Mercredi 12 avril 2023
- Présidence de Mme Évelyne Perrot, vice-présidente -
La réunion est ouverte à 14 heures.
Audition de M. Alexis Guilpart, animateur du réseau « Eau et Milieux Aquatiques » de France Nature Environnement (FNE)
Mme Évelyne Perrot, présidente. - Nous accueillons aujourd'hui M. Alexis Guilpart, représentant de France Nature Environnement (FNE), pour une audition dans le cadre de la mission d'information sénatoriale sur la gestion durable de l'eau. Nous sommes particulièrement intéressés par l'analyse des politiques de l'eau et par les propositions que vous entendez mettre sur la table. Les associations environnementales sont représentées dans les instances de gouvernance de l'eau : agences de bassin, commissions locales de l'eau (CLE) ou encore élaboration des projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE). Quelles sont les priorités que vous défendez ? Est-il possible d'aboutir à des consensus locaux qui engagent toutes les parties ? Quel regard portez-vous sur le Plan Eau de 53 mesures que vient d'annoncer le Président de la République ?
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Nous souhaitons en préambule que vous rappeliez les missions de FNE avant de nous indiquer les sujets majeurs sur lesquels vous souhaitez nous alerter ? Puis, nous rentrerons dans le questionnaire qui vous a été transmis. Nous sommes à un moment intéressant politiquement. Nous vivons un épisode de sécheresse anormalement long qui se révèle très préoccupant. Un plan du Gouvernement a récemment été présenté. Nous souhaitons approfondir cette question qui résonne fortement en ce moment.
M. Alexis Guilpart, animateur du réseau « Eau et Milieux Aquatiques » de France Nature Environnement. - Merci pour votre accueil. Je suis l'animateur du réseau « Eau et Milieux Aquatiques » au sein de l'association France Nature Environnement. Je fais vivre toutes ces questions liées à l'eau dans notre mouvement qui compte plus de 9 000 associations et près de 900 000 adhérents via ces associations qui se fédèrent au niveau territorial, ou bien directement au niveau national. FNE est ainsi une importante fédération d'associations de protection de la nature en France. À ce titre, nous sommes présents sur les questions de l'eau dans les comités de bassin en métropole et dans la majorité des CLE. Nous sommes très investis, de longue date, à tous les échelons. Nous avons participé aux différentes séquences de concertation et de planification des années passées avec la mise en place des nouveaux schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), le cycle des Assises de l'eau, le Varenne de l'eau et maintenant le Plan eau. Cela nous permet d'appréhender également la sécheresse que l'on vit actuellement.
Ce qui était l'exception risque de devenir la norme. L'eau est au coeur d'enjeux majeurs : la raréfaction de la ressource, la préservation de cette ressource, les politiques de sobriété à mettre en place et enfin le partage de cette ressource disponible entre les différents usages tout en préservant les milieux. Comment faire le lien entre la qualité et la quantité ? Quand la ressource se raréfie et qu'elle est davantage prélevée, les polluants vont se concentrer et les habitats de la faune et de la flore en seront plus impactés. Tout est lié, le bouleversement climatique du cycle de l'eau, les usages que l'on en a, les effets de l'activité humaine sur lesquels on doit travailler pour revenir aux objectifs de la directive cadre européenne sur l'eau (DCE) qui vise à atteindre un bon état des masses d'eau. Cet objectif est sans arrêt repoussé, on parle d'ailleurs plutôt d'un horizon. Quels moyens se donne-t-on vis-à-vis de ces objectifs qui constituent des réponses au changement climatique ? Au coeur de la question de l'eau, du changement climatique et de la biodiversité, on trouve l'état de nos écosystèmes. Nos sols sont très dégradés et nombre de solutions passent par la restauration de ces écosystèmes. Il faut redonner leur fonctionnalité aux cours d'eau, aux zones humides et à l'ensemble de nos sols dans leur capacité à mieux infiltrer, restituer et stocker l'eau, les sols stockant beaucoup plus d'eau que l'ensemble de nos cours d'eau !
