maximum de quatre-vingt-dix jours et le droit au recours est garanti. Sur cet aspect, pour tenir compte d'une jurisprudence de la Cour de cassation, je vous proposerai un amendement - l'amendement COM-67 - visant à préciser que le propriétaire de l'argent liquide, s'il est différent de la personne à laquelle a été notifiée la décision de retenue, peut quand même exercer un recours contre cette décision.
L'article 13 a pour objectif de moderniser le délit de blanchiment douanier, en étendant notamment son champ d'application territorial. Il précise tout d'abord que les opérations de transport et de collecte de fonds portant sur le produit de l'infraction d'origine peuvent être réalisées uniquement sur le territoire national. Cette disposition répond à un vrai besoin opérationnel des douaniers, qui en l'état actuel du droit ne peuvent pas sanctionner pour blanchiment douanier les fonds transportés par des « mules » entre le territoire métropolitain et la Guyane.
Par ailleurs, il prévoit que l'infraction à l'origine du blanchiment pourra être commise à l'étranger, de manière à aligner la territorialité du délit de blanchiment douanier sur le délit de blanchiment de droit commun. Sur ce point, je proposerai à la commission d'adopter mon amendement COM-77 visant à clarifier la rédaction de cette disposition et à s'assurer de sa cohérence avec la quatrième directive européenne anti-blanchiment.
Cet article prévoit également d'accroître le périmètre des personnes pouvant être sanctionnées au titre du blanchiment douanier, en étendant la notion de « personnes intéressées à la fraude ». Je vous proposerai, au travers de l'amendement COM-76, d'aller au bout de cette logique, en étendant le champ de l'intéressement à la fraude aux délits d'importation ou d'exportation commis par le biais de fausse déclaration.
On peut enfin saluer la création par cet article d'une disposition visant à inclure explicitement les crypto-actifs parmi les fonds couverts par le blanchiment douanier. La direction du renseignement et des enquêtes douanières a confirmé en audition que les crypto-actifs étaient de plus en plus utilisés pour blanchir le produit d'infractions. Le directeur de Tracfin, que notre commission avait entendu en audition le 5 avril dernier, l'avait déjà souligné. Les trafiquants ont compris que c'était plus facile de payer en bitcoin que de transporter de l'argent liquide...
L'article 14 renforce les sanctions applicables au trafic de tabac de trois façons : en élargissant la peine complémentaire de confiscation pour délit de contrebande, en créant une peine complémentaire d'interdiction du territoire pour les étrangers condamnés pour contrebande de tabacs ou de stupéfiants et en portant d'un an à trois ans d'emprisonnement la sanction pénale encourue pour la fabrication, la détention et le trafic de tabacs, avec extension pour les faits commis en bande organisée. Il y a de plus en plus de production de cigarettes de contrebande en France ; avec une petite machine et du tabac, on peut produire des cigarettes. Ces sanctions renforcées doivent permettre de lutter contre l'augmentation du trafic de tabac. Près de 650 tonnes ont été saisies en 2022, c'est deux fois et demie la quantité saisie il y a cinq ans. À mesure que le prix du tabac légal augmente, le trafic se développe.
L'article 7 porte à quant à lui sur les moyens humains de la douane. Il vise en effet à créer une réserve opérationnelle douanière pour permettre de faire face à des situations d'urgence ou à des pics d'activité - par exemple, les jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 -, en recourant notamment à d'anciens douaniers. Aujourd'hui, la Douane est la seule administration de l'État en uniforme à ne pas disposer de sa propre réserve opérationnelle. La disposition est modeste, puisque l'on vise 300 réservistes en 2025. La création de cette réserve permettra par ailleurs aux différentes directions de bénéficier de compétences rares, notamment dans le domaine informatique. Cet article est calqué sur la réserve opérationnelle de la police nationale.
Je passe désormais au numérique, avec trois dispositions dans ce projet de loi : les articles 9, 10 et 12.
Les articles 9 et 10 doivent permettre de moderniser et d'adapter les moyens des douanes aux nouvelles réalités numériques.
