- Mercredi 3 mai 2023
- Fin de vie - Audition de sociétés savantes
- Bilan annuel de l'application des lois - Communication
- Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à améliorer l'encadrement des centres de santé (deuxième lecture) - Examen du rapport et du texte de commission
- Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à favoriser l'accompagnement des couples confrontés à une fausse couche - Examen des amendements au texte de la commission
- Questions diverses
Mercredi 3 mai 2023
- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Fin de vie - Audition de sociétés savantes
Mme Catherine Deroche, présidente. - Mes chers collègues, nous débutons nos travaux de ce jour par une audition commune de sociétés savantes au sujet de la fin de vie.
J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat, qui sera ensuite disponible en vidéo à la demande.
Cette audition s'inscrit dans le cadre des travaux que nous conduisons sur la question de la fin de vie, menés par nos rapporteures, Christine Bonfanti-Dossat, Corinne Imbert et Michelle Meunier, ou en plénière, comme ce fut le cas avant la suspension des travaux parlementaires, avec une table ronde sur les enjeux philosophiques de ce sujet, puis une autre table ronde sur les enjeux juridiques de ce sujet.
Nous avons le plaisir d'accueillir :
- le Dr Emmanuel de Larivière, qui représentera la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) ;
- le Pr Jacques-Olivier Bay, représentant de la Société française du cancer ;
- le Dr Sophie Moulias, qui représentera la Société française de gériatrie et gérontologie ;
- et le Pr Jérôme Honnorat, président de la Société française de neurologie.
Madame, Messieurs, je vous remercie d'avoir accepté de participer à cette table ronde et vous propose de commencer cette audition commune par un propos liminaire relativement bref, afin de laisser toute leur place aux échanges qui suivront, d'abord à partir des questions des commissaires que pourront compléter les rapporteures si elles le souhaitent.
Monsieur de Larivière, vous avez la parole.
Dr Emmanuel de Larivière, représentant de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs. - Je suis médecin de soins palliatifs dans une institution bordelaise petite par sa taille, mais importante sur le plan des soins palliatifs à Bordeaux et en Gironde, établissement dans lequel se trouve un service de soins de suite, avec des lits dits identifiés de soins palliatifs destinés à accueillir des patients atteints de tumeur cérébrale. Je suis responsable du pôle de soins palliatifs, qui compte une unité de soins palliatifs de douze lits et une équipe mobile de soins palliatifs à la fois intrahospitalière et extrahospitalière, qui intervient à domicile et en établissement médico-social, essentiellement en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Nous comptons également à Bordeaux un hôpital de jour de soins palliatifs, modèle qui devrait se développer à l'avenir. Cet hôpital a pour mission d'accueillir des patients ambulatoires qui sont à domicile pour une évaluation pluridisciplinaire autour des problématiques de la fin de vie et des soins palliatifs.
Je représente aujourd'hui la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs, qui est une société savante créée dans les années 1990. Son objectif est de défendre une certaine idée du soin et de l'accompagnement, autour de trois refus : le refus d'abandonner le malade, le refus de l'obstination déraisonnable - qui reste une réalité aujourd'hui -, et le refus de donner délibérément la mort et de pratiquer une injection létale, quelles qu'en soient les modalités, euthanasie ou suicide assisté.
Pr Jacques-Olivier Bay, représentant de la Société française du cancer. - Merci d'avoir invité la Société française du cancer pour évoquer la fin de vie au regard de cette maladie, qui est malheureusement très fréquente et dont le nombre de malades augmente, ne serait-ce que par la chronicité du cancer. La fin de vie est un sujet important pour nous, car de nombreuses pathologies cancéreuses ne sont pas guérissables. Reste à définir cette fin de vie, parfois dans sa longueur, car certains malades peuvent vivre très longtemps.
En ce qui me concerne, je suis professeur des universités en oncologie médicale, avec une activité à la fois en hématologie, plus spécifiquement en onco-hématologie, mais également en oncologie médicale. J'assure la direction de ces deux services au sein du centre hospitalier universitaire (CHU) de Clermont-Ferrand.
Je représente ici la Société française du cancer. J'ai également l'honneur de présider le conseil d'administration de l'Agence de biomédecine, au sein de laquelle nous avons beaucoup travaillé sur ces sujets dans le cadre de la loi de bioéthique.
Dr Sophie Moulias, représentante de la Société française de gériatrie et gérontologie. - Merci d'avoir également convié la Société française de gériatrie. Je suis médecin gériatre, mais également docteur en éthique. Je travaille à l'hôpital Ambroise-Paré au sein de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris. J'y ai constitué en 2004 une unité de gériatrie aiguë. Actuellement, je développe l'équipe mobile gériatrique externe, dont l'objectif est de faire du soin dans les Ehpad et en ville afin de cultiver la culture gériatrique et palliative à l'extérieur de l'hôpital.
La gériatrie est une spécialité assez méconnue. Les patients sont d'ailleurs initialement assez réticents de s'adresser à nous ! Nous allions médico et psycho-social. À ce titre, nous avons développé de longue date une réflexion éthique tant sur l'approche et la qualité que la quantité des soins. Notre population est quelque peu particulière. On la limite souvent à la population d'Ehpad, alors que l'immense majorité des personnes âgées vivent à domicile. Les personnes extrêmement dépendantes qui vivent en Ehpad ne représentent, en effet, que moins de 5 % de la population à prendre en considération.
Nous rencontrons d'importants problèmes d'accès aux soins, que ce soit en ville ou à l'hôpital, la culture gériatrique n'étant pas suffisamment développée. Nous nous mobilisons de longue date sur plusieurs sujets. Le premier est l'âgisme, à savoir la discrimination du fait de l'âge, qui a toujours existé, mais qui s'est, sans doute, décomplexée depuis la covid. Nous sommes une société d'accompagnement. La mort fait partie de notre métier aussi bien que la vie, mais pour vivre, il faut accepter de vieillir. Aujourd'hui, ce qui devrait être un succès pour notre société, c'est-à-dire notre longévité hors norme par rapport à la majorité des pays du globe, semble être une problématique dont souffrent beaucoup la population âgée et notre spécialité. Nous avons également toute une tranche de métiers à développer, à savoir les métiers du grand âge en général, non seulement les métiers de soignants, mais aussi de nouveaux métiers qu'il reste à inventer. Ceci implique de réfléchir à la reconnaissance, aux savoirs, à la formation et au respect des uns et des autres. Nous évoquons très souvent le respect du patient, ce qui est tout à fait légitime, mais il faut également évoquer le respect du professionnel.
Pr Jérôme Honnorat, président de la Société française de neurologie. - Je suis neuro-oncologue à Lyon. Je m'occupe de la prise en charge des tumeurs cérébrales dans lesquelles les patients cumulent à la fois le cancer et le handicap neurologique qui survient assez rapidement, bien qu'il soit variable en fonction de la localisation de la tumeur. C'est une pathologie pour laquelle la mort est très prégnante. La tumeur la plus fréquente est, en effet, le glioblastome qui ne compte pas de traitement curatif. Cette maladie touche environ 3 000 patients en France, avec une médiane de survie d'environ 16 mois. Plusieurs patients sont ainsi systématiquement en soins palliatifs dans le service d'hospitalisation dont je m'occupe et qui prend également en charge tous les patients qui ont été diagnostiqués ou dont l'état s'aggrave.
Je représente aujourd'hui la Société française de neurologie. Au sein de notre société, la prise en charge des patients en fin de vie est extrêmement importante, tant pour les démences, qui ont une évolution extrêmement lente, les scléroses latérales amyotrophiques, qui présentent une médiane de survie de deux à trois ans et où les patients vont décéder en pleine conscience - même si cette notion mériterait sans doute d'être rediscutée - , les accidents vasculaires cérébraux et les accidents de la vie qui peuvent conduire à des handicaps extrêmement sévères, que les tumeurs cérébrales.
Je souhaiterais insister sur la façon dont les neurologues appréhendent la conscience et les phénomènes biologiques qui conduisent à cette capacité à appréhender le monde, qui se modifie en fonction de circonstances extérieures et propres à la personne. Pour prendre l'exemple de mon activité personnelle sur les glioblastomes, en 30 ans, je n'ai dû observer qu'un seul patient qui a réellement demandé à en finir. Chacun chemine et avance dans sa façon d'appréhender la maladie et le handicap n'est généralement jamais suffisant pour estimer qu'il faut s'arrêter.
Je souhaiterais également souligner le manque de moyens et d'enseignements dont disposent actuellement les médecins pour appréhender la fin de vie et sa prise en charge. Il existe des services de soins palliatifs, mais la situation est extrêmement hétérogène sur le territoire. Mon service compte par exemple en permanence deux à sept patients de soins palliatifs. Or le personnel supplémentaire alloué à cette activité est 0,8 ETP, ce qui ne correspond d'ailleurs à rien, car dans le même temps 1,2 ETP est en arrêt de travail pour différentes raisons. En réalité, ce sont les mêmes équipes qui font à la fois le diagnostic, le soin, le suivi et les soins palliatifs, et ce, avec très peu de moyens.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Vous qui vivez au quotidien ces fins de vie, ressentez-vous le besoin de légiférer de nouveau sur le sujet ? La ministre évoquait par exemple des cas comme ceux de la maladie de Charcot. Êtes-vous en phase avec les conclusions de la convention citoyenne ou ne pensez-vous pas que si nous allions plus loin, nous basculerions vers un autre modèle ?
Pr Jérôme Honnorat. - En ce qui concerne la neurologie, nous considérons disposer de l'arsenal nécessaire. Nous recourons à la sédation dans le cadre de la sclérose latérale amyotrophique pour des patients qui présentent une évolution de la maladie importante, qui sont insuffisants respiratoires, et pour lesquels la sédation va conduire à un arrêt de la vie un peu plus précoce et parfois dans des conditions bien plus apaisées et préparées. Pour les autres pathologies, entrent en ligne de compte les capacités du patient à décider. La fin de vie est, en effet, un élément extrêmement important de la vie. Certains patients nous rapportent d'ailleurs que les quatre, six ou huit derniers mois qu'ils ont vécus avec leur maladie leur ont semblé beaucoup plus condensés, plus forts, que ceux qu'ils avaient pu vivre auparavant. Ceci nécessite toutefois des échanges importants. Quand il n'y a plus de contact du tout, la situation est également difficile, mais je suis dubitatif sur le choix d'aller vite, car ceci peut impacter le processus de deuil des proches. Lorsque la situation est extrêmement tendue et complexe, les proches peuvent, en effet, considérer à un certain point qu'il est préférable que la personne parte. Dès lors, le processus de deuil est commencé. La problématique n'est ainsi pas simple. Aujourd'hui, la mort est cachée, elle se fait très souvent à l'hôpital et on oublie qu'elle est une évolution naturelle de la vie.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Dr Moulias, nous avons l'impression que nous mélangeons grand âge, grand handicap et cancer en phase terminale - c'est un peu du reste ce qu'a retraduit M. Comte-Sponville quand, auditionné par notre commission, il a indiqué être favorable au suicide assisté. Le grand âge fait pourtant aussi partie de la vie.
Dr Sophie Moulias. - M. Comte-Sponville est sans doute celui qui a tenu les propos les plus âgistes pendant l'épidémie de covid-19, ce qui est d'ailleurs quelque peu étonnant au regard de son âge. Le grand âge fait pourtant partie de la vie. Ce n'est pas une maladie. Même à un âge très avancé, on meurt toujours de maladie. Les centenaires ont plusieurs maladies chroniques et à un certain moment, l'une leur dit qu'il est temps de partir. On peut mourir tranquillement dans son lit sans soins palliatifs et sans douleur abominables. Il y a, en réalité la confrontation d'une posture philosophique à une posture pratique. C'est pour cela que nous sommes très inquiets au sein de la société française de gériatrie et gérontologie. La vision que nous avons du grand âge est assez négative. Pendant l'épidémie de covid-19, nous avons bien vu que nous adoptions volontiers une posture dominante au nom de la vulnérabilité, consistant à imposer aux autres ce qui nous semblait le mieux pour eux.
