Mercredi 10 mai 2023

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne M. Jean-Raymond Hugonet rapporteur sur la proposition de loi n° 545 (2022-2023) relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle présentée par M. Laurent Lafon.

Proposition de loi relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques - Désignation d'une rapporteure

La commission désigne Mme Catherine Morin-Desailly rapporteure sur la proposition de loi n° 551 (2022-2023) relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques présentée par Mme Catherine Morin-Desailly et MM. Max Brisson et Pierre Ouzoulias.

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons cette matinée par l'examen du rapport de notre collègue Alexandra Borchio Fontimp sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne.

Je vous rappelle que l'examen de ce texte en séance publique est programmé le mardi 23 mai prochain.

Je cède immédiatement la parole à notre rapporteure pour qu'elle nous présente ses conclusions sur ce texte.

Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure. - Notre commission mène depuis plusieurs années un travail de fond sur la régulation de l'espace numérique, qu'il s'agisse de la désinformation, de la haine en ligne ou des droits voisins.

Nous nous accordons tous à reconnaître les bienfaits et les apports du numérique. Internet offre un accès presque instantané à la connaissance, met en relation des personnes partout dans le monde, facilite au quotidien la vie de nos concitoyens ; du fait même de sa structure, il est un outil de communication et de liberté d'expression.

Pour autant, ces dernières années ont également révélé les zones d'ombre du numérique : manipulation des processus démocratiques par des puissances étrangères, cyberharcèlement, phénomène d'addiction ou encore captation des données. Notre assemblée consacre d'ailleurs au réseau social TikTok une commission d'enquête dont les conclusions devraient être rendues publiques d'ici la fin de la session.

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui traite de l'accès des plus jeunes aux réseaux sociaux. Voté à l'unanimité à l'Assemblée nationale, ce texte instaure l'obligation pour les réseaux sociaux de mettre en place une solution technique de vérification de l'âge des utilisateurs et du consentement des titulaires de l'autorité parentale pour les moins de 15 ans. Cette solution devra être certifiée par les autorités. En cas de manquement, une amende pourra être infligée à l'entreprise, allant jusqu'à 1 % de son chiffre d'affaires mondial.

Nous le savons tous ici, comme élus, comme parents ou comme grands-parents, les mineurs organisent désormais une grande partie de leur vie autour des outils numériques, en l'occurrence des réseaux sociaux, particulièrement addictifs.

Je veux rappeler quelques chiffres : la première inscription à un réseau social semble intervenir actuellement en moyenne vers 8 ans et demi et plus du quart des 7-10 ans se rendent régulièrement sur les réseaux sociaux, selon la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) ; plus de la moitié des enfants de 10 à 14 ans seraient présents sur au moins un réseau social, toujours selon la Cnil ; 60 % des jeunes âgés de 11 à 18 ans sont inscrits sur le réseau social le plus populaire du moment, TikTok, selon le think tank Génération Numérique.

Sédentarité, exposition à de fausses informations, baisse de l'estime de soi, troubles de l'attention et du sommeil... Les preuves scientifiques de liens de causalité entre l'utilisation débridée des réseaux sociaux et la santé mentale des enfants et adolescents s'accumulent.

Face à l'ampleur des risques, il convient donc de prendre des dispositions, que nous n'avons pas su anticiper, d'ailleurs, afin que la France soit le premier pays au monde à se doter d'un véritable écosystème global de protection de l'enfance en ligne. Même si, nous en avons conscience, le chantier est ambitieux et aucune mesure n'est infaillible, il est temps que notre pays affiche, grâce notamment à nos travaux, une réelle volonté de protéger nos enfants des effets néfastes de l'utilisation des réseaux sociaux.

Cette proposition de loi vise certes à alerter les moins de 15 ans, mais permettra aussi de sensibiliser les parents et de rappeler que les enfants ne sont pas les seuls menacés d'embrigadement sur les réseaux sociaux.

Ce texte est donc un garde-fou indispensable face à la précocité croissante de la puberté numérique et à la puissance des outils mis à la disposition des jeunes.

C'est notre collègue député Laurent Marcangeli, avec qui j'ai pu entretenir un dialogue riche, qui est l'auteur de la proposition de loi initiale.

L'article 2 en est le coeur. Comme je vous le disais, il prévoit un mécanisme de contrôle de l'âge pour l'inscription sur les réseaux sociaux avant l'âge de 15 ans.

Cet âge n'a pas été retenu par hasard. Il correspond à l'entrée au lycée et, en termes plus juridiques, à l'âge inscrit à l'article 45 de la loi du 6 janvier 1978, qui fixe à 15 ans l'âge auquel un mineur peut consentir seul au traitement de ses données personnelles.

Le dispositif de l'article 2 tel qu'issu des votes de l'Assemblée nationale s'articule de la manière suivante : avant l'âge de 13 ans, les mineurs ne peuvent s'inscrire, avec l'autorisation des parents, que sur des dites dits « labellisés ». Cette mesure résulte d'un amendement adopté contre l'avis du Gouvernement et du rapporteur par l'Assemblée nationale. Pour autant, rien n'est dit sur ces réseaux ; je vous proposerai donc une modification par amendement sur ce point.

Entre 13 ans et 14 ans, le principe reste celui du refus d'inscription pour tous les réseaux, sauf en cas d'accord donné par les titulaires de l'autorité parentale.

Enfin, à partir de 15 ans, le mineur est considéré comme « majeur » du point de vue numérique. Il pourra donc s'inscrire comme il le souhaite sans accord des titulaires de l'autorité parentale.

Il ne faut pas le nier, la mise en oeuvre de cette disposition sera techniquement complexe, puisque la procédure, qui relèvera de la responsabilité des plateformes, devra permettre de vérifier l'âge de toute personne inscrite et de s'assurer que le consentement est bien donné par les titulaires de l'autorité parentale.

Bien entendu, ce mécanisme devra respecter le cadre de la protection des données personnelles.

Cette disposition fait écho à mes récents travaux sur les dérives de l'industrie pornographique et l'accès des mineurs aux plateformes numériques, menés avec trois de mes collègues, dont la présidente de la délégation aux droits des femmes, Annick Billon, ici présente. Malgré l'adoption de l'article 23 de la loi du 30 juillet 2020, sur l'initiative de notre collègue Marie Mercier, on peut aisément se rendre compte que, près de trois ans plus tard, cette mesure demeure sans effets : les mineurs peuvent encore à ce jour consulter des contenus pornographiques en ligne sans vérification efficace de l'âge.

Il est donc nécessaire et urgent de prendre des dispositions pour mieux protéger les mineurs, car l'impact des réseaux sociaux sur leur bien-être physique comme mental est aujourd'hui incontestable.

Aussi vous soumettrai-je cinq amendements significatifs sur cet article 2. Je vous ferai également quelques propositions d'amendements destinées à affiner le texte.

Mes chers collègues, plus de dix ans après l'émergence des réseaux sociaux, force est de constater que leur utilisation par des enfants et de jeunes adolescents pose un double défi de santé publique et de protection de l'enfance.

Les publications scientifiques réalisées sur le sujet démontrent notamment que les jeunes filles sont plus touchées par ce phénomène.

Selon une récente étude, pour un équivalent de cinq heures par jour passées sur les réseaux sociaux, près de 50 % des adolescentes présentent des symptômes cliniques de dépression ; 80 % des parents déclarent ne pas savoir exactement ce que font leurs enfants sur internet ou sur les réseaux sociaux.