L'article 9 permet aux agents des douanes de prendre connaissance et de saisir, au cours d'une retenue douanière, des objets et des documents qui se rapportent à un flagrant délit douanier, y compris lorsque le support de ces documents est numérique. Il s'agit là encore de répondre à un besoin opérationnel. Les données numériques saisies pourront être copiées, soit au cours de la retenue, soit postérieurement, sur autorisation du procureur de la République. Une procédure de restitution est également prévue, avec des délais strictement encadrés. Je vous présenterai deux amendements rédactionnels et de précision : les amendements COM-70 et COM-71, qui visent à rapprocher ces dispositions de celles prévues par le code de procédure pénale tout en tenant compte des spécificités des procédures douanières.
L'article 10, lui, concerne non pas le cadre de la retenue douanière mais celui de la visite domiciliaire. Il permet aux agents de procéder au gel des données stockées sur des serveurs informatiques situés hors du lieu visité, par exemple dans un serveur distant, dans le cloud. Cette procédure de gel a un objectif simple : éviter que les données ne disparaissent ou ne soient altérées, ce qui nuirait ensuite aux enquêtes douanières. Ainsi, si je souscris pleinement à l'objectif de cet article, il m'a toutefois semblé nécessaire de renforcer l'encadrement de cette nouvelle prérogative : prévoir un délai pour le téléchargement des données gelées, à savoir trente jours - amendement COM-72 - ; préciser explicitement que les données finalement saisies doivent être en lien avec l'infraction recherchée, en accord avec la jurisprudence constitutionnelle sur le téléchargement des données - amendement COM-73.
Sur cet article, il convient de noter le rôle accru confié aux officiers de douane judiciaire (ODJ), qui pourront se substituer aux officiers de police judiciaire (OPJ) lors des visites domiciliaires, sous le contrôle du parquet. Le nombre d'OPJ est aujourd'hui insuffisant pour couvrir ces opérations.
L'article 12 vise lui aussi à donner de nouvelles prérogatives aux agents des douanes, pour prévenir la commission d'infractions par l'intermédiaire d'internet. Sur internet circulent de nombreux trafics : stupéfiants, contrefaçons, oeuvres d'art, objets archéologiques. Aujourd'hui, il y a peu de moyens. Concrètement, les agents habilités pourront adresser un avis motivé aux intermédiaires en ligne, aux grandes plateformes, afin de les mettre en demeure de retirer les objets incriminés. Si les intermédiaires ne répondent pas à l'avis motivé des agents des douanes, ces derniers pourront demander aux opérateurs de registre ou aux exploitants de moteur de recherche de prendre toutes les mesures utiles pour faire cesser le référencement des contenus illicites ou de procéder à la suspension du nom de domaine. Enfin, ils pourront également demander au tribunal judiciaire de supprimer, en raison de leurs contenus, un ou plusieurs noms de domaine ou un ou plusieurs comptes de réseaux sociaux. Aujourd'hui, une énorme partie du trafic de contrefaçon ou d'objets d'art se fait par internet. Le code des douanes est ancien ; il convient de l'adapter.
Ce dispositif s'inspire très largement du « pouvoir d'injonction numérique » des agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), dispositif déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Je considère pour ma part que l'article 12 représente une avancée indéniable pour mieux lutter contre les infractions commises sur internet et ce que l'on peut qualifier de « trafic de fourmis », avec une multitude de petits infracteurs. Toutefois, il comporte également un risque au regard des atteintes qu'il pourrait faire peser sur la liberté d'expression et de communication. Je vous propose donc de réécrire, au travers de l'amendement COM-75, cet article. Des ajustements me semblent en effet nécessaires pour assurer sa pleine effectivité et le sécuriser juridiquement.
Je termine, pour ce qui relève des articles initiaux du projet de loi, avec les articles 15 et 16. L'article 15 vise à moderniser le code des douanes, au travers d'une habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance. Ce code est devenu illisible, il est ancien et certaines dispositions exigent un nettoyage juridique. L'article 16 précise les conditions d'application du présent projet de loi dans les collectivités d'outre-mer. Je vous proposerai simplement un amendement COM-80 de coordination.
Je vous propose enfin d'ajouter deux articles additionnels, qui s'inscrivent dans la droite ligne des travaux de notre commission sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.
L'amendement COM-74 permettrait de favoriser les échanges d'informations entre l'autorité judiciaire et la douane en matière de lutte contre les infractions douanières.
