Mercredi 10 mai 2023
- Présidence de M. Alain Cadec, vice-président -
La réunion est ouverte à 14 heures.
Audition de Mme Coralie Denoues, vice-présidente, présidente du département des Deux-Sèvres, MM. Hervé Cochetel, directeur général des services, Édouard Guillot, conseiller Environnement de l'Assemblée des Départements de France (ADF)
M. Alain Cadec, président. - Nous vous remercions d'avoir répondu à l'invitation de la mission d'information transpartisane sur la gestion de l'eau, lancée en février dernier à la demande du groupe socialiste. Vous serez interrogée par notre rapporteur, Hervé Gillé, qui a accompli un travail conséquent depuis un mois et demi. Le rapport de la mission a vocation à analyser la politique de l'eau de notre pays et proposer des pistes pour améliorer sa gestion.
Les départements jouent un rôle important dans la politique de l'eau, mais le retrait de la clause de compétence générale les a amenés à revoir leur stratégie. Dans le même temps, lors de la présentation du Plan eau, le Président de la République leur a demandé de piloter l'ingénierie territoriale de l'eau. Il devrait se rapprocher de Marylise Lebranchu, qui est à l'origine de la loi NOTRe retirant la compétence générale aux départements !
Nous souhaitons entendre votre avis d'élue départementale et de représentante de l'Assemblée des départements de France (ADF), sur la base du questionnaire que vous avez reçu et connaître vos éventuels souhaits d'évolution législative.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Merci, Monsieur le Président. Je remercie également mes collègues pour leur participation à cette audition. Nous avons tous conscience que la conjoncture nous permet, au sens noble du terme, de politiser un peu plus le sujet de l'eau. Comment le Plan eau peut-il s'incarner dans les territoires. Certains sujets sont assez complexes, comme la tarification différenciée. Le questionnaire que nous vous avons transmis comporte plusieurs parties. Vous pouvez peut-être commencer par nous dire quelle est votre vision générale sur la mise en oeuvre des politiques de l'eau, sur la place des départements, le repli opéré par certains d'entre eux. Vous avez peut-être également quelques messages à nous faire passer sur les gouvernances au niveau des comités des bassins. Vous avez sans doute une analyse des rapports de force qui se mettent en place sur certains territoires. La ressource en eau nécessite en effet des coopérations territoriales, de nombreuses métropoles allant chercher leur eau sur le reste de leur département.
Mme Coralie Denoues, vice-présidente de l'ADF, présidente du département des Deux-Sèvres. - C'est un honneur pour moi de porter la voix de l'ADF devant votre mission. Le département est particulièrement concerné, puisque Sainte-Soline se trouve dans les Deux-Sèvres. Le sujet de la gestion durable de l'eau a donc un écho tout particulier pour moi en tant que présidente de département. C'est un sujet éminemment politique, au sens noble du terme. C'est un enjeu de demain, les départements en ont conscience et ont un rôle à jouer dans les politiques publiques de l'eau.
Le département a deux rôles essentiels. Le premier est d'assurer la quantité et la qualité des eaux brutes à tous les acteurs du petit cycle de l'eau. Il est important que chaque acteur intervienne sur son périmètre : les Agences de l'eau sur le grand cycle de l'eau, les départements sur le petit cycle pour mailler le territoire de réseaux d'eau potable et d'assainissement. Le second rôle du département est de réguler les usages de l'eau. C'est la strate idéale pour réguler les trois grands usages : l'eau potable, les usages économiques et le soutien à l'étiage. En effet, les EPCI ne correspondent généralement pas aux bassins versants.
Le marais Poitevin se déploie sur trois départements, mais vingt-et-une structures publiques ou parapubliques pourraient revendiquer un rôle dans la régulation de cet espace. La gestion de cet espace, déjà très compliquée à trois car nos priorités ne sont pas toujours alignées, serait impossible à vingt-et-un.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Existe-t-il un syndicat mixte, dont l'ensemble des collectivités seraient adhérentes, pour porter la gestion du marais poitevin ?
Mme Coralie Denoues. - Nous n'avons pas de syndicat mixte sur la Sèvre niortaise mais nous disposons de l'établissement public du Marais poitevin (EPMP), qui donne satisfaction aux différents acteurs.
M. Hervé Cochetel, directeur général des services du département des Deux-Sèvres. - Nous n'avons pas de syndicat départemental mais huit syndicats mixtes, organisés par thématiques : traitement, distribution, etc.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Vous avez évoqué le rôle des départements dans une relation d'accompagnement et de proximité. Les régions montent en puissance sur les politiques de l'eau, notamment en participant à leurs orientations au niveau des grands bassins-versants. Elles disposent aussi de la compétence économique et d'une vision de planification territoriale par le biais des Schémas régionaux d'aménagement et de développement durable du territoire (SRADDET). Une de nos orientations serait de consolider les politiques de l'eau dans les schémas de cohérence territoriale (SCoT) et dans les Plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi). Il nous semble en effet pertinent d'inscrire la gestion de la ressource en eau dans les documents d'urbanisme. Comment réagissez-vous à l'affirmation des compétences régionales sur l'eau et à l'accompagnement des filières professionnelles dans l'évolution des process, qui interrogent la relation région/département dans un cadre de complémentarité ?
Mme Coralie Denoues. - Il y a une grande hétérogénéité au niveau des régions. En Nouvelle Aquitaine, il est compliqué d'avoir une politique de l'eau commune entre les Deux-Sèvres, les Pyrénées Atlantiques, la Haute-Vienne ou la Gironde. Je vais être franche avec vous, les départements ne sont pas associés aux SRADDET. Nous ne sommes pas acteurs du SRADDET. Comme vous l'avez rappelé, les régions jouent un rôle sur le développement économique et notre lien est fort sur l'économie agricole, qui a un impact sur la qualité de l'eau. Les départements disposent d'outils qui leur permettent de protéger les zones de captage ou les zones humides. On intervient sur une compétence, qui reste partagée. Dans les Deux-Sèvres, les liens avec la région sur la politique de l'eau se limitent à l'agriculture. Nous travaillons sur beaucoup de sujets avec la Région mais pas sur la politique de l'eau, à l'exception de l'orientation agricole.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - La « boîte à outils » dont disposent les départements est-elle suffisante pour leur permettre d'accompagner la politique de l'eau ? Les départements ont perdu la compétence générale mais ils peuvent utiliser la compétence de solidarité territoriale. L'ADF souhaite-t-elle une nouvelle évolution ou est-elle satisfaite de la situation actuelle ?
Mme Coralie Denoues. - Chacun doit exercer ses propres compétences. Les départements ont un rôle à jouer, en pleine compétence, sur le petit cycle de l'eau, ce qui ne les empêche pas de cofinancer des équipements avec les communes ou les syndicats de communes. Je pense que chaque strate doit se limiter à intervenir dans son périmètre de compétence.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Nous avons du mal à évaluer le positionnement des collectivités départementales. Certaines Agences de l'eau nous ont dit que des départements avaient tendance à se retirer d'autres à maintenir leurs actions. L'ADF dispose-t-elle d'une vision plus globale ?
Mme Coralie Denoues. - Nous défendons la possibilité d'exercer la maîtrise d'ouvrage des travaux, que ce soit pour la production d'eau potable, pour l'aménagement des réserves d'eau ou encore l'interconnexion des réseaux. En revanche, les départements n'ont pas à intervenir sur les réseaux d'eau potable ou d'assainissement des communes.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Est-ce que les départements interviennent sur les stations d'épuration ?
Mme Coralie Denoues. - La maîtrise d'ouvrage pour ces stations est communale ou intercommunale, mais il nous arrive de les accompagner financièrement, par solidarité territoriale.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Vous offrez donc un appui complémentaire à celui des Agences de l'eau. Mobilisez-vous la taxe départementale des espaces naturels sensibles et la taxe d'aménagement pour les politiques de l'eau ?