Nous sommes tous âgés de notre âge et le vieux ou le jeune de quelqu'un d'autre. Lorsque nous évoquons la « dépendance » dans le grand âge, nous lui préférons le terme de « handicap » chez les plus jeunes, alors qu'il serait peut-être plus simple d'utiliser le terme de « handicap » pour tous. Aujourd'hui, comme je l'ai indiqué plus tôt, nous résumons très souvent le grand âge à la démence et à l'Ehpad. Les personnes ne demandent pourtant pas à mourir en Ehpad ; elles demandent, que ce soit par leur parole ou leur corps, à être accompagnées, soignées et soulagées, et c'est une nécessité à laquelle nous ne parvenons pas à faire face partout. À mon sens, la loi Claeys-Leonetti est une loi destinée à accompagner les personnes qui vont mourir, alors que les conclusions de la convention citoyenne sont des arguments pour ceux qui veulent mourir. Les deux approches sont différentes. En tant que gériatre, je n'ai rencontré que très peu de personnes qui souhaitaient mourir et demander expressément à ce que l'on raccourcisse leur vie. En revanche, il y a des personnes qui souhaitent être soulagées et accompagnées. Il y a également des personnes qui disent « j'aimerais bien être morte », notamment en raison de l'isolement, que ce soit d'ailleurs à domicile ou en Ehpad. La souffrance sociale, même si elle ne se double pas nécessairement d'une souffrance psychologique, est une réalité quotidienne. Pour cette réalité, la mort ne nous paraît pas une réponse acceptable si nous ne mettons pas autre chose en place à côté.
Pr Jacques-Olivier Bay. - Mon confrère a évoqué des maladies terriblement dramatiques avec des atteintes neurologiques. En cancérologie, nous avons malgré tout une certaine « chance », celle de pouvoir nous appuyer sur l'organisation mise en place par l'INCa et les différents plans Cancer, qui nous ont permis de prendre conscience de toute l'utilité que pouvaient présenter les soins de support, et en leur sein, la prise en charge palliative.
Je rejoindrai les propos de mes confrères. Il est assez rare, y compris en cancérologie, de faire face à une demande de fin de vie brutale. Je ne dis pas que cela n'existe pas ; ce serait incongru de l'affirmer et c'est du reste peut-être ce qu'il faut aujourd'hui prendre en compte. La question est toutefois également de savoir pourquoi les patients en arrivent à ce souhait. Je constate bien souvent dans ma pratique que la loi Claeys-Leonetti n'est pas très bien appliquée. Il faudrait pour cela sensibiliser les médecins, les personnels paramédicaux, mais également l'ensemble de la société. Cette application permettrait de dénouer nombre de situations qui sont extrêmement complexes aujourd'hui. Je souhaiterais que nous insistions sur ce point, plutôt que de privilégier des « raccourcis ». Je pense que nous pouvons arriver à ces extrémités-là si tout a été fait avant. Or je ne pense pas que ce soit le cas aujourd'hui.
Dr Emmanuel de Larivière. - Je ne peux que confirmer ces propos sur les demandes de mort anticipée. De mon expérience de treize ans en médecine palliative - mon métier précédent était la médecine d'urgence -, le nombre de patients que j'ai accompagnés et qui ont persisté dans leur demande se compte sur les doigts d'une seule main. Ce qui est nouveau, c'est qu'il y a peut-être une accélération, du fait aussi sans doute du contexte médiatique et d'une évolution des représentations de la société. Cela reste néanmoins très anecdotique. Faut-il modifier la loi pour cela ? Je ne pense pas.
Vous évoquiez la sclérose latérale amyotrophique ou maladie de Charcot qui nécessiterait une évolution de la loi. Je suis beaucoup de patients atteints de cette maladie et je pense qu'il est important de ne pas les stigmatiser et de ne pas faire de cette éventuelle nouvelle loi une loi qui leur serait destinée. Certains ressentent d'ailleurs actuellement cette stigmatisation, avec le sentiment qu'ils seraient peut-être de trop sur cette Terre. Je trouve ainsi quelque peu inadapté que la ministre ait repris dans une interview récente l'exemple de la maladie de Charcot.
Je pense par ailleurs qu'il est important de ne pas réduire la loi Claeys-Leonetti à la sédation profonde et continue maintenue jusqu'au décès. Cette loi s'inscrit dans le prolongement de la loi Leonetti. J'ai d'ailleurs été assez touché par une tribune récente de Claire Fourcade, présidente de la SFAP, publiée conjointement avec un député communiste dans Le Journal du Dimanche, et qui affirmait que la loi Claeys-Leonetti était un « trésor national ». Je pense également que c'est le cas et que cette loi nous aide quotidiennement dans notre pratique de soins. Si nous instaurions une loi permettant l'administration d'un produit létal, ce serait effectivement un changement de direction. Nous nous occupons des patients qui vont mourir. S'il faut faire une nouvelle loi pour les patients qui veulent mourir, nous changerions de paradigme. Ce ne serait pas un prolongement des lois précédentes avec tout l'impact possible pour les professionnels de santé.
M. Bernard Jomier. - J'ai deux questions à vous poser. Monsieur de Larivière, vous avez rappelé dans votre première intervention que l'obstination déraisonnable était encore une réalité aujourd'hui. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ? Quels sont ses mécanismes ? Est-ce lié aux proches, aux soignants ?
Ma deuxième question nous amène au coeur du débat. Il est incontestable que nos concitoyens sont majoritairement favorables à l'ouverture d'un droit pour chacun à décider de sa fin de vie. La convention citoyenne a toutefois montré que le fait d'entrer dans les modalités d'application faisait apparaître une grande complexité et une grande diversité d'opinions. Il est tout aussi incontestable que l'ensemble des sociétés savantes et la très grande majorité des professionnels des soins palliatifs ne sont pas favorables à une évolution de la loi.
Le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE), dans son dernier avis, a tenté de concilier ces positions, en prévoyant une liste de conditionnalités très strictes, notamment en termes d'égalité d'accès de l'ensemble de nos citoyens aux soins palliatifs. Comment proposez-vous d'avancer ? Comment faire en sorte que les soins palliatifs soient une réalité dans notre pays et que dans un certain nombre de situations, peut-être très limitées en nombre, ce droit à une aide active à mourir puisse être ouvert à nos concitoyens ?
Mme Annick Jacquemet. - Professeur Honnorat, vous avez affirmé qu'un seul patient en 30 ans vous avait demandé cette aide à mourir. Pensez-vous que la difficulté vient plus de la famille ? Est-ce, en quelque sorte, elle qui souffre davantage ou du moins qui a le plus de mal à accepter ce départ qui approche ? L'accompagnement de la famille est-il aujourd'hui suffisant ? Nous avons tous vécu des situations complexes au niveau personnel et il peut être difficile de faire la part des choses en tant que législateur. Un membre de ma famille a, par exemple, demandé cette assistance à mourir en Suisse. Que faisons-nous pour ces personnes, même si elles restent peu nombreuses ? La convention citoyenne sur la fin de vie montre bien qu'il y a une évolution dans la société et je pense que nous nous devons d'y apporter une réponse. Nous savons en parallèle qu'il manque terriblement de médecins et d'unités de soins palliatifs. Comment les développer ?
M. Olivier Henno. - Je crois qu'il existe une quête éternelle de l'humanité pour prolonger la vie. Du point de vue des opinions occidentales, se pose toutefois désormais la question du sens de cette quête si survient une situation de dépendance. C'est ce que traduit, je pense, la convention citoyenne. Par rapport à ce basculement, plusieurs attitudes sont possibles. Au-delà de la législation, il n'y a d'ailleurs pas nécessairement besoin d'une aide pour partir, ce que traduit l'acte du suicide. Cette peur de la dépendance est, je crois, en tout cas, une réalité dans l'opinion. Quelle est votre position à ce sujet ? Avez-vous, par ailleurs, des échanges avec les sociétés savantes des pays qui ont légiféré sur l'aide à mourir, comme la Suisse ou la Belgique ?
M. Daniel Chasseing. - Les personnes en bonne santé affirment souvent qu'elles préféreraient mourir plutôt que vivre en situation de dépendance. Néanmoins, lorsque les personnes sont dépendantes ou ont des maladies extrêmement graves, elles demandent plutôt un accompagnement, avant éventuellement, à la toute fin, une sédation profonde et continue. Je pense que la loi Claeys-Leonetti est, de ce point de vue, très pertinente. Au sein de certains pays, notamment les Pays-Bas, certains spécialistes pensent d'ailleurs qu'avec un meilleur développement des soins palliatifs, il n'y aurait pas eu de loi sur l'euthanasie ou le suicide assisté.
En France, la convention citoyenne a eu le mérite de faire connaître les soins palliatifs. Ne faudrait-il pas simplement augmenter le personnel de ces services au sein de l'ensemble des départements et renforcer les unités mobiles, qui sont très utiles à domicile et en Ehpad ?
Pr Jacques-Olivier Bay. - Il est vrai que chacun évolue naturellement de position au cours de sa vie, notamment à l'occasion de problèmes de santé. Il faut ainsi toujours garder à l'esprit que les changements d'opinion sont constants.
Nous sommes aussi naturellement influencés par nos expériences personnelles, y compris en tant que médecins. À la fin de ma carrière, je garderai par exemple en mémoire quelques situations de patients qui m'auront marqué. Or ces situations peuvent, malgré tout, entraîner une distorsion dans nos mécanismes de raisonnement.
Je ne suis pas certain au titre de la Société française du cancer qu'il y ait une opposition à la prise en compte de situations dramatiques pour lesquelles une fin de vie, que ce soit par suicide assisté ou par euthanasie, puisse être requise et encadrée par une loi. Avant d'en arriver là, il faut toutefois être certain que tout ait pu être réalisé. Dans nos professions, nous assistons en effet surtout à une incapacité à proposer tous les soins de support qui seraient nécessaires.
Dr Sophie Moulias. - Je souhaiterais revenir sur la notion d'obstination déraisonnable que vous avez soulevée. Aujourd'hui, les citoyens ne connaissent pas les soins palliatifs. Ils ne connaissent pas les dispositifs légaux de personne de confiance ni la possibilité d'écrire ses directives anticipées, même si ceci est très complexe. Il est en effet très difficile d'imaginer sa propre mort si l'on n'a pas déjà expérimenté des situations personnelles ou de proches posant de manière aiguë des problématiques sur la fin de vie. En gériatrie, les familles demandent la vie, surtout depuis les « années covid-19 » où la réanimation a été vue comme salvatrice. Dans le grand âge, ce n'est pourtant pas le cas : les patients, pour de nombreuses raisons, vivent mieux lorsqu'ils ne vont pas en réanimation.
Si une loi peut s'avérer pertinente, encore faut-il en parallèle donner les possibilités de son application. La loi Claeys-Leonetti et la loi Leonetti, qui a permis le refus de soins et a posé clairement la question de l'obstination déraisonnable, sont, en ce sens, utiles, mais encore faut-il savoir comment qualifier la notion d'obstination déraisonnable et quels autres soins il est possible de proposer. La situation en soins de confort et de support est, en effet, loin d'être uniforme sur le territoire et nos concitoyens s'interrogent sur les possibilités offertes au-delà du soin curatif. Aucun d'entre nous n'abandonne ses patients, mais les citoyens ne le savent pas.
Aujourd'hui, le suicide n'est pas interdit en France, mais reste moralement très pénalisé. En tant que professionnels, nous avons l'obligation de réanimer une personne qui a cherché à se suicider. Cette obligation entrerait en conflit avec une éventuelle loi sur le suicide assisté. Ceci est bien mis en avant du reste par la Société française d'anesthésie et de réanimation. Le suicide, sans assistance, existe aussi dans le grand âge.
S'agissant du sens de prolonger la vie dans une situation de dépendance, cette question renvoie à la valeur de la vie. Jusqu'à présent, la vie vaut du jour de la naissance au jour de la mort. Faudrait-il moins considérer la vie en cas de grande dépendance ? Nous rencontrons également des familles qui projettent leur propre souffrance sur l'état du sujet. Nous n'avons pas de réponse philosophiquement, mais ces personnes présentent également des signes de vitalité, et ce, malgré leur grande dépendance. Humainement, accompagner ces personnes n'est pas un non-sens dans les pratiques médicales.
Cela rejoint également la question de l'anticipation. Je ne suis pas certaine que les directives anticipées soient, à cet égard, un outil très pratique. Néanmoins, échanger avec ses proches et son médecin traitant est, dans tous les cas, extrêmement utile, d'autant plus si un risque médical se profile. Toutes les études montrent néanmoins que les personnes veulent de la quantité de vie, pour voir leurs petits-enfants grandir ou voir le jour encore une nouvelle fois.