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Sur la question de la gouvernance, vous participez aux travaux sur l'élaboration des SDAGE et des schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE). Quelle est votre analyse de ces outils, des méthodes et des processus ? Leur déclinaison par les CLE est-elle satisfaisante ? Y a-t-il des améliorations à effectuer ? Votre gouvernance est complexe, vous êtes une fédération d'associations qui n'ont pas toujours les mêmes positions ! Vous avez mentionné la qualité et la quantité qu'il faut concilier, je rajouterai les usages. C'est toute la conflictualité qui est posée ! Enfin, que pensez-vous des PTGE qui tendent à se développer ? Quelles sont vos propositions pour améliorer les démarches territoriales ?
M. Alexis Guilpart. - Le SDAGE est le document de planification qui réaffirme l'idée de mener la politique de l'eau à l'échelle du bassin versant. C'est ce que l'on défend. C'est cohérent. On ne se préoccupe pas seulement de la ressource mais aussi du territoire. Planifier la politique de l'eau à l'aide de ces documents constitue une bonne approche. Chaque SDAGE va être différent au vu du territoire et du bassin hydrographique mais aussi selon les rapports de force préexistants entre les usagers, entre l'amont et l'aval, selon si le territoire est industrialisé ou agricole... Il y a parfois une difficulté à trouver des consensus. Des SDAGE peuvent être votés par les comités de bassin de façon très collective, d'autre sont accueillis avec plus de méfiance par nos associations avec des abstentions, voire des votes contre si certaines orientations posent problème. C'est un document qui donne de grandes orientations mais qui n'est pas très prescriptif. La question qui se pose est de savoir comment les SAGE arrivent à décliner ces orientations par des mesures plus opérationnelles. Se pose également la question de la couverture de l'intégralité du territoire par les SAGE. Nous y sommes favorables même si cela ne réglera pas tout. Il nous semble que c'est à chaque territoire de s'emparer des questions de l'eau et que c'est à cet échelon que cela se fait le mieux.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Seriez-vous favorable à l'élargissement du nombre d'établissements publics territoriaux de bassin (EPTB) et d'établissements publics d'aménagement et de gestion de l'eau (EPAGE) et à une organisation plus cohérente au niveau des territoires pour avoir une sorte d'homogénéité même s'il y a des différences dans les modes de gouvernance ?
M. Alexis Guilpart. - Nous n'avons pas un avis très précis sur la question de savoir s'il faut des EPTB ou des EPAGE qui fonctionneraient de la même façon. Il peut y avoir des SAGE animés par des EPTB mais également par les élus et les collectivités. Le Plan eau prévoit la généralisation des SAGE dans les territoires où il n'y en a pas encore. Cela impliquera une volonté politique locale de mettre en place des CLE avec de réels moyens d'animation et de formation.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Les EPTB sont adaptés à l'échelle des bassins relativement importants, les EPAGE et ses syndicats de rivière demeurent dans une logique de subsidiarité.
M. Alexis Guilpart. - C'est au plus près des territoires que peuvent être prises les meilleures décisions, mais il y a aussi toutes les questions de solidarité entre amont et aval à prendre en compte. Le SAGE assure la déclinaison des orientations du SDAGE. Aujourd'hui, peu de SAGE comportent des mesures fortes en matière de gestion quantitative de l'eau. La généralisation des SAGE est prévue par le Plan eau.
Concernant les PTGE, nous défendons cet outil car il conduit à faire de la concertation, ce qui est particulièrement intéressant là où il n'y a pas de SAGE, et donc là où il y a une lacune en matière de dialogue et de concertation. Là où il existe un SAGE qui fonctionne bien, il n'y a pas forcément besoin d'un PTGE. Et là où un PTGE fonctionne bien, nous proposons que ce soit la première brique d'un futur SAGE. Même si ce n'est pas la même échelle, le PTGE est un bon outil centré sur l'eau en tant que ressource. Mais il ne faut pas que les SAGE soient dépossédés de la question.