Mme Coralie Denoues. - Dans les Deux-Sèvres, la totalité de la taxe d'aménagement est affectée aux espaces naturels sensibles (ENS) et à la protection des zones de captage.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Le nombre de zones de captage à protéger devrait augmenter pour répondre à la problématique des pollutions diffuses. Comment envisagez-vous de financer les services rendus par le monde agricole qui va devoir faire évoluer ses pratiques ?
Mme Coralie Denoues. - C'est l'enjeu de la transition agricole, avec moins d'intrants et des cultures moins demandeuses en eau. En parallèle, je suis convaincue que le monde agricole a la volonté d'aller dans le sens de la protection de l'environnement. La terre est leur outil, mais il faudra toujours de l'eau pour la cultiver. La problématique porte sur la manière dont elle est utilisée et dont elle retourne dans l'environnement. Sur les zones de protection des captages, nous avons à notre disposition l'outil de l'aménagement foncier et nous pouvons aussi utiliser les baux environnementaux. C'est un outil performant qui nous permet d'améliorer la protection des zones de captage avec des prairies, des dispositifs de plantation de haies ou du maraîchage. Nous sommes bien dans le rôle du département qui doit veiller à la qualité de l'eau.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Existe-t-il au sein de l'ADF des groupes de travail spécifiques sur ces sujets ?
Mme Coralie Denoues. - Nous avons un groupe de travail « eau et biodiversité ».
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Vous avez parlé de l'intérêt de développer les interconnexions et d'accompagner les collectivités. Travaillez-vous sur la montée en puissance des coopérations territoriales entre agglomérations, métropoles et le reste du territoire ? En effet, aller chercher de l'eau ailleurs que sur le périmètre métropolitain questionne les compensations ou les négociations de coopérations territoriales.
M. Édouard Guillot, conseiller Environnement, Transition Énergétique, Agriculture et Réseaux - Sur les coopérations territoriales, nous sommes encore au stade de la clarification des compétences. En termes de coopération, je ne pourrais donc pas en dire davantage.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - De notre côté, nous avons des exemples assez probants. Nous savons ainsi que la métropole de la Gironde va chercher de l'eau dans le Médoc. Cela questionne beaucoup les collectivités territoriales.
Mme Florence Blatrix Contat. - Pouvez-vous préciser comment vous protégez les captages avec les baux environnementaux et nous dire sur quels types de captages interviennent les départements ? Allez-vous au-delà des captages prioritaires et sur quels critères ?
Mme Coralie Denoues. - Je ne dispose pas de statistiques à l'échelle nationale. Dans les Deux-Sèvres, nous avons deux barrages et sur les bassins-versants allant vers ces retenues, nous avons mis en place des baux environnementaux. Nous n'avons pas de nappes profondes dans les Deux-Sèvres, nous sommes obligés d'utiliser des retenues à ciel ouvert. Nous avons réalisé de nombreuses acquisitions foncières pour accroître la qualité de l'eau, notamment dans le sud du département qui est impacté par les pesticides.
Mme Florence Blatrix Contat. - La législation sur les droits de préemption vous semble-t-elle suffisante ?
Mme Coralie Denoues. - Oui, puisque nous disposons d'un droit de préemption avec la SAFER. Nous travaillons en amont avec elle, notamment dans le cadre des transmissions d'exploitations, pour éviter de priver un agriculteur, qui ne serait pas engagé dans les baux environnementaux, des terres qui sont en zone de captage. Cette démarche nous permet de nous assurer de la qualité de l'eau.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Les zones de captage représentent 3 % de la surface agricole au niveau national. Si nous mettions en place des zones de protection renforcée, la question de la rémunération de services rendus deviendrait très importante et pourrait réinterroger la manière de faire jouer la PAC.
M. Éric Gold. - Le Plan eau prévoit que les départements pourraient se voir confier la maîtrise d'ouvrage déléguée sur la mise en oeuvre des schémas départementaux de l'eau. L'ADF s'est félicitée de ces annonces. Pouvez-vous nous donner des exemples dans lesquels cette possibilité serait intéressante pour les conseils départementaux ?
Mme Coralie Denoues. - Les schémas départementaux de l'eau sont initiés par les départements. La strate départementale a l'avantage de correspondre à la strate administrative de l'État qui accorde les autorisations de prélèvement. Il y a donc une cohérence.
M. Éric Gold. - Quand des syndicats primaires n'ont pas la capacité de financer des travaux d'interconnexion, les départements peuvent-ils se substituer à eux ?
Mme Coralie Denoues. - Oui, il est important que nous conservions cette compétence tant les investissements sont importants. Comme je l'ai déjà dit, nous avons deux barrages dans les Deux-Sèvres, situés à 50 kilomètres l'un de l'autre. Seul le département dispose de la capacité financière pour les interconnecter. Il doit être en capacité d'interconnecter au maximum l'accès à l'eau brute pour sécuriser l'accès à l'eau.
M. Éric Gold. - Vous pouvez donc le faire juridiquement ?
Mme Coralie Denoues. - Oui, nous avons relié nos deux barrages en 2015 ou en 2016, après la loi NOTRe.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Nous posons la question de l'aspect juridique, car cela permet de clarifier le champ des possibles.
Mme Coralie Denoues. - Je comprends. L'ADF propose notamment un amendement, que nous vous transmettrons, pour que cette faculté soit clairement inscrite dans la loi, même si les départements peuvent déjà financer les interconnexions.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Nous l'étudierons avec soin, car les sujets d'interconnexion sont essentiels.
Pour revenir à l'organisation territoriale, il est important que les schémas départementaux soient déclinés dans les SCoT et dans les PLUi, pour une meilleure gestion du fil de l'eau, notamment le pluvial. Quelle est votre vision de la mise en place de la loi NOTRe au niveau des communautés de communes ? C'est un sujet particulièrement sensible et la notion de différenciation territoriale peut avoir du sens. Nous constatons aussi que si certains petits syndicats peuvent avoir beaucoup de vertus, ils sont directement impactés par le manque de moyens et de capacités pour faire face aux enjeux de demain et sont souvent déjà en difficulté. Quel est votre point de vue ?
Mme Coralie Denoues. - Il n'appartient à l'ADF de porter un jugement sur le transfert de compétences communales vers les intercommunalités. Je pense que ce sujet est lié aux compétences dont disposent déjà les EPCI et je constate que certains retransfèrent des compétences aux communes. Je constate également que les syndicats de communes ont une bonne efficience. Dans les Deux-Sèvres, nous avons huit EPCI et huit syndicats d'eau, mais ils ne sont pas portés par les EPCI. Je sais également que les communes des territoires ruraux ne peuvent pas porter seules l'investissement nécessaire à la création d'une usine de potabilisation, ce qui n'est pas le cas des métropoles. Il est donc difficile de donner un avis général de portée nationale. En termes de réseaux d'eau potable, il y a une grande différence entre les territoires ruraux, où il y a beaucoup de canalisations pour peu d'habitants, et les villes. Nous sommes également attachés au principe de l'eau qui paie l'eau.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - C'est un principe que vous défendez et j'imagine que l'ADF sera très attentive aux évolutions et aux annonces. Vous avez sans doute noté qu'un chantier de révision des redevances de l'eau avait démarré au niveau du Conseil national de l'eau et que les 475 millions d'euros alloués aux Agences de l'eau dans le cadre du Plan eau seraient financés par une augmentation de la redevance. Quelle est votre opinion sur ces évolutions ?
Mme Coralie Denoues. - Nous nous réjouissons de l'augmentation des plafonds.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Sur ce sujet, il faut des clarifications.
Mme Coralie Denoues. - C'est sur le lien entre les Agences de l'eau et l'Office français de la biodiversité (OFB) que l'ADF est particulièrement est vigilante pour éviter toute fuite dans le circuit financier. L'eau doit payer l'eau, mais pas la biodiversité.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Comment la biodiversité doit-elle être payée ?