Nous échangeons avec la société belge et la société suisse, qui font partie des sociétés francophones de gériatrie et gérontologie. À chaque séminaire, une réflexion est menée sur les situations d'aide médicale à mourir. Chacune d'entre elles nous envie la loi Claeys-Leonetti. Elles sont notamment inquiètes de certains débordements, notamment s'agissant de l'augmentation d'actes pour des malades atteints d'Alzheimer, qui ont exprimé à un moment de leur vie, avant d'être atteints, qu'ils préféreraient partir plus vite en cas de maladie. Ces actes, qui se développent, ne sont, en outre, pas toujours déclarés. Une publication à ce sujet vient de le mettre en évidence aux Pays-Bas.
Si pour le suicide, les soignants ne sont pas nécessaires, ce n'est pas le cas pour l'euthanasie. Je crois toutefois sincèrement qu'il faut communiquer auprès de nos concitoyens. Les soins palliatifs ne sont pas suffisamment développés et certains éléments que nous réclamions depuis la loi Claeys-Leonetti n'ont pu voir le jour qu'après la deuxième vague de covid-19. Nous souhaiterions avant tout que cette insuffisance soit comblée pour proposer un accompagnement et un soin de qualité avant de proposer autre chose, qui sera peut-être nécessaire pour la société. Pousser la vie jusqu'au bout parfois au prix de l'acharnement thérapeutique ou bien ne rien faire n'est pas une alternative acceptable pour les professionnels que nous sommes.
Dr Emmanuel de Larivière. - Je n'ajouterai que quelques éléments. S'agissant des moyens, l'ensemble des professionnels de santé, quelle que soit leur spécialité et quel que soit leur mode d'exercice, doivent se saisir de la question de la fin de vie. Le développement d'une culture palliative est, en ce sens, indispensable, alors que chaque médecin généraliste accompagne aujourd'hui en moyenne deux à trois patients en fin de vie par an. Une réflexion doit être menée sur la notion d'obstination déraisonnable, qui est une réalité importante, car beaucoup de professionnels de santé ne prennent pas ce temps de la délibération collégiale. Celle-ci doit impliquer les médecins, mais également les infirmiers, les aides-soignants et le médecin traitant lorsqu'il est disponible. Aujourd'hui, il est encore malheureusement souvent plus simple de continuer les traitements, même s'ils n'ont plus vraiment de sens ou que le patient n'en souhaite plus. Beaucoup de patients ne savent pas, du reste, qu'il est possible de refuser la mise en route d'un traitement ou de demander son arrêt.
Je suis marqué par le cas d'une patiente très âgée, présentant une démence très avancée et une altération très importante de son état général, dialysée depuis une dizaine d'années avec une réflexion sur le maintien de cette dialyse qui n'arrive pas à aboutir depuis un an, alors que la personne risque de mourir dans les jours ou les semaines qui viennent.
Concernant les relations avec les autres sociétés savantes, je vous invite à consulter la chaîne YouTube de la SFAP. Nous menons très régulièrement des conférences avec les sociétés françaises et étrangères. La dernière concerne la Société de soins palliatifs d'Autriche, puisque ce pays a légiféré sur le suicide assisté. Nous avons également des échanges avec les Suisses, les Belges, les Néerlandais ou encore les Canadiens. Beaucoup d'entre eux nous disent d'ailleurs que les soins palliatifs ont plutôt été freinés par les votes de ces lois, contrairement à ce qui avait été promis.
Pr Jérôme Honnorat. - Beaucoup de choses ont déjà été dites. Je souhaiterais simplement revenir sur certains sujets avec des angles quelque peu différents.
L'obstination et le traitement déraisonnables existent, mais il faut imaginer le courage qu'il faut aux professionnels de santé pour dire aux patients les yeux dans les yeux : « nous allons arrêter de traiter la maladie et faire des soins palliatifs ». Les soins palliatifs ne sont, en effet, généralement pas compris. Ils sont considérés comme la fin de la vie. Or il s'agit d'une réorientation de la prise en charge. Au lieu de continuer à se battre contre une maladie, on va se concentrer sur le confort du patient et l'accompagner dans le temps qui est susceptible de lui rester, temps qui est non mesurable. J'ai d'ailleurs connu un patient en soins palliatifs pendant trois ans pour une tumeur cérébrale. Il y a, à cet égard, un problème de formation. Il faut, en effet, beaucoup de courage pour échanger avec un patient et sa famille sur les soins palliatifs. Il est bien plus facile de proposer une nouvelle chimiothérapie « pour la route ». Il y a également la question de l'urgence. Des patients peuvent, en effet, se retrouver en réanimation, car leur prise en charge n'était plus adaptée.
Le droit de décider de sa fin de vie est, à mon sens, un fantasme. Personne ne peut prévoir ce qui va lui arriver et décider de la façon dont cela peut se produire, sauf en se suicidant, évidemment.
Le problème des familles est une vraie difficulté. Très souvent, elles pensent qu'elles-mêmes doivent être prises en charge, que le patient est un sujet accessoire, et que les décisions sont collégiales.
Sur la décision et les directives anticipées, certains patients, très gentils, ne veulent ainsi pas déranger et sont susceptibles d'affirmer préférer arrêter si la situation est trop difficile pour leurs proches. Ce n'est alors pas véritablement leur décision, mais celle des autres. Des échanges fournis sont ainsi nécessaires.
Personne n'a évidemment envie d'être dépendant. Pourtant, certains événements de la vie peuvent entraîner un handicap. J'ai rencontré récemment quelqu'un qui n'avait ni bras ni jambes, qui vivait et qui avait même rencontré l'amour. Il n'est pas toujours nécessaire d'être indépendant pour vivre. Cette situation est évidemment toujours difficile. Néanmoins, j'explique systématiquement à mes patients qui ont des difficultés de marche et à qui je prescris un fauteuil roulant qu'il y a, au fond, peu de différence entre un fauteuil roulant et une voiture et qu'avec un fauteuil, on peut au moins se déplacer et réaliser certains actes de la vie quotidienne. La dépendance est relative. On peut vivre avec un handicap, et parfois même mieux qu'en n'étant pas handicapé.
Il faut, par ailleurs, expliquer la notion de soins palliatifs auprès de la société. Une éducation est, sur ce point, nécessaire.
Les échanges avec les sociétés savantes, notamment suisse et belge, sont assez paradoxaux. Nous avons également l'impression que deux mondes coexistent. Ceux qui requièrent le suicide assisté ou l'euthanasie sont des patients parallèles. Un neuro-oncologue suisse ou belge travaille pourtant de la même façon qu'un neuro-oncologue français. Il n'a pas parmi ses patients un volume beaucoup plus important de cas exceptionnels qui demandent la mort.
Que faire pour ces cas exceptionnels ? Je n'ai pas de solution. Je pense simplement que nous sommes très en dessous de ce que nous pourrions proposer en termes d'accompagnement. L'accompagnement de l'annonce du diagnostic prévu dans le cadre du plan cancer est encore un idéal loin d'être atteint, car nous n'avons pas les moyens ni les professionnels suffisants. Sur l'accompagnement de la fin de vie, nous sommes à des années-lumière de ce que nous devrions proposer.
Mme Florence Lassarade. - En tant que pédiatre, j'ai pu constater que la loi Claeys-Leonetti avait permis l'accompagnement en soins palliatifs en salle de naissance et avait contribué globalement à d'importants progrès. J'ai toutefois été interpellée par un patient atteint de la maladie de Charcot, qui m'a demandé d'évoquer, lorsque je serai parlementaire, le rôle des patients experts dans les débats.
Dans les milieux ruraux, j'ai l'impression que les patients ne sont, bien souvent, pas accompagnés. J'ai connaissance de personnes qui, aujourd'hui encore, meurent d'un cancer du pancréas dans les bras de l'infirmière dans d'atroces souffrances. Les soins palliatifs à domicile n'existent quasiment pas. J'ai accompagné mon mari atteint d'un cancer : quand, deux jours avant de mourir, il m'a affirmé que cela faisait deux jours qu'il souhaitait qu'on l'aide à mourir et que personne ne l'écoutait, je lui ai dit que cela n'allait pas tarder et cette parole a suffi à calmer son anxiété. Néanmoins, lorsque j'ai demandé à l'Institut Bergonié - dont il dépendait et qui ne nous a absolument pas accompagnés sur ce chapitre -, quel serait le protocole de fin de vie à domicile, celui-ci m'a indiqué que ce que je ferais serait beaucoup trop dangereux. C'est une réponse absurde ! L'accompagnement à domicile serait pourtant idéal pour bien des personnes. Sur le terrain, il n'y a pas eu de progrès, à mon sens, depuis les années 1990. Mon père, en tant que médecin généraliste, a accompagné de nombreux patients en fin de vie à domicile. Aujourd'hui, ce sont les infirmières qui sont encore très régulièrement confrontées à ces situations. Faut-il finalement protéger tous les acteurs de tout ou affronter les situations, poser les vraies questions et s'en référer aux patients experts ?
Mme Raymonde Poncet Monge. - Chacun s'accorde à dire qu'il faut une culture palliative et des soins palliatifs partout, mais il faut également arrêter de s'interdire de penser aux cas exceptionnels. Je suis allée en Suisse avec les ministres ; personne n'affirme que ces cas sont nombreux. Néanmoins, il faut les prendre en compte, d'autant plus que cela permettrait un certain apaisement au sein de la population générale. Aujourd'hui, soit ces cas exceptionnels sont gérés par un réseau médical de proximité, soit ils sont résolus à l'étranger, comme le montre d'ailleurs l'excellent film Les mots de la fin. Je regrette qu'il ait fallu se rendre en Suisse pour rencontrer une équipe palliative qui pensait qu'un accompagnement avec un suicide assisté était possible pour ces cas exceptionnels.
En France, il est malgré tout étonnant qu'aucune personne travaillant dans les soins palliatifs ne comprenne certaines des conclusions de la convention citoyenne. Il ne faut pas accuser la population de méconnaissance. Il existe, malgré tout, des cas irréductibles. Il y a quelque temps, des responsables de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs nous avaient indiqué qu'ils démissionneraient tous si la loi passait. Il y a quand même un problème français dans cette opposition tranchée de ces services. Il faut rappeler que les Suisses ont, malgré tout, développé les soins palliatifs avant de mettre en place un dispositif de suicide assisté.
Je souhaiterais terminer mon propos sur la sédation profonde et continue. Dans les cas où elle est pratiquée, il s'agit malgré tout d'un processus de mort qui s'enclenche, puisque le geste est irréversible. Nous ne décidons toutefois pas du moment. La demande dans ces cas-là serait justement de pouvoir en décider, afin que les proches du malade puissent être présents.
Mme Corinne Imbert. - Ma question fera référence à la recommandation n° 15 de l'avis 139 du CCNE : qu'est-ce que, pour vous, un « pronostic vital engagé à moyen terme » ?
Mme Christine Bonfanti-Dossat. - Que répondez-vous à ceux qui opposent le droit à mourir au devoir de vivre ?
Vous avez tous souligné avoir rencontré très peu de personnes demandant à mourir au cours de vos carrières respectives. D'après le philosophe Jacques Ricot, que nous avons auditionné, on estime à 0,3 % la part des personnes en fin de vie qui réclament une euthanasie. Pensez-vous que si l'on dépénalisait l'euthanasie, le nombre de demandes augmenterait ? Nous nous sommes rendus en Belgique et un médecin soulignait qu'il avait reçu 42 Français l'année dernière ayant demandé l'euthanasie.
Pour finir, Dr Moulias, vous évoquiez l'isolement des personnes âgées qui pourraient, peut-être par solitude, s'orienter vers ce type de demande. Marie de Hennezel, dans une tribune récemment publiée dans Le Monde, mettait en évidence la possibilité d'une troisième voie entre l'acharnement thérapeutique et l'euthanasie, à savoir le respect du souhait du patient en fin de vie de ne plus s'alimenter. Avez-vous rencontré des situations de ce type ?
Mme Michelle Meunier. - Si la sédation profonde et continue jusqu'au décès n'est effectivement pas la seule mesure de la loi Claeys-Leonetti, elle est malgré tout la mesure qui avait été la plus débattue. Quelle avait été votre position sur le sujet en tant que soignant ?
Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous assimilons souvent euthanasie et suicide assisté, alors que ces notions sont quelque peu différentes. Pensez-vous qu'autoriser le seul suicide assisté serait préférable ?
Dr Emmanuel de Larivière. - Le suicide assisté consiste à aider une personne qui réclame une mort anticipée à pouvoir se suicider, c'est-à-dire à lui procurer les produits qui lui permettront de se suicider. Le modèle suisse est organisé autour d'associations qui vont accueillir la personne et lui procurer les produits à administrer par la bouche ou par voie intraveineuse, mais c'est le malade lui-même qui va faire le geste. Dans le cadre du modèle américain, celui de l'Oregon, le malade fait la demande auprès d'un médecin qui établit la prescription, puis se rend à la pharmacie et fait ce qu'il veut du produit chez lui.