Mme Évelyne Perrot, présidente. - Est-ce qu'il existe dans tous les départements une carte avec les sources, les rus, les mares ? Cela existe dans mon secteur car je suis dans un parc naturel et nous avons cartographié tout cela.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Cela n'existe pas de manière exhaustive. Concernant les étangs, tous les points d'eau ne sont pas forcément répertoriés. Dans le cadre du Varenne agricole de l'eau, il y a un travail de recensement de l'ensemble des points d'eau mais avec des difficultés pour estimer les quantités stockées car on ne connait pas toujours la profondeur des étangs. Nous avons des connaissances à approfondir, les nappes profondes étant encore mal connues, de même que les volumétries. Sur l'ensemble des cours d'eau et les petits rus, c'est plutôt bien cartographié. La connaissance à l'échelle du bassin versant donne une orientation intéressante.
M. Alexis Guilpart. - Vous avez évoqué l'inventaire national des plans d'eau conduit dans le cadre du Varenne de l'eau mais qui préexistait déjà, au moins dans les intentions de la feuille de route des Assises de l'eau. Nous avons énormément de plans d'eau, y compris des plans d'eau artificiels. Or, nous ne mobilisons pas toujours cette eau de façon optimale. Nous avons encore beaucoup de lacunes dans la connaissance de l'eau. La cartographie des cours d'eau a posé la question du statut de certains cours d'eau qui ont été déclassés en fossés agricoles afin de déroger à certaines règles. Se pose également la question de leur état d'écoulement, leur hydrométrie, leur hydrologie tout au long de l'année. Concernant l'état des nappes, le nombre de prélèvements, par qui et à quel moment, reste très mal connu. Cela constitue un point de fragilité de la politique de l'eau. Tous les forages en dessous de 10 000 mètres cubes d'eau par an ne sont pas soumis à autorisation, juste à déclaration. Ces petits forages passent sous les radars. Or, c'est un sujet important pour de nombreux territoires. Cela peut représenter des millions de mètres cubes cumulés. Ces forages ne sont pas toujours agricoles et ne sont pas forcément mobilisés à la même époque. L'idée d'améliorer la connaissance, de systématiser les compteurs connectés avec télétransmission des prélèvements en direct va constituer un outil de pilotage pour une meilleure préservation de la ressource et de son partage. C'est aussi très important dans le cadre des PTGE, car aujourd'hui, on ne connait pas forcément quelle est la ressource réellement disponible, les prélèvements réels et donc les besoins réels. Les irrigants ont tendance à surestimer les volumes dont ils ont besoin pour éviter une situation de manque d'eau. Cela crée une conflictualité autour du dimensionnement des ouvrages et du partage de l'eau.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Nous souhaitons creuser la question de la connaissance du bassin versant, à la fois en quantité et en qualité, pour piloter en même temps la ressource et les usages, dans les meilleures conditions possibles.
Quel est votre regard sur la DCE ? Est-ce que vous estimez que le niveau de contrôle est satisfaisant ? Pensez-vous par ailleurs qu'il faille étendre le nombre de périmètres de protection sur les captages prioritaires ?
M. Alexis Guilpart. - Il y a beaucoup de territoires où le déclassement des masses d'eau est lié à l'état chimique. C'est préoccupant mais il faut rappeler que leur mauvais classement est aussi lié à leur mauvais état écologique car nombre de cours d'eau ont été artificialisés sur leurs berges qui sont également soumis à des variations thermiques et quantitatives. La DCE ne considère pas seulement la bonne qualité du point de vue chimique. Elle demande une eau où la faune et la flore peuvent se développer. Concernant les pollutions diffuses, la situation est inquiétante. Nos politiques sont peu efficaces tant vis-à-vis des nitrates que des pesticides, que l'on retrouve à des taux de concentration encore important quelques années après leur interdiction. On trouve quand on cherche. Parfois, on ne sait pas quoi aller chercher ni à partir de quel seuil. C'est parfois arbitraire. On ne sait pas toujours à partir de quel seuil la molécule a un effet sur la santé. On souhaite aller vers de nouvelles méthodes de mesure, avec des échantillonneurs passifs qui accumulent les substances. L'approche est plus synthétique.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Qui fait ces recherches à l'heure actuelle ?
M. Alexis Guilpart. - L'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) et un certain nombre de start-ups sont mobilisés. Cela ne fait pas encore partie des mesures réglementaires. Mais cela devrait permettre de mieux comprendre ce qui se passe d'un point de vue physiologique et de ne plus se restreindre à une liste de molécules. En attendant, il existe énormément de molécules et de métabolites qui sont présents à des taux inquiétants. Aujourd'hui, on manque de recul sur l'effet d'un grand nombre de molécules.