Mme Coralie Denoues. - La biodiversité doit se payer par la biodiversité. La taxe d'aménagement est faite pour protéger la biodiversité qui va naturellement protéger l'eau.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Que pensez-vous principe pollueur/payeur et du circuit de financement, le traitement de la pollution ne reposant que sur les collectivités publiques ? Serait-il judicieux que les producteurs de produits sources de pollutions participent à son traitement ?
Mme Coralie Denoues. - Dans ce cas de figure, tous les producteurs doivent être sollicités et pas seulement les agriculteurs. Un grand plan de sobriété a été annoncé et nous attendons un plan de sensibilisation pour l'environnement. C'est ce qui améliorera la qualité de l'eau et qui nous permettra d'engager moins de frais pour le traitement de l'eau. Il est dans l'intérêt de chacun d'encourager les progrès du monde agricole et du monde industriel, qui ont compris que s'ils voulaient disposer demain de l'eau nécessaire à leur activité, ils devaient aujourd'hui préserver l'environnement.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Nos collègues de la délégation prospective ont publié un rapport dans lequel ils proposent la création d'une ressource spéciale affectée aux Agences de l'eau en créant une part de taxe d'aménagement complémentaire à la part départementale actuelle. Si je vous comprends bien, l'ADF n'y est pas favorable.
Mme Coralie Denoues. - Vous avez bien compris Monsieur le rapporteur.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Le Plan eau prévoit la remobilisation des Agences de l'eau sur un certain nombre de sujets, avec des enveloppes afférentes. Il est aussi question de regarder quels chantiers nationaux pourraient être financés dans ce cadre, parce qu'ils nécessitent une mutualisation d'ingénierie et de connaissances au niveau national. Certains projets d'investissement pourraient aussi être mutualisés au niveau national. Quelle est votre position sur ces perspectives ?
La mise en oeuvre de la tarification différenciée est un chantier complexe et nous pensons qu'il doit être mutualisé pour monter en conscience collective et pour que les bonnes pratiques se mettent en place sur les territoires.
Mme Coralie Denoues. - La politique de l'eau est une politique décentralisée et elle doit le rester. La gestion de l'eau au plus près des territoires est importante. Les relations avec les Agences de l'eau sont partenariales et je pense qu'elles se passent bien sur tous les territoires. Je n'ai pas d'exemple de projet national à citer et je ne crois pas que la politique de l'eau doive être nationale.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Je n'ai pas dit ça. Nous sommes attachés à la gouvernance par bassin-versant et par sous-bassin-versant, mais nous pensons qu'une mutualisation nationale pourrait être envisagée, avec des enveloppes déléguées. De même, la manière dont la recherche fondamentale et la recherche appliquée peuvent être mobilisées n'est pas très lisible. Elles dépendent souvent de la R&D des grands opérateurs. Il faut donc améliorer la lisibilité des moyens, peut-être sous forme d'appels à projets pour accompagner les nouveaux process industriels et agricoles et étudier les éventuels effets leviers avec l'Europe.
Mme Coralie Denoues. - Nous sommes favorables à tout ce qui peut nous permettre d'améliorer la gestion de l'eau, que soit au niveau national ou territorial. L'innovation sur le retraitement des eaux usées peut par exemple être gérée au niveau national, tant que la gouvernance reste au niveau du territoire.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Nous sommes d'accord. Certains bassins-versants sont plus dynamiques que d'autres sur le plan fiscal et la péréquation des moyens est importante.
Mme Coralie Denoues. - L'ADF est toujours plutôt favorable à la péréquation.
Mme Sylviane Noël. - Nous avons rencontré un magistrat de la Cour des comptes qui nous a parlé du désengagement sur l'eau de bon nombre de départements compte tenu du contexte économique. Quelle est l'ampleur de ce désengagement ?
M. Édouard Guillot. - Nous n'avons pas noté de désengagement des départements sur la question de l'eau. Leur volonté de continuer à s'engager fait l'objet qu'une quasi-unanimité, notamment via l'amendement en subsidiarité des groupements de collectivités compétents dans la gestion de l'eau et l'assainissement.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Pouvez-vous nous apporter des éléments précis sur les politiques menées par les départements et les moyens alloués ? En effet, la Cour des comptes, mais aussi les Agences de l'eau, nous ont fait part de leur inquiétude sur l'engagement des départements.
M. Édouard Guillot. - Il est possible que certains départements attendent les évolutions législatives qui sécuriseraient juridiquement leurs interventions, d'où l'importance de l'amendement proposé par l'ADF. Cependant, je vous assure que les départements sont totalement mobilisés sur la gestion de l'eau.
Mme Sylviane Noël. - Je suis dans un syndicat des eaux qui est à cheval sur deux départements. L'un subventionne les projets de renouvellement à hauteur de 20 %, l'autre n'intervient pas du tout. Combien de départements accompagnent les collectivités pour ces projets ?
Mme Coralie Denoues. - La gestion de l'eau est un sujet d'actualité et je ne perçois aucun désintérêt de mes collègues. Les degrés de soutien des syndicats communaux relèvent du libre choix des départements. Les Deux-Sèvres interviennent sur les projets d'assainissement, mais pas sur les réseaux d'eau potable. Les politiques des départements sont très hétérogènes sur ce sujet.
Mme Marie-Claude Varaillas. - Les départements ont toujours marqué leur intérêt pour la gestion de l'eau. C'est un périmètre pertinent au moment de l'élaboration par les préfets des projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE). Cependant, les départements ne sont plus dans la même situation financière qu'il y a quelques années. Ils ne lèvent plus l'impôt et leurs recettes sont aléatoires. Ils ne maîtrisent pas le montant de la dotation versée par l'État et je comprends que certains puissent être inquiets.
Nous constatons aussi un manque d'organisation. Par exemple, un syndicat départemental peut ne pas réunir toutes les communes, des syndicats de communes peuvent être seuls, les départements ne s'investissent pas tous à la même échelle. Cette organisation en silo mériterait d'être clarifiée. Je discutais il y a peu avec le préfet de mon département sur l'élaboration des PTGE et il me disait qu'il avait lui aussi du mal à comprendre l'organisation de la gestion de l'eau.
Mme Coralie Denoues. - Je ne peux que partager vos propos sur les finances des départements, mais je considère que l'eau doit être une priorité pour eux. C'est un sujet essentiel, qui doit être transpartisan. Si nous concentrons nos crédits sur nos compétences et sur notre périmètre, nous pourrons agir et nos financements seront plus efficients.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Le Plan eau prévoit la mise en place de Commissions locales de l'eau (CLE), qui permettraient de réunir l'ensemble des acteurs du territoire, dans le cadre ou non d'un PTGE. Ce serait également une bonne solution pour accompagner la montée en conscience collective sur des sous-bassins. Qu'en pensez-vous, sachant qu'une planification idéale avec les établissements publics territoriaux de bassin (EPTB), les SAGE et les EPAGE implique la rédaction de documents lourds ? J'ajoute que si les collectivités territoriales n'appuient pas les Agences de l'eau pour financer les plans d'action, ces derniers restent souvent lettre morte.
Mme Coralie Denoues. - Je répète que le département est une strate importante dans la gestion durable de l'eau. Il faut que les territoires disposent du bon outil de concertation, mais ce n'est pas la concertation qui assure la maîtrise d'ouvrage. L'EPTB planifie, mais ne réalise pas les travaux.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Certains EPTB le font.