L'euthanasie fait, quant à elle, intervenir le soignant, qu'il soit médecin ou infirmier. Ceci vient, à mon sens, changer la relation des soignants avec leurs patients et entourages. Dit autrement, donner la mort ne peut, à notre sens, être un soin ; il ne faut pas mélanger les deux.
Si l'euthanasie ou le suicide assisté était légalisé, personne ne serait évidemment obligé de s'orienter vers ce choix. Néanmoins, tout le monde se poserait la question et devrait se la poser.
La notion de « pronostic vital engagé à moyen terme » est très difficile à définir. Le « court terme » a été défini comme allant de quelques heures à quelques jours dans le cadre des orientations de la SFAP ensuite reprises par la HAS. Le moyen terme va ainsi, sans doute, de quelques semaines à quelques mois. Dans mon expérience, il est toutefois très difficile de savoir si le patient va vivre encore trois, six ou douze mois. Lorsque le patient entre dans une période de fragilité, nous savons qu'à n'importe quel moment, son état peut se dégrader et la mort peut survenir. Je pourrais définir le moyen terme par une réponse négative que j'apporterais à la question « seriez-vous surpris si tel patient décédait dans les six à douze prochains mois ? ».
Les malades sont très fragiles, changent et ont des envies différentes. Je rejoins le Pr Bay quand il soulignait que l'esprit humain varie fortement en fonction de l'évolution de la maladie et des symptômes.
Pr Jérôme Honnorat. - S'agissant des soins palliatifs à domicile, il est certain que la situation en termes d'accès est extrêmement hétérogène sur le territoire. À Lyon, les soins palliatifs sont très développés, mais c'est moins le cas dès que l'on quitte l'agglomération. Le médecin traitant doit, en tout cas, être le pivot de la prise en charge de ses patients et, de ce point de vue, un changement culturel se fait jour : les médecins traitants ne sont pas ceux que l'on a connus il y a 40 ou 50 ans. Ceci doit être pris en compte dans le développement des soins palliatifs à domicile.
L'intervention du patient expert est effectivement encore confidentielle et il faut la développer.
La notion de « pronostic vital engagé à moyen terme » a une définition souple, ce qui est, à mon sens, très positif pour prendre en compte collégialement la situation propre à chaque patient. En revanche, il faut une maladie ou un processus en cours qui va conduire au décès. Il ne doit pas s'agir d'un handicap fixe.
Sur la notion de droit à mourir, je ne suis pas juriste, mais je ne comprends pas ce que vient faire le droit dans cette affaire. La mort va nous arriver à tous. Je ne pense pas qu'il soit pertinent de légiférer sur cela. Je reconnais parfaitement les demandes de certains patients. Quel cadre légal prévoir pour ceux qui sont incapables de se suicider du fait de leur handicap ? Ceci est exceptionnel. Faut-il, pour cela, adopter une loi ouvrant bien d'autres possibilités que la seule résolution de ces cas exceptionnels ? Je n'en suis pas certain.
Sur l'anorexie finale, je n'ai jamais observé de tels cas dans ma pratique quotidienne, mais je laisserai les spécialistes de gériatrie répondre.
Quant aux anciennes pratiques, je pense qu'elles méritent qu'on les recouvre d'un voile pudique. Les choses étaient faites en fonction de la loi et des circonstances, pas toujours bien. Je pense que l'on fait beaucoup mieux dans la prise en charge de la fin de vie que l'on ne le faisait il y a 40 ans.
Pr Jacques-Olivier Bay. - J'aimerais vraiment que nous ne donnions pas l'impression d'une opposition entre le monde médical et les citoyens. Nous sommes aujourd'hui insatisfaits de l'application de la loi Claeys-Leonetti. Au fond, nos réticences s'expliquent par le fait que nous n'avons pas l'impression d'avoir tout fait pour ne pas en arriver là. Ceci ne signifie pas qu'une loi n'est pas nécessaire, mais notre réticence est surtout liée à cette insatisfaction que nous ressentons au quotidien. Les inégalités territoriales, de ce point de vue, sont majeures. Dans certains endroits, le seul référent est le médecin traitant. Or le monde change, les médecins aussi et leur investissement évolue.
D'un point de vue médical, il existe une vraie différence entre aider un patient à mourir en l'endormant, en assistant, en faisant en sorte que la famille soit présente et en passant du temps, qui ira de quelques heures à quelques jours. Il s'agit d'un temps qui est majeur pour le deuil. Notre société doit accepter que la mort existe et que nous ne puissions pas décider de tout, mais qu'un accompagnement reste possible. Lorsque vous pratiquez une euthanasie, vous avez un stéthoscope sur un thorax et un coeur qui s'arrête. La différence est majeure. Mon confrère a évoqué le droit à mourir, je pense que nous avons un devoir à mourir. Madame la sénatrice Poncet Monge, vos propos sur la convention citoyenne m'ont bouleversé. Vous nous renvoyez à nous-mêmes. Cette insatisfaction par rapport à ce que nous faisons aujourd'hui nous conduit toutefois à ne pas souhaiter franchir un nouveau pas.
Quant au « pronostic vital engagé à moyen terme », l'incertitude de cette notion nous sert. Le rôle des familles a été rappelé. Ce sujet est extrêmement complexe. Certains patients vont souffrir beaucoup, vouloir avoir envie de mourir, mais changer d'avis le lendemain. Les familles peuvent également vous reprocher d'avoir dit la vérité au patient. À l'inverse, d'autres peuvent vous critiquer de ne rien avoir dit. Nous sommes dans des situations qui touchent à l'humain et sur tous ces sujets, il n'est pas facile de légiférer.
La formation des médecins et des équipes paramédicales aux soins palliatifs est, en revanche, majeure. Cette formation doit également s'entendre vis-à-vis de nos concitoyens, afin de mettre en évidence auprès d'eux qu'il existe d'autres possibilités permettant d'accompagner les malades dans des conditions satisfaisantes.
Madame la sénatrice Lassarade, vous avez rencontré une situation difficile et nous en avons tous connu, et nous en aurons encore. Je reste convaincu que la notion de patient expert est fondamentale. Il faut nous appuyer davantage sur les citoyens, qu'ils soient malades ou non d'ailleurs, même si les modalités de mise en oeuvre de ce principe sont sans doute plus complexes à définir. Néanmoins, celui qui sait le plus reste malgré tout l'usager. Ceci simplifierait en outre certaines problématiques, notamment en termes de moyens, vis-à-vis de nos administrations. L'organisation des soins que vous avez vécue est malheureuse. L'Institut Bergonié a, malgré tout, je pense, une organisation de prise en charge compétente, ce qui n'exclut pas certaines difficultés.
Dr Sophie Moulias. - Je suis d'accord avec les propos qui ont été tenus par mes confrères.
Nous n'avons pas pour métier d'écrire la loi et nous ne nous opposons pas à la réglementation si tant est que nous disposions des moyens pour la mettre en oeuvre. Il faut néanmoins écrire la loi avec ceux qui sont censés la porter. C'est la raison d'ailleurs pour laquelle nous vous remercions de nous avoir conviés à une telle audition.
Nous sommes toutefois inquiets des applications, des dérives possibles et de l'imprécision autour des questions de savoir qui pousse la seringue et qui administre les médicaments - ce qui renvoie à la différence entre le suicide assisté et l'euthanasie.
Le vocabulaire est riche : les soins palliatifs, les soins de confort, les soins de support... Néanmoins, quel que soit le terme utilisé, de nombreuses études montrent que si l'on met en place de tels soins très rapidement après un diagnostic de cancer par exemple, les patients vivent plus longtemps et se sentent souvent mieux. Il y a une question de temporalité.
Nous accompagnons tous des patients atteints de maladies chroniques, mortelles à court, moyen ou long terme. Cet accompagnement, s'il ne peut pas être réalisé correctement, doit prendre le temps de l'humanité, le temps d'être présent à l'autre, de répondre à ses inquiétudes, à ses questions existentielles, de donner des explications sur le geste médical, sur la façon dont le patient risque de mourir, également pour prévenir les aidants. Or ce temps n'est pas mis en place comme nous le souhaitons. Je travaille dans les Hauts-de-Seine, un département qui n'est pourtant pas parmi les plus mal lotis. Or il n'y a plus assez de médecins traitants et nous avons dû fermer une des équipes mobiles de soins palliatifs, faute de combattants ou, je dirais, faute d'âmes, faute de bras. Aujourd'hui encore, pour les patients, le recours à un psychologue n'est pas pris en charge, excepté dans le cadre des équipes mobiles.
L'accompagnement pourrait ainsi être pensé autrement. Il y a des métiers à créer. Aujourd'hui, ce n'est porté que par le bénévolat. Tous les autres pays qui ont écrit leur loi d'aide médicale à mourir l'ont toutefois fait il y a quelques années, avant le covid-19. Nous, nous réfléchissons après le covid-19, période pendant laquelle les soignants étaient en première ligne pour accompagner, pour injecter, ne pas injecter, ne pas avoir les médicaments ou ne pas avoir le droit aux médicaments, comme en Ehpad... Il leur est aujourd'hui demandé d'arrêter l'accompagnement et de passer à autre chose. Ce n'est pas nécessairement la réalité, mais c'est du moins ce raccourci psychique qui est ressenti. Se pose également, comme on l'a vu pendant le covid-19, la question du rapport au corps mort, de l'accès et du soutien aux proches après la mort du patient.
Les interrogations sont ainsi multiples. Si j'ai le droit à l'euthanasie, est-ce que je peux mourir chez moi, ou, si je ne fais pas ce choix, serais-je contraint d'aller à l'hôpital, car il n'y a pas d'hospitalisation à domicile dans mon périmètre ? Nous savons aujourd'hui que les branches de l'alternative ne se valent pas.
Nous sommes dans une société de l'immédiateté. Or il est proposé, d'un côté, une solution certaine et rapide, et de l'autre, une situation caractérisée par l'incertitude avec un accompagnement loin d'être toujours optimal. Aujourd'hui, de nombreux médecins refusent par exemple de prendre de nouveaux patients de plus de 60 ans, ce qui pose un vrai problème d'accès aux soins.
S'agissant des patients experts, nous travaillons pour notre part avec un tel patient. Celui-ci nous a par exemple fait remonter qu'il n'y avait pas d'accompagnement suffisant des familles. Sur ce point, l'accompagnement médical ne suffit pas. Il porte, en effet, sur des éléments très techniques et se place dans le temps de la mort, et non nécessairement dans le temps empathique.
S'agissant de la notion de « pronostic vital engagé à moyen terme », après 80 ans, le pronostic vital est en permanence engagé. Je suis d'accord avec mes collègues sur l'intérêt de conserver ce flou, car celui-ci permet d'échanger avec le patient et avec sa famille. Les discussions anticipées ont, dans ce cadre, tout leur intérêt. Les soignants peuvent, à un moment, inviter le patient à examiner s'il a des choses à faire, à organiser ou s'il souhaite voir ses proches, ce qui permet de s'orienter vers une autre dynamique. Le patient peut aussi choisir d'indiquer qu'il ne veut pas aller plus loin si la situation s'aggrave. Nous pouvons alors opter pour la sédation profonde et continue. Celle-ci est très souvent anticipée après un échange avec les patients. Certains, au contraire, le moment venu, ne veulent pas de morphine. Il est alors nécessaire de leur expliquer que ce n'est pas la morphine qui tue, mais la maladie et que la morphine soulage, le sommeil étant une autre drogue.
Si la loi est publiée, la demande augmentera-t-elle ? Je pense qu'il y aura nécessairement un effet d'annonce. D'ailleurs, la société belge nous a expliqué que de nombreuses demandes avaient été reçues à la mise en place de la loi, avant qu'une stabilisation ne soit constatée.
Il reste la question de la culpabilisation. À défaut d'accompagnement, quand on est très âgé, très handicapé, le droit n'est finalement plus le même, tant au niveau économique qu'au niveau de la santé. On sent bien que l'on devient un poids pour la société. Cette réflexion se rencontre chez les plus âgés, mais également chez les patients atteints de la maladie de Charcot qui commencent à s'interroger sur leur droit à vivre. Il ne faudrait pas que cela soit de ce fait-là. L'humain est assez ambivalent de ce point de vue. J'ai travaillé pendant six mois à Genève et j'ai rencontré des patients qui se reprochaient de ne pas avoir saisi le droit à mourir qu'ils avaient sollicité au regard de l'argent qu'ils avaient consacré à cette demande et qui ne serait pas donné à leurs enfants. Ils n'arrivaient pourtant pas à franchir ce pas-là. De même, lorsque l'on examine les statistiques de l'Oregon, il apparaît que de nombreuses personnes ne prennent pas les médicaments qu'elles ont pourtant demandés, ce qui pose d'ailleurs également la question du sort de ces substances.