M. Éric Gold. - Je souhaite évoquer l'utilisation de l'eau dans un contexte de pénurie. Sur beaucoup de territoires on se rend compte que l'on n'a pas toujours la connaissance de la réserve disponible. Est-ce que l'organisation actuelle de la gestion de l'eau et la réglementation qui en découle, vous paraissent satisfaisantes ? Est-ce que les documents d'urbanisme prennent suffisamment en compte la problématique de l'eau ? Est-ce que la loi sur l'eau et les milieux aquatiques (LEMA) de 2006 ne mériteraient pas quelques évolutions et, si oui, lesquelles ?
M. Alexis Guilpart. - L'articulation des SDAGE et des SAGE avec les documents d'urbanisme est insuffisante aujourd'hui. Les SDAGE et les SAGE ne mettent peut être pas assez l'accent sur la question des sols et des zones humides. Du coup les documents d'urbanisme ne tiennent pas compte de ces paramètres-là. Ils ne se parlent assez. Il faut trouver une langue commune à ces différents types de documents.
On nous a posé plusieurs fois la question de la modification de la LEMA de 2006 au cours de ces derniers mois. Cette loi a fixé des objectifs qui doivent être poursuivis. Ce n'est pas cette loi qui doit être remise en question mais plutôt l'ensemble des autres politiques publiques, notamment les politiques d'aménagement comme l'artificialisation. Quand on artificialise les sols, on limite de fait la capacité de la ressource en eau renouvelable à se régénérer. L'eau ne s'infiltre plus mais ruisselle. La politique agricole commune (PAC) peut aussi être remise en cause. Quand on compare le budget cumulé de toutes les agences de l'eau par rapport au budget de la PAC, on est sur un rapport de 1 à 9. Si la PAC soutient un modèle agricole qui conduit à une dégradation de l'eau, avec un budget neuf fois supérieur, notre politique de l'eau ne fera pas le poids. Un rééquilibrage et une meilleure articulation des politiques publiques me paraissent indispensables.
M. Daniel Breuiller. - Le Plan eau prévoit des protections renforcées sur un certain nombre de zones de captage. Faut-il protéger spécifiquement les zones de captage ou bien l'ensemble du territoire ? Je vois l'importance de protéger les zones de captage mais les intrants qui se multiplient : herbicides, pesticides hors zone de captage, ne finissent-ils pas tous dans les nappes ?
Sur la question des usages, la protection des milieux naturels apparaît moins « utilitaire » pour ceux qui ont besoin d'eau. A l'inverse, si on ne met pas la priorité sur la préservation des milieux naturels, on continue à dégrader l'accès à la ressource. Quel est votre point de vue sur ce combat ? Avez-vous des éléments pour établir les priorités ?
M. Alexis Guilpart. - Nous ne devons pas préserver les seules aires de captage. L'eau est un enjeu de santé publique. Ces zones sont simplement prioritaires en termes de changement de modèle. Dans le cadre du Plan eau, il nous semble nécessaire d'organiser une sortie généralisée des pesticides, d'une part, dans les zones Natura 2000 et, d'autre part, dans les aires d'alimentation de captage. Les pratiques vertueuses inspireront ensuite les voisins. Cela nous semble la première étape, qui est déjà difficile à atteindre. Nous avions évoqué la sortie des pesticides à une échelle de 10 ans dans les zones de captage. En fait, on a plutôt une politique volontariste d'accompagnement aux bonnes pratiques dans ces zones. Le Plan eau ne fixe pas de cap très ambitieux sur la pollution diffuse. Concernant la place que des milieux naturels devraient occuper dans la politique de l'eau, les écosystèmes, par leur fonctionnement, contiennent des réponses à nos problèmes. Nous sommes toujours très centrés sur nos usages et pas sur ceux que pourraient avoir les autres êtres vivants. Il y a là un virage à prendre. Aujourd'hui préserver la ressource et maximiser sa disponibilité naturelle impliquent de préserver les zones humides, de restaurer les fonctionnalités des sols, de reméandrer les cours d'eau et de restaurer leur continuité écologique et leurs zones d'expansion de crues... afin d'améliorer les échanges entre la rivière et sa nappe d'accompagnement. Il faut que la politique de l'eau devienne une politique des sols et de l'eau ! C'est là que sont les leviers des réponses à nos problèmes.