Les plateformes utilisent le marché de l'attention, c'est-à-dire une sollicitation optimisée du cerveau humain par le biais d'algorithmes engendrant une recherche constante de nouveaux contenus à des fins de stimulation cérébrale. Le même mécanisme serait à l'oeuvre dans le cas des addictions aux drogues. Je vous livre, à cet égard, le témoignage d'une adolescente de 17 ans : « TikTok, pour nous, c'est un peu comme le tabac pour l'ancienne génération. On essaie de décrocher, mais on tient une semaine ».

Je suis bien consciente que ce texte législatif ne permet pas d'embrasser l'ensemble des problématiques soulevées par les réseaux sociaux. Pourtant, j'espère bien, avec votre concours, apporter une pierre non négligeable à la construction d'un véritable écosystème global de protection de l'enfance en ligne.

Il est du devoir du législateur d'intervenir pour fixer un âge, un seuil de maturité nécessaire, à partir duquel un mineur est apte à s'inscrire seul, selon un consentement éclairé, sur une plateforme « sociale ».

Outre qu'elle apparaît nécessaire du point de vue de la santé publique, l'introduction dans le droit français d'une telle majorité numérique serait également une avancée concrète là où il s'agit de faire reculer le cyberharcèlement entre jeunes.

Nous devons impérativement prendre conscience de la précocité croissante de cette puberté numérique et de la montée en puissance des outils mis à disposition de nos jeunes, et ne pas nous contenter d'en observer les potentiels dommages. Il nous est donc essentiel d'agir afin de poser les garde-fous indispensables à leur protection et de prendre nos responsabilités en établissant clairement des limites.

Il n'est pas question ici d'envisager les réseaux sociaux par le seul angle répressif, mais bien d'entamer une réflexion globale sur les effets que leur fréquentation a sur notre jeunesse et de la préserver des risques les plus patents.

Voilà un enjeu qui ne peut que nous rassembler, et je vous remercie d'ores et déjà, mes chers collègues, pour vos contributions qui, je n'en doute pas, contribueront à améliorer ce texte.

M. Laurent Lafon, président. - Avant d'ouvrir la discussion générale, j'invite notre rapporteur à définir le périmètre retenu pour l'application de l'article 45 de la Constitution.

Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure. - Je vous propose que ce périmètre comprenne les dispositions visant à protéger les mineurs usagers des réseaux sociaux et encadrant la coopération entre les hébergeurs, les intermédiaires techniques et les pouvoirs publics en matière de comportements potentiellement toxiques en ligne.

Il en est ainsi décidé.

M. Max Brisson. - Je voudrais tout d'abord saluer l'engagement d'Alexandra Borchio Fontimp sur ce sujet qu'elle a pris à bras-le-corps, tant à la délégation aux droits des femmes que dans le cadre de cette commission. La synthèse qu'elle nous a présentée est très inquiétante concernant l'impact sur les jeunes des réseaux sociaux. Je regrette que notre pays, qui, en matière de protection de l'enfance, a longtemps ouvert la voie, soit aujourd'hui logé à la même enseigne que les autres : devant ce phénomène, faute d'avoir su l'anticiper, toutes les démocraties sont décontenancées, et la France ne fait pas exception. Nous sommes confrontés à des évolutions techniques rapides qui viennent bousculer la société et face auxquelles la législation a plusieurs trains de retard.

Cela dit, nous nous apprêtons à poser un acte législatif instituant une majorité numérique, dont, certes, les modalités de mise en oeuvre restent à trouver - mais, j'en suis persuadé, si les plateformes voulaient bien consacrer quelques moyens et quelques ingénieurs de renom au traitement de ce sujet, elles pourraient rapidement trouver des solutions. En soutenant ce texte, malgré ses limites - notre rapporteure les a exposées -, nous contribuons à faire pression sur les plateformes. Reste à mobiliser leurs capacités d'ingéniosité pour protéger les mineurs en rendant opératoire cet acte législatif que nous allons poser de manière consensuelle et unanime.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Bravo à notre rapporteure pour son analyse et ses propositions s'agissant d'un sujet dont l'importance ne va cesser de croître.

Il serait utile que nous établissions un bilan, avec le ministre de l'éducation nationale, de l'application des dispositions que nous avions votées dans la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance. Notre commission avait notamment institué un dispositif de formation des formateurs en matière numérique ; or, au gré de l'examen des projets de loi de finances successifs, nous n'avons jamais aucune visibilité sur les budgets dédiés pas plus que sur les actions menées au sein des instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (Inspé). Nous avions aussi discuté de l'interdiction des téléphones portables à l'école, renvoyant au règlement de chaque établissement.

Les initiatives et les textes se multiplient : loi encadrant l'exploitation commerciale de l'image des enfants « youtubeurs », proposition de loi visant à lutter contre l'exposition précoce des enfants aux écrans, loi visant à renforcer le contrôle parental sur les moyens d'accès à internet majorité numérique. Il faut agir en profondeur.

Le règlement européen sur les services numériques (DSA, Digital Services Act), qui est d'application directe, est censé régler la question des contenus et de la régulation des réseaux sociaux ; mais ce texte a ses limites, d'autant que le lobbying des plateformes est resté extrêmement puissant à Bruxelles.

De quoi s'agit-il ? On confie à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) le rôle de veiller au retrait des contenus illicites par les plateformes, mais guère plus. Il est question, dans ce règlement, d'audits et d'évaluations régulières : les algorithmes feraient l'objet de contrôles tous les six mois de la part de chercheurs agréés par les plateformes. Je plaide, quant à moi, pour que des chercheurs indépendants puissent aller décrypter les algorithmes, qui sont la source de tous les maux. Les plateformes, fortes de leur énorme pouvoir, privilégient le profit à la sécurité des plus jeunes, comme nous l'avait dit Frances Haugen ; il faut donc aller beaucoup plus loin pour que ces « boîtes noires » puissent être auditées en toute transparence. À terme, quand les gens en auront « marre », je prédis que d'autres modèles émergeront : des plateformes à abonnement, sécurisées, qui permettront de créer des espaces exempts du modèle économique toxique de la publicité et du clic rémunérateur.

De nombreux combats restent à mener ; nous verrons comment les choses peuvent être améliorées dans le respect de la compatibilité entre droit français et droit européen.

Le sujet principal, selon moi, avant celui de l'accès de jeunes à des contenus pornographiques, est celui de l'utilisation des enfants par des adultes en vue de produire des contenus pédopornographiques. Sur la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos), quelque 150 000 contenus sont signalés chaque année où des enfants sont victimes d'adultes, toutes catégories sociales confondues, d'ailleurs.

M. Julien Bargeton. - Je remercie la rapporteure pour son travail et salue l'opportunité de cette PPL, qui brille par sa simplicité et sa lisibilité. D'autres sujets demeurent pendants, et la question de l'application reste posée, mais ce texte fait bien le lien entre l'utilisation des réseaux sociaux et leurs conséquences psychosociales, en matière de santé mentale des enfants notamment.

M. Bernard Fialaire. - Je veux moi aussi remercier Alexandra Borchio Fontimp pour son rapport. « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme » : on a vu émerger les nouvelles technologies qui ont permis le développement de ces réseaux sociaux sans qu'un espace éthique soit défini et respecté. Il faut donc que la loi tranche.

J'ai proposé un amendement pour rendre obligatoires les systèmes de contrôle qui ne le sont pas. Cela va demander des moyens à ces grandes sociétés : elles devront recruter, ce qui est bénéfique.