Quant à l'anorexie, elle existe dans le grand âge dans les postures de repli qui sont observées en particulier aux entrées en Ehpad. Au bout d'un moment, soit les personnes ont accepté leur situation, surtout si elles continuent à être stimulées et entourées, soit elles restent dans une posture de refus d'alimentation. Il s'agit d'une posture potentiellement dépressive. Il s'agit également d'un refus de soin, puisque l'alimentation est un soin. Les familles demandent alors généralement immédiatement la pose de sondes naso-gastriques. Néanmoins, si quelqu'un a décidé qu'il allait mourir, à cet âge-là, il partira, quoi qu'on fasse. Mettre de la technicité ne sert à rien et ne fait que complexifier le processus. Il faut ainsi se donner un temps d'approche à l'autre, et non abandonner le patient à son sort faute de moyens. En Ehpad, il faut un médecin traitant qui prenne le temps d'examiner le patient et un médecin coordonnateur. Pourtant, au moins 30 % des Ehpad ne comptent pas de médecin coordonnateur. Ceci fait également partie des problématiques d'accompagnement que nous rencontrons au quotidien.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Je vous remercie pour cette audition.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Bilan annuel de l'application des lois - Communication
Mme Catherine Deroche. - Il me revient à présent de vous faire une communication sur l'application des lois de la session 2021-2022. Ce suivi constitue l'une des déclinaisons de la mission de contrôle de l'action du Gouvernement dévolue au Parlement par l'article 24 de la Constitution.
Très attaché à cette mission, le Sénat a mis en place des procédures dès les années 1970 et les a adaptées régulièrement par la suite. Le Règlement a été modifié en 2019 pour confier une mission de suivi aux rapporteurs des projets et propositions de loi examinés par notre assemblée et a préconisé récemment, par la voix du groupe de travail dit « Gruny », de conforter encore cette mission par le contrôle approfondi de l'application des lois emblématiques.
L'article 19 bis A du Règlement du Sénat confie la mission du suivi de l'application des lois aux commissions permanentes. Chaque année, leur président procède en conséquence à un bilan de l'application des lois relevant des compétences de la commission au 31 mars, soit six mois après la fin de la session précédente. Ces informations font ensuite l'objet d'un rapport de synthèse présenté en conférence des présidents, puis en séance publique.
Ce bilan est réalisé à partir du suivi permanent, par chaque commission, des textes réglementaires relevant de son domaine de compétences. Il est principalement statistique, mais comprend aussi des éléments qualitatifs sur la conformité des textes d'application à l'intention du législateur ou sur les raisons des éventuels retards constatés.
Le bilan annuel que je vous présente aujourd'hui porte sur les lois promulguées au cours de l'année parlementaire 2021-2022, entre le 1er octobre 2021 et le 30 septembre 2022. Il intègre les mesures d'application publiées jusqu'au 31 mars 2023. Cette borne de six mois correspond à l'objectif retenu par une circulaire du 29 février 2008 pour le délai d'édiction des mesures réglementaires nécessaires à l'application des lois. C'est donc le Gouvernement lui-même qui s'est donné cette contrainte.
Il s'agit parfois d'un exercice un peu curieux dans la mesure où nous pouvons demander des comptes au Gouvernement sur l'application de mesures que le Sénat n'a pas votées ou, par exemple, déplorer le retard de la remise de rapports qu'il n'a pas demandés. C'est pourquoi je vous invite à relativiser le seul volet statistique de cet exercice qui ne dit au fond que peu de choses. Vous recevrez par ailleurs une note détaillée texte par texte, destinée au rapport d'ensemble qui sera publié au mois de juin.
Je me bornerai donc aujourd'hui, au-delà de quelques chiffres, à vous faire part des principaux constats, en vous priant d'excuser par avance la forme s'apparentant parfois à un catalogue que peut revêtir cet exercice.
Durant l'année parlementaire 2021-2022, le Parlement a adopté définitivement quinze lois examinées au fond par notre commission des affaires sociales, auxquelles s'ajoutent deux textes examinés pour avis avec délégation au fond. C'est beaucoup plus qu'au cours des deux sessions précédentes, au cours desquelles seules sept lois relevant de la compétence de notre commission avaient été promulguées.
Neuf de ces lois étaient issues d'une proposition de loi (PPL) de l'Assemblée nationale : PPL visant à améliorer la présence parentale auprès d'un enfant malade, PPL relative aux restrictions d'accès à certaines professions en raison de l'état de santé, PPL visant à l'accompagnement des enfants atteints de pathologie chronique ou de cancer, PPL « retraites agricoles », PPL visant à accélérer l'égalité économique et professionnelle, PPL visant à la création d'une plateforme de référencement et de prise en charge des malades chroniques de la covid-19, PPL visant à renforcer le droit à l'avortement, proposition de loi organique et PPL relatives aux lois de financement de la sécurité sociale.
Cinq lois étaient issues d'un projet gouvernemental : projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2021, projet de loi (PJL) ratifiant l'ordonnance relative aux modalités de représentation des travailleurs de plateforme, PJL relatif à la protection des enfants, PJL portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et PJL portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat.
Enfin, une loi était issue d'une proposition de loi du Sénat, celle relative au monde combattant de Jocelyne Guidez.
Sur les quinze lois examinées au fond par notre commission, six étaient d'application directe et neuf appelaient un total de 191 mesures réglementaires d'application, dont 102 pour la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022. Au total, 116 mesures avaient été prises au 31 mars 2023, soit un taux de 61 %, un peu moins bon que les 68 % de l'année précédente mais dans la moyenne des années antérieures.
Le taux d'application de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) reste insuffisant à 65 % (68 mesures prises au 31 mars) et en retrait par rapport aux 79 % de l'an dernier. Rappelons qu'un taux d'application « normal » pour la LFSS dépassait les 90 % avant la crise épidémique. La nature même de l'exercice, avec un champ du texte très encadré et les conditions très spécifiques dans lesquelles il se déroule, notamment en termes de calendrier, impliquent une mise en oeuvre rapide. Je souligne, en particulier, qu'aucune des dispositions d'application relatives à l'expérimentation de « l'accès direct » n'a été prise. La date de début de l'expérimentation devait pourtant, aux termes de la loi, être fixée au plus tard au 1er juillet 2022. Les textes devraient vraisemblablement être publiés dans les prochains mois, soit plus de dix-huit mois au moins après le vote par le Parlement. De même, je regrette le retard pris pour l'application du dispositif visant à améliorer l'accès rapide à l'innovation au bénéfice des patients.
Pour le reste, je me contenterai d'un nombre limité de faits saillants, en me permettant de vous renvoyer à la communication écrite que je vous ferai parvenir.
La loi du 6 décembre 2021 relative aux restrictions d'accès à certaines professions en raison de l'état de santé a institué un comité d'évaluation des textes encadrant l'accès au marché du travail des personnes atteintes de maladies chroniques, et ce pour une durée de trois ans. Elle prévoit également que le comité adresse chaque année au Gouvernement et au Parlement un rapport sur l'avancée de ses travaux et sur les évolutions constatées des réglementations relatives à l'accès à certaines formations ou professions. À cette date, malgré une sollicitation adressée au Gouvernement en ce sens, aucun état des travaux du comité et, partant, aucune recommandation d'évolution législative n'ont été transmis au Parlement.
La loi du 24 décembre 2021 visant à accélérer l'égalité économique et professionnelle, issue d'une proposition de loi de la députée Marie-Pierre Rixain, qui était rapportée au Sénat par Laurence Garnier, présente un taux d'application de 56 %. Ce taux relativement bas s'explique en partie par l'entrée en vigueur différée de certaines des obligations prévues par la loi. On relèvera néanmoins que les dispositions sur la publication par les établissements de recherche, au titre du personnel qu'ils emploient, de l'ensemble des indicateurs relatifs à l'égalité des chances entre les femmes et les hommes et aux actions conduites pour réduire les inégalités, n'ont pas été mises en oeuvre alors qu'elles étaient censées entrer en vigueur immédiatement.
La loi du 24 janvier 2022 visant à la création d'une plateforme de référencement et de prise en charge des malades chroniques de la covid-19 n'est pas appliquée. Cela ne nous étonnera pas vraiment, puisque notre commission avait rejeté ce texte, en estimant qu'il préconisait des modalités de prise en charge peu lisibles et parfois contradictoires avec le parcours de soins recommandé, en ville comme à l'hôpital. Concernant la plateforme que la loi entendait créer, nous avions constaté que des projets étaient en cours au niveau de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam). Au bout du compte, il est fort probable que ce texte ne soit jamais appliqué, comme d'autres lois d'affichage dans le passé et sans doute d'autres encore à l'avenir.
Plus d'un an après sa promulgation, la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants souffre d'une application très insuffisante puisque seulement 37 % des mesures réglementaires attendues ont été prises. Dix-sept textes réglementaires sont encore en attente de publication auxquels s'ajoutent une ordonnance dont le délai d'habilitation a expiré et un rapport au Parlement non rendu. Ainsi, sur les quarante-deux articles de la loi, seuls vingt-huit sont applicables en l'état. C'est d'ailleurs ce qui a conduit notre commission à créer une mission d'information relative à l'application des lois réformant la protection de l'enfance, dont le rapporteur Bernard Bonne est, par ailleurs, spécifiquement chargé du suivi de l'application de la loi du 7 février 2022. Cette mission permettra d'examiner précisément la mise en oeuvre des dispositions de cette loi à la lumière de la volonté du législateur.
Pour terminer cet inventaire sur une note positive, je vous indique que la totalité des articles de la loi du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat examinés au fond par notre commission ont été appliqués. Cela s'explique aisément par le caractère urgent ou prioritaire de la plupart des mesures portées par ce texte.
Sur le front des demandes de rapports au Parlement pour les textes relevant de la commission, on relèvera que les quinze lois promulguées contenaient vingt-sept demandes de rapport. Aucun de ces rapports n'a été remis avant le 31 mars !
Je ne ferai pas de reproche au Gouvernement à ce sujet puisqu'il s'agit par construction de demandes que notre commission n'a pas approuvées. Ce chiffre, finalement comparable à ceux de ces dernières années - en moyenne, un rapport par an nous est remis -, me paraît conforter notre position de principe sur les demandes de rapport, même si nous faisons parfois des exceptions.
Si notre commission souhaite un rapport, il faut qu'elle examine s'il répond à un besoin politique impérieux mais aussi si elle dispose à la fois de la volonté, du temps et des ressources pour le réaliser elle-même.
Voilà les principaux enseignements pouvant être tirés de ce bilan annuel. Reste à examiner comment ces réformes sont effectivement mises en oeuvre sur le terrain. C'est tout le sens de nos missions d'évaluation et de contrôle.
Certains d'entre nous ont été nommés par le président Larcher pour siéger au sein des conseils territoriaux de santé (CTS). Mais nous n'avons jamais été convoqués car le décret n'a pas encore été pris !
Mme Pascale Gruny. - Je vous remercie pour ce travail, qui doit être fait dans toutes les commissions même s'il peut paraître fastidieux et inintéressant. L'application des lois, qui m'incombe dans le cadre de ma délégation de vice-présidente, permet d'ouvrir les yeux sur la réalité de la situation. Le Président du Sénat évoque régulièrement le taux de 60 % de nos amendements repris par l'Assemblée nationale. En termes d'affichage, les apports de notre assemblée sont conservés ; mais les décrets pris pour faire suite aux amendements du Sénat sont beaucoup moins nombreux que ceux qui appliquent des dispositions issues de l'Assemblée nationale ou du Gouvernement. On constate donc que les mensonges sont nombreux, et on peut considérer qu'il s'agit d'une forme de mépris vis-à-vis de notre institution. Quant aux arrêtés, le Gouvernement nous dit qu'il ne peut pas nous fournir d'informations à leur sujet...
J'ai noté votre remarque sur les CTS : j'en ferai part à la Secrétaire générale du Gouvernement.
En ce qui concerne les rapports, notre assemblée n'en reçoit que 18 %, me semble-t-il. Ils sont réduits comme peau de chagrin ! Certes, débattre d'un amendement portant sur une demande de rapport permet de discuter au sein de l'hémicycle d'un sujet avec le Gouvernement pour lui faire prendre conscience de son importance. Mais il ne sert à rien d'aller au bout et de voter ce type d'amendement, car nous n'avons pas les rapports !