Mme Coralie Denoues. - C'est possible, mais ce n'est pas le cas général. Il appartient à chaque collectivité d'intervenir, en fonction de son périmètre, dans la réalisation des travaux. Nous sommes tous concernés par l'eau. Les actions des uns ont des conséquences sur les autres et la concertation est indispensable à une bonne efficience des investissements. Enfin, les départements ne peuvent plus se permettre d'investir dans les plans d'action.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Je vais citer un exemple qui montre des limites en fonction de la nature des territoires et des cours d'eau à protéger. Malgré la fiscalité liée à la compétence de gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations(GEMAPI), il est parfois impossible de financer l'entretien et la rénovation des systèmes d'endiguement, compte tenu des coûts et du fait que l'État ne peut intervenir au maximum qu'à hauteur de 40 %. Sans appui des collectivités territoriales, les territoires définissent des systèmes d'endiguement, mais ils ne peuvent pas en financer la réhabilitation et l'entretien.
Mme Coralie Denoues. - C'est un sujet auquel nous sommes confrontés dans le Marais Poitevin. La gouvernance doit être locale, mais les enjeux financiers dépassent le cadre local.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - La seule possibilité est que l'État remonte de 40 à 60 % les taux d'intervention, en fonction de la nature des risques et de l'impact du projet. Par ailleurs, le coût de financement des études reste en suspens. Avez-vous un dernier message à nous faire passer ?
Mme Coralie Denoues. - Je vous remercie d'attacher autant d'importance à ce sujet et je réaffirme tout l'intérêt que l'ADF et de la grande majorité des départements sur la politique de l'eau.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Nous souhaitons que les départements jouent pleinement leur rôle en subsidiarité et en complémentarité et il est sans doute nécessaire de clarifier leur rôle.
M. Alain Cadec, président. - Merci à tous, il était important que notre mission entende la voix des départements auxquels nous sommes tous très attachés.
La réunion est close à 12 h 35.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Jeudi 11 mai 2023
- Présidence de Mme Évelyne Perrot, vice-présidente -
La réunion est ouverte à 11 heures 05.
Audition de MM. Alain Soulan, directeur général adjoint, et Jean-Michel Soubeyroux, directeur adjoint scientifique à la direction de la climatologie et des services climatiques de Météo-France
Mme Évelyne Perrot, présidente. - Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation de venir échanger sur la question importante de l'eau avec les membres de la mission d'information lancée en février à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain et qui comprend des sénateurs de toutes les sensibilités. Nous devrions achever nos travaux fin juin ou début juillet par un rapport qui contiendra notre analyse de la politique de l'eau menée dans notre pays ainsi que des propositions pour l'améliorer, tenant compte de tous les avis que nous aurons entendus.
Météo-France est un acteur essentiel pour connaître les volumes de pluie ou l'humidité des sols et observer les transformations du climat. Renforcer notre expertise est également essentiel pour mieux gérer notre eau demain, affiner nos modèles prédictifs et ne pas être pris de court par la transformation de notre environnement.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Je vous remercie de vous être rendus disponibles pour cette audition. Les travaux de notre mission d'information sont un peu plus qu'à mi-parcours. Notre rythme d'auditions est assez soutenu, dans un contexte politique particulier où plusieurs problèmes et enjeux sont mis en évidence. L'approche prédictive et la consolidation des connaissances sont essentielles sur le sujet de la gestion de l'eau, pour une meilleure connaissance de la ressource, des usages et des aléas. Vos analyses prospectives et vos avis sont déterminants.
M. Alain Soulan, directeur général adjoint de Météo-France. - Nous avons répondu avec plaisir à votre demande d'audition. Il est effectivement utile de partager les connaissances dans le domaine de l'eau. Votre rapport nous permettra de progresser tous ensemble. Nous vous remercions donc de cette initiative.
Quelques mots pour commencer sur l'établissement public Météo-France. En 2022, l'établissement enregistrait 394 millions d'euros de recettes, réparties de la manière suivante : 44 % provenant d'une subvention d'État, 22 % de redevances aéronautiques - le prix des billets d'avion comprend une taxe dont le produit revient à Météo-France pour assurer la sécurité des vols -, 16 % provenant de l'Organisation européenne pour l'exploitation de satellites météorologiques (European Organisation for the Exploitation of Meteorological Satellites - Eumetsat), 9 % de recettes propres liées à l'activité commerciale et enfin 9 % d'autres subventions, liées notamment à une convention passée avec la direction générale de la prévention des risques (DGPR) pour le financement à 50 % de nos investissements en matière de radars.
Les missions de Météo-France sont fixées par un décret du 18 juin 1993, modifié le 9 juin 2016. Météo-France est un établissement public à caractère administratif (EPA) placé sous la tutelle du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires. À la fin de l'année 2021, son plafond d'emplois s'élevait à 2 595 équivalents temps plein (ETP). Il est passé à 2 558 ETP en 2023.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Il est donc en diminution !
M. Alain Soulan. - Il augmente par rapport à 2022. En 2023, pour la première fois depuis dix ans, nos effectifs augmentent de 58 ETP. Nous étions 3 800 il y a dix ans, et nos effectifs diminuaient de 3 % par an depuis cette date.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Nous sommes nombreux à vous défendre au Sénat.
M. Alain Soulan. - C'est sans doute grâce à vous que nous avons obtenu un relèvement de notre schéma d'emplois. Parmi ces 58 ETP supplémentaires, 17 sont liés au développement de notre service relatif à la prévention des feux de forêt. Nous allons étendre ce que nous faisons dans le Sud-est de la France au Sud-ouest et à l'Ouest, et couvrirons désormais 55 départements sur l'ensemble du pays, contre une quinzaine précédemment.
Météo-France a signé un contrat d'objectifs et de performance (COP) avec l'État pour la période 2022-2026. Il existait également un contrat budgétaire pour la période 2018-2022, mais cette expérience n'a pas été renouvelée.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Votre contrat d'objectifs et de performance est peut-être aussi un contrat de moyens.
M. Alain Soulan. - Il existait un contrat d'objectifs et de moyens (COM), mais ce n'est plus le cas. Cela dit, si le contrat budgétaire 2018-2022 s'avérait protecteur sur le plan des subventions d'État, il nous engageait en matière de baisse d'effectifs.
Par ailleurs - et il s'agit d'un chiffre important -, l'activité de Météo-France dégage des bénéfices socio-économiques compris entre 1,1 et 2,6 milliards d'euros, selon un calcul établi par France Stratégie en 2018. Nous avons renouvelé cette analyse lors du remplacement de notre supercalculateur, de manière à motiver l'investissement important que nécessitait par cette opération. Il est utile de montrer ainsi les apports du travail d'anticipation du service de prévision météorologique et des services climatiques.
La première mission de Météo-France est d'assurer la sécurité météorologique. Son produit phare est la carte de vigilance, diffusée sur notre site internet, nos applications mobiles ainsi que sur Twitter. Ce produit a été conçu à la suite des tempêtes de décembre 1999, car on nous avait reproché à l'époque le manque de performance de notre chaîne d'alerte. Cette carte permet d'informer en même temps les autorités, les services chargés du déploiement des secours, les médias et le grand public. Elle s'est améliorée au fil du temps : le nombre de paramètres a augmenté, et deux cartes de vigilance sont désormais publiées par jour, l'une pour le jour même et l'autre pour le lendemain.
Pour la première fois, une carte de la météo des forêts sera diffusée durant la saison estivale 2023. Une communication de presse de notre ministère de tutelle en a récemment fait état. Cette carte sera opérationnelle à partir de début juin.
Météo-France se doit également d'apporter un soutien aux services de l'État pour assurer la sécurité du trafic aérien, garantir la sécurité des routes avec les services techniques - au travers de conventions passées notamment avec les conseils départementaux -, soutenir la sécurité civile pour la prévention et la lutte contre les feux de forêt et végétation et soutenir les forces armées.
Dans le domaine de l'eau, notre appui aux services de l'État comprend trois volets. Le premier est le suivi, qui s'effectue au moyen de mesures visant à calculer la quantité de précipitations qui tombent - information dont nous sommes garants - ainsi que via des bulletins réguliers. Le deuxième volet a trait aux études et aux recherches. Météo-France dispose à la fois d'une École nationale de la météorologie, qui forme ses ingénieurs, et d'une direction de la recherche comprenant 300 chercheurs, toutes deux situées à Toulouse. Enfin, le troisième volet porte sur l'anticipation et l'accompagnement des situations de crise.