M. Pierre Ouzoulias. - Merci beaucoup à notre collègue pour la qualité de son rapport. Vous écoutant, je pensais à Sisyphe ; mais, dans Sisyphe, je vois les efforts consentis pour pousser la pierre en haut de la montagne plus que la pierre qui chaque fois retombe. Il est vrai en tout cas que, face à ces problèmes, notre entreprise est souvent « sisyphéenne » : les lois s'empilent les unes sur les autres et il ne se passe rien. Participant à une réunion du groupe d'amitié France-Balkans occidentaux, nous nous faisions la remarque que des lois sont votées sans être appliquées, car des mafias sont plus puissantes que les États. Face aux Gafam, en tant que parlementaire français, je me sens dans une situation analogue...

On sait les catastrophes provoquées chez les enfants : 20 % des jeunes pensent que la Terre est plate ou que les pyramides ont été construites par des extraterrestres, sans même parler de leur électrification. On est face à une entreprise, volontaire ou non, de vidage de cerveaux.

Ce texte est opportun, et nous voterons pour, mais il faut une prise de conscience sur le type de pouvoir exercé par ces entités supranationales. Malheureusement, la solution nationale n'est pas suffisante et la solution européenne a montré ses limites. Il s'agit pourtant d'un véritable sujet européen : une Europe forte est le seul acteur susceptible d'imposer aux Gafam d'abandonner leur modèle économique et de respecter les législations.

Mme Sabine Van Heghe. - Je félicite à mon tour la rapporteure ; nous souscrivons à ce texte qui va dans le sens d'une meilleure protection des mineurs. Dans le cadre de la mission d'information sur le harcèlement scolaire, que je présidais et dont Colette Mélot était la rapporteure, nous avons reçu des représentants de l'ensemble des plateformes de réseaux sociaux : nous avons bien vu que là était le point d'achoppement et de blocage. L'accès aux réseaux sociaux est interdit aux mineurs de 13 ans, mais cette règle n'est pas appliquée. De manière générale, les réseaux sociaux sont vent debout contre toute forme d'obligation et de contrôle, se réfugiant derrière le respect des données personnelles.

Comment mettre en oeuvre efficacement ce contrôle pour éviter une nouvelle usine à gaz ? Les moyens d'action des plateformes doivent être encadrés. J'ai à cet égard de gros doutes pour ce qui est de la mise en oeuvre opérationnelle de ce texte, compte tenu de la toute-puissance des réseaux sociaux.

Mme Sylvie Robert. - Je remercie la rapporteure tout en émettant les mêmes doutes que nos collègues. En 2021, la Cnil - j'y représente le Sénat - a publié des recommandations pour la protection des mineurs en ligne : nous avions bien identifié, à cette occasion, qu'il y a là un enjeu sociétal majeur, celui de l'exercice d'une certaine citoyenneté numérique. Et nous avions en particulier recommandé la désignation d'un tiers de confiance pour vérifier l'âge.

Une fois énoncés les grands principes auxquels on ne peut qu'adhérer, reste en tout cas à responsabiliser les plateformes, mais aussi à accompagner les acteurs : l'un des sujets majeurs, c'est l'accompagnement des parents, qui se trouvent parfois totalement désemparés.

Mme Laurence Garnier. - Je veux à mon tour saluer le travail d'Alexandra Borchio Fontimp. La prise de conscience est frappante ces derniers mois : ce travail est au coeur de l'actualité, comme le montre l'enquête en cours sur le réseau social TikTok.

Alexandra Borchio Fontimp rappelait que 80 % des parents ne savent pas ce que leurs enfants font sur les réseaux sociaux ; mon sentiment est que 20 % des parents ne savent pas qu'ils ne savent pas ce que font leurs enfants sur les réseaux sociaux, car il est impossible de suivre ce qui passe sous leurs yeux au gré du scrolling...

Il faudrait encourager la prise de conscience des jeunes eux-mêmes : beaucoup d'entre eux commencent à témoigner du choix qu'ils ont fait, pour leur propre santé mentale, d'abandonner leur compte sur les réseaux sociaux. C'est un vecteur à encourager, car les jeunes sont les meilleurs témoins de ce phénomène.

Tout cela renforce l'idée d'une majorité numérique à 15 ans : à 11 ou 12 ans, on est parfaitement incapable de se rendre compte de la toxicité des réseaux. Au-delà de notre travail législatif, le travail de sensibilisation des jeunes et de leurs parents est donc essentiel.

Mme Annick Billon. - Ce travail fait écho à votre investissement, chère rapporteure, dans la rédaction du rapport d'information Porno : l'enfer du décor, concernant notamment la protection des mineurs dans l'espace numérique. La complexité du sujet ne doit pas nous empêcher d'essayer... Certaines difficultés doivent encore être surmontées : le dispositif du tiers de confiance est par exemple remis en question pour un problème de données personnelles. De manière générale, la loi avance moins vite que la technologie.

Il s'agit de protéger tout le monde : les incidences sur les mineurs sont prouvées, mais les adultes sont aussi menacés, car l'éducation au numérique n'a pas été au rendez-vous, ce qui rend d'ailleurs impossible le contrôle des enfants par leurs parents. Il faut protéger la société contre une invasion du numérique qui peut être dangereuse pour la démocratie.

M. David Assouline. - Je ne peux que m'associer aux félicitations qui ont été adressées à Mme la rapporteure.

Il reste une réflexion à mener, d'ici la séance, sur la possibilité de traduire en amendements les recommandations de la Cnil qui n'ont pas encore été intégrées dans le texte. Je nous réserve donc la possibilité de proposer au Sénat des précisions en ce sens. Ce texte est de toute façon bienvenu, juste, nécessaire.

La réflexion de notre commission doit néanmoins être approfondie : s'il n'y a pas de majorité numérique sans responsabilité, cela commence par l'éducation, donc à l'école. Or l'éducation nationale n'a pas pris la mesure de cette question de l'éducation numérique, à laquelle elle doit consacrer bien davantage de moyens. Il fut un temps où les choses étaient claires : sur internet, les mômes étaient livrés à eux-mêmes - les parents ne savaient même pas de quoi il s'agissait. On n'en est plus là, mais l'éducation nationale n'a toujours pas intégré que l'outil numérique est au coeur de l'ensemble des matières qu'elle enseigne, mathématiques, français, c'est-à-dire analyse des images et des textes, histoire, géographie, éducation civique. Je plaide pour que l'outil numérique fasse l'objet d'un enseignement dispensé de façon transversale, la coordination des équipes pédagogiques étant prise en charge par les documentalistes - cette proposition que les associations de documentalistes avaient promue, je l'ai faite il y a dix-sept ans... Voilà qui serait utile du point de vue de la responsabilisation dans l'espace numérique. Que l'école forme des citoyens majeurs dans l'espace numérique comme dans la société, c'est le plus important.

M. Jean Louis Masson. - Je ferai entendre une voix un peu différente : que ceux d'entre nous qui étaient adolescents il y a soixante ans se remémorent la législation qui existait à l'époque : vue d'aujourd'hui, la censure des moeurs qui prévalait alors nous paraît grotesque. Il faut faire en sorte que la loi que nous sommes en train d'écrire ne prête pas le flanc à une telle critique rétrospective.

Les enfants d'aujourd'hui sont dix fois plus malins, en matière d'informatique, que leurs parents : quoi que nous décidions, ils arriveront toujours à faire ce qu'ils veulent.