Mme Catherine Deroche, présidente. - Je remercie les services de la commission qui suivent l'application des lois. Nous constatons que le nombre de propositions de loi est trop élevé. Nous finissons par les voter parce que nous souhaitons un vote conforme, parce que nous connaissons leurs auteurs, ou pour venir à bout de la discussion d'un texte qui a assez duré... J'avais même proposé à Pascale Gruny de déclarer irrecevables les amendements qui prévoient des mesures déjà existantes, mais, les irrecevabilités étant déjà nombreuses, je ne voudrais pas aggraver mon cas ! Quand un dispositif ne marche pas, ce n'est pas en le réécrivant dans la loi que cela ira mieux ! Nous avons l'habitude d'avoir au Sénat des textes plus rigoureux qu'à l'Assemblée nationale, qui y met des dispositions réglementaires et des rapports.
Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à améliorer l'encadrement des centres de santé (deuxième lecture) - Examen du rapport et du texte de commission
Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous examinons maintenant, en deuxième lecture, la proposition de loi visant à améliorer l'encadrement des centres de santé.
M. Jean Sol, rapporteur. - La proposition de loi visant à améliorer l'encadrement des centres de santé, déposée par la présidente de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, Fadila Khattabi, en octobre 2022, a été adoptée en deuxième lecture par l'Assemblée nationale le 14 février dernier.
Alors que nous avions travaillé dans un esprit consensuel pour permettre à l'Assemblée nationale d'adopter définitivement ce texte lors de sa deuxième lecture, je constate avec regret que nous devons, en ce début du mois de mai, examiner à nouveau cette proposition de loi qui nous revient modifiée.
L'Assemblée nationale a certes adopté conformes trois articles relatifs à la prévention des conflits d'intérêts, à l'identification des professionnels de santé par un numéro personnel distinct de la structure et au régime de sanctions applicables, et elle a approuvé la suppression de deux articles dont les dispositions avaient par cohérence été transférées par le Sénat au sein d'autres articles de la présente proposition de loi.
Huit articles demeurent toutefois en discussion. Je parlais à l'instant de regret, car les modifications adoptées par l'Assemblée nationale, que je vais vous présenter, étaient à mon sens accessoires et ne justifiaient pas de reporter l'adoption de ce texte.
À l'article 1er, relatif aux procédures d'agrément, les modifications excèdent les aspects rédactionnels. L'Assemblée nationale a ainsi choisi d'intégrer les activités orthoptiques dans le champ des activités soumises à l'agrément du directeur général de l'ARS mais aussi de supprimer la possibilité de consultation des projets de santé par les conseils départementaux de l'ordre.
Je me bornerai à constater que les activités orthoptiques sont a priori réalisées dans des centres qui ont une activité ophtalmologique, et que loin de mettre à disposition les projets de santé de tous les centres, nous n'avions donné qu'un droit de consultation aux ordres, qui me paraissait légitime au regard des missions qui sont données à ces derniers.
Surtout, l'Assemblée nationale a introduit une disposition nouvelle concernant les modalités de réalisation de la visite de conformité, en prévoyant la possibilité pour la personne mandatée de ne pas annoncer son identité ni l'objet de sa visite. Ces dispositions, qui auraient pu tout à fait relever d'un décret d'application, me semblent assez délicates dans leur mise en oeuvre. En effet, comment la personne mandatée aura-t-elle accès à l'ensemble des éléments lui permettant de juger de la conformité du centre de santé ? Au-delà d'une simple observation sur les modalités d'accueil, la visite de conformité a bien pour objet d'apprécier les pratiques du centre et de ses praticiens et gestionnaires.
À l'article 1er bis A, relatif à la conservation des dossiers médicaux des patients et à leur transmission en cas de fermeture du centre de santé, si l'Assemblée a préservé l'obligation de conservation dans des conditions garantissant la continuité de prise en charge des patients, elle a privilégié, en cas de fermeture, une information des ordres à une transmission aux ARS des dossiers. Nous avions introduit cet article en première lecture pour répondre à une préoccupation forte concernant le relais de prise en charge pour certains patients dont les dossiers médicaux manquaient à la fermeture du centre de santé, et dont la reprise des soins a été largement obérée.
Concernant l'article 1er quater relatif aux modalités transitoires applicables aux centres existants, l'Assemblée nationale s'est bornée à des modifications rédactionnelles.
À l'article 2, l'Assemblée nationale a, pour l'essentiel, rétabli sa rédaction de première lecture, c'est-à-dire réinscrit dans la loi les précisions relatives au fonctionnement du comité médical ou dentaire et à l'obligation pour le gestionnaire d'assurer la transparence du centre sur l'identité des professionnels de santé qui prennent en charge les patients.
Sans doute peut-on partager la crainte que le pouvoir réglementaire ne soit tenté d'amoindrir des obligations nouvelles que l'on souhaite voir contribuer puissamment à l'amélioration de la qualité des soins. Mais fallait-il pour autant rétablir des mesures aussi manifestement infraréglementaires, et aussi élégamment tournées, que celle, par exemple, issu d'un sous-amendement du Rassemblement national, disposant que « le gestionnaire s'assure que le règlement intérieur de l'établissement prévoit le port d'un badge nominatif indiquant la fonction du professionnel de santé » ?
Ces modifications touchent également au fond du dispositif, puisque le comité médical est rendu, « avec le gestionnaire, responsable » de l'amélioration de la qualité des soins et de la formation continue du dispositif. Les contours d'une telle responsabilité ne sont pas plus clairs qu'en première lecture - c'est pourquoi nous l'avions retouchée - et seront précisés par le pouvoir réglementaire...
À l'article 4, les députés ont précisé les contours de l'obligation de publicité des décisions de sanction financière - étendue au site internet des autorités sanitaires appropriées et accompagnée d'une mise en demeure du gestionnaire de les publier sur le site du centre lui-même - et ont transformé en compétence liée ce qui n'était qu'une faculté offerte au directeur d'ARS de refuser de délivrer le récépissé ou l'agrément pour l'ouverture d'un nouveau centre lorsque les membres de son instance dirigeante ont fait l'objet d'une mesure de suspension ou de fermeture.
L'article 5 n'a fait l'objet que de modifications rédactionnelles. L'article 7 a, lui, été complété par une disposition améliorant l'information des patients en cas de déconventionnement d'un centre par l'assurance maladie, ce qui est opportun.
Enfin, l'Assemblée nationale a rétabli l'article 9, qui prévoit la remise par le Gouvernement d'un rapport au Parlement sur les moyens des agences régionales de santé. Le rétablissement de cette demande de rapport est pour moi l'exemple le plus frappant des désaccords très surmontables à l'égard du texte que nous avions adopté : une deuxième lecture provoquée notamment par une demande de rapport...
Sauf peut-être sur deux points, assez marginaux, je constate donc que les modifications apportées au texte par l'Assemblée nationale en deuxième lecture ne témoignent d'aucun désaccord réel sur la rédaction transmise par le Sénat, ni n'apportent de complément indispensable à l'économie générale du dispositif.
Je crois difficile de nier que la rédaction issue des travaux du Sénat en première lecture aurait pu, sans préjudice aucun pour la bonne application de la loi, être adoptée telle quelle par l'Assemblée nationale en deuxième lecture. C'est pourquoi je vous propose d'arrêter ici la navette parlementaire pour ce texte en préconisant son adoption définitive par le Sénat.
En effet, pour regrettable et irritant que soit le comportement de nos collègues députés, il nous appartient de ne pas « remettre une pièce dans la machine », si vous me permettez l'expression. Alors que le texte aurait pu entrer en application en février, une modification par le Sénat renverrait une nouvelle fois sa mise en oeuvre, qui ne pourrait alors intervenir avant l'été.
Dans l'intérêt des patients et en accord avec notre présidente, je vous propose donc d'adopter aujourd'hui ce texte sans modification et d'appeler le Sénat, mardi 9 mai, à adopter définitivement la proposition de loi.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Il ne serait en effet pas justifié de prolonger la navette parlementaire pour des détails. Nous avions pourtant fait en sorte, en première lecture, d'adopter une rédaction permettant de parvenir à un vote conforme entre nos deux assemblées, afin que le texte entre rapidement en vigueur ; mais les députés ont préféré adopter des modifications mineures, d'ordre réglementaire et guère utiles, car le rapport demandé ne sera vraisemblablement jamais remis ! Malheureusement, cette démarche est quasi systématique...
Mme Pascale Gruny. - Je soutiens la position de notre rapporteur. Les centres de santé posent parfois des problèmes. Saint-Quentin compte deux centres de santé, mais ils sont vides et n'ont pas de médecins ! Pourtant les notes de frais des dirigeants et les salaires sont élevés, et une enquête est en cours. Le problème de fond est que l'on manque de professionnels de santé. La sécurité sociale finance-t-elle ces centres ? Et dans ce cas, quel est le niveau des aides par rapport à celles octroyées aux maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) ?
Mme Catherine Deroche, présidente. - Dans les centres de santé, les médecins sont souvent salariés. Le centre de santé de Lamballe, par exemple, où notre commission d'enquête sur la situation de l'hôpital et le système de santé en France s'est déplacée, qui est installé au sein de l'hôpital de proximité, compte huit médecins pour cinq équivalents temps plein. Les médecins sont salariés et le centre perçoit le montant des actes réalisés.
Les prérogatives des ARS sont limitées. Elles reçoivent simplement un engagement de conformité des centres de santé.
Lorsque j'étais conseillère régionale en Pays de la Loire, nous soutenions les collectivités qui créaient des MSP, mais nous pouvions aussi les aider pour l'installation d'un centre de santé lorsqu'il n'y avait pas d'offre médicale à proximité, sous réserve que ces centres participent à la permanence des soins et qu'ils équilibrent leurs comptes. C'est ainsi que cela fonctionne. Il n'y a pas d'aide spécifique.
M. Jean Sol, rapporteur. - Il ne faut pas confondre les centres de santé et les MSP. Je rejoins les propos de Mme Gruny. Les collectivités investissent pour créer des maisons de santé, se dotent de belles infrastructures, mais celles-ci restent parfois vides, faute de médecins.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Il ne me semble pas anormal que les collectivités aident les centres de santé, elles aident déjà les maisons de santé où exercent des médecins libéraux. De plus en plus de médecins s'installent d'ailleurs ainsi en libéral tout en bénéficiant d'un financement de la collectivité !
Mme Émilienne Poumirol. - En ce qui concerne les aides, l'article 5 de notre proposition de loi visant à rétablir l'équité territoriale face aux déserts médicaux et à garantir l'accès à la santé pour tous prévoyait que les aides des ARS aux centres de santé devaient être équivalentes à celles octroyées aux MSP en exercice libéral. Je rappelle ainsi que les aides s'élèvent à 50 000 euros par installation d'un médecin en libéral en MSP, et à 30 000 euros dans le cas des centres de santé. Il y a donc une différence nette. Les ARS versent donc bien une aide, et elle varie selon que l'on exerce en libéral ou en centre santé.
Mme Catherine Deroche. - Il s'agit des aides à l'installation. Le médecin en exercice libéral a une amplitude horaire plus large que le médecin en centre de santé.
Mme Annie Le Houerou. - Il faut bien faire la distinction entre les centres de santé à but lucratif et ceux portés par une collectivité. Les centres à but lucratif ont tendance à se développer alors que l'hôpital public s'effrite. À cet égard, cette proposition de loi s'apparente à un pansement sur une jambe de bois. Les modifications apportées par l'Assemblée nationale sont mineures. Je soutiens la position de notre rapporteur en faveur d'un vote conforme pour mettre un terme à la navette.
Il est paradoxal de constater que, dans certains lieux, des maternités ferment au moment même où des centres de santé, dotés de sages-femmes et de gynécologues, ouvrent. Un encadrement par les ARS permettrait d'endiguer les dérives.
Je ne comprends pas pourquoi l'Assemblée nationale a choisi d'intégrer les activités orthoptiques dans le champ des activités soumises à l'agrément du directeur général de l'ARS. Les centres orthoptiques ne sont pas médicalisés. On ne sait pas comment les personnels sont formés. L'essentiel est la présence d'un ophtalmologue.
Si la proposition de loi permet de limiter les dérives, elle ne règle pas la question de l'offre de soins. En outre, si les ARS n'ont pas les moyens pour contrôler, le texte restera sans effet.