L'amendement COM-79 vise à renforcer la lutter contre la fraude à la détaxe de TVA, en permettant aux agents des douanes dûment habilités à cet effet d'accéder automatiquement aux informations détenues par la direction générale des finances publiques (DGFiP) sur les résidences fiscales des voyageurs. Beaucoup de personnes ayant la double nationalité présentent leur passeport étranger pour détaxer leurs produits, alors qu'ils sont résidents français. Nous nous sommes étonnés de la très faible place de la TVA dans le plan Fraude présenté par le ministre Attal... Nous allons aider à la lutte contre la fraude.
En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la conférence des présidents, il nous revient d'arrêter le périmètre indicatif du projet de loi n° 531 (2022-2023) visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces. Je vous propose d'indiquer que ce périmètre comprend les règles applicables en matière de visite domiciliaire et de retenue douanière, les dispositifs de retenue temporaire d'argent liquide par les agents des douanes, la réserve opérationnelle des douanes, les prérogatives des agents des douanes en matière de prévention des infractions commises sur internet et de prévention de la fraude, les infractions douanières et les infractions relatives à la fabrication, à la détention et au trafic de tabacs, la recodification du code des douanes, les dispositions relatives à la définition du rayon douanier, les dispositions relatives aux règles d'exercice du droit de visite douanier, les dispositions relatives aux règles de contrôle de l'identité des personnes circulant dans le rayon douanier ou qui entrent dans le territoire douanier ou en sortent, les dispositions relatives aux techniques de sonorisation et de captation d'images offertes aux agents du renseignement douanier, les dispositions relatives à l'expérimentation d'une durée de conservation étendue et traitements complémentaires des données issues des lecteurs automatiques de plaques d'immatriculation (LAPI).
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le code des douanes doit être modernisé, le rapporteur et le rapporteur pour avis l'ont souligné. L'une des difficultés est le temps contraint dont dispose le législateur pour remédier aux inconstitutionalités soulevées. C'est aussi l'occasion de toiletter certains aspects du code. C'est une première étape. Je remercie le rapporteur et le rapporteur pour avis de leur travail. Nous verrons comment le Gouvernement applique ces dispositions. Je ne suis pas sûr que nous soyons au bout de nos travaux sur ce sujet.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Comme Alain Richard, j'ai entendu le Gouvernement, la DGDDI, la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), afin d'être le plus opérationnel possible tout en préservant les libertés publiques.
M. Thierry Cozic. - Ce texte ne pose pas de difficultés majeures et adapte la Douane aux évolutions de la société pour la moderniser.
J'ai une question sur la réserve douanière. Les justifications invoquées me paraissent contradictoires. Vous avez dit que la Douane souhaitait pouvoir bénéficier, par cette réserve, de « compétences rares », mais elle fait plutôt état de besoins saisonniers. Qu'en est-il ? Ce que je redoute par ailleurs, c'est que les effectifs actifs des douanes soient peu à peu partiellement remplacés par cette réserve.
En outre, que pensez-vous des annonces de Gabriel Attal, qui a indiqué que le texte pourrait évoluer au cours de la navette parlementaire ?
Mme Sylvie Vermeillet. - L'article 14 renforce les sanctions applicables au trafic de tabacs. On essaie de lutter contre le trafic de tabacs, qui explose, en augmentant les sanctions. Sera-ce suffisant ? Il y a de plus en plus d'usines de production de tabac de contrebande en France même. Au-delà des sanctions, il faut donner aux douanes les moyens de contrecarrer ce développement.
M. Christian Bilhac. - Les douaniers font du bon travail, font des saisies importantes, mais une part importante du trafic passe entre les mailles du filet. Dans ce contexte, quelle est la rentabilité d'un douanier ? Quel est son coût pour les finances publiques et combien rapporte-t-il ? Ces données seraient il me semble intéressantes pour montrer leur importance.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - La réserve opérationnelle se justifie par les deux motivations que vous avez évoquées, monsieur Cozic : c'est pour faire face aux pics d'activité, notamment lors des grands évènements, et pour disposer de qualifications particulières, notamment en informatique ou en maintenance navale. Cela concernera un nombre très limité de personnes, on parle, d'après les projections de la Douane, de 300 réservistes d'ici 2025, à rapporter aux 16 500 agents de la direction générale des douanes et des droits indirects.