Météo-France apporte un appui aux services de l'État chargés de la prévision des crues et des inondations, notamment le Service central d'hydrométéorologie et d'appui à la prévision des inondations (Schapi), situé à Toulouse sur le campus de Météo-France, grâce à une convention-cadre renouvelée en 2022 unissant Météo-France à la DGPR.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Le service Vigicrues dépend-il de Météo-France ?
M. Alain Soulan. - Non, Météo-France est porteur de Vigicrues au travers de sa carte de vigilance, mais ce service dépend du Schapi. La pluviométrie relève du domaine de Météo-France et l'hydrologie de celui du Schapi.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Est-ce bien raisonnable ?
M. Alain Soulan. - Nous nous sommes posé plusieurs fois cette question.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Cette interrogation paraît légitime.
M. Alain Soulan. - Des propositions ont été émises à ce sujet, mais n'ont pas été suivies d'effet.
Météo-France publie des bulletins quotidiens à destination des services de prévision des crues (SPC), qui sont animés fonctionnellement par le Schapi, tout en étant rattachés généralement aux directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal). Il existe un SPC rattaché à Météo-France, le SPC Méditerranée-Est, que l'on envisage de rattacher prochainement à la Dreal de Provence-Alpes-Côte d'Azur.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Cela renvoie à la question de l'organisation de la gestion de crise, qui est forcément amenée à évoluer au fil des événements. Une réflexion serait à mener pour voir comment améliorer la mutualisation de la connaissance, les méthodes, les processus et les outils ainsi que les niveaux d'information et de communication des différents acteurs concernés.
M. Alain Soulan. - Nous travaillons étroitement avec la DGPR et le Schapi et avons eu l'occasion notamment d'affiner le dispositif Vigicrues, en définissant précisément les fortes pluies, les inondations, les crues soudaines, etc. Une part de cette vigilance incombe à Météo-France, puis le Schapi prend le relais dès qu'un cours d'eau déborde. Il publie des avertissements destinés au grand public, en s'appuyant sur la carte de vigilance de Météo-France et sur nos bulletins de précipitations et d'avertissements de précipitations.
Par ailleurs, certains agents de Météo-France peuvent être affectés dans les SPC ou au Schapi - Jean-Michel Soubeyroux est ainsi passé, au cours de sa carrière, par le Schapi.
L'information sur les crues est relayée sur la carte de vigilance produite par Météo-France.
Ensuite, nous sommes chargés d'appuyer les services de l'État dans la gestion de la ressource en eau, à l'échelle nationale et territoriale. Nous sommes d'ailleurs, compte tenu des problèmes de sécheresse qui se répètent, de plus en plus sollicités à ce titre.
Pour ce faire, nous produisons des services opérationnels, en contribuant notamment au bulletin de situation hydrologique (BSH) et nous apportons notre expertise météorologique aux instances de suivi.
De plus, nous mettons à la disposition de la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN), des Dreal et des directions départementales des territoires (DDT) un extranet, mis à jour quotidiennement.
Mme Évelyne Perrot, présidente. - Par ressources en eau, vous entendez ce qui est visible, comme les rivières ?
M. Jean-Michel Soubeyroux, directeur adjoint scientifique à la direction de la climatologie et des services climatiques de Météo-France. - Dans le cadre du BSH, les variables hydrologiques sont réparties selon les organismes. Météo-France est chargée du bilan des précipitations, mais aussi de l'humidité des sols et du stock nival. Ensuite, les débits des rivières sont suivis par les Dreal et l'Office français de la biodiversité (OFB), au travers de son observatoire national des étiages (Onde), tandis que les eaux souterraines sont surveillées par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Le BSH et le comité d'anticipation et de suivi hydrologique (Cash) se nourrissent donc d'un travail conjoint entre plusieurs organismes.
M. Alain Soulan. - Nous apportons également, depuis 2015, un appui à la DGALN. Une convention-cadre, qui a été renouvelée en 2022, précise les différents services auprès desquels nous sommes engagés. De plus, nous contribuons régulièrement aux cellules interministérielles de crise sécheresse - dont une se réunit d'ailleurs aujourd'hui - et aux Cash, qui se tiennent plus souvent.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - En ce qui concerne la gestion des crises, jusqu'à quel échelon apportez-vous votre assistance ?
M. Alain Soulan. - Durant l'année 2022, marquée par les sécheresses, les canicules et les incendies de forêt, nous avons été fortement sollicités, à tous les échelons : départemental, régional et national. Ainsi, nous avons procédé à 132 mises à disposition de bulletin hydrologique mensuel, 150 mises à disposition de bulletin hydrologique au pas de temps décadaire et environ 700 contributions aux comités départementaux « ressource en eau » entre le 3 février et le 15 novembre 2022, dont 9 pour l'outre-mer.
Je vous ai parlé de la diminution des effectifs de Météo-France, mais pas de l'évolution de son organisation territoriale. En 2008, nous étions présents dans chaque département, grâce à l'implantation de centres départementaux météorologiques. Il a été décidé de réduire cette présence, qui était une exception française. Nous sommes ainsi passés, en dix ans, de 108 implantations en métropole à 39 - vous imaginez le travail de réorganisation que cela implique.
Quelque 90 % des agents de Météo-France étant fonctionnaires, nous avons dû attendre les départs à la retraite pour déterminer la nouvelle organisation, notamment en développant le travail à distance. Il n'est pas neutre de siéger dans chacun des comités départementaux alors que nous ne sommes plus présents physiquement sur tout le territoire ; cela demande une organisation spécifique. Ainsi, nous avons créé sept directions internationales qui se situent à Lille, à Bordeaux, à Strasbourg, à Lyon, à Aix-en-Provence, à Rennes et à Saint-Mandé.
De plus, nous disposons de 15 centres de rattachement aéronautique, par exemple à Roissy et à Orly, ainsi que 27 petites unités de maintenance, pour réparer les stations automatiques et les radars. Par ailleurs, nous avons mis en place, pour améliorer le maillage territorial, des référents territoriaux, de manière que nous puissions nous rendre dans chaque département en moins de trois heures. Ceux-ci sont à l'écoute des services institutionnels et leur apportent les informations dont ils ont besoin.
Je vous listerai également quelques services météorologiques spécifiques, notamment dédiés à des activités commerciales, tels que le service Prévil'Eau en matière d'hydrologie et le système ISOP - information et suivi objectif des prairies - en matière d'agrométéorologie. Nous fournissons des flux de données observées et prévues - températures, précipitations... - pour former des modèles applicatifs.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Ces flux de données sont intégrés à des modèles applicatifs, qui ont leur économie propre. En tirez-vous des ressources ?
M. Alain Soulan. - Il s'agit d'un autre débat : celui des données publiques. La demande générale semble exiger des services de l'État et des établissements publics comme Météo-France qu'ils mettent à disposition les données qu'ils produisent, au travers d'une infrastructure. Un portail de données publiques existe d'ores et déjà ; nous travaillons à améliorer son ergonomie. Parmi les 58 ETP supplémentaires dont nous disposons, 2 ETP sont consacrés au développement de l'infrastructure informatique pour que les flux soient robustes.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - La gestion de l'eau reposant sur les bassins versants, les données se croisent-elles entre des échelles administratives et des échelles géographiques ?
M. Alain Soulan. - La météo n'a pas de frontières. Aussi, nous agrégeons, à l'échelle du pays, des données recueillies à des échelles territoriales ou géographiques. Notre réseau de mesures comporte plus de 2 000 stations météorologiques et pluviométriques au sol, ainsi que 33 radars, qui forment un maillage précis sur les lames d'eau.