M. Alain Milon. - J'avais le sentiment qu'avec cette proposition de loi nous faisions oeuvre utile. Je partage la colère de notre rapporteur face aux modifications adoptées par l'Assemblée nationale ; en conséquence, je m'abstiendrai. Les demandes de rapport sont inutiles, on le sait. Les ministres et leurs services ont pour mission d'agir, non de faire des rapports !
M. Jean-Luc Fichet. - La question sous-jacente est celle de l'offre de soins dans les territoires. L'idée des centres de santé est intéressante, mais ce dispositif est dévoyé par le jeu des intérêts privés. Le contrôle est essentiel : il faut prévoir un agrément en amont et un pouvoir de contrôle des ARS en aval, à l'improviste, sans prévenir. Les élus locaux sont soumis à de fortes pressions pour maintenir une offre de soins en raison de la fermeture de services à l'hôpital et de la raréfaction des médecins. Lorsqu'un maire des Côtes d'Armor a voulu augmenter de façon très raisonnable le loyer, pourtant modeste, du médecin, celui-ci a menacé de partir et la population a fait pression sur le maire. Résultat, de plus en plus de médecins réclament la gratuité des locaux et d'autres avantages. Ces pratiques donnent de la profession une image désastreuse. Mais les maires sont sous pression pour concéder toujours plus d'avantages aux médecins pour qu'ils s'installent.
M. Daniel Chasseing. - À l'image de tant d'autres, le rapport demandé par l'Assemblée nationale ne sera sans doute jamais réalisé. Je soutiendrai la position de notre rapporteur.
Il existe des problèmes avec les centres de santé à but lucratif. Il convient de les contrôler. Il est normal que les médecins perçoivent plus d'aides lorsqu'ils s'installent en MSP en exercice libéral, car ils s'investissent davantage dans ce cas pour gérer la structure, que lorsqu'ils s'installent comme salariés en centre de santé.
Mme Émilienne Poumirol. - Je voudrais attirer l'attention sur la création de centres de soins non programmés. Les urgentistes quittent l'hôpital pour s'installer dans ces centres, ouverts uniquement en journée, où ils sont mieux payés sans avoir de gardes à faire ! Les services d'urgences sont déjà en difficulté. Ce phénomène les fragilise encore davantage. L'hôpital est contraint de recourir aux vacations de médecins mercenaires, qu'il paie très cher, pour continuer à fonctionner.
M. Jean Sol, rapporteur. - Il existe en effet des aides des ARS ou de la Cnam pour l'installation et l'équipement des médecins dans les centres de santé. Mais cette proposition de loi n'a pas pour objet de gommer les disparités de cet ordre entre les différentes structures d'exercice.
Nous devons en effet être vigilants sur les centres de soins non programmés, alors que les professionnels de santé ont tendance à quitter de plus en plus l'hôpital.
Je comprends la position d'Alain Milon. Faut-il pour autant repousser encore la date d'adoption du texte en refusant de voter un texte conforme ? Je ne le pense pas.
Monsieur Fichet, je souscris à vos propos sur l'offre de soins sur le territoire. Il faut veiller à ce que les intérêts privés ne l'emportent pas sur toute autre considération dans certaines structures. Nous sommes d'accord pour doter les ARS d'une prérogative de contrôle, reste à définir les moyens qui leurs seront octroyés : les ARS sont prêtes à effectuer cette tâche, mais elles s'interrogent sur leurs moyens pour ce faire, aussi bien en termes de ressources humaines que de compétences.
La pression sur les élus est forte pour qu'ils préservent une offre de soins dans leur commune ; les territoires sont en concurrence et se livrent parfois à des surenchères pour attirer les médecins. Ces derniers réclament toujours plus d'aides : la mise à disposition d'un local, d'une voiture de fonction, etc. Plus largement, ils se renseignent aussi sur les écoles, les services publics, les activités culturelles ou de loisir à proximité avant de s'installer.
Enfin, je souscris aux propos de M. Chasseing sur l'intérêt de soutenir l'installation des médecins en exercice libéral plutôt qu'en tant que médecins salariés.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er
L'article 1er est adopté sans modification.
Article 1er bis A
L'article 1er bis A est adopté sans modification.
Article 1er quater
L'article 1er quater est adopté sans modification.
M. Jean Sol, rapporteur. - L'amendement COM-2 vise à ce que le règlement intérieur d'un centre de santé prévoie la remise aux patients d'une note récapitulant l'ensemble des actes effectués et facturés à l'assurance maladie pour les activités dentaires, ophtalmologiques ou orthoptiques.
Il est douteux que le règlement intérieur de l'établissement soit le bon vecteur d'une telle obligation, qui, par ailleurs, n'est sans doute pas du domaine législatif. Une telle précision remettrait en outre en cause le principe d'une adoption conforme du texte, au bénéfice des patients.
Pour toutes ces raisons, j'émets un avis défavorable à cet amendement.
L'amendement COM-2 n'est pas adopté.
M. Jean Sol, rapporteur. - L'amendement COM-1 renvoie à un arrêté la fixation des qualifications attendues des gestionnaires des centres de santé.
Il n'est pas certain qu'il soit opportun d'exiger des qualifications professionnelles particulières des gestionnaires de centres, qui ne sont pas une profession réglementée et peuvent n'avoir qu'une fonction de gestion, précisément. Les dispositions de l'article 1er devraient suffire à garantir la qualité des dossiers de demande d'ouverture de centre.
De nouveau, afin de permettre l'entrée en vigueur rapide du texte, j'émets un avis défavorable à cet amendement.
L'amendement COM-1 n'est pas adopté.
L'article 2 est adopté sans modification.
Articles 4, 5, 7 et 9
Les articles 4, 5, 7 et 9 sont successivement adoptés sans modification.
La proposition de loi est adoptée sans modification.
TABLEAU DES SORTS
Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à favoriser l'accompagnement des couples confrontés à une fausse couche - Examen des amendements au texte de la commission
Mme Catherine Deroche, présidente. - Il nous revient d'examiner à présent les amendements extérieurs déposés sur le texte établi par la commission pour la proposition de loi visant à favoriser l'accompagnement des couples confrontés à une fausse couche. Je vous précise que vingt-deux amendements ont été déposés, en plus d'un amendement du rapporteur que nous allons examiner maintenant.
EXAMEN D'UN AMENDEMENT DU RAPPORTEUR
M. Martin Lévrier, rapporteur. - L'amendement n° 23 vise à créer une protection contre le licenciement à destination des salariées confrontées à une « fausse couche tardive », c'est-à-dire une interruption spontanée de grossesse entre la 14e et la 21e semaine d'aménorrhée incluses, concernant moins de 1 % des grossesses. Cette protection aurait une durée de dix semaines à compter de l'interruption spontanée de grossesse, et ne couvrirait pas les cas de faute grave de la salariée.
Ce faisant, l'amendement rapproche le droit applicable aux femmes confrontées à une interruption spontanée de grossesse entre la 14e et la 21e semaine d'aménorrhée de celui applicable à de nombreuses situations ayant trait à la grossesse ou à la perte d'un enfant ou d'un foetus.
Compte-tenu des répercussions psychologiques qui peuvent être consécutives à la perte d'un foetus après la quatorzième semaine d'aménorrhée et des discriminations associées au désir réel ou supposé de parentalité qu'elle peut révéler à l'employeur, il apparaît justifié d'instaurer une protection contre le licenciement pour les femmes qui y sont confrontées.
Un tel amendement permettra également de limiter les effets de seuil : une grossesse arrêtée à 22 semaines d'aménorrhée moins un jour ne donne aujourd'hui lieu à aucune protection, contre 26 semaines de protection minimum en cas d'interruption de grossesse à compter de la 22e semaine. La différence de traitement apparaît ici disproportionnée par rapport à la différence de situation dont elle découle : à 21 semaines, la grossesse est en règle générale déjà connue de l'employeur et des proches de la femme enceinte, qui peut s'être déjà pleinement projetée dans sa parentalité souhaitée, le cas échéant avec l'autre membre de son couple.
Mme Catherine Procaccia. - En principe, pour modifier le droit du travail, il convient de consulter les partenaires sociaux.
M. René-Paul Savary. - Je ne comprends guère l'intérêt de cet amendement. Si un arrêt de travail est nécessaire, le médecin le délivrera. Inutile d'aller plus loin dans la loi.
M. Martin Lévrier, rapporteur. - Je m'inspire de ce que le législateur a déjà prévu pour les deuils périnataux. Je rappelle que les interruptions spontanées de grossesse entre la 14e et la 21e semaine d'aménorrhée incluses concernent moins de 1 % des grossesses. Le but est surtout d'éviter les effets de seuils. Il ne s'agit en outre pas d'un arrêt de travail, mais d'une protection contre le licenciement.
Mme Catherine Procaccia. - Cela relève toujours du droit du travail ! Une femme enceinte ne peut pas être licenciée.
M. Martin Lévrier, rapporteur. - Cette protection ne joue pas en cas d'interruption spontanée de grossesse. Une femme confrontée à une interruption une grossesse arrêtée à 22 semaines d'aménorrhée moins un jour ne bénéficie aujourd'hui d'aucune protection.
Mme Frédérique Puissat. - Je suis d'accord avec Mme Procaccia. Ces sujets relèvent de la négociation entre les partenaires sociaux conformément à l'article L.1 du code du travail.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Je ne comprends pas cet argument. Le législateur est dans son rôle en modifiant le droit du travail. Il ne s'agit pas d'une négociation de branche. Je constate d'ailleurs que les modifications récentes du droit du travail ne se sont pas accompagnées d'une concertation avec les partenaires sociaux...
Mme Catherine Procaccia. - Concertation ne signifie pas accord...
Mme Raymonde Poncet Monge. - Il n'empêche ! Il s'agit de protéger les femmes enceintes. Il ne s'agit pas de modifier les conventions de branche ni les accords professionnels. Une femme victime d'une interruption spontanée de grossesse entre la 14e et la 21e semaine d'aménorrhée n'est pas protégée. Il est légitime que le législateur intervienne.
M. Martin Lévrier, rapporteur. - Je le redis, il s'agit de protéger les femmes victimes d'une interruption spontanée de grossesse entre la 14e et la 21e semaine d'aménorrhée, situation qui représente moins de 1 % des grossesses. Cela relève parfaitement du champ de la loi. Une protection similaire existe déjà, par exemple, dans le cas du deuil périnatal.
Mme Catherine Procaccia. - Certes, mais l'article L.1 du code du travail dispose que toute modification du droit du travail doit faire l'objet d'une négociation avec les partenaires sociaux. Négociation ne signifie pas accord évidemment, car sinon toute réforme serait impossible.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Nous sommes d'accord : il s'agit bien d'une négociation, non d'une simple consultation...
M. Alain Milon. - Négocier n'implique pas nécessairement parvenir à un accord.
Mme Émilienne Poumirol. - Il serait paradoxal qu'une femme enceinte bénéficie d'une réduction de son temps de travail journalier à partir du 4e mois de grossesse, mais ne soit pas protégée en cas de fausse couche entre la 14e et la 21e semaine ! Je voterai cet amendement qui est protecteur des femmes.
L'amendement n° 23 est adopté.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION
M. Martin Lévrier, rapporteur. - Les amendements nos 1 rectifié quinquies, 4 et 14 visent tous à permettre aux sages-femmes de prendre en charge l'interruption spontanée de grossesse.
Je comprends bien sûr l'intention des auteurs de valoriser les compétences des sages-femmes dans la prise en charge de la santé des femmes et de favoriser un meilleur accès aux soins.
Toutefois, je crois qu'une telle extension doit faire l'objet d'une réflexion plus approfondie. Si les sages-femmes sont, depuis 2016, compétentes pour prendre en charge les interruptions volontaires de grossesse (IVG) médicamenteuses, elles ne sont toutefois pas autorisées à pratiquer les interruptions de grossesse pour motif médical et ne sont autorisées à pratiquer des IVG instrumentales qu'à titre expérimental, après avoir suivi une formation théorique obligatoire ainsi qu'une formation pratique, consistant en l'observation de 30 actes d'IVG instrumentale et la réalisation de 30 autres.
De plus, les interruptions spontanées de grossesse trouvant souvent leur origine dans une anomalie embryonnaire ou dans des problèmes de santé de la mère, un diagnostic médical peut s'avérer indispensable.
Dans ces conditions, il me semble précipité de légiférer sur ce point en ouvrant aux sages-femmes une compétence inconditionnelle à la prise en charge des interruptions spontanées de grossesse. Cette question devra être approfondie à l'occasion d'un prochain texte, afin d'établir les conditions dans lesquelles les sages-femmes peuvent être davantage impliquées dans la prise en charge des patientes.