Le renforcement des sanctions contre le trafic de tabac suffira-t-il ? Certainement pas. Le trafic de tabac est directement lié à l'augmentation du prix. Plus on augmente les prix, plus le trafic se développe. C'est un trafic de fourmi, dans de petits ateliers clandestins ; ce n'est pas très cher et donc très rentable pour les trafiquants, d'autant que les peines sont moins fortes. C'est en effet d'autant plus difficile de lutter contre ce trafic que les tribunaux poursuivent avec moins de diligence le trafic de tabac que le trafic de stupéfiants ; donc, pour un délinquant, ce trafic est moins risqué. Pour autant, renforcer les sanctions ne sera sans doute pas suffisant : il conviendra également de mieux détecter les flux et de cibler les contrôles.
On ne connaît pas le « taux de rendement » des douanes. On peut calculer le coût budgétaire des 16 000 agents des douanes et le rapporter aux saisies, qui augmentent. Mais l'augmentation de ces saisies reflète-t-elle une plus grande efficacité ? Peut-être, mais je crains que cela procède aussi d'une augmentation des trafics. La réponse réside-t-elle pour autant dans la seule augmentation des effectifs ? Pourrait-on être plus efficace au Havre avec 500 douaniers de plus ? Sans doute, mais le contrôle passerait de 0,1 % à 0,2 % des conteneurs... En réalité, il faut surtout augmenter les moyens informatiques et accroître le contrôle des flux financiers et des crypto-actifs, ainsi que la lutte contre le blanchiment. Il y a des transferts d'argent vers des pays moins regardants, ce qui pose la question de leur coopération. Il faut également contrôler davantage le darknet et les flux financiers. Aucun pays ne peut se targuer d'avoir réussi à faire cesser tous les trafics ou la fraude douanière.
M. Claude Raynal, président. - Je vous rappelle qu'il est de tradition que la commission saisie au fond prenne acte des résultats des travaux de la commission saisie pour avis sur les articles qui lui ont été délégués, ce qui concerne les articles 1er à 5, 8 et 11.
Article 1er
L'amendement COM-1 rectifié n'est pas adopté.
L'article 1er est adopté sans modification.
Article 2
Les amendements COM-26, COM-19, COM-65, COM-27, COM-28, COM-29 rectifié, COM-7, COM-30, COM-31, COM-32, COM-33, COM-34 rectifié, COM-35, COM-36 sont adoptés. Le sous-amendement COM-81 et les amendements COM-18 et COM-6 sont retirés, tandis que les amendements, COM-20 et COM-21 ne sont pas adoptés.
L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 3
L'amendement COM-66 est adopté.
L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 4
L'article 4 est adopté sans modification.
Article 5
L'article 5 est adopté sans modification.
Article 6
L'amendement rédactionnel COM-69 est adopté.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Mon amendement COM-67 tire les conséquences d'un arrêt de la Cour de cassation sur l'exercice du droit au recours contre une décision de retenue temporaire d'argent liquide par les douanes, en ouvrant la possibilité au propriétaire de l'argent liquide, s'il est différent de la personne à qui a été notifié cette retenue, de pouvoir également exercer un recours contre cette décision.
L'amendement COM-67 est adopté, de même que l'amendement rédactionnel COM-68.
L'article 6 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - L'amendement COM-3 tend à supprimer l'article 7, relatif à la constitution d'une réserve opérationnelle. La réserve pourra s'avérer utile en cas de situations d'urgence ou de pics d'activités et permettra à la Douane de pouvoir disposer de compétences rares. Avis défavorable.
L'amendement COM-3 n'est pas adopté.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - L'amendement COM-8 est satisfait, l'indemnisation des agents douaniers réservistes devra bien tenir compte des corps concernés et des catégories des agents.
L'amendement COM-8 n'est pas adopté.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Au travers de son amendement COM-9, M. Reichardt souhaite abaisser de quarante-cinq jours à trente jours la durée de placement des douaniers réservistes en position d'accomplissement des activités de la réserve, avant de passer en détachement. Pour la réserve opérationnelle de la police nationale, dont s'inspire les dispositions de la réserve douanière, c'est bien une durée de quarante-cinq jours qui est prévue. Avis défavorable.