Quant au tiers de confiance, ce dispositif me semble dément du point de vue de la protection de la vie privée : on ne peut absolument pas faire confiance à la notion de tiers de confiance ! Prenons des domaines a priori particulièrement prémunis contre les fuites d'informations, comme la police ou la justice, organisations théoriquement exemplaires : rien n'est censé filtrer d'une information judiciaire. Or, dès qu'arrive quelque chose, tout se retrouve dans la presse au bout de quelques jours... A fortiori, imaginez quelles seront les fuites au niveau des supposés tiers de confiance...

Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure. - Je vous remercie pour vos prises de parole sur ce sujet qui fait presque consensus, ainsi que pour vos encouragements.

Le sujet est ambitieux : en tant que législateur, soit on ose aborder le sujet et poser des limites, soit on reste muré dans un silence qui ne fera pas évoluer la situation. Or la littérature scientifique sur l'effet de l'utilisation des réseaux sociaux sur les mineurs de 15 ans est assez inquiétante.

Je doute que ces dispositions inquiètent les parents, monsieur Masson : j'ai travaillé sur ce texte en tant que sénatrice, mais aussi en tant que parent. Et, en cette matière, les parents m'ont remerciée d'essayer de trouver un outil efficace, car ils considèrent les réseaux sociaux comme une drogue.

L'interdiction d'inscription aux mineurs de 13 ans, pour l'instant, ne relève pas de la loi : ce sont les plateformes qui se sont mises d'accord pour poser cette « interdiction » et il est de notre responsabilité de poser cette pierre dans le débat public. Ce rapport aura une incidence sur les annonces qui vont être faites par le Gouvernement : il faut mettre les pieds dans le plat.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

L'article 1er est adopté sans modification.

Article 1er bis (nouveau)

Mme Alexandra Borchio Fontimp. - L'amendement COM-1 vise à réparer une erreur matérielle commise par l'Assemblée nationale, qui avait supprimé l'obligation de coopération des plateformes en matière de traite des êtres humains.

L'amendement COM-1 est adopté.

L'article 1er bis est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 1er ter (nouveau)

L'article 1er ter est adopté sans modification.

Article 2

Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure. - L'amendement COM-2 a trait à l'autorité parentale. Dans notre droit, seuls les actes les plus importants de la vie du mineur requièrent l'accord de l'ensemble des titulaires de l'autorité parentale, intervention chirurgicale ou changement d'école par exemple. Dans les autres cas, l'accord d'un seul parent est requis. Il me semble que l'obligation d'un accord des deux parents pour une inscription sur les réseaux sociaux est excessive, puisqu'il s'agit d'un acte usuel.

Il est donc proposé d'exiger l'accord d'un seul titulaire de l'autorité parentale pour l'inscription d'un mineur de 15 ans sur un réseau social, ce qui, de surcroît, serait de nature à simplifier le recueil du consentement pour les usagers.

L'amendement COM-2 est adopté.

Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure. - Introduite par amendement à l'Assemblée nationale, malgré les avis défavorables du Gouvernement comme du rapporteur, la deuxième phrase du deuxième alinéa de l'article 2 pose le principe général d'une interdiction d'inscription d'un mineur de 13 ans sur un réseau social hors réseaux « dûment labellisés à cet effet ».

Cette exception pose deux problèmes : d'une part, il s'agit d'une limite à l'autorité reconnue aux parents, lesquels ne pourraient pas consentir volontairement à l'inscription de leur enfant sur un réseau social « non labellisé » ; d'autre part, un tel réseau paraît difficile à concevoir, même s'il peut en exister des modèles. Le dispositif proposé ne prévoit au demeurant, pour ces réseaux, aucune définition précise.

Dans ces conditions, il est proposé, par l'amendement COM-3, de supprimer cet ajout pour en rester à l'idée initiale du texte, qui est de placer l'autorité parentale au coeur de la régulation de l'usage du numérique pour les mineurs. Cela préserverait par ailleurs la lisibilité du message, à savoir le recueil obligatoire de l'autorisation parentale avant l'âge de 15 ans, sans exception.

L'amendement COM-3 est adopté.

Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure. - L'amendement COM-10 de notre collègue Bernard Fialaire vise à contraindre les réseaux sociaux à empêcher la consultation par les moins de 15 ans des contenus « inappropriés ».

La réalité du problème qu'il s'agit de traiter est incontestable : les jeunes sont confrontés à des contenus douteux sur les réseaux sociaux.

Cela dit, l'amendement pose deux problèmes.

Premièrement, il ne définit pas ce que sont les contenus « inappropriés ». Il existe déjà une procédure de signalement des contenus manifestement illégaux comme les contenus pédopornographiques ou les contenus terroristes, procédure prévue par la loi de 2004. Dans les autres cas, la frontière est beaucoup plus floue et, à vrai dire, impossible à tracer.

Deuxièmement, le cadre posé par le droit européen ne permet pas un contrôle a priori des contenus postés par les internautes sur les réseaux, et encore moins leur classement en « approprié » et « inapproprié ».

Les avancées du projet de loi d'adaptation du droit national au règlement DSA, qui sera prochainement examiné par le Sénat, devraient permettre de mieux réguler les contenus, l'objet du texte que nous examinons aujourd'hui étant plutôt le contrôle de l'accès.

Avis défavorable.

L'amendement COM-10 n'est pas adopté.

Mme Alexandra Borchio Fontimp. - L'alinéa que l'amendement COM-4 vise à supprimer est superfétatoire, les missions de la Cnil étant clairement définies.

L'amendement COM-4 est adopté.

Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure. - Compte tenu des enjeux en matière de protection des données personnelles, il paraît prudent d'appuyer le décret qui doit être pris en Conseil d'État pour l'application de l'article 2 sur un avis de la Cnil : tel est l'objet de l'amendement COM-5.

L'amendement COM-5 est adopté.

Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure. - L'amendement COM-6 vise à supprimer, au sein de l'article 2, les mesures d'entrée en vigueur décalée pour la vérification de l'âge des personnes déjà inscrites et pour le contrôle de l'Arcom sur les réseaux sociaux.

Je proposerai un article additionnel après l'article 5 prévoyant une nouvelle date d'entrée en vigueur et de nouveaux délais tenant compte de la saisine de la Commission européenne.

L'amendement COM-6 est adopté.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 3

Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure. - L'article 3 transpose par anticipation le projet de règlement européen relatif aux injonctions européennes de production et de conservation de preuves électroniques en matière pénale. Il fixe des délais pour les demandes d'information adressée par l'autorité judiciaire aux plateformes et intermédiaires techniques : ceux-ci seraient de dix jours, ramenés à huit heures en cas d'urgence.

Or la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale est plus large que celle qui est contenue à l'article 9 du projet de règlement, ce dernier ne visant pas les atteintes aux biens.

Dès lors, il est proposé de s'en tenir aux « risques imminents d'atteinte grave aux personnes », ainsi qu'il est prévu dans le règlement.

L'amendement COM-7 est adopté.

L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 4

L'article 4 est adopté sans modification.

Article 5 (nouveau)

Mme Alexandra Borchio Fontimp. - L'article 5 prévoit la remise par le Gouvernement d'un rapport sur l'opportunité d'un rapprochement entre deux plateformes d'appel : le 3018, dont l'opérateur est l'association e-Enfance et qui agit avec le soutien du ministère de l'éducation nationale, apporte une aide aux personnes victimes de violences numériques - cyberharcèlement, usurpation d'identité, violences à caractère sexiste ou sexuel, etc. ; le 3020, subventionné par le ministère de l'éducation nationale et dont l'opérateur est l'École des parents et des éducateurs d'Île-de-France, s'adresse aux élèves, aux familles et aux professionnels témoins ou victimes d'une situation de harcèlement entre élèves.