C'est pourquoi je vous propose d'émettre sur ces amendements un avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 1 rectifié quinquies, 4 et 14.
M. Martin Lévrier, rapporteur. - L'amendement n° 10 rectifié vise à inclure, au sein des parcours « fausses couches », les infirmiers en pratique avancée (IPA) au sein des services d'urgences. La mention « urgences » de la pratique avancée infirmière a été créée récemment. Elle est progressivement déployée dans les services d'urgences hospitaliers. Dans la mesure où ces IPA pourront être amenés à contribuer à la prise en charge des femmes confrontées à une interruption spontanée de grossesse, je vous propose d'émettre sur cet amendement un avis favorable.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Cela me semble contradictoire avec votre position concernant les sages-femmes, qui sont, je le rappelle, une profession médicale. Les IPA « urgences » n'ont pas plus d'expérience que les sages-femmes en ce domaine.
Mme Émilienne Poumirol. - Pourquoi en effet refuser aux sages-femmes d'intervenir auprès d'une femme qui fait une fausse couche spontanée, alors qu'elles peuvent pratiquer une IVG médicamenteuse, voire instrumentale, dans certaines conditions ? Les IPA ne sont pas plus compétentes qu'elles en la matière. On manque aussi de gynécologues.
Mme Véronique Guillotin. - Je suis du même avis. Je ne voterai pas cet amendement. Si une femme fait une fausse couche, elle sera prise en charge aux urgences par toute les infirmières, qu'elles soient IPA ou non.
M. Martin Lévrier, rapporteur. - Les compétences des sages-femmes en matière d'IVG sont très encadrées. C'est pourquoi je propose que, s'agissant des interruptions spontanées, la question de leur compétence fasse l'objet d'une réflexion approfondie, afin d'établir les conditions dans lesquelles les sages-femmes pourraient être davantage impliquées dans la prise en charge des patientes.
Concernant les IPA, cet amendement se borne à les intégrer dans le « parcours fausse couche ». Il ne s'agit pas de les autoriser à prescrire des médicaments ou pratiquer une intervention chirurgicale. La question est donc différente de celle, évoquée précédemment, des compétences des sages-femmes.
Les IPA sont déjà dans les services d'urgences et peuvent contribuer, notamment, à l'information et à l'orientation des patientes. D'où ma proposition d'avis favorable sur cet amendement.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Cette distinction ne sera pas comprise et sera mal perçue.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 10 rectifié.
M. Martin Lévrier, rapporteur. - L'amendement n° 8 rectifié vise à faire obligation aux professionnels de santé prenant en charge une femme victime d'une interruption spontanée de grossesse de lui proposer un examen médical complémentaire dans les quatre semaines suivant l'interruption. Il reprend en cela la contrainte qui était initialement portée par l'article 1er bis, que nous avons supprimé en commission. Nous avions jugé qu'il était inutile de contraindre les professionnels de santé, dont l'exercice est déjà guidé par les recommandations des sociétés savantes qui ne préconisent un second examen que dans certains cas. En conséquence, je vous propose un avis défavorable sur cet amendement.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 8 rectifié.
M. Martin Lévrier, rapporteur. - L'amendement n° 11 rectifié vise à aligner le droit applicable à l'interruption spontanée de grossesse sur celui applicable aux IVG, en prévoyant que la prise en charge des femmes concernées doit préserver, le cas échéant, l'anonymat de l'intéressée. Il vise notamment à renforcer la protection de l'anonymat en ville lorsque la patiente le souhaite, par la mise en place de procédures spécifiques.
Il doit toutefois faire l'objet de plusieurs corrections rédactionnelles, afin notamment d'assurer sa bonne insertion dans le code. Je vous propose un avis favorable sous réserve de rectification.
Mme Catherine Deroche, présidente. - L'anonymat n'est-il pas déjà protégé par le secret médical ?
M. Martin Lévrier, rapporteur. - L'anonymat est protégé uniquement dans les établissements de santé, il n'est pas assuré en ville. Il s'agit de prévoir une procédure spécifique pour le garantir lors des soins de ville, notamment en matière de remboursement.
La commission émet un avis favorable sous réserve de rectification à l'amendement n° 11 rectifié.
M. Martin Lévrier, rapporteur. - L'amendement n° 21 confie à Santé publique France une nouvelle mission, consistant à développer l'information la plus large possible sur les interruptions spontanées de grossesse. Santé publique France a déjà pour mission d'assurer « le développement de la prévention et de l'éducation pour la santé ». Elle peut s'autosaisir de toute question en cette matière. De plus, les parcours mis en place par les ARS auront déjà pour fonction de systématiser l'information des patientes. Enfin, il semble plus pertinent que l'information soit préparée au niveau local. Pour toutes ces raisons, je vous propose d'émettre un avis défavorable sur cet amendement.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 21.
M. Martin Lévrier, rapporteur. - L'amendement n° 7 rectifié prévoit d'inclure, dans le cadre des entretiens prénataux, une information sur les risques liés à la grossesse et aux fausses couches. Si l'information est un sujet crucial et a été renforcée à mon initiative en commission, cet amendement ne semble pas opportun face à la diversité des vécus des grossesses. Il appartient au médecin de déterminer, en fonction de sa patiente, si une information sur les risques de la grossesse lors de l'entretien prénatal apparaît bienvenue ou préjudiciable. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 7 rectifié.
M. Martin Lévrier, rapporteur. - L'amendement n° 16 rectifié bis permet d'étendre aux non-salariées agricoles le bénéfice de la levée du délai de carence sur les arrêts de travail consécutifs à une interruption spontanée de grossesse.
En commission, j'avais regretté ne pas pouvoir élargir à l'ensemble des assurées sociales le dispositif : faute de recevabilité financière, je n'avais pu inclure que les indépendantes. Je me réjouis que le Gouvernement ait déposé cet amendement et vous invite à émettre un avis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 16 rectifié bis.
M. Martin Lévrier, rapporteur. - Les amendements nos 3 rectifié, 17 rectifié et 15 rectifié visent à créer un congé pour événement familial au bénéfice de la mère, du père et, le cas échéant, du conjoint de la mère, confrontés à une interruption spontanée de grossesse, d'une durée minimale de trois jours. Ce congé serait à la charge de l'employeur. La commission a voté contre un amendement similaire lors de l'examen du texte avant la suspension. Avis défavorable.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Ces amendements ne risquent-ils pas d'être déclarés irrecevables en application de l'article 40 de la Constitution ?
M. Martin Lévrier, rapporteur. - Il ne semble pas, car le congé pour événement familial serait à la charge non pas des finances publiques, mais de l'employeur.
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 3 rectifié, 17 rectifié et 15 rectifié.
M. Martin Lévrier, rapporteur. - L'amendement n° 22 tend à intégrer aux séances d'éducation à la sexualité dispensées dans les collèges et les lycées une sensibilisation aux risques liés à la grossesse, notamment en matière d'interruption spontanée de grossesse, et aux moyens de les prévenir.
La commission avait voté contre cet amendement lors de son examen avant la suspension. Je vous propose donc, en cohérence, d'émettre un avis défavorable sur cet amendement.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 22.
M. Martin Lévrier, rapporteur. - L'amendement n° 6 vise à remplacer l'expression « le partenaire » par l'expression « le ou la partenaire » afin de tenir compte du fait que l'interruption spontanée de grossesse peut concerner, notamment, un couple de femmes. Je souscris bien sûr à l'idée que les couples de femmes doivent être accompagnés au même titre que les couples hétérosexuels. Mais le mot « partenaire » dans ce contexte a un sens neutre et non masculin. C'est ainsi que la notion est systématiquement employée dans le code de la santé publique.
C'est pourquoi je vous propose d'émettre un avis défavorable. Je signalerai en séance que l'accompagnement visé par cet article couvre, bien sûr, les couples de femmes.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 6.
M. Martin Lévrier, rapporteur. - L'amendement n° 18 vise à permettre, dans les zones sous-denses et dans les cas d'interruption spontanée de grossesse, la réalisation des séances de suivi psychologique prises en charge à distance, par vidéotransmission. Notre commission avait déjà repoussé un tel amendement. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 18.
M. Martin Lévrier, rapporteur. - L'amendement n° 13 rectifié prévoit d'inclure dans le champ du rapport d'évaluation du dispositif MonParcoursPsy, qui doit être rendu au plus tard le 1er septembre 2024, l'accessibilité du dispositif pour les couples confrontés à une interruption spontanée de grossesse. Le rapport ayant déjà été demandé en LFSS pour 2022, cet amendement ne participera pas à multiplier les demandes de rapport : je vous propose d'émettre un avis favorable.
En revanche, avis défavorable à l'amendement n° 2, qui, lui, consiste en une demande de nouveau rapport.
Mme Véronique Guillotin. - Le suivi psychologique du couple est essentiel. Sans cela, cette proposition de loi ne sera de peu d'utilité. Il faut prendre ce sujet à bras-le-corps.
Mme Catherine Deroche, présidente. - L'amendement n° 13 rectifié répond en partie à ces préoccupations.
M. René-Paul Savary. - Je partage le point de vue de Mme Guillotin. Le problème est l'insuffisance de la prise en charge psychologique de ces couples, qui sont traités comme des patients lambda. Or l'expérience d'une fausse couche est traumatisante. Il faut prévoir une prise en charge spécifique, sinon cette proposition de loi n'a guère d'intérêt.
M. Martin Lévrier, rapporteur. - C'est bien le sens de cette proposition de loi qui crée, notamment, un parcours spécifique.
M. René-Paul Savary. - Un rapport ne suffit pas. Il faut des actes !
M. Martin Lévrier, rapporteur. - Le rapport permettra de vérifier que le dispositif MonParcoursPsy est accessible aux couples confrontés à une interruption spontanée de grossesse.
Mme Véronique Guillotin. - MonParcoursPsy ne fonctionne pas.
Mme Émilienne Poumirol. - C'est vrai. Ce dispositif a été créé sans concertation avec les psychologues, et ces derniers y sont majoritairement hostiles. Il conviendrait de revoir les modalités de fonctionnement de ce parcours. A minima, il faudrait prévoir que n'importe quel accompagnement psychologique réalisé par un psychologue puisse être remboursé dans le cadre de ce parcours.
M. Martin Lévrier, rapporteur. - On peut considérer que l'adoption de ce texte contraindra le Gouvernement à faire en sorte que MonParcoursPsy fonctionne bien.
Mme Émilienne Poumirol. - C'est un voeu pieux. Sans négociations préalables avec les psychologues, cela ne peut pas marcher !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - L'essentiel est d'assurer une prise en charge, assortie d'un remboursement.
M. Martin Lévrier, rapporteur. - Absolument ! C'est bien pour cette raison qu'il convient de s'assurer que MonParcoursPsy fonctionne.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 13 rectifié.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 2.
M. Martin Lévrier, rapporteur. - Les amendements nos 19 et 5 visent à rétablir l'article 1er bis, supprimé par la commission parce qu'il contraignait inutilement les professionnels de santé. Ceux-ci sont déjà soumis à des obligations d'information des patients et prescrivent des examens complémentaires lorsque cela apparaît nécessaire, conformément aux préconisations des sociétés savantes. Je vous propose donc d'émettre un avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 19 et 5.
M. Martin Lévrier, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement no 20 qui vise à rétablir l'article 1er ter, supprimé par la commission.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Cet amendement vise à demander un rapport sur l'extension de l'assurance maternité dès le 4e mois de grossesse, et non à partir du 6e mois. Le droit du travail prévoit en effet que les femmes enceintes bénéficient d'une réduction minimale de leur temps de travail d'1 heure par jour dès le 4e mois de grossesse. En cas d'incident entre le 4e et le 6e mois de grossesse, les femmes doivent obtenir un arrêt de travail, avec le délai de carence associé, et ne bénéficient pas de la protection de l'assurance maternité. Il conviendrait d'harmoniser les deux régimes.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 20.
Questions diverses
Mme Catherine Deroche, présidente. - Je voudrais vous faire de mon intention de saisir l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), en application de l'article 6 ter de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, afin que l'Office puisse faire un point sur les aspects scientifiques relatifs aux alternatives au tabac, en particulier sur leur dangerosité.
Comme vous le savez, il s'agit d'un sujet fréquemment débattu, notamment lors de l'examen du PLFSS, sur lequel, me semble-t-il, nous aurions besoin d'un éclairage.
Il en est ainsi décidé.
La réunion est close à 12h25.
TABLEAU DES AVIS