M. Jean-Michel Soubeyroux. - Les flux de données sont non seulement des observations, mais aussi des prévisions, à destination, par exemple, des établissements publics territoriaux de bassin (EPTB). Nos bases de données ne sont pas soumises aux frontières administratives, nous pouvons donc les recomposer selon le périmètre du bassin versant, en respectant des critères et hydrologiques, et administratifs pour répondre aux besoins des divers utilisateurs.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - L'importance de ces sujets ne va faire que s'amplifier, notamment pour pouvoir anticiper au mieux le volume d'eau que nous devrons consacrer au soutien d'étiage. L'amélioration de la connaissance sur les modélisations de comportements des bassins en fonction des niveaux pluviométriques apporte beaucoup aux analyses prospectives. Il s'agit d'enjeux à la fois économiques et stratégiques.
M. Jean-Michel Soubeyroux. - Nous devons distinguer selon les échéances : les méthodes et le degré de fiabilité diffèrent selon qu'il s'agit de prévisions météorologiques - dix à quinze jours - ou de prévisions à plus longue échéance.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - La question sous-jacente est la suivante : les moyens qui vous sont alloués en la matière sont-ils suffisants ?
M. Jean-Michel Soubeyroux. - Des projets de recherches sont en cours pour trouver des applications opérationnelles. Nous épaulons par exemple le syndicat mixte d'études et d'aménagement de la Garonne (Smeag). Ainsi, Météo-France fournit des prévisions saisonnières hydrologiques d'évolution des débits de la Garonne, à échéance de trois à cinq mois, pour décider de la stratégie de gestion des étiages, en particulier le niveau minimum de débit que le Smeag doit maintenir en recourant aux lâchers d'eau des barrages.
L'une des mesures de notre plan d'action stratégique insiste sur les progrès à réaliser en matière de recherche. Je précise que sur ces sujets, Météo-France collabore avec d'autres instituts scientifiques tels que l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) et le BRGM.
Pour répondre à votre question donc, il serait, à mon sens, souhaitable que ces recherches soient mieux coordonnées par la puissance publique. Cette coordination est, à mes yeux, encore manquante. Peut-être le Plan eau permettra-t-il des progrès en la matière, mais, jusqu'à présent, les actions de recherche qui se développent ne répondent pas à une demande publique coordonnée. Elles résultent plutôt d'initiatives propres des organismes scientifiques.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Je précise que j'ai présidé le Smeag ; le sujet m'est donc familier. Les stratégies de soutien d'étiage impliquent également une négociation avec les concessions hydroélectriques. Il est essentiel de conforter la connaissance du modèle et, plus globalement, l'approche prédictive. C'est un enjeu stratégique à tous les niveaux.
M. Alain Soulan. - Nous mettons également en place des services liés aux répercussions du changement climatique sur la ressource en eau. Nous disposons de l'historique des paramètres météo, ainsi que de modèles de prévision à cinquante ou cent ans, développés par notre équipe qui collabore aux travaux du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC).
Ainsi, nous participons à différents projets de recherche - Explore 2, Life-Eau - et nous mettons à disposition des résultats - en matière de prévisions, il y a la vigilance, mais aussi le changement climatique - sur le portail Drias, que nous avons récemment enrichi d'une rubrique « Eau ».
À propos du changement climatique, nous avons également développé l'outil de recherche Climadiag Commune, qui permet de consulter l'évolution des paramètres de n'importe quelle commune à cinquante ans.
M. Jean-Michel Soubeyroux. - Je précise que l'idée, c'est de permettre aux élus et aux citoyens de connaître facilement l'évolution du climat sur leur commune.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - C'est formidable, mais méconnu !
M. Jean-Michel Soubeyroux. - Cet outil a été présenté au Congrès des maires au mois de novembre dernier, mais il faut en effet le faire davantage connaître.
M. Alain Soulan. - Il existe également l'outil Climadiag Entreprise, qui s'adresse aux entreprises concernées par les paramètres météorologiques afin de leur permettre de mieux anticiper leurs décisions. Drias a servi de base pour développer Climadiag Commune et Climadiag Entreprise.
M. Jean-Michel Soubeyroux. - Drias s'adresse plutôt à des bureaux d'études et à des services techniques. L'objectif, c'était de mettre à disposition les données des projections climatiques, qui, par leur volume, nécessitent des services techniques.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Il serait intéressant de disposer d'un modèle plus standard d'informations de l'ensemble des parties prenantes, en particulier les collectivités locales et territoriales, de sorte que l'on ait une sorte de tableau de bord normalisé, alimenté par des circuits de données agréées. Sinon, chacun développera ses propres outils et méthodes, ce qui aura des conséquences sur les plans communaux de sauvegarde (PCS) : parfois, les méthodologies de remontées ou d'alerte sont assez différenciées. Il faudrait des procédures stabilisées, communes et partagées.
M. Alain Soulan. - La formation des élus au changement climatique est prévue. Une expérimentation a été lancée par la préfecture de l'Indre ; le ministre Christophe Béchu a souhaité généraliser ce type de formation à tous les élus. Une opération pilote sera donc prochainement mise en place dans trois départements avant une généralisation dans toutes les communes. Météo-France en sera partie prenante, au même titre que l'OFB, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). Ce sera l'occasion de faire la promotion de Climadiag Commune.
Il est important de partager l'information et de communiquer, d'autant que la demande est importante.
Mme Marie-Claude Varaillas. - C'est d'autant plus vrai qu'il faut donner aux élus les moyens de maîtriser ces outils.
M. Jean-Michel Soubeyroux. - Drias Eau est un nouveau portail ouvert le 30 mars 2023 visant à mettre à disposition les données des simulations hydrologiques, réalisées dans le cadre du projet national Explore 2. Ainsi, les bureaux d'études et tous les acteurs de l'adaptation auront progressivement à disposition des volumes de données très importants sur les futurs de l'eau. Si elles s'adressent pour l'instant à des services techniques, ces données sur le futur de l'eau sont appelées à devenir largement accessibles à tout un ensemble d'acteurs. Il s'agit là d'un changement de paradigme en matière de distribution de ces données.
Météo-France joue ce rôle fédérateur de la distribution des données pour proposer une même interface d'accès aux données, que ce soit pour le climat ou pour l'eau, d'autant que les deux sujets sont liés.
Votre mission d'information s'interroge sur les ressources en eau à l'horizon 2050 en France. Vous avez insisté sur l'aspect exceptionnel de l'année 2022, qui est complètement hors norme par rapport à notre climat d'aujourd'hui : 2,7 degrés de réchauffement par rapport à la période 1961-1990 et près de 3 degrés par rapport au début du XXe siècle. En matière d'évapotranspiration, cette année est également sans précédent. En France, en intégrant l'année 2022, le réchauffement s'approche rapidement des 2 degrés. C'est 1,7 degré quand on tient compte de la part entropique expliquée par le changement climatique, car il y a aussi une part de variabilité naturelle.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - J'ajoute également pour mes collègues, concernant les feux de forêt hors norme, que les services chargés de la lutte contre les incendies parlent toujours de la règle des 30-30-30 : plus de 30 degrés, moins de 30 % de taux d'humidité et un vent de 30 kilomètres par heure. En 2022, tous ces paramètres étaient largement dans le rouge, ce qui explique le degré d'inflammabilité et la violence des flammes. Ces feux se caractérisent en effet par leur violence de propagation et la difficulté à les maîtriser.
Mme Marie-Claude Varaillas. - D'où la nécessité d'intervenir sur les feux naissants...
M. Jean-Michel Soubeyroux. - J'en viens aux précipitations. Les territoires ne vivent pas aujourd'hui les mêmes transitions dans le domaine de l'eau. Ce sera également vrai à l'avenir. La France est dans une zone de transition climatique.
Aujourd'hui, quand on fait la moyenne des précipitations à l'échelon national, on ne voit pas de tendance depuis les années 1960. En revanche, à l'échelle des régions ou des stations, on constate une tendance des précipitations à la hausse dans la moitié nord de la France et à la baisse dans la moitié sud. Les signaux ne sont pas toujours très stables : les précipitations sont aussi sensibles à une variabilité décennale sur notre territoire. Les tendances ne sont pas aussi nettes pour les précipitations que pour les températures.