Outre qu'une telle étude n'est pas du niveau de la loi, les auditions menées ont souligné l'utilité de ces deux dispositifs, mais également leurs caractéristiques différentes : ils diffèrent par leurs missions comme par leurs publics. Il ne paraît donc pas pertinent de fragiliser ces structures.

Cela n'empêche au demeurant en rien le Gouvernement de mener une réflexion sur l'évolution de ces services afin de mieux les faire connaître et de les rendre plus efficaces.

L'amendement COM-8 est adopté.

L'article 5 est supprimé.

Après l'article 5

Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure. - La présente proposition de loi devra faire l'objet d'une notification à la Commission européenne en application de la directive du 9 septembre 2015.

Il s'agit de s'assurer que les textes envisagés sont compatibles avec la législation européenne et avec les principes qui s'appliquent au marché intérieur.

Il est donc proposé, par l'amendement COM-9, de sécuriser juridiquement le dispositif en décalant son entrée en vigueur après la réception de la réponse de la Commission européenne. Un décret fixerait la date de cette entrée en vigueur, qui ne pourrait être postérieure de plus de trois mois à cette réception par le Gouvernement de l'avis de la Commission. En conséquence, il est proposé de décaler d'autant l'application des dispositions initialement contenues à l'article 2 de la proposition de loi.

Ainsi, les plateformes devront vérifier l'âge des inscrits dans les deux ans qui suivent l'entrée en vigueur ; elles seront soumises, pour les nouveaux inscrits, à la régulation de l'Arcom un an après l'entrée en vigueur.

Ce délai supplémentaire de quelques mois devra être mis à profit pour anticiper au mieux les difficultés techniques relatives au contrôle de l'âge et à l'autorisation parentale.

L'amendement COM-9 est adopté et devient article additionnel.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1er bis (nouveau)

Mme BORCHIO FONTIMP, rapporteure

1

Amendement rédactionnel

Adopté

Article 2

Mme BORCHIO FONTIMP, rapporteure

2

Autorité parentale d'un seul parent requise pour une inscription sur les réseaux sociaux.

Adopté

Mme BORCHIO FONTIMP, rapporteure

3

Suppression des réseaux sociaux labellisés accessibles aux moins de 13 ans

Adopté

M. FIALAIRE

10

Empêcher les réseaux sociaux de proposer la consultation par les moins de quinze ans de contenus « inappropriés ».

Rejeté

Mme BORCHIO FONTIMP, rapporteure

4

Suppression d'un alinéa superfétatoire

Adopté

Mme BORCHIO FONTIMP, rapporteure

5

Ajout d'un avis de la CNIL sur le décret en Conseil d'Etat

Adopté

Mme BORCHIO FONTIMP, rapporteure

6

Suppression des dispositions d'entrée en vigueur décalées de certaines dispositions de l'article 2, réintroduite par l'amendement COM-9

Adopté

Article 3

Mme BORCHIO FONTIMP, rapporteure

7

Précision sur le champ des demandes d'informations de l'autorité judiciaire aux plateformes et intermédiaires techniques

Adopté

Article 5 (nouveau)

Mme BORCHIO FONTIMP, rapporteure

8

Suppression

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article 5 (nouveau)

Mme BORCHIO FONTIMP, rapporteure

9

Précision sur les délais d'entrée en vigueur, reportés trois mois après réception des observations de la commission européenne

Adopté

Mission de réflexion sur le financement des politiques publiques en direction de la filière musicale - Présentation du rapport relatif à la stratégie de financement de la filière musicale en France

M. Laurent Lafon, président. - Nous avons le plaisir de recevoir notre collègue Julien Bargeton, auteur du rapport intitulé La stratégie de financement de la filière musicale en France. Faire du Centre national de la musique l'outil d'une nouvelle ambition. Il est accompagné de M. François Hurard, inspecteur général des affaires culturelles, de M. Guillaume Lachaussée, inspecteur des finances, et de Mme Aude Charbonnier, inspectrice des finances. Vous avez remis votre rapport, commandé par la Première ministre en octobre 2022, à la ministre de la culture le 20 avril dernier. Inutile de rappeler à quel point il était attendu par les acteurs de la filière musicale et, au-delà, par l'ensemble du monde de la création.

Cette attente était pour partie justifiée par la difficulté de votre mission : définir, en quelques mois, les moyens de lever les incertitudes auxquelles se trouve confronté le Centre national de la musique (CNM) depuis la fin de la pandémie, en recherchant, aux termes de votre lettre de mission, « un consensus aussi large que possible autour de vos propositions ».

Nous avions constaté, lors d'une table ronde rassemblant les principaux acteurs du secteur autour de Jean-Philippe Thiellay, président du CNM, le caractère difficilement conciliable, voire contradictoire, des attentes des différentes organisations à l'égard du Centre.

Nous avions aussi mesuré à quel point les questions posées en 2020 par Jean-Raymond Hugonet, alors rapporteur du projet de loi relatif à la création du CNM, demeuraient d'actualité deux ans après : quel financement ? Avec quelle participation des différents acteurs ? Quelles missions pour cette « maison commune de la musique » ?

Nous sommes, bien entendu, désireux d'entendre vos réponses. Votre rapport dépasse d'ailleurs largement la taxe dite streaming, que la presse a largement retenue. Nous attendons, non sans impatience, leur traduction législative, que la ministre de la culture s'est engagée à présenter dès l'examen du prochain projet de loi de finances.

M. Julien Bargeton, auteur du rapport relatif à la stratégie de financement de la filière musicale en France. - Je vous remercie de nous donner l'occasion de débattre de ces questions. Ma conviction est que, au-delà du CNM, qui polarise, le temps est venu d'avoir une stratégie ambitieuse pour la musique en France. Certaines politiques sont bien installées parce qu'elles disposaient de centres nationaux parfois plus anciens que le ministère la culture : le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) et le Centre national du livre (CNL). Jusqu'à la création du CNM en 2020, la musique n'avait jamais bénéficié d'une telle impulsion, de surcroît polarisée par le covid. Le plan Landowski avait marqué les esprits parce qu'il concernait l'éducation musicale et le tissu national des orchestres et des opéras, mais la musique n'aura eu un tel élan que sous le ministère de Jack Lang, marqué par les scènes de musiques actuelles (Smac) et la prise en compte des musiques nouvelles.

Notre stratégie doit avoir pour premier pilier l'exportation, de l'enregistrement comme du spectacle vivant. La compétition autour du soft power et de l'influence culturelle est forte. La France perd des places dans le monde malgré une progression en chiffres absolus : elle est désormais septième, juste devant la Corée du Sud, qui peut nous dépasser avec sa stratégie très offensive autour de la K-pop. Il faut aider davantage de tournées et promouvoir nos artistes. Certaines réussites, dans le classique et dans les musiques nouvelles, sont bien connues, mais il faut mettre le paquet sur l'exportation.

Le deuxième pilier est l'innovation, qui touche tout particulièrement le secteur de la musique : le piratage est à l'origine de la crise du disque. La technologie a toujours changé les choses, dès le 78 tours par exemple - certains chefs accéléraient les ouvertures pour que les morceaux tiennent sur les disques. Les sets de jazz ont changé avec l'enregistrement. Le streaming, la blockchain, les jetons non fongibles (NFT - non-fongible tokens), les métavers et l'intelligence artificielle, avec la création automatique de morceaux, percutent le secteur de la musique.