L'amendement COM-9 n'est pas adopté.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - L'amendement COM-10 est également satisfait, les réservistes ne pourront pas être sanctionnés par leurs employeurs du fait de leurs absences au titre de la réserve.
L'amendement COM-10 n'est pas adopté.
L'article 7 est adopté sans modification.
Article 8
Les amendements COM-22 et COM-23 ne sont pas adoptés.
L'article 8 est adopté sans modification.
Après l'article 8
L'amendement COM-64 rectifié est adopté et devient article additionnel.
Article 9
Les amendements rédactionnels COM-70 et COM-47 sont adoptés.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Je souhaite discuter avec le rapporteur pour avis de son amendement COM-48 avant la séance, afin de trouver un accord sur la rédaction. Prévoir une autorisation écrite et motivée pour procéder à la copie des données informatiques postérieurement à la retenue douanière soulève des interrogations. En attendant, je lui propose de le retirer.
M. Alain Richard, rapporteur pour avis de la commission des lois. - Je l'accepte. Rendez-vous est pris.
L'amendement COM-48 est retiré.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Mon amendement COM-71 est rédactionnel. Je suis favorable au sous-amendement COM-82 du rapporteur pour avis.
Le sous-amendement COM-82 est adopté. L'amendement COM-71, ainsi sous-amendé, est adopté.
L'article 9 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - L'amendement COM-51 comporte deux dispositions. Je pourrais éventuellement, sous réserve d'ajustements, être favorable à celle qui concerne l'information du procureur de la République pour les visites domiciliaires en flagrance, mais je suis beaucoup plus réservé sur l'opportunité de soumettre à l'autorisation préalable du procureur la possibilité pour les agents des douanes d'ouvrir un coffre bancaire ou de se rendre sur un lieu tiers. Nous en rediscuterons avant la séance pour éventuellement l'adapter. En attendant, je propose à Alain Richard de le retirer.
M. Alain Richard, rapporteur pour avis de la commission des lois. - C'est d'accord, rediscutons-en.
L'amendement COM-51 est retiré.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Mon amendement COM-72 instaure un délai pour le téléchargement des données. Les amendements COM-52 et COM-56 font exactement la même chose, mais sont incompatibles avec le mien.
L'amendement COM-72 est adopté. En conséquence, les amendements COM-52 et COM-56 devenus sans objet sont retirés.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Mon amendement COM-73 vise à préciser que, lorsque des données auront été gelées puis téléchargées ultérieurement, seules les données téléchargées se rapportant à l'infraction douanière recherchée pourront être saisies. Il s'agit de sécuriser juridiquement le dispositif au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur l'exploitation des données numériques saisies dans le cadre d'une visite domiciliaire.
L'amendement COM-73 est adopté.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - L'amendement COM-53 tire les conséquences de l'amendement COM-51. Nous en discuterons avant la séance publique.
L'amendement COM-53 est retiré.
L'amendement COM-54 est adopté.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Les amendements COM-55 et COM-57 font la même chose que l'amendement COM-51, mais pour le droit de visite domiciliaire des agents des douanes pour la recherche et la constatation d'infractions fiscales. Demande de retrait en vue de retravailler cette question d'ici à la séance publique.
L'amendement COM-55 est retiré, de même que l'amendement COM-57.
L'article 10 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - L'amendement COM-24 me paraît satisfait, même si nous pourrons en reparler. À ce stade, j'en demande le retrait ; à défaut, j'émettrai un avis défavorable.
L'amendement COM-24 n'est pas adopté.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Mon amendement COM-74 reprend une disposition introduite par le Sénat dans le projet de loi de finances pour 2023 mais qui avait été censurée par le Conseil constitutionnel en tant que cavalier budgétaire. Il s'agit d'améliorer les échanges d'informations entre l'autorité judiciaire et la douane.
L'amendement COM-74 est adopté et devient article additionnel.
Article 11
Les amendements COM-37, COM-38, COM-39, COM-40, COM-41, COM-42, COM-43 et COM-44 sont adoptés. Les sous-amendements COM-83 et COM-84 ne sont pas adoptés.