Les extrêmes concernent les pluies intenses et la sécheresse des sols. Dans les deux cas, on constate une aggravation de ces phénomènes extrêmes. On a pu relever des pluies extrêmes dans les régions méditerranéennes et une aggravation de la densité de ces précipitations extrêmes, mais la Bretagne, le Centre, le Nord-Est, sont aujourd'hui également concernés. Il est vraisemblable que cette dynamique d'aggravation des événements extrêmes de pluies intenses est sûrement à l'oeuvre dans l'ensemble du territoire.
En parallèle, et c'est cohérent avec le sixième rapport d'évaluation du GIEC, on note une aggravation des sécheresses des sols. À l'échelon national, elles ont été multipliées par deux en termes de fréquence depuis les années 1960 ; dans d'autres régions du Sud de la France, la partie Sud de l'Aquitaine, l'Occitanie particulièrement, Provence-Alpes-Côte d'Azur, le ratio est plutôt de trois.
M. Daniel Breuiller. - Comment mesure-t-on la sécheresse des sols ?
M. Jean-Michel Soubeyroux. - Pour mesurer l'humidité des sols, on utilise la modélisation, on ne passe pas par l'observation. Il s'agit donc de données analysées. Des modèles hydrologiques, qui ont été calibrés par des campagnes de mesures, sont opérés en temps réel ; ils sont confirmés par quelques points de mesure d'humidité des sols qui servent à faire un monitoring pour vérifier la cohérence avec les mesures établies à partir de modélisations. On a des rétrospectives depuis 1958, ce qui nous permet une estimation de l'humidité des sols quotidienne et une résolution tous les huit kilomètres sur le territoire. C'est ce qui permet de définir les critères d'un événement de sécheresse : quand le temps de retour dépasse dix ans, on parle d'épisode exceptionnel de sécheresse des sols.
En termes de ressources en eau, l'écart entre les précipitations et l'évapotranspiration est un indicateur souvent utilisé. Il faut tout de même se méfier, parce que plusieurs formules sont possibles pour calculer l'évapotranspiration. En intégrant l'année 2022, le bilan hydrique moyen en France (RR-ETP) est négatif pour la première fois en moyenne décennale. En 2022, en effet, l'écart entre les précipitations recueillies sur l'ensemble de la France et l'évapotranspiration exceptionnelle a dépassé 300 millimètres. Quand on a en même temps un événement de déficit de précipitations et de fortes chaleurs qui se traduisent par de l'évapotranspiration, on se retrouve dans une situation tout à fait exceptionnelle, comme l'illustre l'année 2022.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Une cartographie permettant de croiser les évolutions climatologiques et les évolutions de la ressource en eau, c'est-à-dire l'analyse des stocks, serait particulièrement intéressante. En effet, les territoires se comportent différemment : une pluviométrie relativement importante peut avoir des impacts singuliers compte tenu des caractéristiques d'un territoire. Il faut donc conjuguer pluviométrie et évolution de la ressource en eau. Croisez-vous ces données ? Vous proposez en effet une cartographie assez précise en matière d'évolution de la température à l'échelle du territoire national, mais on pourrait la croiser avec l'évolution des stocks et de la ressource en eau. On s'apercevrait alors que ce n'est pas forcément homogène.
M. Jean-Michel Soubeyroux. - On dispose d'un grand nombre de données et on peut en créer de nouvelles. Celles que vous proposez seraient en effet intéressantes. On a, par exemple, des diagnostics sur l'humidité des sols qui montrent des comportements très différents entre les régions du Sud et celles du Nord de la France. Il faut également se pencher sur les tendances des territoires, car cela pose la question de la résilience. Certains territoires sont habitués à connaître des événements extrêmes, comme la zone méditerranéenne, parce que son climat naturellement plus aride l'y prépare peut-être mieux. En revanche, les sécheresses à répétition depuis 2018 dans le Grand Est ont provoqué beaucoup de dégâts sur la biodiversité, la forêt, l'habitat. Ainsi, dans les territoires moins habitués à être confrontés aux sécheresses des territoires, les conséquences peuvent être très fortes.
À l'intensité de l'aléa s'ajoute donc son caractère exceptionnel dans des territoires confrontés pour la première fois à des événements qu'ils ne connaissaient pas. Il faudrait insister sur l'avenir des événements extrêmes, lequel ne peut pas être extrapolé uniquement à partir des relevés passés. Or, jusqu'à présent, la politique de prévention des risques s'appuyait uniquement sur une meilleure connaissance des événements passés. S'il faut aujourd'hui bien sûr conserver cette mémoire, elle n'est plus suffisante, dans la mesure où les événements du futur pourront être différents de ce que l'on a connu par le passé.
Sur le changement climatique, il y a un écart entre les simulations réalisées par les services de recherche, notamment les laboratoires sur la recherche du climat, et le travail qui reste à accomplir pour que cela devienne des données à destination des services climatiques. Il ne faut pas sous-estimer le décalage entre le temps de la recherche et la construction de services climatiques. Il ne faut pas oublier tout ce travail en aval, qui mobilise des ressources et qui demande de la collaboration entre les différents partenaires - dans le domaine de l'eau, plusieurs organismes interviennent.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - L'approche consolidée, sous la forme de groupements de compétences par exemple, ainsi que le partage des analyses vont naturellement dans le bon sens. Auriez-vous d'autres préconisations à nous faire pour améliorer le système au niveau national ? Nous regrettons par ailleurs le manque de lisibilité du paysage de la recherche fondamentale et de la recherche appliquée à la question de l'eau : quel est votre avis sur ce qui s'apparente pour nous à une forme de patchwork ?
M. Jean-Michel Soubeyroux. - Dans le domaine de la recherche, je citerai les programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR) qui traduisent l'effort budgétaire consenti par l'État pour développer nos connaissances dans des domaines identifiés comme stratégiques. Il existe un PEPR sur le climat baptisé « Traccs » (Transformer la modélisation du climat pour les services climatiques), qui a été lancé au mois de mars dernier et dans lequel Météo-France est très impliqué, ainsi qu'un PEPR consacré à l'eau, le PEPR « OneWater » auquel nous participons également.
Il s'agit d'initiatives intéressantes, surtout si les différentes communautés scientifiques sont capables de collaborer ensemble et ne fonctionnent pas en silo.
Enfin, je signale qu'en 2021 a été lancé le programme national Explore 2 : c'est un plan ambitieux destiné à mettre à jour notre connaissance de l'évolution future des ressources en eau. Or, il a eu beaucoup de mal à émerger : un soutien financier continu de l'État reste donc indispensable, de sorte que l'on puisse actualiser très régulièrement le niveau de nos connaissances dans ces domaines.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Nous avons nous-mêmes observé que les Agences de l'eau réalisaient leurs études et fondaient leurs analyses sur des référentiels disparates, qui n'étaient pas toujours partagés.
M. Jean-Michel Soubeyroux. - C'est en effet un problème : Météo-France est, quant à lui, naturellement très favorable aux démarches coordonnées au niveau national - lorsque cela est possible - et fondées sur des référentiels communs.
Je le répète, la France se situe dans une zone de transition climatique. À l'horizon 2050, nos simulations en matière de précipitations aboutissent à des résultats très variés : la moitié d'entre elles nous font anticiper une hausse de la pluviométrie de l'ordre de 10 %, l'autre moitié d'une baisse de même niveau, ce qui n'est évidemment pas du tout la même chose.
Pour autant, notre analyse des évolutions saisonnières montre une tendance à la hausse des précipitations en hiver et une tendance à leur baisse en été, ce qui confirme, avec une quasi-certitude, l'aggravation du risque de sécheresse des sols et d'une multiplication des événements du même type que celui que nous avons connu au cours de l'été 2022.