Le troisième pilier est la préservation de la place des indépendants. Il faut maintenir un écosystème, avec des majors, mais aussi des entreprises de taille intermédiaire (ETI), des petites et moyennes entreprises (PME) et des artisans, et se prémunir des effets de la concentration et des phénomènes du 360 degrés et de la plateformisation. Nous devons aussi maintenir les centres de décision et la création de richesses en France, et défendre la chaîne qui va des indépendants aux producteurs : les premiers ont souvent, en effet, un rôle de découvreur.

Quatrième pilier : il faut renforcer la dimension territoriale de la musique, notamment en matière de formation et d'emploi. Les enjeux de transformation des métiers sont considérables. Il y a certes déjà les contrats de filière et les conventions du CNM, mais il faut aller beaucoup plus loin pour que chaque région, métropole ou territoire rural bénéficie de transferts de savoir-faire et du partage des compétences et des bonnes pratiques. Tout cela s'appuie sur l'observation, dont la filière manque. Le syndicat national de l'édition phonographique (Snep) produit certes des chiffres, mais le pôle d'observation, repris par le CNM, n'a jamais suffisamment exercé ses missions pour étayer un accord et des politiques publiques.

Toutefois, la musique française représente 45 % des écoutes, pour 14 % des références, contre 43 % des écoutes et 56 % des références pour la musique anglophone. Pour le top 1 %, 25 % des écoutes concernent le bas de catalogue, c'est-à-dire les références de plus de 10 ans. Si l'on retire ce top 1 %, on atteint 30 % des écoutes.

Les introductions en bourse montrent que la valeur se déplace. Les catalogues de Bruce Springsteen et de Bob Dylan se sont chacun vendus à 500 millions d'euros.

L'état de la musique permet et justifie notre stratégie : il y a un rattrapage de la crise du disque au niveau mondial. Nous ne sommes plus en 2017, le chiffre d'affaires mondial de la musique, en 2022, a rattrapé celui du début des années 2000, en se déplaçant : le streaming représente 61 % des revenus, le téléchargement baisse et le disque s'est effondré. Le rattrapage n'est pas complet en France, même si les revenus du streaming ont doublé en quatre ans. Ainsi, nous avons moins d'abonnés aux plateformes - 18 % de la population - que d'autres pays, d'où un chiffre d'affaires de 920 millions d'euros seulement. Toutefois, le streaming progresse de 15 % par an.

Le spectacle vivant, pop et rap notamment, a repris après le covid - c'est moins le cas pour d'autres esthétiques. Les plus grandes jauges se portent bien, mais les plus petites souffrent : la reprise est donc contrastée.

Nous manquons de données sur la répartition de la valeur, mais nous savons que, malgré un cadre juridique de rémunération des auteurs constant depuis 1985, l'autoproduction, l'éclatement des activités et l'émergence du 360 degrés déplacent la valeur en faveur des majors. En effet, le streaming reverse 70 % des revenus aux ayants droit, mais cela dépend largement du type de contrat passé entre l'artiste et la maison de production.

L'état de la musique permet donc la création de richesses, mais les défaillances et les imperfections du marché justifient une intervention. Je pense à la défense des esthétiques fragiles, à l'émergence de nouveaux groupes et à l'accès à la culture dans les territoires.

Cela justifie le rôle du CNM. Créé en 2020, il a assuré un soutien, efficace et universellement reconnu, durant la crise, ce qui a sauvé la filière. Depuis, il commence à la rassembler, alors qu'elle est très éclatée entre les types d'entreprises et les activités, et qu'elle manque d'objectifs partagés face à la puissance publique. Le nombre même d'auditions que nous avons menées - pas moins de 250 - le montre... Cette maison commune doit rassembler les esthétiques autour de commissions, qui mettent certes du temps à attribuer des aides, mais elles sont un début. Peut-être faudrait-il resserrer le conseil d'administration et le canal des aides, car nous en identifions quarante. Surtout, le CNM doit être le bras armé de cette nouvelle stratégie.

Concernant le financement, nous avons tout d'abord examiné la fiscalité, avec la taxe sur les objets connectés et la taxe sur le numérique. La première ne rapporterait que très peu, elle est complexe à mettre en oeuvre et doit prendre en compte la copie privée. Beaucoup rêveraient d'affecter une partie de la seconde, qui a un rendement de 650 millions d'euros, mais elle disparaîtra quand l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) reprendra le sujet. En outre, l'affectation avait été écartée dès le départ. Reste le budgétaire, mais le contexte tendu rend difficile l'octroi de 30 à 40 millions d'euros au CNM. Nous proposons donc une contribution sur ce qui fonctionne : le streaming, sur le modèle du spectacle vivant, qui acquitte la taxe billetterie de 3,5 %. Nous proposons de baisser simultanément le droit de tirage sur cette taxe, c'est-à-dire la partie restituée aux artistes, de 65 % à 50 %, pour laisser plus de place aux aides sélectives. Nous arriverions ainsi à un taux effectif de 1,75 %, la moitié de 3,5 %. Le taux de contribution serait le même pour le streaming.

Ce n'est en revanche pas le moment de revenir sur les crédits d'impôt, en cours d'évaluation.

Cela pérenniserait le CNM en rythme de croisière. La musique, comme les autres industries culturelles, aurait son centre national. Nous l'étendrions au classique, qui a, globalement, accepté d'être inclus dans la taxe billetterie. Ainsi, comme pour le cinéma, chaque canal finance le secteur. L'aval finance l'amont, le catalogue ancien finance le renouvellement.

Pour la première fois, neuf organisations syndicales et professionnelles ont manifesté leur soutien au rapport, notamment le syndicat national du spectacle musical et de variété (Prodiss), le syndicat des musiques actuelles (SMA) et les Forces musicales, pour le classique. Restent les trois grandes majors, qui y sont opposées. Aucune n'a d'ailleurs son centre de décision en France, contrairement au livre ou au cinéma. Enfin, les producteurs ont des positions plus diverses.

Malheureusement, nous n'avons pas pu aborder suffisamment l'éducation musicale, qui mériterait une autre mission.

Le rapport se concrétisera dans le projet de loi de finances (PLF).

M. Jean-Raymond Hugonet. - Je vous remercie pour ce rapport intéressant. Nous voilà donc au rendez-vous, trois ans après avoir porté le CNM sur les fonts baptismaux. Nous avions alors mis en avant l'écueil des conditions financières. Voyant toujours le verre à moitié plein, je me réjouis de la publication du rapport. Cependant, les mots de « stratégie ambitieuse » m'inspirent la même crainte que celui de « simplification » : celle d'annonces n'aboutissant qu'à un maigre résultat.

Je ne réduirai pas le rapport de notre collègue, que je salue, à la création de taxes - puisque c'est bien de cela qu'il s'agit -, mais je souhaiterais connaître la position du ministère pour la suite. Le CNM a été créé dans la continuité du rapport de Roch-Olivier Maistre présenté en octobre 2017 et intitulé Rassembler la musique pour un centre national. Il était limpide parce qu'il considérait l'écosystème de la musique, mais aussi et surtout la matière première musicale. Vous mentionnez l'éducation musicale, insuffisamment traitée, mais tout commence là ! En France, la musique n'est pas considérée comme le patrimoine qu'elle est. Pourquoi ? Les droits d'auteur sont un patrimoine français : pourquoi toujours aborder ces questions sous l'angle du business ? Personne ne régulera jamais la créativité, qui s'acquiert et se travaille par l'éducation musicale.