M. Ludovic Haye. - Vous avez évoqué la continuité écologique. N'aurait-elle pas un effet pervers en recréant de la vitesse dans les cours d'eau et en entraînant une baisse de la biodiversité ? Dans mon territoire, je vis ce phénomène. On a sacralisé des cours d'eau à tel point qu'on est en train de rendre des communes inondables parce que l'eau y stagne et celles qui recevaient le cours d'eau sont en train de s'assécher ! Il n'y a pas que les associations mais aussi les services de l'État qu'il faut convaincre de la nécessité d'un entretien régulier des cours d'eau.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - On s'aperçoit qu'il faudrait une différenciation en fonction de la nature de chaque territoire. La même règle ne peut s'appliquer partout. Dans certains territoires, les étangs jouent un rôle positif en matière environnementale et dans d'autres beaucoup moins. Il peut être judicieux d'appliquer la continuité écologique à la carte, selon les territoires. Le sujet reste ouvert.
M. Alexis Guilpart. - C'est un sujet de controverse. Il y a une tendance à présenter la politique publique de restauration de la continuité écologique comme étant autoritaire, sans laisser de place à une approche paysagère ou patrimoniale. Or, il existe encore plus de 100 000 seuils en France ! Je pense que l'État est loin d'imposer quoi que ce soit en matière de restauration de la continuité. Il existe plutôt des opérations d'accompagnement et un gros travail de priorisation. Il y a forcément des exceptions.
Il est clair que la main de l'homme a façonné notre paysage hydrographique mais les usages des étangs sont aujourd'hui moins évidents que par le passé. Par ailleurs, le réchauffement climatique conduit à ce qu'un certain nombre de retenues où l'eau est stockée ne soient plus bien utilisées. L'eau s'évapore ou, parce qu'elle stagne, subit une dégradation de sa qualité ou constitue la source du développement d'espèces invasives.
De nombreuses raisons poussent l'État, les collectivités et les agences de l'eau à porter cette politique de restauration de la continuité écologique. L'absence de continuité, notamment, constitue l'un des freins à l'atteinte du bon état des milieux et même vis-à-vis du bouleversement climatique du cycle de l'eau. Par ailleurs, on raisonne souvent en estimant que les seuils ralentissent les inondations ou l'arrivée des sécheresses, et donc amortissent les effets du changement climatique sur le cycle de l'eau. Or de nombreux cours d'eau ont besoin de ces variations de débit. Il existe aussi des assecs naturels. L'INRAE, et notamment Thibault Datry, a réalisé des travaux sur le sujet.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Pour certains cours d'eau, sans régulation, on risque d'être en dessous des débits réservés. Je pense à la Garonne. S'il n'y a pas de soutien d'étiage, comment fait-on ?
M. Alexis Guilpart. - C'est la raison pour laquelle j'indique que c'est un sujet à controverse. Maintenir un certain nombre de retenues pour garantir un débit tout au long de l'année, peut permettre dans certains cas aux espèces de s'adapter. Si on supprimait l'ensemble des ouvrages autour des cours d'eau, cela créerait des bouleversements que des espèces ne pourraient pas supporter. FNE n'a jamais prôné un paysage hydrographique complètement sauvage. Nous constatons toutefois qu'un certain nombre de seuils aujourd'hui n'ont aucune utilité, y compris sur l'hydrologie. Nous n'avons pas de position absolutiste. Comment fait-on pour garantir l'accès aux poissons migrateurs à un cours d'eau pour assurer leur cycle de vie ? Cela concerne aussi la faune et la flore. La continuité sédimentaire et la continuité thermique doivent aussi être prises en compte. L'eau qui stagne risque de se réchauffer et s'appauvrir en oxygène. Tous ces éléments contribuent à la dégradation de l'état écologique du cours d'eau. La restauration de la continuité n'est pas une lubie de l'État ou des associations mais une solution pour retrouver un maximum de fonctionnalité des milieux.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Comment amène-t-on la différenciation au niveau des territoires en fonction de la nature des projets ? Est-ce que les SAGE sont les mieux placés pour examiner la pertinence de rétablir la continuité et sous quelles conditions ? Au niveau de l'acceptabilité, comment cristallise-t-on les positions, notamment vis-à-vis des PTGE ? On trouve parfois des consensus sur des projets qui peuvent ne pas tenir juridiquement et qui font l'objet de recours. La base même de la négociation et de la cristallisation n'est pas toujours à l'échelle que l'on pourrait souhaiter. Certains projets mettent très longtemps à sortir.