J'ajoute que cette dynamique diffère selon que l'on situe au Nord ou au Sud de la France : les réalités hydrologiques des territoires sont diverses et ne permettront pas la mise en place d'une stratégie nationale unique pour adapter notre pays à cette évolution.
Mme Évelyne Perrot, présidente. - Dans la mesure où ces réalités climatiques différeront selon les territoires, comment faire pour informer au mieux la population ? Météo-France envisage-t-il de mettre une cartographie claire à disposition de nos concitoyens ?
M. Alain Soulan. - France Télévisions a mis en place un bulletin « météo et climat », qui est diffusé chaque soir, et auquel nous contribuons au travers de l'intervention d'experts. Les vecteurs de communication, tout autant que les efforts de pédagogie, sont essentiels, car la matière est, par nature, complexe.
M. Jean-Michel Soubeyroux. - Il ne faut pas oublier le tout nouveau dispositif Ecowatt de l'eau, dans le cadre duquel Météo-France interviendra pour fournir des informations sur l'humidité des sols ou les précipitations au niveau des différents échelons du territoire.
M. Alain Soulan. - L'Ecowatt de l'eau reposera sur les services existants, notamment notre application Météo-France.
M. Jean-Michel Soubeyroux. - Les territoires, je le répète, seront confrontés à des réalités météorologiques différentes. En revanche, chacun aura à faire des efforts, car les ressources en eau diminuent partout.
Il convient en outre de ne pas limiter la réflexion aux variables atmosphériques qui interviennent dans le cycle de l'eau : par exemple, certains territoires exploitent des nappes phréatiques ou des retenues d'eau, d'autre pas. Les critères à prendre en compte sont nombreux, si l'on ne s'en tient pas à la première analyse.
Je précise à cet égard que les simulations hydrologiques réalisées dans le cadre du programme Explore 2 concernent l'hydrologie naturelle et n'intègrent pas les usages : ce travail devra être effectué par les EPTB, les commissions locales de l'eau (CLE) et les collectivités disposant de la compétence Gemapi.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - L'enjeu est de perfectionner tous les systèmes de connaissance à l'échelle des bassins versants, que ce soit en termes de ressources ou d'usages - la connaissance des usages et celle des stocks, notamment au niveau des nappes profondes, mérite d'ailleurs d'être complétée. Le modèle doit être le plus fiable possible à terme, car il fondera la méthode de répartition des ressources en eau à l'échelle de ces bassins. Chacun d'entre nous doit s'engager dans une démarche de sobriété et modifier ses pratiques pour allier performance et modération ; dans le même temps, il faudra garantir un accès à ces ressources dans une perspective pluriannuelle.
M. Jean-Michel Soubeyroux. - La connaissance des usages est en effet loin d'être aussi complète que celle de l'hydrologie naturelle.
M. Daniel Breuiller. - Pour ce qui concerne l'eau, nous observons certes une grande variabilité des prévisions et de fortes disparités régionales, mais il existe aussi des dynamiques établies : je pense évidemment à l'évolution des températures. Et pourtant, nous nous heurtons aujourd'hui à un certain nombre de réticences à l'évolution des usages, ce qui est tout à fait regrettable. Je partage votre point de vue : les données scientifiques doivent être partagées du mieux possible, tout en restant intelligibles.
M. Jean-Michel Soubeyroux. - L'année 2022 montre l'importance de prendre en compte la variabilité naturelle des phénomènes climatiques et météorologiques : pour s'adapter efficacement aux évolutions à venir, il ne faut pas se fonder sur des prévisions moyennes établies tous les trente ans, mais sur les événements extrêmes.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Constatez-vous un allongement des cycles de sécheresse ?
M. Jean-Michel Soubeyroux. - Non, pas vraiment. En revanche, nous constatons que la hausse des températures et les déficits de précipitations conduisent à des sécheresses plus précoces et plus intenses. Nous remarquons une plus grande volatilité des ressources en eau, mais pas une plus grande variabilité des précipitations.
Mme Marie-Claude Varaillas. - Les petites communes sont très touchées par des phénomènes climatiques violents, sans compter qu'elles doivent tenir compte des réglementations de plus en plus strictes découlant des plans de prévention des risques d'inondation (PPRI) et, demain, du « zéro artificialisation nette » (ZAN) - je pense particulièrement au secteur de la vallée de la Vézère dans mon département.
M. Jean-Michel Soubeyroux. - Nous savons que les précipitations extrêmes deviennent plus intenses, mais nous ne sommes pas encore capables de les traduire dans le cycle de l'eau en termes d'inondations : les phénomènes de crues sont très complexes, car ils résultent d'une multitude et d'une conjonction de facteurs : le ruissellement urbain, le débordement des cours d'eau et des nappes, la fonte des neiges... La DGPR a entamé des travaux pour améliorer notre maîtrise des risques d'inondations. De mon point de vue, il serait nécessaire d'intégrer ces éléments dans les futurs PPRI, afin de les actualiser.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Les sols ont beaucoup évolué ces dernières années : la manière dont l'eau ruisselle est totalement différente de celle d'hier. Pour une même pluviométrie, on assiste dans certains territoires à des crues plus intenses qu'autrefois. L'amélioration de la prévisibilité de ces aléas est indispensable, d'autant qu'elle a des répercussions sur notre gestion des ressources en eau. Beaucoup de questions se posent autour des crues collinaires et des bassins de rétention construits à bon escient. Par exemple, le fait de stopper ou de freiner l'eau de ruissellement constitue-t-il une bonne stratégie si l'on parvient à réutiliser cette eau au profit de l'environnement général et des usages ?
M. Jean-Michel Soubeyroux. - Nous avons été associés au projet FLAude, programme visant à mieux comprendre les phénomènes hydrométéorologiques dans l'Aude et, plus globalement, à améliorer la résilience des territoires face aux phénomènes d'inondation, et ce en recourant à l'imagerie spatiale. L'enjeu consistait notamment à repérer les pratiques agricoles, les usages du territoire à l'échelle de la parcelle.
Mme Évelyne Perrot, présidente. - Dans mon village de Dosches, nous avons pris l'initiative de cartographier les risques, en vue d'adapter notre territoire : nous avons demandé aux cultivateurs de travailler autrement, de laisser certaines bandes enherbées, par exemple. Nous nous sommes également dit que les mares, qui se situaient autrefois au bas du village et qui ont été supprimées faute de bétail à abreuver, auraient une grande utilité aujourd'hui.
M. Jean-Michel Soubeyroux. - Dans le droit fil de ce que vous venez d'évoquer, je souhaiterais mentionner le travail du projet Life Artisans, qui met en avant un ensemble de solutions d'adaptation fondées sur la nature, comme l'intérêt des zones humides ou la remise au goût du jour de certaines pratiques du passé, dont nous sommes sûrs qu'elles n'ont pas d'autres externalités que celles que l'on connaît déjà.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Le monde agricole vous sollicite-t-il beaucoup ?
M. Alain Soulan. - Nous avons développé une station météo virtuelle en collaboration avec Arvalis, mais ce modèle n'a pas perduré.
M. Jean-Michel Soubeyroux. - Aujourd'hui, Météo-France n'est pas dans le circuit de décision du monde agricole, lequel bénéficie d'un réseau de conseil stable, qui repose notamment sur l'expertise des chambres d'agriculture.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Et pourtant, l'agriculture représente 55 % de la consommation d'eau en France : l'enjeu est considérable !
M. Alain Soulan. - Pour ce qui est de la filière agricole, ce que l'on peut souhaiter en tous les cas, c'est davantage de coordination, afin que l'on soit capable de fournir des réponses collégiales et que ce secteur puisse se projeter vers l'avenir.
Mme Évelyne Perrot, présidente. - Nous vous remercions de nous avoir consacré ce temps important.
La réunion est close à 12 h 35.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.