Je me méfie des stratégies ambitieuses parce que j'y vois non pas l'ambition, mais simplement un moyen de financement, qui n'était pas prévu initialement et sans lequel nous nous sentons bien dépourvus. Il faut, certes, régler le problème et le mal constant de la dispersion du milieu de la musique, au sein duquel les points de vue changent avec l'âge des personnes concernées. J'en sais quelque chose... Mais ces positions changent aussi en fonction du business de la musique.

Vous avez cité - c'est révélateur - Bob Dylan et Bruce Springsteen, le Boss, qui ont chacun vendu leurs droits pour 500 millions d'euros. De même, les membres du groupe Pink Floyd - son fondateur, même s'il n'est pas à l'abri de balivernes politiques, reste un génie du XXe siècle et a donné un excellent concert la semaine dernière - se détestent cordialement, notamment pour des raisons financières. À l'inverse, John Fogerty, fondateur de Creedence Clearwater Revival et qui se produit à Paris le 31 mai, a fait le contraire. Après cinquante ans de travail, parce qu'il est un musicien passionné, il a racheté, à 77 ans, les droits de ses musiques - une maison de disques l'en avait empêché à la signature de son premier contrat.

Nous avançons dans le bon sens, mais nous restons loin du compte.

Mme Sylvie Robert. - Votre rapport est bienvenu. En effet, lors de l'examen du dernier projet de loi de finances, nous posions la question du financement du CNM et des 20 millions d'euros manquants selon son directeur. Vos propositions financières et vos recommandations seraient d'ordre législatif si la ministre de la culture devait les reprendre.

Au-delà, la prolongation des crédits d'impôt - je l'affirme, en tant que rapporteure pour avis du PLF - est un point fondamental. Nous devons en effet, de plus en plus, batailler sur ce point lors de l'examen des lois de finances. Je salue donc vos préconisations, d'autant plus importantes qu'elles s'appuient sur une vision stratégique. Dans les prochaines années, il faudra continuer à intervenir sur ce secteur en constante évolution.

Cela n'était pas dans votre lettre de mission, mais quel est votre avis sur la distinction entre la rémunération dite market centric - liée à l'audience globale, donc au marché - et user centric - c'est-à-dire liée à l'écoute individuelle de l'utilisateur ? Faut-il basculer vers la seconde ? Pour quelles incidences ? Qu'en pensent les acteurs ? On voit bien l'esthétique musicale qui ressort de la rémunération sur un marché préalablement défini.

Ensuite, je suis surprise de l'absence de réflexion sur le secteur non marchand et de l'effet des politiques publiques de la production et sur la diffusion, notamment la transition écologique. Celle-ci conditionne aussi l'intervention des collectivités. Élue à Rennes, je témoigne que les Trans Musicales sont un laboratoire très intéressant, qui ne fait appel à aucune tête d'affiche. Elles illustrent l'évolution de la filière, le rôle des indépendants et l'importance d'un modèle économique public. Peut-être les politiques publiques, au-delà du CNM et des festivals, sont-elles la prochaine étape de votre réflexion ? En effet, la concentration fragilise certains segments de la filière. Le CNM et les politiques publiques pourraient la rééquilibrer.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Je félicite à mon tour le rapporteur. Il était temps d'avoir une stratégie forte pour la musique en France. Toutefois, comme l'a dit Jean-Raymond Hugonet, elle est incomplète, faute d'éléments sur l'éducation et la formation artistique : les conservatoires sont en berne, le système est thrombosé et la décentralisation est en panne, malgré la loi de 2017. Roselyne Bachelot a bloqué le système et n'a pas opéré le transfert de financement correspondant aux schémas régionaux d'enseignement artistique.

La formation est l'avenir de toutes les musiques, patrimoniales et actuelles. Le rôle des collectivités, notamment des régions, est important pour structurer la filière, comme pour le cinéma et le livre. Une réflexion sur la décentralisation mériterait donc d'être menée, pour plus d'efficacité autour des agences régionales, en lien avec le CNM.

Si rapprocher l'ensemble des musiques est louable, n'oublions pas la spécificité de la musique de patrimoine et de création : nos orchestres et opéras sont des structures publiques, financées par la direction générale de la création artistique (DGCA) et, aux deux tiers, par les collectivités. Ainsi, les agences sont très utiles à l'ensemble du secteur, mais, faute de parole de la ministre, nous ne voyons toujours pas leur articulation avec le CNM. Il y a une demande forte de clarification : le CNM doit être le bras armé du déploiement de la stratégie musicale du ministère.

En revanche, tout le monde n'est pas d'accord sur la taxe sur la billetterie : si le syndicat des Forces musicales manifeste son intérêt, les associations - entre autres, la Réunion des opéras de France (ROF) et l'Association française des orchestres (AFO), mais aussi les associations d'élus, car les collectivités assurent des financements - n'ont pas été consultées. Combien de salles ferment ? Le financement est central, alors que la suppression de la taxe d'habitation prive les collectivités de marge de manoeuvre. Les aides ponctuelles du ministère ne freinent pas la fragilisation du secteur. La hausse du prix du billet reste la seule solution.

Enfin, il faudrait revenir sur la représentation des collectivités dans la gouvernance du CNM.

Mme Sylvie Robert. - Nous l'avions déjà dit, en effet.

Mme Catherine Morin-Desailly. - La nécessité d'un accord entre départements, régions et communes pour désigner un représentant, conjuguée à la parité, laisse bien des sièges vides. Il faut parfois deux ans pour désigner une personne.

Mme Céline Brulin. - Le rapport dresse bien le constat de l'éclatement du secteur. Le CNM a certes joué son rôle malgré le covid, mais il doit maintenant mener une nouvelle offensive, alors qu'il y a un problème originel de financement.

Jean-Raymond Hugonet m'ôte presque les mots de la bouche quant aux relations entre musique et business : vous avez entamé votre présentation en parlant de stratégie d'influence, mais votre rapport est bien plus complet que cela. Nous l'accueillons d'un bon oeil, malgré les bémols mentionnés par Sylvie Robert et Catherine Morin-Desailly. En particulier, sans aller jusqu'à parler de ruissellement, la taxe streaming améliore le partage de la valeur, mais on connaît l'opposition et l'influence des majors. Nous oeuvrerons en ce sens lors de l'examen du PLF, mais quelle est la chance d'aboutir de cette taxe ?

M. Laurent Lafon, président. - Nous avions en tête un besoin de 20 millions d'euros, alors que vous parlez de 40 millions d'euros : comment arrivez-vous à ce montant ? Est-ce l'estimation des besoins ou des recettes attendues ?

Ensuite, le secteur se porte bien. Compte tenu de cette vitalité, que représentent 20 millions d'euros par rapport au chiffre d'affaires du streaming ?

Quel serait l'effet d'une taxe ? Vous mentionniez que 70 % sont reversés aux ayants droit. La taxe augmenterait-elle le coût des abonnements, ou aurait-elle un effet de ruissellement sur lesdits ayants droit ?

Enfin, le rapport comporte une expression sibylline : « la gouvernance doit être réinterrogée. » Pourriez-vous la clarifier ?

M. Julien Bargeton. - Cher Jean-Raymond Hugonet, le rapport développe largement la matière musicale, même si j'ai insisté sur la stratégie dans ma présentation. J'ai constaté, comme vous, la dispersion des points de vue et le fait que les personnes changent de position au cours de leur carrière, ce qui explique la situation actuelle.

Malheureusement, l'éducation musicale n'était pas l'objet du rapport. Développer la question des conservatoires, qui est un sujet à part entière, aurait été de trop : c'est pourquoi j'insiste sur le besoin d'une nouvelle mission.