M. Alexis Guilpart. - Aujourd'hui, nous avons plutôt une politique intelligente qui est faite, encore faut-il une certaine stabilité réglementaire sur la continuité écologique. Il n'y a pas que les recours qui peuvent ralentir les projets. Cela peut prendre d'autres formes, comme avec des cavaliers législatifs introduits dans la loi climat et résilience afin de protéger les moulins, sources de petite hydroélectricité ! Concernant les PTGE, si des recours sont portés par FNE c'est en accompagnement des fédérations locales qui ont un intérêt à agir. Nous n'allons pas bousculer un consensus trouvé par une fédération locale. Nous sommes vigilants sur les PTGE car ils n'ont pas de valeur réglementaire. C'est juste une phase de concertation qui aide à faire émerger un projet consensuel.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Il existe parfois un conflit entre les différents textes juridiques. La difficulté est d'avoir une approche sociétale et pas uniquement environnementale. Et comment réintroduit-on dans les projets tous les avantages à moyen et long terme comme par exemple le coût carbone ? Dans un référentiel plus complexe, on pourrait dire que le projet a un bénéfice global. Il est encore difficile de faire une évaluation à 360°.
M. Alexis Guilpart. - Cette évaluation dont vous parlez peut se faire par les études Hydrologie, Milieux, Usages et Climat (HMUC) qui synthétisent ce diagnostic. Un PTGE bien mené avec une étude HMUC solide, ne devrait pas aboutir à un contentieux. Dans l'exemple du barrage de la Têt dans les Pyrénées-Orientales, le préfet qui a demandé une étude sur le débit réservé que doit laisser passer un barrage, réclame au final une dérogation au débit recommandé par les scientifiques. Dans ce cas, FNE a agi dans l'intérêt de la nature et l'intérêt général. C'est une victoire juridique de FNE qui n'a pas plu au monde agricole.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Pour moi, c'est un autre sujet. Il s'agit du pouvoir dérogatoire du préfet.
M. Alexis Guilpart. - J'essaie d'illustrer l'idée que les contentieux que l'on mène au niveau national n'ont pas pour objet de pilonner des consensus locaux. C'est toujours lorsqu'il y a eu des manquements graves que nous agissons. Je ne pense pas que le risque de contentieux associatif sur des projets ou des ouvrages ayant fait un consensus, soit important.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Cela mériterait d'être analysé en profondeur.
Mme Florence Blatrix Contat. - Sur la protection des captages, les annonces du Plan eau ne sont pas très claires. Il faut faire le lien avec la transposition de la Directive Eau potable. Ne devrions-nous pas saisir l'opportunité de cette transposition pour mieux protéger les captages des risques de pollutions, notamment des résidus de pesticides ? Avez-vous analysé les ordonnances de transposition ? Avez-vous des pistes d'amélioration ?
M. Alexis Guilpart. - La transposition est très certainement une opportunité. Je ne dispose pas d'analyses détaillées sur ce levier. Aujourd'hui se pose la question de la confiance du consommateur. Nous avons besoin d'une politique volontariste vis-à-vis de la qualité de l'eau potable. L'approche par le curatif, qui est coûteux, ne suffit pas, il faut accompagner avec du préventif. Nous avons des objectifs de développement de l'agriculture biologique qui ne sont pas encore atteints. Cela pourrait être une double opportunité. On généralise une agriculture sans pesticides sur les aires d'alimentation de captage et on répond en même temps à cet enjeu du développement de l'agriculture biologique.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Je vous remercie pour votre intervention.
La réunion est close à 15 heures.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.