L'article 11 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Mon amendement COM-75 sécurise le dispositif de l'article 12, qui vise à permettre aux agents des douanes de demander le retrait des contenus illicites en ligne qui permettent la commission d'une infraction douanière. Il s'agit par exemple de sites vendant des contrefaçons importées de l'étranger, des stupéfiants ou du tabac. L'amendement précise le champ d'application du dispositif, encadre les délais de réponse des intermédiaires en ligne, modifie le fondement sur lequel les agents des douanes peuvent demander au tribunal judiciaire de supprimer un nom de domaine, précise le contenu du décret en Conseil d'État et, surtout, prévoit une réponse graduée des agents des douanes.
L'amendement COM-75 est adopté.
L'article 12 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Les amendements identiques COM-11, COM-17 et COM-15 ne sont pas conformes aux exigences constitutionnelles et européennes puisqu'ils reviendraient à imposer aux plateformes en ligne une surveillance généralisée des contenus en ligne, ce qui porte une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression.
Les amendements identiques COM-11, COM-17 et COM-15 ne sont pas adoptés.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Mon amendement COM-76 étend la notion de personne intéressée à la fraude à l'ensemble des délits d'importation et d'exportation, y compris lorsque ces derniers sont réalisés par l'intermédiaire d'une fausse déclaration.
L'amendement COM-76 est adopté.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Mon amendement COM-77 ajuste la rédaction de l'article 13 pour le rendre compatible avec l'article 1er de la directive européenne anti-blanchiment en ce qui concerne le lieu de commission de l'infraction à l'origine d'un délit de blanchiment douanier.
L'amendement COM-77 est adopté.
L'article 13 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Les peines applicables en cas de contrebande de tabac sont déjà aggravées par le texte. Inutile d'aller au-delà. Avis défavorable sur l'amendement COM-25.
L'amendement COM-25 n'est pas adopté. L'amendement rédactionnel COM-78 est adopté.
L'article 14 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Après l'article 14
L'amendement COM-12 n'est pas adopté, non plus que l'amendement COM-13.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Mon amendement COM-79 permet aux douaniers d'accéder aux données de la DGFiP pour savoir si la personne souhaitant bénéficier de la détaxe de TVA est résidente fiscale en France. C'est aujourd'hui impossible, ce qui favorise la fraude à la détaxe de TVA.
L'amendement COM-79 est adopté et devient article additionnel.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - L'amendement COM-5 tend à supprimer l'habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance pour procéder à la recodification du code des douanes. Nous ne sommes jamais enchantés par les habilitations, mais il s'agit d'un texte très technique et obsolète.
M. Daniel Breuiller. - Convaincu par le rapporteur, je retire mon amendement.
L'amendement COM-5 est retiré.
L'article 15 est adopté sans modification.
Après l'article 15
L'amendement COM-4 n'est pas adopté.
Article 16
L'amendement de coordination COM-80 est adopté.
L'article 16 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Je n'ai pas répondu à une question de M. Cozic. Nous sommes saisis en urgence parce que le Conseil constitutionnel a fixé une échéance au 1er septembre prochain. Or le Gouvernement en a profité pour introduire des dispositions qui vont au-delà de la réforme de l'article 60 du code des douanes, en proposant de faire évoluer certaines prérogatives des agents des douanes. Donc, en effet, le texte pourra encore évoluer.
M. Thierry Cozic. - Le ministre a annoncé qu'il déposerait des amendements de séance.
M. Claude Raynal, président. - Nous avons élaboré un texte. Nous verrons ce qu'il en adviendra en séance publique.
M. Alain Richard, rapporteur pour avis de la commission des lois. - Du reste, il est prévu deux jours de séance sur ce texte. Nous aurons donc le temps de discuter le soir si une question se présente.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
TABLEAU DES SORTS
Projet de loi relatif à l'industrie verte - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur
La commission demande à être saisie pour avis sur le projet de loi n° 607 (2022-2023) relatif à l'industrie verte et désigne Mme Christine Lavarde rapporteur pour avis.
Proposition de loi visant à développer l'attractivité culturelle, touristique et économique des territoires via l'ouverture du mécénat culturel aux sociétés publiques locales - Désignation d'un rapporteur
La commission désigne M. Michel Canévet rapporteur sur la proposition de loi n° 69 (2022-2023) visant à développer l'attractivité culturelle, touristique et économique des territoires via l'ouverture du mécénat culturel aux sociétés publiques locales présentée par Mme Sylvie Robert et plusieurs de ses collègues.
La réunion est close à 12 heures.