La récente taxe sur Netflix n'a pas créé de cataclysme sur les plateformes.

Nos analyses ont montré à quel point une forte ambition est nécessaire pour le secteur. Ne pourrait-on pas s'approprier, ensemble, les innovations qui perturbent le système ? La musique française a besoin que l'on corrige les imperfections de marché, et que l'on aide les territoires et les esthétiques en difficulté - classique, musiques du monde, jazz. Il s'agit aussi de développer de nouvelles stratégies. C'est au CNM d'agir et d'être financé pour cela.

Bien sûr, le financement est d'ordre législatif. Merci à Sylvie Robert pour son soutien sur les crédits d'impôt.

Je ne suis pas certain, en revanche, que ce soit le rôle de la puissance publique de trancher entre market centric et user centric. En Allemagne, les études sont contradictoires. La différence observée entre les deux approches, de 10 à 15 %, est faible pour certains secteurs, mais élevée pour, par exemple, le classique. Choisir une option, avec davantage de données, serait le rôle du CNM. Pour le moment, certaines plateformes passent à l'user centric. D'ailleurs, les utilisateurs sont souvent convaincus, à tort, que c'est déjà le cas.

Vous nous reprochez de ne pas faire plus de développements sur le non-marchand, mais nous insistons largement sur le volet territorial, avec, par exemple, le partage des compétences en Nouvelle-Aquitaine, avec la transition écologique et l'égalité femmes-hommes en ligne de mire. Je pense aussi aux conventions signées, notamment, par la ville de Clermont-Ferrand. Bien sûr, il faut maintenir la diversité du spectacle vivant : les grands festivals, mais aussi les plus petits, qui favorisent l'émergence, sans oublier ceux qui permettent aux artistes à mi-chemin entre leur début et le statut de grande star de se produire.

Mme Sylvie Robert. - Les contrats d'artistes explosent. Même pour les Vieilles Charrues, ces montants sont inadmissibles ! Quand on soutient des festivals, cela interroge la puissance publique, alors que les budgets des collectivités sont contraints.

M. Julien Bargeton. - Tout à fait. Le rapport le mentionne.

Le CNM doit être la maison de toutes les musiques, y compris du classique, qui a bénéficié d'aides sans y contribuer. Nous attendons 5 à 6 millions d'euros de la billetterie, mais Diapason et France Musique ont bien reçu l'idée d'une contribution du classique. Certes, il y a le droit de tirage, mais le classique en bénéficierait aussi. Les cinémas, même associatifs, font tous l'objet de la taxe billetterie, de même que les Smac, qui reçoivent des aides. Tout cela est sans préjudice du soutien aux opéras et aux orchestres.

Un outil stratégique d'ensemble ne peut ignorer le classique, dont les acteurs veulent démontrer leur allant pour une stratégie collective.

Chère Céline Brulin, la majorité précédente a porté à 5,15 % la taxe sur la diffusion en vidéo physique et en ligne de contenus audiovisuels, dite taxe Netflix, et l'a associée à des obligations de diffusion de productions françaises. Il n'y a pas eu de hausse du coût de l'abonnement, décidé selon des stratégies mondiales de grands groupes. Monsieur le président, une hausse de 1,75 %, soit 15 centimes par abonnement, est donc tout à fait supportable pour les majors comme pour le consommateur.

L'estimation de 40 millions d'euros part des besoins. Le rapport de Pascal Bois et d'Émilie Cariou sur la Mission de préfiguration du Centre national de la musique mentionnait déjà 10 millions d'euros supplémentaires pour soutenir l'exportation, et nous avons perdu une place depuis. Le rapport de Roch-Olivier Maistre le mentionnait d'ailleurs déjà.

L'innovation préoccupe aussi la filière - Jean-Michel Jarre, qui préside la commission du Fonds d'aide à la création immersive du CNC, m'en a longuement parlé.

Sur la gouvernance, le modèle d'un conseil d'administration plus restreint et d'un conseil professionnel élargi me semble plus efficace. Ainsi, le CNC, avec sa commission élargie dite Chavanne, pourrait inspirer le CNM. En effet, beaucoup des personnes que nous avons rencontrées ont demandé à siéger au conseil d'administration, qui compte déjà 27 membres. Les commissions, resserrées, efficaces, sont un bon moyen d'associer le secteur. Le CNM a tout de même douze missions, il faut qu'il se concentre sur certaines dimensions.

M. François Hurard, inspecteur général des affaires culturelles. - L'estimation de 40 millions d'euros n'est pas bien sûr issue d'un pilotage par la recette. Ainsi, le CNM lui-même, dès 2020, envisageait un budget pérenne minimal, hors aides exceptionnelles en période de crise sanitaire, de 38 millions d'euros de dépenses d'intervention pour assurer ses douze missions. L'aide à l'export, dans cette épure, est comparable à celle du bureau export de la musique française (Burex) qui l'a précédé. Nous avons identifié des besoins nouveaux en la matière, pour un total de 15 millions d'euros - le rapport Bois-Cariou le soulignait.

La commission du Fonds d'aide à la création immersive du CNC, présidée par Jean-Michel Jarre, est en pointe sur l'innovation. Cependant, elle se voit obligée de soutenir aussi le monde musical. Il est paradoxal que le CNM ne puisse pas le faire, alors que le secteur est particulièrement concerné par l'innovation.

M. Guillaume Lachaussée, inspecteur des finances. - Les deux tiers des 900 millions d'euros de chiffre d'affaires de la musique enregistrée en France proviennent du streaming. Le reste relève essentiellement du vinyle, qui progresse, et du CD, qui s'affaisse. Or, faute de données, nous en sommes réduits à reconstituer les informations à partir les revenus du streaming.

Ainsi, l'étude du CNM sur les conséquences du passage du market centric à l'user centric n'a pu aboutir pleinement, alors que, pour le CNC, les informations remontent directement en raison des demandes d'aides et des taxes. Attention au saupoudrage : ne poser que la question du financement, c'est prolonger la fragmentation de la filière. Il revient au CNM, qui a grandi dans un contexte de crise, de continuer à bien associer les professionnels et d'assurer un effet de levier.

Certaines questions que vous avez posées concernent des dispositifs qui fonctionnent déjà, comme le soutien à la musique patrimoniale. Sur la partie marchande de la musique, rappelons que même les secteurs qui fonctionnent ont bénéficié du soutien public : redistribuer et mettre toute la filière autour de la table n'est donc pas absurde. Les contrats de filière, qui existaient déjà du temps du Centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV), se sont renforcés avec le CNM, qui a agi avec certaines régions, certains départements et certaines métropoles, notamment dans les domaines de l'emploi et de la transmission de savoirs.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Julien Bargeton a raison de mentionner le grave manque de capacité d'observation. De plus, le soutien à l'exportation est fondamental, dans le respect du développement durable.

Certes, les musiques actuelles sont nettement moins subventionnées que la musique classique. Toutefois, les masses salariales et les besoins de formation sont sans commune mesure, car nous parlons d'orchestres permanents. Je vous invite donc à prendre en compte les conclusions des missions pour un nouveau pacte symphonique et sur la politique de l'art lyrique en France, diligentées par Roselyne Bachelot.

M. Julien Bargeton. - C'est pourquoi je souligne le besoin d'études et de concertation.

M. Laurent Lafon, président. - Je salue la qualité de votre rapport très complet. Il ne faut pas le résumer à la taxe sur le streaming, mais je note qu'elle est bien mieux reçue qu'il y a un an...

La réunion est close à 11 heures 40.